Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/498/2017

ATA/1065/2018 du 09.10.2018 sur JTAPI/77/2018 ( LCI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/498/2017-LCI ATA/1065/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 octobre 2018

3ème section

 

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

contre

Madame A______
Madame B______
représentées par Me Yannick Fernandez, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 janvier 2018 (JTAPI/77/2018)


EN FAIT

1. Mesdames B______ et A______ sont propriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune de Plan-les-Ouates (ci-après : la parcelle) à l'adresse 2______ C______, sise en zone 5.

2. Sur dénonciation, le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu depuis lors le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a été informé que des travaux avaient été entrepris sans autorisation de construire sur la parcelle.

3. Lors d'un contrôle effectué le 11 juillet 2016, un inspecteur du DT a constaté qu'une entreprise était en train de procéder à l'installation d'une clôture métallique avec panneaux phono-absorbants sur la limite de la parcelle avec le D______ et d'une clôture avec poteaux métalliques et grillage sur la limite de la parcelle avec le C______. Un rapport d'enquête a été dressé et des photographies prises.

4. Les propriétaires ont été invitées à se déterminer sur le rapport.

5. Par courrier du 24 juillet 2016, Mmes B______ et A______ ont exposé que les travaux en cours consistaient principalement en le remplacement de thuyas, vieux et malades, par une paroi végétalisée. Sur le C______, une clôture à l'identique avait été installée, alors que du côté du D______, des panneaux phono-absorbants avaient été mis en place pour les protéger du bruit lié à la forte augmentation des constructions et de la circulation routière. Elles ignoraient qu'il fallait demander une autorisation pour réaliser ces travaux.

6. Par décision du 15 août 2016, le DT, soit pour lui l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC), leur a ordonné de déposer une requête d’autorisation de construire.

7. Le 14 septembre 2016, les propriétaires ont déposé ladite requête. Elle portait sur le « remplacement de la haie existante par un mur antibruit + plantation côté D______ et remplacement partiel du grillage existant par un grillage neuf côté C______ ».

Selon les plans annexés, le mur antibruit s’étendait sur 34 m de longueur et 1,95 m de haut, à l’exception d’environ 6 m, au milieu du mur, où trois panneaux supplémentaires avaient été posés pour atteindre 2,4 m de haut.

8. Lors de l'instruction de la demande, les préavis suivants ont été recueillis :

- le 31 octobre 2016, la commune s'est déclarée favorable au projet sous réserve du préavis du service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) ;

- le 20 septembre 2016, le SABRA a indiqué que les valeurs limites d'immission (ci-après : VLI) du degré de sensibilité au bruit DS II étaient respectées de jour et de nuit. L'écran, d'une hauteur de 2 à 2,40 m, n'aurait qu'une efficacité très limitée pour la protection contre le bruit (pour l'étage - locaux chambres à coucher). La construction de l'écran n'était donc pas obligatoire au sens de l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41), même si elle apportait un confort acoustique supplémentaire sur la parcelle et le rez-de-chaussée. En conséquence, le préavis consistait en « pas concerné».

- l’OAC s’est dit défavorable. L’instruction devait se poursuivre afin de statuer sur l’infraction (rapport ______).

9. a. Par décision du 18 janvier 2017, le DT a refusé de délivrer l'autorisation de construire sollicitée.

Le projet consistait en le remplacement de la clôture existante par un mur antibruit végétalisé le long du D______. Le mur antibruit n’était intégré à aucun bâtiment et dépassait la hauteur légale maximale (2 m), celui-ci atteignant par endroit 2,40 m. Il était de nature à nuire à l'esthétique du quartier, de par le cloisonnement et le manque de transparence qu’il proposait. Sur la base de la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), le requérant devait justifier son installation pour des motifs autres que la pure amélioration du confort. Selon le SABRA, le mur n’était pas nécessaire au sens de l’OPB. Par ailleurs, la commune de
Plan-les-Ouates n'avait préavisé favorablement le projet que sous la condition que le préavis du SABRA fût favorable, ce qui n'était pas le cas.

En l’absence de raisons autres que l’amélioration du confort des requérantes, l’autorisation de construire sollicitée ne pouvait pas être accordée.

b. Le même jour, le DT a ordonné à Mmes B______ et A______ de démonter la clôture incriminée et leur a infligé une amende de CHF 5'000.-.

10. Par acte du 20 février 2017, Mmes B______ et A______ ont recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). Elles étaient choquées par la décision. Elles avaient mandaté un architecte qui confirmait que la décision était injuste et sans fondement. Elles étaient forcées de recourir, ne parvenant pas à joindre dans les délais les personnes compétentes. L’amende était disproportionnée. Le D______ était bordé d’autres murs végétalisés.

11. Le DT a conclu au rejet du recours.

Il se référait à la jurisprudence cantonale relative à l'art. 79 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Le SABRA ne préavisait jamais favorablement une demande d'autorisation de construire lorsque la construction d'un mur anti-bruit n'était pas justifiée par la loi. Il se contentait de préciser que son préavis était sans objet.

Considérer qu'un mur anti-bruit était justifié uniquement pour des raisons personnelles amènerait les autorités administratives et judiciaires à rendre des décisions qui ne prendraient plus en considération la mise en œuvre de
l'art. 79 LCI. S'agissant du principe de l'égalité de traitement, il apparaissait difficile de se prononcer sur une situation toute générale.

Enfin, l'amende infligée était justifiée et proportionnée. Il n'était pas contesté que les clôtures et panneaux phono-absorbants avaient été installés sans autorisation.

12. Par réplique du 9 mai 2017, Mmes B______ et A______ ont rappelé qu'il ne s'agissait pas d'un mur anti-bruit nervuré, mais d'une clôture végétalisée et que, comme chez leur voisin, le tout serait complètement couvert de lierre grimpant dans moins d'une année, comme cela ressortait de deux photographies annexées. Trois panneaux d'une hauteur de 2,25 m avaient été installés afin de réduire les nuisances sonores provoquées par les manifestations données par les salles de spectacle et de sport du vélodrome, par les écoles à proximité, par le passage des piétons, et par le projet des G______ qui prévoyait environ cinq mille logements supplémentaires. Depuis dix mois, elles avaient observé une nette diminution des nuisances sonores et étaient à l'abri des regards non désirés. Elles pouvaient mieux respirer et profiter de leur vie dans le jardin. Elles avaient reçu des compliments de leur entourage relatifs à l'esthétisme et à l'efficacité de ces panneaux. Elles étaient disposées à démonter les trois panneaux de 45 cm de haut qui portaient à leur endroit la hauteur de la clôture à 2,25 m. L'ensemble des propriétaires des parcelles bordant le D______ avait érigé des clôtures qui, très souvent, n'étaient même pas végétalisées, et ceci depuis E______ jusqu'au croisement du F______. Le TAPI devait faire preuve d'un « minimum de bon sens » afin de pouvoir trouver une solution raisonnable.

13. Le DT a dupliqué le 31 mai 2017, persistant dans ses conclusions.

La notion de mur telle que mentionnée aux art. 79 et 112 LCI pouvait également s'appliquer aux parois métalliques remplies de mousse
phono-absorbante puisqu'il s'agissait de pans verticaux fermés servant à enclore un espace déterminé. S'agissant de l'égalité de traitement, il avait effectué des recherches sur le système d'information du territoire genevois (ci-après : SITG), mais n'avait pu identifier la parcelle faisant l'objet de la photographie produite par les intéressées. Concernant les nuisances sonores, il se référait au préavis du SABRA. Les VLI étaient respectées. Partant, les panneaux phono-absorbants installés n'avaient qu'une efficacité relative. Le projet des G______ se trouvait au stade pré-opérationnel, consistant en l'adoption de plans localisés de quartier (ci-après : PLQ), de sorte que les intéressées ne pouvaient, pour l'instant, en déduire aucun droit en matière de protection contre le bruit.

14. Le 21 septembre 2017, le TAPI a entendu les parties en présence de l'architecte de Mmes B______ et A______.

Selon le représentant du DT, le fait que les intéressées soient prêtes à descendre leur mur anti-bruit à la hauteur légale de 2 m ne changeait rien. Le projet était inesthétique selon les architectes du département. Ils estimaient que des parois fermées cloisonnant les parcelles posaient un problème au niveau esthétique en zone 5. En revanche, ils admettaient, par exemple, la pose de treillis entourés de haies. Ceux-ci offraient une transparence, contrairement à un mur, quelle que soit sa matière. Le fait que du lierre était en train de pousser devant le mur installé par les intéressées ne changeait rien au niveau de ce manque de transparence. À la question de savoir si un mur, caché par une haie très touffue, était traité différemment, l’autorité intimée a répondu qu'il faudrait « demander au législateur pourquoi il avait fait la distinction au niveau légal entre la pose de haies et la construction d'un mur ». Le DT était critique sur la jurisprudence de la chambre administrative autorisant les propriétaires à protéger leur villa de nuisances sonores sans que les VLI soient dépassées. Selon les travaux préparatoires, le fait de cloisonner les parcelles en zone 5 devait être une exception et n’être autorisable que s'il existait d'autres justifications, ce qui était le cas dans un des arrêts de la chambre administrative. Le panneau phono-absorbant du 3______ D_______, similaire à celui installé par les intéressées, couvert par une haie touffue, n’était probablement pas autorisé. Enfin, il n'était pas avéré que la construction du quartier des G______ entraînerait un dépassement des VLI.

Selon les requérantes, le bruit extérieur s'était réduit d'environ 40 % depuis la pose du mur litigieux. Avant, elles avaient l'impression que le bruit passait à travers le jardin et des détritus, telles des canettes ou des bouteilles, étaient lancés depuis le trottoir. En face du jardin se trouvaient une école et le vélodrome. Les anciens thuyas étaient toujours malades, de sorte qu'il fallait les traiter avec des pesticides, contrairement au lierre qu'elles avaient planté devant le panneau phono-absorbant, qui ne connaissait pour le moment aucune maladie, ce qui constituait un avantage certain au niveau de l'environnement.

15. Le 2 octobre 2017, le DT a confirmé que la requête d’autorisation du mur du 3______, D______ avait fait l’objet d’un refus d'entrée en matière au motif qu'elle n'était pas conforme aux dispositions légales applicables.

16. Par jugement du 25 janvier 2018, le TAPI a partiellement admis le recours.

En se fondant sur une pratique critiquée de manière constante par le TAPI et par la chambre administrative quant à l'application de l'art. 79 LCI, et en ne tenant pas compte des intérêts privés des requérantes, le DT avait commis un abus de son pouvoir d'appréciation, en violant notamment le principe de la proportionnalité.

Il n'était en revanche pas contesté par les intéressées que la construction en cause ne respectait en l'état pas l'art. 112 LCI dès lors que trois panneaux de 45 cm de haut dépassaient la hauteur maximale prescrite par cette disposition. Le TAPI prenait acte de l'engagement des recourantes de les démonter. L'autorisation de construire devrait être délivrée dès la transmission au DT par Mmes B______ et A______ des plans respectant la hauteur maximale prévue par l'art. 112 LCI. L'ordre de remise en état querellé n'était pas conforme au droit et devait être annulé.

Le principe de l'amende était fondé, ce que les intéressées ne contestaient pas. Son montant était réduit à CHF 900.-.

17. Par acte du 26 février 2018, le DT a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement précité. Il a conclu à l’annulation de celui-ci ainsi qu’à la confirmation de sa décision de refus d’autorisation de construire du 18 janvier 2017, de l’ordre de remise en l’état et de l’amende administrative de CHF 5'000.-.

Il n’avait pas abusé de son pouvoir d’appréciation en rejetant la requête. Selon l’art. 79 LCI, les travaux préparatoires et la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’analyse des nuisances sonores devait se faire en référence à l’OPB. C’était à tort que la chambre administrative avait affirmé qu’une paroi anti-bruit pouvait également se justifier alors que les VLI étaient respectées. En l’espèce, les VLI étaient conformes à ce qu’exigeait l’OPB. Un mur anti-bruit ne se justifiait pas. De surcroît, le SABRA avait retenu qu’il aurait en tous les cas une efficacité limitée en matière de protection contre le bruit. Il était par ailleurs douteux de s’appuyer, à l’instar du TAPI, sur le projet d’aménagement du quartier des G______ qui n’en était qu’au stade de l’adoption des PLQ sans qu’aucun élément relatif aux éventuelles nuisances sonores ne soit connu.

Concernant les autres justifications retenues (incivilités liées aux détritus prétendument lancés dans les jardins), outre que cet argument n’avait été invoqué que lors de la comparution personnelle des parties, Mmes B______ et A______ ne démontraient pas la réalité de ces inconvénients.

Concernant le critère lié à l’esthétique, le législateur souhaitait éviter la prolifération, en cinquième zone, de murs séparatifs dont l’incidence irrémédiable serait de venir la cloisonner de manière tout à fait imperméable. C’était à tort que le TAPI avait comparé l’impact visuel d’une clôture en treillis entourée d’une haie, au niveau de la transparence qu’elle offrait, avec une paroi anti-bruit composée de mousse phono-absorbante et de panneaux verticaux, même végétalisée.

C’était par ailleurs à tort que le TAPI avait reproché au département de n’avoir pas sollicité la commission d’architecture. Selon les travaux préparatoires en lien avec l’art. 15 al. 2 LCI, le poids des préavis consultatifs était fonction de l’importance, respectivement de la complexité du projet considéré. Or, il s’agissait d’une construction de peu d’importance. De surcroît, le Tribunal fédéral avait indiqué que le département pouvait considérer que l’édification de tels murs était de nature à induire le cloisonnement d’un quartier, contraire aux intérêts de la cinquième zone.

En conséquence, l’ordre de remise en état était justifié, à l’instar de l’amende. La paroi avait été installée sans qu’aucune demande d’autorisation de construire ne soit déposée. Le DT avait été mis devant le fait accompli, ce qui nécessitait de faire preuve d’une certaine sévérité.

18. Par réponse du 23 mars 2018, les intéressées ont confirmé que les panneaux de 45 cm de haut avaient été démontés. Des photos étaient produites. La hauteur totale de la clôture était de 1,80 m. La structure métallique devait à terme disparaître pour laisser place à la végétation. Elles craignaient pour leur sécurité. Leur voisin avait été agressé l’année précédente par trois malfrats qui s’étaient introduits dans sa maison et avaient menacé son épouse. La presse s’en était faite l’écho. Leur villa se trouvait en face de la salle polyvalente Espace Vélodrome et proche de l’école primaire qui accueillait plus de six cents élèves. Le quartier des G______ accueillerait plus de cinq mille logements. Le D______ était déjà très fréquenté.

19. Un avocat s’est constitué le 28 mars 2018 pour les propriétaires. Dans le délai initialement imparti pour la réponse, il a critiqué la pratique du département consistant à n’autoriser que les murs répondant à un besoin de protection contre le bruit au sens de l’OPB. Conformément à la jurisprudence de la chambre de céans, si le législateur avait voulu être plus strict, il aurait formulé différemment l’art. 79 LCI. Par conséquent, les propriétaires pouvaient, dans certains cas, protéger leur propriété des nuisances bien que les VLI ne soient pas dépassées. Aux nuisances créées par le passage des écoliers et des utilisateurs de la salle des fêtes venait s’ajouter le trafic automobile important sur les D____ et C______, faisant office de transversales entre G______ et E______ ainsi que H______. Le SABRA avait malgré tout admis que le mur apportait un confort acoustique à la parcelle. S’ajoutait une justification d’ordre sécuritaire. Sur le plan esthétique, l’installation ne prêtait pas le flanc à la critique. Les propriétaires concluaient au rejet du recours.

20. Sur ce, la cause a été gardée à juger,

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur la conformité au droit des décisions du département du 18 janvier 2017 refusant l’autorisation de construire, ordonnant la remise en état et infligeant aux propriétaires une amende de CHF 5'000.-.

3. a. Sur tout le territoire du canton, nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (art. 1 al. 1 let. a LCI).

Dès que les conditions légales sont réunies, le DT est tenu de délivrer l'autorisation de construire (art. 1 al. 5 LCI).

b. Les murs en bordure d’une voie publique ou privée, ou entre deux propriétés ne peuvent, dans la mesure où ils sont autorisés, excéder une hauteur de 2 m. Le département peut exiger que les ouvrages autorisés soient distants jusqu’à 1,20 m du bord d’une voie publique ou privée. Il peut, en outre, exiger la plantation de végétation (art. 112 LCI).

c. En cinquième zone, « sous réserve des murs de soutènement et des murets de 80 cm de hauteur au maximum, le département peut refuser les murs séparatifs qui ne sont pas intégrés à un bâtiment » (art. 79 LCI).

L’art. 79 LCI a été introduit lors de la modification de la LCI en 1988. Elle concrétise une volonté d'éviter la prolifération de murs en zone villas, dont la justification n'est pas établie et qui seraient nuisibles à l'environnement et à l'esthétique des lieux (MGC 1988/II 1643). Il a été convenu, dans le rapport de la commission parlementaire, que le département ne refuserait les murs séparatifs que si ceux-ci faisaient l'objet d'un préavis négatif de la commission consultative compétente ou si le requérant n'apportait pas de justifications suffisantes à leur réalisation (MGC 1988/II 1628 ; ATA/20/2015 du 6 janvier 2015).

d. Le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public (art. 15
al. 1 LCI). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la commission d’architecture ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la commission des monuments, de la nature et des sites. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (art. 15 al. 2 LCI). Cette disposition renferme une clause d'esthétique, constituant une notion juridique indéterminée.

e. Les art. 15 et 79 LCI reconnaissent tous deux au DT un large pouvoir d'appréciation. Ce dernier n'est limité que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (ATA/1382/2017 du 10 octobre 2017).

f. Constitue un excès négatif du pouvoir d'appréciation le fait que l'administration se considère comme liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou encore qu'elle renonce d'emblée en tout ou partie à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 171).

Constitue un abus du pouvoir d'appréciation le cas où l'autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 précité ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 171).

4. a. En application des art. 15 et 79 LCI, le département a pour pratique constante de n’autoriser que les murs répondant à un besoin de protection contre le bruit au sens de l’OPB.

La chambre de céans a déjà jugé que la pratique du département consistant à n’autoriser que les murs répondant à un besoin de protection contre le bruit au sens de l’OPB n’était pas acceptable. En effet, si le législateur avait voulu être plus strict, il aurait formulé différemment l’art. 79 LCI. Par conséquent, les propriétaires peuvent, dans certains cas, protéger leur propriété des nuisances sonores, bien que le VLI ne soient pas dépassées (ATA/1382/2017 du 10 octobre 2017 ; ATA/20/2015 précité ; ATA/475/2014 du 24 juin 2014).

b. Il ressort ainsi de la jurisprudence de la chambre de céans que :

- par arrêt du 6 janvier 2015, la chambre de céans a jugé que le DT avait abusé de son pouvoir d’appréciation en refusant une autorisation de construire, et en s’écartant de tous les préavis positifs, pour un paroi
anti-bruit le long d’un chemin devenu propriété d’une commune, car cette paroi poursuivait un intérêt public important, à savoir le maintien d’un passage hautement fréquenté par les écoliers (ATA/20/2015 précité) ;

- dans un autre cas, le département avait commis un excès de son pouvoir d’appréciation dès lors qu’il obligeait les propriétaires à supporter des nuisances sonores importantes, puisque proches de VLI, alors que la construction projetée serait à même de les en protéger sans aucun impact esthétique sur le quartier. Ainsi, les propriétaires d’une villa au bord de la route de Bernex avaient obtenu l’autorisation de construire un mur de protection contre le bruit (ATA/1382/2017 précité = RDAF 2018, p. 13) ;

- lorsque les VLI ne sont pas dépassées et qu’aucun dispositif d’assainissement n’est nécessaire, l’autorité de décision est fondée à refuser d’autoriser la construction d’un mur antibruit. En revanche, même si elle dispose d’un certain pouvoir d’appréciation en matière d’esthétique, elle ne peut pas ignorer les préavis favorables émis par les organes compétents dans le domaine, en l’espèce, quatre préavis favorables, soit la commune, les directions générales de l’aménagement du territoire, de la nature et du paysage et de la mobilité étaient positifs (ATA/475/2014 précité consid. 6). La paroi antibruit souhaitée par les propriétaires, entièrement végétalisée et érigée derrière une haie devait être autorisée ;

- toutefois, dans un arrêt du 3 octobre 2017, la chambre administrative a confirmé le refus de la construction d’un muret surmonté de panneaux en bois, en zone villas, le propriétaire n’ayant pas apporté de justification suffisante à la réalisation de la paroi litigieuse. Son intérêt privé devait alors céder le pas à l’intérêt public visant à éviter une prolifération de murs séparatifs en zone villas (ATA/1357/2017 du 3 octobre 2017).

5. a. En l’espèce, la paroi anti-bruit composée de mousse phono-absorbante et de panneaux verticaux, même végétalisée, répond à la définition du mur au sens de la LCI.

b. Il n’est pas contesté que les VLI sont respectées, malgré, principalement, la proximité tant du trafic routier sur D______ et C______ que de l’établissement scolaire fréquenté par six cents élèves.

c. Se pose la question d’autres éventuelles justifications au mur querellé.

Les propriétaires arguent d’une actuelle diminution des nuisances sonores de quelque 40 % grâce au mur. Le SABRA, autorité spécialisée en la matière, a toutefois établi que si le mur litigieux permettait effectivement une diminution des nuisances sonores, son efficacité n’était que très limitée, soit pour l’étage et les chambres à coucher. Ce seul argument ne suffit pas à teneur de la jurisprudence de la chambre de céans.

Les propriétaires se prévalent des nuisances, notamment sonores, à venir avec le futur quartier des G______. Ce motif ne peut, en l’état, être retenu, compte tenu du stade d’avancement du projet. Il n’est aujourd’hui pas établi que les VLI seront dépassées une fois le quartier construit.

Les propriétaires invoquent l’égalité de traitement avec le n° 3______ du même chemin. Le mur voisin n’ayant pas été autorisé, l’argument tombe à faux.

Les propriétaires invoquent les nuisances liées aux jets, dans leur jardin, de détritus. Cet élément n’est pas prouvé. Par ailleurs, même à considérer que tel soit le cas, ce fait ne justifierait pas nécessairement la pose d’un mur, une clôture pouvant permettre d’y remédier à satisfaction.

Il en est de même des motifs sécuritaires. Ni les cambriolages allégués dans la région ni même les faits dont ont été victimes leurs voisins ne sont susceptibles de justifier la pose du mur anti-bruit litigieux. D’autres moyens sont susceptibles de pallier, dans la mesure du possible, les risques évoqués. Les propriétaires se contentent d’ailleurs de la pose d’une clôture sur le côté nord de leur parcelle, le long du C______.

Enfin, le souhait, bien que légitime, des propriétaires de pouvoir « être à l’abri des regards, mieux respirer et profiter de la vie dans leur jardin » peut se voir résolu par une solution autre que la construction du mur querellé.

En conséquence, les propriétaires n’apportant pas de justification suffisante à la réalisation de la paroi litigieuse, c’est à juste titre que le département a refusé l’autorisation.

6. Dans son jugement le TAPI a retenu que le présent cas s’apparentait à l’ATA/20/2015. Il ne peut être suivi. En effet, l’intérêt public du cas précité (parcelle appartenant à la commune ; seule possibilité de maintenir un cheminement prévu par le plan directeur des chemins pour piétons emprunté par des écoliers) ne se retrouve pas dans le présent dossier.

S’agissant de la nécessité d’un préavis spécialisé sur la question de l’esthétisme, même celui de la commission d’architecture n’était pas obligatoire. L’utilité des préavis de la CA était fortement restreinte lorsque le projet portait sur une construction de peu d’importance (Laurent MOUTINOT, in MGC 2003-2004/VI A 2379 ; ATA/548/2014 précité). Dans un tel cas, même en face d’un problème sous l’angle de l’esthétique visée par l’art. 15 LCI, l’appréciation du département, tenant compte des préavis sollicités tout en pouvant s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur, devrait suffire (ATA/1357/2017 précité consid. 5c et les références citées).

Le TAPI fait référence à l’art. 112 LCI, indiquant que l’un des buts poursuivis par celui-ci est la préservation du caractère privé des jardins. Il cite deux arrêts de la chambre administrative. Or, l’art. 112 LCI n’est pas spécifique à la cinquième zone. L’ATA/981/2004, cité, a d’ailleurs trait à la quatrième zone. Par ailleurs, l’ATA/20/2015 n’est pas comparable, pour les motifs susmentionnés. Le principe, mis en avant par les travaux préparatoires, de l’art. 79 LCI, spécifique à la cinquième zone, reste la volonté d'éviter la prolifération de murs en zone villas, dont la justification ne serait pas établie et qui seraient nuisibles à l'environnement et à l'esthétique des lieux. Le but consiste à éviter une impression de cloisonnement. Celle-ci est décrite par le Tribunal fédéral comme incompatible avec ce type de quartier (arrêt du Tribunal fédéral 1C_370/2015 du 16 février 2016 consid. 4.2).

En l’espèce, aucun motif particulier ne justifie de déroger au principe de l’art. 79 LCI, contrairement à l’ATA/20/2015 où le mur permettait de maintenir un passage hautement fréquenté par les écoliers, à l’ATA/1382/2017, lequel n’avait pas d’impact esthétique sur le quartier, et où les nuisances sonores étaient proches des VLI, ni de l’ATA/475/2014 où le mur était situé derrière une haie. La seule amélioration du confort acoustique, sans être niée, ne peut justifier, à elle seule, de déroger aux dispositions des art. 79 et 112 LCI, conformément à la jurisprudence constante de la chambre de céans. L’intérêt public précité doit primer l’intérêt privé des propriétaires.

Bien fondé, le recours sera admis et le jugement du TAPI annulé.

L’ordre de remise en état sera en conséquence rétabli.

7. a. Le principe de l’amende n’est, à juste titre, pas contesté, l’autorisation de construire n’ayant pas été déposée avant que les travaux soient entrepris.

b. Le montant de l’amende est contesté.

S'agissant de la quotité de l'amende, la jurisprudence de la chambre de céans précise que le département jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour en fixer le montant. La juridiction de céans ne la censure qu’en cas d’excès. Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de la proportionnalité (ATA/19/2018 du 9 janvier 2018 consid. 9d ; ATA/558/2013 du 27 août 2013 consid. 18).

Dans l’ATA/738/2017 du 3 octobre 2017, la chambre administrative avait confirmé une amende de CHF 2'000.- pour la construction d’un muret surmonté de panneaux en bois en zone 5 sans autorisation de construire pour une recourante qui ne paraissait pas de bonne foi.

En l’espèce, le département a été mis devant le fait accompli. Toutefois, les propriétaires ont immédiatement déposé la requête idoine. Elles se sont par ailleurs engagées, et ont respecté leur engagement pris en audience de comparution personnelle des parties, de réduire la hauteur du mur afin de respecter l’art. 112 LCI. Par ailleurs, seul le mur longeant le D______ était litigieux, la bordure du C______ ayant été spontanément remplacée par une clôture conforme aux dispositions légales.

En conséquence, l’amende sera réduite à CHF 1'000.- afin de respecter le principe de la proportionnalité.

8. Le recours sera en conséquence partiellement admis.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 700.- sera mis à la charge des propriétaires, prises conjointement et solidairement entre elles, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87
al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 février 2018 par le département du territoire contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 janvier 2018 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 janvier 2018 ;

rétablit la décision du 18 janvier 2017 du département du territoire refusant de délivrer l’autorisation de construire ;

rétablit l’ordre de remise en état du 18 janvier 2017 ;

réduit le montant de l’amende à CHF 1'000.- ;

met un émolument de CHF 700.- à la charge de Mesdames B______ et A______, prises conjointement et solidairement ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au département du territoire, soit pour lui l’office des autorisations de construire, à Me Yannick Fernandez, avocat de Mesdames B______ et A______ ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :