Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/747/2021

JTAPI/72/2022 du 27.01.2022 ( LCI ) , ADMIS

REJETE par ATA/555/2022

Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE;PROTECTION DES MONUMENTS;PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ;POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LCI.3.al3; LCI.4.al5; LCI.15; LCI.83; LCI.85; LPMNS.15.al3; LPMNS.47.al1; RPMNS.5.al3
Parties : WIRTH Stanislas / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC, FIRMENICH Charles, FIRMENICH Marie-Claude
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/747/2021 LCI

JTAPI/72/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 27 janvier 2022

 

dans la cause

 

Monsieur Stanislas WIRTH, représenté par Me Cédric LENOIR avocat, avec élection de domicile

contre

Madame Marie-Claude FIRMENICH et Monsieur Charles FIRMENICH, représentés par Me Blaise GROSJEAN, avocat, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE


EN FAIT

1.             Madame Marie-Claude FIRMENICH, Monsieur Charles FIRMENICH et Monsieur Stanislas WIRTH font partie des copropriétaires de la parcelle no 4'941, plan 26 de la commune de Genève-Cité, sur laquelle un immeuble est érigé à l’adresse 14, rue des Granges. Cette parcelle est constituée en propriété par étage (PPE).

Les deux premiers détiennent le lot n° 2.01, qui comprend un appartement se trouvant au rez-de-chaussée de l'immeuble, auquel une terrasse dallée, prolongée par une cour (ou un « jardin ») orienté vers le mur et la rampe de la Treille, est accolée. L'usage de cet espace leur est conféré par une « servitude d'usage de jardin privatif ».

M. WIRTH détient quant à lui - depuis le 30 janvier 2020 - le lot n° 3.01, correspondant en particulier à l'appartement situé au-dessus, au 1er étage.

2.             Cette parcelle (« ensemble, façades, terrasse, cour ») fait l'objet d'une mesure de classement (MS-c81) depuis le 18 décembre 1923. La fiche du recensement architectural du canton (n° 2010-24552) y relative indique ce qui suit :

« Immeuble d'aspect plus modeste que ses voisins : l'apparence est discrète du côté des terrasses et il n'y a pas de cour d'honneur. La façade sur rue, en continuité stylistique avec les autres immeubles de la rangée, reste simple. Seul le rez-de-chaussée témoigne d'une volonté décorative, avec des panneaux sous les fenêtres, un bandeau se détachant en corniche au-dessus des percements des extrémités et la porte à clé sculptée avec imposte en fer forgé ».

Elle est par ailleurs sise dans le périmètre de la zone protégée de de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications (art. 28 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30 - cum art. 83 ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05).

3.             Le 26 mars 2012, Mme et M. FIRMENICH se sont vu délivrer une autorisation de construire, sollicitée le 26 avril 20211 par l'intermédiaire de Monsieur Fabrice JUCKER, architecte, devant leur permettre d'ériger un couvert sur la terrasse précitée (DD 104'263 : « construction basse sur cour - garde corps devant balustrade existante »). Il s'agissait en particulier d'un couvert composé de panneau en verre reposant sur une structure métallique et devant être accolé à la façade de l'immeuble.

Le 15 février 2012, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) avait émis un préavis « favorable sous réserve » :

« La sous-commission [monuments et antiquités] prend connaissance du projet modifié du garde-corps métallique prévu le long du mur de la Treille. Se référant à son préavis de consultation du 12 janvier 2012, elle en reprend les termes :

« Elle prend note que la nouvelle proposition place le garde-corps bien en retrait de la balustrade en pierre, avec un écran végétal pour en cacher la vue depuis la rampe et la promenade de la Treille. Cette intervention met en valeur la balustrade, sans en modifier la substance. La sous-commission n'a donc pas d'objection à cette intervention.

D'ores et déjà, la sous-commission rappelle qu'il est nécessaire de fournir à la conservatrice cantonale des monuments, chargée du suivi de chantier, tous les détails de mise en œuvre, choix des matériaux de construction et teintes pour approbation, avant commande des travaux. ».

4.             Lors d'une assemblée tenue le 4 juin 2012, prenant acte du fait que « les autorisations nécessaires [avaient] été obtenues et que le projet présenté a[vait] été approuvé par le [département des constructions et des technologies de l’information - DCTI -, actuellement département du territoire ; ci-après : DT)] », les copropriétaires de la PPE ont donné leur accord à l'installation d'une barrière sécurisée et, « sous réserve de l'accord de la CMNS », d'un couvert sur la terrasse de l'appartement de Mme et M. FIRMENICH.

5.             Le 7 janvier 2013, M. JUCKER a adressé au DT une « attestation globale de conformité selon l'article 7 LCI », dans laquelle il précisait que « le couvert sur terrasse sur jardin est en attente jusqu'à l'accord de la copropriété ».

6.             Par requête enregistrée le 5 août 2020 par le département du territoire (ci-après : DT) sous la référence DD 113'755, Mme et M. FIRMENICH ont déposé une nouvelle demande, à nouveau par l'intermédiaire de M. JUCKER, portant sur un objet similaire (« couvert sur terrasse »), de dimension très légèrement plus modeste (de 20 cm en largeur et de 15 cm en profondeur). Ce dernier précisait :

« Cette demande ne reprend qu'en partie l'autorisation DD104263. En effet, cette dernière n'a pu qu'être partiellement réalisée car le couvert sur terrasse était en attente d'un accord de la copropriété, comme indiqué sur l'attestation globale de conformité du 07.02.2013. Aujourd'hui, l'accord a été donné par la copropriété et il s'agit dès lors de renouveler cette autorisation à l'identique de l'initiale ».

A teneur d'une facture d'acompte adressée le 20 juillet 2020 à M. JUCKER par l'entreprise de serrurerie devant réaliser les travaux, la structure dudit couvert (Dimensions : 6800 x 2800 mm »), composée de six traverses de soutien en fer reposant sur un tube en acier et de deux piliers en acier, devait être fixée directement contre les murs « avec un fer plat de 120/60 mm ». Le corps de l'installation devait être composé de verres feuilletés (« imitation verre armé »).

7.             Dans le cadre de l’instruction de cette demande :

-          Le 6 août 2020, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a émis un préavis favorable, sans observation.

-          Le 11 août 2020, la direction de l'information du territoire s'est déclarée favorable, sous condition (« Obligation de mise à jour du plan du Registre foncier »).

-          Le 17 août 2020, l'office cantonal de l'eau a délivré un préavis favorable, sous conditions.

-          Le 17 août 2020, le service compétent de l’office de l’urbanisme (ci-après : SPI) a préavisé favorablement et sans observation le projet.

-          Le 28 août 2020, sous la plume de son conseil, M. WIRTH a fait part de son opposition au DT.

-          Le 1er septembre 2020, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) s'est déclarée défavorable au projet :

« La commission prend connaissance d'un projet de couvert vitré au rez-de-chaussée de l'immeuble classé, sis rue des Granges 14.

A l'analyse des documents fournis, la commission comprend qu'il s'agit de l'installation d'une structure métallique recouverte de vitrages, devant la façade donnant sur la terrasse du mur de la Treille.

Ces travaux ont fait l'objet d'une autorisation de construire DD 104 263, en force depuis le 26 mars 2012, mais close par non-réalisation.

La commission, très attentive à ce site emblématique qu'est le mur de la Treille et les façades des immeubles prestigieux de la rue des Granges, réexamine la demande, et constate qu'elle n'est, de fait, pas acceptable : en se référant à l'article 88 de la LCI, elle rappelle que son but est d'améliorer l'aménagement des cours et jardins en libérant ceux-ci de toute construction pérenne. Il s'agit aussi d'assurer une unité dans le traitement du front de façades de la rue des Granges, même celles qui se situent en deuxième front, comme celle de Granges 14.

Elle s'exprime donc défavorablement à cette installation fixe ».

-          Le 21 septembre 2020, la Ville de Genève a émis un préavis favorable, sous condition (« Au regard de la protection patrimoniale du site (MS-c81), le projet devra être accompagné par la Conservatrice cantonale »).

-          Le 26 octobre 2020, le DT a adressé le courrier suivant à M. JUCKER :

« Suite à l'examen des documents et préavis reçus, il ressort que votre projet doit être modifié pour être conforme aux dispositions légales comme suit :

- CMNS du 01/09/2020 pour information et détermination sur la suite à donner à cette affaire

La présente communication suspend le délai de réponse fixé par l'article 4, alinéa 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses, du 14 avril 1988 ».

-          Le 3 novembre 2020, sous la plume de leur conseil, Mme et M. FIRMENICH ont indiqué au DT qu'il maintenait leur requête, lui demandant « de ne pas tenir compte du préavis défavorable du CMNS et d'accorder l'autorisation sollicitée, comme ce fut le cas de la DD 104263 ». En substance, ils se sont prévalus du préavis de la CMNS « du 15 juin 2011 », du fait qu'« il n'y a[vait] eu aucun changement de législation, de règlementation voire de jurisprudence entre 2011 et 2020 qui eût pu expliquer le revirement de la CMNS » et du fait qu'ils « étaient en droit de considérer que les organes de l'Etat agiraient dans le respect de la décision précédente ».

-          Le DT a alors soumis cette prise de position à la CMNS, afin qu'elle se prononce à nouveau.

-          Cette dernière ne s'est alors pas manifestée. En lieu et place, le 14 décembre 2020, la conservatrice cantonale des monuments a adressé son propre préavis au DT, sur formule à l'en-tête du service des monuments et des sites (ci-après : SMS), aux termes duquel elle se déclarait favorable au projet :

« Vu le préavis défavorable émis par la CMNS lors de sa séance du 1er septembre 2020,

Considérant les précisions données par courrier à l'OAC par Me Grosjean, avocat mandaté,

La conservatrice cantonale reprend l'analyse du projet de couvert vitré situé au rez-de-chaussée et devant la façade côté Treille de l'immeuble classé, sis rue des Granges 14.

S'agissant de l'installation d'une structure métallique recouverte de vitrages devant prendre place sur la terrasse côté jardin, la commission s'est référée à l'article 88 de la LCI, dont le but est d'améliorer l'aménagement des cours et jardins en libérant ceux-ci de toute construction pérenne. Elle souhaitait ainsi assurer une unité dans le traitement du front de façades de la rue des Granges, y compris celles qui se situent en retrait, comme c'est le cas pour la rue des Granges 14.

Or, ces travaux ont fait l'objet d'une autorisation de construire DD 104 263, en force depuis le 26 mars 2012, mais close par non-réalisation.

Tenant compte des antécédents à ce dossier, la conservatrice cantonale des monuments, en charge du patrimoine classé, s'exprime favorablement à cette installation sous réserve que :

- la structure soit très légère et indépendante de la façade

- Toutes les précautions soient prises pour ne pas avoir de rejaillissements d'eau, ni de coulures sur la façade en pierre. Pour ce faire, prévoir un chéneau encaissé et une légère pente de la toiture en verre

- le couvert demeure totalement ouvert sur l'ensemble des faces verticales ».

8.             Le 1er février 2021, le DT a délivré l’autorisation DD 113'755, qui a été publiée dans la feuille d’avis officielle (FAO) du même jour. Cette décision indique que les conditions figurant dans les préavis de la « Commission des monuments, de la nature et des sites du 14.12.2020 », de l'office cantonal de l'eau et de la direction de l'information du territoire, devront être strictement respectés et font partie intégrante de l’autorisation (ch. 4).

9.             Par acte du 1er mars 2021, sous la plume de son conseil, M. WIRTH a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision d’autorisation, dont il a requis l'annulation, sous suite de frais et dépens, sollicitant à titre préalable l'audition d'un représentant de la CMNS, « autre que la Conservatrice cantonale », et l'exécution d’un transport sur place.

La conservatrice cantonale, qui avait outrepassé ses compétences, ne jouissait d'aucune attribution légale pour rendre seule un préavis propre à renverser celui de la CMNS dans sa composition collégiale, comptant des représentants de divers milieux professionnels, politiques ou associatifs, de sorte que son préavis devait être « considéré comme nul et non avenu ».

En outre, le DT aurait dû suivre le préavis défavorable de la CMNS. Celle-ci était bien consciente du fait que le couvert avait été autorisé en 2012, puisqu'elle l'a rappelé dans son préavis. Cependant, tenant compte de la valeur patrimoniale exceptionnelle du site de la rue des Granges et de la rampe de la Treille, elle avait fait primer l'intérêt public à la conservation du patrimoine et reconsidéré sa position d'alors, rendu dans une composition différente et sur un projet différent, par ses dimensions notamment. En tout état, la CMNS était légitimée à porter une appréciation différente sur un projet huit ans après, « selon les sensibilités de ses membres et la politique de conservation du patrimoine qu'elle entend appliquer en fonction des époques ». Compte tenu de la valeur patrimoniale exceptionnelle des immeubles composant la rue des Granges, il était particulièrement choquant de faire primer l'intérêt privé des requérants à faire construire un couvert d'aspect contemporain sur une façade datant de 1724, au mépris de l'intérêt public, d'ordre patrimonial, à préserver l'aspect de cet immeuble, demeuré inchangé depuis le début du XVIIIème siècle. La conservatrice cantonale n'avait d'ailleurs pas remis en question la réflexion patrimoniale de la CMNS, qu'elle avait fait en réalité sienne dans son préavis, mais retenu seulement le fait que le projet avait été autorisé en 2012, l'autorisation afférente étant toutefois caduque. Enfin, les conditions posées par la conservatrice cantonale n'étaient pas compatibles avec le projet, puisque cette dernière exigeait que le couvert ne soit pas lié à la façade, qu'il prévoie un système d'évacuation de l'eau différent pour éviter les projections sur la façade et qu'il présente une pente plus importante, ce qui impliquait en soi que le projet fût redéposé, respectivement modifié, pour être à nouveau soumis à la CMNS et aux autres instances consultées dans le cadre de l'autorisation initiale. Au demeurant, même modifié comme proposé par la conservatrice cantonale, ce couvert contreviendrait toujours aux objectifs de la mesure de classement visant à conserver les volumes de la terrasse et de la cour de l'immeuble.

Par ailleurs, la péremption d'une autorisation de construire ne garantissait en rien le droit d'obtenir une décision identique huit ans après sa délivrance, à plus forte raison lorsqu'un intérêt public commandait de refuser une autorisation pour des motifs impérieux d'ordre patrimonial, reconnus dans le préavis défavorable de la CMNS. L'administration était libre de modifier son appréciation d'une situation identique pour des motifs pertinents, tenant ici à la protection du patrimoine.

10.         Par acte du 23 avril 2021, sous la plume de leur conseil, Mme et M. FIRMENICH ont conclu au rejet du recours.

L'immeuble ne se trouvait pas dans l'alignement des bâtiments prestigieux voisins de l'Hôtel Sellon et son aspect était bien plus modeste. Son apparence était discrète du côté des terrasses et il n'y avait pas de cour d'honneur. Même la façade donnant sur la rue des Granges restait simple. En outre, la façade du bâtiment donnant sur leur terrasse ne présentait aucun intérêt particulier sur le plan esthétique et celle-ci n'était quasiment pas visible de la rampe de la Treille, de la promenade de la Treille et de la rue de la Croix-Rouge.

Leur mandataire n'avait pas été dument informé de la décision de l'assemblée des copropriétaires du 4 juin 2012 d'autoriser l'édification du couvert. Vu la péremption de l'autorisation DD 104'263, leur architecte avait pris contact avec Monsieur MÜLLER, juriste au DT. Ce dernier, un peu hésitant, avait indiqué qu'il était plus simple de redéposer une demande en faisant mention de l'autorisation précédente ; « il n'y aurait pas de problème et cela irait vite ».

La CMNS avait déjà préavisé favorablement le même projet. Dès lors, et à supposer que le préavis de la CMNS du 21 septembre 2020 eût été maintenu, le DT aurait dû rendre une décision favorable, « afin de respecter le principe, inscrit tant dans la Constitution genevoise (article 9) et que dans la Constitution fédérale (art. 9 ch. 3), imposant aux organes de l'Etat d'agir conformément aux règles de la bonne foi », lequel obligeait les autorités à éviter les comportements contradictoires et à s'abstenir de tout comportement propre à tromper le justiciable dans ses légitimes attentes. La CMNS était soumise à cette règle et ne pouvait « changer d'avis s'agissant d'appréhender le même contexte en faisant supporter aux administrés le seul changement de personnes en son sein. Un tel revirement, pour ne pas dire reniement, [était] aussi arbitraire et contraire à l'article 9 Cst. ». Le fait d'avoir traité de manière différente deux situations semblables violait aussi cette disposition, qui garantissait l'égalité de traitement.

Dans ces conditions, ils étaient en droit d'être assurés qu'ils pouvaient compter sur un comportement identique de la CMNS, laquelle n'était pas en droit de se déjuger pareillement sans faits nouveaux pertinents.

De plus, le DT avait estimé à juste titre que le couvert, discret et translucide, n'était pas de nature à porter atteinte à l'esthétisme des lieux. Ce faisant, il avait correctement usé de son pouvoir d'appréciation.

11.         Dans ses observations du 7 mai 2021, le DT a lui aussi conclu au rejet du recours.

S'il n'était pas contesté que l'autorisation de construire DD 104'263 était devenue caduque, il n'en demeurait pas moins que la prise de position de la CMNS dans le dossier DD 113'755 est « des plus surprenante », puisque, pour un projet similaire, et alors que les dispositions légales applicables et la jurisprudence y relatives n'avaient pas changé, sa position avait été totalement différente, étant relevé que seulement huit années s'étaient écoulées entre le moment où les deux demandes avaient été déposées. Si, ce n'était pas le préavis de la conservatrice cantonale qu'il était « allé rechercher », après que Mme et M. FIRMENICH avaient fait valoir leur position vis-à-vis du préavis défavorable de ladite commission, il était vrai que « cette dernière l'a[vait] conforté dans sa position de considérer qu'il serait disproportionné de refuser un projet qui quelques années auparavant avait été autorisé, avant l'accord de l'instance de préavis spécialisé » (sic). C'était pour cette raison que, dans le cadre de la pesée des intérêts qu'il avait été amené à effectuer, il avait considéré que ce préavis défavorable devait être écarté et que l'autorisation de construire devait être délivrée.

12.         Par réplique du 7 juillet 2021, sous la plume de son conseil, le recourant a persisté dans ses griefs et conclusions, contestant les motifs avancés par le DT et Mme et M. FIRMENICH.

L'immeuble litigieux faisait partie d'un ensemble construit à une même époque, protégés dans la même mesure par l'arrêté de classement du Conseil d'Etat de 1923. L'unité architecturale de l'entier de la rue était protégée ; peu importait si l'immeuble en cause était d'aspect plus sobre que les immeubles voisins. En outre, la protection du patrimoine ne s'appréciait pas en fonction de la possibilité pour les badauds de voir le bâtiment ou non depuis la rampe de la Treille. La construction projetée serait par ailleurs visible sous toutes les fenêtres de son appartement, mais également du voisinage, dès lors que les immeubles voisins formaient un « U » donnant sur une cour commune.

On ne pouvait reprocher à une commission, en l'espèce composée de spécialistes, d'avoir eu une appréciation divergente de celle de ses membres consultés huit ans plus tôt. Soutenir le contraire reviendrait à priver la CMNS de sa liberté d'appréciation et d'adopter une politique plus ou moins restrictive de la protection du patrimoine en fonction de l'évolution des mentalités et des époques. Comme le reconnaissaient jurisprudence et doctrine, la péremption d'un droit n'autorisait pas les administrés à obtenir une décision identique à l'infini si la loi et/ou la jurisprudence ne changeaient pas dans l'intervalle. Au contraire, ceux-ci devaient prendre alors le risque d'une appréciation différente de l'administration, naturellement dans les limites de la marge d'appréciation lui étant laissée légalement. Si le DT ne pouvait naturellement pas se contredire sur l'application d'une norme claire et définie, il en allait autrement des bases légales lui conférant une souveraine marge d'appréciation. La politique de protection du patrimoine pouvait évoluer avec le temps, en fonction des membres composant la CMNS au moment où le dossier était instruit. Il n'y avait ainsi « rien d'extravagant ni de problématique sur un plan juridique à ce que la CMNS ait changé son fusil d'épaule huit ans après sa première décision après que ses membres [avaient] changé et leur appréciation également ».

« En définitive, la question qui [était] posée au Tribunal [était] de savoir si l'intérêt public à préserver le patrimoine exceptionnel de la rue des Granges - reconnu par le préavis CMNS dont le Tribunal ne [pouvait] s'écarter sans justes motifs - [devait] ou non primer sur l'intérêt privé des Requérants à obtenir à nouveau une autorisation devenue caduque par leur propre faute ».

Les administrés ne pouvaient « partir du principe que la caducité d'une autorisation restera[it] sans conséquence si la loi ne change[ait] pas dans l'intervalle et qu'ils aur[aient] ainsi l'assurance de se voir redélivrer la même autorisation, même huit ans après, ce qui n'[était] pas négligeable ».

Par ailleurs et tandis que la rue des Granges était restée intacte dans son aspect extérieur et exempte de constructions nouvelles depuis plus de trois siècles, comme en témoignaient les archives de SAD Consult, autoriser le couvert litigieux ouvrirait une regrettable brèche pour d'autres constructions de ce type dans cette prestigieuse et mythique rue de Genève, qui détruiraient l'unité patrimoniale et architecturale expressément protégée par la loi et l'arrêté du classement du Conseil d'Etat de 1923.

13.         Par duplique du 30 juillet 2021, le DT a persisté dans ses conclusions.

Encore une fois, bien qu'il n'eût jamais sollicité de préavis de la conservatrice cantonale, il était vrai que sa prise de position n'avait pas manqué de le « réconforter » dans le cadre de la pesée des intérêts qu'il avait été amenée à effectuer. Il avait alors considéré - sur la base notamment du principe de la bonne foi - qu'il ne pouvait pas refuser une autorisation de construire qu'il avait délivrée quelques années auparavant sur la base notamment du préavis favorable rendu, à l'époque, par la CMNS.

Contrairement à ce que le recourant affirmait, cette dernière ne pouvait pas revenir sur des décisions, bien que caduques, prises préalablement, au gré du renouvellement de ses commissaires, alors que ni la loi, ni la jurisprudence n'avaient évolué. Admettre le contraire reviendrait à lui laisser la possibilité de faire évoluer la protection du patrimoine en fonction non pas de l'évolution de la loi et de la jurisprudence, mais des membres la composant, ce qui, pour des raisons de sécurité de droit évidentes, ne pouvait être accepté.

14.         Par duplique du 3 août 2021, sous la plume de leur conseil, Mme et M. FIRMENICH ont eux aussi persisté dans leurs conclusions.

Ils ont observé qu'une grande structure métallique porteuse de stores avait été récemment construite sur la grande terrasse de l'immeuble de l'ancien manège, récemment rénové par la Ville de Genève, sis rue Saint-Léger. Cette structure était beaucoup plus volumineuse que le couvert projeté. Elle avait fait l'objet d'une autorisation de construire nonobstant la situation de cet immeuble classé. Aucun obstacle d'intérêt public n'avait été retenu par la CMNS et le DT. Personne n'avait trouvé à redire à cette installation, ce qui démontrait que ce type de structure permanente ne nuisait aucunement à la protection de bâtiments classés situés en Vieille-Ville. On ne verrait pas pourquoi cette structure devrait être autorisée et leur projet rejeté. Des situations semblables devaient être traitées de façon semblable.

15.         Par acte du 12 août 2021, sous la plume de son conseil, le recourant a formulé des observations complémentaires.

Il a notamment observé que le DT n'invoquait pas un seul argument d'ordre patrimonial pour justifier sa position, pas plus qu'il ne contestait l'avis de la CMNS sur la nécessité de protéger l'aspect de la rue des Granges. Son seul argument consistait à mettre en avant l'interdiction des comportements contradictoires pour justifier en réalité une atteinte au patrimoine qu'il ne niait pas. Or, cet argument est dénué de pertinence sur un plan juridique. En particulier, les préavis de la CMNS étaient nécessairement emprunts de la subjectivité des membres la composant, dont la décision n'était garantie que pour la durée de l'autorisation délivrée. Une fois celle-ci caduque, le requérant s'exposait nécessairement au risque de se voir opposer une opinion divergente, dans la mesure de la latitude d'appréciation que la loi conférait à la CMNS, qui était une commission indépendante de l'administration.

En outre, on discernait mal la pertinence de la comparaison avec l'ancien manège de la rue Saint-Léger, qui n'était pas protégé par l'arrêté de classement relatif à la rue des Granges, qui ne ressemblait en rien aux immeubles d'habitation de cette rue et dont la nature des travaux différait totalement. Contrairement à ce qu'affirmaient Mme et M. FIRMENICH, cet immeuble ne faisait l'objet d'aucun arrêté de classement et ne méritait donc pas du tout la même protection patrimoniale que les immeubles de la rue des Granges, qui faisaient l'objet d'un arrêté de classement portant spécifiquement sur l'aspect des façades, des terrasses et des cours.

16.         Par courrier du 3 décembre 2021, le tribunal, observant que le DT avait à nouveau sollicité son avis à réception d'un courrier du conseil des époux FIRMENICH du 3 novembre 2020, mais qu'elle ne s'était pas prononcée (la conservatrice cantonale des monuments lieu et place ayant repris le dossier à son compte et formulé son propre préavis le 14 décembre 2020), a demandé à la CMNS, de façon à clarifier la situation, de lui communiquer, sa détermination définitive quant au caractère autorisable de la construction en cause.

17.         Le 20 décembre 2020, sous la plume de sa présidente, la CMNS a formulé la réponse suivante :

« En l'espèce, faisant usage des compétences que lui confèrent les articles 47 LPMNS et 5 RPMNS, la CMNS s'est prononcée défavorablement sur la demande d'autorisation de construire précitée, au moyen d'un préavis émis le 1er septembre 2020.

Dans cette mesure et eu égard à l'article 47 alinéa 1 LPMNS, la commission n'est, en principe, pas fondée à se prononcer une seconde fois sur un même dossier et la commission que je préside prend acte que :

- la conservatrice cantonale des monuments a formulé un préavis complémentaire favorable en date du 14 décembre 2020 ;

- le département a délivré une autorisation de construire date du 1er février 2021.

Au vu de ces éléments, il n'appartient pas à la CMNS de se prononcer sur le caractère autorisable de la construction litigieuse, son préavis n'ayant au demeurant qu'un caractère consultatif ».

18.         Ce courrier a été transmis aux parties le 21 décembre 2021.


 

 

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le DT en application, notamment, de la LCI et de ses règlements d'application (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente par un voisin du projet de construction litigieux (cf. not. ATF 140 II 214 consid. 2.1 ; 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2019 du 19 août 2020 consid. 1.2 ; 1C_155 du 11 décembre 2019 consid. 1 ; 1C_56/2019 du 14 octobre 2019 consid. 1 ; 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1 ; 1C_27/2018 du 6 avril 2018 consid. 1.1), le recours est recevable (art. 57, 60 et 62 à 65 LPA).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

Commet un excès positif de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l'exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d'appréciation dans le cas où l'excès de pouvoir est négatif, soit lorsque l'autorité considère être liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou qu'elle renonce d'emblée, en tout ou partie, à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 116 V 307 consid. 2 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_472/2016 du 14 février 2017 consid. 5.1.2 ; 1C_263/2013 du 14 mai 2013 consid. 3.1), par exemple en appliquant des solutions trop schématiques ne tenant pas compte des particularités des cas d'espèce, que l'octroi du pouvoir d'appréciation avait justement pour but de prendre en considération ; on peut alors estimer qu'en refusant d'appliquer les critères de décision prévus explicitement ou implicitement par la loi, l'autorité viole directement celle-ci (cf. Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 514 p. 179).

4.             Les arguments formulés par les parties à l'appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1 ; 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 5.1 ; 1C_304/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.1 ; 1C_592/2015 du 27 juillet 2016 consid. 4.1 ; 1C_229/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1 et les arrêts cités), étant rappelé que, saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office et que s'il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA ; cf. not. ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1 et les références citées ; ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; cf. aussi ATF 140 III 86 consid. 2 ; 138 II 331 consid. 1.3 ; 137 II 313 consid. 1.4). Aussi peut-il admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (cf. ATF 139 II 404 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_164/2019 du 20 janvier 2021 consid. 2 ; 2C_44/2017 du 28 juillet 2017 consid. 2.1 ; 2C_540/2013 du 5 décembre 2013 consid. 3 ; 2C_349/2012 du 18 mars 2013 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-1734/2019 du 23 mars 2020 consid. 2).

5.             Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit, pour l'intéressé, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Toutefois, le juge peut renoncer à l'administration de certaines preuves offertes, lorsque le fait dont les parties veulent rapporter l'authenticité n'est pas important pour la solution du cas, lorsque les preuves résultent déjà de constatations versées au dossier ou lorsqu'il parvient à la conclusion qu'elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_576/2021 du 1er avril 2021 consid. 3.1 ; 2C_946/2020 du 18 février 2021 consid. 3.1 ; 1C_355/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.1).

Ces principes s'appliquent notamment à la tenue d'une inspection locale, en l'absence d'une disposition cantonale qui imposerait une telle mesure d'instruction (ATF 120 Ib 224 consid. 2b ; 112 Ia 198 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_243/2013 du 27 septembre 2013 consid. 3.2.1 ; 1C 61/2011 du 4 mai 2011 consid. 3.1 ; 1C_327/2009 du 5 novembre 2009 consid. 3.1 ; ATA/720/2012 du 30 octobre 2012), ce qui n'est pas le cas à Genève.

Par ailleurs, le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (cf. not. art. 41 in fine LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_668/2020 du 22 janvier 2021 consid. 3.3 ; 2C_339/2020 du 5 janvier 2021 consid. 4.2.2 ; ATA/1637/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3d), ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_725/2019 du 12 septembre 2019 consid. 4.1 ; 2C_1004/2018 du 11 juin 2019 consid. 5.2.1 ; 2C_1125/2018 du 7 janvier 2019 consid. 5.1).

Enfin, dans la règle, l'audition d'un membre d'une instance spécialisée ne se justifie pas lorsque cette instance a émis un préavis versé à la procédure (ATA/126/2021 du 2 février 2021 consid. 2b ; ATA/934/2019 du 21 mai 2019 consid. 2, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_355/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.1 et 3.2).

6.             Sont en l'occurrence sollicitées l’audition d'un représentant de la CMNS, ainsi que l'exécution d'un transport sur place. Or, il n'existe pas un droit à l'accomplissement de tels actes d'instruction et ceux-ci n'apparaissent pas nécessaires pour résoudre les questions que posent le litige, le dossier contenant les éléments utiles permettant au tribunal de statuer en connaissance de cause. Il n'y sera dès lors pas procédé.

7.             L’aménagement et le caractère architectural original des quartiers de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications doivent être préservés (art. 83 al. 1 LCI). Dans tous les cas, l’architecture notamment le volume, l’échelle, les matériaux et la couleur des constructions doivent s’harmoniser avec le caractère des quartiers (art. 83 al. 5 LCI). Il en est de même des enseignes, attributs de commerce, panneaux, réclames, vitrines mobiles et autres objets soumis à la vue du public (art. 83 al. 6 LCI).

Les demandes d’autorisation, à l’exception de celles instruites en procédure accélérée, sont soumises, pour préavis, à la CMNS (art. 85 al. 1 LCI). Les demandes d’autorisation instruites en procédure accélérée ainsi que les travaux de réfection de façades et de toitures sont soumis, pour préavis, à l’office du patrimoine et des sites (art. 85 al. 2). Ces préavis sont motivés (art. 85 al. 3 LCI).

8.             La loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) protège notamment les monuments de l’histoire, de l’art ou de l’architecture et les antiquités immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que l’aspect caractéristique du paysage et des localités, les immeubles et les sites dignes d’intérêt, de même que les beautés naturelles (art. 1 let. a et b LPMNS ; cf, aussi art. 4 LPMNS).

Pour assurer la protection d’un monument ou d’une antiquité au sens de l’art. 4, le Conseil d’Etat peut procéder à son classement par voie d’arrêté assorti, au besoin, d’un plan approprié (art. 10 al. 1 LPMNS).

9.             D'après la jurisprudence, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont en principe d'intérêt public (ATF 135 I 176 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_485/2020 du 28 juin 2021 consid. 4.1 ; 1C_266/2015 du 20 juin 2016 consid. 3.1.3 ; 1C_545/2014 du 22 mai 2015 consid. 5.5 ; ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 7 ; ATA/1439/2019 du 1er octobre 2019 consid. 4d).

Il appartient aux historiens, historiens de l'art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le bâtiment le rendent digne de protection, d'après leurs connaissances et leur spécialité. À ce titre, il suffit qu'au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l'abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l'évolution de la situation et d'une rareté qu'il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s'en écarter (ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 8 ; ATA/561/2020 du 6 juin 2020 consid. 5b ; ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 3b ; ATA/1068/2016 du 20 décembre 2016 consid. 5b ; ATA/1214/2015 du 10 novembre 2015 consid. 4b ; ATA/721/2012 du 30 octobre 2012 et les références citées). Selon la charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites élaborée et adoptée à l'échelle internationale en 1964 à Venise à l'occasion du deuxième congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques, la notation de monument historique comprend tant la création architecturale isolée, que le site urbain ou rural qui porte témoignage d'une civilisation particulière, d'une évolution significative ou d'un événement historique. Elle s'étend non seulement aux grandes créations, mais aussi aux œuvres modestes qui ont acquis avec le temps une signification culturelle (cf. ATA/561/2020 du 6 juin 2020 consid. 5c).

L'art. 4 let. a LPMNS, en tant qu'il prévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style. La jurisprudence a pris acte de cette évolution (cf. ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 7 ; ATA/561/2020 du 6 juin 2020 consid. 5c et les références citées).

Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 135 I 176 consid. 6.1 ; 120 Ia 270 consid. 4a ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_485/2020 du 28 juin 2021 consid. 4.1 ; 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 7 ; ATA/561/2020 du 6 juin 2020 consid. 5d ; ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 3d).

L'appréciation de la valeur d'un objet ou d'un site à protéger peut évoluer avec le temps et entraîner la modification de la protection (ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 8).

10.         L’immeuble classé ne peut, sans l’autorisation du Conseil d’Etat, être démoli, faire l’objet de transformations importantes ou d’un changement dans sa destination (art. 15 al. 1 LPMNS).

Le classement implique le maintien de l’immeuble non seulement dans son aspect, mais aussi dans sa substance, et la préservation de tous les éléments dignes d'intérêt qui la composent. Néanmoins, il n'interdit pas la possibilité de faire des travaux sur le bâtiment protégé (cf. ATA/643/2013 du 1er octobre 2013 consid. 13).

Les simples travaux ordinaires d’entretien et les transformations de peu d’importance peuvent être autorisés par l’autorité compétente, pour autant qu’ils aient fait l’objet d’un préavis favorable de la part de la CMNS et d’une demande d’autorisation ordinaire au sens de l’art. 3 al. 1 LCI, à l’exclusion des procédures accélérées prévues à l’art. 3 al. 7 et 8 LCI (art. 15 al. 3 LPMNS). Cette disposition doit être comprise dans le sens où le DT doit obligatoirement solliciter un tel préavis avant de statuer (cf. ATA/1005/2015 du 29 septembre 2015 consid. 12 ; cf. aussi, à propos de l'art. 82 al. 2 LCI, dont la formulation est similaire, ATA/462/2020 du 7 mai 2020 consid. 17e ; ATA/1306/2018 du 5 décembre 2018 consid. 5e et 5i ; ATA/534/2016 du 21 juin 2016 consid. 5 et 6), mais non, en dépit de son texte, dans le sens où l'autorisation de construire ne pourrait être délivrée que si - et seulement si - le préavis de la CMNS est favorable (cf. à propos de l'art. 82 al. 2 LCI, JTAPI/6/2020 du 6 janvier 2020 consid. 12, confirmé par l'ATA/462/2020 précité ; JTAPI/249/2015 du 25 février 2015 consid. 16).

11.         Le DT peut par ailleurs interdire ou n'autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l'intérêt d'un quartier, d'une rue ou d'un chemin, d'un site naturel ou de points de vue accessibles au public (art. 15 al. 1 LCI).

Sa décision se fonde notamment sur le préavis de la commission d'architecture ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la CMNS. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou ses services compétents (art. 15 al. 2 LCI).

La clause d'esthétique de l'art. 15 LCI fait appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées (arrêt du Tribunal fédéral 1C_370/2015 du 16 février 2016 consid. 4.1 ; ATA/1065/2018 du 9 octobre 2018 consid. 3d ; ATA/1382/2017 du 10 octobre 2017 consid. 5 ; ATA/1357/2017 du 3 octobre 2017 consid. 5a ; ATA/86/2015 du 20 janvier 2015). Leur contenu variant selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce, ces notions laissent à l'autorité un large pouvoir d'appréciation, celle-ci n'étant limitée que par l'excès ou l'abus de celui-ci. L'autorité de recours s'impose une retenue particulière lorsqu'elle estime que l'autorité inférieure est manifestement mieux en mesure qu'elle d'attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger. Il en va ainsi lorsque l'interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, en matière de technique, en matière économique, en matière de subventions et en matière d'utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l'esthétique des constructions (cf. ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3d ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4c ; ATA/45/2019 du 15 janvier 2019 consid. 5b ; ATA/875/2018 du 28 août 2018 consid. 6a ; ATA/123/ 2018 du 6 février 2018 consid. 4c ; ATA/1274/2017 du 12 septembre 2017 consid. 6c ATA/778/2014 du 30 septembre 2014 consid. 4).

12.         La LPMNS institue la CMNS, composée de spécialistes en matière d’architecture, d’urbanisme et de conservation du patrimoine (cf. art. 46 al. 2 LPMNS ; ATA/1059/2017 du 4 juillet 2017 consid. 6d et les arrêts cités), qui comporte trois sous-commissions (architecture, monuments et antiquités, nature et sites) et dont la compétence est codifiée dans le RPMNS (cf. art. 3 al. 1 RPMNS). Il s'agit d'une commission consultative (art. 47 al. 1 1ère phr. LPMNS), qui a pour mission de conseiller l’autorité compétente (art. 5 al. 1 RPMNS). Aux termes des art. 47 al. 1 2ème phr. LPMNS et 5 al. 2 let. e et f RMPNS, il lui revient en particulier de donner son préavis, conformément à la LCI, sur tout projet de travaux concernant un immeuble classé et/ou situé en zone protégée.

Selon l'art. 5 al. 3 RPMNS, il incombe au DT de saisir la CMNS des projets pour lesquels un préavis est obligatoirement requis en application de 5 al. 2 RMPNS (cf. ATA/692/2014 du 2 septembre 2014 consid. 5b).

13.         Lorsque la consultation de la CMNS, composée de spécialistes en matière d'architecture, d'urbanisme et de conservation du patrimoine, est imposée par la loi, son préavis, émis à l'occasion d'un projet concret, revêt un caractère prépondérant et est déterminant dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (cf. not. ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 9 ; ATA/146/2021 du 9 février 2021 consid. 10a ; ATA/7/2019 du 8 janvier 2019 consid. 10 ; ATA/1354/2018 du 18 décembre 2018 consid. 4g et les arrêts cités ; ATA/1005/2015 du 29 septembre 2015 consid. 12b ; ATA/416/2015 du 5 mai 2015 consid. 7a et les arrêts cités). A ce titre, il est important (cf. not. ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 9 ; ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 4d ; ATA/1354/2018 du 18 décembre 2018 consid. 4g et les arrêts cités ; ATA/1005/2015 du 29 septembre 2015 consid. 12b).

14.         Le conseiller d'Etat dont dépend l'office du patrimoine et des sites - rattaché au DT (cf. art. 6 al. 1 let. e du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 - ROAC - B 4 05.10) - désigne la personne qui exerce la fonction et porte le titre de conservateur des monuments. En cette qualité, celle-ci est membre de droit de la CMNS (art. 11 al. 1 RPMNS). Le conservateur des monuments a principalement pour mission : a) de contrôler régulièrement le bon état de conservation des immeubles et meubles classés et b) de surveiller les travaux concernant les immeubles et meubles classés, ou recensés en valeur de classement (art. 11 al. 2 RPMNS).

15.         Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_288/2019 du 11 décembre 2019 consid. 2.2.3 ; 1C_476/2015 du 3 août 2016 consid. 4.3.1). Ils n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l'autorité reste ainsi libre de s'en écarter « pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur » (ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4c ; ATA/285/2021 du 2 mars 2021 consid. 5b ; ATA/1103/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5b ; ATA/37/2020 du 14 janvier 2020 consid. 5c ; ATA/1829/2019 du 17 décembre 2019 consid. 8a).

Toutefois, lorsqu'un préavis est obligatoire, il a un poids certain et il convient de ne pas le minimiser (cf. ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4c ; ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3f ; ATA/37/2020 du 14 janvier 2020 consid. 5c ; ATA/1247/2019 du 13 août 2019 consid. 4a ; ATA/1275/2018 du 27 novembre 2018 consid. 11 et les arrêts cités). Ce poids n'oblige néanmoins jamais l'administration à suivre ce préavis, pour autant qu'elle ait des raisons d'agir ainsi (cf. ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3f). La délivrance d'autorisations de construire demeure en effet de la compétence exclusive du DT, à qui il appartient de statuer en appréciant globalement les motifs des préavis avant de rendre sa décision et en tenant compte de tous les intérêts en présence (cf. ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4c ; ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3f ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4b ; ATA/259/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b ; ATA/1273/2017 du 12 septembre 2017 consid. 11c et les références citées).

16.         Selon une jurisprudence bien établie, la juridiction de recours observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis, pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de celles-ci. Elles se limite à examiner si le DT ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4d ; ATA/155/2021 du 9 février 2021 consid. 7c et 10e ; ATA/1311/2020 du 15 décembre 2020 consid. 7d ; ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3e ; ATA/258/2020 du 3 mars 2020 consid. 3c ; ATA/1098/2019 du 25 juin 2019 consid. 2e).

17.         L’obligation d’obtenir une autorisation de construire est une restriction de droit public de la propriété, dont la base légale a été créée pour l’ensemble de la Suisse par l’art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700). L’intérêt public consiste dans le contrôle de la conformité du projet de construction avec le droit applicable. La proportionnalité résulte du fait que l’on considère un contrôle préalable plus adéquat que la démolition de constructions dont l’illégalité est constatée après coup (cf. Alexander RUCH, in Heinz AEMISEGGER/Pierre MOOR/Alexander RUCH/ Pierre TSCHANNEN [éd.], Commentaire de la LAT, Autorisation de construire, protection juridique et procédure, 2020, n. 29 ad art. 22 p. 95).

Il découle de la nature des autorisations de construire, et pour des motifs de stabilisation juridique, que les législations prévoient un délai dans lequel le permis de construire doit être utilisé ; il s'agit d'éviter qu'un propriétaire ne puisse indéfiniment opposer l'autorisation qu'il a reçue à un changement de réglementation (cf. Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, p. 102-104 ; ATA/384/2021 du 30 mars 2021 consid. 5, faisant l'objet d'un recours au Tribunal fédéral, cause 1C_273/2021 ; ATA/248/2017 du 28 février 2017 consid. 3 ; ATA/247/2013 du 16 avril 2013 consid. 4b).

L'art. 22 LAT ne règle pas les conditions de caducité, respectivement de péremption d'une autorisation de construire en cas d'inexécution des travaux (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_202/2020 du 17 février 2021 consid. 4.4 in fine et les références citées). Les cantons, dont l'art. 25 al. 1 LAT rappelle qu'il leur appartient en premier lieu de régler les questions de procédure dans le domaine des autorisations de construire, peuvent donc les définir librement (arrêt du Tribunal fédéral 1A.150/2001, 1P.558/2001 du 31 janvier 2002 consid. 1.2.3). Le droit genevois prévoit que l’autorisation de construire est caduque si les travaux ne sont pas entrepris dans les deux ans qui suivent sa publication dans la FAO. Ce délai est un délai de péremption, ou d'incombance, pendant lequel l'intéressé doit accomplir un acte pour éviter un désavantage juridique, en l'occurrence la perte du droit de construire selon le permis. Ladite péremption dépend uniquement de l'attitude de l'administré, à savoir de son choix de mettre ou non à exécution son projet dans un délai fixé (arrêt du Tribunal fédéral 1A.150/2001, 1P.558/2001 du 31 janvier 2002 consid. 1.1.3 et la référence citée ; cf. aussi not. ATA/248/2017 du 28 février 2017 consid. 3 ; ATA/247/2013 du 16 avril 2013 consid. 4b). L’autorisation peut être prolongée d’une année par le DT et, sous réserve de circonstances exceptionnelles, elle ne peut l’être que deux fois (art. 4 al. 5, 7 et 8 LCI).

Une autorisation de construire ne crée pas de droit acquis, mais, lorsqu’elle est utilisée, a pour effet durable de légitimer la construction autorisée (cf. Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 761 p. 266 et n. 839 p. 300 ; ATA/384/2021 du 30 mars 2021 consid. 5, faisant l'objet d'un recours au Tribunal fédéral, cause 1C_273/2021), étant aussi rappelé qu'en tant qu'acte unilatéral, une telle décision, même entrée en force, est par définition modifiable unilatéralement, même d'office, à la seule initiative de l'autorité compétente. Cette caractéristique permet en effet notamment à l'administration de corriger un vice affectant la régularité de l'acte qu'elle a prononcé dans le but de rétablir une situation conforme au droit, une base légale n'étant pas requise dans un tel cas (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_111/2016 du 8 décembre 2016 consid. 6.1 et les références citées ; cf. aussi arrêts du Tribunal fédéral 1C_588/2016 du 26 octobre 2017 consid. 2.3 ; 1C_15/2016 du 1er septembre 2016 consid. 3).

18.         En l'espèce, il ne faut pas perdre de vue que l'immeuble litigieux bénéficie d'une protection patrimoniale élevée, puisqu'il se trouve dans un périmètre protégé et qu'il fait l'objet d'une mesure individuelle de classement. Dans ces conditions, le poids du préavis que la CMNS devait obligatoirement émettre en vue de toute intervention portant sur sa structure ou son aspect est essentiel et a un poids certain.

Si l'on peut comprendre l'embarras de l'autorité intimée, qui s'est vue communiquer un préavis fondamentalement différent de celui qui avait été émis dans le cadre de l'instruction de la demande - identique - qui avait été formulée en avril 2011 et admise en mars 2012, elle ne pouvait simplement s'en affranchir pour le seul motif qu'un refus pourrait contrevenir au principe de la bonne foi, ce qui n'est au demeurant pas exact. Il n'est pas établi que les requérants avaient reçu des assurances quant à la délivrance d'une nouvelle autorisation en vue de la mise en œuvre de leur projet (cf. à cet égard not. arrêts du Tribunal fédéral 1C_60/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.3.1 ; 1C_107/2021 du 6 juillet 2021 consid. 4.1 ; 1C_277/2020 du 27 août 2020 consid. 2.2 ; 1C_617/2019 du 27 mai 2020 consid. 4.1 ; 1C_28/2019 du 23 décembre 2019 consid. 7.1 ; 1C_505/2018 du 5 août 2019 consid. 4.1). Ils ne peuvent en outre tirer aucun argument de l'autorisation DD 104'263 accordée en 2012. Celle-ci s'est en effet périmée, faute d'avoir été utilisée dans le délai utile et l'ensemble des droits et prérogatives qui lui étaient attachés ont ainsi disparu. Les dispositions relatives à la caducité des autorisations de construire sont en effet fondées sur la considération qu'après un certain temps, les circonstances ayant présidé à l'octroi du permis peuvent avoir changé. Dès lors, même si elle portait sur un objet identique au premier, la nouvelle demande, formée huit ans plus tard, devait faire l'objet d'un nouvel examen complet, portant sur tous les aspects du projet, dans le cadre duquel l'autorité n'était pas liée par sa précédente décision. Il en découle notamment que les requérants ne pouvaient aucunement présumer que toute nouvelle demande concernant le même objet serait nécessairement admise (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_28/2019 du 23 décembre 2019 consid. 7.2).

Cela étant, le préavis de la CMNS était - et demeure - clairement défavorable, pour des motifs d'ailleurs légitimes tirés de la protection du patrimoine. Sous cet angle, on ne saurait considérer que ce préavis serait en soi plus « surprenant » que celui, favorable, qui avait été émis en février 2012. Quoi qu'il en soit, la position inverse adoptée dans un second temps par la conservatrice cantonale, pour le moins singulière, tant dans sa démarche que dans son résultat, car, d'une part, la législation ne confère pas à cette dernière la compétence de délivrer des préavis en vue de la délivrance d'autorisations de construire (cf. ATA/206/2020 du 25 février 2020 consid. 4h, s'agissant de l'architecte cantonal) - encore moins d'y formuler des conditions ou charges devant être intégrées à celles-ci - et, d'autre part, elle est membre de droit de la CMNS, n'y change rien et ne s'avère pas déterminante. De surcroît, son « préavis » a notamment été émis sous la réserve que la structure soit « indépendante de la façade », alors que le projet prévoit que ladite structure sera fixée directement contre les murs de l'immeuble.

Dans ces circonstances, force est d'admettre, avec le recourant, que la délivrance de l'autorisation querellée, décidée en dépit d'un préavis essentiel défavorable et sans raison objective suffisante, relève d'un abus du pouvoir d'appréciation de l'autorité. On ne peut en effet considérer que le DT s'est écarté dudit préavis « pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur ». Dans cette mesure, sa décision viole le droit.

19.         Le recours, bien fondé, doit donc être admis et l'autorisation de construire DD 113'755 annulée.

20.         Vu cette issue, un émolument de CHF 900.- sera mis à la charge de Mme et M. FIRMENICH, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA et 1 s. du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Ayant eu recours au service d'un avocat pour les besoins de la procédure et conclu à l'allocation de dépens, le recourant, qui obtient gain de cause, se verra allouer une indemnité de procédure arrêtée à CHF 2'000.-, valant participation aux honoraires dudit avocat (cf. ATA/1089/2016 du 20 décembre 2016 consid. 12h ; ATA/546/2016 du 28 juin 2016 consid. 2c ; ATA/329/2016 du 19 avril 2016 consid. 3b ; ATA/154/2016 du 23 février 2016 consid. 8a), pour moitié à la charge du DT et pour moitié à celle de Mme et M. FIRMENICH.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 1er mars 2021 par Monsieur Stanislas WIRTH contre la décision d’autorisation de construire n° DD 113'755 délivrée à Madame Marie-Claude et Monsieur Charles FIRMENICH le 1er février 2021 par le département du territoire ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision précitée ;

4.             met un émolument de CHF 900.- à la charge de Madame Marie-Claude et Monsieur Charles FIRMENICH, conjointement et solidairement ;

5.             ordonne la restitution à Monsieur Stanislas WIRTH de son avance de frais de CHF 900.- ;

6.             alloue à Monsieur Stanislas WIRTH une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, pour moitié (CHF 1'000.-) à la charge de Madame Marie-Claude et Monsieur Charles FIRMENICH, conjointement et solidairement, et pour moitié (CHF 1'000.-) à la charge de l'Etat de Genève, pour lui le département du territoire ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10, rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Yves JOLIAT, président, Damien BLANC et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Yves JOLIAT

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le 27 janvier 2022

 

Le greffier