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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/591/2011

ATA/721/2012 du 30.10.2012 ( AMENAG ) , ADMIS

Descripteurs : ; PROTECTION DES MONUMENTS ; MESURE DE PROTECTION ; INVENTAIRE ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPMNS.4; LPMNS.7; LCI.89
Parties : BEFFA Liliane, REBSAMEN Lucrece, BEFFA Monique et autres, HOIRIE DE MONSIEUR HENRI BEFFA, SOIT POUR LUI Mme BEFFA Béatrice et autres, BEFFA Béatrice, BEFFA Daniel, BEFFA Robert, BEFFA Raphaël, FONTANA Mathilde, HOIRIE DE MONSIEUR PAUL BEFFA, SOIT POUR LUI M. BEFFA Maurice et autres, BEFFA Maurice, BEFFA Bernard, BEFFA Jean-Marc, FALCONI Claire, FALCONI Jeanne, JACQUET Marie-Claude, FORTUNATO Chantal, HOIRIE DE MONSIEUR CLAUDIUS BEFFA, SOIT POUR LUI Monsieur BEFFA Maurice et autres / DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION
Résumé : Recours contre l'arrêté du département approuvant l'inscription à l'inventaire de trois bâtiments admis. Annulation de l'arrêté au motif que les frais inhérents à la conservation des bâtiments sont disproportionnés par rapport à leur valeur architecturale. Pour la même raison ils ne peuvent pas être protégés en vertu de l'art. 89 LCI.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/591/2011-AMENAG ATA/721/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 octobre 2012

 

 

dans la cause

 

Madame Monique BEFFA

Madame Lucrèce REBSAMEN

 

Hoirie de Monsieur Henri BEFFA, soit pour elle

Madame Béatrice BEFFA-RAMELLI

Monsieur Daniel BEFFA

Madame Liliane BEFFA

Monsieur Raphaël BEFFA

Monsieur Robert BEFFA

Madame Mathilde FONTANA

 

Hoiries de Messieurs Paul et Claude BEFFA, soit pour elles

Monsieur Maurice BEFFA

Monsieur Bernard BEFFA

Monsieur Jean-Marc BEFFA

Madame Claire FALCONI

Madame Jeanne FALCONI

Madame Marie-Claude JACQUET

Madame Chantal FORTUNATO
représentées par Me François Bellanger, avocat

 

contre

DÉPARTEMENT DE L'URBANISME



EN FAIT

1. Les parcelles nos 254, 255 et 256 sises en Ville de Genève (ci-après : la ville), plan 8, section Eaux-Vives, aux nos 4, 6 et 8 de la rue de l'Avenir, comportent trois bâtiments, cadastrés respectivement sous les nos B 218, B 220 et B 222, datant de la fin du XIXe siècle, comprenant un étage et des combles sur rez. Ils comportent actuellement des activités et des logements.

Les deux premières parcelles appartiennent à Mesdames Monique Beffa et Lucrèce Rebsamen ainsi qu'à l'hoirie de Monsieur Henri Beffa, composée de Mesdames Liliane Beffa et Béatrice Beffa-Ramelli ainsi que de Messieurs Daniel, Raphaël et Roberto Beffa.

La troisième parcelle appartient en copropriété à Mmes Monique Beffa et Lucrèce Rebsamen, aux héritiers de M. Henri Beffa déjà cités, ainsi qu'à ceux de Monsieur Claude Beffa, soit Madame Mathilde Fontana, Messieurs Maurice, Bernard et Jean-Marc Beffa, Mesdames Claire Falconi, Jeanne Falconi, Marie-Claude Jacquet et Chantal Fortunato.

2. Trois autres constructions sises pour partie dans la rue de l'Avenir et formant l'angle entre la rue de l'Avenir, la rue Sillem et l'avenue de la Grenade (ci-après : îlot Sillem) datent de la même époque et cette probématique fera l’objet d’un second arrêt de ce jour (cause A/519/2011). Il s'agit des bâtiments B 184 à l'adresse rue Sillem 3, B 186, sis 17, rue de l'Avenir et B 187 situé au 19, rue de l'Avenir / rue Sillem 1. Ces bâtiments ayant fait l'objet de demandes d'autorisation de démolir et de construire le 16 novembre 2001, divers rapports et préavis ont été émis sur la question de leur valeur urbanistique et patrimoniale. Dans ces documents il était également fait allusion aux bâtiments nos B 218 à B 222 dans la mesure où ils avaient été édifiés à la même époque et que le contexte historique et urbanistique était identique :

a. Selon une notice historique, établie par la direction du patrimoine et des sites (ci-après : DPS) le 16 avril 2002, les édifices concernés appartenaient à la première urbanisation de la partie orientale des Eaux-Vives, lorsque les jardins d’anciennes propriétés étaient morcelés permettant la construction de petites unités, installées de façon très empirique. Les deux petites maisons en tête de l’îlot (B 184 et B 187) représentaient l’un des derniers exemples d’architecture faubourienne dans le quartier des Eaux-Vives. Destinées à l’habitat individuel de leur propriétaire, tout en réservant au rez-de-chaussée un espace commercial ou artisanal, elles ne manquaient pas, malgré leur simplicité, d’une certaine élégance. Elles constituaient un petit ensemble, témoin d’une étape du développement de la ville.

b. D’après une note de la DPS du 10 juin 2002, ces bâtiments constituaient quelques-uns des derniers témoins de l'urbanisation primitive du quartier, formée du maillage serré d'immeubles modestes aux fonctions mélangées (habitat et artisanat). Ils préservaient également, par leurs proportions modestes, une rupture nécessaire dans un tissu urbain particulièrement dense, favorisant la circulation de l'air et du soleil. Leur démolition pouvait être envisagée, compte tenu de leur état de dégradation et les difficultés de leur éventuelle réhabilitation, mais à la condition que le projet de substitution restitue ces caractères urbains dans un langage architectural contemporain, clair, modeste et de qualité.

3. Dans une note du 1er octobre 2003, le service de la conservation du patrimoine architectural de la ville a recensé les plus anciens bâtiments d'habitation conservés dans le quartier des Eaux-Vives. Dans les années 1860-1880, différents types d'habitat coexistaient : certains se rattachaient au passé faubourien, d'autres anticipaient les tendances à venir.

a. Les édifices de l'îlot Sillem constituaient un habitat de petit gabarit mais qui s'inscrivait déjà dans une logique urbaine.

b. Les édifices sis aux nos 4-6-8, rue de l'Avenir, objet de la présente procédure, formaient un habitat de petit gabarit qui présentait une composition à redents, alternant bâti et cours ouvertes. Il en restait précisément un seul exemple, du côté pair de la rue de l'Avenir, soit les nos 4-6-8, et il ne semblait pas qu'il en ait existé beaucoup d'autres.

De ces deux catégories de bâtiments, il ne subsistait que des témoins presque uniques. A ce titre, ils méritaient d'être conservés.

Cependant, à la même époque avaient déjà vu le jour des immeubles proprement urbains d'un gabarit plus important (au moins 3 niveaux sur rez-de-chaussée).

4. Le 1er mars 2006, le département des constructions et des technologies de l'information, devenu depuis le 7 juillet 2012 le département de l'urbanisme (ci-après : le département) a résumé, à l'intention du président en charge dudit département, la situation des immeubles de l'îlot Sillem qui faisaient l'objet d'une procédure d'inscription à l'inventaire.

Leur intérêt patrimonial était davantage urbanistique (tissu caractéristique de la transition entre l'état campagnard et la ville dense du XIX-XXe siècle) et typologique (petits gabarits, mixité des fonctions, caractère populaire) qu'architectural proprement dit (constructions modestes sans esthétique notable).

Le quartier avait subi des transformations lourdes qui avaient isolé ce fragment de l'urbanisation primitive des Eaux-Vives. Dès lors, sa conservation, au titre de témoignage historique, avait perdu de sa pertinence en particulier si on le comparait à d'autres exemples, tels que la rangée de bâtiments comparables, situés du côté pair de la rue de l'Avenir, qui avaient conservé leur caractère d'ensemble urbain cohérent et dont la préservation comme témoins de l'histoire socio-économique du quartier était nettement plus significative.

5. Par arrêt du 27 mars 2007 (ATA/151/2007), le Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), a confirmé le refus d'inscription à l'inventaire des deux bâtiments B 184 et B 187 formant l'îlot Sillem, le bâtiment B 186 n'étant pas concerné par la mise à l'inventaire. Dans cet arrêt, tant les parties que la chambre administrative se sont référées également aux bâtiments sis aux nos 4 à 8, rue de l'Avenir qui font l'objet de la présente cause.

a. Lors du transport sur place ordonné par le juge délégué en 2007, le département avait relevé l'existence de ces trois petits bâtiments qui témoignaient parfaitement de la construction d'une urbanisation primitive de la fin du XIXe siècle. Ces immeubles formaient un ensemble coordonné, contrairement à ceux concernés par la procédure, et étaient dans un bien meilleur état d'entretien et de conservation, de sorte que leur mise à l'inventaire se justifierait, ce qui n'était pas le cas des bâtiments B 184 et B 187 (ATA/151/2007 précité, considérant n° 19 « en fait »).

b. Concernant les immeubles formant la tête de l'îlot rue Sillem / rue de l'Avenir visés par la procédure de 2007, la chambre administrative avait émis les considérations suivantes :

c. Lors du transport sur place, elle a pu observer l'architecture modeste des immeubles et l'absence totale d'homogénéité du bâti environnant. Toutefois, bien que pertinents dans l'appréciation de la valeur des édifices, objets de la présente procédure, ces éléments n'étaient pas suffisants pour leur nier tout intérêt. Dès lors, contrairement à l'avis du département, il fallait admettre que les bâtiments B 184 et B 187 témoignaient d'une époque et étaient dignes de protection au sens de l'art. 4 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) (ATA/151/2007 précité consid. 9 « en droit » in fine).

d. La décision du département de refuser l'inscription à l'inventaire avait privilégié la construction de logements par rapport à la protection du patrimoine, en tenant compte du besoin accru de logements. La chambre administrative avait jugé qu'en faisant primer l'intérêt à la construction de logements sur l'intérêt au maintien d'un élément du patrimoine, le département n'avait, dans le cas d'espèce, pas fait un usage excessif de son pouvoir d'appréciation, raison pour laquelle le refus d'inscrire ces bâtiments à l'inventaire était justifié. A l'appui de ce raisonnement, l'existence des trois immeubles nos 4-6-8 rue de l’Avenir faisant l'objet de la présente procédure avait été rappelée.

e. Il convenait de tenir compte du fait que les bâtiments B 184 et B 187 étaient de facture modeste. Avec la forte urbanisation du quartier des Eaux-Vives, ils se retrouvaient isolés entre des constructions hétéroclites, sans aucun style. Par ailleurs, il subsistait, sur le côté pair de la rue de l'Avenir, les trois immeubles précités de la même époque. L'intérêt lié à la conservation du patrimoine et au maintien de la tête de l'îlot n'était ainsi pas très élevé (ATA/151/2007 précité, consid. 14 « en droit », in fine).

6. Le sort des trois bâtiments (B 218, B 220 et B 222) qui font l'objet de la présente procédure a été évoqué le 23 août 2007, lors d'une séance du conseil de direction de la DPS pour mentionner que le Tribunal administratif lui-même dans son arrêt (ATA/151/2007 précité) « avait souligné que les trois immeubles artisanaux, rue de l'Avenir 4-6-8 étaient plus représentatifs de la première urbanisation du quartier que ceux faisant l'objet du litige et qu'ils mériteraient d'être protégés ».

La DPS a donc proposé l'inscription à l'inventaire des bâtiments précités. Le conseiller d'Etat en charge du département, présent à cette réunion, préférait quant à lui une procédure de classement.

7. Dans son préavis du 16 janvier 2008, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS), sous-commission monuments et antiquités (ci-après : SCMA), a relevé l'intérêt des trois bâtiments comme témoignage de la première urbanisation et des activités économiques traditionnelles du quartier des Eaux-Vives. Elle a approuvé le principe d'une mesure de protection, considérant notamment leur état de conservation, relativement bon. Le classement étant disproportionné par rapport à l'intérêt patrimonial de ces édifices, elle recommandait plutôt une inscription à l'inventaire.

Référence était faite à l’ATA/151/2007 dans lequel, selon la SCMA, le Tribunal administratif avait préconisé une mise à l'inventaire des bâtiments sis 4-6-8 rue de l'Avenir.

8. Au cours d'une séance de la DPS, tenue le 31 janvier 2008, le président du département a donné son accord à l'ouverture d'une procédure de mise à l'inventaire.

9. Par plis des 9, 17 avril et 7 mai 2008, le service des monuments et sites (ci-après : SMS) a informé les copropriétaires des immeubles de l'ouverture d'une procédure de mise à l'inventaire. Un délai de trente jours leur était imparti pour faire part de toute observation auprès du département.

La motivation retenue était la suivante :

« Cet ensemble de bâtiments destinés à l'artisanat, au commerce et au logement a été édifié en 1876-1877 par Jean-Louis Mortillet. Il constitue un témoignage de la première urbanisation et des activités économiques traditionnelles du quartier des Eaux-Vives. Ces bâtiments présentent une typologie particulière par leur implantation dégageant des cours ouvertes sur la rue, ainsi que par les accès extérieurs aux logements des nos 4 et 6 : escaliers de pierre et galeries en bois. Ils ont conservé beaucoup de substance d'origine, notamment les devantures des commerces, les lucarnes, les garde-corps en fer et en bois découpé ».

10. Le 29 avril 2008, les copropriétaires se sont opposés à la mise à l'inventaire de leurs immeubles. Ils ont sollicité la communication de l'ensemble des pièces figurant dans le dossier du SMS ainsi que la prolongation du délai imparti.

11. Le 14 mai 2008, le SMS a transmis aux copropriétaires l'extrait du procès-verbal du conseil de direction de la DPS du 23 août 2007, le préavis de la CMNS du 16 janvier 2008 ainsi que l'extrait du procès-verbal du conseil de direction de la DPS du 31 janvier 2008. Il leur a imparti un délai supplémentaire pour lui faire part de leurs observations.

12. Par courrier recommandé du 30 juin 2008, les copropriétaires se sont opposés à l'inscription à l'inventaire de leurs trois immeubles et ont invité le SMS à renoncer à cette mesure.

Ces bâtiments étaient vétustes, dépourvus de tout cachet ou de tout signe caractéristique.

Les immeubles situés aux nos 4 et 6 disposaient bien d'un accès par la rue et d'une petite cour extérieure. Toutefois, ces éléments ne présentaient aucun intérêt architectural particulier. Les escaliers et les rambardes n'avaient aucune valeur artistique, ces dernières étant tout à fait standard. Les façades, en crépi sans marquage ou ornement particulier, ne comportaient aucun élément caractéristique ou digne de protection. Certes, elles présentaient quelques éléments des anciens commerces mais il était impossible d'affirmer qu'il s'agissait de leur substance d'origine.

La « galerie en bois » n'était qu'une dalle en béton avec une rambarde vétuste permettant d'accéder à des portes qui l'étaient tout autant.

La situation était similaire pour l'immeuble situé au n° 8 qui présentait un intérêt architectural encore moindre.

Les appartements existant dans ces bâtiments étaient à peine habitables. Lorsque les copropriétaires les avaient acquis au début des années 1950, ces logements n'avaient pas de chauffage ni salle d'eau et les toilettes étaient à l'étage. Les copropriétaires avaient procédé à quelques travaux pour les rendre utilisables, mais leur état restait très précaire. Vu l’état de vétusté des immeubles, leur rendement était très faible et ne permettait pas d'assurer un entretien convenable des bâtiments.

Le préavis de la CMNS selon lequel les immeubles étaient dans un bon état de conservation était erroné et démontrait une totale méconnaissance des lieux.

Le SMS s'était intéressé à ces bâtiments suite au prononcé de l’ATA/151/2007 précité qui concernait d'autres immeubles du quartier. Dans cet arrêt, le Tribunal administratif n'avait pas recommandé la mise sous protection de leurs trois bâtiments. Il avait constaté qu'ils étaient de la même époque que ceux de l’îlot de la rue Sillem. Le considérant 19 de la partie « en fait » de l'arrêt, auquel se référait la CMNS dans son préavis du 16 janvier 2008, correspondait en réalité à la position adoptée par le département lors du transport sur place et non à une considération de la juridiction administrative.

Une mise à l'inventaire entraînait l'obligation de maintenir les immeubles et d'en préserver les éléments dignes d'intérêt. Elle revenait à exclure une réhabilitation de ceux-ci, les copropriétaires n'ayant pas les moyens financiers de la réaliser, compte tenu de la nature et du rendement des immeubles.

En conséquence, une mise à l'inventaire constituait une restriction très importante de leur droit de propriété car elle exclurait toute démolition-reconstruction, seule solution permettant de réaliser des logements répondant aux besoins prépondérants de la population dans des conditions financières raisonnables.

13. Le 5 novembre 2008, le conseil administratif de la ville a préavisé défavorablement l'inscription à l'inventaire des immeubles sis rue de l'Avenir nos 4 à 8.

14. Le 30 septembre 2009, le conseil administratif de la ville est revenu sur sa position et a préavisé favorablement une telle inscription.

Edifiés en 1877 par Jean-Louis Montillet, entrepreneur en charpente et menuiserie, les bâtiments en question avaient été conçus pour servir de logement, atelier et entrepôt. Leur typologie particulière traduisait surtout les exigences spatiales liées à l'entreprise du propriétaire. Ainsi, l'implantation des constructions dégageant des cours ouvertes sur la rue renvoyait à une activité traditionnelle du quartier des Eaux-Vives, dans lequel les métiers de la construction étaient fortement représentés dans la seconde moitié du XIXe siècle. Suite au refus du département d'une mise sous protection d'un ensemble contemporain formant tête d'îlot sis avenue de la Grenade 28, rue Sillem 3 et rue de l'Avenir 17, confirmé par l’ATA/151/2007, l'inscription à l'inventaire des nos 4, 6 et 8 rue de l'Avenir apparaissait comme une mesure nécessaire, en ce qu'elle permettrait de freiner la disparition des rares témoins architecturaux relatifs à la première phase d'urbanisation du quartier.

15. Le SMS a transmis aux copropriétaires le dernier préavis de la ville par pli du 8 décembre 2009.

16. Le 19 octobre 2010, les copropriétaires ont demandé au SMS de les informer de l'état d'avancement du dossier et de leur faire part de ses intentions à ce sujet.

17. Le 17 janvier 2011, le département a adopté un arrêté, notifié aux copropriétaires par pli du 26 janvier 2011, approuvant l'inscription à l'inventaire des bâtiments nos B 218, B 220 et B 222 et des parcelles nos 254, 255, 256, plan 8 de la commune de Genève section Eaux-Vives.

Référence était faite à l’ATA/151/2007, au préavis de la CMNS du 16 janvier 2008 ainsi qu'à celui de la ville du 30 septembre 2009.

Les bâtiments précités étaient représentatifs d'une époque en tant qu'ils s'inscrivaient dans l'architecture et la formation du tissu des faubourgs de la ville au même titre que les bâtiments nos B 184 et B 187 qui avaient fait l'objet de l'arrêt du 27 mars 2007 et dont la chambre administrative avait dit qu'ils étaient dignes de protection au sens de l'art. 4 LPMNS. Leur état de conservation était meilleur que celui des bâtiments ayant fait l'objet de l'arrêt précité. Par ailleurs, leur intérêt relevait essentiellement de considérations d'ordre urbanistique (ceux-ci marquant la transition entre la campagne et la ville) et typologique (petits gabarits, mixité des fonctions, caractère populaire) et non architectural (s'agissant de constructions modestes sans esthétique notable).

Ces bâtiments avaient conservé leur caractère d'ensemble urbain cohérent et faisaient donc figure de témoins de l'histoire socio-économique du quartier. La protection de ces bâtiments par le biais d'une mesure de sauvegarde ad hoc répondait ainsi à un intérêt public. Les coûts qui devaient être consentis pour leur réhabilitation ne pouvaient faire obstacle à une mesure de sauvegarde de ces bâtiments, l'Etat pouvant participer aux frais de conservation, d'entretien et de restauration d'un bâtiment inscrit à l'inventaire.

18. Par acte du 25 février 2011, Mmes Monique Beffa et Lucrèce Rebsamen et l'hoirie de M. Henri Beffa, composée de Mmes Liliane Beffa et Béatrice Beffa-Ramelli ainsi que de MM. Daniel, Raphaël et Roberto Beffa, ainsi que les héritiers de M. Claude Beffa, soit Mme Mathilde Fontana, MM. Maurice, Bernard et Jean-Marc Beffa, Mmes Claire Falconi, Jeanne Falconi, Marie-Claude Jacquet et Chantal Fortunato ont recouru auprès de la chambre administrative à l'encontre de l'arrêté précité. Ils ont conclu préalablement à ce qu'un transport sur place soit ordonné ainsi qu'une expertise de l'état des bâtiments portant sur le coût de leur rénovation et de leur valeur locative prévisionnelle après rénovation. Au fond, ils ont conclu à l'annulation de l'arrêté litigieux et subsidiairement, à la constatation que ce dernier constituait une expropriation matérielle. Enfin, ils ont conclu à la condamnation en tous les dépens.

En substance, les recourants ont repris les arguments déjà développés dans leur courrier du 30 juin 2008.

Ils ont contesté la lecture que le département avait faite de l’ATA/151/2007, le Tribunal administratif n’ayant pas reconnu que leurs bâtiments étaient dignes d'être mis à l'inventaire, ceux-ci ne faisant pas l'objet de la procédure de 2007. Par ailleurs, le Tribunal administratif avait refusé la mise à l'inventaire des bâtiments formant l'angle entre la rue Sillem, la rue de l'Avenir et l'avenue de la Grenade. En conséquence, la motivation du département fondant la mise à l'inventaire de leurs immeubles se révélait arbitraire. Tant le préavis de la CMNS que celui de la ville se fondaient en réalité sur les considérations émises par le Tribunal administratif et n'avaient donc pas de valeur scientifique. Enfin, l'arrêté querellé admettait que leurs bâtiments n'avaient aucune valeur architecturale, la seule justification de la protection étant qu'ils constituaient un témoignage de la transition entre la campagne et la ville. Une telle motivation ne pouvait fonder une mise à l'inventaire de bâtiments dans un grand état de délabrement et isolés dans un ensemble urbain complètement bâti.

Enfin, la décision querellée violait le principe de la proportionnalité. La mise à l'inventaire des bâtiments leur imposerait le maintien du gabarit existant ainsi que la rénovation complète de ces immeubles. Les coûts nécessaires à une telle entreprise ne pourraient jamais être rentabilisés. A l'inverse, si une mise à l'inventaire était refusée, une étude réalisée par Monsieur Alexandre de Caswtello, ingénieur, à leur demande, démontrait qu'une opération de démolition/reconstruction permettrait la réalisation de 3'245 m2 de surface affectés au logement, soit environ 33 appartements de 100 m2, dans un quartier central, très bien desservi par les transports publics. Dans une telle hypothèse, le prix de vente des parcelles se situait dans une fourchette comprise entre CHF 4'600'000.- et CHF 5'100'000.-, la négociation pouvant même débuter à CHF 5'500'000.-. Compte tenu de la pénurie de logements dans le canton, l'exécution d'une telle opération correspondait à la réalisation d'un intérêt public majeur. Dans ces conditions, la décision de mise à l'inventaire était disproportionnée. Elle constituait même un cas d'expropriation matérielle.

19. Le 14 avril 2011, le département a conclu au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêté querellé.

Il s'est notamment référé aux documents rédigés dans le cadre de la procédure de mise à l'inventaire des bâtiments de l'îlot Sillem. Dans l'ATA/151/2007, le Tribunal administratif avait bel et bien admis que les bâtiments B 184 et B 187 témoignaient d'une époque et étaient dignes de protection au sens de l'art. 4 LPMNS. La nécessité de construire de nouveaux logements avait primé à l'époque sur le maintien des immeubles précités en raison notamment de l'existence des immeubles B 218, B 220 et B 222, sis dans le même quartier et représentatifs de la même époque. En conséquence, l'inscription à l'inventaire des bâtiments sis aux nos 4-6-8, rue de l'Avenir, revêtait d'autant plus d'importance que les bâtiments B 184 et B 187 étaient destinés à la démolition.

Les bâtiments, objets de la procédure en cours, étant les seuls existants de ce type, l'intérêt à leur conservation primait celui de la construction de nouveaux logements. Les frais d'une conservation de ces bâtiments étaient inférieurs à ceux nécessaires à leur démolition et à la construction de nouveaux immeubles sur le même emplacement. Partant, la décision querellée était proportionnée.

20. Les recourants ont répliqué le 31 mai 2011. Ils ont persisté dans leur position, critiquant pour le surplus les arguments que le département tirait de la procédure d'inscription à l'inventaire des deux bâtiments composant l'îlot Sillem. Enfin, le département ne se prononçait pas sur les coûts de rénovation des bâtiments, objets du litige.

21. Le 1er juillet 2011, le département a dupliqué et repris son argumentation. Il y sera fait référence ci-après dans la mesure utile.

Au vu de l'emplacement des bâtiments, leur rendement ne pouvait pas être déficitaire. En tout état, les recourants étaient invités à produire les états locatifs de leurs immeubles durant les dix années écoulées.

22. Le 14 septembre 2011, le juge délégué a effectué un transport sur place en présence des parties. A cette occasion, il a procédé aux constatations suivantes :

Le premier étage de l'immeuble sis au n° 4 de la rue de l'Avenir comportait un appartement de deux pièces, actuellement loué en tant qu'atelier et dépourvu de toilettes.

Selon Madame Isabelle Brunier, historienne, et Monsieur Armand Brulhart, représentant la CMNS, la balustrade en bois prolongeant l'escalier extérieur, emprunté pour arriver au 1er étage, était d'origine. Elle n'avait pas été rénovée et personne ne disposait de photographies du XIXe ou du XXe siècle ni des plans de l'immeuble. C'était cette barrière ainsi que les poutres en bois qui étaient mentionnées dans les préavis comme des structures en bois.

L'appartement sis au deuxième étage comportait des toilettes alors que la douche se trouvait à l'étage. L'escalier conduisant du 1er au 2e étage était très raide. Depuis le grenier, il était visible que la toiture n'était pas isolée. La structure du sol était visible depuis le grenier, elle était constituée de petites lattes en bois, soit des lattis destinés à retenir le plâtre.

La porte d'entrée de l'arcade du n° 6 rue de l'Avenir et tout le bâti en bois correspondaient au dispositif d'origine du XIXe siècle. L'escalier donnant accès au deuxième étage était aussi raide que celui de l'immeuble visité précédemment. Cet étage n'était pas aménagé. Les tuiles étaient posées directement sur les lattes en bois sans aucune isolation. Au premier étage, un appartement de trois pièces et demie était habité. L'appartement comportait un WC séparé ainsi qu'une cabine de douche dans une salle de bains. Les boiseries, de grandes armoires murales et des encadrements de porte étaient d'origine.

Le dernier bâtiment, sis au n° 8, avait été conçu pour un menuisier. Il comportait deux arcades et au premier étage un appartement jouxtant l'atelier de menuiserie. Toutes les menuiseries avaient d'ailleurs été conservées. Au deuxième étage se trouvaient les greniers, directement sous le toit, dépourvu d'isolation.

Depuis la rue, Madame Babina Chaillot Calame, présidente de la CMNS, et Mme Brunier ont fait remarquer que les bâtiments présentaient des petites frises en modillon de bois, situées sous l'avant-toit sur la façade donnant sur la rue de l'Avenir. Un cordon de pierre de roche séparait le 1er du 2e étage et passait au-dessus des arcades.

Selon M. Brulhart et Mme Chaillot Calame, ces deux immeubles pouvaient constituer un ensemble au sens de l'art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Par ailleurs, il résultait des photographies figurant au dossier que les trois bâtiments faisant l'objet du présent litige étaient enserrés par des immeubles de quatre à cinq étages sur rez de facture hétéroclite et beaucoup plus récente.

Le bâtiment sis au n° 8, dont le faîte du toit est perpendiculaire à la rue, d'un étage sur rez avec une petite fenêtre en attique, était de facture modeste. Il présentait deux arcades dont les encadrements et les portes n’étaient plus d'origine. Il n'avait aucune décoration particulière. Les deux autres immeubles, dont les façades étaient perpendiculaires à la rue, comportaient trois arcades chacun. Celles du n° 6 présentaient les boiseries d'origine alors que celles du n° 4 avaient été remaniées. Ils comportaient un étage sur rez avec combles munis de lucarnes. A part les petites frises en modillon de bois situées sous l'avant-toit et le cordon de pierre de roche, ils ne présentaient pas d'autre décoration et étaient également de facture modeste. La rambarde de l'escalier extérieur était en fer sans aucun ornement particulier. La balustrade en bois d'origine courant le long du premier étage présentait des manques, sommairement réparés par de simples planches. Les cours intérieures étaient en partie occupées par des constructions qui étaient postérieures aux bâtiments visés.

L'intérieur des bâtiments était dans un état de délabrement avancé. Les toitures, dont la charpente est en bois, étaient dépourvues d'isolation. Les installations sanitaires étaient insuffisantes et rudimentaires. La pente des escaliers intérieurs ne respectait plus les normes de sécurité actuelles. L'installation électrique était antique et ne correspondait pas aux normes actuelles. Les trois immeubles, des caves au grenier, étaient vétustes.

23. Par pli du 19 septembre 2011, le juge délégué a imparti aux recourants un délai au 31 octobre 2011, prolongé au 30 novembre 2011, pour produire un descriptif des travaux qui seraient nécessaires dans l'hypothèse d'une rénovation des immeubles nos 4, 6 et 8, rue de l'Avenir ainsi qu'une estimation du coût total de ceux-ci.

24. Le 12 octobre 2011, les recourants ont produit un descriptif des locaux sis dans les trois immeubles de la rue de l'Avenir ainsi que l'état locatif de ces derniers.

a. L'état locatif de l'immeuble n° 4 de la rue de l'Avenir s'élevait à CHF 64'128.-. Des dix locataires, un seul habitait un appartement dont les douches se situaient à l'étage, les autres louaient des ateliers, arcades, bureaux et sous-sols. L'immeuble ne comportait qu'une salle de bain complète. Parmi les locataires, trois étaient également copropriétaires des immeubles.

b. Pour l'immeuble n° 6 de la rue de l'Avenir, l'état locatif s'élevait, en théorie, à CHF 54'408.-, en tenant compte de tous les locaux existants. En réalité, il n'était que de CHF 43'644.- parce que trois locaux au rez-de-chaussée ainsi que six locaux au deuxième étage étaient vacants en raison de leur vétusté. Il y avait dix locataires. La locataire du garage était une des copropriétaires.

c. L'état locatif de l'immeuble n° 8 de la rue de l'Avenir s'élevait à CHF 20'520.-. Il y avait sept locataires. L'unique logement de l'immeuble était loué par Mme Béatrice Beffa.

25. Par pli du 29 novembre 2011, les recourants ont transmis au juge délégué une expertise effectuée par le bureau d'architecture Baru S.A. portant sur le coût et la faisabilité d'une rénovation.

Les bâtiments étaient globalement vétustes et obsolètes tant au niveau fonctionnel et sur le plan technique qu'en ce qui concernait le respect des normes et prescriptions en vigueur. Toute rénovation impliquerait des travaux importants dans le respect des normes de sécurité incendie, des normes phoniques, thermiques et d'habitabilité. En cas de rénovation de l'ensemble, une restructuration complète des locaux impliquerait d'importants travaux de rénovation-transformation. Au vu des interventions qui devaient être effectuées pour rendre les bâtiments habitables, une éventuelle conservation ne pourrait porter que sur la volumétrie des trois bâtiments, les façades ainsi que dans une petite mesure les structures horizontales.

En l'état actuel, l'ensemble des locaux était composé de 47,5 pièces représentant une surface de 1'475 m2, ces pièces comprenant aussi bien des logements que des locaux ayant une autre affectation. A ces pièces s'ajoutaient les commerces, ateliers, dépôts et garages se trouvant au rez-de-chaussée.

En cas de rénovation, il serait possible d'obtenir 46 pièces avec une surface totale de 1'470 m2. L'ensemble de ces pièces serait affecté à des logements.

Sur la base d'un devis détaillé, le coût des rénovations nécessaires pour atteindre ce résultat s'élèverait à CHF 17'350'000.-.

Dans l'hypothèse où un loyer LDTR maximum autorisé de CHF 3'363.- la pièce par an était appliqué à ces logements, l'état locatif prévisible serait de CHF 150'698.- par an. Il représenterait 0,89% de la valeur des travaux nécessaires. Partant, le montant des travaux de rénovation requis était disproportionné par rapport à un éventuel rendement futur. Les copropriétaires n'avaient pas les moyens financiers de réaliser un tel projet. Compte tenu du faible rendement, ce dernier ne pourrait pas être financé par un établissement bancaire.

En conclusion, l'inscription à l'inventaire des bâtiments concernés était disproportionnée.

26. Le 20 décembre 2011, le département a persisté dans ses conclusions.

Le transport sur place avait permis de constater la vétusté des bâtiments. Il n'était ainsi pas contestable que toute rénovation de ces bâtiments impliquerait d'importants travaux afin de les mettre en conformité avec l'ensemble des normes en vigueur.

L'investissement chiffré articulé dans l'expertise produite par les recourants ne constituait toutefois pas une conséquence directe de la mesure de protection envisagée, s'agissant simplement du coût de mise en conformité des bâtiments avec les normes existantes.

L'inscription à l'inventaire n'était pas une mesure disproportionnée car elle ne ferait pas obstacle à l'obtention d'un rendement provenant de la location des bâtiments. La mesure de protection n'avait ainsi guère d'impact sur le patrimoine financier des recourants.

27. Par pli du 3 janvier 2012, la chambre administrative a informé les parties que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur l'inscription à l'inventaire des bâtiments nos B 218, B 220 et B 222, sis aux nos 4 à 8, rue de l'Avenir.

Une lecture attentive de l’ATA/151/2007 précité portant sur le refus de mise à l'inventaire des bâtiments formant l'îlot Sillem (B 184 et B 187), permet de se rendre compte que les immeubles visés par la présente procédure ont été cités dans la partie en fait parce qu'ils se trouvaient dans le même quartier et dataient de la même époque. L'affirmation selon laquelle les trois bâtiments nos 4 à 8 rue de l'Avenir pouvaient mériter une inscription à l'inventaire a été formulée par le représentant du département lors du transport sur place effectué alors. Dans ses considérants, la chambre administrative s'est bornée à constater l'existence de ces trois immeubles, sans préconiser leur inscription à l'inventaire. Aucune prise de position n'a donc été formulée par la juridiction de céans sur les bâtiments nos B 218, B 220 et B 222 et le dispositif de cet arrêt, seul exécutoire, ne porte pas sur ce point. Le SMS, la ville et le département ne peuvent dès lors rien tirer de ces considérants.

3. Conformément à l'art. 4 LPMNS, sont protégés les monuments de l'histoire de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui représentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords (let. a). Les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b).

4. a. Un monument est toujours un bâtiment, fruit d'une activité humaine. Tout monument doit être une œuvre digne de protection du fait de sa signification historique, artistique, scientifique ou culturelle. Il appartient aux historiens, historiens de l'art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le monument le rendent digne de protection, d'après leur connaissance et leur spécialité. A ce titre, il suffit qu'au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l'abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l'évolution de la situation et d'une rareté qu'il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s'en écarter (ATA/80/2001 du 6 février 2001 ; ATA/280/2000 du 9 mai 2000 et les références citées ; P. VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 24 et les références citées).

b. Selon la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, élaborée et adoptée à l'échelle internationale en 1964 à Venise à l'occasion du 2ème congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques (ci-après  : Charte de Venise), la notion de monument historique comprend tant la création architecturale isolée que le site urbain ou rural qui porte témoignage d'une civilisation particulière, d'une évolution significative ou d'un événement historique. Elle s'étend non seulement aux grandes créations mais aussi aux œuvres modestes qui ont acquis avec le temps une signification culturelle (art. 1 Charte de Venise).

c. L'art. 4 let. a LPMNS, en tant qu'il prévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (cf. notamment : P. VOGEL, op. cit., p. 25) ; la jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2e p. 223 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006). Alors qu'à l'origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elle s'est peu à peu étendue à des immeubles et objets plus modestes, que l'on a qualifié de patrimoine dit « mineur », caractéristique de la campagne genevoise, pour enfin s'ouvrir sur une prise de conscience de l'importance du patrimoine hérité du XIXe siècle et de la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/105/2006 du 7 mars 2006 ; ATA/89/2000 du 8 février 2000). Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction de critères objectifs ou scientifiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a p. 275 ; 118 Ia 384 consid. 5a p. 389 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/428/2010 du 22 juin 2010 et les références citées).

5. L'art. 7 al. 1 LPMNS prévoit qu'il est dressé un inventaire de tous les immeubles dignes d'être protégés au sens de l'art. 4.

Lorsqu'une procédure de mise à l'inventaire est ouverte, le propriétaire en est informé personnellement. Il est invité à formuler ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de l'avis (art. 7 al. 3 et 5, 1ère phr. LPMNS ; art. 17 al. 2 du règlement d’exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 (RPMNS - L 4 05.01).

La commune du lieu de situation est également consultée. L'autorité municipale doit communiquer son préavis dans un délai de trente jours à compter de la réception du dossier (art. 8 al. 1 et 2 LPMNS ; art. 17 al. 3 RPMNS).

Enfin, la CMNS formule ou examine les propositions d'inscription ou de radiation d'immeubles à l'inventaire (art. 5 al. 2 let. b RPMNS). Le département jouit toutefois, sous réserve d'excès ou d'abus de pouvoir, d'une certaine liberté d'appréciation dans les suites à donner dans un cas d'espèce, quel que soit le contenu du préavis (ATA/730/2005 du 1er novembre 2005 et les références citées), celui-ci n'ayant qu'un caractère consultatif (ATA/369/2002 du 25 juin 2002).

6. a. Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci.

b. Lorsque l'autorité s'écarte des préavis, la chambre administrative peut revoir librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle de l'excès et de l'abus de pouvoir, l'exercice de la liberté d'appréciation de l'administration, en mettant l'accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et sur le respect de l'intérêt public en cas d'octroi de l'autorisation malgré un préavis défavorable.

c. Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours. En revanche, la chambre administrative ne s'impose pas de réserves face à un préavis négatif de la CMNS lorsque ce dernier a été requis sans nécessité et que l'objet architectural litigieux n'est pas complexe (ATA/529/2012 du 21 août 2012 ; ATA/676/2006 du 19 décembre 2006).

d. Enfin, lorsqu'elle est confrontée à des préavis divergents, la chambre de céans a d'autant moins de raisons de s'imposer une certaine restriction de son propre pouvoir d'examen qu'elle a procédé en l’espèce à un transport sur place (ATA/144/2004 du 10 février 2004 et les références citées).

7. Le 16 janvier 2008, la CMNS a rendu un préavis favorable visant l'inscription à l'inventaire des immeubles litigieux au motif qu'il s'agissait d'un témoignage de la première urbanisation et des activités traditionnelles du quartier des Eaux-Vives. De surcroît, l'état des bâtiments était relativement bon. Cependant, cette appréciation reposait pour une large part sur une lecture erronée des considérants de la chambre de céans, relatifs au refus de mise à l'inventaire des immeubles composant l'îlot Sillem (ATA/151/2007 déjà cité). Ce procédé adopté par une commission composée de spécialistes, apparaît à tout le moins curieux. En outre, la présente procédure a permis de démontrer que l'état de conservation des bâtiments était très précaire, ces derniers étant vétustes.

Le conseil administratif de la ville a tout d'abord émis un préavis négatif en date du 5 novembre 2008. Il s'est ravisé environ un an plus tard, émettant un préavis favorable, sans expliquer les raisons de ce revirement. Il a repris les arguments de la CMNS.

En définitive, il résulte des différents documents versés au dossier, ainsi que du transport sur place, que les bâtiments en question sont de facture modeste et n'ont aucune caractéristique architecturale particulière. Certaines boiseries, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, seraient d'origine, sans qu’il soit possible d’en être certain faute de plans ou de photographies de l’époque. Leur mise à l'inventaire se justifierait essentiellement pour des raisons liées à l'histoire de l'urbanisation du quartier. Or, en réalité, lors du morcellement des grandes propriétés des Eaux-Vives, la réalisation des différentes petites unités s'est faite de façon très empirique, sans un véritable plan urbanistique.

En outre, les importantes transformations subies par le quartier ont isolé ces constructions et il convient dès lors de se demander si leur conservation au titre de témoignage historique n'a pas perdu de sa pertinence.

En tout état, la question de savoir si les bâtiments présentent un intérêt au sens de l'art. 4 LPMNS souffre de rester indécise dans la mesure où le recours doit être admis pour un autre motif.

8. a. L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ; pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221 et les arrêts cités ; ATA/427/2010 du 22 juin 2010).

b. En principe, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont d'intérêt public et celui-ci prévaut sur l'intérêt privé lié à une utilisation financière optimale du bâtiment (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 221 ; 120 Ia 270 consid. 6c p. 285 ; 119 Ia 305 consid. 4b p. 309). Tout objet ne méritant pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction de critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.28/2004 précité, consid. 2.2.1)

c. Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 précité, consid. 2.4). Sous ce dernier aspect (principe de proportionnalité au sens étroit), une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si, dans la pesée des intérêts en présence, elle produit des effets insupportables pour le propriétaire. Savoir ce qu'il en est ne dépend pas seulement de l'appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée, mais aussi de son caractère nécessaire : plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte (ATF 118 Ia 384 consid. 5e p. 393).

9. a. Depuis la modification de la LPMNS, entrée en vigueur le 20 octobre 2000, la mise à l'inventaire entraîne l'obligation de maintenir les immeubles et d'en préserver les éléments dignes d'intérêt. L'art. 90 al. 1 LCI, aux termes duquel les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés en cas de rénovation ou de transformation, est applicable par analogie aux travaux exécutés dans ces immeubles (art. 9 al. 1 LPMNS).

b. L'inscription à l'inventaire a une portée de protection réelle, pour des bâtiments dont l'intérêt a été reconnu, mais dont le classement ne se justifie pas, de manière à garantir des immeubles qui méritent d'être maintenus et qui ne sont pas protégés par d'autres mesures (MGC 2000/II, p. 1685ss, 1696).

Une mesure d'inscription à l'inventaire impose aux propriétaires des immeubles visés leur maintien et leur conservation afin d'en préserver les éléments dignes d'intérêt. En l'occurrence, tant le transport sur place que les dossiers photographiques ont démontré que les immeubles nos 4 à 8 de la rue de l'Avenir étaient dans un état de délabrement avancé, contrairement à ce qu'avait allégué le département. Il ressort de l'étude effectuée à la demande des recourants en novembre 2011 que les frais nécessaires à leur mise en conformité avec les normes actuelles ainsi que leur adéquation au confort propre à notre époque atteindraient la somme de CHF 17'350'000.-. Ce montant n'a pas été contesté par le département. De surcroît, les travaux envisagés dans l'étude produite par les recourants permettraient de sauvegarder essentiellement les façades et les structures porteuses, la pente même des escaliers n'étant plus conforme et l'isolation du toit étant inexistante.

Une première étude réalisée en 2010, et produite par les recourants, portant sur un projet de démolition et de reconstruction d'immeubles sur ces parcelles situait le prix de vente de ces dernières entre CHF 4'600'000.- et CHF 5'100'000.-, voire CHF 5'500'000.-.

Certes, plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte mais a contrario, moins un bâtiment est digne d'intérêt, plus les exigences de rentabilité doivent entrer en ligne de compte dans la pesée des intérêts en présence.

10. En l'occurrence, les trois bâtiments sont de facture modeste, ils ne présentent aucun élément architectural digne d'intérêt. De surcroît, l'urbanisation du quartier des Eaux-Vives les a isolés entre des constructions hétéroclites d'un gabarit plus important qui péjore incontestablement la qualité d'habitation de ces immeubles. Ils sont devenus quelque peu incongrus dans le cadre urbanistique qui les entoure. Le montant nécessaire à leur rénovation apparaît astronomique, en totale disproportion avec le résultat qui pourrait être atteint, seule l'enveloppe extérieure pouvant être sauvegardée, en définitive. Il est significatif que le département n'en ait pas contesté l'ampleur, l'état de délabrement avancé des bâtiments étant apparu clairement lors du transport sur place.

Au vu de l'intérêt patrimonial limité des bâtiments et des très importants coûts qui seraient nécessaires à leur réhabilitation, une mise à l'inventaire apparaît disproportionnée.

En conséquence, en faisant primer l'intérêt au maintien de bâtiments vétustes, sans qualités architecturales particulières et nécessitant de forts investissements financiers de la part des copropriétaires, sur l'intérêt de ces derniers à une utilisation financière optimale de ces bâtiments, le département a mésusé de son pouvoir d'appréciation. Le recours doit ainsi être admis.

11. Lors du transport sur place, les représentants de la CMNS ont évoqué la possibilité que les bâtiments sis nos 4-8 rue de l'Avenir soient considérés comme un ensemble au sens de l'art. 89 al. 2 LCI et qu'à ce titre, ils jouissent de la protection conférée par les dispositions visant la protection des ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

Or, la protection conférée par ces dispositions et concrétisée par l'art. 90 al. 1 LCI, applicable également en cas d'inscription à l'inventaire, implique une restriction au droit de propriété, à l'instar des autres mesures de protection du patrimoine. Le raisonnement développé ci-dessus trouve ainsi également application mutatis mutandis.

La chambre de céans a d'ailleurs déjà jugé que même lorsque des immeubles constituaient un ensemble au sens de l'art. 89 al. 2 LCI, s'il était concevable d'imposer à un propriétaire le coût d'une rénovation pour sauvegarder un immeuble d'une valeur architecturale certaine, ou selon les cas, simple témoin d'une époque, une retenue s'imposait lorsqu'il s'agissait d'immeubles sans style ni caractère particulier (ATA/162/1998 du 24 mars 1998).

En l'espèce, au vu de la disproportion entre l'intérêt patrimonial des bâtiments et les frais imposés aux propriétaires pour leur conservation, sans espoir de rentabiliser les travaux entrepris, il apparaît que la protection conférée par les art. 89 ss LCI ne peut ainsi pas être imposée aux propriétaires.

12. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. L'arrêté du 17 janvier 2011 approuvant l'inscription à l'inventaire des bâtiments nos B 218, B 220 et B 222 et des parcelles nos 254, 255 et 256 du cadastre de la commune de Genève, section Eaux-Vives, sera annulé. Une indemnité globale de CHF 3'000.- sera allouée aux recourants, à la charge de l'Etat de Genève. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 février 2011 par Mesdames Monique Beffa et Lucrèce Rebsamen et l'hoirie de Monsieur Henri Beffa, composée de Mesdames Liliane Beffa et Béatrice Beffa-Ramelli ainsi que de Messieurs Daniel, Raphaël et Roberto Beffa ainsi que les héritiers de Monsieur Claude Beffa, soit Madame Mathilde Fontana, Messieurs Maurice, Bernard et Jean-Marc Beffa, Mesdames Claire Falconi, Jeanne Falconi, Marie-Claude Jacquet et Chantal Fortunato contre l'arrêté du département des constructions et des technologies de l'information du 17 janvier 2011 ;

au fond :

l'admet ;

annule l'arrêté du 17 janvier 2011 approuvant l'inscription à l'inventaire des bâtiments nos B 218, B 220 et B 222 et des parcelles nos 254, 255 et 256 du cadastre de la commune de Genève, section Eaux-Vives ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit qu'une indemnité globale de CHF 3'000.- est allouée aux recourants, à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat des recourants, ainsi qu'au département de l'urbanisme.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :