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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3666/2022

ATA/423/2023 du 25.04.2023 ( AMENAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 02.06.2023, 1C_275/2023
En fait
En droit

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3666/2022-AMENAG ATA/423/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 avril 2023

 

dans la cause

 

A______

B______

C______

Madame et Monsieur D______

Madame et Monsieur E______

Madame F______ recourants

représentés par Me Alain Maunoir, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT intimés

et


 

G______

représentée par Me François Bellanger, avocat


 

EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) est une association d’importance cantonale se consacrant, par pur idéal, à l’étude des questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement et à la protection des monuments, de la nature et des sites.

B______ (anciennement : ______ ; ci-après : B______) est une association active au niveau national, se vouant notamment à la protection de la nature, du paysage, à la conservation des monuments historiques, ainsi qu’à l’aménagement du territoire. La qualité pour recourir lui est reconnue par l’annexe à l’ordonnance relative à la désignation des organisations habilitées à recourir dans les domaines de la protection de l’environnement ainsi que de la protection de la nature et du paysage du 27 juin 1990 - ODO - RS 814.076).

C_____ (ci-après : C______) est une association d’importance cantonale se consacrant, par pur idéal, à l’étude des questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement et à la protection des monuments, de la nature et des sites.

Madame et Monsieur D______ sont copropriétaires de la parcelle n° 5'185 de la commune de Lancy (ci-après : la commune) à l’adresse ______. Madame et Monsieur E______ sont copropriétaires de la parcelle n° 4'811, à l’adresse ______, alors que Madame F______ est propriétaire de la parcelle n° 4'810, au ______ du même chemin.

b. Les bâtiments nos 1______, 2______, 3______ et 4______ (ci-après : les bâtiments), sis respectivement sur les parcelles nos 380, le long de la route de Saint-Georges, 379, à l’angle de la route susmentionnée et du chemin de Claire-Vue, 378 et 377 le long du chemin précité. Les quatre parcelles (ci-après ; les parcelles) sont situées en zone de développement 3 (ci-après : ZD3), avec une zone de fond 5, et propriété de G______ (ci-après : la propriétaire).

Les parcelles forment un triangle d’une surface totale de 10'900 m2. Elles sont entourées par la route de Saint-Georges, le chemin Claire-Vue et un chemin privé d’accès au siège de ______. Trois immeubles de huit logements chacun (six à l’origine) et une villa occupent l’entier du périmètre. Ils forment un ensemble résidentiel construit entre 1931 et 1933 par les architectes Alexandre et son fils André BORDIGONI.

c. Les parcelles sont sises dans le périmètre du plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 27'457 (ci-après : le PLQ), adopté par le Conseil d’État le 13 janvier 1982, s’étendant de la route de Chancy, au sud, à l’avenue du Plateau, à l’ouest, au chemin Claire-Vue au nord et à la route de Saint-Georges à l’est. Il précise pour le secteur D, périmètre des quatre parcelles litigieuses, seul pertinent en l’espèce, que « l’aménagement de ce secteur sera défini ultérieurement (20'487 m2 de plancher maximum) ».

d. Selon le recensement architectural et des sites du canton de Genève, établi entre 1991 et 1993 (plan 8______), la valeur « monument et bâtiment exceptionnel et leurs abords » a été attribuée aux bâtiments.

Des fiches individuelles et un plan d’ensemble n° 9______ ont été établis. Celles-là relèvent un « ensemble de quatre petits immeubles à l’intérieur d’un périmètre défini par trois rues qui forment une entité de valeur importante. Les bâtiments semblables (CL3-5, S 53) réalisés par le même architecte en 1931-1933 bénéficient de langage et de typologie identiques avec implantation en retrait de rue, de façon à créer de petites places devant ».

Cette valeur a été confirmée le 22 septembre 2004 par la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS), suite à une demande d’évaluation du département et une visite des lieux.

e. La propriétaire a déposé une demande de renseignements (DR) n° 5______ le 9 septembre 2010 portant sur la construction de neuf immeubles de logements.

Le 6 juin 2011, le service des monuments et de sites (ci-après : SMS) a préavisé défavorablement le projet.

f. Le 13 janvier 2011 [recte : 2012], suite à une réunion et une visite des lieux, A______ a invité les architectes mandatés par la propriétaire à privilégier un projet de construction permettant la conservation de trois des bâtiments. Le maintien de droits à bâtir ne pourrait être assuré qu’à la condition de concentrer les droits à bâtir encore disponibles du périmètre sur la parcelle n° 380, en remplacement de la villa, et éventuellement en partie sur la parcelle n° 378, en un seul volume sur les deux parcelles. Il proposait une étude aux fins d’avoir une comparaison objective entre différentes variantes.

g. Un concours d’architecture a été organisé entre 2012 et 2015. L’office du patrimoine et de sites (ci-après : OPS) a confirmé, le 3 septembre 2013, son accord avec ce processus et le choix du jury. Les fiches et le plan établi en 1991 devaient être remis aux concurrents : « Charge à eux d’apporter une proposition sensible en fonction des contraintes architecturales et paysagères de ce site ». « Tenir compte des bâtiments existants datant des années "30" » était l’un des objectifs du concours. Lors du choix final, le jury du concours « Claire-Vue » comprenait notamment le directeur du SMS ainsi que l’architecte cantonal. Le projet lauréat ne prévoyait pas le maintien des bâtiments.

En réponse à une interpellation de A______, le conseiller d’État en charge du département du territoire (ci-après : le département ou le DT) relevait dans un courrier du 22 septembre 2017, que le concours avait démontré, par la variété des propositions qualitatives, le bien-fondé du parti architectural lauréat, en particulier par comparaison à la variante de la conservation des trois objets de la densification dans le parc uniquement, solution qui s’était révélée impraticable.

h. Dans le cadre du recensement architectural du canton 2015 – 2023, le plan n° 10______, concernant la commune a été établi en 2018 (ci-après : RAC-2018). Les bâtiments sont qualifiés d’ « intéressants ».

« Le bâtiment situé au sommet de la parcelle (Claire-Vue 5) bénéficie d’une emprise légèrement supérieure et d’un traitement architectural plus sophistiqué. Au sud-est, deux avant-corps latéraux, fermés au rez-de-chaussée, composent des loggias ouvertes sur deux côtés aux étages et une pergola à l’attique. Les typologies d’origine correspondent à un habitat bourgeois, avec grand hall en forme de « galerie » desservant une enfilade de pièces de réception, une zone nuit et une zone réservée à l’employée de maison comprenant une chambre de bonne. Dans l’attique, un vaste espace est dédié au traitement du linge et autres services accessoires. Se dressant à un niveau intermédiaire entre le sommet et la route de Saint-Georges, le deuxième immeuble (Claire-Vue 3) possède une expression plus simple, embellie cependant par le motif des balcons arrondis aux angles. Ses typologies sont moins luxueuses, mais elles comprennent une chambre de bonne. Enfin, l’immeuble situé en avant (Claire-Vue 1/Saint-Georges 53) au carrefour de la route de Saint-Georges est le plus sobrement traité en façades et se compose d’appartements encore un peu moins spacieux, sans chambre de bonne. Le quatrième immeuble détonne des trois précédents autant par son plan irrégulier, son gabarit inférieur et son organisation interne, qui juxtapose sur chaque niveau un grand appartement bourgeois et un logement plus modeste. L’originalité du projet tient à l’équilibre atteint entre une image d’ensemble rendue homogène par la similitude des implantations et des codes architecturaux, d’une part, et des détails d’exécution variant en fonction de la gradation fine des programmes respectifs, qui s’adressent à une catégorie sociale plus ou moins privilégiée. [ ] Il faut noter qu’une petite galette située à l’angle nord de l’immeuble le plus populaire était prévue pour accueillir une épicerie, utile à tout le nouveau quartier. Dans un très bon état de conservation, l’ensemble présente des traits constructifs caractéristiques de son époque : les volumes à toit plat sont marqués par le jeu puissant du décrochement des avant-corps et des balcons tandis que les surfaces ne présentent que le sobre encadrement au ciment des fenêtres qui se détachent sur un fond de crépi de gros grains ».

i. Selon le plan directeur cantonal 2030 (ci-après : PDCn 2030), les parcelles sont sises dans un secteur de densification différenciée de la couronne urbaine (fiche A02).

B. a. Le 20 décembre 2017, une requête en autorisation de démolir les bâtiments (n° M 6______) et de construire des immeubles de cent quatre-vingt-quatre logements (DD 7______ : ci-après : la DD) ont été déposées.

b. Les préavis suivants ont notamment été recueillis :

- Le SMS a préavisé favorablement la démolition le 29 janvier 2018. Le préavis est motivé par l’ « arbitrage entre l’architecte cantonal et le directeur du SMS lors du jury du concours et la pesée d’intérêts réalisée entre conservation des objets patrimoniaux et leur remplacement par un projet de densification ».

- le 2 mars 2018, le Conseil administratif de la commune n’avait pas d’objection à formuler sur la requête en démolition, « sous la réserve que la démolition respecte le statut actuel du chemin de Claire-Vue ».

- la direction de la planification directrice cantonale et régionales (ci-après : SPI) a préavisé favorablement la DD, à la condition du respect des normes de construction de la ZD3.

c. Le 16 avril 2019, C______ a demandé à ce que les bâtiments soient considérés comme un ensemble protégé au sens des art. 89 ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Des mesures conservatoires étaient aussi sollicitées. L'OPS a refusé de donner une suite favorable à sa demande par courrier du 14 octobre 2019. La décision s’inscrivait dans la continuité des décisions et de choix pris dans ce secteur à la suite du concours d’architecture.

d. Une pétition intitulée « Non à la démolition d’un ensemble d’immeubles exceptionnel » de mille cinquante signatures a été déposée à la commission ad hoc du Grand Conseil le 7 juin 2019 (P 2'073). Dans son rapport P 2073-A du 4 février 2020, la commission a rejeté en majorité le renvoi au Conseil d’État, mais a accepté son dépôt, pour information, sur le bureau du Grand Conseil.

e. Les autorisations de démolir et construire ont été délivrées le 31 août 2020.

f. Le 30 septembre 2020, A______ a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). La cause a été enregistrée sous les références A/3088/2020.

Par jugement du 31 mars 2022, le TAPI a rejeté le recours.

Par acte du 19 mai 2022, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a été saisie d’un recours contre ce jugement. La cause fait l’objet d’un arrêt prononcé le même jour que celui de la présente cause.

C. a. Le 5 octobre 2020, A______ a formulé une demande d’inscription à l’inventaire des bâtiments et demandé qu’un périmètre de protection raisonnable autour de ces quatre immeubles soit établi. La procédure idoine a été ouverte le 16 novembre 2020.

b. Les observations suivantes ont été recueillis :

- La sous-commission 2 de la CMNS a préavisé défavorablement l’inscription à l’inventaire le 1er décembre 2020. Elle reprenait l’historique du dossier. À la suite d’un préavis détaillé, elle reconnaissait la valeur patrimoniale des bâtiments. Toutes les options possibles afin de concilier la réalisation des droits à bâtir accordés et la sauvegarde de tout ou partie de cet ensemble avaient été examinées à l’occasion du concours d’architecture mené en 2015.

- La propriétaire s’est opposée à la demande.

- Le Conseil administratif de la commune, le 12 février 2021, après avoir notamment pris en considération la pétition de l’association des habitants P 2073 demandant la conservation des bâtiments, « n’a pas pu se prononcer favorablement ou défavorablement ». « Aucun élément en lien avec les parcelles et leur historique dans leur ensemble n’était venu solidement étayer une position univoque ».

c. Par arrêt du 6 septembre 2022, la chambre administrative a admis le recours de A______, constaté que le DT avait tardé à statuer et l’a condamné à statuer sur la demande de mise à l’inventaire dans un délai de huit semaines après la réception de l’arrêt.

d. Par arrêté du 5 octobre 2022, le DT a rejeté la demande d’inscription à l’inventaire au vu du préavis défavorable de la CMNS du 1er décembre 2020 et la volonté de faire primer l’intérêt public attaché à la construction de logements répondant aux besoins de la population sur celui à la pérennité des bâtiments concernés. Un recours a été formé devant la chambre administrative contre cet arrêté. La cause a été ouverte sous les références A/3665/2022.

D. a. Le 22 mars 2021, C______ a sollicité le classement du bâtiment n° 1______ sis sur la parcelle n° 377, à l’adresse Claire-Vue 5, qualifié selon les fiches du recensement comme bénéficiant du traitement architectural le plus sophistiqué.

b. Les observations suivantes ont été recueillis :

- La CMNS, siégeant en commission plénière le 26 mai 2021 a préavisé favorablement le classement partiel sollicité. « Les bâtiments recensés "intéressant" selon le recensement de 2019 (et "exceptionnel" en 1994) ne devraient en aucun cas être démolis. Elle admet que la valeur d’ensemble certes serait perdue, mais le n° 5 n’en possède pas moins une valeur intrinsèque très intéressante malgré les transformations des années 1960 qui sont mineures et n’ont pas porté atteinte au bâtiment dans sa substance, d’où la valeur "intéressant" attribuée par le nouveau recensement, en 2019 en ces termes : "La qualité architecturale de la réalisation, la préservation autant de la notion d’ensemble que des détails du projet, la réputation de l’architecte lancéen Alexandre Bordigoni, l’un des acteurs les plus importants de la construction à Genève dans le premier tiers du XXe siècle, la valeur historique locale de cette opération imprimant une nouvelle forme de développement au quartier résidentiel du plateau du Petit-Lancy, s’associent pour donner à ces édifices un grand intérêt patrimonial". Elle considère que le maintien de ce bâtiment permettrait de conserver la mémoire du lieu en le positionnant comme un témoin d’une promotion immobilière de grande qualité typique des années 1930, tout comme le maintien de l’arborisation existante ». Le préavis a été approuvé en séance plénière du 30 juin 2021.

- La propriétaire s’est opposée à la demande. C______ avait développé sa requête en faisant référence à l’ensemble des bâtiments. Le classement d’un seul ne se justifiait pas. La fiche qui lui était consacrée ne faisait état que d’un « traitement architectural plus sophistiqué » que les autres bâtiments.

c. Par arrêté du 5 octobre 2022, le Conseil d’État a rejeté la demande de classement du bâtiment n° 1______ formée le 22 mars 2021. La question de savoir si le bâtiment n° 1______ constituait un monument pouvait demeurer ouverte. Même si tel était le cas, l’autorité de décision pouvait s’écarter des préavis, notamment si un intérêt public le commandait. Il n’était pas contesté que le bâtiment constituait un exemple intéressant du patrimoine architectural des années 1930. Son maintien, reposant sur une parcelle sise en zone de développement, empêcherait la mise en œuvre des autorisations de démolir et de construire, et par conséquent la réalisation de cent quatre-vingt-quatre logements. Prenant acte de l’examen et de la pesée des intérêts en présence déjà menée par le département, et pour les mêmes motifs, le Conseil d’État réaffirmait, dans le cas particulier, l’intérêt public attaché à la construction de logements répondant aux besoins de la population sur celui lié à la protection du patrimoine bâti. S’écartant du préavis favorable de la CMNS et des recommandations des milieux de protection du patrimoine, en considérant que l’intérêt à la pérennité dudit bâtiment devait s’effacer, dans le cas particulier, devant l’intérêt général attaché à la construction de logements, la demande de classement était rejetée. Il était renoncé à toute autre mesure de protection, lesquelles auraient le même résultat de maintenir le bâtiment.

E. a. Par acte du 7 novembre 2022, C______, A______ et B______, ainsi que Mme et M. D______, Mme et M. E______ et Mme F______ (ci-après : les recourants) ont interjeté recours devant la chambre administrative contre l’arrêté rejetant la demande de classement. La cause est enregistrée sous les références A/3666/2022.

Ils ont conclu à son annulation et au classement du bâtiment. Préalablement, la cause devait être jointe à la cause A/3088/2020. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé au Conseil d’État, respectivement au DT, pour compléter l’instruction, notamment sur l’intérêt scientifique, historique et architectural de l’ensemble bâti. Sept mesures d’instruction étaient requises, dont la production de documents, l’audition de témoins et un transport sur place. Ils critiquaient principalement les conditions dans lesquelles le préavis de la sous-commission 2 de la CMNS (ci-après : CMNS 2) avait été pris le 1er décembre 2020. En raison des contraintes liées au Covid-19, celle-ci s’était réunie à cinq membres au lieu de dix. On ignorait par ailleurs si les cinq avaient bien été présents, à défaut de quoi le quorum n'aurait pas été atteint. De même, en l’absence d’indications sur les participants, les recourants ignoraient si le membre qui avait siégé dans le jury du concours d’architecture s’était dûment récusé. Les deux éléments sur lesquels s’était fondée la sous-commission, à savoir le fait que 20'000 m2 de surfaces brutes de plancher (ci-après : SBP) auraient déjà été accordées à la propriétaire et le fait que « toutes le options possibles » pour tenter de sauvegarder tout ou partie des bâtiments avaient déjà été examinées, étaient erronés.

L’art. 21 du règlement sur les commissions officielles du 10 mars 2010 - RCOf - A 2 20.01) avait été violé. Le préavis du 1er décembre de la sous-commission « CMNS 2 » devait être invalidé. Les art. 7 et 10 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) avaient été violés.

Depuis plus d’une trentaine d’années, les spécialistes du patrimoine architectural avaient attribué aux quatre bâtiments une valeur s’échelonnant entre intéressants et exceptionnels. La CMNS avait indiqué en 2021, dans le cadre de la demande de classement, que les bâtiments ne devraient en aucun cas être démolis. L’intérêt historique de cet ensemble bâti était aussi légitime auprès de la population locale, ou d’une grande partie de celle-ci au vu de la pétition P 2073 et de la large majorité du Conseil municipal qui avait adopté la résolution du 25 novembre 2021 intitulée « pour un retrait du projet d’autorisation de construire DD 7______ au profit de l’élaboration d’un PLQ et un processus de concertation au chemin Claire-Vue ». Il n’existait pas d’intérêt privé important, la propriétaire n’ayant jamais prétendu que le maintien des quatre bâtiments impliquerait une dépense excessive pour assurer leur entretien. Sans nier l’intérêt public à la construction de logements, le DT avait abusé de son pouvoir d’appréciation dans sa pesée des intérêts.

b. Le DT a conclu au rejet du recours.

Il était douteux que les particuliers, voisins, qui n’avaient pas pris part à la procédure ayant conduit à l’arrêté litigieux, n’étaient pas destinataires de celui-ci et n’avaient pas démontré être particulièrement touchés, aient la qualité pour recourir.

Il s’opposait à la jonction des causes. Les diverses mesures d’instruction sollicitées par les recourants devaient être écartées. Les représentants des milieux du patrimoine, notamment l’actuelle co-présidente de A______, étaient présents lors de l’adoption du préavis de la CMNS 2 et avaient toutes les informations.

Il avait fait primer l’intérêt public à la construction de logements sur celui à la conservation du patrimoine. Il en détaillait les raisons.

c. La propriétaire a conclu au rejet du recours. A______ tentait de retarder la construction de logements, autorisée après une pesée des intérêts minutieuse. Son attitude était contraire à la bonne foi. A______ ne faisait que substituer sa propre appréciation à celle des spécialistes.

d. Dans sa réplique, les recourants ont persisté dans leurs conclusions. Les voisins avaient qualité pour recourir. Ils détaillaient le problème de quorum de la CMNS. L’autorité judiciaire de contrôle devait exercer pleinement son pouvoir d’appréciation, y compris sous l’angle de l’opportunité, en application de l’art. 33 al. 3 let. b de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700). Le DT violait le droit fédéral, en particulier les art. 14 et 17 LAT, en refusant de protéger le patrimoine au motif de créer du logement. Cette violation était d’autant plus manifeste que l’autorité intimée ne retenait aucun intérêt privé comme étant susceptible d’être touché et que l’intérêt public à la construction de logements pouvait être atteint, à l’échelle du canton, par le PDCn 2030.

e. Dans une réplique spontanée, la propriétaire a persisté dans ses conclusions.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

F. a. Il ressort des pièces du dossier que le 18 octobre 2021, le DT a sollicité le Conseil administratif de la commune pour un préavis concernant l’application de l’art. 2 al. 2 de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) au projet de démolition reconstruction M 6______ et DD 7______. Le Conseil municipal, après avoir procédé à des auditions, a adopté, le 25 novembre 2021, une résolution (11______/2021). « L’examen de ce projet a pu montrer l’intérêt patrimonial des bâtiments existants, de même que le nombre important d’arbres à abattre pour réaliser ce projet, mettant en exergue des questions importantes de la compatibilité de ce projet avec les préoccupations urgentes en matière de climat et patrimoniales, qui légitiment un réexamen complet de ce projet en lien avec le plan climat cantonal, l’urgence climatique et la révision du plan directeur communal en cours ».

b. Pour le surplus, le contenu des pièces et les arguments des parties seront détaillés en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.


 

EN DROIT

1.             Le présent recours porte sur la conformité au droit de la décision du 5 octobre 2022 par laquelle le Conseil d’État a refusé d’ordonner le classement du bâtiment n° 1______ sis sur la parcelle n° 377 de la commune.

1.1 Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente
(art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 LPMNS ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.2 Les voisins allèguent avoir qualité pour recourir, au motif principalement de leur proximité avec les parcelles, des éventuelles futures constructions en cas de rejet du recours, du trafic routier qui sera induit, de la perte de vue. Selon la jurisprudence, l'art. 7 LPMNS est une lex specialis par rapport aux dispositions de la LPA, notamment ses art. 7 et 60. Seules les communes du lieu de situation ainsi que certaines associations d’importance cantonale ont le droit de recevoir une décision et donc de recourir contre celle-ci lorsqu’elles demandent à l’autorité d’inscrire un immeuble à l’inventaire (ATA/438/2019 du 16.04.2019 consid. 4 ; ATA/491/2013 du 30 juillet 2013 consid. 4). Les dispositions relatives au classement sont identiques (art. 10 al. 2 LPMNS).

Le recours des voisins est irrecevable, ceux-ci n’étant de surcroît et en tous les cas touchés qu’indirectement et n’ayant pas recouru contre l’autorisation de construire des immeubles de cent quatre-vingt-quatre logements, ce qui différencie le présent cas de celui cité dans leurs écritures.

Le recours des associations est recevable.

2.             Les recourantes concluent à une jonction avec la cause A/3088/2020.

2.1 L’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (art. 70 al. 1 LPA).

2.2 En l’espèce, ni les parties ni les problématiques juridiques ne sont les mêmes. Les causes ne seront en conséquence pas jointes. Toute contradiction est évitée par le prononcé des arrêts le même jour.

3.             Les recourantes sollicitent différentes mesures d’instruction.

3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2 ; 141 III 28 consid. 3.2.4).

3.2 En l’espèce, plusieurs des mesures sollicitées concernent le dossier parallèle de la demande de mise à l’inventaire des quatre immeubles (cause A/3665/2022). Ces requêtes ne sont en conséquence pas directement pertinentes pour la présente cause et doivent, à ce titre déjà, être écartées. Elles ne sont pour le surplus pas fondées, conformément aux considérants qui suivent.

3.3 Les recourantes concluent à la production du procès-verbal de la séance de la CMNS 2 du 1er décembre 2020, indiquant précisément les personnes présentes, celles qui se sont récusées ou abstenues, celles ayant participé à la formulation du préavis litigieux, ainsi que celles qui l’auraient validé par circulation.

Or, l’art. 15 al. 1 de la loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf - A 2 20) prévoit que toutes les séances de commission, dont la CMNS
(art. 5 let. m RCOf), et de sous-commissions font l’objet de procès-verbaux, qui ne sont pas publics. Ces procès-verbaux constituent des projets de décisions et se rapportent uniquement à la formation de l’opinion des membres de l’autorité. Ils ne peuvent dès lors pas être transmis aux parties (ATA/275/2023 du 21 mars 2023 consid. 2.2.1 ; ATA/830/2022 du 23 août 2022 consid. 3c ; ATA/940/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5). Partant, les recourantes ne peuvent prétendre à la production de ces documents internes à l’administration.

3.4 Les recourantes sollicitent l’audition d’un représentant de la CMNS 2 « afin de comprendre comment les membres présents se sont convaincus de la réalité des deux circonstances de fait erronées ». Dans leur réplique, ils concluent à l’audition d’un membre cité nommément afin de connaître la composition de la CMNS 2 lors de la séance du 1er décembre 2020.

Or, l’audition d’un représentant de la sous-commission est sans pertinence pour l’issue du litige, conformément à ce qui suit. Le préavis de la CMNS 2 a été adopté, à la majorité des membres présents, conformément aux considérants qui suivent. La façon dont chaque membre s’est forgé sa conviction est sans pertinence.

3.5 Les recourantes concluent à l’audition de plusieurs témoins, hors administration cantonale, aux fins de prouver la valeur historique et architecturale des bâtiments, à l’instar de l’ancien chef du SMS, devenu conservateur de monuments et sites du canton de Vaud, ou des personnes ayant participé au recensement de 1991. Enfin, une expertise judiciaire devait être ordonnée.

L’ancien chef du SMS est décédé récemment. L’audition des personnes ayant procédé au recensement de 1991 apparaît dénué de pertinence, celui-ci ayant été réactualisé en 2018. Par ailleurs, l’autorité intimée ne nie pas la valeur patrimoniale des bâtiments. Elle a toutefois procédé à une pesée des intérêts, contradictoires, en présence, et a, pour plusieurs raisons qu’elle a développées, fait primer celui de la construction de logements. Les faits étant établis, il ne sera pas donné suite aux demandes de complément d’instruction.

3.6 Les recourantes concluent à la délivrance, par la CMNS, d’un nouveau préavis.

Elles n’indiquent toutefois pas quelle base légale fonderait une telle demande, étant précisé qu’à teneur de l’art. 5 al. 3 in fine du règlement d’exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 (RPMNS - L 4 05.01), lorsqu’un préavis est exprimé par une sous-commission, il vaut préavis de la commission. La requête doit être rejetée, ce qui suit confortant cette conclusion.

3.7 Les recourantes concluent à un transport sur place.

Elles n’indiquent toutefois pas les raisons pour lesquelles cette mesure d’instruction serait nécessaire. Le dossier contient de nombreuses pièces, y compris des photos, les fiches de 1991 décrivant les biens concernés, des plans de chacun des étages de chacun des immeubles qui permettent de se rendre compte des surfaces et de l’agencement des pièces notamment. La chambre de céans considère être en possession d’un dossier complet, en état d’être jugé.

4.             Les recourantes invoquent une violation de l’art. 21 RCOf. Dans le rapport d’activité 2019-2020, le président de la CMNS indiquait que celle-ci s’était organisée en deux sous-commissions, comprenant chacune une dizaine de délégués. En raison de la pandémie, les séances s’étaient tenues par vidéo-conférence dès octobre 2020. Le rapport précise que les sous-commissions avaient dû siéger à cinq durant les derniers mois de 2020, ce qui incluait la séance du 1er décembre 2020. Le quorum n’était pas respecté.

4.1 Sauf disposition légale ou réglementaire contraire, une séance de commission ne peut être valablement tenue que si la moitié des membres sont présents, plus la présidence. Cas échéant, la séance est reportée à une date à fixer ultérieurement dans un délai raisonnable (art. 21 RCOf).

À teneur de l’art. 18A RCOf, entré en vigueur le 6 octobre 2020, les séances peuvent être tenues par vidéoconférence, lorsque deux tiers des membres de la commission y consentent ou que de justes motifs le commandent, notamment en cas d’urgence ou d’épidémie (al. 1). Le président apprécie l’existence de justes motifs (al. 2).

La CMNS s’organise librement et peut déléguer certaines de ses attributions à des sous-commissions (art. 47 al. 3 LPMNS ; 3 al. 1 RPMNS). En cas d’empêchement, les membres d’une sous-commission doivent se faire représenter par un autre membre ou membre suppléant de la commission (art. 3 al. 3 RPMNS).

4.2 En l’espèce, l’autorité intimée a indiqué, sans être contredite, que la séance du 1er décembre 2020 s’est tenue en présentiel. Elle a précisé les noms des six commissaires qui y avaient participé. Elle a produit la feuille de présence de ladite séance comprenant les six signatures. Le quorum était en conséquence respecté.

Dans leur réplique, les recourantes ont modifié leur argumentation alléguant que le quorum serait à sept, au vu de la liste dactylographiée produite et comprenant treize noms. Cette allégation est contraire au rapport d’activité 2020 – 2021 rendu par la CMNS qui précise avoir « été contrainte de modifier fortement son fonctionnement en conséquence de l'épidémie de coronavirus. Ses activités avaient été suspendues dès le 16 mars 2020 par suite de l'arrêté du Conseil d'État. Dès la reprise du traitement des dossiers de demande définitive (DD) par l'OAC, la commission avait mis en place un mode de fonctionnement exceptionnel des sous-commissions par groupes de cinq participants, avec validation des préavis par circulation. Fait sans précédent, les séances plénières avaient été tenues par visio-conférence à partir du mois d'octobre 2020, permettant de maintenir des débats de qualité, garantir la pleine représentativité de la commission et assurer des conditions optimales de sécurité ». Conformément aux pièces du dossier, la CMNS 2 a été composée de neuf membres à compter du 1er janvier 2021 seulement. La CMNS 2 a donc valablement siégé à six membres, dont le représentant de A______, le 1er décembre 2020, en présentiel.

4.3 Les recourantes contestent la validité du préavis du 1er décembre 2020, l’estimant fondé sur des éléments de fait erronés : les deux éléments sur lesquels s’était fondée la sous-commission, à savoir le fait que 20'000 m2 de surfaces brutes de plancher auraient déjà été accordées à la propriétaire et le fait que « toutes les options possibles » pour tenter de sauvegarder tout ou partie des bâtiments avaient déjà été examinées, seraient faux.

S’agissant des droits à bâtir, la CMNS indique que « le 13 janvier 1982, le Conseil d’État adopte le PLQ 27'457 qui accorde la réalisation de 20'000 m2 de plancher dans le secteur D ». Or, d’une part, le PLQ précise « l’aménagement de ce secteur sera défini ultérieurement (20'487 m2 de plancher maximum)». D’autre part, A______ avait évoqué, dans une lettre du 13 janvier 2012, la question des droits à bâtir encore disponibles du périmètre en proposant une concentration sur une parcelle, en remplacement de la villa, voire sur deux parcelles.

S’agissant de l’analyse d’autres alternatives, le concours a permis d’en discuter et d’en examiner à tout le moins onze autres, dont deux proposaient respectivement le maintien de trois bâtiments ou du seul 1______, projets qui n’ont pas été retenus.

Le préavis n’est en conséquence pas fondé sur des éléments factuels erronés.

5.             Les recourantes invoquent une violation des art. 7 et 10 LPMNS. Celle portant sur l’art. 7 LPMNS, relatif à l’inscription à l’inventaire, concerne toutefois la cause parallèle.

L'art. 10 al. 1 LPMNS prévoit que pour assurer la protection d’un bâtiment ou d’une antiquité au sens de l’art. 4 LPMNS, le Conseil d’État peut procéder à son classement par voie d’arrêté assorti, au besoin, d’un plan approprié. Lorsqu'une procédure de classement est ouverte à la demande d’une association au sens de l’art. 63 LPMNS, celle-ci est partie à la procédure (art. 10 al. 2 et 12 al. 3 LPMNS), la commune du lieu de situation est consultée (art. 14 LPMNS et 22 al. 3 du règlement d'exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 - RPMNS - L 4 05.01). La CMNS formule ou examine les propositions de classement d'immeubles (art. 5 al. 2 let. d RPMNS). Le département jouit toutefois, sous réserve d'excès ou d'abus de pouvoir, d'une certaine liberté d'appréciation dans les suites à donner dans un cas d'espèce, quel que soit le contenu des préavis, ceux-ci n'ayant qu'un caractère consultatif (ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 4a et les références citées).

5.1 Conformément à l'art. 4 LPMNS, sont protégés les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords (let. a) et les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b).

Un monument au sens de la LPMNS est toujours un ouvrage, fruit d'une activité humaine. Tout monument doit être une œuvre digne de protection du fait de sa signification historique, artistique, scientifique ou culturelle. Il appartient aux historiens, historiens de l'art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le bâtiment le rendent digne de protection, d'après leurs connaissances et leur spécialité. À ce titre, il suffit qu'au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l'abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l'évolution de la situation et d'une rareté qu'il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s'en écarter (ATA/353/2021 du 23 mars 2021  consid. 8 ; ATA/561/2020 du 9 juin 2020 consid. 5b).

L'art. 4 let. a LPMNS, en tant qu'il prévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (Philip VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 25). La jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du 3 février 2012 consid. 5.1.1).

Alors qu'à l'origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elles se sont peu à peu étendues à des immeubles et objets plus modestes, que l'on a qualifiés de patrimoine dit « mineur », caractéristique de la campagne genevoise, pour enfin s'ouvrir sur une prise de conscience de l'importance du patrimoine hérité du XIXe siècle et la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/555/2022 du 24 mai 2022  consid. 5b et les références citées).

Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/555/2022 précité et les références citées).

5.2 Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/1296/2022 du 20 décembre 2022 consid. 6c ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 508 p. 176 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1296/2022 précité ; ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 4d et les références citées). La chambre est en revanche libre d'exercer son propre pouvoir d'examen lorsqu'elle procède elle-même à des mesures d'instruction, à l'instar d'un transport sur place (ATA/135/2022 du 1er mars 2022 consid. 9g).

Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA/1024/2019 précité ; ATA/126/2013 précité). En outre, la CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d'associations d'importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/1214/2015 précité).

Lorsque l'autorité s'écarte des préavis, la chambre de céans peut revoir librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle de l'excès et de l'abus de pouvoir, l'exercice de la liberté d'appréciation de l'administration, en mettant l'accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et sur le respect de l'intérêt public en cas d'octroi de l'autorisation malgré un préavis défavorable (ATA/451/2017 du 25 avril 2017 ; ATA/814/2014 du 28 octobre 2014 et les références citées ; ATA/453/2011 du 26 juillet 2011).

Ce principe exige qu'une mesure restrictive doit être apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 et les arrêts cités ; 135 I 233 consid. 3.1).

5.3 En matière d'aménagement du territoire, l'art. 33 LAT dispose que le droit cantonal prévoit au moins une voie de recours contre les décisions et les plans d'affectation fondés sur la présente loi et sur les dispositions cantonales et fédérales d'exécution (al. 2), que la qualité pour recourir est reconnue au moins dans les mêmes limites que pour le recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral (al. 3 let. a) et qu'une autorité de recours au moins ait un libre pouvoir d'examen (al. 3 let. b). Ce libre examen ne se réduit pas à un contrôle complet de la constatation des faits et de l'application du droit ; il comporte aussi un contrôle de l'opportunité. L'autorité doit vérifier que la décision contestée devant elle est juste et adéquate. Cela étant, la garantie de l'accès au juge autorise les tribunaux à faire preuve de retenue lors du contrôle de notions juridiques indéterminées, en particulier lorsqu'il s'agit d'apprécier des circonstances locales, ce qui leur permet de préserver la marge de manœuvre des instances inférieures et, en particulier celles des communes. Afin de respecter l'autonomie communale conformément à l'art. 50 al. 1 Cst., une autorité de recours ne peut pas choisir entre plusieurs solutions disponibles et appropriées ou remplacer une appréciation adéquate de la commune par sa propre appréciation. Par ailleurs, chaque fois que l'autorité inférieure suit les préavis requis, l'autorité de recours doit s'imposer une certaine retenue, pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis (arrêt du Tribunal fédéral 1C_548/2021 du 24 février 2023 consid. 5.1 et les références citées).

5.4 La chambre administrative a déjà tranché le fait que faire primer l'intérêt public à la construction de nouveaux logements sur celui de la protection d’un bâtiment, même en cas de préavis de la CMNS favorable au classement de l’immeuble, ne relevait pas d’un abus du pouvoir d'appréciation du Conseil d’État en cette période de crise du logement (ATA/932/2020 du 22 septembre 2020 consid. 7 ; ATA/843/2019 du 30 avril 2019 consid. 9c ; ATA/692/2014 du 2 septembre 2014).

5.5 En l’espèce, le Conseil d'État n'a jamais nié ou remis en doute les qualités architecturales du bâtiment n° 1______ ni de l’ensemble de quatre immeubles auquel il appartient, quand bien même il n’a pas tranché si l’immeuble précité, pris isolément, répondait aux critères justifiant un classement. Cette question souffrira de rester indécise au vu de ce qui suit. Il sera toutefois relevé que la fiche du recensement le concernant, à l’instar d’ailleurs de l’argumentation des recourants, évoquent quasiment toujours cet immeuble dans son contexte, soit son appartenance à un ensemble résidentiel construit entre 1931 et 1933.

Le Conseil d’État a toutefois relevé avoir déjà effectué la pesée des intérêts en présence, à plusieurs reprises. Ce sont ici deux intérêts publics qui s'opposent, soit celui de la protection du patrimoine et celui de la construction de logements en période de pénurie. En effet, lors de l’adoption du PLQ n° 27'457, en 1982 déjà, une surface brute de plancher de 20'487 m2 avait été mentionnée pour les quatre parcelles. Le bâtiment concerné s’inscrit dans un secteur en ZD3, déjà urbanisé, pour lequel la mise à jour du schéma directeur du plan directeur cantonal de 2030 (ci-après : PDCn 2030), adoptée par le Grand Conseil le 10 avril 2019 et approuvé par la Confédération le 18 janvier 2021, projette la poursuite de la densification différenciée en réalisant les potentiels restants. Il sera rappelé que selon la première mise à jour du concept de l’aménagement cantonal du PDCn 2030, les objectifs stratégiques sont organisés en trois grands domaines dont le premier est l’urbanisation. À ce titre, le besoin en logements était évalué à 50'000 à réaliser entre 2011 et 2030 et qu’à fin 2017, 12'000 logements avaient été construits. 84'000 habitants supplémentaires étaient prévus entre 2016 et 2030, et 51'000 de plus à l’horizon 2040. À cela s’ajoute que le SMS a rendu le 29 janvier 2018 un préavis favorable à la démolition de l'immeuble n° 1______ aux conditions qu'un reportage photographique extérieur et intérieur du bâtiment lui soit fourni et que l'autorisation de démolir soit subordonnée à l'acceptation de l'autorisation des travaux de remplacement par l'autorité compétente. Dans ces conditions, le département a autorisé la démolition (M 6______) des quatre immeubles. Enfin, le 1er décembre 2020, dans le cadre d’une demande de mise à l’inventaire déposée après la délivrance des autorisations de démolir et de construire cent quatre-vingts quatre logements, la CMNS a préavisé défavorablement la mesure de protection des quatre immeubles.

Ce faisant, l’autorité intimée s’est fondée sur des critères objectifs et pertinents, sans violer la loi ni le pouvoir d’appréciation qui est le sien. Elle ne s’est ainsi pas écartée sans motif prépondérant, dûment pesé, de l’autorité consultative. Cet arrêté s’inscrit dans la continuité de la pesée de ces deux intérêts contradictoires, telle qu’effectuée depuis de nombreuses années par le département, dans le cas très particulier du présent dossier qui, notamment, s’inscrit sur plusieurs décennies, a fait l’objet d’un concours d’architecture il y a dix ans auquel les milieux du patrimoine ont été associés et a vu le SMS cautionner la démolition des bâtiments et la CMNS être d’accord avec le refus de mise à l’inventaire de l’ensemble. Par conséquent, ce grief doit être écarté.

L’art. 12 al. 5 LPMNS est par ailleurs respecté, le Conseil d’État rejetant d’autres mesures de protection éventuelle.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire de recourants (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la propriétaire à la charge des recourants, pris solidairement (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

 

déclare irrecevable le recours interjeté le 7 novembre 2022 par Madame et Monsieur D______, Madame et Monsieur E______ et Madame F______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 5 octobre 2022 ;

 

déclare recevable le recours interjeté le 7 novembre 2022 par A______, B______, C______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 5 octobre 2022 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A_____, B______, C______, Madame et Monsieur D______, Madame et Monsieur E______ et Madame F______, pris solidairement ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à G______ à la charge de A______, B______, C______, Madame et Monsieur D______, Madame et Monsieur E______ et Madame F______, pris solidairement ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alain Maunoir, avocat des recourants, à Me François Bellanger, avocat de G______, ainsi qu’au Conseil d’État.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber,
M. Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

Sibilla Hüsler Enz

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :