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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1982/2012

ATA/643/2013 du 01.10.2013 ( AMENAG ) , REJETE

Descripteurs : ; MONUMENT ; PROTECTION DES MONUMENTS ; MESURE DE PROTECTION ; CLASSEMENT(ZONE) ; POUVOIR D'APPRÉCIATION ; PROPORTIONNALITÉ ; GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ
Normes : LPA.46.al1 ; LPA.62.al1.leta ; LPA.87 ; Cst.26.al1 ; Cst.29.al2 ; LPMNS.4 ; LPMNS.10.al1 ; LPMNS.12.al1 ; LPMNS.12.al2 ; LPMNS.12.al4 ; LPMNS.15.al1 ; LPMNS.15.al3 ; RPMNS.5.al2.letd ; LPMNS.14 ; RPMNS.22.al2 ; RPMNS.22.al3 ; LCI.3.al1 ; LAC.48.leth
Parties : BARBIER-MUELLER Thierry / CONSEIL D'ETAT
Résumé : Bien que l'arrêté de classement du Conseil d'Etat se limite à énoncer les actes de procédure retenus pour justifier le classement contesté, il fait référence aux préavis pertinents. Cette motivation permettait au recourant de se rendre compte de la portée de la décision litigieuse et de recourir contre elle en connaissance de cause. Par ailleurs, le recourant ne pouvait déduire du silence de l'autorité que celle-ci avait abandonné la procédure de classement en cause. Il n'a jamais interpellé le Conseil d'Etat ou le département à ce sujet et n'a pas fait usage de son droit de recours pour déni de justice. Les préavis pertinents étaient favorables au classement de la villa dans son ensemble et de la parcelle sur laquelle elle est située. Ces préavis ont été rendus par des personnes compétentes en la matière et reposaient sur une étude approfondie et historique du dossier. Dans ce contexte, le classement de la parcelle, de l'enveloppe extérieure, ainsi que des éléments dignes d'intérêts situés à l'intérieur de la villa est justifié. En outre, la mesure de classement, en tant qu'elle portait sur l'intégralité du bâtiment et sur sa parcelle, n'est pas constitutive d'une atteinte grave au droit de propriété du recourant. L'intérêt privé de ce dernier doit céder le pas devant l'intérêt public à la protection du patrimoine, si bien que la mesure de classement ne viole pas le principe de la proportionnalité. Le recours est rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1982/2012-AMENAG ATA/643/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er octobre 2013

 

dans la cause

 

Monsieur Thierry BARBIER-MUELLER
représenté par Me Philippe Cottier, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT
représenté par Me Alain Maunoir, avocat



EN FAIT

1) Monsieur Thierry Barbier-Mueller est propriétaire de la parcelle no 824 sise en Ville de Genève, plan 25, section Eaux-Vives, 2, avenue de Godefroy, comportant un bâtiment cadastré sous le no E140 de trois étages affectés au logement dit « villa Marie ».

2) Cette villa constitue, avec celle située sur la parcelle voisine n° 826, un ensemble bâti construit en 1910 par l’architecte Louis Vial selon un style italianisant identique.

3) Le 25 juin 2002, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) a rendu un préavis concernant notamment les deux bâtiments nos 824 et 826 précités.

Elle demandait d’ouvrir une procédure de classement pour ces deux villas dites florentines, située à la route de Chêne nos 33 et 35.

4) Le 9 août 2006, la CMNS a formulé une nouvelle demande de classement portant sur les bâtiments se trouvant sur les parcelles nos 824 et 826.

5) Le 12 décembre 2006, l’association Patrimoine suisse Genève a rappelé la valeur exceptionnelle de l’ensemble formé par les deux bâtiments précités. Ces villas locatives étaient répertoriées dans l’ouvrage « Le grand siècle de l’architecture genevoise » et conservaient, pour l’essentiel, toute leur substance.

Selon l’extrait cet ouvrage, p. 109, ces deux villas locatives de style italianisant avaient un plan rectangulaire semblable avec trois façades mises en évidence par les chaînes d’angle en harpe, au relief très marqué, et encadrant des refends continus ; la façade sur route de Chêne était caractérisée par un avant-corps central vitré sur les trois étages avec structure métallique affirmée, motifs végétaux dans les vitraux ainsi que fleurs émaillées sur les allèges. La façade latérale gauche comportait une cage d’escalier en légère saillie, entièrement maçonnée. Le toit était plat mais l’avant-toit très débordant, caractéristique de l’architecture bourgeoise italienne de l’époque, était légèrement en pente, couvert de tuiles romaines à l’ancienne.

6) Par courrier du 2 février 2007, le département du territoire a convié M. Barbier-Mueller à une séance d’information le 9 mars 2007, afin de lui présenter les études menées par les services de la ville et de l’Etat de Genève, en vue de l’élaboration future d’un projet de plan localisé de quartier sur le périmètre du quartier des Allières.

7) Selon le procès-verbal du département du territoire du 21 mars 2007 portant sur la séance d’information susmentionnée, il s’agissait d’une séance de présentation des premiers résultats d’une démarche qui devait aboutir à l’élaboration d’un projet de plan localisé de quartier sur le secteur des Allières.

8) Le 12 mars 2007, faisant suite aux demandes de classement de la CMNS susmentionnées, le conseiller d’Etat en charge du département des constructions et des technologies de l’information, devenu depuis le 7 juillet 2012 le département de l'urbanisme (ci-après : le département), a décidé d’ouvrir une procédure en vue du classement du bâtiment n° E140, sis sur la parcelle n° 824 en question.

M. Barbier-Mueller était invité, en sa qualité de propriétaire, à communiquer ses observations auprès du département, dans un délai de 30 jours suivant la réception de cet avis.

9) Le 16 avril 2007, l’intéressé a adressé ses observations au département, concluant au refus du classement du bâtiment n° E140, sis 2, avenue de Godefroy.

La mesure de classement envisagée était contraire au principe fondamental de la garantie de la propriété. De plus, une pesée des intérêts en cause n’établissait pas l’existence d’un intérêt public prépondérant au vu de la gravité de l’atteinte infligée à son droit de propriété, violant ainsi le principe de la proportionnalité.

10) Le 5 septembre 2007, la Ville de Genève (ci-après : la Ville) a donné un préavis favorable au classement des bâtiments nos E140 et E142, parcelles nos 824 et 826, feuille 55 du cadastre de la commune de Genève-Eaux-Vives, sis à l’avenue de Godefroy 2 – route de Chêne 33 et 35.

Ces deux villas avaient été conçues par l’architecte Louis Vial en 1910 pour le compte des sociétés immobilières « villa Marie » et « villa Merry ». Leur intérêt patrimonial avait été relevé par plusieurs auteurs d’ouvrages consacrés à l’architecture genevoise. D’une typologie originale, à mi-chemin entre la résidence particulière et le petit immeuble de rapport, ces bâtiments formaient deux blocs identiques de trois appartements chacun. Leur enveloppe empruntait un style méridional inédit à Genève. La toiture plate, les avant-toits saillants, la frise décorative, les chaînes d’angle, les intérieurs généreux et les vérandas aux vitraux colorés conféraient une qualité particulièrement élevées à ces constructions.

11) Par courrier du 20 mars 2008, le département a informé M. Barbier-Mueller qu’il avait mandaté une historienne, Madame Anne Domeniconi-Gueissaz, pour effectuer une étude historique, assortie d’une évaluation patrimoniale de la villa, bâtiment no E140, dont il était propriétaire.

12) En août 2008, Mme Domeniconi-Gueissaz a rendu une étude consacrée aux deux villas précitées.

D’une qualité particulièrement élevée, les deux villas florentines de Louis Vial, architecte genevois d’importance, offraient un exemple majeur de l’architecture domestique. Objets atypiques, elles n’en demeuraient pas moins représentatives de la production architecturale locale du début du XXe siècle tant par l’emploi d’un vocabulaire néo-classique, teinté de quelques influences de l’art nouveau et du rationalisme, que par leurs caractéristiques typologiques répondant aux exigences de la bourgeoisie genevoise du début du XXe siècle. Leur visibilité élevée en raison de leur situation en bordure d’un axe routier d’accès à la ville, leur insertion dans un quartier en plein essor, leur orientation, leur décor riche et soigné, ainsi que leur volume généreux témoignaient de la culture urbaine et d’apparat de cette nouvelle classe dominante. Malgré les transformations successives subies, elles avaient conservé leur substance. Leur enveloppe n’avait pas ou peu été modifiée et leur organisation interne était encore lisible.

Les trois niveaux de la « villa Marie » ne formaient plus qu’un seul logement. La disposition des pièces du rez-de-chaussée, hormis la cuisine, était toujours celle dessinée par Louis Vial en 1912 et les éléments décoratifs indiqués sur les plans, comme les soubassements, la cheminée Louis XV de marbre blanc du salon, les sols de mosaïque, les boiseries d’appuis et huisseries, les moulures et rosaces de plâtre et de staff et certains radiateurs étaient encore en grande partie conservés. La plupart des sols avait été conservés : les parquets fougères en chêne, le terrazzo augmenté d’une bordure et de quelques motifs de mosaïque revêtant les sols du hall, de la pièce centrale sur rue et de la véranda. La cage d’escalier, dont la structure n’avait pas été modifiée, présentait quelques éléments d’origine. Les baies à deux vantaux des paliers intermédiaires étaient ornées de vitraux faisant écho à la frise peinte de la corniche. Un garde-corps à volutes, spirales et feuilles de vignes soutenant une main-courante en bois complétaient le décor de la montée d’escalier. Du faux marbre avait été peint sur les soubassements de la villa. Par ailleurs, elle abritait quelques pièces originales d’artisanat d’art régional exceptionnelles, telles que les ferronneries probablement réalisées par l’atelier W.-E. Gauthier ou les vitraux des vérandas et des cages d’escaliers. Ces vitraux avaient été entièrement restaurés par l’entreprise Burgener S.A. en 1999. Ainsi l’intérêt architectural et patrimonial exceptionnel de cette villa dite florentine de Louis Vial exigeait, sans nul doute, que des mesures conservatoires soient prises. De plus, afin d’éviter des pertes définitives et dommageables, certains éléments décoratifs méritaient une restauration complète et rapide.

13) Le 24 juin 2009, la sous-commission monuments et antiquités de la CMNS (ci-après : SCMA) a approuvé la proposition de classement des deux villas dites florentines, sises avenue de Godefroy 2 et route de Chêne 35, aux Eaux-Vives.

14) Le 30 juin 2009, la CMNS a approuvé le classement des deux villas précitées.

Leur qualité exceptionnelle avait amené la CMNS à demander leur classement. Le quartier des Allières où lesdites villas étaient implantées était appelé à se développer pour être englobé dans l’agglomération urbaine. Leur classement permettrait de les conserver dans cet alignement déjà marqué d’immeubles contemporains de très belles factures. Celles-ci étaient exceptionnelles dans le paysage architectural genevois. Leur désignation de villas florentines leur venait de l’écho qu’elles faisaient aux « villas Liberty » de Toscane, avec une touche de néo-classicisme sensible dans la modénature, les chaînages et les encadrements des façades à bossages, les balcons à consoles, les vérandas, les frises peintes sous les avancées et entre les consoles en bois des toitures plates. Richesse et confort s’affichaient dans les vérandas superposées qui formaient un important avant-corps dans l’axe des façades principales sur rue. Leurs huit vantaux étaient agrémentés de vitraux « art nouveau » raffinés attribuables à l’atelier de Pierre Chiara à Lausanne. Toute la ferronnerie témoignait de l’art très maîtrisé du serrurier genevois W.-E. Gauthier. En outre, la CMNS reprenait l’essentiel de l’étude de Mme Domeniconi-Gueissaz consacrée aux deux villas.

Toutes ces qualités, cette richesse décorative, la visibilité des deux villas jumelles au milieu de leurs parcelles relativement petites en bordure d’une pénétrante importante dans la ville, leur insertion dans un secteur en plein essor et leur orientation justifiaient la mesure conservatoire proposée.

15) Par arrêté du 30 mai 2012, le Conseil d’Etat a classé le bâtiment n° E140 et la parcelle n° 824, plan 25, de la commune de Genève-Eaux-Vives. La mesure de classement portait sur le bâtiment et la parcelle précités ainsi que sur tous les éléments dignes d’intérêt situés à l’intérieur dudit bâtiment.

Le bâtiment n° E140, voisin d’un bâtiment de style italianisant comparable, avait conservé, pour l’essentiel, toute sa substance patrimoniale. Cette appréciation était partagée par la CMNS et la Ville. Le bâtiment n° E140 pouvait donc être considéré comme un monument au sens de l’art. 4 LPMNS.

Le propriétaire de ce bâtiment s’était déclaré favorable au classement des seules façades de celui-ci, à l’exclusion de ses éléments intérieurs. Il n’établissait cependant pas, ni ne démontrait en quoi l’extension de la mesure de classement aux éléments intérieurs de ce bâtiment était dépourvue d’intérêt ou était disproportionnée. En dépit des transformations apportées, y compris dans ses parties intérieures, ledit bâtiment avait conservé sa substance patrimoniale.

16) Le 29 juin 2012, M. Barbier-Mueller a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté, concluant à son annulation.

Son droit d’entendu avait été violé, car l’arrêté contesté n’était pas suffisamment motivé. Le Conseil d’Etat ne démontrait pas en quoi la mesure de classement était nécessaire à la protection du bâtiment. Il n’expliquait pas non plus la raison pour laquelle il n’avait pas pris ses oppositions en considération, ni ne démontrait en quoi les principes constitutionnels de la pesée des intérêts et de la proportionnalité justifiaient une restriction à son droit à la garantie de la propriété.

La procédure de classement en cause avait duré plus de 5 ans, contrevenant à l’art. 12 al. 4 LPMNS, et devait être annulée. M. Barbier-Mueller était en droit de considérer qu’en l’absence de nouvelles de la part du Conseil d’Etat à la fin de l’année 2008, voire au plus tard au mois de mars 2010, la procédure de classement litigieuse avait été annulée. Ce comportement contradictoire était contraire au principe de la bonne foi.

Le principe de la pesée des intérêts n’avait pas été respecté. La décision de classement contestée était basée sur les seules constatations de l’étude réalisée en août 2008. L’intérêt à voir la villa en cause classée n’apparaissait pas forcément légitime aux yeux du grand public. Celle-ci était destinée à l’habitation de sa famille et non à accueillir des visiteurs. Le recourant n’avait pas besoin d’une mesure de classement pour respecter et conserver le style et les valeurs de sa villa. En outre, sa « liberté d’action » sur sa villa avait déjà été largement limitée par l’inscription de celle-ci à l’inventaire au sens des art. 7 et suivants LPMNS. Le prononcé d’un classement était donc disproportionné.

17) Par pli du 4 juillet 2012, le juge délégué a imparti au Conseil d’Etat un délai au 3 août 2012, prolongé au 28 septembre 2012, pour lui faire parvenir ses observations.

18) Le 28 septembre 2012, le Conseil d’Etat a conclu au rejet du recours de M. Barbier-Mueller.

L’arrêté contesté était suffisamment motivé. Celui-ci mentionnait notamment les préavis de la CMNS et de la Ville, tous favorables au classement de la villa de l’intéressé. L’étude de Mme Domeniconi-Gueissaz consacrée à ce bâtiment était également citée. Ces éléments étaient suffisants pour comprendre la décision litigieuse. De plus, le recourant n’avait pas démontré en quoi ses droits constitutionnels seraient violés par la mesure en cause.

La loi ne prévoyait qu’une seule conséquence en cas de dépassement du délai prévu à l’art. 12 al. 4 LPMNS, à savoir un recours pour déni de justice. Ce dépassement ne pouvait pas priver l’autorité compétente de prononcer une telle mesure de protection, ni valoir une décision formelle de refus de toute mesure de classement. M. Barbier-Mueller n’avait pas mis en demeure le Conseil d’Etat de rendre une décision au sujet du classement de sa villa ni sollicité de l’administration compétente en matière de protection du patrimoine bâti de statuer dans un délai déterminé.

Le principe de la bonne fois n’avait pas été violé. Aucune autorité n’avait assuré au recourant que la mesure de classement litigieuse avait été abandonnée. Il n’y avait aucune confusion possible entre les discussions menées avec les collaborateurs du département du territoire et la procédure de classement en cause.

La décision de classement allait certes engendrer des atteintes aux droits du propriétaire. Cela découlait toutefois de la loi, de sorte que le principe de la légalité était respecté. De plus, les atteintes précitées étaient proportionnées et visaient un objectif d’intérêt public. L’intérêt architectural et historique de la villa en question n’était pas contesté. Les préavis et éléments ressortant de l’arrêté contesté étaient suffisants pour retenir la grande valeur historique et culturelle du bâtiment n° E140. L’impression d’unité entre les deux villas florentines en cause, ainsi que leurs qualités architecturales, étaient aisément constatables par le grand public. Il n’était pas nécessaire que le bâtiment classé puisse être visité.

Enfin, le recourant n’allait pas subir d’atteintes disproportionnées à ses droits de propriétaire. La villa en question et ses abords avaient été préservés. L’intéressé désirait protéger au mieux cette propriété, de sorte que les obligations liées à la mesure de classement litigieuse n’étaient pas particulièrement contraignantes pour lui. La décision de classement était justifiée par la valeur historique et architecturale du bâtiment n° E140.

19) Par pli du 2 octobre 2012, le juge délégué a accordé un délai au 31 octobre 2012 aux parties pour formuler toute requête complémentaire, ensuite de quoi la cause serait gardée à juger.

20) Le 31 octobre 2012, M. Barbier-Mueller a déclaré ne pas avoir d’observations, ni de requêtes complémentaires à formuler.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur le classement du bâtiment no E140 et de tous les biens dignes d’intérêt situés à l’intérieur de celui-ci, ainsi que de la parcelle no 824, plan 25, de la commune Genève-Eaux-Vives, sur laquelle le bâtiment en question est érigé.

3) Conformément à l'art. 4 LPMNS, sont protégés les monuments de l'histoire de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui représentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords (let. a) ; les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b).

4) Pour assurer la protection d'un monument ou d'une antiquité au sens de l'art. 4 LPMNS, le Conseil d'Etat peut procéder à son classement par voie d'arrêté assorti, au besoin, d'un plan approprié (art. 10 al. 1 LPMNS).

5) Lorsqu'une procédure de classement est ouverte en vertu de l'art. 10 LPMNS, le propriétaire est informé personnellement. Il est invité à formuler ses observations (art. 12 al. 1 et 2 LPMNS ; art. 22 al. 2 du règlement général d'exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre l976 - RPMNS - L 4 05.01).

La commune du lieu de situation est également consultée (art. 14 LPMNS ; art. 22 al. 3 RPMNS). L'autorité compétente pour émettre le préavis est le conseil administratif (art. 48 let. h de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 - LAC - B 6 05).

Enfin, le Conseil d'Etat doit s'entourer du préavis de la CMNS (art. 5 al. 2 let. d RPMNS).

En l’espèce, la procédure ci-dessus a été respectée par l’autorité intimée.

6) Le recourant allègue tout d’abord une violation de son droit d’être entendu, l’arrêté contesté n’étant pas suffisamment motivé.

Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) implique notamment l’obligation pour l’autorité de motiver ses décisions, afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient (ATF 138 I 232 consid. 5.1 p. 237 ; 133 III 439 consid. 3.3 p. 445 s. et les arrêts cités). Il suffit cependant, selon la jurisprudence, que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause (ATF 138 I 232 consid. 5.1 p. 237 ; 138 IV 81 consid. 2.2 p. 84 ; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236; Arrêts du Tribunal fédéral 5A_12/2013 du 8 mars 2013 consid. 4.1 ; 2C_997/2011 du 3 avril 2012 consid. 3 ; 1C_311/2010 du 7 octobre 2010 consid. 3.1 ; ATA/720/2012 du 30 octobre 2012 consid. 4).

La garantie constitutionnelle fédérale du droit d’être entendu est concrétisée à l’art. 46 al. 1 LPA. Cette disposition légale n’offrant pas une protection supérieure, c’est à l’aune de l’art. 29 al. 2 Cst. que le cas d’espèce doit être apprécié.

En l'espèce, il est vrai que l’arrêté attaqué se limite à énoncer les actes de procédure retenus pour justifier le classement contesté. Toutefois, il renvoie aux préavis pertinents et cette motivation a permis à M. Barbier-Mueller de se rendre compte de la portée de la décision litigieuse et de recourir contre elle en connaissance de cause.

La décision attaquée n'est ainsi pas viciée de ce point de vue.

7) Le recourant prétend également que le Conseil d’Etat n’a pas respecté le délai de 18 mois prévu à l’art. 12 al. 4 LPMNS.

a. Selon l’art. 12 al. 4 LPMNS, le Conseil d’Etat doit rendre sa décision 18 mois au plus tard après l’ouverture de la procédure de classement, qui doit être menée avec diligence. En cas de dépassement de ce délai, un recours pour déni de justice peut être déposé auprès de la chambre administrative de la Cour de justice par le propriétaire, la commune du lieu de situation du monument ou l’auteur de la demande de classement.

b. En l’espèce, le recourant ne pouvait déduire du silence du Conseil d’Etat que celui-ci avait abandonné la procédure de classement en cause. Il n’a jamais interpellé le Conseil d’Etat ou le département à ce sujet et n’a pas fait usage de son droit de recours pour déni de justice.

Ce grief sera donc écarté.

8) Il faut vérifier si la mesure de classement litigieuse est justifiée, c’est-à-dire si le bâtiment no 140 dans son ensemble et la parcelle no 824 sont dignes d’être protégés au sens de l’art. 4 LPMNS.

a. Un monument est toujours un bâtiment, fruit d'une activité humaine. Tout monument doit être une œuvre digne de protection du fait de sa signification historique, artistique, scientifique ou culturelle. Il appartient aux historiens, historiens de l'art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le monument le rendent digne de protection, d'après leur connaissance et leur spécialité. A ce titre, il suffit qu'au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l'abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l'évolution de la situation et d'une rareté qu'il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s'en écarter (ATA/80/2001 du 6 février 2001 ; ATA/280/2000 du 9 mai 2000 et les références citées ; P. VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 24 et les références citées).

b. Selon la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, élaborée et adoptée à l'échelle internationale en 1964 à Venise à l'occasion du 2ème congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques (ci-après : Charte de Venise), la notion de monument historique comprend tant la création architecturale isolée que le site urbain ou rural qui porte témoignage d'une civilisation particulière, d'une évolution significative ou d'un événement historique. Elle s'étend non seulement aux grandes créations mais aussi aux œuvres modestes qui ont acquis avec le temps une signification culturelle (art. 1 Charte de Venise).

c. L'art. 4 let. a LPMNS, en tant qu'il prévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (cf. notamment : P. VOGEL, op. cit., p. 25) ; la jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2e p. 223 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006). Alors qu'à l'origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elle s'est peu à peu étendue à des immeubles et objets plus modestes, que l'on a qualifié de patrimoine dit « mineur », pour enfin s'ouvrir sur une prise de conscience de l'importance du patrimoine hérité du XIXe siècle et de la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/105/2006 du 7 mars 2006 ; ATA/89/2000 du 8 février 2000). Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction de critères objectifs ou scientifiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a p. 275 ; 118 Ia 384 consid. 5a p. 389 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/428/2010 du 22 juin 2010 et les références citées).

9) a. Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci.

b. Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours. En revanche, la chambre administrative ne s'impose pas de réserves face à un préavis négatif de la CMNS lorsque ce dernier a été requis sans nécessité et que l'objet architectural litigieux n'est pas complexe (ATA/529/2012 du 21 août 2012 ; ATA/676/2006 du 19 décembre 2006).

10) En l’espèce, la demande de classement porte sur l’enveloppe extérieure du bâtiment no E 140 et ses parties intérieures dignes de protection, ainsi que sur la parcelle no 824. Les préavis recueillis par l’autorité intimée ont tous été favorables au classement de la « villa Merry » et de la « villa Marie ».

La SCMA et la CMNS, reprenant largement l’étude historique réalisée par Mme Domeniconi-Gueissaz, ont soulevé les qualités exceptionnelles de celles-ci justifiant le classement contesté. Le quartier des Allières où elles sont implantées étant appelé à se développer, le classement de ces deux villas permettrait de les conserver dans un alignement déjà marqué d’immeubles contemporains de très belles factures. Leur désignation de villas florentines leur venait du style propre aux « villas Liberty » que l’on peut trouver en Toscane. L’architecture remarquable de la « villa Marie », visible depuis la route de Chêne, a été conservée et l’organisation interne d’origine a été préservée. Une grande partie des sols, les manteaux de cheminée, boiseries, huisseries, moulures et rosaces, sans compter la ferronnerie, les vitraux et les peinture de la frise sous toiture ont également été sauvegardés.

Selon la Ville, l’intérêt patrimonial des bâtiments nos 140 et 142 a été relevé par plusieurs auteurs d’ouvrages consacrés à l’architecture genevoise. D’une typologie originale, leur enveloppe emprunte un style méridional inédit à Genève et leur architecture est d’une qualité particulièrement élevée.

Il en résulte que les préavis pertinents, en l’espèce ceux de la CMNS et de la Ville, sont favorables au classement du bâtiment no 140 dans son ensemble et de la parcelle sur laquelle elle est située. Ces préavis ont été rendus par des personnes compétentes en la matière et reposent sur une étude approfondie et historique du dossier. Dans ce contexte, le classement de la parcelle précitée, de l’enveloppe extérieure ainsi que des éléments dignes d’intérêts situés à l’intérieur de la « villa Marie » est justifié.

Au vu de ce qui précède, le Conseil d’Etat n’a pas mésusé de son pouvoir d’appréciation en prononçant la mesure contestée.

11) Reste à déterminer si la décision de classement litigieuse est compatible avec les libertés constitutionnelles du recourant, en particulier avec la garantie de la propriété.

12) a. L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ; pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221 et les arrêts cités ; ATA/427/2010 du 22 juin 2010).

b. En principe, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont d'intérêt public et celui-ci prévaut sur l'intérêt privé lié à une utilisation financière optimale du bâtiment (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 221 ; 120 Ia 270 consid. 6c p. 285 ; 119 Ia 305 consid. 4b p. 309). Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.28/2004 précité, consid. 2.2.1)

c. Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 précité, consid. 2.4). Sous ce dernier aspect (principe de proportionnalité au sens étroit), une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si, dans la pesée des intérêts en présence, elle produit des effets insupportables pour le propriétaire. Savoir ce qu'il en est ne dépend pas seulement de l'appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée, mais aussi de son caractère nécessaire : plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte (ATF 118 Ia 384 consid. 5e p. 393).

d. En d’autres termes, la mesure de protection doit respecter la règle de la nécessité. A cet égard, il sied de relever que le classement est certes la mesure la plus intensive des instruments de protection du patrimoine. Ainsi, en droit genevois, l’immeuble classé ne peut, sans l’autorisation du Conseil d’Etat, être démoli, faire l’objet de transformations importantes ou d’un changement dans sa destination (art. 15 al. 1 LPMNS). Les simples travaux ordinaires d’entretien et les transformations de peu d’importance peuvent être autorisés par l’autorité compétente, pour autant qu’ils aient fait l’objet d’un préavis favorable de la part de la CMNS et d’une demande d’autorisation ordinaire au sens de l’art. 3 al. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) à l’exclusion des procédures accélérées prévues à l’art. 3, al. 7 et 8 de ladite loi (art. 15 al. 3 LPMNS).

 

13) En l'occurrence, contrairement à ce que soutient le recourant, le Conseil d’Etat ne s’est pas uniquement basé sur les constatations de l’étude historique réalisée en août 2008 pour fonder sa décision. En effet, selon les différents préavis favorables à son classement, la « villa Marie » présente un intérêt architectural et historique. De surcroît, l'urbanisation du quartier des Allières commande la préservation des deux villas florentines et des parcelles sur lesquelles elles sont érigées. Ces éléments sont suffisants pour saisir la valeur historique, culturelle et patrimoniale du bâtiment no 140.

Le classement implique le maintien de l’immeuble non seulement dans son aspect mais aussi dans sa substance et la préservation de tous les éléments dignes d'intérêt qui la composent. Néanmoins, le classement n'interdit pas la possibilité de faire des travaux sur le bâtiment protégé. Le recourant tient d’ailleurs à respecter et préserver le style et les valeurs de sa villa. Les effets du classement contesté seront ainsi peu contraignants pour lui.

Il s’ensuit que la mesure de classement, en tant qu’elle porte sur l’intégralité du bâtiment no 140 et sur la parcelle n° 824, n’est pas constitutive d’une atteinte grave au droit de propriété du recourant. L’argument selon lequel la mesure de classement viole le principe de la proportionnalité n’est donc pas fondé.

Dès lors, l'intérêt privé du recourant doit céder le pas devant l'intérêt public à la protection du patrimoine poursuivi par l'arrêté attaqué, si bien que ce dernier ne viole pas le sous-principe de la proportionnalité au sens étroit

14) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant. Vu l’issue du litige, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 juin 2012 par Monsieur Thierry Barbier-Mueller contre l’arrêté du Conseil d'Etat du 30 mai 2012 ;

 

 

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur Thierry Barbier-Mueller un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d'indemnité ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Cottier, avocat du recourant, à Me Alain Maunoir, avocat du Conseil d'Etat.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :