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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2784/2023

JTAPI/389/2024 du 25.04.2024 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : RESPECT DE LA VIE PRIVÉE;VUE;ESTHÉTIQUE
Normes : LCI.14.al1.leta; CEDH.8.par1; LCI.15
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2784/2023 LCI

JTAPI/389/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 25 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, Madame B______ et Monsieur C______, représentés par Me Sébastien FRIES, avocat, avec élection de domicile

 

contre

D______ Sàrl, représentée par Me Nicolas WISARD, avocat, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC


EN FAIT

1.             D______ Sàrl (ci-après : D______ Sàrl) est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de E______, sise chemin F______ 2______ en zone 5, sur laquelle sont actuellement érigées deux habitations.

Les parcelles n° 3______ de la commune précitée et n° 4______ de la commune de G______, qui constituent les chemins D______ et F______, appartiennent au domaine public communal.

2.             Madame A______, Madame B______ et Monsieur C______ (ci-après : Mme A______ et consorts) sont propriétaires et résidents des parcelles nos 5______, 6______ et 7_______ de la commune de E______, respectivement sises chemin D______ nos 8______ 9______ 10_____

Chacune de ces trois parcelles se situe, à leur extrémité la plus proche, à moins de 20 m à vol d’oiseau de la parcelle appartenant à D______ Sàrl, de l’autre côté du chemin D______.

3.             En date du ______ 2022, D______ Sàrl a déposé, sous la plume de son architecte, Monsieur H______, auprès du département du territoire (ci-après : DT) une demande, en procédure accélérée, d'autorisation de construire trois villas jumelées (THPE 29,8 %) avec piscines, parking souterrain commun, couvert, pergola, pompe à chaleur avec sondes géothermiques ainsi que l'abattage d'arbres hors forêt et l'installation de chauffage d'endroit ouvert.

4.             Dans le cadre de l’instruction de cette requête, enregistrée sous le n° APA 11_____ :

-          la direction de l’information du territoire, le service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants, l’office cantonal de l’énergie, la police du feu, le service de géologie, sols et déchets, l’office cantonal de l’eau, l’office cantonal de l’agriculture et de la nature, les communes de E______ et de G______, le service de la protection civile et des affaires militaires ainsi que l’office cantonal des transports se sont prononcés favorablement, avec ou sans conditions ;

-          après avoir sollicité la modification du projet, le 3 février 2023, en précisant que les constructions étaient trop décaissées, qu’il convenait de tenir compte du niveau du terrain naturel (ci-après : TN), que la hauteur des bâtiments projetés était conséquente et qu’il convenait de ne pas péjorer la situation avec des excroissances en toiture, la commission d’architecture (ci-après : CA) a émis un préavis favorable sans observations le 10 mai 2023 ;

-          la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a requis, dans son préavis du 22 décembre 2022, la modification du projet et la production de pièces et informations complémentaires, soit notamment indiquer la signification de la mention « TN antérieur » dans les diverses pièces produites et démontrer que les corps projetés en toiture s’inscrivaient dans les gabarits/gabarits de toiture.

Par préavis du 3 mai 2023, elle a à nouveau sollicité la modification du projet et la production de pièces complémentaires, tout en précisant notamment que toutes les coupes/élévations projetées fournies devaient désigner « les TN/TF ». Par la suite, cette instance a émis quatre préavis qui ne portaient pas sur les points précités, le dernier d’entre eux, daté du 5 juillet 2023, étant favorable sans observations.

5.             Faisant suite aux préavis émis, la requérante a produit plusieurs versions modifiées du projet, la dernière datant du 3 juillet 2023 (version n° 4). Elle a en outre indiqué, sous la plume de son architecte :

-          par courrier du 24 avril 2023, que, suite au préavis de la CA du 3 février 2023, le niveau des constructions avait été remonté de 10 cm pour mieux s’adapter au terrain naturel et que les excroissances en toiture avaient été supprimées, l’accès aux terrasses en toiture se faisant désormais par des ouvertures en toiture. S’agissant du préavis de la DAC du 22 décembre 2022, il était précisé que les gabarits étaient dessinés au terrain existant ; le tracé du TN antérieur avait été maintenu sur les coupes, en lien avec les études préalables avec la CA, ce terrain naturel antérieur ayant été repris de l’autorisation de construire sur cette parcelle datant de 1961 ; les corps projetés en toiture avaient été supprimés ;

-          par courrier du 31 mai 2023, quant au préavis de la DAC du 3 mai 2023, que les coupes et élévations avaient été complétées et indiquaient systématiquement les « TN/TF ».

6.             Dans le cadre de l’instruction de l’APA 11_____, Mme A______ et consorts ont indiqué au DT, sous la plume de leur conseil, par pli du 26 janvier 2023, tout en invoquant divers arguments qui seront repris dans le cadre de leur recours, que, sans être opposés au principe du projet, ils craignaient les nuisances que les terrasses prévues en toiture, avec accès par ascenseur, engendreraient pour eux, de sorte qu’il convenait de porter une attention particulière à la licéité de ces constructions.

7.             Constatant, au vu des nouveaux plans versés au dossier, que les terrasses en toiture étaient maintenues, les précités ont à nouveau attiré l’attention du DT sur ce point, par courrier du 30 juin 2023.

8.             Par décision du ______ 2023, le département, se référant notamment à la version n° 4 du projet, a délivré l’APA 11_____ sollicitée.

Les conditions figurant dans plusieurs des préavis au dossier devaient être strictement respectées et faisaient partie intégrante de l’autorisation. Les droits des tiers demeuraient réservés et toutes les dispositions de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) et du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01) devaient être observées.

9.             Par correspondance du 12 juillet 2023, le DT, faisant suite aux observations formulées par Mme A______ et consorts, a informé ces derniers de la délivrance de l’APA sollicitée, suite à une évaluation des préavis et observations recueillis, après avoir procédé à une pesée des différents intérêts en présence et dans les limites de la loi.

10.         Par acte du 6 septembre 2023 2023 accompagné de pièces, Mme A______ et consorts ont recouru, sous la plume de leur conseil, auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre l’APA 11_____, concluant, préalablement, à la tenue d'un transport sur place et, principalement, à sa modification en ce sens que les terrasses sur les toits des bâtiments n'étaient pas autorisées, sous suite de frais et dépens.

Tous domiciliés et propriétaires d'une parcelle sise à proximité immédiate de la construction litigieuse, ils étaient particulièrement touchés par les immissions causées par celle-ci, de sorte qu'ils possédaient la qualité pour recourir.

La construction autorisée serait la cause d’inconvénients graves pour le voisinage au sens de l’art. 14 LCI. La décision querellée autorisait la construction de trois villas de trois étages (R + 2) d'une hauteur totale de 9,73 m avec pour chaque villa + : un grand jardin, une terrasse au rez-de-chaussée d'une surface allant de 41,9 à 54,9 m², une terrasse au premier étage d'une surface entre 9,6 et 14,84 m2, deux terrasses au deuxième étage d'une surface cumulée oscillant entre 13,7 et 27 m² et une terrasse sur le toit d'une surface comprise entre 28,2 et 37,7 m².

Ils ne contestaient pas le projet en lui-même mais uniquement l'aménagement des terrasses sur les toits. Celles-ci étant situées bien au-dessus des autres constructions sur les parcelles voisines, les personnes qui s’y trouveraient auraient une vue plongeante sur leurs parcelles et domineraient les fonds voisins de près de 12 m. Ceci était d'autant plus problématique et attentatoire à leur vie privée que la terrasse prévue sur la villa la plus proche de leurs parcelles était précisément orientée en direction de leurs parcelles. Par conséquent, ces terrasses leur causeraient des inconvénients graves plus importants que l'intérêt - éventuel - à leur construction.

S’agissant de la pesée des intérêts en présence, aucun intérêt public n’entrait en jeu puisque la construction de trois nouveaux logements n’était pas remise en cause, contrairement à l’aménagement de terrasses en toiture, qui ne répondait à aucun intérêt public. Or, leur intérêt au respect de leur vie privée l'emportait sur celui du propriétaire actuel, voire des futurs habitants, à la jouissance de ces terrasses en toiture, afin vraisemblablement de bénéficier d’une vue sur le lac. Ainsi, cet intérêt, purement commercial s'agissant du promoteur et de pur agrément pour les futurs habitants, n'était pas suffisant à lui seul pour justifier les inconvénients graves qui leur seraient causés. Pour le surplus, ces terrasses n’étaient nullement nécessaires au confort des futurs habitants, qui disposeraient de cinq terrasses d’une surface totale oscillant entre 67.9 et 95.1 m2 et d’un jardin.

De plus, les constructions et leur hauteur détonaient particulièrement dans la zone et n'étaient pas en harmonie avec le quartier, de sorte que l'art. 15 al. 1 LCI était également violé.

Partant, leur intérêt à ce que le projet ne leur cause ni inconvénient grave ni atteinte à leur vie privée prévalait sur l’intérêt du propriétaire actuel, respectivement celui des futurs habitants, à l’aménagement des terrasses contestées. En ne tenant pas compte de l'impact et des nuisances que ces constructions auraient sur eux et sur l'harmonie du quartier alors qu'ils avaient à deux reprises attiré son attention sur cette problématique, le DT avait abusé de son pouvoir d'appréciation.

11.         Dans ses observations du 6 novembre 2023 accompagnées du dossier, le DT a conclu au rejet du recours, dont il relevait qu’il portait uniquement sur les terrasses projetées, ainsi qu’à la confirmation de la décision attaquée, sous suite de frais.

Aucune violation de l’art. 14 LCI n’était à déplorer. L'inconvénient dont se plaignaient les recourants, soit la vue plongeante sur leurs parcelles, relevait de la protection de leur intimité que les normes en matière de construction n'avaient pas pour vocation de protéger. Les recourants ne faisaient en outre pas valoir que la construction autorisée violerait les dispositions sur les distances minimales et les vues droites. Il ressortait des coupes et gabarits du géomètre visés ne varietur que les gabarits légaux étaient respectés. Il en allait de même des distances minimales et des vues droites, comme confirmé par le préavis favorable de la DAC.

Au surplus, dans la mesure où les conditions légales étaient réunies, le département était tenu de délivrer l'autorisation de construire sollicitée. Cette dernière ne nécessitant l'application d'aucune dérogation, il ne disposait d'aucune marge d'appréciation.

12.         Par observations du 7 novembre 2023 accompagnées de pièces dont le contenu sera détaillé dans la partie « En droit » ci-après en tant que de besoin, D______ Sàrl a conclu, sous la plume de son conseil, quant à la forme, à l'irrecevabilité du recours, préalablement, si le recours devait être déclaré recevable, à la levée de l'effet suspensif et, sur le fond, à son rejet, sous suite de frais et dépens.

Les recourants n'alléguaient pas de nuisances émanant des constructions, mais des futurs usagers des villas, considérant qu'ils occuperaient les terrasses en toiture de façon à les atteindre dans leur intimité. Au vu de la jurisprudence, un tel grief excédait le cadre du litige en matière d'autorisation de construire et ressortait au droit privé. L’art. 15 LCI n'était pas applicable en zone 5. Par conséquent, le recours était irrecevable.

Les trois villas jumelées concernées par l’autorisation litigieuse - dont les futures adresses respectives seraient chemin F______ nos 12_____ 13_____ et 2______ - respectaient en tous points les gabarits légaux. Elles comporteraient des toits plats, sur une partie desquels des terrasses seraient réalisées, le restant de la toiture étant recouvert de panneaux photovoltaïques, comme cela ressortait du plan d’attique/toiture visé ne varietur. Les terrasses contestées étaient localisées en retrait sur les toitures par rapport aux parcelles des recourants. Ainsi, la terrasse de la villa située à l’est (future villa n° 13_____) était éloignée d’1.86 m par rapport au bord du bâtiment et celle de la villa n° 12_______ de plus de 7 m du bord du bâtiment. Quant à la villa n° 2______, elle était, vu sa localisation et le positionnement des deux autres villas projetées, hors de portée visuelle des recourants.

De plus, de la végétation était prévue sur une partie du pourtour des terrasses, notamment pour la villa n° 13_____, sur le côté de la terrasse donnant en direction des recourants (côtés ouest et est) et pour la villa n° 12______ (côtés ouest et nord). Ainsi, les vues des terrasses étaient prévues, pour la villa n° 13_____, en direction perpendiculaire des recourants (dans le sens de la coupe A-A) et, pour la villa n° 12______ uniquement en direction du sud-est. Les recourants semblaient d’ailleurs admettre que l’orientation des vues n’était pas dirigée à leur encontre puisqu’ils considéraient que ces terrasses avaient pour but de bénéficier d’une vue sur le lac.

Les vues de drones et le plan de situation des prises de vue - joints - effectués le 23 octobre 2023 par le bureau I______ SA attestaient des vues extrêmement limitées en direction des domiciles des recourants, même à la hauteur des futures terrasses litigieuses, vu la végétation existante tant sur les parcelles des recourants que sur celle du projet. Les façades visibles comportaient peu de fenêtres, qui étaient, actuellement déjà, munies de rideaux. Les jardins des recourants, situés à l’arrière des villas réalisées en front de rue, n’étaient, quant à eux, pas ou peu visibles. De plus, comme démontré par le plan d’attique/toiture visé ne varietur, les toitures ne comportaient ni surfaces de rangements, ni couverts ni chauffage, ce qui laissait présupposer qu’elles ne seraient utilisées que sporadiquement.

Le projet était en tous points conforme à la législation applicable en zone 5 et ne nécessitait aucune dérogation. Il ne pouvait dès lors être considéré comme source d'une quelconque nuisance au sens de l'art. 14 LCI. La préservation de l'intimité recherchée par les recourants n'était pas un droit directement protégé par les normes de construction. Ce grief devait être rejeté.

La cinquième zone ne bénéficiait d'aucune protection particulière, de sorte que les constructions n'étaient soumises, s'agissant de leur expression architecturale, à aucune autre contrainte que celle résultant de la clause d'esthétique de l'art. 59 al. 4 let. a LCI. Si toutefois le tribunal considérait que l'art. 15 LCI trouvait application en zone 5, il y avait lieu de considérer que la CA avait émis un préavis favorable, de même que les autres instances de préavis. Les recourants faisaient valoir une position subjective, non étayée. Or, la hauteur des villas respectait les gabarits usuels de la zone 5 et cette zone d'affectation était caractérisée par la diversité des formes architecturales, accentuée depuis l'introduction des nouvelles densités dérogatoires prévues à l'art. 59 al. 4 LCI. La consultation des images aériennes disponibles sur le système d’information du territoire genevois (ci-après : SITG) montrait d’ailleurs que les villas des recourants possédaient des formes architecturales distinctes ainsi qu’une toiture plate.

Enfin, l’intérêt des recourants à la sauvegarde de leur intimité pouvait être qualifié de moindre vis-à-vis du sien - plus important - à pouvoir réaliser trois logements.

13.         En date du 20 novembre 2023, le département s'en est rapporté à justice quant à la levée de l'effet suspensif requise par l'intimée.

14.         Par écriture du 23 novembre 2023, les recourants ont conclu au rejet de la requête de levée de l'effet suspensif, subsidiairement à ce que la levée partielle de l'effet suspensif soit accordée, dans la mesure où toute construction ou réalisation en lien avec les terrasses et leur accès tel que prévu resterait empêchée.

15.         Dans sa réplique du 1er décembre 2023, l'intimée a persisté dans sa requête de levée de l'effet suspensif mais a admis, à titre subsidiaire, que le tribunal puisse se limiter à prononcer la levée partielle de l'effet suspensif, en précisant que cette décision permettait le démarrage du chantier, sous réserve de la réalisation des aménagements liés exclusivement aux terrasses, qui demeurait prohibée jusqu'à l'entrée en force exécutoire du jugement sur le fond.

16.         Par décision du ______ 2023 (DITAI/14_____), le tribunal a partiellement admis la demande de retrait de l'effet suspensif au recours formée par l’intimée, en ce sens que les travaux visés par l'APA 11_____ pourraient débuter, à l'exception de ceux ayant trait à la réalisation des terrasses en toiture sur les trois villas projetées ainsi que de leurs accès, lesquels demeuraient prohibés jusqu'à l'entrée en force du jugement sur le fond et a confirmé l'effet suspensif du recours pour le surplus.

17.         Par réplique sur le fond du 13 décembre 2023, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

La recevabilité de leur recours devait être admise, vu leur qualité de voisins directs et le fait que le projet litigieux porterait atteinte à leur droit à la vie privée.

Même s’il n’était pas contesté que les normes ordinaires applicables à la zone 5 étaient à priori respectées, l’autorisation aurait dû être refusée. Pour le calcul de la hauteur maximale des constructions projetées, l’intimée faisait référence à la hauteur du TN actuel. Elle prévoyait pourtant de creuser la quasi-totalité de la parcelle sur plus d’1 m de profondeur afin d’ériger le rez-de-chaussée des villas au niveau du TN antérieur, voire à un niveau encore inférieur. Ainsi, l’intimée augmentait artificiellement la hauteur maximale des constructions prévues et commettait, de ce fait, un abus. Si la hauteur des villas projetées avait été calculée depuis le niveau effectif du rez, les terrasses sur les toits n’auraient pas pu être autorisées comme telles. Si ce procédé pouvait « en soi être considéré comme légal », l’effet qu’il avait sur leurs droits empêchait qu’il soit avalisé.

L’aménagement des terrasses équivalait à la création d’un 4ème étage, même si elles n’étaient pas couvertes. Or, les normes légales de construction n’autorisaient pas la construction d’un étage supplémentaire, faute pour la hauteur maximale d’être respectée. Le but d’une telle hauteur maximale légale était précisément de protéger les voisins contre des immissions excessives.

La végétation prévue ne permettrait pas de préserver leur intimité. Les arbres qui paraissaient, sur les prises de vue produites, limiter la visibilité sur leurs parcelles étaient précisément destinés à être abattus dans le cadre du projet. En outre, les photographies avaient été prises au début de l’automne, alors que les arbres avaient encore presque toutes leurs feuilles. Même si des arbres devaient être replantés, rien ne démontrait que ceux-ci seraient persistants et il faudrait en tout état des dizaines d’années pour qu’ils croissent. De même, il n’était pas garanti que la végétation prévue sur le toit des villas soit effectivement plantée ni qu’elle limiterait concrètement la vue sur leurs parcelles. Les photographies produites et les projections de l’intimée n’étaient donc pas représentatives de l’état futur.

La prétendue utilisation sporadique des terrasses n’emportait pas conviction, l’intimée ne pouvant garantir le comportement des futurs habitants. Enfin, le fait que les inconvénients graves soient causés directement ou indirectement par les constructions litigieuses était sans pertinence, conformément à la jurisprudence.

Même à considérer que la question des vues plongeantes relevait du droit privé, ils subissaient une atteinte à leur droit fondamental à la vie privée, protégé par les art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 21 de la Constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE - A 2 00).

Le DT devait ainsi s’assurer que les conditions d’une telle atteinte était remplies, en particulier s’agissant du principe de proportionnalité. En application tant de la LCI que des règles sur la limitation des droits fondamentaux, le DT devait procéder à une pesée des intérêts entre leurs intérêts privés à ne pas subir d’inconvénients majeurs et à voir leur vie privée respectée et l’intérêt privé de l’intimée à pouvoir réaliser les terrasses. Or, celles-çi n’étaient pas nécessaires aux futurs habitants, l’intimée reconnaissant d’ailleurs qu’elles ne seraient utilisées que sporadiquement.

La violation de l’art. 15 LCI était avérée. Le quartier ne comprenait aucune villa avec une terrasse en toiture. Les habitations existantes avaient au contraire été réalisées de manière à préserver la vie privée des voisins et l’encouragement de la densification en zone 5 voulue par le législateur n’avait pas pour but de permettre des aménagements superflus pour des logements de luxe.

18.         Dans sa duplique du 28 décembre 2023 accompagnée de pièces, l’intimée a persisté dans ses conclusions.

Aucun inconvénient grave ne découlerait des terrasses autorisées, vu leur conformité à la législation applicable et la visibilité ténue du projet depuis les parcelles des recourants, démontrée par les prises de vue produites. D’éventuels problèmes comportementaux, tout comme l’utilisation de ces terrasses, relevaient du droit privé.

Le fait de ne pas avoir retenu, comme altitude de référence, l’altitude du TN antérieur n’était constitutif d’aucun abus de droit. Conformément à la jurisprudence, lorsque le niveau du TN avait été modifié dans le cadre de la réalisation d’une précédente construction, comme in casu lors de la construction de la villa qui s’y trouvait actuellement, le terrain existant depuis lors pouvait être pris en considération comme niveau du TN, même s’il découlait d’un remblayage. Le gabarit tracé depuis le niveau du terrain actuel, dans lequel s’inscrivait le projet tel que figurant sur les plans, était dès lors valable.

Le fait que le tracé du gabarit légal ainsi déterminé dépasse largement la volumétrie des constructions projetées s’expliquait par le fait que le projet avait été conçu dès l’origine dans le respect du gabarit tracé depuis le terrain « naturel » reconstitué. Le niveau originel du terrain et le gabarit projeté sur la base de ce niveau étaient illustrés sur les coupes de la première version du projet déposée auprès du DT. Dans celle-ci et en se concentrant sur la coupe représentant le bâtiment le plus élevé en regard du niveau du terrain (coupe A-A’ suivant l’axe de plus grande pente de la parcelle, soit depuis le chemin F______ à droite, en direction du lac, à gauche), l’altitude de la dalle en toiture (489.71 m) était inférieure à la hauteur maximale du gabarit cotée à 489.83 m (calculée sur la base du niveau du terrain naturel antérieur de 479.83 m du côté de la parcelle 15_____ + 10 m, selon l’art. 61 al. 4 LCI). À la demande du DT, les plans avaient ensuite été modifiés pour calculer les gabarits de hauteur des constructions projetées en fonction du niveau du terrain existant.

Les plans visés ne varietur démontraient qu’elle n’avait pas profité du fait que les gabarits de hauteur des constructions projetées avaient ensuite été calculés en fonction du niveau du terrain naturel existant, comme demandé par le DT, pour augmenter la hauteur des villas jusqu’à la hauteur maximale du gabarit. En effet, le projet avait « uniquement été coulissé vers le haut de 10 [cm] » comme confirmé par le plan de coupe A-A’ du 26 avril 2023 visé ne varietur. Dans la version du projet visé ne varietur, l’altitude de la dalle en toiture (489.81 m) était toujours inférieure à la hauteur maximale du gabarit de 492 m (calculé sur la base du niveau du terrain naturel existant de 482 m du côté de la parcelle n° 15_____ + 10 m). La comparaison des plans de la première version du projet déposée et des plans visés ne varietur démontrait ainsi que quelle que soit l’altitude de référence retenue afin d’opérer le calcul des hauteurs maximales (niveau du terrain actuel ou niveau du terrain antérieur), le projet respectait le gabarit légal. Partant, le grief y relatif était infondé.

Même si une partie de la végétation existante sur la parcelle n° 1______ disparaîtrait en raison de l’autorisation d’abattage, celle-ci était accompagnée d’une obligation de replanter des arbres. En outre, les recourants étaient libres de prévoir une arborisation ou tout autre écran sur leurs propres parcelles. Dès lors que les terrasses étaient usuellement utilisées durant une période où les arbres avaient encore presque toutes leurs feuilles, le fait que les prises de vue aient été réalisée à un tel moment n’était pas problématique.

Les terrasses litigieuses, dépourvues d’éléments constructifs et indiscernables depuis les environs, ne prétéritaient en rien l’harmonie du quartier. En outre, les superstructures d’accès y relatives avaient été supprimées pour faire suite aux demandes des recourants durant l’instruction de la requête. Les villas de ces derniers étaient également dotées de toitures plates.

19.         Par duplique du 10 janvier 2024, le DT a persisté dans ses conclusions.

Les recourants avaient échoué à démontrer un abus du constructeur. En effet, la jurisprudence n’excluait pas l’augmentation artificielle de la hauteur maximale des constructions prévues en prenant le niveau du TN actuel au lieu du niveau du TN ancien. D’autre part, après vérification par l’architecte LCI ayant instruit la requête, les constructions autorisées respectaient le gabarit maximal de 10 m (art. 61 al. 4 LCI) applicable en zone 5, même en prenant comme référence le niveau du TN ancien, sans modification, tel qu’apparaissant sur les coupes visées ne varietur.

Étaient joints l’extrait du plan cadastral et les plans de coupes et gabarits A-A’, B-B’, C-C’ et D-D’ de la première version du projet enregistrés le ______ 2022, qui montraient que le gabarit légal était respecté, même en prenant comme référence le niveau du TN ancien. Le fait que les constructions aient ensuite été élevées de 10 cm ne changeait rien au respect du gabarit légal, au vu des vérifications effectuées par l’architecte LCI. Les recourants admettaient d’ailleurs que le calcul du gabarit pouvait en soi être considéré comme légal. Le grief devait donc être écarté.

Comme pour toute autorisation de construire délivrée, il avait procédé à une pesée des intérêts en présence en tenant compte de ceux des recourants, qu’ils avaient notamment fait valoir par le biais d’observations lors de l’instruction du dossier. Il avait néanmoins considéré que les intérêts privés des recourants ne pouvaient l’emporter et avait choisi d’autoriser le projet, au vu notamment des préavis favorables. Rien ne laissait à penser qu’il avait abusé de son pouvoir d’appréciation. Partant, aucune violation du principe de proportionnalité n’était à déplorer.

20.         Par écriture spontanée du 26 janvier 2024, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

L’existence d’un abus de la part du constructeur avait été démontrée. L’argumentaire de l’intimée et du DT n’était pas convaincant s’agissant du niveau du terrain pertinent et le projet « jou[ait] » avec les limites de hauteur et les référentiels applicables, créant et renforçant l’atteinte à leur vie privée. C’était également ce que semblait admettre le DT, qui affirmait avoir procédé à une pesée des intérêts, laquelle présupposait que la construction en cause soit source d’inconvénients graves. La perte d’intimité ne pouvait être assimilée à la perte de vue, la première étant directement protégée par les droits fondamentaux, contrairement à la seconde. Une atteinte à la sphère privée constituait ainsi un inconvénient grave.

Les prises de vues effectuées par l’intimée démontraient la vue plongeante depuis les terrasses litigieuses sur leurs parcelles, notamment l’entrée, le jardin et certaines pièces de la maison sise sur la parcelle n° 6_______, qui augmenterait avec la disparition d’une partie de la végétation existante, de sorte que les photographies produites n’étaient pas représentatives de la situation future.

L’intérêt privé ou public prépondérant de ces terrasses n’ayant pas été démontré alors qu’ils avaient prouvé qu’elles étaient inutiles, leur intérêt privé prévalait.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la LCI (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue, au sens des art. 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10).

3.             L’intimée se prévaut de l’irrecevabilité du recours, motifs pris du fait que les arguments avancés par les recourants s’agissant du grief d’inconvénients graves pour le voisinage excédait le cadre du présent litige dès lors qu’il relèverait du droit privé et que la violation alléguée de l’art. 15 LCI, sommairement motivée, ne trouverait pas application en zone 5.

4.             Selon l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Le voisin direct de la construction ou de l'installation litigieuse, s'il a en principe la qualité pour recourir, doit en outre retirer un avantage pratique de l'annulation ou de la modification de la décision contestée qui permette d'admettre qu'il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l'intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée de manière à exclure l'action populaire (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; 137 II 30 consid. 2.2.3). Le voisin ne peut ainsi pas présenter n'importe quel grief ; il ne se prévaut d'un intérêt digne de protection, lorsqu'il invoque des dispositions édictées dans l'intérêt général ou dans l'intérêt de tiers, que si ces normes peuvent avoir une influence sur sa situation de fait ou de droit (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; 137 II 30 consid. 2.2.3 ; 133 II 249 consid. 1.3). Tel est souvent le cas lorsqu'il est certain ou très vraisemblable que l'installation ou la construction litigieuse sera à l'origine d'immissions – bruit, poussières, vibrations, lumière, fumée – atteignant spécialement les voisins. À défaut, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur le grief soulevé (arrêt du Tribunal fédéral 1C_27/2018 du 6 avril 2018 consid. 1.1 et les références citées).

5.             En l’espèce, les recourants sont propriétaires de parcelles situées à proximité directe de celle destinée à accueillir le projet litigieux, ce qui n’est pas contesté par les parties. Les recourants - qui habitent en outre sur les parcelles leur appartenant, de sorte qu’ils sont voisins directs du projet querellé - se prévalent, pour le surplus, de la violation de dispositions du droit de la construction susceptibles, en cas d’admission de leur recours, d'avoir une incidence concrète sur leur situation de fait. Ainsi, ils invoquent notamment une violation des art. 14 et 15 LCI qui, si elle devait être avérée, serait susceptible de leur procurer un avantage pratique, soit in casu, la non réalisation des terrasses dont la légalité est contestée dans le cadre de la présente procédure.

Par conséquent, conformément à la jurisprudence mentionnée supra, il ne saurait être retenu que les recourants ne possèdent pas la qualité pour recourir. La pertinence des arguments invoqués s’agissant des griefs précités, voire leur recevabilité, sera quant à elle examinée ci-après lors de l’examen du litige sur le fond.

Partant, leur recours sera déclaré recevable sous l’angle de l’art. 60 LPA également.

6.             Les recourants sollicitent la tenue d’un transport sur place.

7.             Le droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour les parties de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (cf. not. art. 41 in fine LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_668/2020 du 22 janvier 2021 consid. 3.3 ; 2C_339/2020 du 5 janvier 2021 consid. 4.2.2 ; ATA/1637/2017 du ______ 2017 consid. 3d), ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_725/2019 du 12 septembre 2019 consid. 4.1 ; 2C_1004/2018 du 11 juin 2019 consid. 5.2.1). Ces principes s’appliquent également à la tenue d’une inspection locale en l’absence d’une disposition cantonale qui imposerait une telle mesure d’instruction, étant précisé qu’une telle disposition n’existe pas en droit genevois (ATF 120 Ib 224 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_243/2013 du 27 septembre 2013 consid. 3.2.1 ; ATA/285/2021 du 2 mars 2021 consid. 2b).

8.             En l’occurrence, les documents versés au dossier, notamment l’extrait cadastral, les plans et les prises de vue par drone produites ainsi que la consultation du SITG, permettent de visualiser le projet concerné, la parcelle destinée à l’accueillir ainsi que le périmètre dans lequel celle-ci s’insère, notamment au regard des trois parcelles appartenant aux recourants. Dès lors qu’un transport sur place aurait pour but de faire constater ces mêmes éléments, cette mesure d’instruction n'apparaît pas susceptible de fournir des informations pertinentes supplémentaires.

Partant, il n’y a pas lieu de procéder au transport sur place requis, celui-ci n'étant au demeurant pas obligatoire.

9.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

10.         Les arguments formulés par les parties à l'appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1 ; 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 5.1 ; 1C_304/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.1 ; 1C_592/2015 du 27 juillet 2016 consid. 4.1 ; 1C_229/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1 et les arrêts cités), étant rappelé que, saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office et que s'il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA ; cf. not. ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1 et les références citées ; ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b; cf. aussi ATF 140 III 86 consid. 2 ; 138 II 331 consid. 1.3 ; 137 II 313 consid. 1.4).

11.         Dans un premier grief, les recourants se prévalent d’une violation de l’art. 14 LCI, en lien avec le droit à la protection de leur vie privée.

12.         À teneur de l’art. 14 al. 1 let. a LCI, le département peut refuser les autorisations notamment lorsqu’une construction ou une installation peut être la cause d’inconvénients graves pour les usagers, le voisinage ou le public.

Cette disposition appartient aux normes de protection qui sont destinées à sauvegarder les particularités de chaque zone, en prohibant les inconvénients incompatibles avec le caractère d’une zone déterminée. Elle n’a toutefois pas pour but d’empêcher toute construction dans une zone à bâtir, qui aurait des effets sur la situation ou le bien-être des voisins (ATA/448/2021 du 27 avril 2021 consid. 8a ; ATA/259/2020 du 3 mars 2020 consid. 7a ; ATA/1273/2017 du 12 septembre 2017 consid. 16c ; ATA/284/2016 du 5 avril 2016 consid. 9b). La construction d’un bâtiment conforme aux normes ordinaires applicables au régime de la zone ne peut en principe pas être source d’inconvénients graves, notamment s’il n’y a pas d’abus de la part du constructeur. Le problème doit être examiné par rapport aux caractéristiques du quartier ou des rues en cause (ATA/1060/2023 du 26 septembre 2023 consid. 5.2. et l'arrêt cité ; ATA/448/2021 du 27 avril 2021 consid. 8a ; ATA/259/2020 du 3 mars 2020 consid. 7a).

La notion d'inconvénients graves est une norme juridique indéterminée, qui doit s'examiner en fonction de la nature de l'activité en cause et qui laisse à l'autorité une liberté d'appréciation. Celle-ci n'est limitée que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (ATA/1060/2023 précité consid. 5.2. et la référence citée). Le pouvoir d'examen du tribunal s'exerce dans les limites précitées, sous réserve du respect du principe de proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et de l'intérêt public en cas d'octroi d'une autorisation (cf. not. ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5b et les références).

13.         Aux termes de l'art. 8 par. 1 CEDH, dont la teneur est à cet égard identique aux art. 13 al. 1 Cst. et 21 al. 1 Cst-GE, toute personne a droit au respect de sa vie privée.

L’art. 8 par. 2 CEDH prévoit qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Selon les art. 36 Cst et 43 Cst-GE, dont la teneur est identique, toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1). Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2). Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3). L’essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).

14.         Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, ce principe interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 145 I 297 consid. 2.4.3.1 et les références citées).

15.         La législation en matière de construction appréhende les inconvénients qu'une construction peut apporter au voisinage en fixant des règles précises en matière de gabarit de hauteur, de constructions à la limite de propriétés, de distances aux limites, sur la rue et entre constructions, ainsi que de calcul des vues droites (ATA/752/2014 du 23 septembre 2014 ; ATA/99/2012 du 21 février 2012).

S’agissant notamment de la perte de vue, la jurisprudence admet que ce droit n’est en tant que tel pas protégé en droit public, si ce n’est de façon indirecte par le biais des règles de police des constructions (distances aux limites et entre bâtiments, hauteurs maximum, notamment ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_279/2017 du 27 mars 2018 consid. 4.5.2). En conséquence, la perte de vue qui résulte de constructions ne saurait constituer en soi un inconvénient grave au sens de l'art. 14 LCI (ATA/934/2019 du 21 mai 2019 consid. 10).

16.         L'intérêt digne de protection du recourant, notamment à faire examiner les griefs soulevés, suppose qu'il soit actuel (cf. ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 ; 142 I 135 consid. 1.3.1 ; 139 I 206 consid. 1.1 ; 138 II 42 consid. 1 ; 135 I 79 consid. 1 ; ATA/1094/2020 du 3 novembre 2020 consid. 2 ; ATA/201/2017 du 16 février 2017 consid. 2). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d'économie de procédure (cf. ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 ; 140 IV 74 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_412/2020 du 5 mai 2020 consid. 3.1 ; 1B_438/2016 du 14 mars 2017 consid. 2.1).

17.         Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités et n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/486/2023 du 9 mai 2023 consid. 6.1.1 et les références citées).

Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/1296/2022 du 20 décembre 2022 consid. 6c ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 508 p. 176 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/423/2023 du 25 avril 2023 consid. 5.2 ; ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 4d et les références citées).

18.         Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue que les instances de recours ne peuvent annuler la décision du département que si celle-ci emporte une violation de la loi ; si plusieurs interprétations sont soutenables, le juge n'a pas à substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité de première instance (ATA/629/2008 du 16 décembre 2008 consid. 11).

19.         En l’espèce, les recourants allèguent que la réalisation des terrasses autorisées en toiture leur causerait de graves inconvénients, en ce qu’elle aurait pour conséquence une violation du droit à leur vie privée, compte tenu de la vue plongeante sur leurs parcelles dont bénéficieraient, selon eux, les futurs utilisateurs de ces terrasses.

Il ressort des éléments au dossier, notamment des plans visés ne varietur, que l’ensemble des normes applicables en zone 5 en matière de construction, notamment en matière de distances minimales et de vues droites, sont respectées. Le projet autorisé n’a d’ailleurs nécessité aucune dérogation auxdites normes. Le respect de ces dernières a en outre été confirmé par les instances de préavis consultées, qui se sont toutes, sans exception, déclarées favorables au projet - incluant les terrasses en toiture litigieuses -, avec ou sans conditions. Les recourants ne se prévalent d’ailleurs pas d’une violation des dispositions du droit de la construction applicables en zone 5. Au contraire, ces derniers précisent explicitement, dans le cadre de leur réplique, ne pas contester le fait que les normes ordinaires applicables à la zone 5 sont ici a priori respectées. Va dans le même sens le fait qu’ils ne se sont pas opposés à la levée partielle de l’effet suspensif au recours, laquelle a eu pour conséquence que les travaux ont pu débuter s’agissant notamment de la réalisation des fondations du bâtiment concerné à l’altitude autorisée, à l’exception de ceux relatifs aux terrasses querellées. Partant, il sera constaté que le projet autorisé, et notamment les terrasses en toiture qu’il prévoit, respecte les normes applicables de la zone 5, dans laquelle il est destiné à être réalisé. Dès lors, conformément à la jurisprudence, ce projet ne peut être source d’inconvénients graves, sauf abus du constructeur.

Les recourants se prévalent ici d’un tel abus, au regard du fait que l’intimée aurait, selon eux, augmenté artificiellement la hauteur maximale des constructions, Ainsi, d’après les précités, l’intimée aurait dû retenir, comme altitude de référence pour le calcul de la hauteur maximale des constructions projetées, l’altitude du TN antérieur et non celle du TN actuel, dès lors qu’elle prévoyait d’ériger le rez des futures villas au niveau du TN antérieur, voire encore plus bas.

Il ressort des explications détaillées du DT et de l’intimée à ce propos dans leurs dupliques respectives que le projet avait été conçu à l’origine dans le respect du gabarit tracé depuis le terrain naturel reconstitué. Ceci est d’ailleurs confirmé par les plans de coupes et gabarits A-A’, B-B’ et C-C’ et D-D’ de la première version du projet, enregistrée par le DT le ______ 2022 et joints par ce dernier à sa duplique. Faisant suite à une demande du DT, les plans ont ensuite été modifiés afin de calculer les gabarits et hauteurs projetés en fonction du niveau du terrain existant. Il ressort toutefois desdits plans, notamment du plan de coupe A-A’, visés ne varietur le 26 avril 2023 que le projet – dans sa version finale - a été déplacé vers le haut de 10 cm, sans que la hauteur des villas prévues ne soit cependant augmentée jusqu’à la hauteur maximale du gabarit. Ainsi, il apparaît, à teneur du projet dans sa version visée ne varietur, que la dalle de toiture, située à 489.81 m respecte la hauteur maximale du gabarit autorisé de 492 m, calculé sur la base du niveau du terrain existant de 482 m du côté de la parcelle n° 16_______, auquel s’ajoute les 10 m autorisés conformément à l’art. 61 al. 4 LCI. Ainsi, au vu des plans de la première version du projet déposés et de ceux visés ne varietur, le projet respecte le gabarit légal autorisé, tant au regard du niveau du terrain actuel qu’à celui du terrain antérieur. Il ressort en outre de la duplique du DT que l’architecte LCI qui a instruit la requête, interpellé à propos de cette problématique par le département, a à nouveau confirmé la conformité du projet au regard des gabarits légaux autorisés.

Au vu de ce qui précède, aucun abus de la part du constructeur n’est ici à déplorer. Les recourants reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes, dans leur réplique, que le procédé dont ils se plaignent peut « en soit être considéré comme légal », tout en précisant que c’est l’effet qu’il aurait, selon eux, sur leurs droits, qui est problématique.

Par conséquent, dans la mesure où le projet est conforme aux normes applicables à la zone concernée et qu’aucun abus de la part du constructeur n’est à relever, les terrasses prévues en toiture ne sauraient créer d'inconvénients graves aux recourants.

20.         Ces derniers, par le biais d’une violation alléguée du droit à leur vie privée, se plaignent d'une perte d’intimité du fait que les terrasses querellées donneraient, selon eux, directement sur leurs parcelles respectives.

Il ressort de la consultation des plans, extrait cadastral et documents au dossier que les terrasses prévues seront en retrait des façades des constructions projetées. Quant à la future villa n° 2______, au vu de son positionnement et de sa configuration par rapport aux deux autres villas précitées, elle sera hors de portée de vue des parcelles des recourants. En outre, des mesures ont été prises par l’intimée afin de limiter la vue en direction des parcelles des recourants, notamment par le biais de la présence de végétation prévue sur lesdites terrasses. Rien ne laisse à penser, contrairement aux allégations des recourants, qu’elle ne sera pas mise en place, sauf à faire un procès d’intention à l’intimée, étant en outre relevé que cette végétation en toiture figure sur les plans au dossier et que l’intimée a confirmé, en tant que de besoin, dans le cadre de la présente procédure, qu’elle serait installée.

Les prises de vue par drone versées au dossier ne démontrent pas, contrairement aux allégations des recourants, l’existence d’une vue plongeante sur leurs parcelles respectives depuis le projet mais davantage une vue limitée qui n’apparaît nullement choquante. Quant au fait que certains arbres présents sur la parcelle de l’intimée sont destinés à être abattus en vue de la réalisation du projet, il sera relevé que rien n’empêche les recourants de planter, sur les parcelles leur appartenant, des arbres ou d’y installer toute autre procédé susceptible de limiter la visibilité sur leur parcelle s’ils le souhaitent. À ce titre, le fait que ces prises de vue aient été effectuées alors que les arbres existants étaient encore en feuilles n’apparait pas problématique. En effet, les terrasses litigieuses n’étant ni couvertes, ni chauffées, ni équipées d’aménagements susceptibles de créer une protection contre le froid ou les intempéries, il apparaît précisément qu’elles sont destinées à être utilisées durant une période de l’année – limitée – pendant laquelle les températures seront assez clémentes pour demeurer en extérieur, soit également durant laquelle les arbres posséderont vraisemblablement des feuilles.

Pour le surplus, conformément à la jurisprudence citée ci-dessus, l’intérêt digne de protection du justiciable doit être actuel. Or, dans le présent cas, ce n’est pas la réalisation des terrasses en toiture en tant que telle qui est susceptible d’avoir un impact sur la situation des recourants mais bien l’utilisation qui en sera faite par les futurs occupants. Or, il ne peut être exclu que ces terrasses, pour rappel ni couvertes ni chauffées et ne comportant aucun dispositif permettant de lutter contre les intempéries et/ou le froid, ne soient utilisées que durant une période limitée de l’année. Enfin, de par sa configuration, une terrasse ne saurait constituer un emplacement d’une habitation utilisée de manière régulière et sur le long terme, comme cela est le cas d’un séjour ou encore d’une chambre. L’allégation des recourants selon laquelle la création de ces terrasses équivaudrait à celle d’un étage supplémentaire tombe à faux. Partant, même à retenir l’éventualité d’une atteinte à la vie privée et à l’intimité des recourants, celle-ci serait en tout état, à ce stade, purement hypothétique, de sorte que ces derniers ne peuvent se prévaloir d’un intérêt digne de protection à l’invoquer.

Il sera encore relevé que l’utilisation des terrasses relève des règles de bon voisinage et de droit privé (ATA/1103/2021 du 19 octobre 2021 consid. 18d) et que, selon les principes généraux du droit, il n'appartient pas à l'administration de s'immiscer dans les conflits de droit privé pouvant s'élever entre un requérant et un opposant, la législation genevoise en matière de police des constructions ayant pour seul but d'assurer la conformité des projets présentés aux prescriptions en matière de constructions et d'aménagements, intérieurs et extérieurs, des bâtiments et des installations (art. 3 al. 6 LCI ; cf. not. ATA/307/2021 du 9 mars 2021 consid. 4a ; ATA/169/2020 du 11 février 2020 consid. 7b ; ATA/1724/2019 du 26 novembre 2019 consid. 8e).

Enfin et en tout état, la chambre administrative a eu l’occasion de préciser dans l’une de ses jurisprudences, quant aux griefs concernant les vues plongeantes des futurs habitants, que celles-ci concernaient le droit privé et qu’il ne lui appartenait dès lors pas de statuer en la matière (ATA/1529/2019 du 15 octobre 2019 consid. 8).

Il n’en irait pas différemment d’une éventuelle péjoration de l'intimité dont les recourants jouissent à l’heure actuelle, dès lors que, conformément à la jurisprudence, les normes en matière de construction n’ont pas pour vocation de protéger l’intimité des habitants (ATA/197/2022 du 22 février 2022 consid. 4c ; ATA/498/2020 du 19 mai 2020 consid. 7b). Ainsi, même une potentielle perte d'intimité avérée, aussi regrettable soit-elle pour les personnes concernées, fait parties des conséquences pratiquement incontournables de l'application des nouvelles normes constructives dans la zone villa, qui ont pour but de la densifier.

Dans ces circonstances, en présence de préavis - tous - favorables, il ne peut être retenu que le DT aurait fait un usage abusif ou excessif de son large pouvoir d’appréciation en délivrant l’autorisation de construire querellée. Le fait qu’il a, en tenant compte de tous les intérêts en présence, procédé à une appréciation différente de celle des recourants - qui entendent avant tout opposer leur propre appréciation à celle du département - ne permet pas de retenir que celui-ci se serait fondé sur des critères et considérations dénués de pertinence et étrangers au but visé par la règlementation en vigueur. Comme relevé ci-dessus, le tribunal doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à l’autorité de décision, en particulier dans les domaines faisant appel à des connaissances techniques, et ne saurait en corriger le résultat en fonction d’une autre conception, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire.

En conclusion, infondé, le grief de violation de l’art. 14 LCI, en lien notamment avec les art. 8 CEDH, 5 al. 2 et 13 Cst. ainsi que 21 Cst – GE est écarté.

21.         Les recourants se prévalent également d’une violation de l’art. 15 LCI.

22.         L’art. 15 LCI prévoit que le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public (al. 1). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la CA ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la CMNS. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (al. 2).

Une telle clause fait appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées, dont le contenu varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce ; ces notions laissent à l'autorité une certaine latitude de jugement. Lorsqu'elle estime que l'autorité inférieure est mieux en mesure d'attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, l'autorité de recours s'impose alors une certaine retenue. Il en va ainsi lorsque l'interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, de technique, en matière économique, de subventions et d'utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l'esthétique des constructions (ATA/1102/2022 précité consid. 6c et l'arrêt cité).

Lorsque la consultation de la CA est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA/1101/2022 précité consid. 5d et l'arrêt cité). Il n'en demeure pas moins que la délivrance des autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du département, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence (ATA/1168/2023 du 31 octobre 2023 consid. 4.8. et les arrêts cités).

23.         L’art. 15 LCI reconnaît ainsi au département un large pouvoir d'appréciation. Ce dernier n'est limité que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (ATA/383/2023 du 18 avril 2023 consid. 5.3.1). Constitue un abus du pouvoir d'appréciation le cas où l'autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 précité ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 179).

24.         En l’espèce, s’agissant tout d’abord de la portée du champ d’application de la clause d’esthétique de l’art. 15 LCI, la lecture et/ou l'interprétation de l'art. 15 LCI à laquelle procède l’intimée, selon laquelle cette disposition ne viserait pas les constructions destinées à être réalisées en zone 5, ne saurait être suivie, à tout le moins lorsque l’on se trouve en présence d’un projet ne nécessitant aucune dérogation en matière de rapport des surfaces au sens de l’art. 59 al. 4 LCI, comme cela est le cas ici. L’art. 15 LCI contient en effet une clause d’esthétique générale, applicable à toutes les constructions, quel que soit la zone concernée (cf. RDAF 2020 I p. 159, 178). Son texte est parfaitement clair : il soumet « toute construction » à la clause d’esthétique, laquelle doit être bien intégrée à son environnement. Partant, il sera entré en matière sur ce grief.

Dans le présent cas, la CA a procédé a un examen complet et détaillé du projet. En effet, cette dernière a relevé, dans son premier préavis du 3 février 2023, que les constructions étaient trop décaissées, qu’il convenait de tenir compte du niveau du terrain naturel et que la hauteur des bâtiments projetés était conséquente. De ce fait, elle a requis, afin de ne pas péjorer la situation, la suppression des excroissances – initialement prévues – en toiture. Comme cela ressort du courrier de l’architecte de l’intimée au DT du 24 avril 2023 suite à ce préavis et des plans visés ne varietur, ces excroissances ont été supprimées dans la version autorisée du projet. Le 10 mai 2023, la CA s’est prononcée favorablement sans observations quant à celui-ci. Partant, force est de constater que cette dernière n’a pas émis la moindre réserve concernant une quelconque incompatibilité du projet avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, après avoir examiné celui-ci à deux reprises.

Or, rien ne permet de penser que le département aurait erré en suivant le dernier préavis favorable de cette instance ainsi que ceux - tous favorables également - émis par les autres instances spécialisées. Aucun élément au dossier ne tend en effet à démontrer que des terrasses en toiture destinées en tout état, – comme vu dans le développement effectué supra s’agissant du grief relatif à l’art. 14 LCI – à être implantées en retrait du bord des bâtiments concernés de sorte qu’elle ne seront pas ou peu visibles depuis les environs - péjorerait l’esthétique du quartier.

Le fait qu’aucune autre habitation à proximité ne possède, selon les recourants, de terrasse en toiture est sans pertinence quant à la question de savoir si de telles terrasses péjoreraient l’esthétique du quartier. L’art. 15 LCI n’impose en effet nullement que tous les bâtiments d’un quartier soient identiques. Pour le surplus, comme vu supra, la hauteur des villas projetées respecte les gabarits usuels en zone 5. En outre, il ressort de la consultation du SITG que les habitations des recourants sont elles-mêmes de formes architecturales distinctes et possèdent par ailleurs un toit plat, tout comme le projet querellé.

Enfin, même si le projet querellé ne présente pas les mêmes caractéristiques architecturales que certaines villas individuelles situées aux alentours, il consiste en un autre type d’habitat, dit groupé, dont l’implantation modifiera, à terme, la configuration de la zone villas telle qu’elle s’est développée jusqu’ici. Le législateur a eu conscience de cette évolution et a souhaité encourager la réalisation de ces nouvelles formes d’habitat - groupé ou en ordre contigu -, lorsqu’il a augmenté les indices d'utilisation du sol dérogatoires susceptibles d’être appliqués dans cette zone. Le projet querellé tel qu’autorisé s’inscrit donc naturellement dans l'évolution du quartier.

En conclusion, il apparaît que les recourants se contentent en réalité de substituer leur propre appréciation de la situation à celle du département, elle-même fondée sur les préavis positifs des instances spécialisées, notamment de la CA, et ne démontrent pas en quoi le préavis de cette instance serait insoutenable ou encore fondé sur des considérations étrangères aux buts de protection de la loi.

Partant, aucun élément ne permet de retenir que l’autorisation querellée aurait été rendue en violation de l’art. 15 LCI. Infondé, ce grief sera également écarté.

25.         En conclusion, entièrement mal fondé, le recours sera rejeté et la décision attaquée sera confirmée.

26.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’200.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

27.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, sera allouée à D______ Sàrl (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 6 septembre 2023 par Madame A______, Madame B______ et Monsieur C______ contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’200.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             condamne les recourants, pris conjointement et solidairement, à verser à D______ Sàrl une indemnité de procédure de CHF 1’500.- ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Oleg CALAME et Aurèle MÜLLER, juges assesseurs.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière