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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1029/2015

ATA/1068/2016 du 20.12.2016 ( AMENAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 06.02.2017, rendu le 14.09.2017, REJETE, 1C_72/2017
Descripteurs : PROTECTION DES MONUMENTS ; MESURE DE PROTECTION ; INVENTAIRE ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; INTÉRÊT PUBLIC ; PROPORTIONNALITÉ ; PRINCIPE DE LA BONNE FOI ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : Cst.5.al2 ; Cst.5.al3 ; Cst.8 ; Cst.9 ; Cst.29.al2 ; Cst.26.al1 ; Cst.36 ; LPA.12A ; LAT.25a ; LCI.3A ; LCI.90 ; LPMNS.4 ; LPMNS.7.al1 ; LPMNS.8.al1 ; LPMNS.9.al1 ; LPMNS.46.al2 ; RPMNS.5.al2.letb ; RPMNS.17.al3
Parties : MAISONS DU LEMAN SA / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE
Résumé : Inscription à l'inventaire de l'ancienne maison Wartmann, à Versoix. Aucun motif ne permet à la chambre administrative de s'éloigner de l'appréciation faite par le département, s'appuyant sur celui de la CMNS et les constatations du SMS, lesquels considèrent que la villa constitue un objet digne de protection.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1029/2015-AMENAG ATA/1068/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2016

 

dans la cause

 

MAISONS DU LÉMAN SA
représentées par Me Alain Veuillet et Me Mark Müller, avocats

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE



EN FAIT

1) La parcelle no 4’706, feuille 28 du cadastre de la commune de Versoix, d’une surface de 9'112 m2, se situe en zone 5 et est partiellement comprise dans le périmètre protégé des rives de la Versoix.

2) Sur cette parcelle se trouve le bâtiment no 231 (ancienne maison Wartmann), sis à l’adresse chemin des Colombières 3.

3) Selon une fiche figurant dans le catalogue « Bâtir la campagne,
Genève 1800-1860 », réalisé par Madame Leila EL-WAKIL, ce bâtiment a été construit en 1862, sur les plans de Monsieur Bernard-Adolphe REVERDIN, architecte. La bâtisse était une maison cube, dotée d’un rez-de chaussée et d’un étage destinés au logement. Une véranda était présente sur toute la longueur.

Le jardin de cette villa figurent au nombre des parcs et jardins historiques de la Suisse recensés par le conseil international des monuments et des sites
(ci-après : ICOMOS).

4) La société Maisons du Léman SA (ci-après : la société) a acquis la parcelle le 12 mai 2011 pour le prix de CHF 7'850'000.-.

5) Le 12 juin 2012, la société a déposé, par l’intermédiaire des bureau Dominique Grenier Architectures SA et Kephas Architectures SA (ci-après : les bureaux d’architectes), une demande portant sur la démolition du bâtiment no 231 et de ses annexes (garage, serre et murs de soutènement - M 6’817).

En parallèle, elle a déposé une requête en autorisation de construire trois immeubles d’habitat groupé avec piscine, fitness, salle polyvalente, parking en sous-sol, panneaux solaires et sondes géothermiques (DD 105’073).

6) Ces demandes ont fait l’objet d’une publication dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 6 juillet 2012.

7)Par courrier du 10 juillet 2012, la commission d’architecture s’est déclarée favorable à une proposition de bâtiments type « plots » et à la densité proposée (43,5 %) compte tenu de l’emplacement particulier bordé de bâtiments de grand volume et la proximité du centre de Versoix. Elle demandait toutefois que l’ensemble du projet respecte beaucoup mieux le terrain naturel et de revoir l’implantation des constructions souterraines qui provoquaient d’importants mouvements de terre. Elle souhaitait également que les couloirs des appartements soient mieux dimensionnés pour les personnes à mobilité réduite. Les façades devaient être retravaillées. Enfin, la commission demandait une plaquette volumétrique.

8) Le 20 juillet 2012, la commune de Versoix a rendu un préavis favorable sans condition concernant la démolition de la villa existante.

Son préavis au projet de construction était également favorable, sous réserve d’une cession au domaine public communal le long du chemin des Colombières, afin de permettre la réalisation d’un trottoir et la réalisation d’un point de collecte des ordures ménagères.

9) Le 30 juillet 2012, le service de protection contre le bruit et les rayonnements non ionisants, devenu le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) a réservé son préavis. Constatant que les valeurs limites d’immissions nocturnes n’étaient pas respectées
entre 22 h et 23 h, ce service a demandé un rapport acoustique, nécessaire en cas de dérogation.

10) Le 13 août 2012, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a préavisé défavorablement la démolition du bâtiment no 231. Il demandait à l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) de prendre position quant à la pertinence d’une ouverture d’une procédure d’inscription à l’inventaire de la villa, ainsi que de l’ensemble des aménagements paysagers du jardin.

Une délégation du SMS avait effectué une visite sur place le 12 juillet 2012. La maison bénéficiait d’un entretien régulier et présentait un excellent état de conservation. Les aménagements paysagers étaient également dignes d’intérêt.

11) Le 10 octobre 2012, l’OPS a décidé d’ouvrir une procédure en vue de l’inscription à l’inventaire du bâtiment. Le propriétaire était invité à lui faire part de ses remarques éventuelles dans un délai de trente jours.

12) Le même jour, la sous-commission monuments et antiquités
(ci-après : SCMA) de la commission des monuments, de la nature et des sites
(ci-après : CMNS) a préavisé favorablement la proposition d’inscription à l’inventaire du bâtiment no 231 et de la parcelle no 4’706. Une étude historique approfondie devait être réalisée afin que cet objet soit mieux connu et documenté.

13) Dans ses déterminations du 5 novembre 2012, la société s’est exprimée en défaveur de la mesure de protection envisagée.

Le bâtiment no 231 et la parcelle sur laquelle il se trouvait n’avaient pas de valeur de protection. Les efforts pour rendre ce bâtiment conforme aux prescriptions légales en matière d’économies d’énergie seraient incompatibles avec sa conservation.

L’intérêt à la construction de trente-deux nouveaux logements devait primer celui lié à la protection du patrimoine.

Sur la base de certaines assurances, notamment de l’office de l’urbanisme et de la commune de Versoix, la société avait acheté la parcelle et payé un prix correspondant à du terrain constructible. Elle subirait un important préjudice financier.

14) Par préavis du 5 décembre 2012, sur la base du rapport oral de sa délégation, qui a effectué une visite sur place le 4 décembre 2012, la SCMA a confirmé être favorable à l’inscription à l’inventaire du bâtiment no 231.

Le SMS devait toutefois examiner avec les services concernés la possibilité de densifier la parcelle, par le biais d’une dérogation à la loi sur la protection générale et l’aménagement des rives de la Versoix du 5 décembre 2003 (LPRVers - L 4 19), compte tenu de la topographie particulière dans laquelle s’insérait la villa.

15) Par courrier du 21 décembre 2012 adressé au département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : le département ou DALE), Patrimoine suisse Genève a demandé que toutes les mesures de protection possibles soient prises par les autorités compétentes pour assurer la conservation de cette maison qui possédait des qualités patrimoniales indiscutables et dont la substance était parfaitement conservée.

16) En décembre 2012, sur mandat du SMS, Mme Natalie RILLIET, historienne de l’art, a réalisé une étude sur le bâtiment no 231.

La maison Wartmann était caractéristique des maisons cubiques se développant dans le courant du XIXème siècle pour répondre à la demande de la bourgeoisie. Si elle était attribuée à M. REVERDIN, d’autres architectes avaient eu recours à cette formule durant ce siècle.

Plusieurs réalisations de M. REVERDIN bénéficiaient de mesures de protection, confirmant l’intérêt patrimonial des œuvres réalisées par
cet architecte et des maisons cubes du XIXème siècle. Parmi cette forme de maisons, plusieurs bâtisses étaient inscrites à l’inventaire.

Le cas de la maison Joly, à la rue Michel-Chauvet, offrait un exemple récent de mesure de protection prises à l’égard de villas réalisées par M. REVERDIN. En mai 2001, lorsque le Conseil d’État avait adopté le plan localisé de quartier
(ci-après : PLQ) « Contamines » il avait défini la villa et sa dépendance comme des « constructions existantes à bâtir » dans un « espace libre non constructible avec servitudes de non-bâtir ». Ce PLQ marquait la volonté de conserver ces édifices patrimoniaux ainsi que leurs abords dans une zone à cheval entre des immeubles et les hôtels particuliers de la rue De-Beaumont.

Les maisons cubes s’étaient répandues au XIXème siècle avec l’essor d’une classe bourgeoise désireuse de s’établir dans un périmètre suburbain ou à la campagne tout en ayant une maison fonctionnelle. Ces maisons, discrètes tant par leur dimension que leur décoration, avaient souvent été modifiées au fil des ans afin de s’adapter aux nouveaux occupants. La ville gagnant du terrain, elles avaient aussi été démolies pour laisser place à des immeubles. Quand elles subsistaient, leur intérêt patrimonial devait être pris en considération et la question de leur conservation devait être posée.

À ce titre, la maison Wartmann méritait d’être mise sous protection. Emblématique des maisons cubes de la première moitié du XIXème siècle de par son volume, sa distribution intérieure et ses éléments décoratifs, elle offrait la particularité d’être restée proche des plans d’origine et d’être en bon état. En raison du peu de modifications subies, elle était un exemple de qualité de cette période.

17) En janvier 2013, Madame Babina CHAILLOT-CALAME, historienne des monuments, a rendu un avis sur la valeur patrimoniale de la maison.

La maison pouvait être considérée comme un exemple d’une rare qualité dans les constructions cubiques du XIXème siècle et devait être maintenue. Il s’agissait d’un des deux derniers témoignages de construction de ce type édifié par M. REVERDIN. De surcroît, il fallait relever son état de conservation exceptionnel, tant au niveau de l’enveloppe que de son aménagement intérieur.

18) Par courrier du 7 janvier 2013, le conseiller d’État en charge du département a écrit au représentant de la société et confirmé la volonté du département de poursuivre l’instruction de la procédure d’inscription à l’inventaire des immeubles.

Sur mandat de l’OPS, la villa avait fait l’objet d’un complément d’étude qui avait permis de relever le caractère digne d’intérêt de la maison et la CMNS avait confirmé son préavis favorable à la mise sous protection suite à un transport sur place.

19) Le 7 janvier 2013, faisant suite à la demande formulée par la SCMA dans son préavis du 5 décembre 2012, le SMS a relevé que la LPRVers n’offrait pas de dérogation possible pour la construction de nouvelles habitations dans le périmètre protégé.

20) Le 10 avril 2013, la SCMA a rendu un préavis de consultation sur une nouvelle variante du projet qui lui était soumise. Celle-ci prévoyait la construction de deux immeubles, soit le « A » implanté au nord-est de la parcelle, le long de la route de Saint-Loup, et le « B » au sud-est. Cette variante impliquait l’abattage du cèdre, ainsi que des demandes de dérogations liées aux distances.

La CMNS n’était pas opposée au principe de densification de la parcelle au nord-est de la villa (bâtiment « A »), sous quelques réserves, notamment quant à la distance avec le bâtiment à protéger. Elle était par contre opposé au projet « B » qui prétéritait tout projet de mise en valeur de la maison existante.

21) Le 30 avril 2013, la commune a également préavisé favorablement l’inscription à l’inventaire.

Elle rappelait qu’elle avait dans un premier temps préavisé favorablement les autorisations de construire et de démolir (DD 105’073 et M 6’817), dès lors que le projet correspondait à la volonté de densifier ce secteur, se trouvant à proximité directe de la gare ainsi que des principaux équipements publics, et qu’il correspondait au plan directeur communal. Une nouvelle analyse du dossier en raison d’éléments nouveaux portés à sa connaissance avait abouti à ce préavis favorable d’inscription à l’inventaire.

Elle demandait toutefois que soient étudiées toutes possibilités permettant de respecter à la fois la valeur patrimoniale du bâtiment et la volonté de la propriétaire de densifier la parcelle.

22) Par courrier du 24 mai 2013, le chef du département a indiqué que les différentes rencontres entre ses services et la société avaient permis l’esquisse de variantes visant à densifier la parcelle concernée. À ce stade du développement du projet, une solution médiane était en train de se dessiner.

23) Le 28 novembre 2013, une dernière rencontre a eu lieu entre
Madame Sabine NEMEC-PIGUET, directrice de l’OPS et la société, avant que le département ne rende une décision sur la mise à l’inventaire de la maison.

24) Suite à cette rencontre, la société a transmis à la directrice de l’OPS son nouveau projet, prévoyant l’implantation de deux bâtiments en surface (A et B) et d’un bâtiment en sous-sol, tout en maintenant la villa existante.

25) Le 13 décembre 2013, le SABRA a réservé son préavis. La construction n’était possible qu’avec l’assentiment de l’autorité compétente et pour autant que le projet présente un intérêt prépondérant.

26) Le 8 janvier 2014, la SCMA a émis un nouveau préavis de consultation sur ce dernier projet.

Favorable au bâtiment A, elle prenait acte des efforts du projet de contenir le bâtiment « B ». Si elle n’était pas totalement opposée à toute construction au
sud-Est de la maison, elle demandait que soit d’abord explorée la possibilité d’un déclassement de la zone protégée. Elle se prononçait défavorablement en faveur du projet en sous-sol.

27) Le 4 mars 2014, l’OPS a indiqué que le département devait d’abord définir sa position concernant la dérogation aux normes OPB.

28) Le 17 juin 2014, le nouveau conseiller d’État en charge du département s’est adressé à la société. Il n’entendait pas déroger aux normes en matière de bruit que le projet ne respectait pas. Le nouveau plan directeur cantonal qui venait d’être approuvé préconisait un respect strict des normes en la matière.

29) Par courrier recommandé du 1er juillet 2014, constatant que le délai à la charge de l’autorité, prévu par la loi pour répondre aux demandes d’autorisation de construire et de démolir était échu, la société a annoncé à la direction des autorisations de construire qu’elle allait procéder à l’exécution de ses plans.

30) N’ayant reçu aucune décision dans le délai de dix jours, la société a commencé les travaux.

31) Par décisions des 31 juillet 2014 et 7 août 2014, le département a refusé d’accorder les demandes en autorisation de construire DD 105’073 et en démolition M 6’817.

32) La société a interrompu les travaux entrepris à réception de ces décisions.

33) Les deux décisions précitées font actuellement l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

34) Par arrêté du 25 février 2015, notifié à la société, le conseiller d’État chargé du département a décidé d’inscrire à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés le bâtiment no 231 et la parcelle no 4’706 feuille 28 du cadastre de la commune de Versoix.

En vertu de la jurisprudence, les conceptions en matière de protection du patrimoine moderne avaient évolué en ce sens que, si les mesures de classement visaient à l’origine essentiellement des monuments historiques, tels les édifices publics, civils ou religieux, ces mesures s’étaient peu à peu étendues à des immeubles ou à des objets plus modestes, qualifiés de patrimoine dit mineur, tels des objets caractéristiques de la campagne genevoise ou des réalisations architecturales appartenant au patrimoine hérité du XIXème siècle ou d’une époque plus récente.

Il ressortait des pièces du dossier et des études historiques réalisées que le bâtiment no 231 était emblématique des « maisons cubes » de la première moitié du XIXème siècle. Il offrait la particularité d’être resté proche des plans d’origine et d’être en bon état de conservation.

Les aménagements paysagers situés sur la parcelle no 4’706 étaient également remarquables, étant précisé que le jardin était identifié dans le recensement des parcs et jardins historiques ICOMOS.

La société propriétaire n’alléguait aucun motif objectif susceptible de démontrer que les appréciations faites par les milieux spécialisés de la protection du patrimoine relatives à l’intérêt de ce bâtiment et de la parcelle no 4’706 seraient erronées ou empreintes de subjectivité.

Aucun motif d’intérêt public ou privé n’habilitait le département à s’écarter des préavis favorables à cette mesure de protection émis par la sous-commission spécialisée en la matière et par la commune concernée.

Le département entendait faire prévaloir l’intérêt public au maintien d’un élément du patrimoine sur celui lié à la construction de nouveaux bâtiments destinés à l’habitat. Au demeurant, il ressortait des diverses déterminations de la SCMA que la mesure de protection n’était pas de nature à empêcher la densification de la parcelle.

35) a. Par acte du 27 mars 2015, la société a interjeté recours contre la décision précitée auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative), concluant à ce qu’il soit constaté que le bâtiment no 231 et la parcelle no 4’706 feuille 28 du cadastre de la commune de Versoix ne devaient pas être inscrits à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés et que l’arrêté du 25 février 2015 du département, approuvant cette inscription soit annulé. Les conclusions étaient prises « sous suite de frais et dépens ».

La loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du
4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) ne fournissait pas une base légale suffisante pour prétendre inscrire à l’inventaire le bâtiment et la parcelle.

Avant l’été 2012, les autorités cantonales et communales ne s’étaient jamais préoccupées du bâtiment. Le SMS avait relevé dans son préavis que
M. REVERDIN avait réalisé une quinzaine de maison de campagne de ce type. Par conséquent, ce bâtiment n’avait pas valeur de témoin d’une certaine époque. Le recensement ICOMOS auquel le département se référait n’avait aucune valeur contraignante en Suisse. D’ailleurs l’arrêté de mise à l’inventaire mentionnait qu’une densification de la parcelle restait possible, démontrant ainsi que le département lui-même faisait peu de cas de ce recensement. L’étude de
Mme RILLIET n’avait pas valeur d’expertise et contenait des imprécisions, voir des erreurs, en lien avec les exemples cités.

La restriction décidée était très éloignée du critère de « valeur générale », nécessaire pour se prévaloir de l’intérêt public. La mesure ne devait pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes, mais devait apparaître légitime aux yeux du public ou d’une grande partie de la population pour avoir en quelque sorte une valeur générale.

La commission d’architecture, pourtant composée de spécialistes en matière d’architecture et d’urbanisme, était favorable au projet impliquant la démolition de la maison. De même, dans un premier temps, la commune de Versoix s’était déclarée favorable. La restriction ordonnée était typiquement une mesure visant à satisfaire un cercle restreint d’inconditionnels, n’ayant pas toujours le recul nécessaire pour apprécier objectivement la situation.

La mesure violait également le principe de la proportionnalité. Elle portait atteinte tant à la propriété privée de la société qu’à l’intérêt public à la réalisation de logements en période de pénurie.

Outre le montant engagé à l’achat de la propriété, la société avait travaillé sur ce dossier depuis 2009, mettant en œuvre des architectes et autres mandataires afin de réaliser un projet de qualité, répondant aux exigences alors formulées par la commune et l’État, avec la certitude que l’opération prévue pourrait se concrétiser. La mesure lui causerait un grave préjudice financier.

Pour ces motifs, les conditions de base de mise à l’inventaire du bâtiment et de la parcelle n’étaient pas réunies.

L’arrêté contesté violait encore les principes de la bonne foi et de la confiance. Des renseignements qu’elle avait obtenus des autorités, cette maison n’était pas protégée. Le principe de la coordination était également violé du fait qu’un service ne pouvait pas donner sans réserve une réponse positive sur un projet immobilier sans tenir compte de toutes les normes applicables au dossier. Enfin, la décision querellée était également contraire au principe de l’égalité de traitement dès lors qu’en l’espèce, il s’avérait que nombre de bâtiments dont l’architecture était proche de celle de l’ancienne maison Wartmann, y compris des maisons citées comme exemple dans l’étude de Mme RILLIET, ne figuraient pas à l’inventaire. De plus, il était établi que les contraintes imposées à la société par le département étaient plus strictes que celles qu’il avait appliquées dans d’autres dossiers.

Les arguments de la recourante, de même que les pièces produites, seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après.

b. À l’appui de son recours, la société a déposé une liste de témoins, demandant l’audition de :

- Madame Virginie LABANSAT, responsable des acquisitions foncières de la société ;

- Monsieur Hugo KEHRLI, ancien chef de région auprès de la direction des autorisations de construire ;

- Monsieur Roberto GRECUCCIO, de la direction des plans d’affectation et requêtes de l’office de l’urbanisme du département ;

- Monsieur Pierre AYSANOA, de l’aménagement du territoire de l’office de l’urbanisme du département ;

- Monsieur Nicolas GOUNEAUD, chef de secteur au SABRA ;

- Madame Sabine NEMEC-PIGUET, directrice de l’OPS ;

- Madame Andrée GRUFFAT, de l’OPS ;

- Monsieur Christophe KOBLER, chef du service de l’aménagement et de l’urbanisme à la mairie de Versoix ;

- Monsieur Claude GENECAND, alors conseiller administratif à la mairie de Versoix.

36) Le 30 avril 2015, le département a déposé ses observations et conclu au rejet du recours « sous suite de frais ». Il s’est également opposé à l’audition de six des neuf témoins, s’en rapportant ainsi à justice s’agissant de Mmes LABANSAT, NEMEC-PIGUET et GRUFFAT.

Ses arguments de même que les pièces produites seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit ci-après.

37) Le juge délégué a effectué un transport sur place le 12 novembre 2015, avec prise de photographies, en présence de Monsieur Gilles QUERU, administrateur de la société, et de Mme LABANSAT, responsable des acquisitions foncières de celle-ci, accompagnés de leurs conseils, de la juriste de l’OPS, de la directrice de l’OPS, de l’adjointe scientifique au SMS qui s’était occupée de ce dossier, de Mme CHAILLOT-CALAME, historienne des monuments auprès de la CMNS, de Mme GRUFFAT, retraitée de l’OPS, et de Mme RILLIET, historienne de l’art et auteur de l’étude patrimoniale réalisée sur mandat du SMS.

a. Selon les déclarations de M. QUERU, lors des discussions avec la commune, M. KOBLER avait dit aux responsables de la société que celle-là ne portait pas d’intérêt à cette maison.

b. Mme LABANSAT a été entendue. Les personnes contactées, y compris la commune, étaient surtout soucieuses de la densification de cette parcelle, ce que M. KEHRLI avait confirmé. Selon M. AYSANOA, s’il y avait eu un intérêt pour cette maison, il aurait été souligné dans le cadre du plan de protection des rives de la Versoix. Cette maison ne devait pas être inconnue des services compétents de l’État. Entre 2009 et l’achat de la maison, à aucun moment une personne compétente au sein de l’État ne leur avait dit qu’il pourrait y avoir un problème avec la maison. Elle n’avait pas parlé à Mme GRUFFAT d’une éventuelle démolition de la maison.

c. Mme GRUFFAT a indiqué avoir été contactée par Madame Aurore LUCIDO le 23 octobre 2009. Celle-ci travaillait comme courtière pour la société de courtage chargée par les anciens propriétaires de la parcelle de la vente de celle-ci. Elle avait probablement dû lui dire qu’il n’y avait pas de mesure de protection.

Il était possible qu’elle ait dit par téléphone à Mme LABANSAT que le bâtiment de la parcelle n’était pas protégé. Formellement, cette maison n’était pas inscrite à l’inventaire, ni classée.

Lorsque ce type de question était posé, elle indiquait dans tous les cas qu’il fallait faire une demande d’autorisation pour avoir une réponse formelle.

d. Mme NEMEC-PIGUET a été entendue. La maison ne faisait pas partie du plan de protection des rives de la Versoix. Ce type de bâtiment ne relevait pas du patrimoine hydraulique lié à celle-ci, dont un inventaire avait été dressé par le SMS dans le cadre de l’élaboration de ce plan.

Les plans directeurs n’étaient pas l’outil adéquat pour identifier les bâtiments à protéger même, s’il pouvait arriver que la question de la protection d’éventuels bâtiments soit examinée dans ce cadre-là.

e. Mme RILLIET a également été entendue. Il était certain que cette maison avait été construite sur la base des plans de M. REVERDIN. Dans l’ouvrage de
Mme EL-WAKIL, les plans montrés étaient ceux de M. REVERDIN.

À l’extérieur de la maison, sur la parcelle, la promenade entourée de murets et la vue sur l’ancienne dépendance étaient particulièrement intéressants. Le but au XIXème siècle était de se rapprocher de la nature et de pouvoir y cheminer tout en restant dans son jardin, de faire le tour du jardin en aménageant des points de vue. Il y avait aussi, proche de l’entrée de la parcelle à droite, des sortes de structures en métal. Vraisemblablement, il y avait à cette époque un couvert, un léger avant-toit qui venait probablement protéger un jardin potager. Les murets en pierre, bien que recouverts actuellement d’une végétation, gardaient un intérêt quant à l’aménagement du jardin et comme aménagement de terrasses au-dessus des rives de la Versoix. Les éléments de ferronnerie dans la véranda étaient du même style, de l’époque de la construction de la maison, de même que ceux présents sur le porche. Il était rare que des éléments tels que ces derniers soient conservés. Le monogramme EW du propriétaire Elie WARTMANN était aussi particulièrement intéressant et relativement rare.

Concernant la bâtisse, le volume était représentatif de l’époque des maisons de campagne construites par M. REVERDIN, en particulier les trois travées
(ouvertures) sur les grands côtés et deux sur les petits côtés. Les angles étaient aussi marqués par des chaînes rectilignes, motifs de chaînes qui se retrouvaient entre chaque travée. L’encadrement des ouvertures montrait une recherche esthétique sur l’ensemble du volume tout en gardant une certaine sobriété. Les lanternes avec les rosaces centrales moulurées étaient probablement de l’époque de la construction, ce qui n’était évidemment pas le cas des petits spots encastrés. Les deux marches supérieures de l’escalier n’étaient par contre probablement pas d’époque.

f. Selon Mme CHAILLOT-CALAME, dix villas construites par
M. REVERDIN étaient répertoriées. Cinq avaient été démolies. Parmi les cinq restantes, trois avaient obtenu une haute valeur de recensement, correspondant en tout cas à une mise à l’inventaire. L’une d’elles, à Vandoeuvres, était en cours d’inscription à l’inventaire. Il y a avait encore la villa Joly, protégée par un PLQ, de même que la maison Wartmann. Ces deux dernières avaient exactement les mêmes plans.

Dans les villas de M. REVERDIN, l’étage dans les combles était toujours habitable et servait en général de chambre. Il existait dans toutes les maisons REVERDIN une lucarne côté vue ou jardin mais pas forcément avec trois fenêtres comme ici.

Le niveau de conservation de la substance patrimoniale était qualifié d’assez exceptionnel et aucune discussion n’avait existé au sein de la CMNS sur la pertinence de la protection de cette maison et de ses abords.

g. D’après Mmes RILLIET, NEMEC-PIGUET et CHAILLOT-CALAME, les portes et les boiseries étaient d’origine, notamment la serrurerie et les poignées appelées les « petites genevoises », ainsi que les fenêtres portant sur l’extérieur. Selon Mmes RILLIET et NEMEC-PIGUET, dans les combles, seule la charpente avait un intérêt.

h. Lors du transport sur place, les représentants de l’OPS ont observé qu’un nouveau parquet en faux bois avait été posé au rez-de-chaussée de même qu’à l’étage, juste après l’escalier. Le parquet d’origine avait ainsi été enlevé, alors qu’il faisait partie des décors à protéger de la villa. M. QUERU a ajouté que la cheminée en marbre noir qui se trouvait dans le salon avait également été enlevée, ainsi que l’encadrement de porte entre l’escalier et le couloir. Les conseils de la société ont indiqué que ces travaux avaient été effectués en juillet 2014, soit postérieurement au courrier adressé au département, lui donnant un délai de dix jours pour rendre une décision. En l’absence de celle-ci, des travaux avaient été commencés comme la loi le leur permettait. En zone villa, il n’y avait pas besoin d’autorisation pour faire des travaux à l’intérieur de la villa. La LPMNS ne prévoyait pas de restriction de ce droit lorsqu’une procédure de mise à l’inventaire était ouverte. Les travaux avaient été immédiatement stoppés, à réception des décisions de refus d’autorisation de construire et de démolir. Ils avaient récemment proposé à l’hospice général (ci-après : l’hospice) de loger des requérants d’asile dans cette maison. Ce dernier avait cependant refusé au motif que cette maison n’était pas aux normes de sécurité, notamment sécurité incendie. Les travaux qui devraient être faits pour mettre cette maison aux normes de sécurité n’étaient pas compatibles avec sa mise à l’inventaire.

Mme RILLIET a indiqué que malgré les modifications faites en juillet 2014, la lecture du plan d’origine restait encore parfaitement lisible. Elle relevait également l’escalier avec sa main courante et son travail de ferronnerie. Elle soulignait la volonté que les ouvertures soient dans l’axe, par exemple l’ouverture entre le salon et la salle à manger étaient dans l’axe des deux fenêtres, et dans les pièces d’angle, il y avait l’idée d’une double source de lumière. À l’étage, le parquet de l’ensemble des pièces avait été fait artisanalement et semblait de l’époque. Il avait un intérêt.

Mme NEMEC-PIGUET était d’avis qu’une mise aux normes de sécurité était parfaitement possible et réalisable pour le maintien de cette maison à une affectation d’habitat individuel.

38) a. Le 22 janvier 2016, la société a fait parvenir au juge délégué un rapport d’expertise rédigé par Monsieur Pierre BAERTSCHI, architecte, ancien directeur du patrimoine et des sites, conservateur cantonal à Genève et ancien président de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage (ci-après : CFNP). Son audition était demandée.

b. Selon ce dernier, il apparaissait peu approprié de vouloir imposer un maintien de l’édifice contre la volonté de son propriétaire.

Sur une échelle de degrés d’intérêt national, régional et local, à l’évidence cette maison ne présentait qu’un degré d’intérêt local. Les arguments justifiant la proposition d’inscription à l’inventaire du 25 février 2015 au motif qu’il s’agissait d’un patrimoine d’intérêt dit « mineur » corroboraient cette classification.

Cette ancienne « maison de campagne », tout en ayant subi plusieurs transformations au cours du temps, avait été bien entretenue par ses propriétaires successifs. Toutefois, en termes économique et d’environnement, une reconversion correspondant aux normes et au mode d’habiter actuels était aujourd’hui problématique dans un quartier qui avait connu et allait encore connaître des changements notables.

Selon une évaluation sommaire, on pouvait estimer le coût d’une restauration-remise en état à un montant de l’ordre d’un million de francs.

En l’état, les aménagements extérieurs existants en prolongement de la demeure ne présentaient pas d’intérêt majeur. Un recensement consistait à répertorier des objets et ne constituait pas une mesure de protection. Le recensement systématique des parcs et jardins établis par ICOMOS répertoriait
soixante-six objets sur le seul territoire de la commune de Versoix.

La conservation de cette maison ne semblait pas relever d’un intérêt public majeur, mais d’une question d’opportunité. En tant que témoin d’un mode d’habiter de résidence bourgeois, sa situation dans un environnement qui avait bien changé depuis le milieu du XIXème siècle ne paraissait plus adéquate. Sa reconversion en immeuble administratif pourrait conduire à des situations alambiquées ce qui lui ôterait toute signification.

Enfin, la valeur témoin en termes de mode de construction caractéristique de son époque ne prenait sens que par rapport à l’intérêt qui pourrait lui être porté par un amateur fortuné ou une collectivité, par exemple une commune qui souhaiterait y installer une crèche, ce qui impliquerait une mise de fonds appropriée. À l’échelle d’un inventaire cantonal des objets à préserver, le fait qu’une maison identique, la maison Joly, conçue par le même architecte et située à Contamines dans un tissu résiduel en ville de Genève soit déjà conservée ne justifiait pas a priori qu’une mesure étatique de protection soit prise dans le cas présent.

39) Par courrier du 25 janvier 2016, le juge délégué a refusé l’audition demandée.

40) Une comparution des parties s’est tenue le 9 février 2016 en présence de
M. QUERU, administrateur de la société, accompagné de son conseil.
M. AYSANOA, technicien en aménagement auprès du service préavis et instruments de l’office de l’urbanisme (DALE) a été entendu comme témoin.

Ce dernier n’avait pas dit à Mme LABANSAT que s’il y avait eu un intérêt patrimonial pour cette maison, ce dernier apparaîtrait dans les études afférentes à la parcelle. De même, il n’avait pas déclaré que le SMS avait déjà examiné la parcelle et la maison en cause. Au contraire, il lui avait recommandé de s’adresser au SMS et aux différents services compétents.

À l’issue de l’audience, le juge délégué a informé les parties qu’il n’entendait pas procéder à des mesures d’instruction complémentaires, pour des motifs qui seraient indiqués dans l’arrêt à rendre.

41) a. Le 18 mars 2016, les parties ont fait part de leurs observations après enquêtes.

La société a rappelé qu’elle avait acquis la parcelle pour près de
CHF 8'000'000.- en vue de la densifier. La mise à l’inventaire de la maison rendrait impossible la réalisation de son projet immobilier. De plus, la question du sort à réserver à la maison allait se poser. Il n’était pas envisageable de la louer et les travaux nécessaires afin de la rendre habitable avaient été évalué par l’expert HILTBRAND à CHF 668'000.-, étant précisé que 65 % de cet investissement n’apporterait pas de plus-value. M. BAERTSCHI avait quant à lui estimé à environ CHF 1'000'000.- le coût d’une restauration. Un rendement correct de l’investissement de départ ne pouvait être espéré de la mise en location de la maison, de même que de la vente de celle-ci qui ne permettrait même pas à la société de rentrer dans ses fonds.

Pour le surplus, les arguments des parties seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après.

b. Le même jour, la société a joint à ses observations un chargé de pièces complémentaire comprenant un article de presse rappelant la nécessité de densifier l’habitat et un rapport d’expertise rédigé par Monsieur François HILTBRAND, architecte HES, expert immobilier EPFL et juge assesseur au TAPI (LDTR-expropriation). Celui-ci estimait la valeur minimale des travaux de réfection de la maison à CHF 670'000.-. 65 % de cette somme n’apporterait pas de plus-value à la construction, et ce montant était à ajouter à la perte résultant de la non-réalisation des droits à bâtir, due à la conservation de la construction existante.

42) Le 22 mars 2016, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur l’inscription à l’inventaire de l’ancienne maison Wartmann, soit le bâtiment no 231 de même que la parcelle no 4’706, feuille 28, du cadastre de la commune de Versoix

3) a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à celles-ci (arrêts du Tribunal fédéral 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1 ; 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3).

Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_119/2015 du
16 juin 2015 consid. 2.1).

b. En l’espèce, la question devant être tranchée par la chambre de céans est celle du bien-fondé de la décision d‘inscrire à l’inventaire le bâtiment no 231 de même que la parcelle no 4’706. Pour ce faire, le juge délégué a procédé à un transport sur place en présence des parties concernées, de même que des spécialistes ayant été amenés à procéder aux études notamment historiques demandées par le département. À la demande de la recourante, il a entendu
Mme LABANSAT, M. AYSANOA, Mmes NEMEC-PIGUET et GRUFFAT.

Les autres témoignages demandés par la recourante afin de trancher la question de la violation du principe de la bonne foi ne sont pas pertinents, dès lors que seules les déclarations des collaborateurs des autorités compétentes doivent être prises en compte.

Le respect des normes en matière de bruit ne constituant pas l’objet du litige, les témoignages requis en lien avec ce grief doivent également être écartés.

Enfin, l’audition de M. BAERTSCHI n’apparaît pas nécessaire, dès lors que son expertise – privée – a été versée au dossier, qu’elle apparaît complète et que la recourante n’a pas motivé sa demande.

La chambre administrative dispose ainsi d’un dossier complet lui permettant de trancher les griefs soulevés en toute connaissance de cause.

Il ne sera en conséquence pas donné suite aux autres requêtes d’instruction de la recourante.

4) L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 Cst.

Pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a ;
arrêt du Tribunal fédéral 1C_386/2010 du 17 janvier 2011 consid. 3.1 ; ATA/1295/2015 du 8 décembre 2015 ; ATA/721/2012 du 30 octobre 2012
consid. 8a).

5) a. Conformément à l'art. 4 LPMNS, sont protégés les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords (let. a) et les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b).

b. Un monument au sens de la LPMNS est toujours un ouvrage, fruit d’une activité humaine. Tout monument doit être une œuvre digne de protection du fait de sa signification historique, artistique, scientifique ou culturelle. Il appartient aux historiens, historiens de l’art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le bâtiment le rendent digne de protection, d’après leurs connaissances et leur spécialité. À ce titre, il suffit qu’au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l’abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l’évolution de la situation et d’une rareté qu’il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s’en écarter (ATA/1214/2015 du 10 novembre 2015 consid. 4b ; ATA/721/2012 précité et les références citées).

c. Selon la charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites élaborée et adoptée à l’échelle internationale en 1964 à Venise à l’occasion du deuxième congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques (ci-après : la charte de Venise), la notation de monument historique comprend tant la création architecturale isolée, que le site urbain ou rural qui porte témoignage d’une civilisation particulière, d’une évolution significative ou d’un événement historique. Elle s’étend non seulement aux grandes créations, mais aussi aux œuvres modestes qui ont acquis avec le temps une signification culturelle (art. 1 charte de Venise).

d. L’art. 4 let. a LPMNS, en tant qu’il prévoit la protection de monuments de l’architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l’autorité comme au juge une latitude d’appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s’appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d’art mais qu’elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu’ils sont des témoins caractéristiques d’une époque ou d’un style (Philip VOGEL,
La protection des monuments historiques, 1982, p. 25). La jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du 3 février 2012 consid. 5.1.1). Alors qu’à l’origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elles se sont peu à peu étendues à des immeubles et objets plus modestes, que l’on a qualifiés de patrimoine dit « mineur », caractéristique de la campagne genevoise, pour enfin s’ouvrir sur une prise de conscience de l’importance du patrimoine hérité du XIXème siècle et la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/1214/2015 précité
consid. 4d ; ATA/721/2012 précité consid. 4c). Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d’ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d’une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/428/2010 du 22 juin 2010 consid. 7c et les références citées).

6) a. L'art. 7 al. 1 LPMNS prévoit qu'il est dressé un inventaire de tous les immeubles dignes d'être protégés au sens de l'art. 4 LPMNS. Lorsqu'une procédure de mise à l'inventaire est ouverte, la commune du lieu de situation est consultée (art. 8 al. 1 LPMNS et 17 al. 3 du règlement d’exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 - RPMNS - L 4 05.01). La CMNS formule ou examine les propositions d'inscription ou de radiation d'immeubles à l'inventaire (art. 5 al. 2 let. b RPMNS). Le département jouit toutefois, sous réserve d'excès ou d'abus de pouvoir, d'une certaine liberté d'appréciation dans les suites à donner dans un cas d'espèce, quel que soit le contenu du préavis, celui-ci n'ayant qu'un caractère consultatif (ATA/721/2012 précité et les références citées).

b. Chaque fois que l’autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l’autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/1214/2015 précité et les références citées ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 508 p. 168 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1214/2015 précité ; ATA/126/2013 du
26 février 2013 ; ATA/549/2011 du 30 août 2011). La chambre est en revanche libre d’exercer son propre pouvoir d’examen lorsqu’elle procède elle-même à des mesures d’instruction, à l’instar d’un transport sur place (ATA/699/2015 du
30 juin 2015).

c. Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours (ATA/1214/2015 précité ; ATA/126/2013 précité ; ATA/417/2009 du 25 août 2009). En outre, la CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d’associations d’importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine
(art. 46 al. 2 LPMN). À ce titre, son préavis est important (ATA/1214/2015 précité).

7) En l’espèce, tous les préavis de même que les études menées sous mandat du département aboutissent à la même conclusion, soit que le bâtiment est digne de faire l’objet d’une mesure de protection.

a. L’historienne de l’art, Mme RILLIET, a confirmé l’intérêt patrimonial des œuvres réalisées par M. REVERDIN et des maisons cubes du XIXème siècle. Plusieurs réalisations de ce dernier bénéficiaient de mesures de protection et plusieurs bâtisses de même forme étaient inscrites à l’inventaire. D’ailleurs, lorsque le Conseil d’État avait adopté le PLQ « Contamines », il avait défini la villa Joly et sa dépendance, œuvre du même architecte, comme des « constructions existantes à bâtir » dans un « espace libre non constructible avec servitudes de non-bâtir ».

Quand elles subsistaient, la question de la conservation des maisons cubes, souvent modifiées ou démolies au fil des ans, afin de s’adapter aux nouveaux occupants, devait ainsi être posée et leur intérêt patrimonial devait être pris en considération.

La maison Wartmann offrait en particulier la particularité d’être restée proche des plans d’origine et d’être en bon état.

b. Mme CHAILLOT-CALAME, historienne des monuments et membre de la CMNS, a également relevé l’état de conservation exceptionnel du bâtiment, tant au niveau de l’enveloppe que de son aménagement intérieur. Selon elle, la maison pouvait être considérée comme un exemple d’une rare qualité dans les constructions cubiques du XIXème siècle. Elle a également souligné qu’il s’agissait d’une des deux dernières constructions de ce type édifiées par
M. REVERDIN.

c. Les éléments mis en avant par les spécialistes ont pu être confirmés lors du transport sur place, durant lequel le juge délégué a constaté que la maison n’avait pas subi de modifications majeures et qu’elle conservait sa conception d’origine, telle qu’elle avait été pensée par l’architecte, ces constats étant illustrés par les photographies prises à cette occasion.

Témoin de qualité du passé et en particulier d’un certain style du
XIXème siècle, la maison Wartmann a en plus acquis au fil du temps la qualité de rareté.

d. Les expertises versées à la procédure par la recourante ne contredisent pas ces constatations. En effet, M. BAERTSCHI remet particulièrement en cause la question de la proportionnalité de la mesure, indiquant qu’il serait inopportun en raison des coûts d’une remise en état, d’instaurer une mesure de protection sur cette bâtisse. M. HILTBRAND se prononce uniquement sur le montant nécessaire à une rénovation, étant précisé que les deux expertises ne s’accordent pas sur celui-ci.

En dehors de sa propre appréciation, la société propriétaire n’allègue aucun motif objectif démontrant que les appréciations faites par les spécialistes de la protection du patrimoine relatives à l’intérêt de ce bâtiment et de la parcelle
no 4’706 seraient erronées ou empreintes de subjectivité.

e. Dans sa décision, le département a suivi les préavis de même que les conclusions des deux spécialistes précitées et a souligné le caractère emblématique des « maisons cubes » de la première moitié du XIXème siècle, de même que la particularité du bâtiment en question, soit d’être resté proche des plans d’origine et d’être en bon état de conservation.

Le département a également souligné que les aménagements paysagers étaient remarquables, ce que le juge délégué a pu constater lors du transport sur place. Le jardin est d’ailleurs identifié dans le recensement des parcs et jardins historiques ICOMOS.

Dans ces circonstances, rien ne permet à la chambre administrative de s’éloigner de l’appréciation faite par le département, s’appuyant sur celui de la CMNS et sur les constatations du SMS, lesquels considèrent que la villa constitue un objet digne de protection au sens de l’art. 4 LPMNS. Le grief sera dès lors écarté.

8) La recourante reproche à l’autorité intimée d’avoir violé le principe de la proportionnalité.

a. Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 et les arrêts cités).

b. En principe, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont d'intérêt public et celui-ci prévaut sur l'intérêt privé lié à une utilisation financière optimale du bâtiment (ATF 126 I 219 consid. 2c ; 120 Ia 270 consid. 6c ; 119 Ia 305 consid. 4b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; 1C_386/2011 du
17 janvier 2011 consid. 3.2.1).

Le sacrifice financier auquel le propriétaire est soumis du fait de la mise à l’inventaire constitue un élément important pour apprécier si l’atteinte portée par cette mesure à son droit de propriété est supportable ou non (ATF 126 I 219 consid. 6c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_52/2016 précité consid. 3.2).

En relation avec le principe de la proportionnalité au sens étroit, une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si elle produit des effets insupportables pour le propriétaire ou ne lui assure pas un rendement acceptable. Savoir ce qu'il en est dépend notamment de l'appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée; il incombe à l'autorité d'établir les faits de telle manière qu'apparaissent clairement toutes les conséquences de la mesure, des points de vue de l'utilisation future du bâtiment et des possibilités de rendement pour son propriétaire (cf. ATF 126 I 219 consid. 6c in fine p. 222 et consid. 6h p. 226; arrêts du Tribunal fédéral 1C_52/2016 du 7 septembre 2016 consid. 2 ; 1P.842/2005 du 30 novembre 2006 consid. 2.4).Il faut également tenir compte du caractère nécessaire de la mesure. Plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte
(ATF 118 Ia 384 consid. 5e ; dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que « le Tribunal administratif n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation en jugeant que l'intérêt essentiellement financier de la propriétaire ne pouvait l'emporter sur l'intérêt public à la conservation du bâtiment. Si les intérêts financiers du propriétaire devaient l'emporter, on ne pourrait pratiquement jamais classer un bâtiment digne de protection »).

9) a. Depuis la modification de la LPMNS, entrée en vigueur le 20 octobre 2000, la mise à l'inventaire entraîne l'obligation de maintenir les immeubles et d'en préserver les éléments dignes d'intérêt (art. 9 al. 1 1ère phr. LPMNS).
L'art. 90 al. 1 LCI, aux termes duquel les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés en cas de rénovation ou de transformation, est applicable par analogie aux travaux exécutés dans ces immeubles (art. 9 al. 1 2ème phr. LPMNS). Restent réservés les cas d’intérêt public (art. 9 al. 1 3ème phr. LPMNS).

b. L'inscription à l'inventaire a une portée de protection réelle, pour des bâtiments dont l'intérêt a été reconnu, mais dont le classement ne se justifie pas, de manière à garantir des immeubles qui méritent d'être maintenus et qui ne sont pas protégés par d'autres mesures (MGC 2000/II p. 1685ss, 1696).

10) En l’espèce, la protection du bâtiment ne peut être assurée par un moyen moins incisif, l'inventaire constituant la mesure de protection individuelle la moins contraignante prévue par la LPMNS.

La recourante allègue cependant que l’inscription à l’inventaire lui causerait un grave préjudice financier, dès lors qu’elle a engagé un montant considérable à l’achat de la propriété, mais également à la réalisation d’un projet de qualité, cherchant depuis 2009 à répondre aux exigences alors formulées par les autorités, avec la certitude que l’opération prévue pourrait se concrétiser.

Cependant, la mesure de protection envisagée n’empêche pas le propriétaire de la parcelle de procéder à sa densification mesurée. Le département a d’ailleurs accepté d’entrer en matière sur une variante du projet permettant de respecter les contraintes existantes et s’est d’ailleurs prononcé favorablement sur la construction d’un bâtiment en bordure de la route de Saint-Loup, au nord-Est du bâtiment protégé, dans la mesure où cette opération ne portait pas atteinte aux qualités patrimoniales de la villa. Demeurent réservée la question du respect des normes en matière de nuisances sonores.

De même, une inscription à l’inventaire ne rend nullement impossible des travaux de rénovation. Une mise aux normes de sécurité afin de maintenir cette maison à une affectation, par exemple, d’habitat individuel, apparaît possible conformément aux déclarations de la directrice de l’OPS. Cette maison pourrait également faire l’objet, les cas échéant, d’un usage administratif.

Selon les rapports d’expertise versés à la procédure, les frais de rénovation de cette villa n’apparaissent en effet pas excessifs. Si M. BAERTSCHI les a estimé à CHF 1'000'000.-, M. HILTBRAND, dont l’estimation est plus détaillée, a ramené cette estimation à CHF 670'000.-, étant précisé que 35 % de cette somme apporterait une plus-value au bâtiment. En plus de cette mise en valeur de la villa, le bénéfice résultant de la vente des appartements ou le rendement de leur mise en location doit également être pris en compte. Étant précisé que le coût de la rénovation de la villa représente moins de 10 % du prix d’achat de la propriété, le sacrifice financier auquel doit se soumettre le propriétaire ne rend pas insupportable l’atteinte portée par la mesure à son droit de propriété.

Si le gain financier envisagé lors de l’achat de la parcelle risque de ne pas être atteint, l’intérêt privé à une utilisation financière optimale du bâtiment par les propriétaires ne peut à lui seul l'emporter sur l'intérêt public à la conservation du bâtiment, tel que rappelé supra. Or, comme précédemment évoqué, la maison Wartmann est actuellement une des deux dernières œuvres de l’architecte REVERDIN encore existantes à Genève, si bien que l’intérêt à sa conservation doit prévaloir celui du propriétaire de réaliser les gains envisagés lors de l’achat de la parcelle.

La recourante soutient également que l’intérêt public à la réalisation de logements en période de pénurie est prépondérant. Or, l’intérêt public à la conservation des bâtiments témoins du passé l’est également. Le département a d’ailleurs motivé sa décision, en expliquant qu’il entendait faire prévaloir l’intérêt public au maintien d’un élément du patrimoine sur celui lié à la construction de nouveaux bâtiments destinés à l’habitat. De plus, à suivre la recourante, l’ensemble des bâtiments protégés du canton de Genève devrait être démoli afin de pouvoir répondre au mieux à la pression constante des demandes de logements.

Ainsi, aucun motif d’intérêt public ou privé n’habilitait le département à s’écarter des préavis favorables à cette mesure de protection.

Pour ces motifs, la mesure de protection ne constitue pas une restriction disproportionnée à la garantie de la propriété. Le grief sera par conséquent écarté.

11) La recourante soulève un grief de violation du principe de la bonne foi.

a. Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêts du Tribunal
fédéral 1C_18/2015 du 22 mai 2015 consid. 3 ; 2C_970/2014 du 24 avril 2015 consid. 3.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 193 n. 568).

Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1 ; 131 II 627 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_151/2012 du 5 juillet 2012
consid. 4.2.1 ; 2C_1023/2011 du 10 mai 2012 consid. 5).

Conformément au principe de la confiance, qui s’applique aux procédures administratives, les décisions, les déclarations et comportements de l’administration doivent recevoir le sens que l’administré pouvait raisonnablement leur attribuer en fonction des circonstances qu’il connaissait ou aurait dû connaître (arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2004 du 14 octobre 2004 in RDAF 2005 I 71 ;
Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 193 n. 569 s). Le principe de la confiance est toutefois un élément à prendre en considération et non un facteur donnant en tant que tel naissance à un droit (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 193 n. 569 et les références citées).

La protection de la bonne foi ne s’applique pas si l’intéressé connaissait l’inexactitude de l’indication ou aurait pu la connaître en consultant simplement les dispositions légales pertinentes (ATF 135 III 489 consid. 4.4 p.  494 ; 134 I 199 consid. 1.3.1. ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 193 s. n. 571).

b. Selon la jurisprudence, les assurances ou les renseignements erronés donnés par les autorités confèrent des droits aux justiciables lorsque les cinq conditions cumulatives suivantes sont remplies. Tout d’abord, on doit être en présence d’une promesse concrète effectuée à l’égard d’une personne déterminée. Il faut également que l’autorité ait agi dans le cadre et dans les limites de sa compétence, que la personne concernée n’ait pas été en mesure de se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement fourni, qu’elle se soit fondée sur ce renseignement pour prendre des dispositions qu’elle ne peut ensuite modifier sans subir de préjudice et, enfin, que la loi n’ait pas subi de changement depuis le moment où la promesse a été faite (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; ATA/1176/2015 du 3 novembre 2015 et les références citées).

c. En l’espèce, la recourante ne saurait se prévaloir d’une violation du principe de la bonne foi ni du principe de la confiance, dès lors qu’elle n’a pas démontré l’existence d’une promesse reçue des autorités compétentes. Concrètement, à aucun moment elle n’a reçu de garantie quant au fait que cette maison échapperait à une mesure de mise sous protection. Les personnes contactées lui ont tout au plus expliqué que la maison ne faisait alors pas l’objet d’une telle mesure.

M. AYSANOA a ainsi contesté lui avoir donné des assurances quant à l’absence d’intérêt patrimonial de la maison. Au contraire, il lui avait recommandé de s’adresser au SMS et aux différents services compétents.

De même, Mme GRUFFAT a expliqué qu’elle invitait toujours les personnes concernées à déposer une demande d’autorisation, afin d’obtenir une réponse formelle quant à la probabilité ou l’existence d’une mesure de protection sur un bâtiment.

La question des objets à protéger ne fait pas partie des éléments devant être étudiés dans le cadre de l’adoption d’un plan directeur, ce dernier servant à fixer les orientations futures de l'aménagement. Par conséquent, comme l’a relevé
la directrice de l’OPS lors du transport sur place, ils ne sont pas l’outil adéquat pour les identifier et le fait qu’ils ne se prononcent pas sur un éventuel objet à protéger ne signifie pas que celui-ci ne serait pas digne de protection. La recourante ne peut ainsi s’en prévaloir dans le cadre de l’examen d’une éventuelle violation du principe de la bonne foi.

Pour ces motifs, ce grief sera également écarté.

12) La recourante allègue une violation du principe de coordination, au motif qu’un service ne pouvait pas donner une réponse positive, sans réserve, sur un projet immobilier, sans tenir compte de toutes les normes applicables au dossier.

a. Ancré à l’art. 25a de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur l’aménagement du territoire (LAT - RS 700), le principe de coordination formelle et matérielle est également expressément consacré par le droit cantonal. Selon l’art. 3A LCI, lorsque plusieurs législations ayant entre elles un lien matériel étroit sont applicables à un projet de construction, la procédure directrice est celle relative aux autorisations de construire, à moins qu’une loi n’en dispose autrement ou sauf disposition contraire du Conseil d’État (al. 1). En sa qualité d’autorité directrice, le département coordonne les diverses procédures relatives aux différentes autorisations et approbations requises et veille à ce que celles-ci soient délivrées et publiées simultanément dans la FAO (al. 2). L’art. 12A LPA rappelle, quant à lui, le principe général selon lequel les procédures doivent être coordonnées lorsque plusieurs législations ayant entre elles un lien matériel étroit sont applicables à un projet.

b. À de nombreuses reprises, le Tribunal fédéral a dégagé les principes imposant une coordination matérielle et formelle des décisions impliquant l’application de plusieurs dispositions légales différentes pour la réalisation du même projet. S’il existe entre celles-ci une imbrication telle qu’elles ne sauraient être appliquées indépendamment les unes des autres, il y a lieu d’en assurer la coordination matérielle (ATF 118 IV 381 ; 118 Ib 326 ; 117 Ib 35 ; 116 Ib 175 ; 116 Ib 50 ; 114 Ib 125 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_14/2011 du 26 avril 2011 consid. 2.1 ; ATA/704/2012 du 16 octobre 2012 ; ATA/453/2011 du
26 juillet 2011 ; ATA/676/2006 du 19 décembre 2006 ; ATA/32/2002 du
15 janvier 2002). De l’exigence de coordination matérielle naît une obligation de coordination formelle. Ces principes développés dans le cadre de l’application du droit fédéral valent, par analogie, dans tous les cas où un projet relève de dispositions légales cantonales étroitement imbriquées. La juridiction de céans a d’ailleurs déjà eu l’occasion d’indiquer qu’en matière d’autorisation de construire, l’autorité devait prendre en compte toutes les dispositions légales pertinentes et, par conséquent, peser les intérêts y relatifs (ATA/704/2012 du 16 octobre 2012 ; ATA/190/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/80/2009 du 17 février 2009 ; ATA/464/2007 du 18 septembre 2007).

c. En l’espèce, le grief d’une violation du principe de la bonne foi a été écarté, la recourante n’ayant pas démontré avoir formellement reçu des assurances des divers offices contactés.

À teneur du dossier, aucun élément ne permet de penser que, dans le cadre de la procédure de mise à l’inventaire, les autorités se seraient contredites ou auraient ignoré les démarches ou les décisions prises par d’autres autorités.

Au contraire, le département a tenu compte de tous les préavis et pièces au dossier avant de rendre sa décision. C’est souvent dans le cadre d’une demande d’autorisation de démolir ou de construire que des bâtiments méritant de bénéficier d’une mesure de protection sont découverts. Le département a attendu le résultat de la procédure de mise à l’inventaire avant de se prononcer sur les deux demandes qui lui avaient été soumises, soit en autorisation de démolir et de construire, pour lesquelles il a rendu simultanément ses décisions.

Ce faisant, il a agi de façon coordonnée, en tenant compte de toutes les dispositions pertinentes en la matière.

Pour ces motifs, ce grief sera également écarté.

13) La recourante invoque également une violation du principe de l’égalité de traitement.

a. Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement garanti par l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 138 V 176 consid. 8.2 ; 131 I 1 consid. 4.2 ; 129 I 346 consid. 6 ;
Vincent MARTENET, Géométrie de l'égalité, 2003, p. 260 ss).

b. En l’espèce, et tel que mentionné supra, la politique de protection des bâtiments anciens, et notamment des œuvres architecturales témoins du XIXème, a évolué et est devenue plus étendue ces dernières années. Il n’est ainsi pas étonnant que certaines œuvres de M. REVERDIN aient échappé par le passé à toutes mesures de protections, de même que d’autres maisons bâties par ses contemporains selon cette forme particulière de « maisons cubes ».

Actuellement, seules deux maisons cubes, œuvre de l’architecte REVERDIN, sont encore présentes sur le territoire genevois, soit la maison Joly qui fait également l’objet d’une mesure de protection et la maison Wartmann. Ainsi, leur caractère particulier a déjà pu être admis, étant rappelé que les spécialistes ont souligné la qualité de conservation de la maison Wartmann qui en fait un témoin du passé privilégié.

Au vu de ce qui précède, il ne ressort pas du dossier que l’autorité intimée ait violé le principe de l’égalité de traitement et le grief sera écarté.

14) Dans ces circonstances, l’arrêté du département est conforme au droit et le recours sera rejeté.

15) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2’000.-, y inclus le défraiement à concurrence de CHF 420.- de Mme CHAILLOT CALAME lors du transport sur place, sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 mars 2015 par Maisons du Léman SA contre l’arrêté du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie du
25 février 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2’000.- à la charge de Maisons du Léman SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt, incident, peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Alain Veuillet et Mark Müller, avocats de la recourante, ainsi qu'au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray, Verniory et Pagan, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :