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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3521/2017

ATA/1247/2019 du 13.08.2019 sur JTAPI/908/2018 ( LDTR ) , ADMIS

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;CONSTRUCTION ET INSTALLATION;PERMIS DE CONSTRUIRE;PROTECTION DES MONUMENTS
Normes : LCI.89ss
Parties : VILLE DE GENÈVE / SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE RUE DES CORDIERS 6 SA, DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
Résumé : Admission d’un recours contre un jugement du TAPI renvoyant la cause au département pour poursuite de l’instruction s’agissant de déterminer si le bâtiment concerné par un projet de démolition/reconstruction bénéficie de la protection octroyée aux ensembles du XIXème et début du XXème siècle, au sens des art. 89 et ss LCI. Le TAPI devait trancher cette question puisque le département avait estimé que la protection ne s’appliquait pas en délivrant les autorisations de démolir et de reconstruire.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3521/2017-LDTR ATA/1247/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 août 2019

3ème section

 

dans la cause

 

VILLE DE GENÈVE

contre

SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE RUE DES CORDIERS 6 SA
représentée par Me Christophe Gal, avocat

et

DéPARTEMENT DU TERRITOIRE - oac

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 septembre 2018 (JTAPI/908/2018)


EN FAIT

1) La Ville de Genève (ci-après : la ville) est propriétaire de la parcelle no 619, 8, rue des Cordiers, sise en zone 2 de constructions.

Sur cette parcelle est érigé un bâtiment d'habitation - activités, de trois étages sur rez, d'une surface de 119 m2, situé à l'angle des rues des Cordiers et des Vollandes ainsi qu'un garage d'une surface de 47 m2.

2) En 2012, la ville a organisé un concours portant sur un projet de démolition / reconstruction sur sa parcelle.

Le projet du bureau d'architectes Jean-Paul Jaccaud Architectes SA (ci-après : Jaccaud SA) a été retenu à l'issue du concours.

3) Le 30 septembre 2015, la ville a déposé une requête en démolition (M 7'505) ainsi qu'une demande d'autorisation de construire (DD 108'332) auprès du département devenu celui du territoire (ci-après : le département).

Le projet prévoyait la construction d'un bâtiment de trois étages sur rez, comportant onze logements et une arcade. Sur le formulaire relatif à ces requêtes, sous la rubrique « préservation du patrimoine », il était indiqué qu'aucun bâtiment comportant une valeur patrimoniale n'était concerné par ces travaux.

4) Dans le cadre de l'instruction des demandes, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a demandé le 12 octobre 2015, la transmission d'un dossier photographique du bâtiment existant dans son contexte bâti afin de pouvoir se déterminer. Un jeu de photographies a été transmis par les requérants le 9 décembre 2015.

5) Le 21 juin 2016, la sous-commission architecture (ci-après : SCA) de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) a indiqué que le projet était défavorablement préavisé selon l'art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), le bâtiment appartenant à un ensemble protégé de la fin du XIXème siècle.

La SCA s'étonnait, après une visite des lieux faite le 21 juin 2016, que ni la CMNS, ni le SMS n'aient été consultés préalablement au lancement du concours ou au dépôt de la requête. Bâti entre 1877 et 1878, le bâtiment constituait la tête d'îlot d'un ensemble comprenant, à l'origine, six petits immeubles mitoyens sis le long de la rue des Vollandes jusqu'au carrefour avec la rue des Cordiers. L'immeuble souffrait d'un manque d'entretien, n'avait pas subi de rénovations lourdes et était dans un état proche de celui d'origine. L'immeuble, dans son gabarit d'origine, s'intégrait parfaitement dans l'épannelage des toitures, bien que surélevées, de la rue des Vollandes. Le raccord avec le bâtiment mitoyen de la rue des Cordiers était plus difficile et devrait faire l'objet d'une étude attentive en regard des bâtiments existants sur cour.

6) Par note interne du 29 août 2016, l'architecte cantonal a répondu au conseiller d'État en charge du département, concluant que le projet de construction présentait de très nettes améliorations sur la totalité des critères examinés par rapport au maintien de l'immeuble existant.

Il exposait, en détail, la qualité urbanistique du projet au regard de la situation existante du bâtiment à l'échelle de l'îlot et du quartier. Notamment, l'immeuble concerné était le dernier élément persistant d'un état urbanistique antérieur qui avait perdu la cohérence de ses relations avec les éléments ayant déjà mutés tant à l'échelle de la rue des Vollandes que de celle des Cordiers et du quartier.

7) Le 15 novembre 2016, la commission d'architecture (ci-après : CA), sous la plume de Monsieur Alain MATHEZ, a préavisé favorablement le projet en motivant sa décision.

8) Par décisions du 29 juin 2017, le département a accordé l'autorisation de démolir M 7'505 et l'autorisation de construire DD 108'332. Ces décisions ont été publiées le même jour dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO).

9) Par acte du 25 août 2017, la société immobilière rue des Cordiers 6 SA (ci-après : la SI), propriétaire de la parcelle no 618, sise rue des Cordiers 6, sur laquelle est érigé un immeuble de six étages à proximité du bâtiment des requérants, a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les décisions d'autorisation de construire et de démolir, concluant préalablement à un transport sur place ainsi qu'à l'audition de deux représentants du SMS ou de tout autre membre de la SCA ou du SMS ainsi que celle de M. MATHEZ. Elle concluait également à la production de la facture finale détaillée du concours d'architecture ou tout document permettant de connaître le coût total de celui-ci et, cas échéant, à ce qu'une expertise par un « ingénieur structure » soit ordonnée ainsi que l'audition d'un collaborateur de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : l'OCIRT) et, principalement, à l'annulation des autorisations ou au renvoi de la cause au département.

La SCA avait invité la ville à envisager la conservation et la restauration du bâtiment dans son gabarit d'origine. Ni la CMNS ni le SMS n'avaient été consultés avant ou pendant le concours alors que l'immeuble concerné appartenait à un ensemble protégé au sens de l'art. 89 LCI.

M. MATHEZ, chef de la direction des autorisations de construire du département était l'un des spécialistes-conseils du jury du concours. En signant le préavis de la CA, M. MATHEZ avait violé la loi et porté atteinte au devoir d'impartialité de l'autorité de sorte que les autorisations querellées devaient être annulées.

La SI faisait encore valoir d'autres griefs, notamment une violation du gabarit, une perte d'ensoleillement et diverses nuisances induites par le projet et joint des pièces, dont notamment un courriel du SMS au département indiquant que la demande de démolition posait problèmes, dès lors que le bâtiment concerné appartenait à un ensemble protégé. Une visite avait été effectuée le 12 avril 2016, en présence de représentants de la ville.

10) Le 2 octobre 2017, la ville a répondu au recours, concluant à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

La SI n'avait pas qualité pour recourir, n'invoquant aucun intérêt personnel.

L'immeuble concerné par le projet n'avait pas subi beaucoup de modifications depuis sa construction. Il ne disposait pas de salles de bain et était utilisé pour des ateliers d'artiste. Seuls le rez-de-chaussée et un atelier étaient encore occupés.

Rue des Cordiers, les immeubles situés de part et d'autre avaient des gabarits plus élevés, de six étages sur rez plus attique pour les 12 et 14, rue des Cordiers et cinq étages sur rez et attique, pour le 6, rue des Cordiers, suite à une surélévation autorisée en 2010. Les immeubles de la rue des Vollandes formant une série, construits entre 1877 et 1878 avaient été surélevés ou même détruits et reconstruits. Le caractère urbanistique initial avait été perdu, dès lors que les gabarits ainsi que le rapport entre eux avait été complètement modifié.

Il ressortait notamment de l'analyse de l'architecte cantonal du 29 août 2016 que si, avant les transformations intervenues, les immeubles de la rue des Vollandes avaient des gabarits cohérents entre eux, le bâtiment litigieux étant plus grand et formant l'immeuble de tête, cette qualité architecturale avait par la suite disparu suite à la surélévation des immeubles voisins. Les immeubles ne pouvaient plus être considérés comme ayant été conçus dans le cadre d'une composition d'ensemble. Il s'agissait maintenant d'un bâtiment isolé, soit le dernier représentant d'un ensemble et les art. 89 et ss LCI ne s'appliquaient pas. De plus, l'unité architecturale et urbanistique de « l'ensemble » n'était pas complète et n'avait pas à être maintenue au sens de l'art. 90 al. 1 LCI. Le projet visait précisément à retrouver une cohérence par rapport aux gabarits avoisinants. Des atteintes à la substance du bâtiment existant étaient inéluctables vu sa vétusté, même par l'entremise d'une rénovation-restauration.

La ville répondait en outre aux autres griefs soulevés par la recourante.

11) Le 30 octobre 2017, le département a déposé des observations, concluant au rejet du recours.

Son argumentation rejoignait en substance celle développée par la ville.

12) Le 15 décembre 2017, la SI a répliqué, contestant la teneur des observations de la ville et du département.

Les art. 89 et ss LCI avaient été violés. Le préavis de la SCA, long et détaillé, requis par la loi était défavorable. M. MATHEZ avait signé le préavis de la commission d'architecture. Même s'il n'officiait que comme secrétaire de la commission et n'avait pas pris part à la décision, il aurait dû se récuser. Ce défaut suffisait à faire annuler les décisions. En outre, ni la CA ni l'architecte cantonal ne devaient être consultés.

Elle développait ensuite ses autres griefs.

13) Le 11 janvier 2018, le département a dupliqué, persistant dans son argumentation et le département en a fait de même le 29 janvier 2018.

14) Sur demande du TAPI, le département a produit un rapport du 9 décembre 2015 de Monsieur Frédéric PYTHON, historien. Le caractère d'ensemble des cinq immeubles bordant la rue des Vollandes était à l'origine incontestable mais il ne se présentait pas dans un état de conservation excellent. La mise en valeur de l'immeuble d'angle avait disparu, la surélévation échelonnée des immeubles 58 à 64 rue des Vollandes avait fait usage de matériaux distincts mettant à mal l'harmonie de couleurs originelle. Enfin, les formes et rythmes des fenêtres n'avaient pas été systématiquement respectés. Néanmoins, le rez-de-chaussée montrait encore clairement à ce jour l'unité de ce projet.

15) Sur demande du TAPI, la ville a exposé le 19 mars 2018 qu'il n'existait pas de liste des ensembles protégés par les art. 89 et ss LCI, le travail de recensement n'ayant pas encore abouti à la validation d'une telle liste. Elle produisait les autorisations de démolir et de reconstruire portant sur l'immeuble 58, rue des Vollandes, directement voisin de celui concerné.

16) Le 27 mars 2018, le TAPI a procédé à l'audition des parties et d'un témoin.

Le département a précisé que le dossier avait été soumis au SMS qui avait estimé que l'immeuble ne faisait pas partie d'un ensemble. Référence était faite à l'art. 4 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). Il avait demandé des pièces complémentaires. Le SMS avait estimé que le dossier devait être soumis à la CMNS lequel avait rendu le préavis défavorable. L'avis de la CA avait été demandé et compte tenu des préavis contradictoires du SMS et de la CMNS, le conseiller d'État avait sollicité l'avis de l'architecte cantonal. La contradiction résultait du fait que le SMS voulait éventuellement mettre le bâtiment à l'inventaire et que la CMNS estimait qu'il faisait partie d'un ensemble protégé.

Monsieur Fabrice JUCKER, ancien président de la SCA a précisé qu'il était usuel que la CMNS ne voie qu'une seule fois le dossier, raison pour laquelle le SMS, lorsqu'il était interpellé, demandait d'éventuelles pièces manquantes afin que le dossier soumis à la CMNS soit complet. La CMNS avait estimé que malgré la transformation des immeubles de l'ensemble, celui-ci existait toujours et que le bâtiment litigieux était soumis à l'art. 89 LCI. Il ignorait que l'immeuble 58, rue des Vollandes avait été entièrement démoli et reconstruit.

17) Le 16 avril 2018, le département a déposé des observations.

Le 18 novembre 2015, le SMS avait informé le département qu'il avait sollicité de M. PYTHON « l'établissement de la valeur d'inscription à l'inventaire d'un bâtiment désormais isolé ».

La procédure d'instruction des requêtes était détaillée dans la suite des écritures.

Au vu de l'état du bâtiment et même s'il devait être considéré comme protégé par les art. 89 et ss LCI, la CMNS avait fait une appréciation arbitraire de la situation en n'accordant pas de dérogation ou du moins sans exposer pourquoi elle refusait de l'accorder.

Un cas similaire s'était présenté aux 5-7, rue de la Scie pour un projet de surélévation. La CA avait été consultée suite à un prévis défavorable de la CMNS. Dans d'autres cas, l'architecte cantonal avait été consulté.

18) Le 9 mai 2018, la ville a déposé des observations, persistant dans son argumentation et ses conclusions. Elle produisait les autorisations de démolir et de construire ainsi que les autorisations de surélévation des cinq bâtiments formant l'ensemble dont il était question.

Le département n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en écartant le préavis défavorable de la CMNS, qui s'était estimée à tort contrainte de solliciter le maintien de l'immeuble sans prendre en compte les nombreuses altérations portées à l'ensemble d'origine, ni l'état de l'immeuble lui-même.

19) Les 11 mai et 13 juin 2018, la recourante a déposé des observations, persistant dans ses conclusions.

20) Par jugement du 18 septembre 2018, le TAPI a admis le recours et renvoyé la cause au département.

Le préavis de la CA n'aurait pas dû être demandé par le département. Le département n'était pas fondé à écarter le préavis de la CMNS sur la base des motifs qu'il avait invoqués, à savoir que la CMNS n'avait pas examiné une éventuelle application d'une dérogation au sens de l'art. 92 LCI. Le département aurait eu la possibilité de requérir un complément d'information de la part de la CMNS.

Cela étant, il constatait que la CMNS n'était pas en possession de l'ensemble des informations relatives au cas d'espèce lorsqu'elle avait rédigé son préavis. Ainsi, elle ignorait, comme cela ressortait de l'audition de M. JUCKER, que certains immeubles faisant initialement partie du même ensemble avaient été détruits.

En conséquence, s'agissant d'un élément de fait important, la CMNS devait rendre un nouveau préavis.

21) Par acte envoyé le 22 octobre 2018, la ville a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI en concluant à son annulation et à la confirmation des autorisations de construire et de démolir du 29 juin 2017.

La qualité pour recourir de la SI était toujours contestée.

M. PYTHON avait retenu à tort que l'immeuble sis 58, rue des Vollandes avait été rénové alors qu'il avait été démoli et reconstruit en comportant un
rez-de-chaussée et quatre étages. Le rez-de-chaussée présentait des ouvertures similaires à l'ancien bâtiment, constituant un pastiche. L'immeuble sis 66 rue des Vollandes avait été démoli en 1982 laissant place à un immeuble tout à fait différent constitué d'un rez-de-chaussée et de quatre étages plus attique. Les immeubles sis 60 à 64 rue des Vollandes avaient été surélevés par deux fois en 1948 et 1964. Ils comptaient désormais un rez-de-chaussée et quatre étages.

L'application des art. 89 ss LCI impliquait l'existence à l'origine d'un ensemble mais également que celui-ci subsiste pour que la question de sa protection puisse se poser. L'art. 90 al. 1 LCI prescrivait le maintien des seuls ensembles dont l'unité architecturale et urbanistique était complète, ce qui n'était pas le cas du bâtiment concerné.

Le TAPI aurait dû déterminer si le département avait abusé de son pouvoir d'appréciation en délivrant les autorisations.

À supposer que le préavis de la CA ait été sollicité à tort, cela n'impliquait encore pas que le département n'ait pu en tenir compte.

Elle produisait un préavis rendu par le SMS dans le dossier DD 103'070-2, concernant la surélévation du bâtiment voisin sis 6, rue des Cordiers, dans lequel le fait qu'il subsiste en tant que seul bâtiment d'un autre ensemble détruit, avait eu pour effet de soustraire l'examen du projet à la CMNS au profit de la CA.

22) Le 30 octobre 2018, le TAPI a transmis son dossier, renonçant à formuler des observations.

23) Le 22 novembre 2018, la SI a déposé des observations, concluant au rejet du recours, reprenant l'argumentation déjà développée devant le TAPI.

Le TAPI aurait dû annuler les autorisations plutôt que de renvoyer la cause au département.

24) Le 22 novembre 2018, le département a déposé des observations, concluant à l'admission du recours et à l'annulation du jugement du TAPI.

Son argumentation reprenait celle déjà développée devant le TAPI.

25) Le 11 mars 2019, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le litige porte sur la conformité au droit d'un jugement du TAPI renvoyant la cause au département pour poursuite de l'instruction d'une requête en démolition et d'une demande d'autorisation de construire. De fait, cette décision annule les autorisations délivrées et, en cela, elle est finale au sens de
l'art. 57 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) Dans un premier grief, la ville remet en cause la qualité pour recourir de la SI.

En ce qui concerne les voisins, seuls ceux dont les intérêts sont lésés de façon directe et spéciale ont l'intérêt particulier requis (ATF 133 II 409 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_158/2008 du 30 juin 2008 consid. 2). Le recourant doit ainsi se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d'être prise en considération avec l'objet de la contestation.

La qualité pour recourir est en principe donnée lorsque le recours émane du propriétaire d'un terrain directement voisin de la construction ou de l'installation litigieuse (ATF 137 II 30 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_822/2013 du 4 janvier 2014 consid. 2.2 ; ATA/659/2018 du 26 juin 2018 consid. 4 ; concernant une personne qui va devenir voisine de la construction litigieuse : ATA/450/2008 du 2 septembre 2008 ; Laurent PFEIFFER, La qualité pour recourir en droit de l'aménagement du territoire et de l'environnement, 2013, p. 92).

En l'espèce, il s'agit d'un projet de démolition / reconstruction d'un bâtiment entier et il n'existe pas de circonstances spéciales qui autoriseraient de s'écarter du principe énoncé ci-dessus. La recourante n'en allègue d'ailleurs pas. La qualité pour recourir de la SI a donc été reconnue à juste titre par le TAPI dans son jugement.

3) Le TAPI motive son jugement d'une part, par le contenu du préavis de la CMNS qui ne saurait justifier que le département ait décidé, une fois ledit préavis reçu, de changer de voie, soit d'interpeller la CA et de fonder sa décision notamment sur ce dernier préavis et, d'autre part, par le fait que la CMNS ignorait que certains immeubles, faisant initialement partie du même ensemble que la construction litigieuse, avaient été détruits.

La seule question à résoudre à ce stade est donc de savoir si cette décision de renvoi pour instruction complémentaire prise par le TAPI dans son jugement est fondée.

4) a. Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_476/2015 du 3 août 2016, consid. 4.3.1). Ils n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l'autorité reste ainsi libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur (ATA/1157/2018 du 30 octobre 2018 et les références citées). Toutefois, lorsqu'un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/873/2018 du 28 août 2018 et les références citées).

Cependant, la délivrance d'autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du département, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence (ATA/1273/2017 du 12 septembre 2017 et les références citées).

b. Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi. De même, s'agissant des jugements rendus par le TAPI, la chambre administrative exerce son pouvoir d'examen avec retenue car celui-ci se compose pour partie de personnes possédant des compétences techniques spécifiques (ATA/166/2018 du 20 février 2018 et les références citées).

5) À teneur de l'art. 89 al. 1 LCI, l'unité architecturale et urbanistique des ensembles du XIXème siècle et du début du XXème siècle situés en dehors des périmètres de protection de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications (let. a) et du Vieux Carouge (let. b), doit être préservée. Selon
l'al. 2 de cette disposition, sont considérés comme un ensemble, les groupes de deux immeubles ou plus en ordre contigu, d'architecture identique ou analogue, ainsi que les immeubles séparés dont l'emplacement, le gabarit et le style ont été conçus dans le cadre d'une composition d'ensemble dans le quartier ou dans la rue.

Les ensembles dont l'unité architecturale et urbanistique est complète sont maintenus. En cas de rénovation ou de transformation, les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés (art. 90 al. 1 LCI).

6) Les demandes d'autorisation, à l'exception de celles instruites en procédure accélérée, concernant des immeubles visés à l'art. 89 LCI sont soumises, pour préavis à la CMNS (art. 93 al. 1 LCI). De même, le CMNS donne notamment son préavis sur tous projets de travaux concernant un immeuble porté à l'inventaire (art. 5 al. 2 let. c du règlement d'exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 - RPMNS - L 4 05.01). La CMNS est également chargée de formuler ou d'examiner les propositions d'inscription ou de radiation d'immeubles à l'inventaire (art. 7 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 - LPMNS -
L 4 05 et 5 al. 2 let. b RPMNS).

Du fait de ces différentes compétences, la CMNS peut être consultée à différents titres par le département.

En l'espèce, l'instruction du recours a permis d'établir que c'est en raison de l'historique des travaux ayant déjà été autorisés sur des bâtiments du quartier et selon un raisonnement lié à la démolition et aux travaux ayant touché les autres bâtiments construits en même temps que celui concerné par les requêtes que le SMS a d'emblée exclu l'application de la protection des ensembles des art. 89 et ss LCI. Il a soumis le dossier à la CMNS pour examiner la question de la mise à l'inventaire de l'immeuble, comme l'atteste le courriel envoyé le 18 novembre 2015 par le directeur du SMS et indiquant que l'historien M. PYTHON était chargé « d'établir la valeur d'inscription à l'inventaire d'un bâtiment désormais isolé ».

Comme il est établi qu'aucun autre des six bâtiments qui constituaient à l'origine un ensemble ne subsiste dans son état d'origine et que deux ont été démolis, il faut considérer que la question de savoir si l'ensemble ou une partie de celui-ci qui subsiste, même modifié par les travaux autorisés, doit bénéficier de la protection des art. 89 ss LCI a été tranchée par le département. En cela, le préavis de la CMNS n'était dès lors pas indispensable, raison pour laquelle le département a soumis le projet de construction à la CA, celle-ci ne devant plus être consultée pour des projets régis par la LPMNS ou situés dans des zones protégées dans lesquelles seule la CMNS est compétente pour donner son avis (MGC 2003-2004/XI A 5893 ; MGC 2005-2006/V A 3504 et ss).

En définitive, la réponse à la question de la soumission d'un objet à la protection instaurée par les art. 89 ss LCI revient au département qui délivre les autorisations de démolir et de construire. Ainsi, par exemple, dans l'état de fait ayant donné lieu à l'ATA/634/2010 du 14 septembre 2010, le département, contre l'avis de la CMNS, avait considéré que la protection des art. 89 et ss LCI ne s'appliquait pas au projet litigieux.

En l'espèce, le département ayant tranché cette question en délivrant les autorisations, il appartenait au TAPI de la trancher sur recours. En effet, le préavis de la CMNS, comme les autres préavis, n'est que consultatif et l'autorité de décision peut s'en écarter pour des motifs qu'elle estime pertinents, comme en l'espèce où le département a estimé être en droit de s'écarter du préavis de la CMNS en suivant notamment l'argumentation de l'architecte cantonal.

Il n'est pas possible d'interpréter le jugement du TAPI comme confirmant l'application des dispositions sur la protection des ensembles au projet car le renvoi a été ordonné pour que la CMNS tienne compte de la démolition de deux des six bâtiments formant l'ensemble à l'origine et se prononce à nouveau sur cette protection.

C'est donc à tort que le TAPI a renoncé à trancher la question de la soumission du bâtiment à la protection des art. 89 ss LCI, alors que l'autorité ayant rendu la décision dont il devait examiner la conformité au droit sur recours l'avait fait. Il devra se prononcer sur la base des éléments mis en évidence par les mesures d'instruction auxquelles il a déjà procédé et si besoin, diligenter d'autres actes d'instruction qu'il jugerait nécessaires. Cela fait, il devra examiner les griefs soulevés par la SI dans son recours.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, le jugement du TAPI annulé et la cause renvoyée au TAPI au sens des présents considérants.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la SI qui succombe dans ses conclusions (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 octobre 2018 par la Ville de Genève contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 septembre 2018 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 septembre 2018 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance au sens des considérants ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de la Société immobilière rue des Cordiers 6 SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à la Ville de Genève, à Me Christophe Gal, avocat de la Société immobilière rue des Cordiers 6 SA, au département du territoire-OAC, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Cuendet, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :