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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1518/2020

ATA/353/2021 du 23.03.2021 ( AMENAG ) , REJETE

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;CONSTRUCTION ET INSTALLATION;PROTECTION DES MONUMENTS
Normes : Cst.26.al1; LAT.14; LAT.17; LAT.21.al2; LaLAT.12.al5; LaLAT.13.al1.letc; LPMNS.1; LPMNS.4; LPMNS.7.al1; LPMNS.10; LPMNS.35; LPMNS.38; LPMNS.39; LPMNS.40
Parties : MOBILIERE SUISSE, SOCIETE D'ASSURANCES SUR LA VIE SA / CONSEIL D'ETAT
Résumé : Examen de la conformité au droit d’arrêtés du Conseil d’État modifiant partiellement le plan de site de la Rade n. 28392G-610 et rejetant une demande d’autorisation de construire un immeuble administratif sur le site de la Rade. Examen complet de l’historique de l’aménagement de la Rade, en particulier des bâtiments de bureaux et de banques et de l’importance de l’écoulement du temps sur le regard porté sur le patrimoine et les critères de sa protection. Recours du requérant de l’autorisation de construire rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1518/2020-AMENAG ATA/353/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mars 2021

 

dans la cause

 

MOBILIÈRE SUISSE, SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SUR LA VIE SA
représentée par Me François Bellanger, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) Mobilière Suisse Société d'Assurances sur la Vie SA (ci-après : La Mobilière) est propriétaire de la parcelle n° 5'911 (ci-après : la parcelle), ainsi que du bâtiment n° H462 (ci-après : le bâtiment) édifié sur celle-ci, sis rue du Rhône 19 en ville de Genève.

La parcelle est intégrée dans le plan de site de la Rade n° 28392G-610, établi le 17 avril 1991 et adopté par le Conseil d'État les 25 novembre 1992 et
4 octobre 1993 (ci-après : le plan de site).

2) Le plan de site a pour but de préserver le site de la Rade et à ce titre le caractère architectural et historique des bâtiments situés à front de quai de la Rade et de places attenantes, ainsi que les autres éléments rattachés aux quais et au plan d'eau, qui méritent protection (art. 1 du règlement du plan de site ; ci-après : le règlement).

Sur le pourtour de la Rade, il recense les immeubles classés, les bâtiments et ensembles maintenus (art. 4 du règlement), les bâtiments avec éléments intéressants (art. 5 du règlement), et les bâtiments d'architecture contemporaine (1945-1970) maintenus (art. 4 du règlement). Les bâtiments ne figurant dans aucune de ces catégories constituent les « autres bâtiments » (art. 6 règlement).

Le bâtiment est classé dans la catégorie des « autres bâtiments ».

3) Le 30 novembre 2016, La Mobilière a sollicité du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu le département du territoire (ci-après : DT), une autorisation préalable de construire sur la parcelle un immeuble administratif en lieu et place du bâtiment actuel, enregistrée sous le n° DP 18'702.

4) Au cours de l'année 2016, d'autres bâtiments appartenant à la même catégorie du plan de site des « autres bâtiments » ont fait l'objet de demandes d'autorisations de démolition et de reconstruction.

5) Le 14 février 2017, appelée à préaviser la demande n° DP 18'702 formée par La Mobilière, la sous-commission d'architecture (ci-après : SCA) de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) a indiqué qu'avant de se prononcer sur la démolition du bâtiment, elle souhaitait que le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) se livre à un recensement des immeubles des années 1950-1960 qui n'avaient pour l'instant pas de protection particulière dans le plan de site de la Rade.

6) Le service de l'inventaire des monuments d'art et d'histoire (ci-après : IMAH) du DT a été chargé de réaliser un travail de documentation scientifique des édifices visés, selon la méthodologie employée pour le recensement cantonal. Chaque bâtiment a fait l'objet d'une fiche propre comportant les étapes de construction, la description de l'immeuble et son évaluation.

7) Le 31 mai 2017, la CMNS, dans sa composition plénière, a approuvé les huit fiches de recensement qui lui avaient été soumises, ainsi que les protections proposées par celles-ci. Ce préavis a été validé par les groupes CMNS 1 et CMNS 2 les 6 et 7 juin 2017.

La parcelle n° 5'911 faisait l'objet de la fiche RAC-VGE-00059, qui proposait son passage en catégorie « bâtiment maintenu ».

L'immeuble avait été édifié à partir de 1955 par l'architecte Luc HERMÈS. Il était établi sur un tronçon de la rue du Rhône conservant encore quelques immeubles de l'Ancien Régime ou du début du XIXème siècle et constituait l'une des premières opérations participant, après-guerre, à la requalification du quartier en une zone commerciale luxueuse et moderne.

Il occupait un îlot situé entre le quai, la place de la Petite-Fusterie et une ruelle, et comptait six étages de bureaux sur un rez-de-chaussée commercial et deux niveaux de sous-sol, le tout étant coiffé par une toiture à croupe percée de très larges lucarnes. La structure en béton armé comprenait six piliers à large section à l'intérieur du plan, complétés par des porteurs disposés en rythme plus serré sur le pourtour. Alors qu'ils étaient cachés par des vitrines commerciales au rez-de-chaussée, c'était aux étages qu'ils étaient affirmés en plein jour sous forme de trumeaux. Les éléments en béton étaient comme gaufrés par une grille métallique appuyée contre les éléments d'angle et dont la trame actuelle accueillait les contrecoeurs et les châssis de fenêtres. Une marquise métallique courait sur les autres façades et abritait les vitrines. Celles-ci se prolongeaient des deux côtés d'un passage public établi entre la rue et le quai, qui donnait aussi accès à l'escalier et aux ascenseurs. Aux étages, le plan était organisé rationnellement, déclinant de manière concentrique d'abord les circulations verticales, les services et les gaines techniques, puis un espace de distribution circulaire et enfin les bureaux individuels.

Inaugurant dans le quartier la série d'immeubles administratifs modernes caractérisés par leur trame régulière, cette position de pionnier éclairait certains choix de Luc HERMÈS en termes volumétriques et d'expression architecturale : optant pour un toit en pente et un épiderme à deux couches superposées, il respectait la volonté des autorités de conserver son homogénéité formelle au quartier, tout en inscrivant plus directement l'oeuvre dans une continuité historique avec son environnement immédiat, qui était alors encore largement composé de maisons anciennes. C'était particulièrement vrai en ce qui concernait l'immeuble remplacé, dont l'image, caractérisée par des chaînes d'angle, des cordons d'étage, une puissante corniche et une toiture à large lucarne (côté lac) semblait avoir été réinterprétée dans une clef moderne. Par ailleurs, il fallait relever qu'a posteriori, la décision s'était révélée judicieuse, puisque l'immeuble formait une heureuse transition, dans la silhouette urbaine, entre les immeubles d'avant-guerre et les édifices ajoutés par la suite, plus radicalement modernes.

La CMNS invitait le SMS à communiquer les valeurs proposées aux requérants des autorisations, à titre d'information et accompagnées de la fiche de recensement, au préalable de la future modification du plan de protection du site de la Rade.

8) Le 17 octobre 2017, la CMNS, suite à sa séance plénière du 31 mai 2017, a préavisé défavorablement la demande préalable n° DP 18'702 formée par La Mobilière.

Plusieurs demandes de transformation ou de démolition de certains bâtiments, dont celui objet de la demande, l'avaient obligée à enclencher une réévaluation de l'ensemble des bâtiments construits autour de la Rade autour des années 1960.

Le bâtiment avait été construit entre 1955 et 1956 par Luc HERMÈS et avait reçu la valeur « intéressant ». En regard de ses qualités architecturales, principalement l'adéquation au site au vu du volume, et l'expressivité du langage des façades, caractéristique de son époque de construction, elle était défavorable à sa démolition. Elle avait décidé de lui accorder une protection supplémentaire dans le plan de site, et l'immeuble était dorénavant considéré comme « maintenu ».

9) Le 21 novembre 2017, La Mobilière s'est plainte au DT d'avoir été invitée à déposer une demande de démolition, contrairement aux engagements donnés auparavant, et l'a sommée de délivrer l'autorisation préalable requise.

Le préavis de la CMNS, contraire au plan de site de 1992, devait être écarté. Les conditions d'une protection du bâtiment n'étaient au surplus pas remplies.

10) Le 4 janvier 2018, le DT, faisant sien le préavis de la CMNS, a refusé de délivrer l'autorisation requise.

Le plan de site était en cours de modification et selon l'art. 13B al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), l'autorisation pouvait être refusée lorsque l'adoption, la modification ou l'abrogation d'un plan d'affectation du sol paraissait nécessaire, afin de prévenir une construction qui pourrait compromettre ces objectifs d'urbanisme ou de réalisation d'équipements publics.

11) L'inventaire demandé le 14 février 2017 et entrepris en juin 2017 s'est étendu à tous les immeubles du plan de site appartenant à la catégorie « autres bâtiments ». Il s'est achevé en décembre 2017, et une valeur patrimoniale a été attribuée à une trentaine de bâtiments jusqu'alors non-maintenus.

12) Les préconisations ont été soumises à la CMNS, et celle-ci les a approuvées le 28 mars 2018.

13) Le DT a alors élaboré un projet de modification partielle du plan de site n° 28392G-610, avec l'objectif d'y intégrer les bâtiments classés jusque-là dans les « autres bâtiments » mais réévalués comme « intéressants » voire « exceptionnels ».

14) Le 15 janvier 2019, la CMNS a approuvé le projet de modification, à l'exception de l'extension de l'hôtel Président Wilson, qui ne devait pas être représentée comme nouveau bâtiment maintenu.

Certains des édifices faisaient partie du courant dit post-moderne, lequel, après une phase d'engouement puis de rejet, faisait l'objet d'une appréciation plus objective. Des bâtiments ayant été conçus par des architectes reconnus comme des figures majeurs de l'architecture à Genève, avaient eux aussi été considérés comme dignes de protection.

15) Le projet de plan de site a fait l'objet d'une enquête publique n° 1946 du 8 avril au 8 mai 2019.

16) Le 13 novembre 2019, le conseil municipal de la Ville de Genève a voté un préavis favorable au projet de modification.

17) La procédure d'opposition a été ouverte par le DT du 19 décembre 2019 au 2 février 2020.

18) Le 30 janvier 2020, La Mobilière a formé opposition auprès du Conseil d'État contre le projet de modification.

Le bâtiment n° H462 avait été jugé sans intérêt trente ans auparavant. Il ne présentait pas de caractéristiques spécifiques justifiant sa protection. Il ne constituait pas une tête de série, soit le premier exemplaire d'un type particulier. Il n'était pas un exemplaire unique de l'architecture des années 1950, et n'était donc pas rare. Il ne possédait pas de qualités intrinsèques. Il n'était associé à aucun personnage ou événement historique. Il ne présentait aucun lien avec un
savoir-faire particulier. En toute hypothèse, des travaux importants avaient modifié sa façade en 1980. L'immeuble était obsolète, son maintien entraînerait des coûts exorbitants pour un résultat insatisfaisant en termes d'aménagement et de bilan énergétique, et porterait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété.

19) Le 14 février 2020, La Mobilière a déposé une demande d'autorisation définitive de construire portant sur la transformation et la rénovation d'un immeuble administratif et l'aménagement d'un logement en attique pour le bâtiment n° H462, laquelle a été enregistrée sous le n° DD 113'390.

20) Le 16 juin 2020, la CMNS a préavisé la modification du projet.

Plusieurs consultations avaient eu lieu entre les architectes et le SMS. Le remplacement de la toiture à quatre pans par deux étages en attique devait s'inscrire dans le gabarit d'origine de la toiture et en aucun cas n'être en saillie de celui-ci, de sorte que les deux étages devaient être modifiés pour diminuer leur emprise. Le passage ouvert au public du rez-de-chaussée devait être maintenu. Il fallait revenir à l'image d'origine de la façade, avec une partie fixe et un ouvrant.

21) Par deux arrêtés séparés du 27 avril 2020, le Conseil d'État a approuvé le plan de site n° 30158-610 modifiant partiellement le plan de site de la Rade n° 28392G, et a rejeté l'opposition formée par La Mobilière.

Une fiche de recensement de la Rade validée par la CMNS le 31 mai 2017 avait attribué la valeur « intéressant » à l'immeuble. La protection de l'immeuble répondait à un intérêt public suffisant. Sans constituer un objet unique, exceptionnel, ou relié à un événement ou un personnage historiques, l'immeuble était l'expression architecturale d'une période d'après-guerre marquant la transition entre les maisons anciennes et l'apparition des immeubles plus modernes et luxueux, principalement destinés à l'activité tertiaire.

Les travaux de rénovation subis, comme d'autres immeubles de l'époque, constituaient autant de strates historiques témoignant de l'évolution des besoins, des perceptions ou des tendances, et n'avaient qu'une incidence relative sur la valeur patrimoniale du bâtiment, qui avait conservé sa substance d'origine.

L'opposante n'expliquait pas en quoi les contraintes de protection empêcheraient les travaux d'adaptation aux normes énergétiques. Des solutions alternatives pourraient cas échéant être examinées par les spécialistes de la protection du patrimoine, dans l'objectif de maintien de la substance patrimoniale de l'immeuble et de sa valeur dans le quartier.

22) Par acte remis à la poste le 28 mai 2020, La Mobilière a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ces arrêtés, concluant à leur annulation. Préalablement, un transport sur place devait être ordonné.

Le bâtiment ne figurait pas au recensement architectural du canton et n'était pas inscrit à l'inventaire fédéral. Il ne faisait pas l'objet de publications spécialisées récentes, contrairement à d'autres bâtiments du secteur.

Comme le révélait une analyse historique produite avec le recours, le caractère authentique et d'origine du bâtiment n'était plus apparent en raison des transformations successives subies par le bâtiment, en particulier l'importante rénovation réalisée entre 1984 et 1986 par l'architecte Alain HERMÈS. Les façades avaient été plaquées d'un maillage de profilés en tôle d'aluminium typique des années 1980, dont les diverses profondeurs des éléments métalliques accentuaient le relief des façades, ce qui constituait un changement radical de l'enveloppe, qui passait d'une bichromie minérale entre pierre et béton à une polychromie minéral-métal. Le bâtiment ne présentait pas les qualités actuellement attendues d'un immeuble de bureaux. Il constituait un gouffre énergétique. Le coût d'une transformation serait très élevé, sans remédier aux défauts structurels.

Le plan de site n'avait vocation qu'à préserver un site. La motivation de la protection du bâtiment était toute générale et insuffisante. Celui-ci ne présentait pas d'intérêt spécifique, il avait subi d'importants travaux, et sa protection violait l'art. 38 al. 1 let a de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05).

La protection violait également la garantie de la propriété. Elle ne poursuivait pas un intérêt public. Les arguments ayant conduit l'autorité à attribuer la valeur « intéressant » n'avaient pas été exposés. La parcelle était comprise en zone I, affectée notamment aux activités du commerce et du secteur tertiaire. Les contraintes liées à la transformation rendraient celle-ci très coûteuse, et rendraient difficile l'utilisation du bâtiment pour des bureaux.

La mesure était disproportionnée. Les arrêtés produisaient des effets insupportables, en rendant la rénovation et l'exploitation du bâtiment très difficile. Le sacrifice financier extrêmement lourd qu'ils imposaient était dans un rapport déraisonnable avec un éventuel intérêt public à la protection de l'immeuble. L'intérêt public à la réduction de la consommation énergétique ne pourrait être atteint.

Son droit d'être entendue avait été violé. Le Conseil d'État n'avait pas motivé suffisamment la décision de protection. En particulier il ne lui avait pas transmis les éléments détaillés lui permettant de comprendre quel intérêt spécifique du point de vue architectural était reconnu au bâtiment, ce qui lui aurait permis de se déterminer.

Les arrêts violaient enfin la force obligatoire de la planification directrice, le plan directeur cantonal 2030 (ci-après : PDCn 2030) ne prévoyant aucune autre mesure de protection particulière que l'intégration dans le plan de site de la parcelle et du bâtiment. Vu le silence du PDCn 2030, les arrêtés violaient l'art. 9 al. 1 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) et l'art. 11 LaLAT. La planification directrice prévoyait par ailleurs des quartiers durables assurant notamment de bonnes conditions environnementales.

Était annexée au recours une analyse historique de l'immeuble sur la période 1837-2018 réalisée par les architectes de la recourante et datée du 5 juin 2018.

23) Le 20 juillet 2020, le DT a conclu au rejet du recours.

Le droit d'être entendue de la recourante n'avait pas été violé. Celle-ci n'avait pas formulé d'observations lors de l'enquête publique. Elle avait toutefois formé opposition, sur laquelle il avait été statué. Le rejet se référait expressément à la fiche ad hoc du recensement et évoquait de manière précise les caractéristiques saillantes du bâtiment lui conférant sa valeur patrimoniale, ce qui était suffisant pour appréhender l'intérêt du bâtiment.

Les demandes d'autorisations de travaux déposées en 2016 avaient rendu nécessaire une nouvelle évaluation historique et architecturale des bâtiments, laquelle avait été conduite en 2017. Les motifs à l'appui du changement de statut de l'immeuble avaient été exposés par la fiche et validés par la CMNS. L'inscription à l'inventaire ou le classement n'étaient pas des mesures préalables et indispensables à la préservation d'un bâtiment au moyen d'un plan de site. Le plan de site permettait la préservation d'un plus grand nombre d'éléments dignes d'intérêt du patrimoine, soit comme en l'espèce la préservation d'un ensemble bâti et de son environnement. Dès 1992, l'objectif de l'autorité était de privilégier une protection pérenne des immeubles via l'adoption d'un plan de site plutôt que par le biais d'inscriptions à l'inventaire ou de classements. Cela étant l'opportunité des mesures d'aménagement était soustraite au contrôle judiciaire.

L'existence de publications au sujet d'un immeuble n'était qu'un critère parmi d'autres, non prépondérant. La plupart des immeubles maintenus dans le plan de site n'étaient ni cités ni identifiés dans les ouvrages spécialisés, ce qui n'avait jamais constitué une cause d'invalidation d'un plan de site.

Une mesure de protection pouvait intervenir justement lorsque le propriétaire prenait des dispositions susceptibles de porter atteinte à la substance patrimoniale d'un bâtiment.

Le recul historique constituait un élément essentiel et indissociable du travail de recensement et d'évaluation des valeurs d'un site ou d'un immeuble. Il justifiait la mise à jour des valeurs du recensement architectural cantonal établi dans les années 1970-1980. L'immeuble « Clarté » dû au CORBUSIER avait été classé plus de cinquante ans après sa construction, après avoir été sauvé in extremis de la démolition.

La mesure de protection ne visait pas que le bâtiment, mais l'ensemble dans lequel il s'insérait. Celui-ci n'était pas une oeuvre majeure ni un exemplaire unique, mais possédait des caractéristiques en lien avec le contexte de sa conception et le site dans lequel il s'inscrivait qui avaient, pris dans leur ensemble, conduit les experts à préconiser sa préservation comme témoins de l'architecture bancaire d'après-guerre.

Les travaux de rénovation et de transformation n'étaient pas insolites, n'avaient pas privé le bâtiment de sa substance, et une note d'un historien de l'architecture critiquait le rapport d'analyse produit par la recourante.

L'intérêt public à la protection du bâtiment l'emportait sur l'intérêt privé de la recourante, et celle-ci ne démontrait pas que la rénovation serait excessivement dispendieuse. Des solutions techniques existaient pour améliorer les bilans environnementaux et répondre aux exigences relatives à l'installation de bureaux. La recourante avait d'ailleurs déposé une autorisation pour des travaux de transformation. Le fait que l'immeuble ne présentait pas toutes les qualités et la rentabilité exigées par la propriétaire ne pouvait justifier sa démolition.

Enfin, en déclarant le bâtiment maintenu, le plan de site était conforme au PDCn 2030, et à ses fiches n° A01 relative à la densification ponctuelle du centre urbain et n° A15 relative à la protection du patrimoine, et notamment la carte n° 5 identifiant le secteur dans lequel se trouvait le bâtiment au nombre des secteurs protégés.

Était annexée une note de service établie par Monsieur David RIPOLL, historien de l'architecture, et portant la date du 29 juin 2020.

24) Le 9 novembre 2020, un transport sur place a eu lieu, en présence des parties.

M. RIPOLL a exposé l'historique de l'aménagement de la Rade depuis 1830. Après la seconde guerre mondiale et durant les « trente glorieuses », s'était développée la construction de bâtiments de bureaux et de banques, caractérisée par le même style architectural moderniste, appelé classicisme structurel, très connu en France et importé en Suisse, et caractérisé par la mise en évidence de la structure, plus exactement de la trame orthogonale, qui se voit en façade et exprime la structure du bâtiment. Le bâtiment dessiné par Luc HERMÈS avait le même gabarit, le même aspect de la toiture et le même volume général que le bâtiment préexistant. Le mouvement post-moderniste apparu dans les années 1980 s'exprimera lors de la rénovation par l'usage d'aluminium éloxé bronze pour rehausser la trame de la façade par capotage, avec l'effet d'augmenter le volume de la structure. L'immeuble incarnait trois périodes : le premier immeuble, dont il avait repris le gabarit et la forme générale de la toiture ; l'immeuble construit en 1955 par Luc HERMÈS, dont la structure et en particulier la grille exprimée en façade avait été conservée ; enfin, la transformation opérée dans les années 1980, avec l'objectif d'exprimer une certaine opulence et marquer la destination du bâtiment. L'architecte de 1955 avait rappelé le traitement horizontal de la façade du bâtiment précédent, qui faisait face au quai des Bergues, et comprenait un traitement par corniches horizontales de la façade.

Monsieur Jean-Frédéric LUSCHER, directeur délégué du patrimoine dans les projets d'aménagement du territoire au DT, a exposé qu'il y avait eu une douzaine de demandes d'autorisation, parmi lesquelles des demandes de démolition-reconstruction à la place Longemalle 10, 12 et 14 et à la place
Bel-Air 1. Le recensement avait été étendu à toute la Rade. Une septantaine de bâtiments avaient été examinés et une trentaine retenus comme intéressants et dignes d'être maintenus.

Par la voix de son conseil, la recourante a exposé que l'immeuble était arrivé au terme d'un cycle de vie. Sa rénovation ne permettrait pas d'arriver à un résultat correct, en particulier sous l'angle des critères environnementaux et d'isolation.

Monsieur Donato PINTO, architecte de la recourante, a exposé que l'immeuble était une « vraie passoire énergétique ». Le capotage de la trame ne comportait nulle part une isolation, et les contrecoeurs des fenêtres comportaient une petite isolation de 2-3 cm. Le DT avait laissé entendre que la demande de démolition reconstruction de 2016 serait possible. Après le refus, son bureau s'était attelé à un projet de transformation, et il examinait les exigences de la CMNS. Le capotage horizontal avait permis de loger la machinerie des stores en façade. Une première solution, consistant en un vitrage uniforme polarisant et isolant disposé du rez au plafond, n'avait pas été agréée, et d'autres solutions étaient à l'étude. Le choix d'un toit plat était justifié par symétrie avec l'immeuble voisin qui possédait également un attique en retrait.

Monsieur Jean-Frédéric LUSCHER, directeur délégué du patrimoine dans les projets d'aménagement du territoire au DT, a expliqué que l'élargissement des angles de l'attique ne serait pas possible selon l'art. 7 al. 1 du plan de site, et ne pourrait être autorisé par le DT, car il créerait un étage supplémentaire, comme sur le bâtiment voisin, ce que le règlement du plan défendait. S'agissant de la rénovation énergétique, ce n'était pas un exploit qui était demandé à la recourante, mais l'application de procédés et techniques bien connus, par ailleurs appliqués à tous les autres immeubles de la même époque méritant d'être maintenus.

M. PINTO a évoqué la compensation de la perte d'espace entraînée par l'extension de l'escalier et la création d'un puis de lumière par un léger élargissement du gabarit.

Madame Laurence HUMBERT, juriste au DT, a indiqué que la recourante n'avait pas encore repris contact pour reprendre les négociations.

Par la voix de son conseil, la recourante a considéré que le DT adoptait une position de blocage qui rendait difficile l'évolution de la situation, rendait le projet impossible et aboutirait à un bâtiment bâtard.

M. LUSCHER a objecté que la CMNS avait considéré que le gabarit avait une valeur déterminante, de sorte que tout projet respectant le gabarit ainsi que la façade était envisageable et pouvait être trouvé de manière optimale.

À l'intérieur du bâtiment, M. PINTO a fait observer que la hauteur du vide d'étage, de la chape au faux-plafond, était de 2.55 m.

Monsieur Bruno DUARTE, architecte de la recourante, a indiqué qu'une expertise statique avait montré qu'au niveau des dalles, les normes en matière de résistance à la charge n'étaient plus respectées, et que la conservation du bâtiment entraînerait la nécessité de faire des travaux de renforcement. Le bâtiment ne répondait par ailleurs pas aux normes antisismiques et nécessiterait des travaux de renforcement au rez-de-chaussée.

Les participants ont examiné la place prise par la mécanique des stores, l'état de la dalle sous les faux-plafonds, un canal électrique au sol, profond de
4 cm et traversant l'immeuble de part en part, le passage haut de 3 cm possible au plafond, et ont visité l'attique du bâtiment montrant clairement l'inclinaison du plafond mansardé, et observé depuis la terrasse l'attique du bâtiment voisin, droit.

M. DUARTE a encore indiqué que la hauteur sous plafond serait réduite s'il fallait rénover en respectant le gabarit et la forme de la toiture actuelle, car la dalle devrait être remplacée et munie de portants métalliques.

25) Le 12 janvier 2021, la recourante a fait parvenir ses observations finales.

Le DT n'avait toujours pas expliqué si l'immeuble devait être protégé pour lui-même ou comme partie d'un ensemble. Or, l'intérêt à la protection de l'immeuble n'était pas établi. Les fiches de recensement n'avaient aucune valeur légale. Le caractère intéressant ne s'opposait pas à la démolition si un reportage photographique était établi au titre des archives. La mesure de protection devait être légitime également du point de vue du public. Or, la valeur générale faisait défaut. La fiche de recensement ne traitait pas des qualités du bâtiment actuel. Le DT valorisait à la fois le retour à la façade de 1955 et le lien entre la façade actuelle et celle de la banque cantonale de Genève. Un nouveau bâtiment respecterait le gabarit originel, pourrait interpréter de manière moderne le bâtiment qui avait précédé celui de 1955, et serait plus respectueux de l'environnement.

26) Le 12 janvier 2021, le DT a également fait parvenir ses observations finales.

Le transport sur place avait permis de démontrer définitivement les qualités du bâtiment justifiant son maintien au moyen du plan litigieux, tant pour
lui-même que par son insertion dans le site de la Rade. Ses éléments caractéristiques et sa substance avaient été conservés malgré les travaux des années 1980. L'immeuble, qui incarnait trois périodes de l'histoire de l'aménagement de la Rade, ne pouvait être rattaché au seul courant post-moderne. Le plan de site ne visait d'ailleurs pas les seuls immeubles issus de ce courant, mais également des bâtiments plus anciens. La protection ne tendait pas à la conservation du seul gabarit, mais de l'ensemble des caractéristiques de l'immeuble. La recourante alléguait, sans le prouver, que la conservation rendrait la location du bien plus difficile et que les coûts de la transformation seraient plus élevés que ceux de la démolition-reconstruction. L'atteinte au droit de propriété était dans un rapport raisonnable avec le but d'intérêt public poursuivi. Pour le surplus, la requête d'autorisation en vue de transformation était correctement instruite.

27) Le 15 janvier 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

Il sera revenu sur leurs arguments en tant que de besoin dans la partie en droit.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit des arrêtés du 27 avril 2020 modifiant le plan de site et rejetant l'opposition de la recourante en ce qu'ils attribuent à son immeuble la valeur « intéressant ».

3) La recourante se plaint de la violation de son droit d'être entendue, faute pour les arrêtés querellés d'être suffisamment motivés.

a. Le droit d'être entendu comprend, notamment pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Il suffit toutefois que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 138 I 232 consid. 5.1; 137 II 266 consid. 3.2; 136  I 229 consid. 5.2). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêts du Tribunal fédéral 6B_970/2013 du 24  juin 2014 consid. 3.1 et 6B_1193/2013 du 11 février 2014 consid. 1.2).

b. En l'espèce, les arrêtés attaqués ont repris les griefs soulevés par la recourante dans son opposition, qu'ils ont réfutés. S'agissant des qualités du bâtiment, ils ont rappelé les constats opérés par la fiche de recensement pour souligner, en détail, la valeur tant individuelle que d'ensemble (arrêté, consid. 2.3, pp. 4-5).

Il ressort de son courrier du 21 novembre 2017 que la recourante connaissait déjà la valeur accordée par la CMNS à la façade. Celle-ci avait été évoquée dans la fiche de recensement du 31 mai 2017 ainsi que dans le préavis de la séance plénière de la CMNS du même jour qui approuvait les premières fiches et s'y référait. Le préavis mentionnait qu'en regard de ses qualités architecturales, principalement l'adéquation au site du volume, et l'expressivité du langage des façades, caractéristique de son époque de construction, la CMNS était défavorable à sa démolition. La fiche de recensement, pour autant qu'elle n'avait pas été remise à la recourante, lui était accessible dans le dossier auprès du DT.

La motivation de la décision était ainsi suffisamment développée. Elle était suffisamment connue de la recourante pour que celle-ci puisse s'y opposer dans un premier temps, puis former un recours étayé et argumenté dans un second temps, ce qui montrait qu'elle connaissait bien la motivation des arrêtés.

Le grief sera écarté.

4) L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ; pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit reposer sur une base légale - une loi au sens formel si la restriction est grave -, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a et les arrêts cités).

5) a. En droit fédéral, les plans d'affectation règlent le mode d'utilisation du sol. Ils délimitent en premier lieu les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger (art. 14 LAT). Les zones à protéger comprennent notamment les cours d'eau, les lacs et leurs rives (art. 17 al. let a LAT), les paysages d'une beauté particulière, d'un grand intérêt pour les sciences naturelles ou d'une grande valeur en tant qu'éléments du patrimoine culturel (art. 17 al. 1 let. b LAT) et les localités typiques, les lieux historiques, les monuments naturels ou culturels (art. 17 al. 1 let. c LAT). Lorsque les circonstances se sont sensiblement modifiées, les plans d'affectation font l'objet des adaptations nécessaires (art. 21 al. 2 LAT).

b. En droit genevois, les plans de zone, qui sont des plans d'affectation du sol, comprennent les zones protégées, qui constituent des périmètres délimités à l'intérieur d'une zone à bâtir ordinaire ou de développement et qui ont pour but la protection de l'aménagement et du caractère architectural des quartiers et localités considérés (art. 12 al. 5 LALAT).

Les plans de site de la LPMNS constituent des plans d'affectation spéciaux précisant l'affectation et le régime d'aménagement des terrains compris à l'intérieur d'une ou plusieurs zones (art. 13 al. 1 let c LALAT). Ils déploient des effets contraignants pour les particuliers (Thierry TANQUEREL, La participation de la population à l'aménagement du territoire, 1988, pp. 259 et 260).

c. La LPMNS a pour but de conserver les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture, les antiquités immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton ainsi que le patrimoine souterrain hérité des anciennes fortifications de Genève (art. 1 let. a), de préserver l'aspect caractéristique du paysage et des localités, les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (art. 1 let. b), d'assurer la sauvegarde de la nature, en ménageant l'espace vital nécessaire à la flore et à la faune, et en maintenant les milieux naturels (art. 1 let. c), de favoriser l'accès du public à un site ou à son point de vue (art. 1 let. d), d'encourager toutes mesures éducatives et de soutenir les efforts entrepris en faveur de la protection des monuments, de la nature et des sites (art. 1 let. e) et d'encourager les économies d'énergie et la production d'énergies renouvelables lors de la rénovation d'immeubles au bénéfice d'une mesure de protection patrimoniale (art. 1 let. f).

La LPMNS poursuit la protection générale des monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et des antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets et leurs abords (art. 4 let. a), et des immeubles et des sites dignes d'intérêt, ainsi que des beautés naturelles (art. 4 let. b).

S'agissant des bâtiments, elle prévoit l'établissement d'un inventaire de tous les immeubles dignes d'être protégés au sens de l'art. 4 (art. 7 al. 1), ainsi que la possibilité pour le Conseil d'État d'ordonner la classement d'un monument ou d'une antiquité (art. 10).

S'agissant de la nature et des sites, elle prévoit la protection des sites et paysages, espèces végétales et minéraux qui présentent un intérêt biologique, scientifique, historique, esthétique ou éducatif (art. 35 al. 1), soit notamment des paysages caractéristiques, tels que rives, coteaux, points de vue (art. 35 al. 2 let. a) et ensembles bâtis qui méritent d'être protégés pour eux-mêmes ou en raison de leur situation privilégiée (art. 35 al. 2 let. b), sous réserve des dispositions de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) sur les zones protégées.

d. En ce qui concerne les sites, l'art. 38 LPMNS permet au Conseil d'État d'édicter les dispositions nécessaires à l'aménagement ou à la conservation d'un site protégé par l'approbation d'un plan de site assorti, le cas échéant, d'un règlement (al. 1). Les plans et règlements déterminent notamment les mesures propres à assurer la sauvegarde ou l'amélioration des lieux, telles que : maintien de bâtiments existants, alignement aux abords de lisières de bois et forêts ou de cours d'eau ; angles de vue, arborisation (al. 2 let. a), les conditions relatives aux constructions, installations et exploitations de toute nature (implantation, gabarit, volume, aspect, destination - al. 2 let. b) et les cheminements ouverts au public ainsi que les voies d'accès à un site ou à un point de vue (al. 2 let. c).  À défaut d'autres règles fixées dans le plan de site ou son règlement, les art. 90, al. 1, et 93, al. 1, 2 et 4 LCI sont applicables par analogie aux travaux exécutés dans les immeubles déclarés maintenus, sous réserve des cas d'intérêt public (al. 3). Les immeubles maintenus au sens de l'al. 2, let. a, ne peuvent, sans l'autorisation du Conseil d'État, être démolis, transformés ou faire l'objet de réparations importantes (al. 4).

Le projet de plan de site est élaboré par le DT, qui peut en prendre l'initiative, en collaboration avec la commune et la CMNS (art. 39 LPMNS). Il est soumis à une enquête publique d'au moins trente jours annoncée publiquement, au terme de laquelle le DT établit et publie un projet de décision, à laquelle toute personne, organisation ou autorité disposant de la qualité pour recourir peut faire opposition. Le Conseil d'État statue sur les oppositions, modifie cas échéant et adopte le plan de site. Si l'opposition émane d'une commune, le Grand Conseil est appelé à statuer sous forme de résolution. Le recours contre l'adoption du plan est régi par l'art. 36 LaLAT (art. 40 al. 1 à 9 LPMNS).

Le plan fait l'objet d'un réexamen périodique. Sous réserve d'éléments d'ordre secondaire, pour lesquels une nouvelle enquête publique n'est pas nécessaire, sa modification ou son abrogation est soumise à la même procédure (art. 40 al. 10 LPMNS).

e. Le règlement relatif au plan de site de la Rade adopté le 4 octobre 1993 a pour but de préserver le site de la Rade et, à ce titre, le caractère architectural et historique des bâtiments et ensembles situés à front de quai de la Rade et des places attenantes, ainsi que les autres éléments rattachés aux quais et au plan d'eau qui méritent protection (art. 1). En règle générale, le caractère du site doit être préservé, notamment l'implantation des constructions (art. 3 al. 1). L'architecture, les matériaux et teintes des constructions doivent respecter le caractère historique du quartier (art. 3 al. 2). Le plan désigne les bâtiments maintenus en raison de leur intérêt architectural et historique ou de leur appartenance à un ensemble au sens des art. 80 et 90 LCI ; il désigne également les bâtiments d'architecture contemporaine qui présentent un intérêt particulier (art. 4 al. 1). En cas de rénovation ou de transformation de ces bâtiments maintenus, les structures porteuses, de même que, en règle générale, les éléments architecturaux caractéristiques, notamment les verrières, les décors intérieurs et extérieurs, les terrasses entre les bâtiments et la rue, doivent être sauvegardés (art. 4 al. 2). Pour les bâtiments maintenus, le gabarit de hauteur d'un bâtiment transformé ne peut excéder la hauteur du bâtiment existant. L'aménagement de locaux d'habitation dans les combles est possible dans la mesure où il n'est pas porté atteinte au caractère architectural des bâtiments, mais n'est pas admis dans les combles surmontant les étages à la Mansart (art. 7 al. 1).

6) La protection par le plan de site est plus large et plus souple que le classement ou l'inscription à l'inventaire. Dans le cadre de la première LPMNS, du 19 juin 1920, le classement constituait la seule mesure de droit public à la disposition des autorités pour assurer la conservation des bâtiments dignes de protection. Généralement, cette mesure ne pouvait concerner qu'un seul bâtiment à la fois ou une partie d'un bâtiment. Le législateur a toutefois expressément pris le parti de protéger légalement des biens patrimoniaux appréhendés plus largement. Cette option a été explicitement motivée comme suit dans l'exposé des motifs à l'appui du projet de la nouvelle LPMNS, du 4 juin 1976 : « Au fil du temps, le cercle des biens dignes de protection et dont la sauvegarde revêt un caractère croissant d'intérêt général s'est considérablement élargi pour s'étendre à de nouvelles composantes du patrimoine commun que menacent ou détruisent les nuisances de notre société [...] Ce phénomène est particulièrement sensible dans notre canton, dont le territoire fort exigu abrite une agglomération en expansion. Partout, en Europe et ailleurs, ces questions préoccupent les autorités chargées de l'aménagement du territoire [...] Dans le cadre genevois beaucoup plus modeste, il convient de protéger particulièrement certains lieux : monuments, ensembles bâtis ou naturels, paysages particulièrement remarquables, etc., et d'en ouvrir - si possible - l'accès à la population soucieuse de sauvegarder son patrimoine culturel et de jouir d'un constat paisible avec la nature » (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1974, p. 3244).

Le rapport de la commission du Grand Conseil chargée d'examiner le projet de loi qui a donné lieu à l'adoption de la LPMNS du 4 juin 1976, précise que la commission « a voulu introduire la possibilité de protéger des ensembles bâtis, notamment dans le cadre des dispositions sur les sites. Les art. 32 à 35 ont été modifiés dans ce sens. Il semble, en effet, plus judicieux de traiter des ensembles bâtis sous le régime du plan de site que sous celui du classement » (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1976, p. 1906).

Le terme « notamment » utilisé à l'art. 35 al. 2 LPMNS indique que la notion de « site » doit être comprise largement. Le législateur a refusé de circonscrire la notion de site à celle correspondant au sens courant de ce terme, mais a étendu cette notion en y englobant d'autres objets à protéger, parmi lesquels peuvent être inclus les constructions de quartiers, le tissu urbain dans lequel elles s'inscrivent et la végétation qui les englobe (ATA/784/2016 du 20 septembre 2016 consid. 5b).

Le Tribunal fédéral a relevé que dans la pratique genevoise, l'instrument du plan de site était large, et avait été utilisé pour la protection de périmètres ou d'objets assez divers et ne présentant pas nécessairement une homogénéité architecturale ou historique. Tel était le cas de la Rade de Genève, du centre de la ville de Carouge ainsi que des villages au caractère typique comme Hermance ou Dardagny. Il a même admis que des quartiers comme la Roseraie ou Beau-Séjour - contenant des éléments disparates, comme des établissements hospitaliers, des groupes de villas, des bâtiments de grand gabarit et des constructions isolées -constituaient un site (arrêt du Tribunal fédéral 1P.44/2004 du 12 octobre 2004 consid. 2.1.3, faisant suite à l'ATA/884/2003 du 2 décembre 2003 consid. 4).

La légalité de l'adoption de plans de site poursuivant des objectifs de protection diversifiés a été confirmée tant par le Tribunal fédéral que par la chambre de céans (arrêt du Tribunal fédéral 1P.801/99 du 16 mars 2002 ; SJ 1995 p. 87 ; ATA/884/2003 du 2 décembre 2003). Le Tribunal fédéral a par exemple admis que la présence d'hôtels pouvait constituer une caractéristique du site de la Rade à protéger (arrêt du Tribunal fédéral 1P.28/1993 du 6 mai 1998 consid. 7 = SJ 1995 89-90).

7) D'après la jurisprudence, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont en principe d'intérêt public (ATF 126 I 219 consid. 2c ; 119 Ia 305 consid. 4b et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.28/2004 du 12 octobre 2004 consid. 2.2.1). L'art. 4
let. a LPMNS, en tant qu'il prévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des oeuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (cf. notamment : Philip VOGEL, La protection des monuments historiques, thèse Lausanne 1982 p. 25) ; la jurisprudence a déjà pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2e ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006). Alors qu'à l'origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elle s'est peu à peu étendue à des immeubles et objets plus modestes, que l'on a qualifié de patrimoine dit « mineur », caractéristique de la campagne genevoise, pour enfin s'ouvrir sur une prise de conscience de l'importance du patrimoine hérité du XIXème siècle et de la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/643/2013 du
1er octobre 2013 ; ATA/105/2006 du 7 mars 2006 ; ATA/89/2000 du 8 février 2000). Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction de critères objectifs ou scientifiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a).

8) L'appréciation de la valeur d'un objet ou d'un site à protéger peut évoluer avec le temps et entraîner la modification de la protection. Le classement d'un bâtiment peut être modifié ou abrogé pour des motifs prépondérants d'intérêt public ou si l'immeuble qu'il protège ne présente plus d'intérêt (art. 18
al. 1 LPMNS). Le plan de site fait l'objet d'un réexamen périodique (art. 40
al. 10 LPMNS).

Au sujet des monuments, la jurisprudence a retenu que l'art. 4
let. a LPMNS, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des oeuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (Philip VOGEL, op. cit. p. 25) ; la jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du
3 février 2012 consid. 5.1.1). Alors qu'à l'origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elles se sont peu à peu étendues à des immeubles et objets plus modestes, que l'on a qualifié de patrimoine dit « mineur », caractéristique de la campagne genevoise, pour enfin s'ouvrir sur une prise de conscience de l'importance du patrimoine hérité du XIXème siècle et la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/721/2012 du 30 décembre 2012 consid. 4b). Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/428/2010 du 22 juin 2010 et les références citées).

La chambre de céans a pu juger à propos d'un monument au sens de la LPMNS qu'il appartient aux historiens, historiens de l'art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le bâtiment le rendent digne de protection, d'après leurs connaissances et leur spécialité. À ce titre, il suffit qu'au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l'abstrait. Toutefois, un édifice peut également devenir significatif du fait de l'évolution de la situation et d'une rareté qu'il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s'en écarter (ATA/1214/2015 précité consid. 4b ; Philip VOGEL, op. cit., p. 24 et les références citées).

Le Tribunal fédéral a admis l'assujettissement aux normes de protection d'un bâtiment jugé intéressant par une étude avalisée par la commission spécialisée car celui-ci présentait une valeur d'ensemble découlant de ses rapports, tant sur le plan spatial que sur celui de l'organisation de sa distribution intérieure avec les autres bâtiments situés dans le périmètre protégé (arrêt du Tribunal fédéral 1C_57/2008 du 19 mars 2009 consid. 4.2.2).

9) La CMNS est une commission consultative. Elle donne son préavis sur tous les objets qui, en raison de la matière, sont de son ressort (art. 47 al. 1 LPMNS). Elle peut proposer toutes mesures propres à concourir aux buts de la présente loi (art. 47 al. 2 LPMNS). Elle donne notamment son préavis sur les projets de plans de site établis par l'un des départements compétents (art. 5 al. 2 let. k du règlement d'exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 - RPMNS - L 4 05.01) ainsi que sur tout projet de travaux concernant un immeuble situé dans le périmètre d'un plan de site (art. 5
al. 2 let. l RPMNS).

L'autorité jouit, sous réserve d'excès ou d'abus de pouvoir, d'une certaine liberté d'appréciation dans les suites à donner dans un cas d'espèce, quel que soit le contenu du préavis, celui-ci n'ayant qu'un caractère consultatif (ATA/1024/2019 précité consid. 3d ; ATA/721/2012 du 30 décembre 2012 consid. 5).

Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, en fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/1068/2016 du 20 décembre 2016 consid. 6b et les références citées ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 508 p. 176 et la jurisprudence citée).

Les autorités de recours se limitent le cas échéant à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/434/2018 du 8 mai 2018 consid. 6f ; ATA/1214/2015 du 10 novembre 2015 consid. 4f ; ATA/126/2013 du 26 février 2013 consid. 9b).

La chambre de céans est en revanche libre d'exercer son propre pouvoir d'examen lorsqu'elle procède elle-même à des mesures d'instruction, à l'instar d'un transport sur place (ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 4c et les références citées).

Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA/1214/2015 précité ; ATA/126/2013 précité). En outre, la CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d'associations d'importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMN). À ce titre, son préavis est important (ATA/1024/2019 précité consid. 4d ; ATA/1214/2015 précité).

10) Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public
(ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 et les arrêts cités).

En principe, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont d'intérêt public et celui-ci prévaut sur l'intérêt privé lié à une utilisation financière optimale du bâtiment (ATF 126 I 219 consid. 2c ; 120 Ia 270 consid. 6c ; 119 Ia 305 consid. 4b).

Le sacrifice financier auquel le propriétaire est soumis du fait de la mise à l'inventaire constitue un élément important pour apprécier si l'atteinte portée par cette mesure à son droit de propriété est supportable ou non (ATF 126 I 219 consid. 6c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_52/2016 du 7 septembre 2016 consid. 3.2).

En relation avec le principe de la proportionnalité au sens étroit, une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si elle produit des effets insupportables pour le propriétaire ou ne lui assure pas un rendement acceptable. Savoir ce qu'il en est, dépend notamment de l'appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée (ATF 126 I 219 consid. 6c in fine et consid. 6h ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_52/2016 précité consid. 2 ; 1P.842/2005 du 30 novembre 2006 consid. 2.4).

Plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte (ATF 118 Ia 384 consid. 5 ; ATA/1024/2019 précité consid. 2).

11) La recourante se plaint que les arrêtés violent l'art. 38 al. 2 let. a LPMNS. Le bâtiment n'est ni classé, ni inscrit à l'inventaire, ni objet d'une publication. Le DT n'a exposé que sommairement les motifs à l'appui d'une conservation. Le bâtiment ne présente pas d'intérêt suffisant.

a. Le bâtiment n'avait en effet pas été jugé devoir être « maintenu » dans le précédent plan de site de 1993, faute sans doute de qualités suffisantes retenues à l'époque. Cela étant, un quart de siècle s'est écoulé depuis, et il est admis sur le principe que le regard porté sur le patrimoine et les critères de la protection doivent évoluer avec le temps. Cet élément doit ainsi être relativisé compte tenu de l'écoulement du temps.

b. Le bâtiment n'a effectivement pas été classé, ni porté à l'inventaire, comme le fait observer la recourante. L'inclusion dans un plan de site constitue toutefois une mesure de protection distincte du et alternative au classement ou à l'inscription. La recourante n'établit ni ne soutient que ces mesures constitueraient un préalable à la protection par un plan de site.

c. Le bâtiment n'a pas plus fait l'objet d'une publication. Comme le fait toutefois observer le DT, tel est le cas de nombreux bâtiments « maintenus » par le plan de site, et même de bâtiments aujourd'hui classés mais longtemps ignorés. L'absence de publication ou d'intérêt montré par les publications scientifiques, qui ne prétendent pas à l'exhaustivité et n'ont pas pour fonction de recenser, ne permet pas d'inférer que le bâtiment est dépourvu de valeur patrimoniale. Cela étant, la fiche de recensement peut être regardée comme une publication manifestant de l'intérêt pour le bâtiment et son intégration au site.

d. Il a été retenu plus haut que l'arrêté attaqué avait exposé de manière circonstanciée les motifs à l'appui d'une protection du bâtiment par le plan de site. L'exposé des motifs à l'appui de la procédure de consultation permet de comprendre les critères retenus pas l'autorité. La recourante a montré, dans l'opposition, puis le recours qu'elle a produits, qu'elle avait bien compris les enjeux de la modification du plan de site.

e. L'arrêté attaqué a attribué au bâtiment la valeur « intéressant » et justifié cette nouvelle appréciation par le fait que celui-ci constituait l'une des première opérations participant, après-guerre, à la requalification du quartier en zone commerciale, que sa conception avait fait l'objet d'une réflexion soignée dans le contexte urbain qui se redessinait, que l'expression architecturale et les volumes du bâtiment témoignaient de sa position de pionnier inaugurant dans le quartier une série d'immeubles modernes dotés d'une trame régulière.

Le Conseil d'État s'est fondé sur le préavis favorable de la CMNS, laquelle avait approuvé une fiche de recensement qui détaillait toutes les qualités de l'immeuble.

La fiche de recensement avait retenu que l'immeuble inaugurait dans le quartier la série d'immeubles administratifs modernes caractérisés par leur trame régulière, cette position de pionnier éclairait certains choix de Luc HERMÈS en termes volumétriques et d'expression architecturale : optant pour un toit en pente et un épiderme à deux couches superposées, il respectait la volonté des autorités de conserver son homogénéité formelle au quartier, tout en inscrivant plus directement l'oeuvre dans une continuité historique avec son environnement immédiat, qui était alors encore largement composé de maisons anciennes. C'était particulièrement vrai en ce qui concernait l'immeuble remplacé, dont l'image, caractérisée par des chaînes d'angle, des cordons d'étage, une puissante corniche et une toiture à large lucarne (côté lac) semblait avoir été réinterprétée dans une clef moderne. Par ailleurs, il fallait relever qu'a posteriori, la décision s'était révélée judicieuse, puisque l'immeuble formait une heureuse transition, dans la silhouette urbaine, entre les immeubles d'avant-guerre et les édifices ajoutés par la suite, plus radicalement modernes.

La motivation de l'arrêté querellé ne procède ainsi ni d'un excès ni d'un abus du pouvoir d'appréciation de l'autorité.

f. La recourante invoque la transformation subie par l'immeuble dans les années 1980.

Il y a lieu d'observer, avec le DT, que celle-ci n'a pas faite perdre à l'immeuble sa substance patrimoniale, puisque son gabarit comme la structure proéminente et le dessin en grille de la façade, si caractéristique, n'ont pas été altérés, et que le carrossage apparaît en outre réversible. La recourante ne saurait ainsi être suivie lorsqu'elle affirme que les rénovations et transformations ont changé de manière radicale et définitive l'apparence de l'immeuble.

12) La recourante se plaint d'une violation de la garantie de la propriété.

a. Il n'est pas contesté que la mesure querellée est fondée sur une base légale.

b. Les impératifs de protection du patrimoine sont par nature d'intérêt public. En l'espèce, il n'est pas douteux que la protection du patrimoine bâti
d'après-guerre de style bancaire poursuit bien un intérêt public.

La recourante évoque la nécessité que la qualité de l'immeuble puisse être reconnue par la population, ce qui constitue en réalité une condition développée à l'appui des classements d'objets. Cela étant, elle n'établit pas que la population serait insensible à la protection de la Rade comme telle, et dans son état actuel, pas plus qu'elle ne démontre que le mouvement de réévaluation conduit avec l'adoption du nouveau plan ne serait pas concomitant d'un nouveau regard porté plus généralement, et partant par la population dans son ensemble, sur des ouvrages d'architecture négligés un quart de siècle plus tôt.

c. La recourante reproche enfin au maintien de l'immeuble d'engendrer pour elle des contraintes et des coûts insupportables, et d'être partant disproportionné.

Le coût de la rénovation n'est pas de nature à faire obstacle, à lui seul et par principe, à la protection du patrimoine bâti, à peine de priver cette dernière de toute efficience. Cela étant, la recourante n'articule pas de chiffres, et le projet de rénovation qu'elle a déposé est en cours d'instruction. Dans ce cadre, de nombreuses possibilités, tant esthétiques que techniques pourront être envisagées avec le DT.

La recourante se plaint encore que la conservation l'empêchera de s'adapter aux standards modernes en termes de hauteur de plafond. Elle n'établit toutefois pas que des bureaux rénovés dans un bâtiment protégé et jouissant d'une considération nouvelle ne trouveront pas preneur pour ce motif. Il est observé pour le surplus que de nombreux immeubles de bureaux de l'époque ont été protégés et ont conservé les mêmes dimensions.

Suivant le même raisonnement, de nombreux immeubles issus d'une époque moins sensible aux impératifs de parcimonie énergétique ont pu être rénovés pour satisfaire au mieux aux nouveaux critères.

Les griefs seront écartés.

13) La recourante se plaint enfin de la violation de la planification directrice.

Le DT a observé avec raison que le maintien du bâtiment était conforme au PDCn 2030, qui prévoit une densification ponctuelle du secteur de l'immeuble et diverses mesures de protection du patrimoine, étant précisé que les mesures de protection prévues par le PDCN 2030 ne constituent pas un obstacle à des mesures additionnelles de protection.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

14) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 mai 2020 par Mobilière Suisse Société d'Assurances sur la Vie SA contre l'arrêté du Conseil d'État du 27 avril 2020;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de Mobilière Suisse Société d'Assurances sur la Vie SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat de la recourante, au Conseil d'État, au département du territoire ainsi qu'à l'office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :