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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/24839/2019

AARP/203/2023 du 19.06.2023 sur JTDP/1281/2022 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 21.08.2023, rendu le 17.04.2024, REJETE, 6B_982/2023
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24839/2019 AARP/203/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 7 janvier 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, France, comparant par Me B______, avocat,

C______, D______, E______, F______ et H______, parties plaignantes, comparant par Me I______, avocate,

appelants,

 

contre le jugement JTDP/1281/2022 rendu le 19 octobre 2022 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/1281/2022 du 19 octobre 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable d’homicide par négligence (art. 117 du code pénal [CP]) et de conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 al. 2 let. a de la loi fédérale sur la circulation routière [LCR]) et l’a condamné à une peine privative de liberté de 18 mois, sous déduction de la détention avant jugement (art. 40 CP), assortie du sursis et d’un délai d'épreuve de trois ans (art. 42 et 44 CP). Le TP l’a condamné à payer, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO), CHF 15'000.- à E______, CHF 4'800.- à D______ et CHF 12'000.- chacun à F______, G______, C______ et H______, ces sommes portant intérêts à 5% dès le 8 décembre 2019. Il a débouté E______ de ses conclusions en indemnisation portant sur le montant de CHF 11'707.55 avec intérêts à 5% dès le 17 décembre 2019 et renvoyé les parties plaignantes F______, G______ et E______ à agir par la voie civile s'agissant de leurs prétentions en indemnisation de la perte de soutien (art. 126 al. 3 CPP).

A______ (ci-après : l’appelant) entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement de l’infraction d’homicide par négligence, au déboutement des parties civiles et au prononcé d’une peine privative de liberté de six mois avec sursis, avec suite de frais.

b. En temps utile également, C______, E______, D______, F______ et G______ et H______ (ci-après : les parties plaignantes) appellent également de ce jugement qu’elles entreprennent partiellement, en concluant à ce que les indemnités pour tort moral octroyées à F______ et G______ soient portées à CHF 35'000.-, celles allouées à E______, C______ et H______ soient portées à CHF 25'000.- et celle en faveur de D______ à CHF 10'000.- et que A______ soit condamné à verser CHF 11'707.55 avec intérêts à 5% dès le 17 décembre 2019 à E______.

c. Selon l'acte d'accusation du 2 décembre 2021 il est encore reproché ce qui suit à l’appelant :

À Genève, le 8 décembre 2019, aux alentours de 04h17, sur la bretelle d'accès à l'autoroute A1aP, peu après le carrefour de l'Etoile, A______ a causé, par négligence, le décès de J______, piéton, lequel cheminait avec un ami sur la chaussée de la route des Jeunes. Le tronçon de route, à la hauteur de l'accident et dans le sens de marche de la voiture, présente quatre voies de circulation, pour une largeur totale de 18.6 mètres. La route des Jeunes présente deux voies de circulation, dont une réservée aux bus, taxis et cycles, pour une largeur de 7.5 mètres, séparées entre elles par une ligne de sécurité jaune. La bretelle d'accès à l'autoroute A1aP et la voie centrale présentent chacune une largeur d'environ 3.6 mètres. Elles sont séparées par un ilot, ainsi qu'une surface interdite au trafic côté voie centrale, puis se rejoignent ensuite de la surface interdite au trafic.

Lors de l'accident, la chaussée était sèche. Il faisait nuit et un important éclairage artificiel était en fonction. Au moment de la collision, A______, lequel était en état d'ébriété (taux d'alcoolémie d'au minimum 1.74 g/kg [la condamnation de A______ pour infraction à l’art. 91 al. 2 let. a LCR n’est pas contestée en appel]), circulait au volant de son véhicule automobile à une vitesse comprise entre 82km/h et 88km/h, alors que la vitesse sur ce tronçon était limitée à 50 km/h. Inattentif, A______ a percuté, avec l'avant droit de son véhicule, J______, lequel se trouvait de face. Après la collision, J______ a été projeté sur la droite et en avant par rapport au sens de marche de la voiture, sur une distance d'environ dix mètres. Malgré la prise en charge médicale, J______ est décédé le ______ 2019 des suites des lésions causées par l'accident de la circulation, soit essentiellement un polytraumatisme sévère, notamment cervical et thoraco-abdominal.

En causant de la sorte la mort de J______, A______ s’est rendu coupable d'homicide par négligence au sens de l'article 117 CP, la négligence étant en l'occurrence réalisée par la violation des articles 26, 31, 32 et 34 LCR.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 8 décembre 2019 vers 04h17, dans les circonstances décrites dans l’acte d’accusation, le véhicule conduit par l’appelant a renversé J______ sur la bretelle d'accès à l'autoroute A1aP, peu après le carrefour de l'Etoile. Les faits ont été filmés par plusieurs caméras dédiées à la surveillance de la circulation routière.

b. L’enquête n’a pas permis d’établir pour quelles raisons J______ et son ami se trouvaient à pied sur la voie d’accès à l’autoroute. Un automobiliste a confirmé avoir constaté la présence des deux piétons sur la route peu avant l’accident et s’être arrêté pour leur faire remarquer que leur comportement était dangereux (témoin K______, pièces B-80 ss). Les images des caméras de surveillance permettent de constater le cheminement des deux hommes, qui, d’un pas mal assuré, circulaient déjà sur la route (et non sur le trottoir) plus de dix minutes avant le choc (caméra 107 3510), provenant de la direction opposée à celle de la voiture du prévenu. Plusieurs véhicules doivent les éviter en freinant et/ou les contournant. Les deux hommes semblent même s’en prendre à certaines voitures, la future victime faisant un geste du pied dans la direction de deux d’entre elles quelques instants avant l’accident (caméra 208-3470, 04h17:07). Juste avant le choc, J______ se dirige légèrement sur sa droite, devançant son ami sur la route.

Ce dernier, qui a concédé qu'ils étaient tous deux alcoolisés, n’a aucun souvenir de la survenance de l’accident, qui l’a beaucoup choqué et n’a pas été en mesure d’expliquer les circonstances qui l’ont précédé.

c. J______, qui sortait d’un établissement nocturne, est décédé sur les lieux de l’accident d’un polytraumatisme cervical et thoraco-abdominal sévère, après avoir été percuté par l’avant droit du véhicule de l’appelant (dont le rétroviseur et la vitre avant droits ont été détruits dans le choc).

Il présentait un taux d’alcoolémie de 1.99 g/kg dans le sang et de 2.70 g/kg dans l’urine, à teneur des conclusions de l’autopsie pratiquée (pièces C-146 sv).

d. Selon les conclusions de l’expertise technique de circulation du T______, fondée notamment sur les images de vidéosurveillance, le véhicule circulait à une vitesse comprise entre 82 et 88 km/h. A______ avait freiné entre environ 0.6 et 0.8 seconde avant l'impact, comme le démontraient les "feux stop" allumés avant et après le choc. Il avait pu être déterminé que l’appelant avait réagi entre 45.5 mètres et 68.5 mètres avant le point de choc, et que sa vitesse au point de réaction se situait entre 91 et 101 km/h. Ces calculs tenaient compte du fait que le temps de réaction pouvait être plus élevé en cas de consommation d'alcool.

Les phares du véhicule de l’appelant devaient être visibles très tôt pour J______ ; il n'y avait aucun obstacle entre lui et le véhicule, de sorte qu'il pouvait le voir sans aucune restriction. Au moment du choc, la voiture de A______ se trouvait plus ou moins au centre de la voie d'accès à l'autoroute A1aP. Ce dernier semblait n'avoir entrepris aucune manœuvre d'évitement.

D'après le calcul d'évitement, si l’appelant avait circulé à la vitesse maximale autorisée de 50 km/h, la distance d'arrêt aurait été comprise entre 29.6 et 36 mètres (temps de réaction de 1.04 à 1.5 seconde, décélération de 7 m/s2), voire 46.3 mètres avec un temps de réaction de 1.5 seconde et une décélération de 4 m/s2. Ainsi, avec un temps de réaction plus long et une décélération relativement basse, la distance d'arrêt aurait permis à A______ d'arrêter son véhicule moins d'un mètre après l'endroit du choc, tandis qu'en réagissant plus rapidement et en freinant de manière plus efficace, il aurait pu l'arrêter bien avant celui-ci. En d'autres termes, si A______ avait circulé à 50 km/h, en réagissant au même endroit et de la même manière, il aurait pu immobiliser son véhicule avant la zone de collision (pièces C-83 sv).

Si J______ s’était déporté de 30 centimètres de moins sur sa droite, les lésions auraient été beaucoup moins importantes (pièce C-38).

e. Quatre passagers se trouvaient dans le véhicule de l’appelant. Ils sortaient tous de L______, où ils avaient terminé la soirée et consommé de l’alcool en quantités diverses (ils présentaient, à teneur de l’éthylotest pratiqué peu après les faits, un taux d’alcool compris entre 0.52 et 0.26 mg/l, étant précisé qu’une passagère présentait un taux inférieur à la limite légale de 0.25 mg/l ; pièces B-5 sv). L’ambiance dans la voiture était calme et le véhicule devait les ramener à leur point de départ en France voisine.

Lors de leur audition par la police le jour des faits, le témoin M______, passager avant du véhicule, et le témoin N______, assis au milieu à l’arrière, ont expliqué avoir vu la victime quelques instants avant la collision (une respiration – témoin N______, lequel précise avoir détourné le regard pour ne pas voir le choc, B-59 ; « le temps que je voie cette personne, [A______] l’avait déjà percutée » – témoin M______, B-65). Les autres passagers n’ont rien vu. Ces témoins ont ensuite confirmé leurs déclarations devant le Ministère public (MP ; pièces C-162 ss).

f. Selon A______, il n’avait pas vu le piéton avant de le percuter. Il a admis avoir circulé à la vitesse calculée par l’expert, ayant accéléré dans la perspective de s’engager sur la bretelle d’accès à l’autoroute (limitée à 80 km/h), même si la vitesse était encore limitée à 50 km/h à cet endroit. Il ne se souvenait pas d’avoir freiné, nonobstant les images qui le démontraient ; peut-être que quelqu’un dans le véhicule avait esquissé un geste l’ayant conduit à ralentir. Il a confirmé ses explications tout au long de la procédure.

Lors des débats de première instance, l’appelant a confirmé ne pas avoir d’explication quant au fait qu’il n’avait pas vu le piéton. Sur question de son avocat, à l’issue de son audition, il a précisé qu’il était possible que le piéton ait été « dans l’alignement du poteau se trouvant entre l’intersection des deux voies », ce qui expliquerait qu’il ne l’avait pas vu.

g. E______ est la compagne de J______ et mère de leurs fils jumeaux F______ et G______, nés en 2017. D______ est le frère de la victime, tandis que C______ et H______ sont ses parents.

J______ habitait Genève, où il suivait une formation avant son décès. Il se rendait tous les weekends au domicile de sa famille à O______ ; ils avaient le projet de vivre à nouveau ensemble lorsqu’il aurait achevé sa formation. Son frère vit également à O______ et le voyait régulièrement ; leurs parents vivent en Erythrée, pays où le corps du défunt a été rapatrié pour son inhumation.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Sous la plume de son conseil, l’appelant persiste dans ses conclusions.

Le TP avait mal établi les faits et omis de tenir compte de l’attitude de la victime [telle que décrite ci-dessus sous B.b.] et du fait que celle-ci avait dévié au dernier moment pour se porter sur la trajectoire du véhicule (une ______ [marque et appellation de l'automobile]) qui, vu sa faible puissance, devait accélérer pour atteindre la vitesse de 80 km/h sur l’autoroute. L’excès de vitesse était inévitable et commis par tout véhicule empruntant ce trajet. La victime n’était pas visible pour le conducteur, ayant été dissimulée à sa vue par le mât du portique de signalisation. Rien ne permettait de prévoir qu’un piéton pouvait surgir à cet endroit sur la route, de sorte qu'aucune négligence n'avait été commise.

Le lien de causalité adéquate était rompu en raison du comportement de la victime, qui avait déambulé au milieu de la route pendant de longues minutes et ce, sans être visible des automobilistes.

Il conclut au rejet de l’appel des parties plaignantes pour les motifs développés à l’appui de son propre appel.

c. Les parties plaignantes persistent dans leurs conclusions et concluent au rejet de l’appel du prévenu.

Le TP avait à tort retenu une faute concomitante de la victime et réduit de 40% les indemnités allouées pour tort moral. Au vu du cumul des fautes de A______ (excès de vitesse, conduite en état d’ébriété dans une zone susceptible d’être fréquentée par des piétons), qui étaient plus importantes que celle de la victime, laquelle se trouvait sous l’emprise d’alcool, fait neutre pour un piéton, la réduction devait être limitée à 25%. E______ ne développe pas ses conclusions en indemnisation supplémentaires.

L’appelant en déduit que les parties plaignantes limitent leurs conclusions d’appel aux montants retenus par le TP avant réduction pour faute concomitante.

d. Le MP conclut au rejet de l’appel de A______ et s’en remet à justice sur le sort des appels des parties plaignantes.

e. L’appelant a répliqué, contestant que les parties plaignantes puissent persister dans leurs conclusions d’appel.

D. A______, de nationalités française et suisse, est né le ______ 1987 à P______, en France. Il est célibataire et sans enfant. Il travaille en qualité d'informaticien pour l'entreprise Q______, auparavant R______ SA, dont les locaux se trouvaient aux S______ à la période des faits. Il perçoit un salaire mensuel net, après déduction de l'impôt à la source, d'environ CHF 6'500.- ou CHF 7'000.-. Ses charges mensuelles comprennent un crédit immobilier de CHF 1'500.- et des charges de copropriété de CHF 200.- concernant un appartement en France dont il est propriétaire, sa prime d'assurance-maladie de CHF 160.- et d'autres charges courantes. Ses impôts à la source représentent environ CHF 1'800.- par mois. Il n'a ni dette, ni fortune, excepté son appartement en France.

D'après l'extrait du casier judiciaire suisse, il n'a pas d'antécédent.

E. Me B______, défenseur d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 22h50 d'activité de chef d'étude plus une vacation pour la consultation du dossier, dont 3h15 d’étude du dossier à réception du jugement motivé, 0h30 à réception des déclarations d’appel des autres parties, 10h35 pour la rédaction du mémoire d’appel et 3h45 d’activité dans le contexte du mémoire réponse.

Me I______, conseil juridique gratuit des parties plaignantes, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 0h45 d’activité de stagiaire et 13h15 d'activité de cheffe d'étude, dont 1h10 de lecture du jugement du TP, près de 6h de rédaction du mémoire d’appel et 5h20 d’activité dans le contexte du mémoire réponse.

EN DROIT :

1. Les appels sont recevables pour avoir été interjetés et motivés selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

L’autorité d’appel appliquant le droit d’office (jura novit curia) et n’étant pas limitée par les motifs invoqués par les parties (art. 391 al. 1 let. a CPP), il importe peu que le mémoire d’appel des parties plaignantes ne détaille pas certaines de leurs prétentions, les conclusions formulées à l’appui de la déclaration d’appel (auxquelles le mémoire d’appel des parties plaignantes se réfère expressément) constituant la seule limite au pouvoir de cognition de la Cour de céans (art. 391 al. 1 let. b CPP), qui doit rendre un nouveau jugement (art. 408 CPP) et n’est donc pas liée par les considérations du premier juge.

2. 2.1. Selon l'art. 10 CPP, toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas condamnée par un jugement entré en force (al. 1). Le tribunal apprécie librement les preuves recueillies selon l'intime conviction qu'il retire de l'ensemble de la procédure (al. 2) ; ainsi, en vertu du principe de la libre appréciation des preuves, le juge donne aux moyens de preuve produits tout au long de la procédure la valeur qu'il estime devoir leur attacher pour se forger une intime conviction sur la réalité d'un fait (arrêt du Tribunal fédéral 6B_348/2012 du 24 octobre 2012 consid. 1.3).

À l'instar des autres moyens de preuve, le juge apprécie librement la force probante d'une expertise ; il n'est pas lié par les conclusions de l'expert (ATF 142 IV 49 consid. 2.1.3 : 141 IV 369 consid. 6.1 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_156/2019 du 27 juin 2019 consid. 2.5.1 non publié in ATF 145 IV 281). Toutefois, il ne peut s'en écarter que lorsque des circonstances ou des indices importants et bien établis en ébranlent sérieusement la crédibilité. Il est alors tenu de motiver sa décision de ne pas suivre le rapport d'expertise (ATF 142 IV 49 consid. 2.1.3 ; ATF 138 III 193 consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_156/2019 du 27 juin 2019 consid. 2.5.1 non publié in ATF 145 IV 281). Cela est d'autant plus vrai s'agissant des questions dont la réponse demande des connaissances professionnelles particulières (arrêt du Tribunal fédéral 6B_371/2016 du 10 février 2017 consid. 1.1.5).

2.2. L'art. 117 CP réprime le comportement de celui qui, par sa négligence, aura causé la mort d'une personne. Il suppose la réunion de trois conditions : le décès d'une personne, une négligence et un lien de causalité entre la négligence et la mort (ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147 ; arrêt du tribunal fédéral 6B_1371/2017 du 22 mai 2018 consid. 1.1).

2.2.1. Deux conditions doivent être remplies pour qu'il y ait négligence (cf. art. 12 al. 3 CP). D'abord, elle suppose que l'auteur ait violé les règles de prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement viole le devoir de prudence lorsque l'auteur, au moment des faits, aurait pu et dû, au vu des circonstances, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte qu'il mettait en danger des biens juridiquement protégés de la victime et qu'il excédait les limites du risque admissible (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140 ; ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5 p. 128 ; ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 p. 79 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_197/2017 du 8 mars 2018 consid. 4.1 ; 6B_466/2016 du 23 mars 2017 consid. 3.1 et les références ; 6B_230/2016 du 8 décembre 2016 consid. 1.1).

Lorsque des prescriptions légales, réglementaires ou administratives ont été édictées pour assurer la sécurité ou dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations privées, spécialisées ou semi-publiques sont généralement reconnues, le contenu et l'étendue du devoir de prudence se déterminent en premier lieu d'après ces normes ; leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140).

L'étendue du devoir de diligence doit s'apprécier en fonction de la situation personnelle de l'auteur, c'est-à-dire de ses connaissances et de ses capacités. Il faut se demander si une personne raisonnable dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable (ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5 p. 128 ; 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262).

En second lieu, pour qu'il y ait négligence, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable. La violation d'un devoir de prudence est fautive lorsque l'on peut reprocher à l'auteur, compte tenu de ses circonstances personnelles, de n'avoir pas déployé l'attention et les efforts qu'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir de prudence. L'attention et la diligence requises sont d'autant plus élevées que le degré de spécialisation de l'auteur est important (ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5 p. 128 ; ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 p. 79 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_466/2016 du 23 mars 2017 consid. 3.1 et les références ; 6B_230/2016 du 8 décembre 2016 consid. 1.1 et les références).

2.2.2. Il faut ensuite qu'il existe un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime. Une action est l'une des causes naturelles d'un résultat dommageable si, dans l'enchaînement des événements tels qu'ils se sont produits, elle a été, au regard de règles d'expérience ou de lois scientifiques, une condition sine qua non de la survenance de ce résultat, soit si, en la retranchant intellectuellement des événements qui se sont produits en réalité, et sans rien ajouter à ceux-ci, on arrive à la conclusion, sur la base des règles d'expérience et des lois scientifiques reconnues, que le résultat dommageable ne se serait très vraisemblablement pas produit. Il n'est pas nécessaire que l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 249 s. ; ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61 et les références ; ATF 138 IV 1 consid. 4.2.3.3 p. 9).

Lorsque la causalité naturelle est établie, il faut encore rechercher si le comportement incriminé est la cause adéquate du résultat. Tel est le cas lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit. Peu importe que le résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers. La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur n'est pas la cause directe ou unique du résultat (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 250 ; ATF 142 III 433 consid. 4.5 p. 438 ; ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61 et les références ; ATF 131 IV 145 consid. 5.2 p. 148 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_230/2016 du 8 décembre 2016 consid. 1.1).

2.2.3. La causalité adéquate peut être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, des défauts de construction ou de matériel, le comportement d'un tiers ou la faute concomitante de la victime, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 250 ; ATF 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64 s. ; ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1371/2017 du 22 mai 2018 consid. 1.4.2 ; 6B_466/2016 du 23 mars 2017 consid. 3.1 et les références).

En revanche, si elle n'est pas suffisamment grave pour être interruptive du lien de causalité, la faute de la victime est sans pertinence dès lors qu'il n'existe pas de compensation des fautes en droit pénal (ATF 122 IV 17 consid. 2c/cc p. 24; arrêts du Tribunal fédéral 6B_71/2010 du 12 juin 2020 consid. 2.3.3 ; 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.3.2).

2.3.1. Selon l'art. 26 ch. 1 LCR, intitulé « règle fondamentale », chacun doit se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies. Le principe de la confiance est déduit de cette disposition (ATF 120 IV 252 consid. 2d/aa p. 254). Il permet à l'usager qui se comporte réglementairement d'attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l'en dissuader, qu'ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c'est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (ATF 125 IV 83 consid. 2b p. 87 ; ATF 118 IV 277 consid. 4a p. 280 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_959/2016 du 6 juillet 2017 consid. 2.2).

Selon l'art. 26 al. 2 LCR, une prudence particulière s'impose à l'égard des enfants, des infirmes et des personnes âgées, de même s'il apparaît qu'un usager de la route va se comporter de manière incorrecte. Le principe de la confiance ne s'applique donc pas à l'égard de ces personnes (ATF 129 IV 282 consid. 2.2.1 p. 285 ; ATF 115 IV 239 consid. 2 p. 239 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_770/2017 du 11 janvier 2018 consid. 3.1).

2.3.2. Aux termes de l'art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de prudence. Cela signifie qu'il doit être à tout moment en mesure de réagir utilement aux circonstances. En présence d'un danger, et dans toutes les situations exigeant une décision rapide, il devra réagir avec sang-froid et sans excéder le temps de réaction compatible avec les circonstances. Toutefois, est excusable celui qui, surpris par la manœuvre insolite, inattendue et dangereuse d'un autre usager ou par l'apparition soudaine d'un animal, n'a pas adopté, entre diverses réactions possibles, celle qui apparaît après coup objectivement comme étant la plus adéquate. Toute réaction non appropriée n'est cependant pas excusable. Selon la jurisprudence, l'exonération d'une faute suppose que la solution adoptée en fait et celle qui, après coup, paraît préférable, sont approximativement équivalentes et que le conducteur n'a pas discerné la différence d'efficacité de l'une ou de l'autre parce que l'immédiateté du danger exigeait de lui une décision instantanée. En revanche, lorsqu'une manœuvre s'impose à un tel point que, même si une réaction très rapide est nécessaire, elle peut être reconnue comme préférable, le conducteur est en faute s'il ne la choisit pas (ATF 83 IV 84 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1006/2016 du 24 juillet 2017 consid. 2.1 ; 1C_361/2014 du 26 janvier 2015 consid. 3.1 et les références).

Lorsqu'un conducteur doit prêter son attention visuelle principalement dans une direction déterminée, on peut admettre que son attention soit moindre dans les autres (ATF 122 IV 225 consid. 2b p. 228 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1157/2016 du 28 mars 2017 consid. 4.3). Le conducteur doit avant tout porter son attention, outre sur sa propre voie de circulation (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_783/2008 du 4 décembre 2008 consid. 3.3), sur les dangers auxquels on doit s'attendre et peut ne prêter qu'une attention secondaire à d'éventuels comportements inhabituels ou aberrants (ATF 122 IV 225 consid. 2c p. 228 ; arrêts du Tribunal fédéral fédéral 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.2.1 ; 6B_1157/2016 du 28 mars 2017 consid. 4.3).

L’art. 31 al. 2 LCR prévoit expressément que toute personne qui n’a pas les capacités physiques et psychiques nécessaires pour conduire un véhicule parce qu’elle est sous l’influence notamment de l’alcool est réputée incapable de conduire pendant cette période et doit s’en abstenir. La violation de cette règle est réprimée spécifiquement par l’art. 91 LCR qui sanctionne la conduite d’un véhicule automobile en état d'ébriété d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire lorsque le taux d'alcoolémie est qualifié, soit taux d’alcool dans le sang de 0,8 gramme pour mille ou plus ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0,4 milligramme ou plus par litre d’air expiré (art. 1 ch. 2 de l’ordonnance de l'Assemblée fédérale concernant les taux d'alcoolémie limites admis en matière de circulation routière).

2.3.2. Selon l'art. 32 al. 1 LCR, la vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu'aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. L'art. 4 al. 1 de l'ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR) précise notamment que le conducteur ne doit pas circuler à une vitesse qui l'empêcherait de s'arrêter sur la distance à laquelle porte sa visibilité. Cette règle de prudence procède du constat que, la nuit, le risque pour l'automobiliste de rencontrer sur son chemin un obstacle non éclairé n'est pas si minime qu'il puisse en faire abstraction (ATF 126 IV 91 consid. 4a/cc p. 92 ss et les références). On peut en déduire, dans une appréciation objective, que le non-respect de la règle de prudence précitée, qui tend précisément à prévenir les conséquences de telles situations, est propre à entraîner une collision, respectivement des lésions corporelles ou le décès du piéton qui n'a pu être vu à temps (arrêts du Tribunal fédéral 6B_291/2015 du 18 janvier 2015 consid. 2.1 et 6B_873/2014 du 5 janvier 2015 consid. 2.1 et les références). Le seul fait de respecter la vitesse maximale autorisée ne permet pas d'exclure un comportement fautivement négligent de la part de l'intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1280/2019 du 5 février 2020 consid. 4.4).

2.3.3. Selon l’art. 49 LCR, les piétons doivent utiliser le trottoir. À défaut de trottoir, ils doivent longer le bord de la chaussée et, si des dangers particuliers l’exigent, circuler à la file. À moins que des circonstances spéciales ne s’y opposent, ils doivent se tenir sur le bord gauche de la chaussée, notamment de nuit à l’extérieur des localités. Ils doivent traverser la chaussée avec prudence et par le plus court chemin en empruntant, où cela est possible, un passage pour piétons.

2.4. En l’espèce, il est établi que la victime est décédée en raison de la collision survenue avec le véhicule de l’appelant. L’appelant ne conteste à raison pas que le décès du piéton est la conséquence du choc avec son véhicule. Il conteste toutefois avoir violé une règle de prudence et donc s’être rendu coupable de négligence ; il plaide aussi l’existence d’un facteur interruptif de cette causalité.

L’appelant critique au surplus l’état de faits retenu par le TP. Les quelques éléments qu’il reproche au premier juge de ne pas avoir retenus l’ont été dans l’état de fait de la Cour de céans. Au surplus, comme déjà évoqué, la CPAR rend un nouveau jugement (art. 408 CPP) et élabore l’état de fait sur la base des éléments du dossier.

2.4.1. L’appelant conteste toute négligence. Il est néanmoins établi qu’il a circulé en état d’ébriété, ce qu’il ne conteste pas, et qu’il a ainsi violé l’interdiction formulée à l’art. 31 al. 2 LCR, qui est une prescription édictée pour la protection des usagers de la route, dont la violation constitue manifestement la violation d’une règle de prudence.

De surcroît, juste avant l’accident, l’appelant a circulé à une vitesse très supérieure à la limite de 50 km/h puisqu’il est établi par l’expertise, dont il ne remet à raison pas en cause la validité, qu’il circulait au moins à 91 km/h au moment où son véhicule a commencé à ralentir et encore à au moins 82 km/h au moment du choc. Les explications qu’il esquisse dans son mémoire d’appel pour justifier un tel excès dépassent l’entendement, dans la mesure où la vitesse maximum de 80 km/h prévue au-delà de la zone de l’accident est justement une vitesse maximale, et non minimale : l’appelant n’était pas tenu de l’atteindre et, surtout, rien n’autorise un conducteur à anticiper une augmentation de la limitation de vitesse en accélérant dans une zone où la limite de vitesse est encore inférieure. Le fait que l’expert ait pu considérer, lors de son audition au MP, que la succession des limitations de vitesse était mal signalée, ou qu’il ait qualifié de « naturel » le fait d’accélérer à l’approche de l’accès autoroutier, ne change rien au fait que la route des Jeunes, sur laquelle circulait l’appelant, est une artère urbaine, située en pleine ville, dans un quartier comprenant des habitations (dans les rues perpendiculaires essentiellement), des bureaux, des commerces et des activités nocturnes (notamment à hauteur du carrefour de l’Etoile que l’appelant avait emprunté quelques instants auparavant). L’appelant – qui travaillait dans le quartier – ne saurait prétendre avoir ignoré où il se trouvait ni connaître les règles en matière de limitation de vitesse. La puissance du véhicule qu’il conduisait est également sans pertinence dans la mesure où un véhicule lourd ou de faible puissance n’est pas plus autorisé à s’affranchir des limites de vitesse qu’un véhicule plus agile. Cet excès de vitesse – objectivement constitutif d’une infraction grave à la LCR au sens de l’art. 90 al. 2 de cette loi – constitue également une violation d’une règle de prudence.

Enfin l’appelant n’a pas respecté la règle de prudence fondamentale édictée à l’art. 26 LCR. En effet, il dit, sans pouvoir l’expliquer, ne pas avoir vu la victime qui se trouvait sur la route devant lui, ce qui ne s’explique que par un manque d’attention à la circulation. S’il a certes déclaré – en toute fin d’audition au TP, sur question de son avocat – que la victime pouvait avoir été masquée par un poteau de signalisation, cette explication ne résiste ni aux déclarations des témoins, ni aux éléments objectifs du dossier. Les passagers du véhicule (qui contrairement au conducteur n’étaient pas tenus de prêter toute leur attention à la route) ont vu, certes tardivement, le piéton sur la route. De plus, et surtout, il ressort des images de vidéosurveillance, comme des photographies prises le soir des faits, que les lieux étaient parfaitement éclairés et qu’une zone hachurée blanche, derrière les deux piétons, assurait un contraste frappant, amplifié par la présence d’un lampadaire à cet endroit. En tout état, l’appelant, même s’il ne s’en souvient pas, a en réalité bien dû voir le piéton, puisqu’il est établi qu’il a freiné avant le choc, ce qui ne s’explique que par le fait qu’il a constaté la présence de la victime sur la route.

Il ressort par ailleurs de façon limpide de l’expertise T______ que si l’appelant avait circulé à la vitesse prescrite de 50 km/h, il aurait pu freiner à temps et immobiliser son véhicule avant la zone de collision. Ainsi, indépendamment de son état d’ébriété – qui a dû contribuer à ralentir ses réflexes, comme cela est notoirement le cas et a d’ailleurs été pris en compte dans l’expertise – et du défaut d’attention qui l’a empêché de voir plus tôt les piétons sur sa route, l’excès de vitesse fautif de l’appelant a joué un rôle essentiel dans la survenance de l’accident.

Il est dès lors établi que l’appelant a violé plusieurs règles de prudence, et en premier lieu la limitation de la vitesse à l’endroit de l’accident, violations qui sont en lien de causalité direct avec l’accident. L’appelant ne conteste par ailleurs pas sérieusement, à raison, le caractère naturel et adéquat de ce lien de causalité, tant il est notoire qu’une collision entre un véhicule circulant à grande vitesse et un piéton est susceptible d’entraîner des conséquences fatales pour ce dernier.

2.4.2. La victime n’a pas respecté son obligation de circuler sur le trottoir et pris des risques inconsidérés en déambulant ivre sur la chaussée de la route des Jeunes, notamment à hauteur de la bretelle d’accès à l’autoroute. Il est établi par les images de vidéosurveillance qu’elle a eu une attitude totalement irréfléchie et n’avait aucunement conscience du danger auquel elle s’exposait. Une volonté suicidaire est exclue tant par le comportement qu’elle adopte avant les faits, qui démontre bien une activité désorganisée et aberrante typique du comportement de celui qui agit sous l’influence de l’alcool, que par la dynamique de l’accident, dans lequel la victime ne se précipite aucunement à la rencontre de l’appelant. La visibilité sur les lieux était bonne et la victime aurait pu voir le véhicule qui se dirigeait vers elle à grande vitesse : il aurait suffi d’un pas de côté pour qu’elle évite la collision, pas qu’elle n’a pas fait, avec les conséquences dramatiques qui en sont résultées. Son état d’alcoolisation avancée, établi par l’autopsie, explique sans doute un comportement aussi dangereux ; le fait de se trouver, en tant que piéton, sous l’emprise de l’alcool est pénalement neutre.

Il est indubitable que ce comportement de la victime a contribué à la survenance de l’accident. Le simple fait qu’un trottoir borde la route à l’endroit de l’accident démontre néanmoins que les lieux n’étaient pas réservés exclusivement aux véhicules, même si la chaussée l’était. Par ailleurs, il est notoire que les utilisateurs de la route – piétons comme conducteurs – commettent des imprudences et ne respectent pas intégralement les règles de circulation : c’est la raison d’être de l’art. 26 al. 2 LCR qui impose une prudence particulière s’il apparaît qu’un usager de la route va se comporter de manière incorrecte. La présence d’un piéton sur la route n’est ainsi pas une circonstance exceptionnelle ou extraordinaire de nature à interrompre le lien de causalité entre les imprudences de l’appelant et le décès de la victime. Il n’en irait autrement que si la victime avait surgi soudainement ou s’était jetée sous les roues de la voiture, ce qui n’est pas le cas puisqu’elle était bien visible avant l’accident.

Les circonstances de temps et de lieu de l’accident ne conduisent pas à un autre résultat. En effet, même si l’accident s’est produit sur une partie de la route des Jeunes à caractère plutôt artisanal ou commercial, le quartier qu’elle dessert est fortement peuplé et constitue une zone d’activité à toute heure du jour ou de la nuit. La présence d’un important éclairage public en est une démonstration supplémentaire. Par ailleurs, si la circulation est moins dense aux petites heures (04h17 en l’espèce), il est aussi notoire qu’il s’agit d’une heure propice aux comportements inadéquats, que ce soit en raison de la fatigue ou de la sortie des boîtes de nuit ou d’autres activités nocturnes poussant à la consommation d’alcool. Ainsi, un conducteur doit être d’autant plus attentif lorsqu’il aperçoit des piétons, qui plus est sur la chaussée, et ne peut ni ne doit tabler sur une réaction rapide et adéquate de ceux-ci (art. 26 al. 2 LCR).

C’est donc à bon droit que le premier juge a reconnu l’appelant coupable d’homicide par négligence.

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

Le juge doit d'abord déterminer le genre de la peine devant sanctionner une infraction, puis en fixer la quotité. Pour déterminer le genre de la peine, il doit tenir compte, à côté de la culpabilité de l'auteur, de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention (ATF 147 IV 241 consid. 3.2 p. 244 ss).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

3.2. Aux termes de l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison d'un ou de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine.

Pour satisfaire à cette règle, le juge, dans un premier temps, fixera la peine pour l'infraction la plus grave, en tenant compte de tous les éléments pertinents, parmi lesquels les circonstances aggravantes ou atténuantes. Dans un second temps, il doit augmenter la peine de base pour tenir compte des autres infractions en application du principe de l'aggravation (Asperationsprinzip) (ATF 144 IV 217 consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1216/2017 du 11 juin 2018 consid. 1.1.1), en tenant là aussi compte de toutes les circonstances y relatives (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 2.1 in medio ; 6B_688/2014 du 22 décembre 2017 consid. 27.2.1).

3.3. En l’espèce, comme retenu à juste titre par le premier juge, la faute de l'appelant est importante. Il a commis des violations des règles de circulation routière ayant entraîné des conséquences dramatiques, soit un décès. Il a, la nuit de ces faits, fait preuve d'une négligence crasse en conduisant alcoolisé, pour son seul agrément, à savoir retourner à domicile, prenant par ailleurs le risque d’exposer aussi ses passagers à son incapacité de conduire et à sa conduite dangereuse.

Sa collaboration à l'enquête a été bonne et il a spontanément, dès le premier jour, exprimé ses regrets et ses condoléances envers la famille de la victime. La CPAR veut croire que les arguments parfois incongrus plaidés devant elle ressortent plus d'une stratégie procédurale que d’une absence de repentir ou d’un manque de prise de conscience.

La situation personnelle de l’appelant est bonne et sans particularité. Nonobstant l’incarcération qui a suivi les faits, il a pu conserver son emploi qui lui permet d’assurer un train de vie confortable. L’absence d’antécédents est un facteur neutre pour la fixation de la peine (ATF 141 IV 61 consid. 6.3.2 p. 70).

Il y a concours d'infractions entre les art. 117 CP et 91 al. 2 LCR, abstraitement de même gravité puisque sanctionnés par la même peine menace. A raison, au vu de la gravité des faits, l’appelant ne conteste pas le principe du prononcé d’une peine privative de liberté, assortie du bénéfice du sursis qui lui est acquis.

La peine de base, pour l’homicide par négligence, doit être arrêtée à 15 mois. Cette peine sera portée à 18 mois (peine théorique : six mois) pour tenir compte de la conduite en état d’ébriété.

La peine privative de liberté de 18 mois fixée par les premiers juges sera ainsi confirmée. Le bénéfice du sursis dont l’appelant remplit les conditions et le délai d’épreuve de trois ans sont adéquats et seront aussi confirmés.

4. 4.1. En qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale ; le même droit appartient aux proches de la victime (art. 122 al. 1 et 2 CPP). Le tribunal saisi de la cause pénale statue sur les conclusions civiles lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu (art. 126 al. 1 let. a CPP).

4.2. En matière de circulation routière, le mode et l'étendue de la réparation du préjudice, tant matériel que moral, se déterminent sur la base des art. 58 et 59 LCR, qui fixent les conditions de la responsabilité du détenteur et du conducteur de véhicules automobiles (ATF 132 III 249 consid. 3.1 p. 252 ; 124 III 182 consid. 4d p. 186 s). Le renvoi aux dispositions du code des obligations prévu à l'art. 62 LCR vise ainsi uniquement celles qui arrêtent les modalités de la réparation du tort moral (A. BUSSY / B. RUSCONI / Y. JEANNERET / A. KUHN / C. MIZEL / C. MÜLLER, op. cit., n. 2.1 p. 720 ad art 59 LCR). En tant que l'art. 59 al. 2 LCR prévoit un effet réducteur de la faute de la victime, le recours à l'art. 44 al. 1 CO, qu'il ne fait que confirmer, est inutile (ATF 124 III 182 consid. 4d p. 187 ; A. BUSSY / B. RUSCONI / Y. JEANNERET / A. KUHN / C. MIZEL / C. MÜLLER, op. cit., n. 2.1 p. 720 ad art. 59 LCR et n. 1.5 p. 749 ad art. 62 LCR ; R. BREHM, La responsabilité civile automobile, 2ème éd., 2010, n. 37 p. 16, est toutefois d'un avis plus nuancé en considérant que l'art. 59 al. 2 LCR n'écarte pas l'art. 44 al. 1 CO, auquel renvoie implicitement l'art. 62 al. 1 LCR).

Ainsi, en vertu de l'art. 47 de la loi fédérale complétant le code civil suisse (CO), le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d’homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale. Cette indemnité a pour but de compenser le préjudice que représente une atteinte au bien-être moral.

4.3. L'indemnité due à titre de réparation du tort moral est fixée selon une méthode s'articulant en deux phases. La première consiste à déterminer une indemnité de base, de nature abstraite, la seconde implique une adaptation de cette somme aux circonstances du cas d'espèce (ATF 132 II 117 consid. 2.2.3 p. 120 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1335/2021 du 22 décembre 2022 consid. 2.2.2). Dans ce processus, il convient de ne pas perdre de vue qu'une indemnité pécuniaire sera toujours impropre à compenser la perte d'un proche. Elle doit néanmoins être fixée en tentant de prendre en compte l'intensité des relations personnelles entre le défunt et le requérant au moment du décès.

En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L'indemnité allouée doit toutefois être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l'atteinte subie selon les règles du droit et de l'équité, en disposant d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 132 II 117 consid. 2.2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_405/2012 précité consid. 4.1 et 6B_199/2007 du 13 mai 2008 consid. 6.1).

Les critères d'appréciation sont le genre et la gravité de l'atteinte, l'intensité et la durée de ses effets sur les personnes concernées, ainsi que la gravité de la faute de l'auteur (ATF 125 III 412 consid. 2a).

4.4. Si le détenteur prouve qu'une faute du lésé a contribué à l'accident, le juge fixe l'indemnité en tenant compte de toutes les circonstances (art. 59 al. 2 LCR), telles que la faute du conducteur, celle du lésé ou encore le risque inhérent à l'emploi du véhicule automobile. En pareille hypothèse, le dommage total de 100% doit en principe être réparti entre les différentes causes pertinentes sur le plan de la responsabilité civile (ATF 132 III 249 consid. 3.1 p. 252 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_353/2015 du 4 décembre 2015 consid. 2). La répartition proportionnelle du dommage n'empêche pas d'attribuer à une cause très secondaire (par ex. une faute propre très légère) une quote-part si faible qu'elle ne doit, en pratique, pas être prise en compte (ATF 132 III 249 consid. 3.1 = JdT 2006 I 468, SJ 2006 I 280). La répartition entre les deux coresponsables doit s'accomplir en considération du risque inhérent à l'emploi d'un véhicule automobile et des fautes respectives des personnes impliquées (cf. art. 58 al. 1 LCR ; ATF 132 III 249 consid. 3.1 p. 252/253 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_179/2016 du 30 août 2016, consid. 6 non publié aux ATF 142 III 653).

Dans un arrêt 6B_987/2017 du 12 février 2018, le Tribunal fédéral a confirmé une réduction de 20% pour faute concomitante de l'indemnité pour tort moral accordée au piéton, grièvement blessé alors qu'il traversait un passage piétons à la phase rouge pour rejoindre un bus à l'arrêt, par un automobiliste circulant en soirée à une vitesse ahurissante au centre-ville de Genève. La CPAR avait à bon droit relativisé la faute du piéton dès lors que le choc entre le véhicule et celui-ci n'avait pas résulté d'une traversée de la route inopinée, mais bien plutôt d'une perte totale de maîtrise du véhicule automobile impliqué due à sa vitesse excessive et au coup de volant à l'aveugle de son conducteur.

Dans un arrêt 6B_1280/2019 du 5 février 2020, le Tribunal fédéral a confirmé une réduction pour faute concomitante de l'indemnité pour tort moral accordée aux proches d’un piéton tué par un cycliste qui n’avait pas observé la signalisation qui lui était dévolue ni adapté sa vitesse à l'approche d’un carrefour alors que le piéton, inattentif, s’était engagé de façon anticipée sur le passage pour piétons juste avant que le signal passât en phase verte. La CPAR avait notamment retenu qu'il existait une « disproportion des fautes », celle du piéton étant en l’occurrence commune et partant moindre. Le Tribunal fédéral n’a pas examiné la proportionnalité de la réduction de 25% opérée dans ce cas.

4.5. En cas de décès, le juge doit prendre en compte le lien de parenté entre la victime et le défunt pour fixer le montant de base. La perte d'un conjoint est ainsi généralement considérée comme la souffrance la plus grave, suivie de la mort d'un enfant et de celle d'un père ou d'une mère. Le juge adapte ensuite le montant de base au regard de toutes les circonstances particulières du cas d'espèce. Il prend en compte avant tout l'intensité des relations que les proches entretenaient avec le défunt et le caractère étroit et harmonieux de ses dernières. Outre l'intensité des relations, la pratique retient notamment comme autres circonstances à prendre en compte l'âge du défunt et de ceux qui lui survivent, le fait que le lésé a assisté à la mort, les souffrances endurées par le défunt avant son décès, le fait que ce dernier laisse les siens dans une situation financière sûre, le comportement vil de l'auteur ou au contraire, la souffrance de celui-ci.

4.6. Toute comparaison avec d'autres affaires doit intervenir avec prudence, dès lors que le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment face au malheur qui le frappe. Une comparaison avec d'autres cas similaires peut cependant, suivant les circonstances, constituer un élément d'orientation utile (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 p. 345 et l'arrêt cité).

4.6.1. La doctrine propose des montants de l’ordre de CHF 40'000.- à CHF 50'000.- pour la perte d'un conjoint, de CHF 27'000.- à CHF 40'000.- pour la perte d’un enfant, de CHF 25'000.- à CHF 40'000.- pour la perte d’un parent et de CHF 5'000.- à CHF 20'000.- pour la perte d’un frère ou d’une sœur (A. GUYAZ, Le tort moral en cas d'accident : une mise à jour, SJ 2013 II 215, p. 250 ; cf. également K. HÜTTE / P. DUCKSCH / K. GUERRERO, Le tort moral, une présentation synoptique de la jurisprudence, Genève, Zurich, Bâle 2006, affaires jugées de 2001 à 2002 et de 2003 à 2005).

4.6.2. À Genève, une indemnité pour tort moral de CHF 20'000.- a été allouée à chacun des parents d'un fils majeur décédé d'une balle dans le thorax, dans le cas d'un homicide par négligence (AARP/346/2017 du 18 octobre 2017, consid. 4.2). Dans une autre affaire, une indemnité de CHF 40'000.- a été allouée à la mère d'un enfant majeur, victime d'un meurtre (AARP/355/2014 du 19 juin 2014, consid. 4.2). Une indemnité de base de CHF 30'000.- (réduite à CHF 21'000.- en raison de la faute concomitante de la victime) a été accordée au père d'un homme de 37 ans tué par un conducteur de voiture sous l'emprise de l'alcool et de stupéfiants, qui roulait à vive allure dans un quartier au centre de Genève fréquenté la nuit. Le comportement a été considéré d'autant plus grave qu'une fois le choc intervenu avec le piéton, l'auteur avait continué sa route, sans se préoccuper du sort de la personne étendue au sol (AARP/182/2018 du 18 juin 2018 consid. 2.3). La CPAR a alloué CHF 40'000.- à l'épouse d'un cycliste percuté par une fourgonnette sur une voie de campagne, tenant compte de la perte de l'homme qu'elle aimait depuis 50 ans, avec lequel elle avait une grande complicité et des projets de vie future, des circonstances du décès, atroce par sa soudaineté et sa violence, et de la faute commise par la conductrice qui avait agi avec légèreté. Chacun de ses trois enfants adultes avait reçu CHF 20'000.- (AARP/335/2017 du 16 octobre 2017). Dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_1280/2019 évoqué ci-dessus, la Cour avait alloué les montants de CHF 30'000.- à l'épouse du défunt, CHF 15'000.- à chacun de ses parents, et CHF 7'500.- à sa sœur, montants qui tenaient compte de la réduction de 25% sus évoquée (AARP/326/2019 du 25 septembre 2019).

4.6.3. Il n'y a en principe pas lieu de prendre en considération les frais d'entretien au domicile de l'ayant droit lors de la fixation de l'indemnité pour tort moral. L'indemnité doit ainsi être fixée sans égard au lieu de vie de l'ayant droit et à ce qu'il va faire de l'argent obtenu. Toutefois, dans la mesure où le bénéficiaire domicilié à l'étranger serait exagérément avantagé en raison des conditions économiques et sociales existantes à son lieu de domicile, il convient d'adapter l'indemnité vers le bas (ATF 125 II 554 consid. 4a p. 559 ; ATF 123 III 10 consid. 4 p. 11 ss). L'ampleur de l'indemnité pour tort moral doit être justifiée compte tenu des circonstances particulières, après pondération de tous les intérêts, et ne doit donc pas paraître inéquitable. Cela signifie que, lorsqu'il faut prendre exceptionnellement en considération un coût de la vie plus faible pour calculer une indemnité pour tort moral, on ne peut pas procéder schématiquement selon le rapport du coût de la vie au domicile du demandeur avec celui de la Suisse ou à peu près selon ce rapport. Sinon, l'exception deviendrait la règle.

Une réduction de l'indemnité pour tort moral est exclue lorsque le bénéficiaire entretient des relations particulières avec la Suisse, par exemple lorsqu'il y travaille, y vit ou lorsqu'il peut y séjourner en tant que proche du lésé (ATF 123 III 10 consid. 4c/bb p. 14). Certaines circonstances, comme la possibilité que l'intéressé puisse un jour essayer de trouver une formation en Suisse, ne suffisent en revanche pas pour exclure une réduction de l'indemnité. Elles doivent toutefois être prises en considération dans le calcul de la réduction à intervenir (ATF 125 II 554 consid. 3b p. 558). Statuant selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 du Code civil suisse [CC]), le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation.

Le Tribunal fédéral a admis une réduction, non schématique, de l'indemnité pour tort moral versée notamment en matière d’indemnisation des victimes d’infractions, lorsque les frais d'entretien au domicile de l'intéressé sont beaucoup plus bas. Ainsi, dans son arrêt ATF 125 II 554 consid. 4a p. 559, concernant des ressortissants de Voïvodine, où le pouvoir d'achat est 18 fois inférieur à la Suisse, la réduction a été fixée à la moitié. Par la suite, dans un arrêt 1A.299/2000 du 30 mai 2001 consid. 5c concernant la Bosnie Herzégovine, où le pouvoir d'achat est six à sept fois inférieur à la Suisse, la Haute Cour a considéré qu’une réduction de l'indemnité de 75%, certes élevée, demeurait néanmoins dans les limites du pouvoir d'appréciation de la cour cantonale. Concernant un ressortissant algérien, dans un arrêt 6B_242/2019 du 18 mars 2019 consid. 2.2. et 2.3a au sujet de l’indemnité pour tort moral en cas de détention injustifiée et compte tenu d’un coût de la vie environ 20 fois moins élevé qu'en Suisse, la Haute Cour a admis une réduction du montant journalier de 200.- à CHF 70.- soit une réduction de 65%.

4.6.1. En l’espèce, le principe de l’octroi d’une indemnité pour tort moral aux parties plaignantes est acquis. Il faut toutefois déterminer quel facteur de réduction doit être appliqué compte tenu de la faute concomitante du défunt.

A cet égard, l’appelant supporte le risque inhérent à l’usage d’un véhicule automobile ainsi que celui lié à sa propre faute, qui est lourde (conduite en état d’ébriété, excès de vitesse et inattention). Pour sa part, le défunt, piéton, a commis une faute importante en circulant à pied au milieu d’une voie de circulation se trouvant juste avant une bretelle d’accès à l’autoroute. Cela étant, il était en état d’ébriété et il doit être déduit de son comportement que sa capacité de discernement était altérée. Dans ces circonstances, la faute du défunt est nettement moindre que celle de l’automobiliste et il se justifie d’opérer à ce titre une réduction de 25% sur les indemnités allouées.

4.6.2. E______ était la compagne du défunt, mère de leurs deux enfants. Nonobstant l’absence de domicile commun permanent, liée à la formation suivie par le défunt, sa position doit être assimilée à celle d’un conjoint, étant souligné qu’ils avaient le projet de vivre à nouveau ensemble lorsque le défunt aurait achevé sa formation. Elle a exposé au premier juge la souffrance liée à cette perte et aux difficultés d’expliquer la situation à leurs deux enfants qu’elle doit aujourd’hui élever seule. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter des montants alloués par la jurisprudence récente de la CPAR pour les conjoints ; le montant de son tort moral doit être arrêté à CHF 40'000.-, ramené à CHF 25'000.- compte tenu des conclusions prises à l’appui de son appel, qui lient la Cour de céans (art. 391 al. 1 let. b CPP).

4.6.3. Les fils du défunt vont devoir grandir sans leur père, douleur difficilement palliée par une somme d’argent, quelle qu’elle soit. Il faut néanmoins tenir compte du fait qu’en raison de leur jeune âge, ils devraient surmonter plus facilement une telle épreuve après quelques années (cf. en ce sens A. GUYAZ, op. cit., p. 251). Le montant de leur tort moral sera dès lors fixé à CHF 35'000.-, ramené à CHF 26'250.- chacun, pour tenir compte de la faute concomitante du défunt.

4.6.4. Le montant dû aux parents du défunt doit ensuite être arrêté à CHF 25'000.-, et réduit de 25% compte tenu de la faute concomitante, pour un montant de base de CHF 18'750.-.

Toutefois, les parents du défunt vivent en Erythrée, pays notoirement connu pour des conditions difficiles et des salaires excessivement bas. Les données économiques du pays ne sont pas accessibles ; en 2011, dernière année pour laquelle la Banque U______ dispose d’indications, le produit international brut par habitant était de l’ordre de USD 634.-, alors qu’en Suisse, la même année, il s’élevait à plus de USD 90'000.-, soit 140 fois plus. Le Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) a publié un rapport de 2019 selon lequel les salaires des employés de la fonction publique s’élèvent dans ce pays à un montant compris entre EUR 120.- et EUR 240.- selon le degré de formation des intéressés.

Dans ces circonstances, l’allocation aux parents du défunt – qui n’allèguent aucun lien avec la Suisse au-delà de la présence de leurs enfants dans ce pays – d’un montant pour le tort moral ne tenant pas compte de leur lieu de vie effectif reviendrait à les enrichir indûment. Le tort moral ne vise en particulier pas à compenser une éventuelle perte de soutien liée au décès de leur fils. Dans ces circonstances, le montant du tort moral alloué aux parents du défunt sera ramené à CHF 7'500.- chacun pour tenir compte du niveau de vie excessivement faible de leur pays de résidence.

4.6.5. Le montant dû au frère du défunt, qui entretenait un lien effectif avec lui, doit enfin être arrêté à CHF 10'000.-, et réduit de 25% compte tenu de la faute concomitante, soit une indemnité de CHF 7’500.-.

4.6.6. E______ ne motive pas sa conclusion en paiement de CHF 11'707.55 avec intérêts à 5% dès le 17 décembre 2019. A raison, le TP l’a déboutée de cette conclusion : cette somme, qui correspond aux frais de rapatriement de la dépouille du défunt, a été avancée par l’instance d’indemnisation LAVI, et c'est désormais le canton qui est subrogé et peut se retourner vers l'assureur RC de A______ pour réclamer le remboursement du montant versé. La partie plaignante ne peut donc agir en recouvrement de cette somme et le jugement du TP sera confirmé sur ce point.

5. 5.1. Conformément à l'art. 428 al. 1 CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé.

5.2. En l'occurrence, les appels des parties plaignantes sont en partie admis, tandis que celui de l’appelant ne l’est que sur un point qu’il n’a pas plaidé, soit l’ampleur des conclusions des parents de la victime. Les frais de la procédure d'appel, comprenant un émolument de décision de CHF 2’000.- (art. 14 al. 1 let. e du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]) seront mis à la charge de l’appelant principal à concurrence de 80 %, le solde étant laissé à la charge de l’État (art. 136 al. 2 let. b CPP).

5.3. Au vu du sort des appels il n’y a pas lieu de revoir la répartition des frais de la procédure de première instance.

6. 6.1. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit (cf. art. 138 al. 1 CPP) est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. S'agissant d'une affaire soumise à la juridiction cantonale genevoise, l'art. 16 du règlement sur l'assistance juridique (RAJ) s'applique.

Conformément à l'art. 16 al. 2 RAJ, seules les heures nécessaires sont retenues. Elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu.

On exige de l'avocat qu'il soit expéditif et efficace dans son travail et qu'il concentre son attention sur les points essentiels. Des démarches superflues ou excessives n'ont pas à être indemnisées (M. VALTICOS / C. M. REISER / B. CHAPPUIS / F. BOHNET (éds), Commentaire romand, Loi sur les avocats : commentaire de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (Loi sur les avocats, LLCA), 2ème éd. Bâle 2022, n. 257 ad art. 12). Dans le cadre des mandats d'office, l'État n'indemnise ainsi que les démarches nécessaires à la bonne conduite de la procédure pour la partie qui jouit d'une défense d'office ou de l'assistance judiciaire. Il ne saurait être question d'indemniser toutes les démarches souhaitables ou envisageables. Le mandataire d'office doit en effet gérer son mandat conformément au principe d'économie de procédure (décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2013.22 du 31 octobre 2013 consid. 5.2.3). Par voie de conséquence, le temps consacré à la rédaction d'écritures inutiles ou reprenant une argumentation déjà développée, fût-ce devant une autorité précédente, ne saurait donner lieu à indemnisation ou à indemnisation supplémentaire (AARP/295/2015 du 12 juillet 2015 consid. 8.2.2.3, 8.2.2.6, 8.3.1.1 et 8.3.2.1).

6.2. L'activité consacrée aux conférences, audiences et autres actes de la procédure est majorée de 20% jusqu'à 30 heures de travail, décomptées depuis l'ouverture de la procédure, et de 10% lorsque l'état de frais porte sur plus de 30 heures, pour couvrir les démarches diverses, telles la rédaction de courriers ou notes, les entretiens téléphoniques et la lecture de communications, pièces et décisions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_838/2015 du 25 juillet 2016 consid. 3.5.2 ; voir aussi les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2016.34 du 21 octobre 2016 consid. 4.1 et 4.2 et BB.2015.85 du 12 avril 2016 consid. 3.5.2 et 3.5.3). Des exceptions demeurent possibles, charge à l'avocat de justifier l'ampleur d'opérations dont la couverture ne serait pas assurée par le forfait.

6.3. Le temps de déplacement de l'avocat est considéré comme nécessaire pour la défense d'office au sens de l'art. 135 CPP (décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2015.33 du 28 juillet 2015 consid. 4.3 et les références). La rémunération forfaitaire de la vacation aller/retour au et du Palais de justice ou au et du bâtiment du Ministère public est arrêtée à CHF 55.- / CHF 75.- / CHF 100.- pour les stagiaires / collaborateurs / chefs d'étude, dite rémunération étant allouée d'office par la juridiction d'appel pour les débats devant elle.

6.4. En l'occurrence les états de frais produits par les conseils des parties satisfont globalement aux exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale, sous la réserve que le temps consacré à l’étude de la décision entreprise, respectivement à l’étude du dossier à réception de celle-ci ou du mémoire des parties adverses, dans un dossier censé connu et maîtrisé pour avoir été plaidé récemment en première instance, sera écarté.

La rémunération de Me I______, conseil des parties plaignantes, sera partant arrêtée à CHF 2'960.80 correspondant à 12h05 d'activité au tarif de CHF 200.-/heure et 0h45 d'activité au tarif de CHF 110.-/heure plus la majoration forfaitaire de 10% et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 211.70.

La rémunération de Me B______, conseil de l’appelant, sera partant arrêtée à CHF 4'629.30 correspondant à 19h05 d'activité au tarif de CHF 200.-/heure plus la majoration forfaitaire de 10%, une vacation à CHF 100.- et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 330.95.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit les formés par A______, C______, D______, E______, F______ et H______ contre le jugement JTDP/1281/2022 rendu le 19 octobre 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/24839/2019.

Les admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable d'homicide par négligence (art. 117 CP) et de conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 al. 2 lettre a LCR).

Condamne A______ à une peine privative de liberté de 18 mois, sous déduction de 16 jours de détention avant jugement (art. 40 et 51 CP).

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à trois ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Renvoie les parties plaignantes F______, G______ et E______ à agir par la voie civile s'agissant de leurs prétentions en indemnisation de la perte de soutien (art. 126 al. 3 CPP).

Déboute E______ de ses conclusions en indemnisation portant sur le montant de CHF 11'707.55 avec intérêts à 5% dès le 17 décembre 2019.

Condamne A______ à payer à E______ CHF 25'000.-, avec intérêts à 5% dès le 8 décembre 2019, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Condamne A______ à payer à F______ CHF 26’250.-, avec intérêts à 5% dès le 8 décembre 2019, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Condamne A______ à payer à G______ CHF 26’250.-, avec intérêts à 5% dès le 8 décembre 2019, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Condamne A______ à payer à C______ CHF 7'500.-, avec intérêts à 5% dès le 8 décembre 2019, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Condamne A______ à payer à H______ CHF 5'000.-, avec intérêts à 5% dès le 8 décembre 2019, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Condamne A______ à payer à D______ CHF 7'500.-, avec intérêts à 5% dès le 8 décembre 2019, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Ordonne la restitution à E______ des objets figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 1______ (art. 267 al. 1 et 3 CPP).

Condamne A______ à verser à V______CHF 180.- à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 CPP).

Condamne A______ à verser à C______ CHF 180.- à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 CPP).

Condamne A______ aux frais de la procédure de première instance, qui s'élèvent à CHF 23'710.90, y compris un émolument de jugement de CHF 1'200.- (art. 426 al. 1 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 2'495.-, comprenant un émolument de jugement de CHF 2'000.-.

Met 80 % de ces frais, soit CHF 1'996.- à la charge de A______ et laisse le solde de ces frais à la charge de l'État.

Prend acte de ce que le Tribunal de police a fixé à CHF 10'339.20 l'indemnité de procédure due à Me B______, défenseur d'office de A______, pour la procédure préliminaire et de première instance, et arrête à CHF 4'629.30 le montant de l’indemnité qui lui est due pour la procédure d’appel (art. 135 CPP).

Prend acte de ce que le Tribunal de police a fixé à CHF 8'234.80 l'indemnité de procédure due à Me I______, conseil juridique gratuit de D______, F______, G______ et E______ et arrête à CHF 2'960.80 le montant de l’indemnité qui lui est due pour la procédure d’appel (art. 138 CPP).

 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l’Office cantonal des véhicules.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

La présidente :

Delphine GONSETH

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

23'710.90

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

420.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

2'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

2'495.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

26'205.90

 

https://donnees.banqueU______.org/indicateur/NY.GDP.PCAP.CD?locations=ER-CH

https://www.sem.admin.ch/dam/sem/en/data/internationales/herkunftslaender/afrika/eri/ERI-ber-easo-national-service-e.pdf.download.pdf/ERI-ber-easo-national-service-e.pdf