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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/499/2019

ACST/15/2019 du 25.03.2019 ( ELEVOT ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/499/2019-ELEVOT et A/958/2019-ABST ACST/15/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 25 mars 2019

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

CONSEIL D'ÉTAT

et

GRAND CONSEIL

 


EN FAIT

1.             La Caisse de prévoyance de l'État de Genève (ci-après : CPEG), constituée en établissement de droit public, assure le personnel de l'État de Genève ainsi que des autres employeurs affiliés contre les conséquences économiques de la retraite, de l'invalidité et du décès. Ses prestations, établies selon le principe de la primauté des prestations, sont garanties par l’État de Genève. Elle fonctionne en système de capitalisation partielle, avec l’approbation de l’Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (ci-après : ASFIP), valable en l’état jusqu’au 31 décembre 2019. Elle est tenue légalement d'assurer son équilibre financier à long terme, par une approche prospective sur 20 ans, en tenant compte d’un objectif de taux de couverture de ses engagements à 80 % au 1er janvier 2052 et, dans ce cadre, de maintenir les taux de couverture acquis et de respecter les taux de couverture prescrits par la loi la régissant (soit la loi instituant la Caisse de prévoyance de l'État de Genève du 14 septembre 2012 [LCPEG – B 5 22]), à savoir de respecter un chemin de croissance lui permettant d’atteindre un taux de couverture d’au minimum 60 % au 1er janvier 2020, 63 % au 1er janvier 2025, 66 % au 1er janvier 2030, 69 % au 1er janvier 2035, 72 % au 1er janvier 2040 et 76 % au 1er janvier 2045.

En cas de déséquilibre financier structurel prévisible à long terme, attesté par un expert agréé en prévoyance professionnelle, la CPEG doit en informer le Conseil d'État et l’ASFIP, et établir dans les meilleurs délais un rapport fixant le catalogue des mesures envisageables pour rétablir l'équilibre. Elle décide des mesures à prendre pour rétablir l’équilibre à long terme.

2.             À la suite de baisses du taux d’intérêt technique (utilisé pour évaluer les engagements d'une caisse de pension), l’expert agréé a constaté, dans son rapport du 13 octobre 2016, que la CPEG ne serait pas en mesure, dans les dix ans, de respecter son chemin de croissance précité sans que des mesures structurelles importantes ne soient prises touchant aux prestations et/ou au financement de la CPEG.

3.             Agissant dans son domaine de compétence, le comité de la CPEG a adopté, le 15 décembre 2016, une première mesure destinée à rétablir l’équilibre financier de la CPEG à long terme (à savoir l’élévation de l’âge pivot, impliquant une réduction de 5 % des prestations, mesure qui entrera en vigueur le 1er janvier 2018). Le 8 juin 2017, il a adopté un second volet de mesures (dont, principalement, une réduction du taux de pension de 1.5 % à 1.35 % par année d’assurance), mesures impliquant une réduction supplémentaire de 10 % des prestations mais dont le comité de la CPEG a d’abord différé de fixer la date d’entrée en vigueur, avec l’accord de l’ASFIP, afin de laisser le temps aux autorités d’adopter une loi prévoyant notamment une capitalisation complémentaire de la CPEG. L’ASFIP exigera cependant, en juin 2018, qu’un nouveau plan de financement répondant aux exigences légales, approuvé par l’expert agréé de la CPEG, lui parvienne au plus tard au 30 juin 2019 et que, le cas échéant, le second volet de mesures structurelles précité entre en vigueur au plus tard le 1er janvier 2020. Le 20 septembre 2018, le comité de la CPEG fixera l’entrée en vigueur de ce second volet de mesures au 1er janvier 2020, sans préjudice que celui-ci soit rendu caduc en cas de promulgation d’une loi prévoyant une capitalisation complémentaire de la CPEG avant le 31 mai 2019, échéance reportée ultérieurement au 5 juin 2019.

4.             Dans l’intervalle, plusieurs propositions législatives ont été formulées en vue de rétablir l’équilibre financier de la CPEG à long terme, à savoir :

- le lancement, publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 4 septembre 2017, d’une initiative législative cantonale formulée intitulée « Sauvegarder les rentes en créant du logement » (ci-après : IN 168), par laquelle le Cartel intersyndical du personnel de l’État et du secteur subventionné et l’ASLOCA proposaient une modification de la LCPEG visant à préserver les prestations de la CPEG par une recapitalisation intégrale de la CPEG à hauteur des exigences légales, par l’État ou toute entité tierce, par le biais de transferts à la CPEG de terrains ou de droits à bâtir dont l’État est propriétaire (notamment dans le secteur Praille-Acacias-Vernets) afin qu’elle y construise du logement locatif accessible à la majorité des habitants ; ni la primauté des prestations, ni la répartition des cotisations entre les salariés à concurrence de et de l'employeur à concurrence de n’étaient remises en question ;

- le dépôt par le Conseil d’État, le 4 octobre 2017, d’un projet de loi 12188 modifiant la LCPEG (ci-après : PL 12188), prévoyant une recapitalisation de la CPEG à hauteur de 80 %, un passage au régime de la primauté des cotisations et une répartition des cotisations (réduites de 27 % à 24 %) à hauteur de 42 % à la charge des salariés et de 58 % à celle de l’employeur ;

- le dépôt par des députés, le 28 novembre 2017, d’un projet de loi 12228 modifiant la LCPEG (ci-après : PL 12228), reprenant les grandes lignes de l’IN 168 (dont la cession à la CPEG de terrains et droits à bâtir) ainsi que, pour la recapitalisation de la CPEG, le principe, prévu par le PL 12188, d’un versement extraordinaire de l’État et des employeurs affiliés parallèlement à un prêt simultané de la CPEG en faveur de l’État ; ni la primauté des prestations, ni la répartition des cotisations entre les salariés à concurrence de et de l'employeur à concurrence de n’étaient remises en cause.

5.             L’IN 168 a abouti et, par arrêté du Conseil d’État du 20 juin 2018 publié dans la FAO du 22 juin 2018, elle a été déclarée valide (sous réserve de la suppression – ici sans pertinence et restée non contestée – d’un membre de phrase à l’art. 25A al. 6 LCPEG/IN 168).

6.             Le 14 novembre 2018, considérant que le PL 12188 issu des travaux de la commission parlementaire (ci-après : PL 12188-A) avait subi des modifications le détournant de ses objectifs initiaux, le Conseil d’État a déposé un nouveau projet de loi modifiant la LCPEG (ci-après : PL 12404). À teneur de son exposé des motifs, le PL 12404 prévoyait, sur la base d’hypothèses actuarielles prudentes, une réforme structurelle du système de prévoyance professionnelle avec le passage de la primauté des prestations à celle des cotisations ainsi que le maintien des prestations actuelles de la CPEG, voire une légère baisse en cas de dégradation des paramètres techniques de cette dernière, au moyen d'une recapitalisation de la CPEG et de mesures d'accompagnement significatives.

7.             Le 14 décembre 2018, le Grand Conseil a adopté successivement la loi 12228 (à 15h47, par 52 oui, 0 abstention et 47 non) et la loi 12404 (à 16h55, par 47 oui, 14 abstentions et 37 non), dans des versions amendées sur quelques points. Le Conseil d’État a retiré le PL 12188.

8.             Par deux arrêtés du 19 décembre 2018, publiés dans la FAO du 21 décembre 2018, le Conseil d’État a fait publier les lois 12228 et 12404 dans leur teneur respective adoptée par le Grand Conseil, avec l’indication que ces deux lois étaient exposées au référendum facultatif ordinaire et que le délai référendaire expirait le 11 février 2019.

9.             Par communiqué de presse du 21 décembre 2018, le Conseil d’État a annoncé qu’en cas de référendum lancé contre chacune de ces deux lois aux contenus incompatibles, il déposerait un projet de loi assorti de la clause d’urgence pour introduire dans la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05) le mécanisme de la question subsidiaire permettant au peuple, en cas d’acceptation de deux lois incompatibles l’une avec l’autre, de marquer sa préférence pour l’une ou l’autre d’entre elles.

10.         Le lancement d’un référendum contre la loi 12228 a été annoncé au Conseil d’État le 2 janvier 2019 et publié dans la FAO du 7 janvier 2019. Celui d’un référendum contre la loi 12404, annoncé le 10 janvier 2019, sera publié dans la FAO du 18 janvier 2019.

11.         Le 16 janvier 2019, le Conseil d’État a déposé un projet de loi 12424 modifiant la LEDP (ci-après : PL 12424), visant à introduire une modalité de vote du corps électoral avec un régime de question subsidiaire lorsque deux lois de contenu incompatible modifiant la même loi, votées par le Grand Conseil lors de la même session, font toutes deux l’objet d’un référendum et sont soumises en votation lors d’une même opération électorale. Il proposait de munir la loi qui serait votée de la clause d’urgence, en considération du scrutin du 19 mai 2019 lors duquel les deux lois 12228 et 12404 seraient soumises au vote en cas d’aboutissement des référendums lancés à leur encontre.

12.         Le 24 janvier 2019 à 21h52, le Grand Conseil a accepté l’IN 168 (par 50 oui, 0 abstention et 47 non).

13.         Le 31 janvier 2019, le Grand Conseil a adopté la loi 12424 dans la teneur proposée par le PL 12424, avec la clause d’urgence (l’une et l’autre par 84 oui, 0 abstention et 11 non), après avoir refusé un amendement général proposant l’abrogation de la loi 12404.

La loi 12424 a la teneur suivante :

Art. 1 Modifications

La loi sur l’exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, est modifiée comme suit :

Art. 57, al. 2 (nouveau, les al. 2 et 3 anciens devenant les al. 3 et 4)

2 Lorsque deux lois de contenu incompatible modifiant la même loi sont votées par le Grand Conseil lors de la même session, qu’elles font toutes deux l’objet d’un référendum et qu’elles sont soumises en votation lors de la même opération électorale, l’électeur doit au surplus indiquer sa préférence pour l’une ou l’autre des deux lois en répondant à la question subsidiaire. Pour ce faire, il doit cocher, sur le bulletin ou le bulletin électronique, la case correspondant à la loi qu’il choisit.

Art. 94, al. 2 (nouveau, les al. 2 et 3 anciens devenant les al. 3 et 4)

2 Dans le cas d’une votation où deux lois de contenu incompatible modifiant la même loi au sens de l’article 57, alinéa 2, obtiennent la majorité absolue des suffrages, la loi qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages à la question subsidiaire est acceptée. En cas d’égalité à la question subsidiaire, la loi qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages est acceptée.

Art. 2 Clause d’urgence

L’urgence est déclarée.

14.         Par arrêté du 1er février 2019, publié dans la FAO du même jour, le Conseil d’État a fixé au dimanche 19 mai 2019 la date et les objets d’une votation populaire portant sur plusieurs objets cantonaux (en plus de deux objets fédéraux), à savoir notamment la loi 12228 (dite loi 1) et la loi 12404 (dite loi 2) et la question subsidiaire libellée comme suit :

·      si la loi 1 : loi modifiant la loi instituant la Caisse de prévoyance de l’État de Genève (LCPEG) (Financement de la CPEG) (B 5 22 – 12228), du 14 décembre 2018 et

·      la loi 2 : loi modifiant la loi instituant la Caisse de prévoyance de l’État de Genève (LCPEG) (B 5 22 – 12228), du 14 décembre 2018 sont acceptées, laquelle des deux a-t-elle votre préférence, loi 1 ou loi 2 ?

15.         La loi modifiant la loi instituant la Caisse de prévoyance de l’État de Genève (LCPEG) émanant de l’IN 168 du 24 janvier 2019 a également été publiée dans la FAO du 1er février 2019, avec l’indication qu’elle était exposée au référendum facultatif ordinaire et que le délai référendaire expirait le 13 mars 2019.

16.         Le lancement d’un référendum contre cette loi a été publié dans la FAO du 5 février 2019.

17.         Le 7 février 2019, Monsieur A______, citoyen suisse domicilié dans le canton de Genève, a recouru par-devant la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre l’arrêté précité du Conseil d’État du 1er février 2019 (cause A/499/2019), en concluant, principalement, à l’annulation de la votation cantonale du 19 mai 2019 en tant qu’elle portait sur la loi 12228, la loi 12404 et la question subsidiaire, subsidiairement au constat que la loi 12228 était abrogée et à l’annulation de ladite votation cantonale en tant qu’elle portait sur la loi 12228 et la question subsidiaire.

Le Conseil d’État avait eu un comportement contradictoire, contraire à la bonne foi, en déclarant, lors d’une conférence de presse du 17 décembre 2018, qu’il n’y aurait pas de question subsidiaire pour départager les résultats d’un vote référendaire portant sur ces deux lois, puis en introduisant une telle question subsidiaire.

La loi 12424 n’avait pas été promulguée, ce qui empêchait de former tant un recours qu’un référendum à son encontre.

Elle avait été munie de la clause d’urgence en violation de l’art. 70 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00).

L’introduction par voie législative (et non constitutionnelle) d’une question subsidiaire pour départager les résultats d’un vote référendaire portant sur deux lois contradictoires était contraire aux exigences du principe de la légalité et du parallélisme des formes.

La loi 12228 devait être considérée comme ayant été abrogée par la loi 12404 et comme ne pouvant pas être exécutée, si bien qu’il était contraire à la garantie des droits politiques de la soumettre à un vote référendaire.

Voter sur deux lois contradictoires était aussi contraire à cette garantie (comprenant le principe de l’unité de la matière), en même temps qu’au principe de la clarté.

La loi 12424 obligeait les électeurs à choisir entre la loi 12228 et la loi 12404, à défaut de quoi leur vote sur ces deux lois serait annulé ou traité comme un vote blanc.

18.         Par arrêté du 6 février 2019, publié dans la FAO du 8 février 2019, le Conseil d’État a promulgué la loi 12424, qui pouvait faire l’objet d’un référendum facultatif ordinaire dans un délai expirant le 20 mars 2019.

19.         Le 11 février 2019, les comités référendaires ont déposé au service des votations et élections (ci-après : SVE) les formulaires de signatures en indiquant avoir recueilli respectivement 8'815 signatures à l’appui du référendum contre la loi 12228 et 10'165 signatures à l’appui du référendum contre la loi 12404.

20.         Par mémoire du 15 février 2019, le Conseil d’État s’en est remis à justice concernant la recevabilité du recours A/499/2019 et, au fond, a conclu à son rejet.

La déclaration du président du Conseil d’État du 17 décembre 2018 excluant une question subsidiaire devait être remise dans son contexte. Elle avait été accompagnée de l’indication qu’une solution était en voie de recherche pour que les deux lois considérées puissent, au cas où elles seraient frappées toutes deux d’un référendum, être soumises à un vote référendaire répondant aux exigences découlant de la garantie des droits politiques.

La loi 12424 avait dans l’intervalle été promulguée, mais le Conseil d’État avait dû, par son arrêté du 1er février 2019, d’ores et déjà organiser le scrutin du 19 mai 2019.

Il y avait urgence à permettre que la volonté populaire puisse s’exprimer de façon fidèle et sûre le 19 mai 2019, afin que, premièrement, puisse être respectée l’exigence légale d’annoncer aux employeurs affiliés l’adoption d’un régime substantiellement modifié au plus tard six mois avant que celui-ci ne prenne effet (art. 53f de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 - LPP - RS 831.40), soit au plus tard à fin juin 2019, en second lieu, que les assurés désireux de prendre une retraite anticipée, suivant le nouveau régime qui sera adopté, puissent le faire dans les délais prévus pour cela, et, troisièmement, que la CPEG puisse adopter les règlements internes nécessaires aux changements décidés. Il n’y avait pas d’alternative valable à la solution de la question subsidiaire. Compte tenu de récentes projections, intégrant une forte baisse du taux de couverture des engagements de la CPEG et la baisse, depuis la fin de l’année 2018, des taux d’intérêts à long terme, il était fort probable que, sans augmentation du financement de la CPEG, le comité de cette caisse de pension soit obligé d’adopter de nouvelles mesures structurelles pour respecter les contraintes légales fédérales et cantonales et obtenir l’autorisation de fonctionner en capitalisation partielle.

Il n’y avait pas violation des principes de la légalité et du parallélisme des formes. L’exigence de se doter d’une constitution démocratique (art. 51 al. 1 phr. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) ne privait pas les cantons de la vaste autonomie leur étant reconnue pour définir les titulaires, l’étendue et les modalités d’exercice des droits politiques, pas exclusivement au niveau de leur constitution mais aussi à celui de leur législation. Il n’était pas exclu qu’une extension des droits populaires puisse avoir lieu par voie législative. En droit constitutionnel genevois, la loi devait garantir que toute personne jouissant des droits politiques puisse effectivement les exercer (art. 45 al. 2 Cst-GE), et aucune disposition ne réglait spécifiquement la votation faisant suite à une demande de référendum. Les modalités d’exercice du droit de vote étaient réglées par la LEDP. La loi 12424 n’introduisait pas une extension des droits politiques, mais une modalité procédurale dans une situation spécifique afin d’assurer l’expression fidèle et sûre de la volonté du corps électoral. Il n’était pas déterminant que la Cst-GE prévoie la question subsidiaire dans le cas d’une initiative à laquelle un contreprojet est opposé (art. 63 al. 3 Cst-GE), ni qu’elle prévoie une modalité de vote particulière concernant le référendum en matière d’assainissement financier (art. 66 Cst-GE). Il n’y avait pas de silence qualifié de l’Assemblée constituante sur le sujet considéré ; le référendum avec variante que celle-ci avait rejeté différait fondamentalement de la question subsidiaire prévue par la loi 12424, dès lors qu’il aurait permis au Grand Conseil de proposer une variante sur un point précis d’une loi principale en amont de tout référendum contre celle-ci, variante devenant caduque à défaut de référendum aboutissant contre la loi principale, tandis que la loi 12424 permettait d’éviter que l’acceptation de deux lois concurrentes s’excluant l’une l’autre ne puisse finalement pas être mise en œuvre. La loi 12424 n’introduisait pas une modification majeure du système d’expression de la volonté populaire, mais permettait aux citoyens de marquer leur préférence en présence de deux lois incompatibles qui seraient toutes deux acceptées ; par ailleurs, dans le cas particulier des lois 12228 et 12404 dont aucune, à défaut, ne pourrait être promulguée en cas de double acceptation, elle permettrait d’éviter l’entrée en vigueur du second volet de mesures structurelles adopté par le comité de la CPEG, contrairement à la volonté qu’aurait exprimée le corps électoral, étant ajouté que ce second volet de mesures risquait de ne pas suffire à assurer l’équilibre financier de la CPEG à long terme.

Le vote référendaire sur la loi 12228 n’était ni sans objet ni non exécutable, car cette loi ne pouvait être considérée comme ayant été abrogée par la loi 12404 ; la règle voulant que la loi postérieure prime la loi antérieure ne pouvait trouver application, et il n’y avait pas de principe supérieur interdisant au Grand Conseil de voter deux lois contradictoires.

La loi 12424 n’obligeait nullement les électeurs à répondre à la question subsidiaire sous peine que leur vote sur les deux lois considérées soit annulé ou traité comme un vote blanc. Cette loi reproduisait le mécanisme de la question subsidiaire prévu et bien connu dans le cas d’un contreprojet opposé à une initiative.

21.         Le 27 février 2019, le Conseil d’État a constaté l’aboutissement des référendums lancés contre les lois 12228 et 12404, et il a indiqué à la chambre constitutionnelle qu’il adopterait le texte définitif de la brochure explicative des objets soumis au vote du 19 mai 2019 et le matériel de vote au plus tard le 27 mars 2019, date à partir de laquelle il ne serait plus possible d’apporter des modifications au matériel électoral.

22.         Dans des observations du 27 février 2019 dans la cause A/499/2019, M. A______ a persisté, pour l’essentiel, dans les termes et conclusions de son recours, en précisant cependant qu’il souhaitait que le corps électoral soit appelé à se prononcer, le 19 mai 2019 sur la loi 12404 mais pas sur la loi 12228, à considérer comme ayant été abrogée, donc sans qu’une question subsidiaire ne soit posée sur le sujet considéré.

Il a consacré de longs développements à fustiger les lenteurs dont les autorités (notamment le Conseil d’État et le Grand Conseil) et la CPEG avaient selon lui fait montre dans le traitement des problèmes de cette caisse de pension, pour en déduire notamment que le recours à la clause d’urgence pour la loi 12424 était abusif. Il y avait des solutions juridiquement possibles à court terme, dont l’adoption d’une nouvelle loi, au besoin avec la clause d’urgence, pour abroger les lois 12228 et/ou 12404, ou l’insertion dans les dispositions finales et transitoires de la LCPEG du second volet de mesures structurelles décidées par le comité de la CPEG. La pièce produite à l’appui de l’allégation du Conseil d’État que de nouvelles mesures structurelles risquaient de devoir être décidées par le comité de la CPEG à défaut de recapitalisation à court terme de cette caisse de pension était irrecevable.

Le mécanisme prévu par la loi 12424 revenait à introduire le référendum avec variante rejeté par le constituant genevois.

M. A______ déclarait retirer son grief de violation du principe de la clarté.

À la place de la question subsidiaire, il aurait été plus judicieux de prévoir à nouveau deux questions avec oui / non tout en indiquant que l’emporterait la loi qui remporterait le plus de voix, afin que l’électeur puisse exprimer sa préférence pour le statu quo si les deux lois étaient acceptées.

23.         Par une écriture du 4 mars 2019, M. A______ a déclaré retirer son grief tiré d’un empêchement de recourir contre la loi 12424, de même que celui tiré d’une assurance donnée par le président du Conseil d’État qu’il n’y aurait pas de question subsidiaire. Il a en outre rectifié quelques erreurs de plume affectant ses observations précitées du 27 février 2019, et précisé qu’il ne doutait pas qu’il y ait en soi urgence à résoudre les problèmes de la CPEG mais qu’il y avait d’autres moyens de le faire, en cas de refus de la loi 12404 le 19 mai 2019, jusqu’au 31 décembre 2019 ; aucune pièce n’attestait que le comité de la CPEG retirerait son second volet de mesures structurelles en cas d’acceptation même de la loi 12404, car il apparaissait certain que ce second volet devrait tôt ou tard être activé.

24.         Par décision ACST/6/2019 du 8 mars 2019 publiée sur le site « Jurisprudence » du Pouvoir judiciaire, la présidence de la chambre constitutionnelle a refusé d’octroyer l’effet suspensif à un recours interjeté par-devant la chambre constitutionnelle contre la loi 12424 (cause A/532/2019).

25.         Par acte du 11 mars 2019, M. A______ a recouru par-devant la chambre constitutionnelle contre la loi 12424 (cause A/958/2019), en concluant, formellement, à l’annulation des art. 57 al. 2 et 94 al. 2 que cette loi introduisait dans la LEDP, mais en contestant aussi le recours à la clause d’urgence, et en proposant de joindre cette cause avec la cause A/499/2019.

Aucun expert n’attestait qu’il fallait impérativement adopter la loi 12404 en mai 2019. Il y aurait encore deux dates possibles de votations en 2019, à savoir les 20 octobre et 24 novembre. En cas d’acceptation des deux lois 12228 et 12404, ce serait au juge de trancher laquelle des deux serait valable ; si la loi 12404 était refusée, le Conseil d’État pourrait encore proposer la même loi au Grand Conseil, en urgence. La loi 12228 devait être considérée comme abrogée.

Se référant à la réponse présentée par le Conseil d’État au recours A/499/2019, M. A______ a à nouveau développé le grief qu’une modification de la Cst-GE était nécessaire pour introduire la question subsidiaire litigieuse. Le corps électoral devait se prononcer par référendum obligatoire sur un nouveau cas de référendum cantonal.

La loi 12424 n’avait pas une densité normative suffisante, car elle ne visait pas tous les cas de lois contradictoires susceptibles de se présenter.

26.         Le 13 mars 2019, le comité référendaire a déposé au SVE les formulaires de signatures en indiquant avoir recueilli 7'130 signatures à l’appui du référendum contre la loi issue de l’adoption de l’IN 168.

27.         Par mémoire du 14 mars 2019, le Grand Conseil s’en est remis à justice concernant la recevabilité du recours A/958/2019 et, au fond, a conclu à son rejet.

Une loi munie de la clause d’urgence entrait immédiatement en vigueur. Elle était promulguée une première fois, dès son adoption, avec l’effet d’ouvrir le délai référendaire à son encontre, puis, le cas échéant, une seconde fois à défaut de référendum ou d’aboutissement d’un référendum ou en cas d’acceptation de la loi en votation référendaire durant l’année à compter de son entrée en vigueur, et, dans ces cas, elle restait en vigueur au-delà de ladite année. En cas de refus de la loi en votation référendaire, la loi devenait caduque à l’échéance dudit délai d’une année.

Le Grand Conseil a repris pour le surplus quasiment mot pour mot les développements, résumés ci-dessus (ch. 20), que le Conseil d’État avait consacrés aux mêmes griefs du recourant relatifs notamment à un défaut de réalisation des conditions d’application de la clause d’urgence ainsi qu’à une violation de l’exigence d’institutions démocratiques et des principes de la légalité et du parallélisme des formes.

Il n’appartiendrait pas au juge de déterminer, dans la situation visée par la loi 12424, laquelle des deux lois contradictoires devrait être considérée comme adoptée si toutes deux étaient acceptées en votation référendaire.

La loi 12424 ne restreignait pas les droits politiques dans la situation qu’elle visait, mais permettait d’éviter une situation de blocage en cas de double acceptation par le corps électoral.

Il ne pouvait être retenu que la seconde loi acceptée par le Grand Conseil (comme la loi 12404) impliquait que la première votée (comme la loi 12228) était abrogée, alors que non seulement les deux lois contradictoires n’étaient pas en vigueur, mais aussi que le Grand Conseil les avait sciemment adoptées toutes deux.

28.         Le 15 mars 2019, M. A______ a déposé au greffe de la chambre constitutionnelle une demande de récusation contre le magistrat ayant rendu la décision précitée A/6/2019 refusant l’octroi de l’effet suspensif dans la cause A/532/2019, voire tous les juges de la chambre constitutionnelle. En rendant cette décision, ledit magistrat avait préjugé de l’issue qui serait donnée à ses recours A/499/2019 et A/958/2019 (cause A/1086/2019).

Cette demande de récusation a aussitôt été transmise à la Présidence de la Cour de justice, pour raison de compétence, comme l’a ensuite également été, le 18 mars 2019, le « complément – rectification » que M. A______ a apporté ce jour-ci à cette demande de récusation.

29.         Dans des observations du 18 mars 2019 dans la cause A/958/2019, M. A______ a persisté dans les termes et conclusions de son recours.

La loi 12228 devant être considérée comme ayant été abrogée par la loi 12404, le référendum lancé contre la première citée était caduc ; il n’y avait pas matière à voter contre « une loi qui n’exist[ait] plus ». Subsidiairement, il pourrait être voté seulement pour ou contre l’abrogation implicite de la loi 12228 (et non pour ou contre la loi 12228).

Il n’y avait pas dans le dossier d’expertises fiables et récentes, mais plutôt des avis contradictoires, quant à l’urgence d’arrêter une solution pour recapitaliser et assurer l’équilibre financier de la CPEG à l’échéance de mai-juin 2019. Même avec les mesures prévues, le chemin de croissance prescrit ne pourrait pas être respecté et cette caisse de pension était de toute façon vouée à « couler ». Les autorités essayaient de faire pression sur les juges de la chambre constitutionnelle.

L’art. 70 Cst-GE prévoyait une limitation à une année de la durée de validité d’une loi munie de la clause d’urgence indépendamment du lancement ou non d’un référendum contre une telle loi.

Le cas d’un contreprojet opposé à une initiative n’était pas comparable à celui où le Grand Conseil adoptait deux lois contradictoires modifiant la même loi. Le principe du type de vote dans ce cas-ci devait être ancré au niveau constitutionnel, car il s’agissait d’une nouveauté modifiant les droits populaires.

Plutôt qu’une question subsidiaire, il aurait mieux valu prévoir la possibilité pour l’électeur de marquer une préférence aussi pour le statu quo en cas d’acceptation des deux lois concurrentes par le corps électoral, par un vote qui ne compte pas comme vote blanc.

L’art. 45 al. 2 Cst-GE ne permettait pas d’édicter la loi 12424.

30.         Le 19 mars 2019, la chambre constitutionnelle a transmis cette écriture au Grand Conseil, et elle a informé les parties que les deux causes A/499/2019 et A/958/2019 étaient gardées à juger.

31.         Par décision du 19 mars 2019, la délégation des Juges de la Cour de justice en matière de récusation a rejeté la demande de récusation précitée formée par M. A______ (ACST/10/2019).

32.         Par écriture du 21 mars 2019 (dont la chambre constitutionnelle a transmis une copie au Grand Conseil et au Conseil d’État pour information), M. A______ a développé les griefs figurant dans ses précédentes écritures, concernant notamment la nécessité d’une assise constitutionnelle à la procédure de vote prévue par la loi 12424, le défaut de réalisation des conditions de recours à la clause d’urgence et l’abrogation implicite de la loi 12228.

33.         Aucun référendum n’a été lancé contre la loi 12424.

EN DROIT

1.             Il se justifie, préalablement, de joindre les deux recours A/499/2019 et A/958/2019 en une même procédure, dès lors qu’ils sont interjetés tous deux par le même recourant pour des griefs se recoupant pour l’essentiel, à l’encontre certes de deux actes différents émanant de deux autorités différentes mais se rapportant à une cause juridique commune, et qu’ils sont tous deux en état d’être jugés (art. 70 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Ces deux recours soulèvent en effet notamment la question de la validité de la question subsidiaire en cas de votation référendaire portant, lors d’un même scrutin, sur deux lois contradictoires adoptées par le Grand Conseil lors d’une même session. Cette question doit être examinée à titre incident pour le recours A/499/2019 dirigé contre l’arrêté du Conseil d’État du 1er février 2019 fixant la date et, au titre des objets d’une votation cantonale, les lois 12228 et 12404 modifiant l’une et l’autre la LCPEG et une question subsidiaire visant à départager lesdites lois en cas de double acceptation. Elle doit l’être à titre principal pour le recours A/958/2019 formé contre la loi 12424 adoptée par le Grand Conseil le 31 janvier 2019 introduisant le mécanisme de la question subsidiaire dans la LEDP dans des situations de ce genre.

2.             a. Le recours A/499/2019 est un recours relatif à l’exercice des droits politiques en matière cantonale, relevant de la compétence de la chambre constitutionnelle en vertu des art. 124 let. b Cst-GE et 180 LEDP, tandis que le recours A/958/2019 est un recours contre un acte normatif aux fins de contrôle abstrait de sa conformité au droit supérieur, du ressort de la chambre constitutionnelle en vertu des art. 124 let. a Cst-GE et 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05). C’est le lieu de relever que si elle porte l’empreinte des circonstances ayant marqué son adoption, liées aux divergences prévalant sur la réforme à faire de la CPEG, la loi 12424 n’en constitue pas moins un acte normatif, c’est-à-dire une mesure de portée générale et abstraite, et non une loi décisionnelle (ACST/1/2015 précité consid. 2) ; elle est bien sujette à recours.

b. Les deux recours ont été interjetés en temps utile, à savoir, s’agissant du premier cité, dans le délai de six jours prévu par l’art. 62 al. 1 let. c LPA, et, s’agissant du second cité, dans celui de trente jours prévu par l’art. 62 al. 1 let. d LPA, à compter du lendemain respectivement du jour où le recourant a eu connaissance dudit arrêté du Conseil d’État, qui a été publié dans la FAO du 1er février 2019, et de la promulgation de ladite loi, qui est intervenue dans la FAO du 8 février 2019 (art. 62 al. 3 LPA).

c. Nonobstant leur prolixité et par endroits leur manque de clarté, les deux recours respectent les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA, y compris – exigence posée pour les recours en contrôle abstrait des normes – celle d’un exposé détaillé des griefs (art. 65 al. 3 LPA ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 815).

d. La qualité pour recourir est reconnue, pour les recours pour violation des droits politiques, notamment à toute personne physique ayant le droit de vote dans l’affaire en cause (ACST/7/2019 du 11 mars 2019 consid. 2c ; ACST/8/2016 du 3 juin 2016 consid. 3a). Pour les recours en contrôle abstrait des normes, elle l’est notamment à toute personne touchée directement par l’acte normatif attaqué (art. 60 al. 1 let. b LPA), actuellement ou virtuellement. L’élargissement de la qualité pour recourir propre au recours en matière de votations et d’élections vaut aussi pour le recours en contrôle abstrait des normes dans la mesure où l’acte normatif attaqué relève du domaine des droits politiques et où les recourants soulèvent à son encontre le grief de violation des droits politiques (ACST/3/2017 du 23 février 2017 consid. 3a ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3c).

Il y a dès lors lieu, pour les deux recours, de reconnaître la qualité pour recourir à M. A______, qui est titulaire des droits politiques dans le canton de Genève.

e. Les deux recours sont donc recevables.

3.             a. Selon le recourant, une question subsidiaire en cas de référendums contre des lois contradictoires doit disposer d’une assisse constitutionnelle, au regard de l’exigence que les cantons se dotent de constitutions démocratiques (art. 51 al. 1 Cst.) et de la règle du parallélisme des formes (art. 5 al. 1 Cst.) voulant en l’occurrence que les dispositions sur les droits politiques, de rang constitutionnel, soient modifiées ou complétées par des normes de rang constitutionnel.

b. Le principe démocratique qu’exprime l’art. 51 Cst. implique que les cantons se donnent une constitution adoptée par le peuple et pouvant être révisée si la majorité du corps électoral le demande – ce dont se déduit que les modifications des constitutions cantonales doivent faire l’objet d’un référendum obligatoire et pouvoir être obtenues par le biais de l’initiative populaire –, qu’ils aient un parlement élu au suffrage universel, doté de la compétence de prendre les décisions importantes, et que ces votations et élections reflètent fidèlement la volonté des citoyens.

La portée de l’art. 51 Cst. n’est pas définie de façon précise et univoque. Il n’est en particulier pas répondu identiquement à la question de savoir si le principe démocratique implique le principe de la séparation des pouvoirs (non selon Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. I, 3ème éd., 2014, n. 85, note ad p. 110 ; oui d’après Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. II, 2018, n. 3691, et selon Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 3ème éd., vol. I, 2013, n. 190 in fine, qui font cependant référence à cet égard au Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale [FF 1997 I 1 ss, 220 s.], renvoyant à un passage où le Conseil fédéral – dans un message relatif à la garantie de constitutions cantonales [FF 1995 I 957 ss, 965] – indique que le principe de la séparation des pouvoirs est un principe écrit ou non écrit de droit constitutionnel cantonal).

La jurisprudence et la doctrine relèvent en revanche d’une part que les cantons ont tous dépassé le minimum d’institutions démocratiques que prescrit l’art. 51 Cst., mais d’autre part aussi qu’ils détiennent une très large autonomie pour déterminer leur structure et organisation de même que pour déterminer l'étendue et les modalités d'exercice des droits politiques sur les plans cantonal et communal (ATF 131 I 126 consid. 5 ; 121 I 138 consid. 3 et 4 ; 99 Ia 518 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_59/2012 et 1C_61/2012 du 26 septembre 2014 consid. 7.1 et 8.1 [en matière d'élections] ; 1C_248/2007 du 21 avril 2008 consid. 5.1 ; 1P.771/2006 du 29 janvier 2007 consid. 2.2 ; ACST/3/2017 précité consid. 3b ; ACST/1/2015 précité consid. 9a ; Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 4955 ss ; Ulrich HÄFELIN / Walter HALLER / Helen KELLER / Daniela THURNHER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 9ème éd., 2016, n. 1015 ss ; Eva Maria BELSER / Nina MASSÜGER, in Bernhard WALDMANN / Eva Maria BELSER / Astrid EPINEY [éd.], Bundesverfassung, 2015, n. 1, 8 ss et 18 ss ad art. 51 Cst. ; Alexander RUCH, in Bernhard EHRENZELLER / Benjamin SCHINDLER / Rainer J. SCHWEIZER / Klaus A. VALLENDER [éd.], Die schweizerische Bundesverfassung, 3ème éd., 2014, n. 7 ss ad art. 51 Cst. ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 85 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 190 ss, 1705 ss, 1717 s. ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution de la Confédération suisse du 18 avril 1999, 2003, p. 436 ; Vincent MARTENET, L’autonomie constitutionnelle des cantons, 1999, p. 233 s.). Un auteur précise par exemple que cette norme constitutionnelle ne contraint pas les cantons à choisir un régime de démocratie directe, comportant donc des possibilités d’initiatives et de référendum législatifs, plutôt que de démocratie parlementaire, concentrant les pouvoirs entre les autorités élues, parlement et gouvernement (Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 85 p. 110).

c. Le Tribunal fédéral a rendu quelques arrêts sur l’exigence d’une base constitutionnelle dans le domaine des droits politiques, sans la rattacher systématiquement à l’art. 51 Cst. et en évoquant dans ce contexte plus ou moins explicitement la règle du parallélisme des formes.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978 (ATF 104 Ia 343), devant statuer sur le point de savoir si une initiative tendant à introduire un référendum obligatoire pour le préavis que le canton est appelé à donner à l’autorité fédérale dans le domaine de l’énergie atomique était de rang législatif ou constitutionnel, le Tribunal fédéral a jugé qu’en droit (en l’occurrence) neuchâtelois les droits populaires étaient tous définis par la constitution, tandis que la loi sur l’exercice des droits politiques n’en créait pas elle-même ni n’en instituait de nouveaux, son rôle essentiel étant de fixer les règles de procédure nécessaires à l’exercice de ces droits et à un déroulement normal des opérations de scrutin. Aussi fallait-il retenir que seule une initiative constitutionnelle pouvait proposer de modifier les droits populaires, le principe du parallélisme des formes exigeant en tout cas que les règles de degré constitutionnel existantes soient modifiées le cas échéant par la voie de l’initiative constitutionnelle.

Une semaine plus tard, le 12 juillet 1978 (ATF 104 Ia 226), le Tribunal fédéral a jugé qu’il était conforme à leur importance que des opérations électorales sollicitant l’intervention de l’ensemble des citoyens pour exercer une fonction publique en tant qu’organe suprême de formation de la volonté étatique ne soient ordonnées que dans la mesure où la constitution et la loi les prévoient et qu’elles se déroulent dans le strict respect des lignes tracées par le droit. Il n’en a pas moins renoncé à trancher de façon catégorique et générale la question de l’exigence d’une base légale pour l’organisation du vote considéré dans cette affaire, compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, dans lequel il s’agissait d’un vote consultatif organisé dans une situation dans laquelle la collectivité publique considérée se trouvait mise sous pression à la suite de deux rejets populaires d’un projet de réorganisation du canton et de ses communes.

Dans un arrêt 1P.470/2005 du 23 décembre 2005 (consid. 4 in initio), le Tribunal fédéral a indiqué que les droits politiques sont en principe définis dans les constitutions cantonales, que celles-ci « doivent, selon l’art. 51 Cst., contenir les principes relatifs au droit de vote, au référendum et à l’initiative en matière constitutionnelle », et que de « manière plus générale, la constitution cantonale doit définir l’ensemble des droits populaires » (en faisant référence à ce dernier égard à Étienne GRISEL, Initiative et référendum populaires, Traité de la démocratie semi-directe en droit suisse, 3ème éd., 2004, p. 39).

Dans un arrêt du 25 mars 2014 (cause 1C_51/2014) – après avoir relevé que la doctrine publiée postérieurement à l’ATF 104 Ia 226 précité exigeait, sur le plan du principe, qu’une votation consultative repose sur une base légale (consid. 2.5) et rappelé que, d’après son arrêt 1P.470/2005 précité, l’organisation d’un vote populaire consultatif représentait un élargissement des droits politiques ne pouvant intervenir que sur la base d’une modification constitutionnelle, le cas échéant aussi d’une modification légale (consid. 2.6) –, le Tribunal fédéral a confirmé que l’organisation d’un vote populaire consultatif devait reposer sur un fondement juridique (consid. 2.7 et 2.10), niant au surplus que les autorités se trouvaient en l’espèce dans une situation d’urgence temporelle les exposant à subir une mesure de substitution (consid. 2.9).

Le 3 juin 2016 (ATF 142 I 216), le Tribunal fédéral a jugé qu’une initiative invitant des communes et les autorités cantonales à organiser des votes consultatifs ne reposait sur aucune base légale (consid. 8.3.2).

d. Il faut retenir de ces différents arrêts du Tribunal fédéral que la matière des droits populaires est de rang constitutionnel au niveau des principes, autrement dit dans les grandes lignes. Il ne saurait en être déduit que les droits populaires, en particulier les initiatives et référendums législatifs, doivent être réglés de façon détaillée ni a fortiori exhaustive au niveau de normes de rang constitutionnel. Au surplus, des circonstances particulières peuvent justifier une approche souple de la question, et des nuances peuvent aussi devoir être faites selon les différentes constitutions cantonales.

4.             a. La Cst-GE contient d’assez nombreuses dispositions sur les droits politiques (art. 44 à 79).

b. En matière d’initiative cantonale et communale, elle prévoit la possibilité, pour le Grand Conseil, d’opposer un contreprojet à une initiative cantonale, ou, pour le conseil municipal, à une initiative communale (art. 62 al. 1 let. c et 74 al. 1 let. c Cst-GE). Lorsque tel est le cas, de façon nullement remise en question lors des travaux de l’Assemblée constituante, le contreprojet est soumis au corps électoral si l’initiative n’est pas retirée ; celui-ci « se prononce indépendamment sur l’initiative et sur le contreprojet, puis indique sa préférence entre les deux en répondant à une question subsidiaire » (art. 63 al. 3 phr. 2 et 75 al. 3 phr. 2 Cst-GE).

c. Définissant la mesure dans laquelle le corps électoral peut et doit le cas échéant être appelé à exercer directement la souveraineté populaire dans le processus final d'adoption des lois, le constituant genevois a décidé de :

- soumettre les révisions de la constitution cantonale au référendum obligatoire (art. 65 Cst-GE) ;

- permettre de prévoir par la loi la soumission d’office au corps électoral des mesures de rang législatif nécessaires à l'assainissement financier, en opposant à chacune des mesures réduisant les charges une augmentation d’impôt d’effet équivalent, l’électeur ne pouvant opposer ni un double refus ni une double acceptation à l’alternative proposée (art. 66 Cst-GE) ;

- exposer les lois, ainsi que les autres actes du Grand Conseil prévoyant des dépenses, au référendum facultatif ordinaire, devant être demandé par initialement 3 % puis, depuis le 21 octobre 2017 [ROLG 2017 p. 664], 2 % des titulaires des droits politiques (art. 67 al. 1 Cst-GE) ;

- prévoir le référendum facultatif facilité, devant être demandé par 500 titulaires des droits politiques, contre les lois qui ont pour objet un nouvel impôt ou qui portent sur la modification du taux ou de l'assiette d'un impôt existant, ou qui comportent une modification de la législation sur le logement, la protection des locataires et l'habitat, y compris les voies de droit en la matière (art. 67 al. 2 let. a et b Cst-GE ; cf. art. 230 al. 2 Cst-GE) ;

- instituer le référendum extraordinaire, permettant au Grand Conseil de soumettre au corps électoral les lois normalement exposées au référendum facultatif (ordinaire ou facilité), par décision prise à la majorité des deux tiers des voix exprimées, les abstentions n'étant pas prises en considération, mais au moins à la majorité de ses membres (art. 67 al. 3 Cst-GE) ;

- exclure le référendum contre la loi annuelle sur les dépenses et les recettes prise dans son ensemble, sauf en ce qui concerne ses dispositions spéciales établissant un nouvel impôt ou modifiant le taux ou l'assiette d'un impôt (art. 69 Cst-GE).

d. La Cst-GE n’a pas prévu de référendum avec variante, institution connue dans les cantons de Berne (art. 63 al. 2 de la Constitution du canton de Berne du 6 juin 1993 - RS-BE 101.1) et de Zurich (art. 34 de la Constitution du canton de Zurich du 27 février 2005 - RS-ZH 101). Plus complexe, le système zurichois permet non seulement de présenter une variante à l’ensemble du projet ou à certaines de ses dispositions, mais aussi de soumettre séparément au vote du peuple certaines dispositions particulières du projet. Dans l’un et l’autre de ces deux cantons, une disposition de rang constitutionnel complète le système du référendum avec variante par une disposition prévoyant que les électeurs se prononcent simultanément sur les projets concurrents, peuvent valablement les approuver et décident celui auquel ils donnent leur préférence, comme lorsqu’un contreprojet est opposé à une initiative (art. 63 al. 4 Cst-BE renvoyant à la procédure applicable à une initiative avec contreprojet, soit à l’art. 60 al. 2 Cst-BE ; art. 36 Cst-ZH).

5.             a. Lors des travaux de l’Assemblée constituante, la commission thématique n° 2 (ci-après : CoT2), chargée de préparer les débats relatifs aux droits politiques, a examiné si de nouveaux instruments de démocratie directe devaient être introduits. Elle a accepté en particulier le référendum avec variante mais renoncé au référendum consultatif, au référendum constructif, à l’initiative destitutive et à la motion populaire (Rapport général 200 « Les droits politiques [y compris révision de la Constitution] », du 30 avril 2010, in BOACG, tome V, p. 2215 ss, 2229 ; Rapport sectoriel 202 « Instruments de démocratie directe », du 30 avril 2010, in BOACG, tome V, p. 2295 ss, 2299, 2320 ss).

b. Au titre des formes particulières de référendum, le référendum avec variante a fait l’objet de la thèse 202.51.b, tenant en trois points : le parlement pourrait décider de joindre à un projet soumis au référendum obligatoire ou facultatif une variante ; le vote populaire aurait lieu selon la procédure relative aux initiatives avec contreprojet ; la variante serait caduque en cas de projet soumis au référendum facultatif qui ne serait pas demandé ou n’aboutirait pas.

D’après l’argumentaire de la majorité de la CoT2 (BOACG, tome V, p. 2322 s.), ce mécanisme permettait à la majorité du parlement de soumettre au référendum, en sus de son projet principal, une variante ; il avait pour objectif de gagner du temps lorsque le principe d’une nouvelle loi faisait l’objet d’un consensus, mais qu’un aspect particulier de cette nouvelle loi rencontrait des résistances. La majorité parlementaire pouvait estimer, dans un tel cas, qu’il était préférable de présenter d’emblée une variante, tenant compte des résistances, plutôt que de risquer un échec de l’ensemble du projet, avec la nécessité de remettre l’ouvrage sur le métier, ce qui pouvait retarder de plusieurs années l’entrée en vigueur d’une législation nécessaire. La CoT2 proposait, par souci de simplification, de ne permettre la présentation que d’une seule variante, contrairement au système zurichois. Les électeurs pouvaient accepter ou refuser aussi bien le projet de base que la variante ; si les deux projets étaient acceptés, ils étaient départagés par une question subsidiaire, mécanisme « maintenant bien connu des électeurs, qui le comprennent et le maîtrisent » et ne présentant « absolument aucune difficulté supplémentaire dans le cas d’un projet avec variante » (BOACG cité, p. 2322). Le référendum avec variante élargissait les possibilités d’action du parlement, sans réduire le contrôle du peuple ; il était un instrument souple de facilitation, permettant d’éviter des blocages politiques (BOACG cité, p. 2323).

Pour une minorité de la CoT2, le système était trop complexe, ouvrait la porte à des marchandages qui pourraient décrédibiliser l’assemblée délibérative et rendre les travaux opaques pour les citoyens. On ne savait pas si le Conseil d’État pourrait proposer une variante ou retirer un texte principal auquel une variante lui déplaisant aurait été proposée. La définition même de la variante n’était pas claire. Le corps électoral risquait de ne plus rien y comprendre (BOACG cité, p. 2327 s.).

c. Le 24 juin 2010, lors de la lecture dite 0 des thèses en séance plénière de l’Assemblée constituante, davantage de voix se sont exprimées en défaveur du référendum avec variante. Il y aurait affaiblissement des pouvoirs institutionnels ; cela dénaturerait l’institution du référendum et la démocratie parlementaire ; le parlement devait savoir se décider entre deux variantes, et non s’en remettre au peuple ; le système obligeait à lancer un référendum contre le projet principal afin qu’une variante estimée préférable puisse être adoptée (BOACG, tome VI, p. 2772-2778). Mise aux voix, la thèse 202.51.b a été refusée (BOACG cit., p. 2779), si bien qu’elle ne s’est pas trouvée dans l’avant-projet de constitution du 13 janvier 2011 (BOACG, tome XXVIII, p. 14679 ss).

d. La CoT2 a néanmoins proposé à l’Assemblée constituante, en vue de la 1ère lecture de l’avant-projet de constitution, un amendement introduisant le référendum avec variante. Il s’agissait d’une innovation de la constitution zurichoise, une faculté reprenant la logique du contreprojet offerte au Grand Conseil ; le peuple pourrait ainsi choisir entre une variante minimaliste, une variante maximaliste ou le statu quo ; une seule variante pourrait être présentée (Rapport de la CoT2 en vue de la première lecture de l’avant-projet de constitution, de juillet 2011, in BOACG, tome XIV, p. 7475 ss, 7524).

Le 29 septembre 2011, lors de la séance plénière de l’Assemblée constituante (BOACG, tome XVI, p. 8440-8445), il a été argumenté que le référendum avec variante était un outil tournant le référendum vers des solutions, vers quelque chose de constructif plutôt que d’être purement de blocage (BOACG cité, p. 8442). Mais, majoritairement, il a été objecté que cette proposition, née « dans l’esprit d’un technicien, mais pas d’un politique », inviterait le Grand Conseil à ne pas s’exprimer clairement, à ne pas défendre les compromis auxquels il serait parvenu, et conduirait les députés « à se dépouiller d’une partie de leurs prérogatives et à s’en remettre à ceux qui les [avaient] pourtant élus pour décider » (BOACG cité, p. 8440 s). Avec un tel système, il y aurait des majorités mouvantes au sein du parlement, et le peuple ne s’y retrouverait pas. Si, pour un autre intervenant, on pouvait faire confiance dans la faculté de compréhension des votants, il était gênant que l’alternative soit proposée par le Grand Conseil, et non par les référendaires (BOACG cité, p. 8442 s.). Cet outil était un ferment de confusion, alors que la démocratie avait besoin de clarté ; il supposait que le Grand Conseil soit « un peu schizophrène [… ait] une double intention, d’abord son projet principal, ensuite son projet moins principal » pour faire trancher par le corps électoral ; le « mieux [était] l’ennemi du bien » (BOACG cité, p. 8443). Il y avait risque que le Grand Conseil rajoute fréquemment des variantes aux lois pour le cas où il y aurait un référendum ou, en cas de référendum probable, pour créer du trouble, sans que les référendaires ne puissent avancer leurs idées, comme en matière de référendum constructif (BOACG cité, p. 8444 s.). Mis aux voix, l’amendement proposé a été refusé par l’Assemblée constituante (BOACG cité, p. 8446).

e. Il n’a plus été proposé, devant l’Assemblée constituante, d’introduire le référendum avec variante.

f. L’absence d’un référendum avec variante dans la Cst-GE est donc volontaire, le constituant genevois ayant écarté explicitement cette forme particulière de référendum.

6.             a. Le contexte dans lequel la loi 12424 litigieuse a été adoptée démontre qu’il n’est pas impossible pour autant que le Grand Conseil crée une situation ayant un effet proche de celui qu’entend régler l’instrument de démocratie directe qu’est le référendum avec variante.

b. En effet, en votant la loi 12404 volontairement sans abroger la loi 12228 qu’il venait d’adopter une heure et huit minutes plus tôt, le Grand Conseil – par le jeu de votes combinant différemment les oui, les non et les abstentions pour chacune d’elles – a créé une situation inédite, reportant sur le corps électoral – à cet égard-ci comme dans le système du référendum avec variante – le choix entre ces deux lois et un statu quo (que les mesures structurelles déjà adoptées modifieraient cependant dès le 1er janvier 2020 en cas de refus de ces deux lois), étant ajouté que celles-ci étaient toutes deux exposées à un référendum facultatif ordinaire dont le lancement et l’aboutissement apparaissaient d’emblée fort probables. Sans doute, contrairement à un projet principal et sa variante dans le système du référendum avec variante, ces deux lois 12228 et 12404 adoptées dans la foulée ne sont-elles pas juridiquement liées l’une à l’autre, et ne constituent-elles ni l’une ni l’autre respectivement une proposition principale et une variante par rapport à l’autre, mais par rapport au droit en vigueur (tel qu’il serait modifié par lesdites mesures structurelles). Comme la chambre constitutionnelle le relèvera plus loin (infra consid. 15b), ces deux lois n’en sont pas moins incompatibles l’une avec l’autre, sans pour autant que l’une puisse être considérée comme abrogeant l’autre (infra consid. 6c et 15b in fine), et il ne serait pas concevable de ne pas passer par l’adoption d’une loi pour en établir une version consolidée ou abroger l’une d’elles en cas de double acceptation de ces deux lois ; de surcroît, comme la chambre constitutionnelle l’admettra plus loin (infra consid. 11f), la soumission au vote populaire simultanément des deux lois, le 19 mai 2019, se justifie compte tenu de la nécessité de dégager, jusqu’au 5 juin 2019 au plus tard, la solution à retenir finalement pour assurer l’équilibre financier de la CPEG et permettre au comité de cette dernière de revenir sur le second volet des mesures structurelles devant à défaut entrer en vigueur le 1er janvier 2020.

c. La solution de situations de ce genre, telles que les vise la loi 12424, ne réside pas – ou du moins peut ne pas résider – dans l’application d’un principe juridique qui voudrait que l’une des lois adoptées doive être tenue pour non valide, en particulier comme abrogée. Sans doute arrive-t-il que des conflits de normes coexistant se résolvent en vertu des règles classiques qu’expriment les adages lex superior derogat inferiori (la norme supérieure prime la norme inférieure), lex specialis derogat generali (la norme spéciale prime la norme générale) ou lex posterior derogat anteriori (la norme postérieure prime la norme antérieure). La première se réfère au principe de la hiérarchie des normes, ayant pour corollaire celui du parallélisme des formes ; elle prévaut sur les deux autres ; en effet, en présence de règles de droit contradictoires de rangs différents, le juge est tenu de se conformer à la règle supérieure et, partant, de faire abstraction de la règle inférieure, ce qui signifie notamment que les dispositions d'une loi formelle ont toujours préséance par rapport aux dispositions réglementaires qui leur sont contraires (ATF 137 V 410 consid. 4.2.1 ; 129 V 335 consid. 3.3 ; 128 II 112 consid. 8a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_736/2010 du 23 février 2012 consid. 6.3 ; ATA/1000/2014 du 16 décembre 2014 consid. 11 ; Milena PIREK, L’application du droit public dans le temps : la question du changement de loi, 2018, n. 641 ss ; Bernd RÜTHERS / Christian FISCHER / Axel BIRK, Rechtstheorie mit juristischer Methodenlehre, 7ème éd., 2013, n. 773). Il n’existe en revanche pas de hiérarchie stricte entre la deuxième et la troisième de ces règles (ATF 134 II 329 consid. 5.2 ; Peter FORSTMOSER / Hans-Ueli VOGT, Einführung in das Recht, 5ème éd., 2012, n. 279 ; Bernd RÜTHERS / Christian FISCHER / Axel BIRK, op. cit., n. 771 ; Hansjörg SEILER, Einführung in das Recht, 3ème éd., 2009, n. 17).

L’hypothèse sous-jacente à la loi 12424 est celle, exceptionnelle, dans laquelle – comme dans le cas des lois 12228 et 12404 – le Grand Conseil adopte sciemment deux lois contradictoires dans la perspective de faire trancher le peuple souverain (art. 2 al. 1 phr. 1 Cst-GE) lors d’une votation référendaire apparaissant à tout le moins probable. S’il doit encore être examiné si le procédé est compatible avec le droit supérieur dès lors qu’il ne reposerait pas sur une norme de rang constitutionnel, il se justifie d’admettre, dans de tels cas de figure, d’une part qu’aucune des deux lois concurrentes ne revêt ratione materiae un caractère spécial par rapport à l’autre, à telle enseigne que l’une ne peut être considérée comme évinçant l’autre, et d’autre part que la chronologie de leur adoption successive, ne reflétant aucun ordre de priorité déterminant, n’autorise pas à donner à la seconde à avoir été adoptée la préséance sur la première.

Au surplus, ce n’est pas la date d’adoption de lois contradictoires qui pourrait déterminer une postériorité de l’une par rapport à l’autre (en l’occurrence à l’heure près) et, partant, une préséance de l’une sur l’autre, mais celle de leur entrée en vigueur. Or, dans le contexte envisagé par la loi 12424, la date d’entrée en vigueur risquerait fort d’être identique pour les deux lois concurrentes (notamment pour les lois 12228 ou 12404), si bien que la règle « lex posterior derogat anteriori » ne serait d’aucun secours pour les départager.

7.             a. En adoptant la loi 12424 sur proposition du Conseil d’État, le Grand Conseil a entendu régler – par le biais d’une modification de la LEDP, donc au niveau législatif, nonobstant l’absence voulue d’un référendum avec variante dans l’ordre constitutionnel genevois – une situation dans laquelle des lois contradictoires seraient adoptées par le Grand Conseil, ne pourraient coexister, devraient être soumises à une votation référendaire et le seraient lors d’un même scrutin, afin que soit déterminé, dans un tel cas, laquelle doit être tenue pour adoptée par le corps électoral en cas d’acceptation des deux lois concurrentes.

b. Peu importe que le dispositif prévu par la loi 12424 ne vise pas tous les scenarii imaginables dans lesquels des lois contradictoires, incompatibles l’une avec l’autre (ou les unes avec les autres), seraient adoptées, que ce soit lors d’une même session parlementaire ou lors de sessions différentes (mais par exemple à des dates proches, comme le 14 décembre 2018 pour les lois 12228 et 12404 et le 24 janvier 2019 pour la loi issue de l’acceptation de l’IN 168, avant même qu’un scrutin populaire ne soit fixé lors duquel les différentes lois ainsi adoptées pourraient être soumises au vote du corps électoral en cas d’aboutissement de référendums lancés à leur encontre). Peu importe également que ne soit pas indiqué non plus, dans ce dispositif, quelles conséquences s’attacheraient à l’absence de référendum lancé ou aboutissant à l’encontre soit d’aucune des lois concurrentes, soit de l’une seulement d’entre elles. Le caractère incomplet des dispositions considérées ne saurait constituer une carence qui affecterait la validité de ces dernières, que ce soit au regard de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) – dès lors que la loi 12424 ne se trouverait pour autant ni dépourvue de sens et d’utilité, ni privée d’un fondement sérieux et objectif (ATF 136 I 241 consid. 3.1 ; 134 I 23 consid. 8 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 605 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 160 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 1144 s.) – ou sous l’angle de l’exigence de densité normative et de clarté se déduisant du principe de la légalité (art. 5 al. 1 et 36 al. 1 Cst. ; ATF 140 I 168 consid. 4 ; 138 I 378 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_59/2018 et 1C_69/2018 du 25 octobre 2018 consid. 3.1 et jurisprudence citée).

c. Il n’y a en revanche pas de doute sur le sens à donner à la loi 12424, à savoir, dans le cas de lois de teneur incompatible visé par cette loi, le même sens que celui qui est donné aux dispositions prévoyant la question subsidiaire en cas de contreprojet opposé à une initiative populaire alors non retirée (art. 63 al. 3 phr. 2 Cst-GE) : le corps électoral est invité à se prononcer indépendamment sur les deux objets soumis au vote (soit, sur l’initiative et le contreprojet dans un cas, sur les deux lois concurrentes dans l’autre), puis à indiquer sa préférence entre les deux en répondant à une question subsidiaire.

Nonobstant l’utilisation, à l’art. 57 al. 2 LEDP, du verbe « devoir », dans les membres de phrase « l’électeur doit au surplus indiquer sa préférence pour l’une ou l’autre des deux lois en répondant à la question subsidiaire » et « il doit cocher, sur le bulletin ou le bulletin électronique, la case correspondant à la loi qu’il choisit », il est loisible à l’électeur de ne pas indiquer de réponse à la question subsidiaire, comme d’ailleurs à l’une et/ou l’autre des questions portant sur chacune des deux lois concurrentes. Il peut voter blanc à chacune ou à l’une et/ou à l’autre des trois questions en lien avec le sujet considéré (constitué des deux lois concurrentes et de la question subsidiaire). Il peut voter oui ou non à l’une et/ou à l’autre des deux lois – mais logiquement pas simultanément oui et non à la même question (art. 65A al. 3 let. b LEDP) –, et ne pas indiquer de préférence ou indiquer sa préférence pour le cas où les deux lois seraient acceptées. S’il coche les deux cases concernant la question subsidiaire, son vote, uniquement pour cette question, est comptabilisé comme vote blanc (art. 65A al. 3 let. c LEDP). Il est par ailleurs logique qu’en plus de pouvoir le faire à titre principal en votant deux fois non aux deux lois concurrentes, l’électeur ne reçoive pas la possibilité de marquer une préférence pour le statu quo en répondant à la question subsidiaire, dès lors qu’il s’agit à ce stade de départager deux lois qui seraient acceptées majoritairement, voulant l’une et l’autre des modifications du régime existant, et non de compenser un déficit de suffrages accordés au maintien du statu quo.

Le libellé du nouvel art. 57 al. 2 LEDP a été repris de l’ancien al. 2 devenu al. 3 de cette disposition, prévoyant que lors d'un vote sur une initiative et un contreprojet, l'électeur doit au surplus exprimer sa volonté exclusivement en cochant, sur le bulletin ou le bulletin électronique, la case « initiative » ou la case « contreprojet » pour répondre à la question subsidiaire posée. Il n’a jamais été déduit de cette disposition une quelconque obligation de l’électeur de marquer son choix entre l’initiative et le contreprojet, sous peine que le vote qu’il exprimerait pour l’un ou/et l’autre de ces objets (oui-oui, non-non, oui-non ou non-oui) ne serait pas valable. Il est certain que la même compréhension doit être faite du nouvel art. 57 al. 2 LEDP. Tel est le sens que les diverses méthodes d’interprétation des lois commandent, de façon convergente au-delà d’une interprétation étroitement littérale non pertinente, de donner à ladite disposition et, plus généralement, à la loi 12424, en particulier l’interprétation systématique, téléologique et historique (ATF 129 V 258 consid. 5.1 et les références citées ; ACST/5/2019 du 27 février 2019 consid. 5a). Il sied au surplus de rappeler que lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, la chambre constitutionnelle s’impose une certaine retenue et, en particulier, qu’elle n’annule les dispositions attaquées que si celles-ci ne se prêtent pas à une interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur (ACST/5/2019 précité consid. 5b et jurisprudence et doctrine citée).

d. Les griefs que le recourant émet à ces égards sont mal fondés.

8.             a. La question se pose de savoir si, dans la situation visée par la loi 12424, ce n’est pas un impératif dicté par la garantie constitutionnelle des droits politiques qu’une règle permette de déterminer laquelle des deux lois soumises à votation référendaire doit être tenue pour adoptée en cas d’acceptation des deux lois.

b. L’ordre constitutionnel garantit les droits politiques, à savoir l’ensemble des droits que les membres de l’organe étatique qu’est le corps électoral détiennent pour participer à la prise des décisions de leur communauté politique démocratique que forment respectivement la Confédération, les cantons et les communes. Tel est l’objet des art. 34 Cst. et, dans une même mesure, 44 Cst-GE, dont les al. 2 prévoient, de façon identique, que cette garantie protège la libre formation de l’opinion des citoyennes et des citoyens et l’expression fidèle et sûre de leur volonté, soit, plus généralement, les droits de voter, d’élire et de signer des initiatives et des demandes de référendum, expressions du droit du peuple à l’autodétermination et à la participation à la formation de la volonté desdites collectivités. Il résulte de cette garantie que chaque citoyen doit pouvoir se déterminer en élaborant son opinion de la façon la plus libre et complète possible et exprimer son choix en conséquence (ATF 141 I 221 consid. 3.1 ; 141 I 186 consid. 4 ; 137 I 200 consid. 2.1 ; 136 I 241 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_415/2015 du 27 avril 2016 consid. 2.4 ; ACST/23/2018 du 9 novembre 2018 consid. 3a ; ACST/1/2015 précité consid. 9a ; Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 4836 ss ; Ulrich HÄFELIN / Walter HALLER / Helen KELLER / Daniela THURNHER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 9ème éd., 2016, n. 1363 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 122 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 618, 623, 645 ss, et vol. II, n. 35). La liberté de vote garantit la sincérité du débat nécessaire au processus démocratique et à la légitimité des décisions prises en démocratie directe (ATF 140 I 394 consid. 8.2 ; 140 I 338 consid. 5 ; 139 I 2 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_610/2017 du 7 mai 2018 consid. 2.2 ; 1C_130/2015 du 20 janvier 2016 consid. 3.1 ; ACST/7/2018 du 5 avril 2018 consid. 8b).

La garantie des droits politiques se décline en plusieurs maximes, que la doctrine énumère de façon globalement convergente tout en les répertoriant de façon nuancée, n’excluant pas certains chevauchements (Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 5104 ss, 5188 ss., 5217 ss, 5237 ss, 5301 ss, 5315 ss, 5358 ss ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 151 à 153 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 913 ss). De la liberté de vote découle, au stade de la préparation des votations et élections, le droit à la formulation claire et correcte des questions soumises au vote, une exigence d’unité de la matière et un devoir d’exactitude et de réserve des autorités dans la campagne ; en matière de déroulement du scrutin, il en résulte le droit à une composition correcte du corps électoral, le droit à l’égalité des chances et des armes et la garantie du secret du vote ; il s’en déduit aussi le droit à une constatation exacte des résultats du vote (pouvant éventuellement impliquer le droit à un recomptage).

c. Or, l’impasse à laquelle conduirait une acceptation des deux lois sans qu’une règle ne permette de déterminer laquelle serait adoptée soulève un double problème au regard de la garantie des droits politiques.

Une telle situation représente une forme d’atteinte au principe de l’unité de la matière, qui constitue un sous-aspect de la liberté de vote. En effet, si – dans son acception habituelle – cette exigence interdit de mêler, dans un même objet soumis au peuple, plusieurs propositions de nature ou de but différents, qui forceraient le citoyen à une approbation ou une opposition globales alors qu’il pourrait n’être d’accord qu’avec une partie des propositions qui lui sont soumises de façon indûment amalgamée (ATF 137 I 200 consid. 2 et 4 ; 130 I 185 consid. 3 ; 129 I 381 consid. 2 ; 129 I 366 consid. 2.3 ; 128 I 190 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.223/2006 du 12 septembre 2006 consid. 2 ; ACST/7/2019 précité consid. 4c ; Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 5217 ss), elle s’oppose aussi à ce qu’une incompatibilité irréductible, donc une interdépendance existant en réalité entre différents objets soumis au vote soit ignorée artificiellement, car les électeurs ne doivent pas être placés dans une situation comparable d’embarras, en plus d’incompréhension des enjeux de leurs votes, faute, précisément, de règle articulant ces derniers les uns par rapport aux autres sur les objets se contredisant, qui relèvent d’une même matière.

La situation considérée est par ailleurs contraire à l’exigence d’une constatation exacte des résultats du vote. Il sied de préciser, à ce propos, que la notion de résultats du vote n’englobe pas seulement un dénombrement exact des oui, des non, des votes blancs et des votes nuls, mais aussi la détermination correcte de l’issue de la votation sur le sujet considéré ; elle suppose l’existence même d’une issue, autrement dit s’oppose à ce qu’une ambiguïté ou une incertitude subsiste sur le point de savoir – dans le cas de figure visé par la loi 12424 – quelle loi doit être tenue pour adoptée au sortir des urnes. À défaut, il n’y a pas d’expression fidèle et sûre de la volonté du souverain qu’est le corps électoral (art. 2 al. 1 phr. 1 Cst-GE).

d. De la garantie constitutionnelle des droits politiques se déduit donc qu’une votation référendaire doit aboutir à un résultat univoque dûment constatable, plus précisément, dans le cas de figure visé par la loi 12424, à une détermination claire et précise de la loi à tenir pour adoptée. Cette exigence rejaillit sur les stades antérieurs à la constatation exacte des résultats, dès l’organisation du scrutin, car il importe que la règle arrêtée aux fins de déterminer l’issue de la votation soit connue des électeurs, en particulier qu’elle se traduise sans ambiguïté dans l’énoncé des questions soumises au corps électoral, tant dans l’arrêté fixant la date et les objets du scrutin que sur les bulletins de vote.

e. Cette conclusion ne saurait être remise en question par la considération qu’en cas d’adoption de lois de contenu incompatible, celles-ci ne doivent pas nécessairement être soumises simultanément au vote du peuple, et qu’en particulier lorsque l’une d’elles émane de l’initiative de députés (comme c’est le cas de la loi 12228), le Conseil d’État a la possibilité, en application de l’art. 109 al. 5 Cst-GE, de la représenter au Grand Conseil avec ses observations, dans un délai de six mois, étant précisé que si, après en avoir délibéré de nouveau, le Grand Conseil adopte comme précédemment la loi lui ayant été ainsi représentée, le Conseil d’État est alors tenu de la « promulguer ». Il n’est pas ici pertinent d’établir si l’art 109 al. 5 Cst-GE parle à bon escient de promulgation plutôt que de publication, étant néanmoins précisé qu’il n’apparaîtrait en tout état pas concevable que le Conseil d’État fasse usage de cette faculté de représenter une loi au Grand Conseil après que ladite loi a été acceptée en votation populaire. L’important est de relever que, dans l’hypothèse considérée, le Conseil d’État n’est pas tenu de procéder ainsi ; il lui est loisible de faire courir les délais référendaires contre les lois émanant de l’initiative de députés plutôt que de les leur représenter et, en cas d’aboutissement d’un référendum contre chacune des lois concurrentes, de les soumettre au vote populaire, à la date de son choix et possiblement lors d’un même scrutin (art. 19 LEDP ; ACST/7/2019 précité consid. 4).

Il n’est pas non plus déterminant qu’en cas d’adoption de lois non susceptibles de coexister dans le contexte visé, il puisse le cas échéant être encore envisageable qu’une nouvelle loi soit adoptée, pour abroger l’une d’elles ou pour en établir une nouvelle, fondée sur un compromis. Cela relève de conjectures, se situant au demeurant en dehors du processus législatif et référendaire pertinent, qui doit trouver un épilogue juridique (quand bien même celui-ci serait susceptible d’être remis en question par une nouvelle loi, fût-ce avant l’entrée en vigueur de la loi devant être tenue pour adoptée au terme de la procédure référendaire).

f. Au demeurant, dans l’examen de la conformité de la loi 12424 au droit supérieur, il faut réputer remplies les conditions d’application qu’énumère cette loi (infra consid. 15b).

9.             a. S’il est impératif que, dans la situation visée par la loi 12424, une règle permette de sortir de la situation de blocage à laquelle conduirait une acceptation des deux lois concurrentes, force est de constater que le droit en vigueur n’en énonçait pas jusqu’à l’adoption de la loi litigieuse. Cela n’est pas surprenant, dès lors qu’une situation telle que celle qui a été créée par l’adoption des lois 12228 et 12404 apparaît ne jamais s’être encore présentée ni n’avoir été imaginée jusqu’alors, et que l’Assemblée constituante n’a pas voulu du référendum avec variante (supra consid. 5).

b. Les recourants voient dans le refus du constituant genevois d’introduire le référendum avec variante un silence qualifié excluant que la question subsidiaire soit introduite dans le cas de figure considéré au titre d’un comblement de lacune par le biais d’une loi.

Un silence qualifié est une absence intentionnelle de norme, une norme en quelque sorte négative, l’expression d’une volonté de ne pas réglementer une situation ou de ne pas inscrire une solution déterminée dans la loi ou la constitution. Lorsqu’il est certain qu’il a été arrêté à dessein, un silence qualifié doit être respecté ; il n’y a pas place pour le comblement d’une lacune. Les lacunes improprement dites, résultant de réponses objectivement insoutenables ou insatisfaisantes apportées par une norme, ne sont pas non plus susceptibles d’être comblées, contrairement aux lacunes proprement dites, tenant à une absence de solution normative à une question devant impérativement être réglée (Thierry TANQUEREL, Manuel cité, n. 440 ss ; Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 3429, 3554, 3698, 5450 ss ; Pierre MOOR / Alexandre FLüCKIGER / Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, p. 150 ss).

Il n’est pas douteux que le législateur ne saurait créer l’instrument de démocratie directe qu’est le référendum avec variante par le biais d’une loi, déjà parce que le sujet requerrait en lui-même qu’au moins son principe soit posé au niveau de la constitution, et d’autant plus que l’Assemblée constituante a rejeté cette forme particulière de référendum. Ce refus du constituant genevois n’a pas eu la portée limitée de nier que ce système devrait le cas échéant être prévu par une norme de rang constitutionnel en fixant les grandes lignes ; autrement dit, ce refus ne saurait être compris comme l’admission que le référendum avec variante soit introduit par le biais d’une loi, comme s’il s’agissait d’un sujet de moindre importance. Il porte sur le principe même d’un référendum avec variante.

c. Il appert cependant, à la lecture des travaux préparatoires de la Cst-GE portant sur les instruments de la démocratie directe, que les constituants n’ont à aucun moment envisagé – que ce soit à la CoT2 ou en Assemblée plénière – que le Grand Conseil, saisi de deux projets lois incompatibles, pouvait coup sur coup les adopter les deux dans l’idée de reporter sur les citoyens, en cas de référendum alors escompté contre les deux lois concurrentes, la responsabilité d’opérer le choix que lui-même n’avait pas su ou voulu faire. Il ne s’y trouve pas le moindre indice qui étayerait l’avis, en particulier, qu’une question subsidiaire permettant le cas échéant de départager deux textes législatifs concurrents soumis aux suffrages du corps électoral serait critiquable, sur le modèle bien connu depuis plus de vingt-cinq ans pour les initiatives auxquelles un contreprojet est opposé, système explicitement repris à l’art. 63 al. 3 Cst-GE pour ce cas de figure-ci. Si la question subsidiaire s’inscrit dans la logique du référendum avec variante, ce n’est pas elle qui a suscité le rejet de cette forme particulière de référendum, mais le fait que le parlement pourrait joindre une variante à un projet principal pour le cas où un référendum serait lancé et aboutirait contre ce dernier et – selon la perception ayant nettement prévalu devant l’Assemblée constituante – en quelque sorte se décharger d’une responsabilité sur le corps électoral (cf. supra consid. 5). L’Assemblée constituante n’a pas rejeté la règle que le Grand Conseil a adoptée, par le biais de la loi 12424, pour permettre de sortir d’une situation de blocage potentiel résultant, comme dans le cas des lois 12228 et 12404, de l’adoption de lois concurrentes.

Il n’y a donc pas de silence qualifié du constituant genevois sur le fait qu’une question subsidiaire serait le cas échéant le moyen idoine de déterminer, dans les cas de figure visés par la loi 12424, laquelle des deux lois concurrentes doit être tenue pour adoptée en cas de double acceptation de ces dernières.

d. C’est plutôt une lacune proprement dite qui doit être admise, dans la mesure où il s’impose, dans les cas de figure visés par la loi 12424, que la votation aboutisse à un résultat univoque consistant, en cas d’acceptation des deux lois concurrentes, en l’adoption de l’une d’elles. La question est de savoir si cette lacune peut être comblée par la voie législative, donc sans modification de la Cst-GE elle-même. Cela revient à se demander, sans même passer par le détour du comblement d’une lacune, si une question subsidiaire dans la situation visée par la loi 12424 peut être considérée comme relevant des modalités d’exercice du droit de vote et de détermination des résultats du vote, pouvant à ce titre être de rang légal.

10.         a. Si les instruments de la démocratie directe doivent être institués par des normes de rang constitutionnel qui en arrêtent au moins les principes (supra consid. 3c et d), en particulier dans le canton de Genève, dont la constitution est relativement détaillée sur ces questions (supra consid. 4), leur mise en œuvre n’en peut, voire n’en doit pas moins intervenir par le biais de dispositions de rang légal et réglementaire et même par le biais de décisions, de mesures d’organisation et d’actes matériels. C’est ainsi logiquement et à bon droit que la LEDP précise notamment tant la manière dont les électeurs ont à exprimer leur volonté que les conditions auxquelles un texte soumis à référendum est réputé accepté.

Sur le premier sujet, la LEDP prévoit que lors d'une votation, l'électeur doit exprimer sa volonté exclusivement en cochant, sur le bulletin ou le bulletin électronique, la case « oui » ou la case « non » correspondant à chacune des questions posées (art. 57 al. 1 LEDP). Précisant à cet égard la règle ayant certes un ancrage constitutionnel dans ce cas de figure traditionnel (art. 63 al. 3 phr. 2 Cst-GE), elle indique que lors d'un vote sur une initiative et un contreprojet, l'électeur doit au surplus exprimer sa volonté exclusivement en cochant, sur le bulletin ou le bulletin électronique, la case « initiative » ou la case « contreprojet » pour répondre à la question subsidiaire posée (art. 57 al. 3 LEDP). Explicitant la règle constitutionnelle prévue pour le référendum en matière d’assainissement financier (art. 66 al. 3 Cst-GE), elle prévoit que lors d’un tel vote, l’électeur doit exprimer sa volonté exclusivement en cochant, sur le bulletin ou le bulletin électronique, la case « variante 1 » ou la case « variante 2 » pour répondre à la question posée (art. 57 al. 4 LEDP).

Sur le second sujet précité, la LEDP indique que le texte soumis à référendum est accepté lorsqu'il réunit la majorité absolue des suffrages, soit le nombre des voix immédiatement supérieur à la moitié du total des votes valables (art. 94 al. 1 LEDP), et, lorsqu’un contreprojet est opposé à une initiative, elle complète doublement l’art. 63 al. 3 phr. 2 Cst-GE en précisant qu’en cas de double acceptation c’est le projet qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages à la question subsidiaire qui est adopté et qu’en cas d’égalité à la question subsidiaire, le projet qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages est accepté (art. 94 al. 4 LEDP). Pour le référendum en matière d’assainissement financier, elle précise que le vote d'un électeur est comptabilisé comme vote blanc lorsque les deux cases concernant le choix de la variante en matière d’assainissement financier sont cochées (art. 65A al. 3 let. d LEDP), mais elle ne comporte pas une règle semblable à l’art. 94 al. 4 LEDP susrappelé.

b. Le constituant genevois a lui-même prévu que les principes exprimés au niveau constitutionnel concernant les droits politiques appellent l’édiction de normes de rang légal. C’est ainsi qu’il a précisé, à l’art. 44 al. 3 Cst-GE, que la loi veille à l’intégrité, à la sécurité et au secret du vote, et, à l’art. 45 al. 2 Cst-GE, que la loi garantit que toute personne jouissant des droits politiques puisse effectivement les exercer. De ces normes constitutionnelles ne saurait au demeurant être déduit qu’en l’absence d’une telle mention, il n’y aurait pas place pour des normes de rang légal. La CoT2 avait supprimé la disposition (formant alors l’art. 45 al. 3 phr. 1) de l’avant-projet de constitution du 13 janvier 2011 en tant qu’elle prévoyait que la loi réglerait les modalités d’exercice des droits politiques (BOACG, tome XXVIII, p. 14688), ce nullement parce qu’elle n’aurait pas reconnu cette compétence au législateur, mais parce que cette précision était superflue (BOACG, tome XIV, p. 7485).

Au surplus, les art. 34 Cst. et 44 Cst-GE énonçant la garantie des droits politiques constituent en eux-mêmes un ancrage supplémentaire possible de dispositions légales mettant en œuvre la liberté de vote résultant de cette garantie.

Sans doute la démarcation entre un élargissement du droit de référendum d’un côté et la réglementation de l’exercice du droit de vote et de la détermination du résultat du vote de l’autre côté peut-elle être ténue, au point que l’un participe immanquablement un peu de l’autre. C’est vrai pour la question subsidiaire prévue par la loi 12424 ; à l’instar de celle figurant à l’art. 94 al. 4 LEDP, elle n’est pas parfaitement neutre, autrement dit influe dans une certaine mesure sur la façon de voter. En effet, si la règle retenue pour départager les lois en concurrence était de retenir comme étant adoptée la loi obtenant le plus grand nombre de voix, sans question subsidiaire, les électeurs opposés au maintien du statu quo seraient contraints de choisir l’une seulement des lois concurrentes, quitte à voter en faveur de celle qui n’aurait pas leur préférence mais paraîtrait susceptible d’emporter une majorité de suffrages. L’introduction d’une question subsidiaire leur permet d’affiner leur vote, à savoir, notamment, autant de refuser le maintien du statu quo que de soutenir simultanément les deux lois concurrentes, tout en marquant leur préférence pour celle leur paraissant préférable. La différence entre ces deux solutions n’est cependant que toute relative comparée à une absence de règle permettant de déterminer laquelle des lois en concurrence doit être tenue pour adoptée en cas d’acceptation des deux lois, absence qui constitue quant à elle une sérieuse entrave au libre exercice du droit de vote référendaire.

c. Il se justifie de retenir que ni l’une ni l’autre de ces deux solutions évoquées ne reviendrait à instituer un nouveau type de référendum, ni même à produire une extension un tant soit peu marquée du droit de référendum ordinaire. Les règles qui les institueraient auraient le caractère prépondérant de normes de mise en œuvre du référendum dans la situation spécifique visée par la loi 12424, normes qui, en tant que telles, peuvent être de rang légal.

Le législateur genevois a choisi la solution de la question subsidiaire, à savoir celle qui est plus fine et par ailleurs bien connue du droit genevois dans le cas d’un contreprojet opposé à une initiative. Ce choix est d’autant moins critiquable qu’il peut s’appuyer tant sur des déclarations, non contestées sur ce point précis, faites devant l’Assemblée constituante lorsque lui était proposé d’introduire le référendum avec variante, que, par analogie, sur la solution que le constituant genevois a retenue pour le cas assez similaire d’un contreprojet opposé à une initiative (art. 63 al. 3 Cst-GE), à l’instar, pour ce cas-ci traditionnel, du droit fédéral (art. 139b Cst. précisé par l’art. 76 de la loi fédérale sur les droits politiques du 17 décembre 1976 [LDP - RS 161.1] ; Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 4914 ss) et d’autres droits cantonaux (cf. p. ex. art. 60 al. 3 Cst-BE ; art. 34 al. 3 et 4 de la Constitution du canton du Valais du 8 mars 1907 - Cst-VS - RS-VS 101.1 ; infra consid. 10d), tandis que celui du Jura a opté pour la solution du plus grand nombre de voix sans question subsidiaire (art. 76 al. 5 de la Constitution de la République et Canton du Jura du 20 mars 1977 - Cst-JU – RS-JU 101 ; Goran SEFEROVIC, Volksinitiative zwischen Recht und Politik, 2018, n. 117 s.).

d. C’est le lieu de noter que plusieurs cantons prévoient la question subsidiaire, pour le cas d’un contreprojet opposé à une initiative, au niveau de leur législation sur les droits politiques. C’est un indice supplémentaire qu’en tant que telle la question subsidiaire ne doit pas forcément avoir un ancrage au niveau de la constitution, mais peut être prévue et réglementée au niveau de la loi.

Ainsi, dans le canton de Vaud, le constituant a délégué au législateur cantonal le soin de régler le mode de traitement de l'initiative par le Grand Conseil et la procédure de vote populaire lorsqu'un contre-projet est opposé à l'initiative (art. 81 al. 1 de la Constitution du canton de Vaud du 14 avril 2003 - Cst-VD - RS-VD 101.01), et c’est à l’art. 103b de la loi (vaudoise) sur l'exercice des droits politiques du 16 mai 1989 (RS-VD 160.01) qu’est prévu le mode de scrutin, comprenant la question subsidiaire. Dans le canton de Neuchâtel, seule est prévue, au niveau constitutionnel, la possibilité de soumettre au peuple un contreprojet opposé à une initiative (art. 44 al. 1 let. a de la Constitution de la République et Canton de Neuchâtel du 24 septembre 2000 - Cst-NE - RS-NE 101 ; cf. aussi art. 102 al. 3 et 4 Cst-NE pour la possibilité reconnue au Grand Conseil d’opposer un contreprojet à une initiative rédigée ou générale visant à une révision partielle de la constitution cantonale) ; la question subsidiaire n’y est pas mentionnée ; elle est instituée à l’art. 113 de la loi (neuchâteloise) sur les droits politiques du 17 octobre 1984 (RS-NE 141). Il en va de même dans le canton de Fribourg (art. 44 de la Constitution du Canton de Fribourg du 16 mai 2004 – Cst-FR – RS-FR 10.1 ; art. 125 al. 5 à 7 de la loi [fribourgeoise] sur l’exercice des droits politiques du 6 avril 2001 - RS-FR 115.1).

e. Il est par ailleurs indéniable qu’une question subsidiaire représente un moyen permettant aux électeurs d’exprimer leur volonté le plus librement qui soit en présence de deux propositions incompatibles, à savoir de préférer le maintien du statu quo (par un double non), rejeter l’une d’elles (en votant non à l’une et oui à l’autre), soutenir les deux (par un double oui), et, en tout état (quel que soit leur propre vote), d’indiquer leur préférence pour l’une ou l’autre des deux si toutes deux étaient acceptées. Ce mécanisme respecte pleinement les droits politiques des électeurs (Patrizia ATTINGER, Die Rechtsprechung des Bundesgerichts zu kantonalen Volksinitiativen, 2016, p. 173 ss ; Stéphane GRODECKI, L’initiative populaire cantonale et municipale à Genève, 2008, p. 367 s.).

Un auteur estime d’ailleurs qu’il serait envisageable de prévoir une question subsidiaire pour départager deux initiatives portant sur le même sujet mais proposant des solutions différentes et soumises simultanément au corps électoral, à la condition que le droit cantonal prévoie cette possibilité (Stéphane GRODECKI, op. cit., n. 1319, qui ne précise pas que celle-ci devrait l’être au niveau constitutionnel ; ZBl 1986 p. 172).

La situation n’est pas comparable à celle du vote référendaire en matière d’assainissement financier, lors duquel les électeurs ont à l’inverse des possibilités restreintes d’exprimer leur volonté, à savoir ne peuvent opposer ni un double refus, ni une double acceptation à l’alternative proposée, ainsi que le prévoit et doit assurément le prévoir une norme de rang constitutionnel (cf. art. 66 al. 3 Cst-GE ; cf. aussi art. 57 al. 4 et 65A al. 3 let. d LEDP). Cette modalité d’exercice du droit de vote n’est au demeurant pas indiscutée (Thierry TANQUEREL, L’interdiction du double non en cas de vote populaire sur une alternative respecte-t-elle la liberté de vote ?, in Staats- und Verwaltungsrecht auf vier Ebenen – Festschrift für Tobias Jaag, 2012, p. 339 ss, 347).

f. Enfin – et au besoin subsidiairement –, dans l’appréciation de la nécessité d’un ancrage constitutionnel d’une question subsidiaire dans la situation visée par la loi 12424, il s’impose de tenir compte de la spécificité et de l’exceptionnalité d’une situation dans laquelle le Grand Conseil adopte coup sur coup, lors d’une même session parlementaire, deux lois incompatibles l’une avec l’autre, toutes deux frappées d’un référendum et soumises en même temps au scrutin populaire, de surcroît concernant un domaine devant impérativement donner lieu à bref délai à l’adoption ou la modification d’une loi. Dans sa jurisprudence susrappelée sur l’exigence d’une base constitutionnelle dans le domaine des droits populaires (supra consid. 3c), le Tribunal fédéral a admis que des circonstances particulières peuvent justifier une approche souple de la question.

À cette considération s’ajoute qu’on voit mal que la Cst-GE soit modifiée pour qu’y soit prévu le mode de déterminer laquelle de deux lois contradictoires par hypothèse toutes deux acceptées en votation référendaire doit être tenue pour adoptée (de préférence au maintien du statu quo), alors que le référendum n’a pas été conçu dans la perspective que le Grand Conseil vote des lois concurrentes dans un contexte matériel et temporel propre à créer une telle situation de blocage, même si le constituant n’a pas envisagé et dès lors pas formellement exclu ce cas de figure jusque-là inédit.

g. Au demeurant, dans la mesure où la situation visée par la loi 12424 ne peut qu’être tout à fait exceptionnelle, il serait même admissible qu’étant constitutionnellement en charge du pouvoir exécutif (art. 101 Cst-GE) et, en particulier, de l’organisation et de la surveillance des opérations électorales (art. 46 al. 1 Cst-GE), le Conseil d’État introduise la question subsidiaire de cas en cas, lorsque se présenterait une telle situation très exceptionnelle, notamment par le biais de son arrêté fixant la date et les objets d’opérations électorales, à titre de mesure dictée par la garantie constitutionnelle des droits politiques dans un tel cas de figure (art. 34 Cst. et 44 Cst-GE ; supra consid. 8).

Il est évident que la solution arrêtée par le Grand Conseil, sur proposition du Conseil d’État, non seulement repose sur des motifs pertinents, mais aussi bénéficie d’une plus grande légitimité, dès lors qu’elle a été traduite en une norme insérée dans une loi, à savoir la LEDP, au sein des dispositions idoines de cette dernière (soit à ses art. 57 et 94 traitant respectivement de la manière pour l’électeur d’exprimer sa volonté et des conditions auxquelles un texte soumis à référendum est accepté).

h. En conclusion, la chambre constitutionnelle retient que les deux dispositions que la loi 12424 a introduites dans la LEDP – à savoir les nouveaux art. 57 al. 2 et 94 al. 2 – ne sont pas contraires au droit supérieur. Contrairement à ce que plaide le recourant, elles n’enfreignent ni l’art. 51 Cst., ni le principe du parallélisme des formes, ni les dispositions de la Cst-GE sur les droits politiques.

11.         a. Le recourant attaque aussi la clause d’urgence dont la loi 12424 a été munie, à ses yeux en violation de l’art. 70 al. 1 Cst-GE.

b. À teneur de cette disposition, les lois dont l’entrée en vigueur ne souffre aucun retard peuvent être déclarées urgentes par décision du Grand Conseil à la majorité des deux tiers des voix exprimées, les abstentions n’étant pas prises en considération, mais au moins à la majorité de ses membres (al. 1 phr. 1). Ces lois entrent en vigueur immédiatement (al. 1 phr. 2). Si le référendum est demandé, la loi devient caduque un an après son entrée en vigueur, à moins qu’elle n’ait été dans l’intervalle acceptée par le corps électoral (al. 2 phr. 1). La loi caduque ne peut être renouvelée selon la procédure d’urgence (al. 2 phr. 2).

c. Quand bien même – contrairement à l’ancienne Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (aCst-GE - A 2 00) – elle n'exclut plus tout référendum, l'urgence implique un déficit démocratique important, dès lors qu'elle fait immédiatement entrer en vigueur la loi déclarée urgente et impose donc l'application de normes qui ne sont en réalité pas encore définitivement adoptées. Le procédé ne se trouve pas suffisamment légitimé par la majorité qualifiée requise pour que l'urgence soit déclarée ; l'urgence ne se décrète pas, mais doit être constatée et donc être constatable. Il faut que l'entrée en vigueur de la loi considérée « ne souffre aucun retard », à teneur même de l'art. 70 al. 1 Cst-GE. Le système genevois s'inspire très largement des règles fédérales en matière de loi urgente (art. 165 Cst. ; David HOFMANN, Le Conseil d’État dans la constitution genevoise du 14 octobre 2012, in David HOFMANN / Fabien WAELTI [éd.], Actualités juridiques de droit public 2013, 2013, p. 111 ss, 122 s. ; Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, La constitution genevoise du 14 octobre 2012, in SJ 2014 II 341 ss, 371), bien que celles-ci présentent des spécificités liées à la différence faite entre des lois fédérales urgentes pourvues ou au contraire non pourvues d’une base constitutionnelle.

d. Sous l'empire de l'art. 55 aCst-GE, prévoyant que seules les lois « ayant un caractère d'urgence exceptionnelle » pouvaient être munies de la clause d'urgence, le Tribunal fédéral a jugé qu'il ne fallait en admettre l'utilisation que restrictivement. Une loi ne pouvait être déclarée urgente que si sa mise en vigueur ne pouvait souffrir le retard qu'impliquerait l'organisation d'un scrutin référendaire en cas de lancement et d'aboutissement d'une demande de référendum ; il fallait qu'une application immédiate s'impose sans conteste. À l'élément matériel de la nécessité et d'une certaine importance d'une application des mesures considérées devait s'ajouter un élément temporel d'urgence (ATF 130 I 226 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.118/20021P.268/2002 du 9 août 2002 consid. 2.2 ; cf. ATF 103 Ia 152).

Ainsi, le Tribunal fédéral a admis l'urgence à faire entrer immédiatement en vigueur les seules dispositions d'une modification de la loi d'application dans le canton de Genève de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite d'alors (aLaLP - E 3 60) visant à prévenir deux réorganisations successives des offices des poursuites et des faillites incompatibles l'une avec l'autre, décidées coup sur coup (respectivement par une loi 8621 du 21 septembre 2001 et une loi 8658 du 21 février 2002) ; l'urgence consistait à assurer l'efficacité des institutions et le respect des justiciables (arrêt du Tribunal fédéral 1P.118/2002 du 9 août 2002). Le Tribunal fédéral a estimé qu'il y avait urgence, du point de vue tant matériel que temporel, à l'entrée en vigueur immédiate d'une loi 9384 du 28 octobre 2004 modifiant la LOJ pour permettre au Tribunal cantonal des assurances sociales de siéger dans une composition régulière, sans plus risquer l'annulation de ses jugements du chef d'une composition irrégulière ni devoir, en guise d'alternative, attendre l'élection des juges assesseurs par le peuple et accumuler ainsi un retard inadmissible dans le traitement des procédures (ATF 130 I 226). Le Tribunal fédéral a nié un caractère d’urgence exceptionnelle à accélérer la réalisation, sur un terrain communal, d’un projet immobilier ayant accumulé du retard (ATF 103 Ia 152).

e. La modification essentielle que la Cst-GE a apportée en matière de clause d’urgence a consisté – conformément à la thèse 202.41.c (BOACG, tome V, p. 2318 s.) – à ne plus soustraire au référendum les lois qui en sont munies, mais à y attacher l’effet que ces lois entrent en vigueur immédiatement pour une durée maximale d’une année, à l’expiration de laquelle elles deviennent caduques si, en cas de référendum aboutissant à leur encontre, elles ne sont pas acceptées dans l’intervalle par le corps électoral. Les conditions mêmes auxquelles l’urgence peut être déclarée n’ont guère été discutées ni, surtout, disputées (BOACG, tome XIV, p. 7523 ; tome XVI, p. 8438 s. : tome XXI, p. 110162 ; tome XXV, p. 12859 s.).

f. Il n’est pas nécessaire de dire en l'espèce si et dans quelle mesure les exigences à poser au recours à la clause d'urgence sont moindres au regard de l'art. 70 Cst-GE qu'elles ne l’étaient au regard de l'art. 55 aCst-GE. Il ne fait pas de doute, en effet, qu’il était urgent de pouvoir appliquer la loi 12424 pour la fixation au 19 mai 2019 du scrutin portant sur les lois 12228 et 12404 modifiant la LCPEG, compte tenu des contraintes relevées ci-après de nécessité et d’importance d’une réforme de la CPEG ainsi que de temps, à telle enseigne que le recours à la clause d’urgence était conforme aux exigences posées par l’actuel art. 70 al. 1 Cst-GE comme il l’aurait été au regard de l’art. 55 aCst-GE.

En effet, il est impératif qu’une solution définitive soit arrêtée au plus tard le 5 juin 2019 pour garantir le financement à long terme de la CPEG et le cas échéant encore permettre au comité de cette dernière de revenir sur l’entrée en vigueur au 1er janvier 2020 déjà décidée du second volet des mesures structurelles adoptées. Il faut en effet tenir compte du temps nécessaire à la CPEG pour annoncer aux employeurs affiliés au moins six mois à l’avance un changement de régime substantiel, adopter les règlements internes nécessaires aux changements décidés, le cas échéant solliciter et obtenir l’autorisation de l’ASFIP de fonctionner en système de capitalisation partielle au-delà du 31 décembre 2019, et aussi permettre aux salariés le désirant suivant le nouveau système finalement adopté de prendre une retraite anticipée à temps selon le régime leur convenant le mieux. Il n’est au surplus pas imaginable que se succèdent à bref délai notamment des régimes de financement très différents d’une caisse de prévoyance professionnelle de l’importance de la CPEG, de même que des systèmes fondés sur des principes si différents de primauté soit de prestations soit de cotisations ; au-delà du 5 juin 2019, la situation devra être définitivement claire. Or, la solution dépend du sort qui sera donné aux lois 12228 et 12404 ; elle doit donc sortir des urnes dès lors que ces deux lois ont chacune fait l’objet d’un référendum, lancés début janvier 2019 et dont l’aboutissement apparaissait probable dans un délai permettant de fixer, même conditionnellement, le scrutin sur ces deux objets au plus tôt mais aussi au plus tard au 19 mai 2019. Cette date-ci était celle des prochaines votations fédérales utiles, avec lesquelles il y a lieu, dans la mesure du possible, de faire coïncider les votations cantonales (art. 19 al. 2 LEDP), celle du 10 février 2019 étant alors bien trop proche pour pouvoir être retenue. Il incombe au Conseil d’État de fixer la date des scrutins cantonaux au plus tard quinze semaines avant le dernier jour du scrutin (art. 19 al. 1 LEDP), à savoir, pour le 19 mai 2019, avant le 3 février 2019. Il fallait que la loi 12424 soit en vigueur, le 1er février 2019, lorsque le Conseil d’État entendait appliquer la question subsidiaire prévue par cette loi au scrutin portant sur les deux lois 12228 et 12404.

g. Il s’imposait dans ces conditions que la loi 12424, adoptée le 31 janvier 2019, soit munie de la clause d’urgence. Contrairement à ce que prétend le recourant, il n’y a nulle violation du droit dans le recours que le Grand Conseil a fait en l’espèce à la clause d’urgence.

L’urgence doit être admise sans qu’il soit nécessaire de s’appuyer à cet égard sur l’allégation qu’à défaut de recapitalisation à court terme de la CPEG (requérant l’adoption d’une loi), le comité de cette caisse de pension risquerait fort de devoir adopter de nouvelles mesures structurelles compte tenu de récentes projections liées à la baisse du taux de couverture des engagements de la CPEG et des taux d’intérêts à long terme.

12.         a. Comme le dit explicitement l’art. 70 al. 1 phr. 2 Cst-GE, une loi munie de la clause d’urgence entre en vigueur immédiatement. Son entrée en vigueur ne dépend pas même de la publication de son texte dans la FAO, qui intervient dans le plus bref délai après son adoption par le Grand Conseil, en même temps que celle de son arrêté de promulgation (art. 9 et 12 al. 3 de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels du 8 décembre 1956 - LFPP -B 2 05). Du fait de la publicité des séances du Grand Conseil (art. 53 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 - LRGC - B 1 01), au surplus diffusées en direct à la télévision (art. 45 al. 2 LRGC), il est satisfait aux exigences du principe de publicité des normes (art. 11 al. 2 phr. 1 Cst-GE ; ACST/9/2016 du 5 juillet 2016 consid. 2b in fine et références citées) pour l’intervalle de temps séparant l’adoption d’une loi avec la clause d’urgence et sa publication dans la FAO.

b. Les notions de promulgation et d’entrée en vigueur des lois ne se confondent pas (ACST/13/2017 du 3 août 2017 consid. 24b ; Thierry TANQUEREL, Manuel cité, n. 397 ss). La promulgation constate l’adoption de la loi selon le processus normatif prévu par l’ordre juridique, avec la particularité, pour une loi munie de la clause d’urgence, qu’elle est encore exposée à un référendum résolutoire. Sous la réserve de cas spécifiques fondés sur une règle de droit en vigueur dans lesquels un effet anticipé est attribué à des normes non encore formellement en vigueur (Thierry TANQUEREL, Manuel cité, n. 422 ss), seule une loi dûment adoptée peut déployer des effets juridiques. Mais elle peut entrer en vigueur avec un effet à un jour qui ne coïncide pas avec celui de sa promulgation, le plus souvent à un moment postérieur à cette dernière, comme lorsque le Conseil d’État est chargé d’en fixer la date d’entrée en vigueur (art. 14A LFPP), et plus exceptionnellement à une date antérieure, lorsqu’un effet rétroactif est admissible (infra consid. 13b) ou, précisément, lorsque la loi est munie de la clause d’urgence.

L’art. 14 al. 2 LFPP – selon lequel, en cas d’extrême urgence, un acte peut, par décision du Grand Conseil, être rendu exécutoire dès l’instant même de la publication de l’arrêté de promulgation – n’a pas été modifié depuis son adoption, le 8 décembre 1956, donc n’a pas été adapté à l’art. 70 al. 1 phr. 2 Cst-GE, tandis que la LRGC l’a été, par le biais de la loi 11583 du 4 juin 2015, dès le 28 août 2015 (ROLG 2015, p. 415 ss). Il n’a alors pas été fait de distinction entre des lois munies de la clause d’urgence et des lois auxquelles le Grand Conseil reconnaîtrait, par une décision (au demeurant pas même prise à une majorité qualifiée, contrairement à la clause d’urgence), un caractère d’extrême urgence. La portée de l’art. 70 al. 1 phr. 2 Cst-GE doit prévaloir : les lois déclarées urgentes « entrent en vigueur immédiatement ». Aussi cela prête-t-il à confusion et est-il inexact de dire, comme le fait l’arrêté de promulgation de la loi 12424, que cette dernière est promulguée « pour être exécutoire pour une année dans tout le canton dès le lendemain de la publication » de cet arrêté (cf. art. 70 al. 2 phr. 1 Cst-GE, qui fait mention d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur d’une loi munie de la clause d’urgence).

c. La loi 12424 était en vigueur lorsque le Conseil d’État en a fait application, le 1er février 2019, en prenant l’arrêté attaqué fixant au dimanche 19 mai 2019 la date et les objets de la votation populaire portant notamment sur les lois 12228 et 12404 et la question subsidiaire. Le Conseil d’État n’a pas fait une application anticipée de la loi litigieuse.

d. Compte tenu du grief au demeurant difficilement compréhensible que soulève le recourant concernant la durée pour laquelle le Conseil d’État a promulgué la loi 12424, il sied encore de préciser qu’une loi munie de la clause d’urgence est promulguée (et, par-là, publiée) une première fois, dès son adoption, avec l’effet d’ouvrir le délai référendaire à son encontre, puis, le cas échéant, une seconde fois à défaut de référendum ou d’aboutissement d’un référendum ou en cas d’acceptation de la loi en votation référendaire durant l’année à compter de son entrée en vigueur, cas dans lesquels elle reste en vigueur au-delà de ladite année. En cas de refus de la loi en votation référendaire, la loi devient caduque à l’échéance dudit délai d’une année.

13.         a. Le recourant paraît soutenir que l’application de la loi 12424 au vote référendaire portant sur les lois 12228 et 12404 contrevient à l’interdiction de la rétroactivité des lois, dès lors qu’elle reviendrait à soumettre ces dernières à un régime référendaire différent de celui qui prévalait lors de leur adoption.

b. En règle générale, la loi applicable est celle qui est en vigueur au moment où les faits pertinents doivent être régis (ATF 140 II 134 consid. 4.2.4). Le principe est celui de l’interdiction de la rétroactivité des lois. Une norme a un effet rétroactif lorsqu'elle s'applique à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 119 Ia 254 consid. 3 ; 116 Ia 207 consid. 4a ; ACST/16/2015 du 2 septembre 2015 consid. 16b ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 7c ; ATA/210/2016 du 8 mars 2016 consid. 10c).

Il ne peut en principe être adopté de normes qui déploieraient des effets juridiques à des faits entièrement révolus avant leur entrée en vigueur (arrêt du Tribunal fédéral 1D_3/2016 du 27 avril 2017 consid. 4.1), ceci pour des motifs de sécurité et de prévisibilité du droit, immanents aux principes de la légalité, de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire découlant des art. 5 al. 3 et 9 Cst. (cf., en droit privé, art. 1 Tit. fin. du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210 ; ATF 138 I 189 consid. 3.4 ; 133 III 105 consid. 2.1.1 ; 125 I 182 consid. 2b.cc ; 122 II 124 consid. 3b.dd ; 119 Ia 257 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_806/2012 du 12 juillet 2013 consid. 8.2 non publié in ATF 139 I 229 ; 5A_690/2011 du 10 janvier 2012 consid. 3.2 ; Jacques DUBEY / Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 137 n. 383 ; Georg MÜLLER, in Jean-François AUBERT et al. [éd.], Commentaire de la Constitution Fédérale de la Confédération Suisse du 29 mai 1874, 1996, n. 74 ad art. 4 aCst.). Si la rétroactivité d’une norme de droit matériel est directement contraire au principe de la sécurité et de la prévisibilité du droit, c’est parce qu’au moment où les faits pertinents se sont passés, les intéressés ne pouvaient connaître les conséquences qu’ils auraient (ATF 122 V 405 consid. 3b.aa ; 119 Ia 258 consid. 3b ; 119 V 4 consid. 2a ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / René WIEDERKHER / Paul RICHLI, Praxis des allgemeinen Verwaltungsrechts, 2012, p. 283 n. 844 ; Georg MÜLLER, op. cit., n. 74 ad art. 4 aCst. ; Vincent MARTENET, op. cit., p. 198 ; dans le domaine fiscal, cf. ACST/13/2017 du 3 août 2017 consid. 22a et jurisprudence citée).

Il ne peut être dérogé qu’exceptionnellement au principe de la non-rétroactivité des normes, à des conditions cumulatives rigoureuses, et ce également en cas de rétroactivité en faveur des administrés ou citoyens. Une rétroactivité n’est possible que s'il existe un intérêt public important. Elle doit être expressément prévue par une loi et raisonnablement limitée dans le temps. Elle ne doit pas engendrer d'inégalités choquantes et elle ne doit pas porter atteinte à des droits acquis (ATF 125 I 182 consid. 2b.cc ; 122 V 405 consid. 3b.aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; ACST/17/2015 précité consid. 23 ; ACST/1/2015 précité consid. 7).

c. Il n'y a pas de rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend réglementer un état de chose qui, bien qu'ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l'entrée en vigueur du nouveau droit. Autrement dit, il n’y a pas rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend régler, de façon nouvelle pour l’avenir, un état de fait qui a pris naissance dans le passé et perdure au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit ; ce dernier attache des conséquences juridiques à des faits ayant pu se produire antérieurement, mais uniquement pour la période future et en tant que leur survenance passée a créé une situation qui continue à déployer ses effets. Cette rétroactivité improprement dite, n’ayant en réalité que l’apparence d’une rétroactivité, est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (ATF 140 V 154 consid. 6.3.2 ; 138 I 189 consid. 3.4 ; 122 II 113 consid. 3b ; arrêts du Tribunal fédéral 1D_3/2016 précité consid. 4.1 ; 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; ACST/1/2017 du 27 janvier 2017 consid. 7).

d. Il sied de préciser que la portée de ces règles ne se trouve nullement modifiée, dans le canton de Genève, par la loi sur les effets et l'application des lois du 14 ventôse XI (A 2 10), qui pose dans son unique article que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu'elle n’a point d’effet rétroactif.

14.         a À l’égard des lois 12228 et 12404, la loi 12424 n’avait de portée que pour l’organisation du scrutin populaire qu’il y aurait lieu de fixer en prévision de l’aboutissement des référendums lancés contre chacune d’elles, et non pour la publication de ces dernières ni, partant, leur exposition à un type déterminé de référendum.

Ces deux lois étaient et restaient, nonobstant l’adoption de la loi 12424, exposées au référendum facultatif ordinaire (art. 67 al. 1 Cst-GE). Il revenait au Conseil d’État – ainsi qu’il l’a fait – de les publier sans retard dans la FAO (art. 8 LFPP), avec les précisions utiles sur le nombre de signatures à recueillir à l’appui de demandes de référendum et sur l’échéance du délai référendaire. Le Conseil d’État n’était nullement tenu – ni en mesure eu égard aux contraintes temporelles déjà évoquées (supra consid. 11f) – de différer de publier la loi 12228 dans le but de la représenter au Grand Conseil en application de l’art. 109 al. 5 Cst-GE (supra consid. 8e).

b. La situation n’est pas comparable à celle dans laquelle la chambre constitutionnelle a retenu une violation du principe de l’interdiction de la rétroactivité des lois, à savoir dans le cas d’une loi (la loi 11473 du 27 juin 2014) par laquelle le Grand Conseil avait décrété que la loi 10697 sur le transport professionnel de personnes qu’il avait adoptée le 27 mars 2014 était soumise intégralement au référendum facultatif facilité en dépit du fait qu’il s’agissait d’une loi mixte, comportant pour l’essentiel des dispositions exposées au référendum facultatif ordinaire mais aussi une, voire deux dispositions exposées quant à elles au référendum facultatif facilité, et ce en déclarant déroger à l’art. 85 al. 2 LEDP alors en vigueur, qui interdisait les lois mixtes, autrement dit imposait leur scission (ACST/1/2015 du 23 janvier 2015). La loi 11473 modifiait en effet rétroactivement le régime référendaire applicable à la loi 10697 : au lieu d’être scindée en deux lois distinctes, devant être exposées l’une, rassemblant l’essentiel des dispositions considérées, au référendum facultatif ordinaire (dont la demande devait recueillir le soutien d’à l’époque au moins 3 % des titulaires des droits politiques) et l’autre, ne contenant qu’une voire deux dispositions de nature fiscale, au référendum facultatif facilité (pouvant être demandé par 500 titulaires des droits politiques), ladite loi aurait été, par l’effet d’une loi postérieure à son adoption, soumise intégralement au référendum facultatif facilité. La loi 12424 n’a nullement un effet semblable ou comparable pour les lois 12228 et 12404.

La loi 12424 donne une assise légale à une modalité d’exercice du droit de vote et de détermination des résultats du vote dans des situations postérieures à son adoption (supra consid. 10). Tant l’exercice du vote que la détermination des résultats du vote sont postérieurs à son adoption pour les lois 12228 et 12404, quand bien même celles-ci étaient alors déjà adoptées. Il n’y avait alors pas encore eu aboutissement des référendums lancés à leur encontre, ni même dépôt au SVE des listes de signatures déjà recueillies à l’appui de ces demandes de référendums. Seules les prémisses potentielles d’une telle situation préexistaient, et il s’agissait de déterminer comment, en cas d’aboutissement des deux référendums, les électeurs devraient être appelés à se prononcer le moment venu sur ces deux lois d’une façon respectant pleinement leur liberté de vote et permettant en particulier de déterminer une issue de ladite votation référendaire qui soit l’expression fidèle et sûre de la volonté populaire. Le matériel de vote n’était pas encore distribué aux électeurs, et il ne l’est toujours pas à ce jour, et la campagne de votation n’a pas encore débuté, si bien qu’aucun effet rétroactif ne saurait être vu dans cette situation.

c. Au demeurant, il ne s’agirait jamais que d’un effet rétroactif improprement dit, qui n’engendrerait aucune atteinte à des droits acquis.

Personne ne saurait prétendre qu’un droit lui a été reconnu, par des normes constitutionnelles ou légales ou par des assurances données, de tirer on ne sait quel bénéfice d’une situation de blocage, née dans un contexte inédit, telle qu’elle se produirait en cas d’acceptation simultanée des deux lois considérées.

De l’art. 230 Cst-GE, aux termes duquel l’ancien droit s’applique aux demandes de référendum portant sur les actes adoptés avant l’entrée en vigueur de la Cst-GE, ne saurait se déduire qu’une question subsidiaire ne peut être prévue dans la situation très spécifique que l’adoption coup sur coup des lois 12228 et 12404 a créée, en marge des prévisions imaginées par le constituant.

Dès l’adoption de ces deux lois, le Conseil d’État a déclaré qu’il assurerait le respect des droits politiques. Si, lors d’une conférence de presse du 17 décembre 2018, son président avait apparemment exclu que les deux lois considérées pourraient être départagées par une question subsidiaire, il n’en avait pas moins indiqué que les services juridiques de l’État cherchaient à résoudre le problème posé par l’adoption de ces deux lois contradictoires, et assuré que le Conseil d’État ne tenterait pas de privilégier la loi 12404 plutôt que la loi 12228. Par un communiqué de presse du 21 décembre 2018, conjointement à la publication de ces deux lois, le Conseil d’État a annoncé qu’en cas de référendum lancé contre chacune d’elles il déposerait un projet de loi assorti de la clause d’urgence pour introduire dans la LEDP le mécanisme de la question subsidiaire permettant au peuple, en cas d’acceptation de deux lois incompatibles l’une avec l’autre, de marquer sa préférence pour l’une ou l’autre d’entre elles.

15.         a. En conclusion, il n’y avait pas de contre-indication juridique à l’application, par le biais de l’arrêté attaqué du 1er février 2019, de la loi 12424 au scrutin populaire concernant les lois 12228 et 12404.

b. Il sied de préciser que les conditions d’application posées par la loi litigieuse se trouvent réunies dans le cas de ces deux lois adoptées à une heure et huit minutes d’intervalle, lors d’une même session parlementaire, volontairement sans que l’une (en particulier la seconde) n’abroge l’autre, et qui sont toutes deux frappées d’un référendum ayant abouti et sont soumises à votation lors de la même opération électorale.

En complément à ce qui a déjà été dit à ce propos (supra consid. 6b), il y a lieu de retenir que ces deux lois ne peuvent coexister ; elles ont des contenus incompatibles. La loi 12228 maintient le système de primauté des prestations, ne touche en rien aux prestations de la CPEG en faveur de ses assurés et laisse subsister la répartition actuelle des cotisations entre les salariés à concurrence de et l'employeur à concurrence de , tandis que la loi 12404 prévoit le passage en primauté des cotisations, une baisse maximale de 5 % des prestations et une répartition de la charge de cotisations, maintenue en moyenne à 27 %, à raison d’en moyenne 42 % pour les salariés et 58 % pour l’employeur.

Quant à l’établissement d’une version consolidée des deux lois, il ne serait pas possible sans l’adoption d’une nouvelle loi qui arbitrerait les choix opérés par le corps électoral, et ces choix seraient difficiles à définir dès lors que les suffrages exprimés par les électeurs portent sur l’ensemble de chacun des deux objets soumis au vote, et non distinctement sur les différents aspects de ces objets. En cas de double acceptation des lois 12228 et 12404, il ne pourrait être retenu, par exemple et notamment, que le peuple aurait choisi le système de la primauté des cotisations, quand bien même la loi 12228 ne prévoit certes pas explicitement celui de la primauté des prestations mais ne modifie pas la LCPEG sur ce point, et ce d’autant plus que les partisans de la loi 12228 défendent le maintien de ce régime-ci. L’adoption même d’une nouvelle loi ne peut non plus être tenue pour un acquis, avec ou sans clause d’urgence, pas davantage qu’aucun référendum ne serait lancé et n’aboutirait contre une nouvelle loi, que celle-ci soit une loi de compromis ou une loi abrogeant celle des deux lois qui, lors dudit scrutin populaire, aurait obtenu le moins de suffrages.

Il n’y a par ailleurs pas de doute que – par le jeu de votes combinant différemment les oui, les non et les abstentions, donnant des majorités différentes –, le Grand Conseil a sciemment adopté ces deux lois, dans la perspective que le corps électoral tranche (même s’il ne savait alors pas comment les deux lois seraient départagées devant le peuple), et, en particulier, qu’il n’a pas voulu que l’une de ces deux lois abroge l’autre, en particulier que la loi 12404 adoptée une heure et huit minutes après la loi 12228 soit considérée comme abrogeant cette dernière, fût-ce implicitement.

c. Enfin, il était loisible au Conseil d’État de fixer la date du scrutin considéré, portant aussi sur les lois 12228 et 12404, alors qu’il n’était pas encore établi que les référendums lancés contre ces lois aboutiraient, donc sous la réserve de leur aboutissement. Telle est aussi la pratique du Conseil fédéral pour les votations fédérales ; il a par exemple inscrit au programme de ce même scrutin populaire du 19 mai 2019 le vote sur la loi fédérale du 28 septembre 2018 relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS, en date du 28 septembre 2018 déjà mais encore le 16 janvier 2019, alors qu’il n’a pu constater l’aboutissement du référendum lancé contre cette loi fédérale que le 4 février 2019.

Preuve en est qu’il est possible de retirer une initiative encore dans les trente jours suivant la publication de la décision définitive du Grand Conseil sur sa prise en considération et le cas échéant l’adoption d’un contreprojet (art. 93 al. 1 LEDP), soit alors que la votation sur ces objets peut déjà avoir été fixée depuis plusieurs semaines, au moins quinze semaines avant le dernier jour du scrutin, s’agissant de la date mais aussi, en principe, des objets du scrutin (art. 19 al. 1 LEDP).

Le procédé était en l’espèce d’autant plus admissible dans le contexte temporel d’urgence déjà évoqué (supra consid. 10f).

d. Les griefs que le recourant émet à l’encontre de l’arrêté litigieux sont mal fondés, y compris celui qu’il n’y aurait pas lieu de soumettre la loi 12228 au vote référendaire du 19 mai 2019, ni, partant, de prévoir la question subsidiaire.

16.         a Les deux recours doivent donc être rejetés.

b. Tel devrait au demeurant être l’issue à donner au recours A/499/2019 pour le cas où, contrairement à ce que la chambre constitutionnelle retient, la loi 12424 présenterait des carences affectant sa validité ou son applicabilité en l’espèce. En effet, dans cette hypothèse, eu égard à la spécificité et l’exceptionnalité de la situation créée par l’adoption des deux lois considérées réformant l’une et l’autre la CPEG de façon contradictoire dans un contexte temporel commandant qu’une solution à l’imbroglio créé soit trouvée, il serait justifié d’admettre que le Conseil d’État détenait la compétence d’introduire la question subsidiaire, pour le scrutin devant avoir lieu le 19 mai 2019 sur ces deux lois, par le biais de son arrêté contesté (supra consid. 10g).

17.         En dépit de l'issue donnée aux recours A/499/2019 et A/958/2019 (art. 87 al. 1 et 2 LPA), il ne sera pas mis d’émolument à la charge du recourant, dès lors qu’il a obtenu l’assistance juridique, du moins dans la cause A/499/2019. Il ne lui sera pas alloué d’indemnité de procédure.

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

préalablement :

joint les causes A/499/2019 et A/958/2019 en une même procédure, sous le numéro de cause A/499/2019 ;

à la forme :

déclare recevable le recours A/499/2019 interjeté le 7 février 2019 par Monsieur A______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 1er février 2019 fixant au dimanche 19 mai 2019 la date et, au titre des objets d’une votation cantonale, les lois 12228 et 12404 modifiant l’une et l’autre la loi instituant la Caisse de prévoyance de l'État de Genève du 14 septembre 2012 et une question subsidiaire visant à départager lesdites lois en cas de double acceptation ;

déclare recevable le recours A/958/2019 interjeté le 11 mars 2019 par Monsieur A______ contre la loi 12424 modifiant la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 ;

au fond :

les rejette ;

dit qu’il n’est pas mis d’émolument à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, au Grand Conseil et au Conseil d’État.

Siégeant : M. Verniory, président, Mme Cramer, MM. Pagan et Martin, et Mme Tapponnier, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

 

 

I. Semuhire

 

le président siégeant :

 

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :