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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3924/2016

ACST/13/2017 du 03.08.2017 ( ABST ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 31.08.2017, rendu le 06.02.2018, REJETE, 2C_735/2017
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3924/2016-ABST ACST/13/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 3 août 2017

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

GRAND CONSEIL



EN FAIT

1) a. Madame A______, ressortissante suisse née en 1985, domiciliée en Haute-Savoie, dans une localité située à un peu plus de 30 km de Genève à vol d'oiseau, travaille à Genève et fait quotidiennement les déplacements de son domicile à son lieu de travail en voiture privée, parcourant environ 80 km aller-retour. Aucun moyen de transports publics ne relie directement son domicile à son lieu de travail.

b. Ayant opté pour le statut de quasi-résidente, – soit le statut de travailleur frontalier imposé à la source et percevant en Suisse plus de 90 % de ses revenus qui, au plus tard le 31 mars de l’année suivant l’année fiscale concernée, demande de bénéficier de la possibilité de porter en déduction de ses revenus les mêmes déductions que celles des contribuables domiciliés en Suisse imposés selon la procédure ordinaire –, elle remplit chaque année une déclaration d'impôts à Genève. À ce titre, elle a pu déduire lors des exercices fiscaux 2013, 2014 et 2015 les montants respectifs de CHF 9'038.-, 10'364.- et 8'127.- de son revenu, à titre de frais de déplacement. Pour la période fiscale 2016, elle a utilisé son véhicule privé, de son domicile à son lieu de travail, du 1er janvier 2016 au 20 avril 2016, ayant pris un congé-maternité du 21 avril au 31 décembre 2016.

2) Le 6 septembre 2010, l’Association transports et environnement (ci-après : ATE) a déposé une initiative populaire fédérale (ci-après : initiative) intitulée « Pour les transports publics ».

Lancée le 17 mars 2009, l’initiative visait l’introduction d’un nouvel art. 81a dans la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) prévoyant que la Confédération et les cantons encouragent dans toutes les régions du pays les transports publics sur le rail, la route et les eaux et le transfert du trafic des marchandises de la route au rail. Le financement devait être assuré par la moitié du produit net de l’impôt à la consommation sur les huiles minérales.

3) a. Le 18 janvier 2012, le Conseil fédéral a proposé aux chambres fédérales le rejet de l’initiative et leur a soumis un contre-projet direct proposant un nouveau système de financement des transports publics par un fonds d’infrastructure ferroviaire (ci-après : FIF) et un projet de loi sur les infrastructures ferroviaires devant régir les modalités de ce financement.

Le contre-projet prévoyait comme instruments de financement notamment des recettes supplémentaires de l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) provenant d’un plafonnement de la déduction des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail et une nouvelle solution de financement redéfinissant la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons. La loi proposée devait entrer en vigueur en même temps que la modification constitutionnelle envisagée.

b. L’initiative a été retirée le 1er juillet 2013.

4) Le 21 juin 2013, les chambres fédérales ont adopté la loi fédérale sur le financement et l'aménagement de l'infrastructure ferroviaire (Loi sur les infrastructures ferroviaires - LFIF - RS 742.140), publiée dans le recueil officiel des lois fédérales, le 3 mars 2015 (RO 2015 651).

Cette novelle incluait des modifications de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), en particulier de nouvelles teneurs pour les art. 26 al. 1 let. a LIFD et 9 al. 1 LHID.

Selon la première de ces dispositions, les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail étaient désormais déductibles jusqu’à concurrence de CHF 3'000.- pour l'IFD ; et selon la seconde, les cantons pouvaient fixer un montant maximal pour lesdits frais de déplacement en matière d'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC).

5) Le 9 février 2014, le peuple et les cantons ont accepté le contre-projet proposé par le Conseil fédéral à l’initiative susmentionnée (arrêté fédéral du 20 juin 2013 portant règlement du financement et de l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire ; ci-après l'arrêté fédéral, introduisant notamment un nouvel art. 87a Cst.).

La Confédération et les cantons veillaient à proposer dans toutes les régions du pays une offre suffisante de transports publics par rail, route, voie navigable et installations à câbles. La Confédération prenait à sa charge la part principale du financement de l'infrastructure ferroviaire assuré par le FIF alimenté notamment par 2.0 % des recettes résultant de l'IFD perçu sur le revenu des personnes physiques. Les cantons participaient de manière appropriée à ce financement.

6) Par arrêté du 2 juin 2014, le Conseil fédéral a fixé (conditionnellement) la date d'entrée en vigueur de l'arrêté fédéral, et par contrecoup celle des nouvelles teneurs des art. 26 LIFD et 9 LHID, au 1er janvier 2016 (FF 2014 3953).

7) a. Le 17 juin 2015, le Conseil d'État a déposé au Grand Conseil un projet de loi (PL 11685) modifiant la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) ayant la teneur suivante :

« Art. 1Modifications

La loi sur l'imposition des personnes physiques, du 27 septembre 2009, est modifiée comme suit :

Art. 29 (nouvelle teneur)

1Sont déduits du revenu :

a) les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail jusqu'à concurrence de CHF 500.- ;

b) les frais supplémentaires résultant des repas pris hors du domicile et du travail par équipe ;

c) les autres frais indispensables à l'exercice de la profession ;

d) les frais de perfectionnement et de reconversion professionnels en rapport avec l'activité exercée.

2La totalité des frais professionnels mentionnés aux lettres a à c est fixée forfaitairement à 3 % du revenu de chaque contribuable, correspondant au revenu brut après les déductions prévues à l’article 31, lettres a et b (avant déduction des rachats), à concurrence d'un montant minimum de CHF 600.- et d'un maximum de CHF 1'700.-. La justification de frais effectifs plus élevés demeure réservée.

Art. 67, al. 2 (nouvelle teneur)

2Tous les quatre ans, le Conseil d’État adapte, en fonction de l’évolution de l’indice de renchérissement pour la période fiscale considérée, les montants en francs prévus aux articles 27, lettre m, 29, alinéa 1, lettre a, 29, alinéa 2, 31, lettre d, 35, 36, 36A, 39, 40, 47, lettre h, et 58.

Art. 72, al. 9 et 10 (nouveaux)

9La première adaptation au renchérissement, selon l'article 67, alinéa 2, du montant prévu à l'article 29, alinéa 1, lettre a, a lieu pour la période fiscale 2017. L'indice de renchérissement pour l'année de référence est celui pour l'année 2016.

10L'adaptation au renchérissement, selon l'article 67, alinéa 2, des montants prévus à l'article 29, alinéa 2, est effectuée conformément aux alinéas 4 et 5.

Art. 2 Entrée en vigueur

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2016 ».

b. Auparavant, l'art. 29 LIPP ne comportait qu'un seul alinéa et était libellé comme suit : « Sont déduits du revenu : a) les frais professionnels, soit notamment les frais de déplacement, les frais supplémentaires résultant des repas pris hors du domicile, les frais de vêtements spéciaux, fixés forfaitairement à 3 % du revenu de chaque contribuable, correspondant au revenu brut après les déductions prévues à l’article 31, lettres a et b (avant déduction des rachats), à concurrence d'un montant minimum de CHF 600.- et d'un maximum de CHF 1'700.-. La justification de frais effectifs plus élevés demeure réservée ; b) les frais de perfectionnement et de reconversion professionnels en rapport avec l'activité exercée ».

c. D’après l'exposé des motifs, la déduction fiscale proposée visait à harmoniser le droit genevois à la modification législative introduite dans le droit fédéral qui permettait désormais aux cantons de fixer un montant maximal de frais de déplacement déductibles pour l’ICC. La limite de CHF 3'000.- pour l'IFD était élevée compte tenu des objectifs genevois de la politique en matière de mobilité. Le plafond de la déduction pour frais de déplacement au niveau cantonal était dès lors fixé à CHF 500.-, correspondant au tarif des Transports publics genevois (ci-après : TPG) pour un abonnement annuel Tout Genève au tarif adulte. Ce montant permettait d’assurer l’égalité de traitement entre les contribuables qui se déplaçaient en voiture et ceux qui utilisaient les transports publics et présentait l’avantage d’unifier la limite de déduction admise pour les transports publics et les transports individuels.

Le choix du plafond de CHF 500.- s’inscrivait dans le cadre de la politique cantonale en matière de mobilité, qui s’appuyait sur le développement des transports publics, en complémentarité avec les transports individuels motorisés, afin de répondre à l’augmentation globale des déplacements prévue dans les années à venir. Avec l’encouragement à la mobilité douce, le renforcement de la fréquentation des transports publics représentait un élément central pour faire face à cette évolution. Le plafonnement de la déduction pour frais de déplacement à hauteur du coût de l’abonnement annuel TPG constituait en ce sens un signe incitatif concret. Au vu de l’exiguïté du territoire cantonal, cette limitation concernerait 15 % des contribuables domiciliés à Genève (38'235 contribuables impactés sur un total de 254'411, soit 15.03 %). L'impact serait en revanche plus significatif pour les contribuables non domiciliés dans le canton de Genève (7'171 contribuables impactés sur un total de 16’275, soit 44.06 %), en particulier pour les travailleurs frontaliers quasi-résidents, dont 6'209 seraient « impactés » sur un total de 6'775, soit 91.65 % d'entre eux). L'impact de la modification législative était évaluée, et devait rapporter à l'État de Genève la somme de CHF 15'340'000.- pour les contribuables résidents, et de CHF 11'980'000.- pour les contribuables non-résidents.

Le contribuable intéressé avait le choix d’être imposé soit selon un système de frais forfaitaires, soit sur ses frais effectifs. En choisissant les frais forfaitaires, ses frais professionnels étaient fixés à 3 % de son revenu, les frais de perfectionnement et de reconversion professionnels justifiés étant déduits séparément. La déduction forfaitaire s'élevait au minimum à CHF 600.- et au maximum à CHF 1'700.-. En choisissant une imposition sur ses frais effectifs, seuls les frais professionnels justifiés étaient déduits. Les frais de déplacement justifiés étaient désormais limités à CHF 500.-.

L'entrée en vigueur de la loi était prévue au 1er janvier 2016, soit en même temps que les modifications de la LIFD et de la LHID, en vue d'une bonne coordination avec l'IFD.

8) La commission parlementaire chargée d'étudier le PL 11685 a déposé le 3 novembre 2015 son rapport, composé en l'occurrence d'un rapport de majorité et d'un rapport de minorité.

Selon le rapport de majorité, le projet s'inscrivait dans le cadre des propositions du Conseil d'État pour le budget 2016. La majorité de la commission avait refusé un amendement visant à augmenter le plafond de déduction à CHF 6'000.-, mais avait accepté un second amendement visant à augmenter ce plafond à CHF 3'655.-. D’après les indications du conseiller d'État en charge des finances à la commission, le délai d'adaptation était fixé au 1er janvier 2016 pour les cantons. L'art. 2 souligné concernant la date d'entrée en vigueur à la date précitée a été adopté sans discussion particulière.

D’après un commissaire de la majorité, lors des débats de la commission, l’égalité en matière fiscale consistait en une déduction prenant en compte les frais effectifs du contribuable. La pratique inverse créait une inégalité fiscale, même si le but était celui d’inciter le contribuable à adopter un certain comportement. Pour lui, l’égalité entre contribuables dépendait aussi de l’accessibilité aux transports publics. Cette opinion n’a pas été retenue par la majorité de la commission.

Le rapport de minorité invitait les députés à refuser le PL 11685 « tel qu'issu de la commission fiscale ».

9) Lors de la séance plénière du Grand Conseil du 15 décembre 2015, un amendement visant à fixer le plafond au niveau prévu par le projet initial, soit CHF 500.-, a été adopté en deuxième débat par 59 oui contre 33 non ; l'art. 2 souligné a été adopté sans discussions et sans opposition.

Le texte de la loi finalement votée le 17 décembre 2015 était le suivant :

« Art. 1Modifications

La loi sur l'imposition des personnes physiques, du 27 septembre 2009, est modifiée comme suit :

Art. 29, al. 1, lettre a (nouvelle teneur)

1Sont déduits du revenu :

a) les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail jusqu'à concurrence de CHF 500.- ;

Art. 67, al. 2 (nouvelle teneur)

2Tous les quatre ans, le Conseil d’État adapte, en fonction de l’évolution de l’indice de renchérissement pour la période fiscale considérée, les montants en francs prévus aux articles 27, lettre m, 29, alinéa 1, lettre a, 29, alinéa 2, 31, lettre d, 35, 36, 36A, 39, 40, 47, lettre h, et 58.

Art. 72, al. 11 (nouveau)

Modification du 17 décembre 2015

9La première adaptation au renchérissement, selon l'article 67, alinéa 2, du montant prévu à l'article 29, alinéa 1, lettre a, a lieu pour la période fiscale 2017. L'indice de renchérissement pour l'année de référence est celui pour l'année 2016.

Art. 2 Entrée en vigueur

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2016 ».

10) Le texte de la loi 11685 a été publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 15 janvier 2016.

Selon l’arrêté du Conseil d’État du 13 janvier 2016, publié le 15 janvier 2016, la loi devait être publiée dans la FAO et était soumise au référendum facultatif. Le nombre de signatures exigé était de cinq cents. Le délai référendaire expirait le 24 février 2016.

11) Deux partis politiques ont déposé des signatures à l'appui de la demande de référendum, respectivement les 23 et 24 février 2016.

12) Par arrêté du 27 avril 2016, publié dans la FAO du 29 avril 2016, le Conseil d'État a constaté l'aboutissement du référendum.

13) La votation populaire concernant la loi 11685 s'est tenue le 25 septembre 2016.

14) Par arrêté du 28 septembre 2016, publié dans la FAO du 30 septembre 2016, le Conseil d'État a constaté les résultats de la votation. L'objet était accepté par 63'796 oui contre 46'844 non (soit 57.66 % de oui).

15) Par arrêté du 12 octobre 2016, publié dans la FAO du 14 octobre 2016, le Conseil d'État a validé le résultat des opérations électorales du 25 septembre 2016.

16) Par arrêté du 19 octobre 2016, publié dans la FAO du 21 octobre 2016, le Conseil d'État a promulgué la loi 11685 « pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication du présent arrêté, avec effet au 1er janvier 2016. ».

17) Par acte posté le 16 novembre 2016, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la loi 11685, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours, et principalement à l'annulation de la loi attaquée et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Avant l’entrée en vigueur de la loi attaquée, les frais de déplacement des quasi-résidents se calculaient suivant le nombre de kilomètres parcourus sur une période de deux cent quarante jours par an à raison de CHF 0.70 le kilomètre. La loi attaquée imposait un plafond déductible de CHF 500.-.

Elle était contraire à l'Accord entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999 (ALCP - RS 0.142.112.681).

Elle créait une discrimination indirecte à l'égard des quasi-résidents qui avaient pourtant une situation différente de celle des contribuables résidents à Genève. Elle s’appliquait de manière indistincte à ces deux catégories de contribuables. S’il était possible d’exiger d’un résident à Genève d’utiliser les transports publics, il n’en était pas de même pour un quasi-résident qui habitait une région n’ayant pas un important réseau de transports publics. Les frais réels de déplacement d’un quasi-résident étaient supérieurs à ceux d’un résident à Genève.

La loi attaquée constituait également une entrave à la libre circulation des personnes. La déduction des frais réels de déplacement des quasi-résidents conditionnait leur accès au marché du travail en Suisse. La loi attaquée était susceptible de les dissuader à venir travailler à Genève ou à continuer d'y travailler. Elle pouvait également obliger les travailleurs suisses résidant en France de revenir s’établir à Genève.

La loi 11685 était également contraire au droit suisse.

Elle violait le principe de la non-rétroactivité des lois. Elle n’était pas raisonnablement limitée dans le temps, neuf mois et demi s’étant écoulés entre sa publication en janvier 2016 et son entrée en vigueur en octobre 2016. L’intérêt financier de l’État de Genève ne permettait pas de mettre en échec le principe de la non-rétroactivité des lois. L’effet incitatif de la loi consistant à faire changer les habitudes de mobilité des contribuables non plus, les personnes concernées ne pouvant pas changer de comportement a posteriori.

Elle violait également les principes d'égalité de traitement et d'imposition selon la capacité contributive. La déduction de CHF 500.- s’appliquait indistinctement aux contribuables résidant à Genève et à ceux domiciliés à l’extérieur de la Suisse. Le montant retenu correspondait à une déduction de frais réels de déplacement des contribuables résidant à Genève dont l’abonnement annuel coûtait CHF 500.-. En revanche, il pénalisait les quasi-résidents qui devaient, avant d’arriver à Genève, parcourir de nombreux kilomètres avec leur véhicule privé. Le montant maximal déductible fixé par la loi attaquée ne tenait pas compte de ces situations différentes. Par ailleurs, un quasi-résident avait, pour un même revenu, des frais de déplacement élevés par rapport à ceux d’un résident genevois. Sa capacité contributive était ainsi moindre. Un grand nombre de quasi-résidents était concerné.

Par ailleurs, aucune interprétation conforme au droit supérieur ne pouvait être donnée à la loi attaquée. Il existait une contradiction entre son interprétation littérale et celle historique.

18) Le 14 décembre 2016, le Grand Conseil a conclu au rejet de la demande de restitution (recte : d'octroi) de l'effet suspensif au recours.

19) Par décision du 27 janvier 2017 (ACST/1/2017), la présidence de la chambre constitutionnelle a octroyé l’effet suspensif au recours.

20) Le 2 février 2017, le Grand Conseil a conclu au rejet du recours.

L’harmonisation fiscale en matière d’impôts directs prévue par la Constitution fédérale visait un ajustement réciproque des impôts directs de la Confédération et des cantons, une plus grande transparence du système fiscal et une simplification de la taxation, en particulier dans l’intérêt des contribuables. Celle-là ménageait aussi l’autonomie des cantons. Elle tendait à une coordination des systèmes et non à une uniformisation. La LIHD désignait les impôts directs à prélever par les cantons et fixait les principes selon lesquels la législation cantonale les établissait. Avant son entrée en vigueur le 1er janvier 2016, elle ne donnait pas aux cantons la possibilité de fixer un montant à déduire du revenu des contribuables au titre de frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail. La LIFD avait fixé ce montant à CHF 3'000.- pour l’IFD, dès le 1er janvier 2016.

La loi 11685 faisait usage de la possibilité donnée aux cantons de limiter, pour l’ICC, le plafond des frais de déplacement déductibles du revenu imposable. Le montant de CHF 500.- s’inscrivait dans le cadre de la politique cantonale en matière de mobilité et permettait de générer des recettes fiscales supplémentaires préservant l’équilibre des finances publiques cantonales dans un contexte financier difficile.

Le but d’incitation à utiliser les TPG relevait de raisons impérieuses d’intérêt général. Il justifiait la mise en place d’un impôt d’orientation. La loi en cause visait également un but financier permettant un rétablissement de l’équilibre budgétaire de l’État.

La loi 11685 s’appliquait sans distinction pour tous les contribuables résidents ou quasi-résidents imposés dans le canton de Genève. Les quasi-résidents représentaient un sous-groupe de frontaliers. Ceux qui étaient touchés par la mesure étaient peu nombreux.

La limite de CHF 500.- fixée par la loi n’était pas une entrave à la libre circulation des personnes. Elle ne créait aucune difficulté d’accès au marché du travail qui restait ouvert aux frontaliers. Elle n’était pas constitutive d’une discrimination directe ou indirecte à l’encontre des quasi-résidents. Elle répondait à des mesures d’intérêt général et était propre à garantir la réalisation des objectifs poursuivis. Elle respectait le principe de la proportionnalité.

La loi en cause, adoptée le 17 décembre 2015, fixant son entrée en vigueur le 1er janvier 2016, le délai référendaire courant jusqu’au 24 février 2016, elle déployait ses effets juridiques sur toute la période fiscale 2016. Elle n’instaurait pas un nouvel objet d’imposition, mais portait uniquement sur l’étendue de celle-ci. La base de calcul demeurait identique, seules certaines déductions qui étaient possibles sous l’ancien droit se trouvaient limitées.

Elle n’établissait pas une rétroactivité proprement dite, mais une rétroactivité improprement dite qui était admissible, dont elle constituait la base légale formelle. Les intérêts publics de développement des TPG et de lutte contre le déficit des finances de l’État étaient prépondérants par rapport aux intérêts privés des contribuables de réduire du revenu imposable, les frais effectifs de leurs déplacements du domicile à leur lieu de travail. La durée de l’application rétroactive de la loi était raisonnable. En tout état, elle était inférieure à une année. Le principe de la prévisibilité était en outre respecté. Depuis le début de l’été 2015, la modification querellée était prévisible. Son entrée en vigueur l’était également. Les contribuables avaient eu le temps de l’envisager pour la période fiscale 2016. L’entrée en vigueur était certes antérieure au délai référendaire, mais de deux mois uniquement. La loi attaquée ne lésait par ailleurs aucun intérêt acquis des contribuables concernés. En matière de déduction des frais d’acquisition du revenu, les contribuables ne bénéficiaient pas de droits acquis. La rétroactivité n’était par ailleurs pas constitutive d’inégalités choquantes. La modification querellée ne violait pas les principes de l’égalité de traitement et de la capacité contributive. Tous les contribuables étaient taxés de la même façon et durant la même période, les personnes ayant quitté la Suisse dans le courant de l’année 2016 avaient reçu leur bordereau d’imposition pour cette même année 2016.

La déduction adoptée n’affectait pas le contribuable en fonction du lieu de sa résidence, mais de la distance entre le lieu de résidence et le lieu de travail et des moyens de transports publics disponibles. La disponibilité de ces moyens de déplacements variait d’un contribuable à un autre. Toutes les catégories de contribuables étaient concernées et chacun d’eux pris individuellement pouvait être touché selon la distance qui séparait son domicile et son lieu de travail. La déduction n’aboutissait pas à une charge plus lourde ou une inégalité systématique à l’égard de certaines catégories de contribuables. Le nombre de ceux qui étaient touchés par la mesure était en outre limité.

La loi attaquée pouvait être interprétée de manière conforme au droit supérieur. Il n’y avait pas de contradiction entre sa teneur et l’exposé des motifs.

21) Le 15 mars 2017, Mme A______ a persisté dans les conclusions de son recours.

Le principe de non-discrimination ne dépendait pas du nombre de contribuables touchés ni de la catégorie atteinte, voire de la question de savoir si d’autres inégalités de traitement ayant la même origine existaient. La loi attaquée induisait des inégalités choquantes entre, d'une part, les contribuables résidant à Genève qui pouvaient changer de comportement en matière de déplacement en utilisant les transports publics et déduire l’intégralité de leurs frais de déplacement, et d'autre part les quasi-résidents qui ne le pouvaient pas, dans la mesure où ils étaient obligés d’utiliser leur voiture privée jusqu’au moins à la frontière suisse, en l’absence de transports publics suffisants dans la région frontalière. Le lieu de résidence avait une influence sur les frais de déplacement. Le Grand Conseil devait fixer un plafond déductible propre à inclure les frais réels de déplacement de tous les contribuables concernés en tenant compte de la totalité de la distance parcourue entre leur domicile et leur lieu de travail. Les frais de déplacement étaient des frais d’acquisition du revenu auxquels le contribuable ne pouvait échapper.

Pour le surplus, elle a réitéré les arguments contenus dans son recours.

22) Les observations de Mme A______ ont été transmises au Grand Conseil, ensuite de quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. Le recours est formellement dirigé contre une loi cantonale, à savoir la loi 11685 modifiant la LIPP et en particulier les art. 29 al. 1 et 2, 67 al. 2 et 72 al. 9 et 10 de celle-ci, en l’absence de cas d’application (ACST/6/2016 du 19 mai 2016 consid. 2 et les arrêts cités).

b. Interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de l’acte susmentionné, qui a eu lieu par arrêté du Conseil d’État du 19 octobre 2016, publié dans la FAO du 21 octobre 2016 (art. 62 al. 1 let. d et 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), le recours respecte en outre les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 LPA.

c. A qualité pour former un recours en contrôle abstrait de normes cantonales devant la chambre constitutionnelle toute personne (physique ou morale) dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourraient l’être un jour avec un minimum de vraisemblance et ont un intérêt actuel ou virtuel digne de protection à leur annulation, au moins aux mêmes conditions que celles qui prévalent devant le Tribunal fédéral (art. 60 al. 1 let. b LPA ; art. 89 et 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 1d et les références citées).

d. En l’espèce, la recourante allègue – sans être contredite – avoir utilisé son véhicule privé du 1er janvier au 20 avril 2016. Elle invoque en outre qu’en 2013, 2014 et 2015, elle a rempli et retourné une déclaration fiscale qui lui a permis de bénéficier des déductions des frais effectifs de déplacement sur son revenu imposable tiré à 90 % de son activité lucrative à Genève. Elle soutient aussi envisager de remplir une déclaration fiscale pour les années à venir, en d’autres termes de requérir à nouveau le statut de quasi-résidente pour ses prochaines taxations. Dans ces circonstances, elle a intérêt à obtenir l’annulation de la loi attaquée. Le recours est recevable sous cet angle également.

e. Il découle de ce qui précède que le recours doit être déclaré recevable.

3) À titre liminaire, il y a lieu de revenir sur le contexte dans lequel se place la modification législative présentement attaquée, qui plafonne, pour les contribuables dépendants uniquement (les art. 27 LIFD, 10 LHID et 30 LIPP n'ont en effet subi aucune modification), la déduction pour frais de déplacement.

a. Le système de l'IFD en matière de frais de déplacement avant la modification de l'art. 26 LIFD était réglé par l'ordonnance sur les frais professionnels du 10 février 1993 (OFC - RS 642.118.1) dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2016, ainsi que par l'Appendice du 23 septembre 2005 à l'OFC et par la Circulaire de l'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) du 22 septembre 1995 intitulée « Déduction des frais professionnels des personnes exerçant une activité lucrative dépendante » (publiée aux Archives 64, p. 701 ss). Les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail (art. 26 al. 1 let. a LIFD) étaient fixés forfaitairement, les chiffres y relatifs figurant dans l'appendice à l'OFC (soit CHF 0.70 le kilomètre pour l'utilisation d'une voiture privée). Le contribuable pouvait faire valoir des frais effectifs plus élevés, mais devait alors justifier la totalité des dépenses effectivement encourues ainsi que leur nécessité sur le plan professionnel (art. 4 OFC).

Le contribuable qui utilisait les transports publics pour les déplacements entre le domicile et le lieu de travail – pour autant du moins que son domicile fût situé à plus d'un kilomètre et demi environ de son lieu de travail et qu'on ne pût dès lors exiger de lui qu'il fît le trajet à pied (ATF 78 I 364 et arrêt du Tribunal fédéral in Archives de droit fiscal [ASA] 1959/1960 47) – pouvait déduire ses dépenses effectives ; en cas d'utilisation d'un véhicule privé, il pouvait déduire les dépenses qu'il aurait eues en utilisant les transports publics (art. 5 OFC). Exceptionnellement, si l'on ne pouvait raisonnablement exiger du contribuable qu'il utilisât un moyen de transports publics (à ce sujet : arrêts du Tribunal fédéral 2C_1131/2016 du 25 avril 2017 ; 2C_393/2007 du 27 août 2007) parce qu'il établissait n'en disposer d'aucun ou ne pas être en mesure de les utiliser, il pouvait déduire les frais d'utilisation d'un véhicule privé d'après les forfaits de l'art. 3 OFC ou justifier de frais professionnels plus élevés au sens de l'art. 5 al. 3 OFC. Tel était notamment le cas lorsque le contribuable était infirme ou en mauvaise santé, lorsque la plus proche station de transports publics se trouvait très éloignée de son domicile ou de son lieu de travail, lorsque le début ou la fin de l'activité lucrative avait lieu à des heures incompatibles avec l'horaire des transports publics ou si le contribuable dépendait d'un véhicule pour l'exercice de sa profession (arrêts du Tribunal fédéral 2C_477/2009 du 8 janvier 2010 consid. 3.1 ; 2C_445/2008 du 26 novembre 2008 consid. 5.3).

Par ailleurs, la déduction des frais de déplacement en véhicule privé n'était pas admise lorsqu'elle apparaissait inappropriée aux circonstances, notamment parce que le contribuable travaillait trop loin de son domicile ; dans ce cas, il pouvait être considéré comme exigible du travailleur qu'il passe la semaine à proximité de son lieu de travail, et il pouvait déduire à titre de frais professionnels la location d'une chambre en lieu et place des kilomètres parcourus (arrêts du Tribunal fédéral 2C_374/2014 du 30 juillet 2015 consid. 2.4.2 ; 2C_445/2008 précité consid. 3.4). Le Tribunal fédéral a ainsi considéré comme inappropriées des distances quotidiennes (aller-retour) de 320 et 350 km, représentant des trajets Genève-Berne, Vaud-Zurich ou encore Valais-Genève (arrêts du Tribunal fédéral 2C_445/2008 précité consid. 6.2 ; 2P.64/2004 du 19 juillet 2004 consid. 4.3 ; 2A.479/1995 du 14 mai 1996, non publié ; l'arrêt 2A.224/2004 du 26 octobre 2004 considère comme approprié un déplacement journalier d'un peu plus de 100 km représentant jusqu'à deux heures quarante minutes de trajet).

b. Le système actuel de l'IFD ne se distingue en fait de l'ancien que par le plafonnement à CHF 3'000.- des frais de déplacement, que celui-ci se fasse par les transports publics ou à bord d'un véhicule privé (Jean-Blaise ECKERT, in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Impôt fédéral direct - Commentaire romand, 2ème éd., 2017, n. 28 ad art. 26 LIFD ; Felix RICHNER/Walter FREI/ Stefan KAUFMANN/Hans Ulrich MEUTER, Handkommentar zum DBG, 3ème éd., 2016, n. 120a ss ad art. 26 LIFD).

Il ressort des travaux préparatoires que c'est de manière consciente que le Conseil fédéral a prévu un plafonnement seulement pour les personnes exerçant une activité dépendante (FF 2012 1417 : « Le plafonnement de la déduction n’est prévu que pour l’impôt fédéral direct et pour les salariés. Les réglementations cantonales concernant la déduction des frais de transport dans l’impôt sur le revenu ne sont pas modifiées, mais les cantons auront eux aussi la possibilité de limiter la déduction des frais de transport pour leur impôt sur le revenu »).

Il sied au surplus d'ajouter que dans le cadre de la révision de l'imposition à la source (objet parlementaire fédéral 14.093), le Conseil national a rejeté le 8 mars 2016, par 123 non contre 59 oui et 2 abstentions, une motion déposée par le conseiller national Thomas AESCHI, et visant à supprimer le plafonnement prévu à l'art. 26 LIFD (BO 2016 N 212).

c. Avant 2016, le système prévu par le droit cantonal était identique à celui de l'échelon fédéral (art. 29 LIPP dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2016 ; Guide fiscal 2015, p. 27, selon lequel « le montant des frais effectifs liés à l’utilisation d’un véhicule privé est calculé par analogie aux normes fédérales, décrites au paragraphe suivant » ; JTAPI/739/2017 du 3 juillet 2017 consid. 4).

d. En modifiant l'art. 9 al. 1 dernière phr. LHID, le législateur fédéral a laissé les cantons libres de fixer un montant maximal pour les frais de déplacement, et le cas échéant de définir ce dernier (Message du Conseil fédéral, FF 2012 1371 ss, 1477). Les travaux préparatoires ne disent rien de plus sur cette modification législative.

La mise en œuvre de la nouvelle teneur de cette disposition a en revanche donné lieu à diverses contributions de doctrine (Toni AMONN, Begrenzung des Fahrkostenabzugs nach FABI – Wie zähmt man ein steuerliches Bürokratiemonster ?, Jusletter du 9 mai 2016 ; Branko BALABAN/Markus METZGER, Steuererhöhungen durch FABI, L'expert-comptable 3/2015 148-151), ainsi que, dans un certain nombre de cantons, à des débats politiques parfois nourris (voir, pour le canton de Zurich, dont la modification législative doit entrer en vigueur le 1er janvier 2018 : Stefan HOTZ, Pendlerabzug bis 5000 Franken bleibt möglich, NZZ du 20 mars 2017).

À ce jour, certains cantons – dont plusieurs cantons latins – ont renoncé à faire usage de la faculté de plafonner le montant des frais de déplacement pour l'ICC (AI, FR, GL, GR, NE, OW, SO, TI, UR, VD, VS), frais qui restent donc intégralement déductibles. D'autres ont adopté des normes établissant des seuils à CHF 8'000.- (SZ), 7'000.- (AG), 6'700.- (BE, JU), 6'000.- (AR, BL, LU, NW, SH, TG, ZG), 5'000.- (ZH), 3'655.- (soit un montant correspondant à l'abonnement général 2ème classe des chemins de fer fédéraux : SG) et CHF 3'000.- (BS). En fixant ce montant dans la loi présentement attaquée à CHF 500.-, le législateur genevois s'est donc montré le plus restrictif du pays.

4) Lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, la chambre constitutionnelle, à l’instar du Tribunal fédéral, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_862/2015 du 7 juin 2016 consid. 3 ; 1C_223/2014 du 15 janvier 2015 consid. 4 ; 2C_668/2013 du 19 juin 2014 consid. 2.2 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 2a et les arrêts cités).

5) La recourante invoque la contrariété de l'art. 29 al. 1 let. a LIPP, et le cas échéant des art. 126 LIFD et 9 al. 1 LHID, au droit international. Le plafonnement des frais de déplacement constituerait ainsi une discrimination indirecte envers les travailleurs frontaliers ainsi qu'une entrave à la libre circulation, toutes deux prohibées par l'ALCP, entré en vigueur le 1er juin 2002.

6) Aux termes de l'art. 190 Cst., ni le Tribunal fédéral ni aucune autre autorité ne peuvent refuser d'appliquer une loi fédérale ou le droit international. Ni l'art. 190 Cst. ni l'art. 5 al. 4 Cst. n'instaurent de rang hiérarchique entre les normes de droit international et celles de droit interne. Lorsqu'une contradiction insurmontable entre les deux ordres juridiques est constatée, le Tribunal fédéral s'en tient à sa jurisprudence (ATF 125 II 417 consid. 4d), selon laquelle le droit international public l'emporte en principe sur le droit interne. Dans cette ligne, il a jugé que l'art. 9 al. 2 annexe I ALCP visant l'interdiction de discrimination l'emportait sur le droit interne contraire et avait un effet direct (ATF 136 II 241 consid. 16.1 et 16.2 et les arrêts cités).

Il s'ensuit qu'il y a lieu d'examiner le grief précité, une éventuelle contrariété de la loi attaquée à l'ALCP ou l'une de ses annexes devant conduire à son annulation, quand bien même ses dispositions se recouperaient avec les dispositions de la LIFD ou de la LHID.

7) a. L'art. 2 ALCP, qui consacre le principe de non-discrimination, prévoit que les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III à l'ALCP, discriminés en raison de leur nationalité.

b. Selon l'art. 21 ch. 2 ALCP, aucune disposition de l'ALCP ne peut être interprétée de manière à empêcher les parties contractantes d’établir une distinction, dans l’application des dispositions pertinentes de leur législation fiscale, entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans des situations comparables, en particulier en ce qui concerne leur lieu de résidence.

c. L'annexe I ALCP, qui concerne la libre circulation des personnes, règle en sa section II (art. 6 à 11 annexe I ALCP) la situation juridique des travailleurs salariés.

Le travailleur frontalier salarié est un ressortissant d’une partie contractante qui a sa résidence sur le territoire d’une partie contractante et qui exerce une activité salariée sur le territoire de l’autre partie contractante en retournant à son domicile en principe chaque jour, ou au moins une fois par semaine (art. 7 ch. 1 annexe I ALCP). Les travailleurs frontaliers peuvent être domiciliés n'importe où sur le territoire de l'un des États membres en cause, tandis que leur lieu de travail se trouve en Suisse, l'élément caractéristique de la notion de « frontalier » étant que l'intéressé se déplace régulièrement entre son domicile et son lieu de travail ; il s'agit donc plus de « pendulaires internationaux » que de personnes habitant nécessairement dans des zones frontières (ATF 135 II 128 consid. 3 ; ACST/17/2015 du 2 septembre 2015 consid. 12c).

Un travailleur salarié ressortissant d’une partie contractante ne peut, sur le territoire de l’autre partie contractante, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux salariés en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage (art. 9 ch. 1 annexe I ALCP, article dont la note marginale est « égalité de traitement »).

Le travailleur salarié et les membres de sa famille visés à l’art. 3 de l'annexe I ALCP y bénéficient des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille (art. 9 ch. 2 annexe I ALCP). Le Tribunal fédéral a jugé qu'un contribuable de nationalité suisse peut se prévaloir des art. 2 ALCP et 9 al. 2 annexe I ALCP contre son État d'origine lorsque – comme c'est le cas en l'espèce – il se trouve à l'égard de la Suisse dans une situation assimilable à celle de tout autre sujet invoquant le bénéfice des droits et libertés garantis par l'ALCP et ses annexes (ATF 136 II 241 consid. 11) ; ceci vaut du moins pour l'allégation de discrimination indirecte, puisqu'il n'est alors plus question du critère de la nationalité, mais d'un autre critère (Harald SCHAUMBURG/Joachim ENGLISCH [éd.], Europäisches Steuerrecht, 2015, n. 7.155).

8) a. Selon l'art. 16 ch. 1 ALCP, pour atteindre les objectifs visés par le présent accord, les parties contractantes prendront toutes les mesures nécessaires pour que les droits et obligations équivalant à ceux contenus dans les actes juridiques de la Communauté européenne auxquels il est fait référence trouvent application dans leurs relations.

b. Aux termes de l'art. 16 § 2 ALCP, dans la mesure où l'application de l'ALCP implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes (actuellement : Cour de justice de l'Union européenne, ci-après : CJUE) antérieure à la date de sa signature, soit le 21 juin 1999.

Dans un arrêt de principe du 26 novembre 2015 (ATF 142 II 35), confirmé en 2017 (ATF 143 II 57 consid. 3.6), le Tribunal fédéral a toutefois rappelé que, de jurisprudence constante, dans le but d'assurer une situation juridique parallèle entre les États membres de la Communauté européenne, d'une part, et entre ceux-ci et la Suisse, d'autre part, il s'inspire des arrêts rendus par la CJUE après la date de signature de l'ALCP, pour autant que des motifs sérieux ne s'y opposent pas (ATF 142 II 35 consid. 3.1 ; 140 II 112 consid. 3.2 ; 139 II 393 consid. 4.1.1 ; 136 II 65 consid. 3.1 ; 136 II 5 consid. 3.4 ; arrêts 2C_375/2014 du 4 février 2015 consid. 3.3 ; 2C_470/2014 du 29 janvier 2015 consid. 3.3).

c. Les notions de droit communautaire à mettre en relation avec les art. 2 ALCP et 9 annexe I ALCP, soit celles d'égalité de traitement et de non-discrimination en matière de libre circulation des personnes, découlent en particulier, en droit communautaire, de l'art. 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du 13 décembre 2007 (ci-après : TFUE).

Selon les ch. 1 et 2 de cet article, qui correspond à l'ancien art. 39 du Traité instituant la Communauté européenne (ci-après : TCE, qui a précédé le TFUE et qui était en vigueur au moment tant de la signature que de l'entrée en vigueur de l'ALCP), la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union, et elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

C'est ainsi sur l'égalité de traitement prévue par l'art. 45 TFUE que se fonde – malgré l'absence de référence explicite comparable à celle contenue à l'art. 9 ch. 2 annexe I ALCP – le principe de l'octroi des mêmes avantages fiscaux aux travailleurs de l'UE qu'aux travailleurs indigènes (Christian CALLIESS/ Matthias RUFFERT [éd.], EUV/AEUV – Kommentar, 5ème éd., 2016, n. 64 ad art. 45 TFUE). En effet, selon la jurisprudence européenne, le principe d'égalité de traitement en matière de rémunération serait privé d'effet s'il pouvait y être porté atteinte par des dispositions nationales discriminatoires en matière d'impôt sur le revenu (CJUE, arrêt Biehl, C-175/88 du 8 mai 1990, point 23) ; selon une autre formule, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (CJUE, arrêts Commission c. Belgique, C-383/10 du 6 juin 2013, point 40 ; Marks & Spencer PLC, C-446/03 du 13 décembre 2005 point 29). En outre, selon la jurisprudence européenne, la réglementation d'une entité fédérée d'un État fédéral peut le cas échéant être constitutive d'une violation de l'art. 45 TFUE (CJUE, arrêt Las, C-202/11 du 16 avril 2013 concernant une loi flamande imposant à tout employeur ayant son siège d’exploitation sur le territoire de cette entité de rédiger les contrats de travail à caractère transfrontalier exclusivement dans la langue officielle de cette entité fédérée, soit le néerlandais, sous peine de nullité de ces contrats relevée d’office par le juge).

Quant à la formulation de l'art. 9 al. 2 annexe I ALCP qui fait référence aux « mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux », elle est tirée de l'art. 7 al. 2 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (ATF 136 II 241 consid. 12), lequel a été remplacé en 2011 par l'art. 7 al. 2 du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ATF 140 II 167 consid. 4.5 et les références citées).

9) La notion d'avantage fiscal, qui est ainsi une notion de droit communautaire (ATF 140 II 167 précité consid. 4.5), n'est cependant définie ni en droit suisse (malgré son emploi à l'art. 129 al. 3 Cst., dont le domaine d'application est aujourd'hui très marginal) ni en droit européen. On peut toutefois tirer d'un arrêt récent du Tribunal fédéral des extraits propres à esquisser une définition générale, selon laquelle les avantages fiscaux seraient l'ensemble des « déductions, barèmes spéciaux ou autres avantages accessibles aux contribuables et leur permettant de diminuer leur dette fiscale » (arrêt du Tribunal fédéral 2C_140/2016 du 30 mai 2017 consid. 4.5).

Les exemples tirés de la pratique de la CJUE sont cohérents avec cette définition, la CJUE considérant notamment comme des avantages fiscaux les déductions qui permettent de diminuer le revenu imposable ainsi que le taux applicable à ce revenu (CJUE, arrêt Bechtel, C-20/16 du 22 juin 2017, point 43).

Il ne fait donc pas de doute que la déduction pour frais de déplacement constitue un avantage fiscal au sens de l'art. 9 al. 2 annexe I ALCP.

10) a. Selon la jurisprudence européenne, les règles d’égalité de traitement qui découlent de la libre circulation des personnes prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discrimination directe ; pour un exemple : CJUE, arrêt Commission c. Italie, C-283/99 du 31 mai 2001), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discrimination indirecte ; CJUE, arrêts Hirvonen, C-632/13 du 19 novembre 2015, point 29, et Gielen, C-440/08 du 18 mars 2010, point 37 et les arrêts cités). Il en va ainsi lorsque l'application d'autres critères que la nationalité, par exemple le lieu d'origine ou de naissance, le lieu de résidence ou encore l'accomplissement d'études au sein du pays, mène dans les faits au même résultat, car ce critère est en général rempli par les nationaux et non par les étrangers (Rudolf GEIGER/ Daniel-Erasmus KHAN/Markus KOTZUR [éd.], EUV/AEUV - Kommentar, 6ème éd., 2017, n. 31 ad art. 45 TFUE) ; d'autres auteurs citent comme critères suspects, en sus du domicile ou de la résidence habituelle, l'origine géographique ou ethnique ainsi que la langue (Harald SCHAUMBURG/Joachim ENGLISCH [éd.], op. cit., n. 7.154), ou encore la possession d'un diplôme ou d'un permis de conduire national (Véronique BOILLET, L'interdiction de discrimination en raison de la nationalité au sens de l'Accord sur la libre circulation des personnes, 2010, p. 87).

La jurisprudence européenne emploie parfois d'autres formules pour décrire la discrimination indirecte : par exemple que l'art. 45 TFUE s’oppose, notamment, aux mesures qui, tout en étant indistinctement applicables selon la nationalité, sont susceptibles, par leur nature même, d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et risquent, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (CJUE, arrêt Bechtel précité, point 39 et les arrêts cités) ; ou encore que doivent être regardées comme indirectement discriminatoires les conditions du droit national qui, bien qu’indistinctement applicables selon la nationalité, affectent essentiellement ou dans leur grande majorité les travailleurs migrants, ainsi que les conditions indistinctement applicables qui peuvent être plus facilement remplies par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants ou encore qui risquent de jouer, en particulier, au détriment de ces derniers (CJUE, arrêt Landtova, C-399/09 du 21 juin 2011 point 45).

Il n'y a pas de discrimination indirecte lorsque le caractère défavorable du traitement fiscal des contribuables concernés ne découle pas à proprement parler du choix du facteur de rattachement, mais du niveau d'imposition de l'État compétent, en l'absence d'harmonisation, sur le plan communautaire, des barèmes d'impôts directs (CJUE, arrêt Gilly, C-336/96 du 12 mai 1998, point 34).

b. Le Tribunal fédéral a quant à lui jugé qu'une discrimination indirecte existe lorsqu'une réglementation, qui ne désavantage pas directement un groupe déterminé, défavorise tout particulièrement, par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe ; eu égard à la difficulté de poser des règles générales et abstraites permettant de définir pour tous les cas l'ampleur que doit revêtir l'atteinte subie par un groupe protégé par l'art. 8 al. 2 Cst. par rapport à la majorité de la population, la reconnaissance d'une situation de discrimination ne peut résulter que d'une appréciation de l'ensemble des circonstances du cas particulier ; en tout état de cause, l'atteinte doit revêtir une importance significative, le principe de l'interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir qu'à corriger les effets négatifs les plus flagrants d'une réglementation étatique (ATF 138 I 205 consid. 5.5). Dans un cas de figure plus récent et plus proche de la présente problématique, le Tribunal fédéral a repris la jurisprudence européenne précitée en rappelant que les règles générales d'égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discriminations indirectes ; ATF 140 II 141 consid. 7.1.1).

c. Constitue ainsi une discrimination indirecte toute mesure qui prévoit une distinction fondée sur le critère du domicile ou de la résidence, en ce que celui-ci risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres, dans la mesure où les personnes non domiciliées sur le territoire national, de même que les non-résidents, sont le plus souvent des non-nationaux (CJUE, Commission c. Grèce, C-155/09 du 20 janvier 2011, point 55 et les arrêts cités). Ainsi, dans le domaine des impôts directs, la CJUE a-t-elle considéré comme constitutif d'une discrimination indirecte prohibée la législation luxembourgeoise qui, en matière d'impôt sur le revenu, soumettait le bénéfice de l'imposition collective des conjoints à la condition qu'ils soient tous deux résidents sur le territoire national et refusait l'octroi de cet avantage fiscal à un travailleur résidant dans cet État, dans lequel il percevait la quasi-totalité des revenus du foyer, et dont le conjoint résidait dans un autre État membre (CJUE, arrêt Zurstrassen, C-87/99 du 16 mai 2000) ; ainsi que la législation allemande, qui prenait en compte, lors de l'imposition des non-résidents, les revenus bruts, sans déduction des frais professionnels, alors que les résidents étaient imposés sur leurs revenus nets, après déduction de ces frais (CJUE, arrêt Gerritse, C-234/01 du 12 juin 2003).

11) La question de savoir si la discrimination indirecte doit s'examiner en fonction de la nature même de la réglementation et du critère utilisé ou en fonction d'une comparaison du nombre de personnes touchées n'est tranchée directement par la jurisprudence ni au niveau européen ni au niveau suisse. Certaines des définitions précitées semblent donner la préférence au premier angle d'examen (CJUE, arrêt Bechtel précité), et d'autres au second (CJUE, arrêt Landtova précité).

Il peut être mentionné à ce sujet, à titre indicatif, que la Directive 2000/78/CE du Conseil (de l'UE) du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail prévoit, au ch. 15 de son préambule, que l'appréciation des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte appartient à l'instance judiciaire nationale ou à une autre instance compétente, conformément au droit national ou aux pratiques nationales, qui peuvent prévoir, en particulier, que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, y compris sur la base de données statistiques ; règle que la doctrine admet généralement (Albert SCHERER/Aladin EL-MAFAALANI/Gökçen YÜKSEL, Handbuch Diskriminierung, 2017, pp. 191 ss ; Christa TOBLER, Limites et potentiel du concept de discrimination indirecte, 2008, disponible sous <ec.europa.eu/social/ BlobServlet?docId=1663&langId=fr> ; Vincent MARTENET, Géométrie de l'égalité, 2003, n. 308).

12) a. Selon une jurisprudence constante de la CJUE, une discrimination ne peut consister que dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes (CJUE, arrêts Hirvonen, précité ; Gschwind, C-391/97 du 14 septembre 1999, point 21 ; Schumacker, C-279/93, du 14 février 1995, point 30). À cet égard, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d’un État par un non-résident ne constitue le plus souvent qu’une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier le plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence habituelle (arrêt Wallentin, C-169/03, du 1er juillet 2004, point 15 et jurisprudence citée) ; aussi, le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est-il, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale (CJUE, arrêts Hirvonen, précité, point 32 ; Wallentin, précité, point 16 et les arrêts cités).

b. Il en va cependant différemment dans le cas où le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans l’État de sa résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’État d’emploi, de telle sorte que l’État de résidence n’est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale ; en effet, s’agissant d’un non-résident qui perçoit, dans un État membre autre que celui de sa résidence, l’essentiel de ses revenus, la discrimination consiste en ce que la situation personnelle et familiale de ce non-résident n’est prise en compte ni dans l’État de résidence ni dans l’État d’emploi indépendamment des différents taux applicables en vertu des lois fiscales applicables (CJUE, arrêts Hirvonen, précité, point 33 ; Wallentin, précité, point 17).

c. Le Tribunal fédéral a suivi la jurisprudence de la CJUE, l'avis du Conseil fédéral (FF 1999 5657) et la doctrine, d'après lesquels les contribuables résidant à l'étranger qui réalisaient l'essentiel de leur revenu (soit plus de 90 %) en Suisse devaient être qualifiés de quasi-résidents et être traités comme des contribuables résidents d'un État partie, de manière que leur situation personnelle et familiale soit dûment prise en considération (ATF 136 II 241 consid. 13.5 et 15) ; ce qui suppose néanmoins que le contribuable fournisse à l'autorité fiscale les éléments nécessaires à l'appréciation de son statut (arrêt du Tribunal fédéral 2C_140/2016 précité consid. 4.2.2).

13) a. En l'espèce, l'art. 29 al. 1 let. a LIPP attaqué plafonne, en se fondant sur la possibilité conférée par l'art. 9 LHID, la déduction relative aux frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail à concurrence de CHF 500.-, plafond qui correspond (en l'état) au prix d'un abonnement annuel Unireso pour adultes. Selon les principes de l'ancien système qui sont encore valables après cette modification législative, il concerne toutes les personnes qui peuvent faire valoir des frais de déplacement effectifs supérieurs à CHF 500.- au cours de l'année fiscale, et qui résident donc à une distance de leur lieu de travail située entre 1.5 et 150 km environ (dès lors que les autres ne peuvent pas faire valoir de frais de déplacement, soit parce qu'ils peuvent se rendre à leur lieu de travail sans prendre de moyen de transport, soit parce que la distance est considérée comme non raisonnable au sens de la jurisprudence). Dans cette mesure, il constitue pour ces personnes une mesure défavorable par rapport à la situation antérieure.

b. Le critère utilisé par le législateur n'est pas la nationalité des contribuables, et la mesure prévue s'applique aussi bien aux Suisses qu'à l'ensemble des contribuables de nationalité étrangère, originaires de l'Union européenne ou non, si bien qu'une discrimination directe peut d'emblée être exclue.

En revanche, vu la similarité de la situation entre résidents et quasi-résidents au sens de la jurisprudence (et bien que la recourante soit de nationalité suisse, cf. l'ATF 136 II 241 consid. 11 déjà cité), il y a lieu d'examiner si la mesure en cause ne constitue pas une discrimination indirecte.

c. À cet égard, le législateur tant fédéral que cantonal n'a pas non plus usé des autres critères suspects que met en lumière la jurisprudence européenne. Il n'est ainsi pas question de différencier les contribuables en fonction de leur lieu d'origine ou de naissance, de leur langue, de l'accomplissement d'études en Suisse ou de la possession d'un diplôme suisse.

Contrairement à ce qu'allègue la recourante, ce n'est d'ailleurs pas le critère de la résidence qui entraîne ici une possible différence de traitement, mais celui de la distance entre le domicile et le lieu de travail – encore une fois tant que celle-ci peut être considérée comme permettant de bénéficier de ce type de déduction professionnelle (ainsi le résident lyonnais qui travaille à Genève, de même que le résident genevois qui travaille à Zurich, ne sont-ils pas touchés par la mesure, et continuent-ils à pouvoir déduire intégralement de leur revenu le loyer d'une chambre située à proximité de leur lieu de travail, mais pas de frais de déplacement). Le contribuable résidant par hypothèse à Carouge et travaillant à Yverdon-les-Bains est ainsi touché plus durement par le plafonnement considéré que celui qui réside à Gaillard et travaille à Chêne-Bougeries. À cet égard, force est de constater que si les quasi-résidents constituent un groupe fortement touché qualitativement par la mesure, un deuxième groupe l'est tout autant, à savoir les contribuables résidant dans le canton de Genève mais travaillant loin du canton, en tout cas jusqu'à Neuchâtel, Fribourg ou Monthey, à plus forte raison lorsque leur lieu de travail est situé dans une localité non desservie par les transports publics (catégorie de contribuables pour laquelle le Conseil d'État n'a pas donné de chiffres dans l'exposé des motifs de la loi 11'685). Au surplus, les quasi-résidents ne constituent eux-mêmes qu'un sous-groupe de non-résidents, les autres non-résidents, plus nombreux, ayant quant à eux renoncé à faire valoir fiscalement des frais de déplacement.

Il n'y a au demeurant dans la réglementation contestée pas de refus de prendre en compte les circonstances personnelles du quasi-résident alors que celles du résident le seraient (ce qui fait tomber à faux la comparaison que souhaite opérer la recourante avec l'arrêt Ratgen de la CJUE, C-478/15 du 21 septembre 2016) ; ces circonstances sont prises en compte dans les deux cas, mais les personnes domiciliées à une certaine distance de leur lieu de travail voient leur imposition alourdie, en particulier s'ils ne peuvent se rendre à leur travail en utilisant les transports publics affiliés à la convention Unireso.

Il résulte de ce qui précède que par sa nature, la mesure considérée ne constitue pas une discrimination indirecte.

d. Reste à savoir si le nombre de personnes touchées pourrait néanmoins entraîner une telle qualification, étant précisé que la recourante ne fournit pas de chiffres ou de statistiques autres que ceux évoqués lors des travaux législatifs, et qu'elle allègue au contraire dans ses observations finales que le principe de non-discrimination ne dépend pas du nombre de contribuables touchés ni de la catégorie atteinte.

Ainsi, si l'on prend en compte les chiffres avancés par le Conseil d'État dans l'exposé des motifs de la loi, le plafonnement affecterait 38'235 contribuables sur les 254'411 résidant dans le canton de Genève (soit 15.03 %), 7'171 contribuables sur les 16'275 non domiciliés dans le canton (soit 44.06 %), et 6'209 contribuables sur les 6'775 quasi-résidents (soit 91.65 %). Comme on le voit, la proportion de personnes touchées est plus grande parmi les contribuables domiciliés hors du canton, et encore plus grande chez les quasi-résidents, mais le nombre absolu de personnes touchées est plus important parmi les contribuables résidents. Dès lors, le nombre de personnes touchées ne permet pas non plus de retenir l'existence d'une discrimination indirecte.

e. On doit dès lors considérer que l'art. 29 al. 1 let. a LIPP n'engendre pas de discrimination indirecte à l'égard des frontaliers ou des quasi-résidents, si bien qu'il n'y a pas lieu d'examiner d'éventuels motifs justificatifs, pas plus que le respect du principe de la proportionnalité. Le grief y relatif sera ainsi écarté.

f. À titre superfétatoire, il doit être relevé qu'au sein même de l'UE, la question des déductions et abattements liés aux frais de déplacement est réglée de manière très diverse selon les pays membres, certains pays comme le Portugal, le Royaume-Uni, la Grèce, l'Irlande ou la République tchèque n'admettant aucune déduction à ce titre (Felix RICHNER, Fahrkosten als Berufskosten, Zürcher Steuerpraxis 2014 287-307, pp. 290-296), sans que cela ait apparemment donné lieu jusqu'à présent à une procédure en manquement ou à une procédure de renvoi par-devant la CJUE.

14) La recourante invoque ensuite que la réglementation attaquée serait constitutive d'une entrave à la libre circulation.

a. De jurisprudence constante, la CJUE considère que l’art. 45 TFUE n’interdit pas seulement toute discrimination, directe ou indirecte, fondée sur la nationalité, mais également les réglementations nationales qui, bien qu’applicables indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés, comportent des entraves à la libre circulation de ceux-ci (CJUE, arrêt Commission c. Danemark, C-464/02 du 15 septembre 2005, point 45 et les arrêts cités). Ces dernières concrétisent, tout comme l'interdiction des discriminations, les libertés fondamentales de l'UE, mais sont examinées en tant que restrictions à des libertés publiques et non du point de vue du droit à l'égalité de traitement. Constituent aussi des entraves à la libre circulation les mesures qui rendent moins attrayant le retour de l’intéressé dans son État membre d’origine après avoir exercé une activité dépendante ou indépendante dans un autre pays de l'UE (CJUE, arrêt Alevizos, C-392/05 du 26 avril 2007, point 75 et les arrêts cités).

b. Dans le cadre de l'ALCP, la question se pose de savoir si les restrictions indistinctement applicables de la libre circulation (entraves à la libre circulation) tombent sous le coup de l'interdiction des discriminations au sens de l'art. 2 ALCP et sont prohibées par cette disposition, ou si l'art. 9 annexe I ALCP interdit ce type de mesures au même titre que l'art. 45 TFUE. Par deux fois, le Tribunal fédéral a laissé la question ouverte (arrêt du Tribunal fédéral K_163/03 du 27 mars 2006 consid. 6.3 non publié aux ATF 133 V 33 ; ATF 140 II 141 précité consid. 7.2.3) ; la doctrine considère quant à elle plutôt que la réponse à la question est positive (Julian MAIER, Die steuerlichen Implikationen der Mobilitätsgarantien des Freizügigkeitsabkommens Schweiz-EU, 2013, p. 166 ss ; Véronique BOILLET, op. cit., p. 91; Markus REICH/Beat KÖNIG, Europäisches Steuerrecht, 2006, p. 48 s. ; Jörg WEIGELL, Geltung der Niederlassungsfreiheit auch im Verhältnis zur Schweiz, Internationales Steuerrecht 2006 190-195, p. 193 ; Pascal HINNY, Das Diskriminierungsverbot des Personenverkehrsabkommens im Schweizer Steuerrecht, IFF Forum für Strafrecht 2004 165-188, p. 173 ; Thomas COTTIER/Erik EVTIMOV, Die sektoriellen Abkommen der Schweiz mit der EG : Anwendung und Rechtsschutz, RJB 2003 77-120, p. 188 s. et 200 ; Kay HAILBRONNER, Freizügigkeit nach EU-Recht und dem bilateralen Abkommen mit der Schweiz über die Freizügigkeit von Personen, Zeitschrift für Europarecht 2003 48-57, p. 52 ; ne prennent en revanche pas position Christa TOBLER/Jacques BEGLINGER, Grundzüge des bilateralen [Wirtschafts-]Rechts Schweiz-EU, T. I, 2012, n. 213 et 256).

15) a. Quoi qu'il en soit, il ressort de la jurisprudence européenne que pour être apte à être qualifiée d'entrave à la libre circulation des travailleurs, une mesure doit conditionner l'accès de ceux-ci au marché du travail (CJUE, arrêt Graf, C-190/98 du 27 janvier 2000, point 23). Pour ne prendre qu'un exemple, l’obligation d’immatriculation, dans l’État membre où réside un travailleur, d’un véhicule mis à la disposition de ce dernier par son employeur établi dans un autre État membre constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs, même si le véhicule peut être immatriculé en restant la propriété de l’employeur, ceci dans la mesure où cette obligation est susceptible de dissuader un employeur d’engager un travailleur résidant dans le pays pour un emploi qui ne constituerait pas l’activité principale de celui-ci (CJUE, arrêt Commission c. Danemark précité, point 46).

b. Le Tribunal fédéral a ainsi rappelé que des mesures législatives ne constituent pas des entraves à la libre circulation si elles n'ont pas pour objet de conditionner l'accès au marché du travail, considérant notamment que l'art. 6 al. 1 et 3 LIFD n'avait pas un tel objet, mais qu'il s'agissait simplement d'une réglementation qui limitait la compétence de la Suisse d'imposer, dans le cadre d'un assujettissement illimité, le rendement d'immeubles situés à l'étranger (ATF 140 II 141 consid. 7.2.2 et 7.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_198/2014 du 4 septembre 2014 consid. 4.3).

16) En l'espèce, la réglementation en cause ne vise pas directement l'accès au marché suisse de l'emploi, et n'a aucune influence négative sur l'attractivité des travailleurs de l'UE auprès des employeurs genevois. Il ne rend de plus nullement moins attrayant la perspective d'un retour de l'employé dans son État membre d'origine.

Interpréter la notion d'entrave à la libre circulation aussi extensivement que le plaide la recourante, en prenant en compte toute diminution d'attractivité du point de vue du travailleur, reviendrait du reste à qualifier d'entrave à la libre circulation des travailleurs – et à la rendre impossible – toute augmentation de la charge fiscale des quasi-résidents, ce qui ne serait pas compatible avec l'autonomie fiscale de la Suisse et la clause prévue à l'art. 21 ALCP.

Le grief ne peut dès lors qu'être écarté.

17) La recourante développe ensuite des griefs de contrariété au droit suisse, en premier lieu aux principes d'égalité de traitement – entre contribuables résidents et quasi-résidents – et d'imposition selon la capacité contributive.

18) a. En matière fiscale, le principe général d'égalité de l'art. 8 al. 1 Cst. est concrétisé par les principes de la généralité et de l'égalité de l'imposition, ainsi que par celui de l'imposition selon la capacité économique. Le principe de la généralité de l'impôt exige que toute personne ou groupe de personnes soit imposé selon la même réglementation juridique : les exceptions qui ne reposent sur aucun motif objectif sont inadmissibles. D'après le principe d'imposition selon la capacité économique de l'art. 127 al. 2 Cst., toute personne doit contribuer à la couverture des dépenses publiques, compte tenu de sa situation personnelle et en proportion de ses moyens ; la charge fiscale doit être adaptée à la substance économique à disposition du contribuable (ATF 141 II 338 consid. 3.2 et les arrêts cités).

b. Selon l'art. 127 al. 2 Cst., dans la mesure où la nature de l'impôt le permet, le principe de la capacité économique doit être respecté. Dans le domaine de l'imposition du revenu des personnes physiques, le principe de l'imposition selon la capacité économique s'exprime au travers de la théorie de l'accroissement net du patrimoine (art. 16 LIFD), selon laquelle la notion de revenu imposable correspond à l'excédent de l'ensemble des entrées patrimoniales par rapport à l'ensemble des sorties sur une même période fiscale ; une partie de la doctrine défend, en tant que sous-principe de la théorie de l'accroissement net du patrimoine, le principe dit du montant net (« Nettoprinzip »), selon lequel toutes les dépenses d'acquisition du revenu devraient pouvoir être déduites du revenu brut lors de l'imposition des personnes physiques, même lorsqu'elles ne sont pas expressément prévues par les art. 26 à 33 LIFD (ATF 143 II 8 consid. 7).

c. La conformité au droit constitutionnel suisse de la limitation de la déduction pour frais de déplacement introduite par les art. 26 LIFD et 9 LHID a été évaluée diversement par la doctrine. Un auteur y a vu une violation de l'égalité de traitement – non pas entre contribuables résidents et non-résidents ou quasi-résidents, mais entre contribuables dépendants et indépendants –, ainsi que, par le biais du principe du montant net, une violation du principe d'imposition selon la capacité économique (Severin KOLLER, Die Verfassungsmässigkeit einer Beschränkung des Fahrkostenabzuges bei der direkten Bundessteuer, ASA 2011/2012 761-798, not. pp. 769 et 797 ; contribution publiée avant le vote par les chambres fédérales des art. 26 LIFD et 9 LHID révisés). Un autre, s'appuyant notamment sur le rapport du Conseil-exécutif bernois, considère qu'elle est problématique vis-vis de ces principes, et pour le surplus très difficilement applicable (Toni AMONN, op. cit., p. 11). D'autres auteurs considèrent en revanche la réforme comme acceptable par rapport aux principes constitutionnels en matière fiscale (en mentionnant par ailleurs que la question est théorique, car l'introduction d'un plafond en droit cantonal ne constituerait qu'une mise en œuvre de la LHID et serait donc couverte par l'art. 190 Cst.), mais le plafond de CHF 3'000.- prévu (à l'époque) à Zurich comme un peu trop bas (Felix RICHNER, op. cit., p. 307 ; aussi Felix RICHNER/Walter FREI/ Stefan KAUFMANN/Hans Ulrich MEUTER, op. cit., n. 14 ad art. 26 LIFD).

19) a. Comme déjà indiqué, selon l'art. 190 Cst., ni le Tribunal fédéral ni aucune autre autorité ne peuvent refuser d'appliquer une loi fédérale ou le droit international. Lorsqu'une violation de la Cst. est constatée, la loi doit néanmoins être appliquée et même le Tribunal fédéral ne peut qu'inviter le législateur à modifier la disposition en cause (ATF 141 II 338 consid. 3.1). L'obligation d'application de l'art. 190 Cst. ne vaut en principe pas pour les lois cantonales, sauf lorsque le droit cantonal constitue un acte d'exécution d'une loi fédérale ; tel est le cas lorsque la loi fiscale cantonale reprend sans le modifier le droit harmonisé de la Confédération tel qu'il est prévu par la LHID (ATF 136 I 65 consid. 3.3 ; 136 I 49 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_162/2010 du 21 juillet 2010 consid. 2.4). Plus généralement, le droit cantonal est « immunisé » de manière indirecte par l'art. 190 Cst. lorsqu'il trouve son fondement juridique direct dans une loi fédérale (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3ème éd., 2013, n. 1954) ; il doit ainsi exister entre les deux réglementations un lien de connexité impérative, ou du moins particulièrement étroite (ATF 130 I 26 consid. 2.2.2 ; 126 I 1 consid. 2f et les arrêts cités).

b. La jurisprudence fédérale retient par ailleurs qu'en matière d'impôts directs sur le revenu et la fortune, restent en particulier de la compétence des cantons, malgré l'harmonisation opérée par la LHID, la fixation des barèmes, celle des taux et celle des montants exonérés d'impôt (art. 129 al. 2 Cst., art. 1 al. 3 LHID). De même que les cantons ne sont pas complètement libres dans l'exercice de la liberté d'organisation que leur confère la loi sur l'harmonisation fiscale, et doivent observer les droits fondamentaux, en particulier les art. 8 et 127 Cst. (ATF 133 I 210 consid. 5), ils doivent également faire usage de leur liberté dans les limites des droits fondamentaux lorsqu'ils sont appelés à limiter la déduction prévue par l'art. 9 al. 2 let. g LHID (arrêt du Tribunal fédéral 2C_162/2010 précité consid. 6.2). Le même arrêt fait la différence entre les déductions organiques, c'est-à-dire directement liées à l'acquisition du revenu, et qui ne sauraient en principe être écartées par un législateur soucieux de fixer le revenu imposable de manière conforme au principe de l'imposition selon la capacité contributive, et les autres déductions, dites anorganiques, qui peuvent voire doivent être limitées dans leur montant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_162/2010 précité consid. 6.3).

20) a. La recourante considère comme vraisemblable que l'immunisation dont bénéficie la LHID s'étend à la loi cantonale, et dit ne remettre pour cette raison en cause que le montant maximal de CHF 500.- fixé par l'art. 29 al. 1 let. a LIPP ; elle conclut néanmoins à l'annulation intégrale de la loi 11'685, sans indiquer à partir de quel montant le canton de Genève aurait respecté à la fois la LHID et les art. 8 et 127 Cst.

b. En l'espèce, l'art. 9 al. 1 phr. 3 LHID prévoit qu'un montant maximal peut être fixé pour les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail, sans donner aucune indication sur un montant minimal. Comme cela résulte de l’art. 9 al. 1 dans son entier, les frais de déplacement sont conçus comme des frais d'acquisition du revenu, et sont donc des déductions
organiques –, ce qui résultait déjà de la jurisprudence fédérale, même si celle-ci est ancienne (ATF 78 I 364 précité) et que la question est parfois encore débattue en doctrine (Severin KOLLER, op. cit., pp. 777-780 ; Felix RICHNER, op. cit., pp. 300-304, tous deux d'ailleurs en faveur de la qualification de frais d'acquisition du revenu). Par ailleurs, il apparaît clairement, comme déjà indiqué, que le législateur fédéral entendait traiter différemment diverses catégories de contribuables, en particulier les travailleurs dépendants et les indépendants. Dès lors, si – comme le prétend la recourante – l’art. 29 al. 1 let. a LIPP contesté comportait une inégalité de traitement et/ou une entorse au principe de l'imposition selon la capacité contributive qui seraient inconstitutionnels, force serait de retenir que ces inconstitutionnalités ont été voulues par le législateur fédéral et sont immunisées par l’art. 190 Cst.

Il y a en effet entre l'art. 9 al. 1 dernière phrase LHID et l'art. 29 al. 1 let. a LIPP un lien de connexité étroite entraînant une obligation d'application par l'ensemble des autorités, y compris la chambre de céans.

Le fait que le législateur genevois ait choisi un montant sensiblement plus bas que les autres cantons suisses ayant fait usage de la possibilité qui leur était offerte de plafonner les frais de déplacement n'y change en l'occurrence rien ; à l'évidence, même s'il avait par exemple retenu, à l'instar du législateur fédéral pour l'IFD ou du canton de Bâle-Ville, un montant de CHF 3'000.-, cela ne résoudrait pas pour autant les problèmes dénoncés par la recourante. De plus, le fait que le législateur fédéral ait laissé les cantons libres de choisir le montant maximal de la déduction, sans imposer aucun plancher ni aucun plafond, montre qu'il entendait ménager aux cantons une importante marge de manœuvre leur permettant de prendre en compte tant leurs particularités locales que leurs options politiques, notamment dans le domaine des transports, étant précisé que le canton de Genève maintient et développe une offre importante de transports publics (cf. art. 191 Cst-GE) y compris, dans une certaine mesure, au niveau transfrontalier avec notamment la construction de la liaison ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (ci-après  CEVA) et l'exploitation de lignes de bus allant au-delà des frontières cantonales.

Enfin, il sied de préciser qu’une déduction de CHF 500.- n’est pas si faible qu’elle viderait de sa substance le principe même, garanti par l’art. 9 al. 1 LHID, d’une déductibilité à tout le moins partielle des frais de déplacement.

c. Les griefs de violation des art. 8 et 127 Cst. seront dès lors écartés.

21) La recourante demande par ailleurs l'annulation de l'art. 2 souligné de la loi 11'685, se plaignant de ce qu'il viole le principe de la non-rétroactivité des normes. Selon le Grand Conseil, la loi 11685 instaure un régime de rétroactivité improprement dite.

22) a. En règle générale, la loi applicable est celle qui est en vigueur au moment où les faits pertinents doivent être régis (ATF 140 II 134 consid. 4.2.4). Le principe est celui de l’interdiction de la rétroactivité des lois. Une norme a un effet rétroactif lorsqu'elle s'applique à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 119 Ia 254 consid. 3 ; 116 Ia 207 consid. 4a ; ACST/16/2015 du 2 septembre 2015 consid. 16b ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 7c ; ATA/210/2016 du 8 mars 2016 consid. 10c).

Il ne peut en principe être adopté de normes qui déploieraient des effets juridiques à des faits entièrement révolus avant leur entrée en vigueur (arrêt du Tribunal fédéral 1D_3/2016 du 27 avril 2017 consid. 4.1), ceci pour des motifs de sécurité et de prévisibilité du droit, immanents aux principes de la légalité, de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire découlant des art. 5 al. 3 et 9 Cst. ; cf., en droit privé, art. 1 Tit. fin. du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210 ; ATF 138 I 189 consid. 3.4 ; 133 III 105 consid. 2.1.1 ; 125 I 182 consid. 2b.cc ; 122 II 124 consid. 3b.dd ; 119 Ia 257 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_806/2012 du 12 juillet 2013 consid. 8.2 non publié in ATF 139 I 229 ; 5A_690/2011 du 10 janvier 2012 consid. 3.2 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 137 n. 383 ; Georg MÜLLER, in Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, 1995, n. 74 ad. art. 4 aCst.). Si la rétroactivité d’une norme de droit matériel est directement contraire au principe de la sécurité et de la prévisibilité du droit, c’est parce qu’au moment où les faits pertinents se sont passés, les intéressés ne pouvaient connaître les conséquences qu’ils auraient (ATF 122 V 405 consid. 3b.aa ; 119 Ia 258 consid. 3b ; 119 V 4 consid. 2a ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 198 ; René WIEDERKHER/Paul RICHLI, Praxis des allgemeinen Verwaltungsrechts, 2012, p. 283 n. 844 ; Georg MÜLLER, op. cit., n. 74 ad. art. 4). Dans le domaine fiscal, cette interdiction découle également du droit à l’égalité de l’art. 8 al. 1 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 2C_436/2010 du 16 septembre 2010 consid. 4.3). Elle vaut tant pour les impôts que pour les taxes causales (arrêt du Tribunal fédéral 2P.148/2001 du 10 octobre 2001 consid. 2a.cc). À Genève enfin, la plus ancienne des lois du recueil systématique cantonal, soit la loi sur les effets et l'application des lois, du 14 ventôse XI (LEAL - A 2 10), pose dans son unique article que la loi ne dispose que pour l’avenir, et qu'elle n’a point d’effet rétroactif.

b. Il ne peut être dérogé qu’exceptionnellement au principe de la non-rétroactivité des normes, à des conditions cumulatives rigoureuses, et ce également en cas de rétroactivité en faveur des administrés ou citoyens. Une rétroactivité n’est possible que s'il existe un intérêt public important. Elle doit être expressément prévue par une loi et raisonnablement limitée dans le temps. Elle ne doit pas engendrer d'inégalités choquantes et elle ne doit pas porter atteinte à des droits acquis (ATF 125 I 182 consid. 2b.cc ; 122 V 405 consid. 3b.aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; ACST/17/2015 précité consid. 23 ; ACST/1/2015 précité consid. 7).

23) Il n'y a pas de rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend réglementer un état de chose qui, bien qu'ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l'entrée en vigueur du nouveau droit. Autrement dit, il n’y a pas rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend régler, de façon nouvelle pour l’avenir, un état de fait qui a pris naissance dans le passé et perdure au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit ; ce dernier attache des conséquences juridiques à des faits ayant pu se produire antérieurement, mais uniquement pour la période future et en tant que leur survenance passée a créé une situation qui continue à déployer ses effets. Cette rétroactivité improprement dite, n’ayant en réalité que l’apparence d’une rétroactivité, est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (ATF 140 V 154 consid. 6.3.2 ; 138 I 189 consid. 3.4 ; 122 II 113 consid. 3b ; arrêts du Tribunal fédéral 1D_3/2016 précité consid. 4.1 ; 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; ACST/1/2017 du 27 janvier 2017 consid. 7).

24) a. Pour déterminer si une loi a un effet rétroactif, en principe interdit, il faut déterminer le moment auquel elle doit être considérée comme adoptée et celui à partir duquel, une fois entrée en vigueur, elle est censée déployer des effets juridiques.

b. Une norme n’est adoptée qu’une fois que le processus normatif est arrivé à son terme. Dans le cas des lois, ledit processus comporte d’abord une phase parlementaire, qui va du dépôt du projet de loi à l’adoption de la loi, phase régie notamment par la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 (LRGC - B 1 01). Suit une phase référendaire, soumise notamment aux art. 65 à 79 Cst-GE, 85 ss de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05) et 9 ss de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels du 8 décembre 1956 (LFPP - B 2 05). Le processus législatif se clôt par la promulgation de la loi, notion qui ne se confond pas avec celle d’entrée en vigueur.

Lorsqu’aucun référendum n’est lancé, la loi est promulguée à l’expiration du délai référendaire (soit, en règle générale, une cinquantaine de jours après son adoption par le Grand Conseil). Si un référendum est lancé mais n’aboutit pas, elle l’est une fois qu’il a été constaté officiellement que le référendum n’a pas abouti. Et si le référendum aboutit, la loi est promulguée une fois qu’elle a le cas échéant été acceptée par le corps électoral, après validation du résultat des opérations électorales. Selon la formule consacrée mais ambiguë figurant à l’art. 14 LFPP, la loi est alors « exécutoire » dans tout le canton dès le lendemain de la publication de l’arrêté de promulgation dans la FAO. La promulgation constate l’adoption définitive de la loi. Ce n’est qu’à partir de sa promulgation qu’une loi est réputée adoptée, en étant susceptible d’entrer en vigueur dès le lendemain. Peu importe qu’elle porte la date de son adoption par le Grand Conseil (art. 1 al. 2 LFPP), ni qu’elle soit encore exposée à un recours en contrôle abstrait des normes auprès de la chambre de céans (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 130B al. 1 let. a LOJ), puis le cas échéant du Tribunal fédéral (art. 82 ss LTF).

Cette conclusion s’impose compte tenu de la nature suspensive du référendum ordinaire, dans le canton de Genève comme sur le plan fédéral (cf. art. 141 Cst.) et dans l’ensemble des cantons suisses (Andreas AUER, Staatsrecht der schweizerischen Kantone, 2016, n. 1015), l’exception du référendum résolutoire en cas de lois munies de la clause d’urgence conformément à l’art. 70 Cst-GE (repris à l’art. 142 LRGC ; cf. sur le plan fédéral art. 165 Cst.) représentant une confirmation de la règle inverse : la possibilité de lancer un référendum, le cas échéant le lancement, l’aboutissement d’une demande de référendum, l’organisation du scrutin, puis enfin une éventuelle non-acceptation de la loi frappée de référendum font obstacle à ce que cette dernière, quoique votée par le parlement, tant entre en vigueur que déploie des effets juridiques (Sebastian RAPP, Direkte Demokratie in der Schweiz, 2016, p. 356 ; Bernhard EHRENZELLER et al. [éd.], Die schweizerische Bundesverfassung – St. Galler Kommentar, 3ème éd., 2014, n. 16 ad art 164 Cst. ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, op. cit.,vol. I, n. 825 et 1532 ; Étienne GRISEL, Initiative et référendum populaires, 2ème éd., 2004, n. 816, 821 et 848 ; Jean-François AUBERT, Le referendum populaire, RDS 1972 I 481-506, p. 490).

c. Le moment à partir duquel une nouvelle norme déploie des effets juridiques coïncide le plus souvent, mais pas forcément, avec celui de son entrée en vigueur. Il y a des cas, certes exceptionnels, dans lesquels une loi peut ou entend déployer des effets rétroactivement, ainsi que des cas dans lesquels des dispositions transitoires atténuent les effets de la loi ou en diffère les effets.

La fixation de la date d’entrée en vigueur des lois (et, faute de précision contraire, de la date à partir de laquelle elles doivent déployer leurs effets) peut être déléguée à l’exécutif, ou résulter de la loi elle-même, ou encore, à défaut, être liée à celle de la promulgation de la loi. C’est ce que prévoit l’art. 14A LFPP, selon lequel « si la date d’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle ou de la loi n’est pas indiquée dans l’acte lui-même ou fixée par arrêté du Conseil d’État, cette date est celle où l’acte devient exécutoire en vertu de l’article 14 ». À cet égard, il convient d'interpréter cette disposition conformément aux art. 67 et 70 Cst-GE : quand bien même elle prévoit – a contrario mais de manière parfaitement claire – qu'une loi qui prévoit elle-même sa date d'entrée en vigueur entre en vigueur à cette date, et qu'aucune norme genevoise ne prévoit expressément la nature suspensive du référendum facultatif contre les lois non urgentes, cette nature découle intrinsèquement du système constitutionnel, et l'on doit ainsi considérer que si la date d'entrée en vigueur prévue dans la loi est antérieure à la date de sa promulgation, il ne peut y avoir entrée en vigueur à cette date, mais uniquement à partir du lendemain de la publication de l'arrêté de promulgation avec effet rétroactif au jour indiqué dans la loi.

Comme l’a rappelé le rapporteur de la commission parlementaire sur le PL 5084 adopté par le Grand Conseil le 18 décembre 1980, ayant introduit l’art. 14A LFPP, « à partir du moment où le Grand Conseil a adopté une loi en troisième débat, la procédure qui conduit à son entrée en vigueur comprend en principe trois étapes : a) La loi fait l'objet d'une première publication dans la FAO, laquelle a pour objet d'en porter le texte à la connaissance des citoyens et d'ouvrir la procédure référendaire, soit de faire courir le délai en cas de référendum facultatif ; b) À l'expiration du délai référendaire ou après son adoption en votation populaire, la loi est promulguée dans le plus bref délai par le Conseil d'État. L'arrêté de promulgation fait l'objet d'une seconde publication – définitive – dans la FAO. L'arrêté de promulgation ne signifie cependant pas que la loi est entrée en vigueur, mais seulement qu'elle est exécutoire, c'est-à-dire qu'elle est conforme aux exigences de la constitution, notamment que le délai de 30 jours est écoulé, sans que le référendum ait été demandé ; c) Conformément à la loi actuelle, la date d'entrée en vigueur peut être fixée dans la loi elle-même. Lorsqu'elle ne l'est pas l'article 2 prévoit que la loi entre en vigueur le jour où elle devient exécutoire, c'est-à-dire le lendemain de la publication de l'arrêté de promulgation (art. 14) » (MGC 1980 45/IV 4671 s.).

25) a. En l’espèce, la loi attaquée a été adoptée le 17 décembre 2015 par le Grand Conseil ; son art. 2 souligné prévoit une date déterminée d'entrée en vigueur, soit le 1er janvier 2016. Dans l’arrêté du 13 janvier 2016 de sa publication paru dans la FAO du 15 janvier 2016, le Conseil d’État a fixé le délai référendaire au 24 février 2016. Par arrêté du 27 avril 2016, il a constaté l’aboutissement d’un référendum initié par deux partis politiques. Le texte légal a été soumis au peuple genevois, qui l’a accepté le 25 septembre 2016. Le 28 septembre 2016, le Conseil d’État a constaté le résultat de la votation publié dans la FAO du 30 septembre 2016. Le 12 octobre 2016, il a validé ladite opération électorale. La loi 11685 a été promulguée dans la FAO le 21 octobre 2016 « pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication du présent arrêté, avec effet au 1er janvier 2016 ».

b. Dans la perspective de l’application du principe de la non-rétroactivité des lois (y compris le cas échéant de ses exceptions), la loi 11685 doit être réputée avoir été adoptée le 21 octobre 2016, jour de sa promulgation.

En l’adoptant, le 17 décembre 2015, le législateur a entendu qu’elle « entre en vigueur », soit en réalité aussi et surtout déploie ses effets rétroactivement au 1er janvier 2016. Il était alors certain qu’elle ne serait réputée adoptée et ne pourrait donc entrer en vigueur qu’au plus tôt à l’expiration du délai référendaire ; et il n’était nullement exclu qu’un référendum soit lancé et aboutisse, et donc que la loi ne soit réputée adoptée, en cas d’acceptation en votation référendaire, et ne puisse alors entrer en vigueur au mieux guère qu’au courant de l’automne 2016. Le législateur a conféré un effet rétroactif à la loi, qui aurait été de près de deux mois dans la première hypothèse (ATF 119 Ia 254 consid. 3a in fine), et serait de près de dix mois dans l’hypothèse qui s’est réalisée. Il s’agit bien d’une rétroactivité proprement dite, et non d’une rétroactivité improprement dite.

c. À cet égard, le Grand Conseil fait valoir qu'en matière fiscale, il n'y aurait rétroactivité proprement dite que si la loi prévoit un nouvel objet d'imposition, et non si seule l'étendue du devoir fiscal est déterminée en fonction de faits intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi. Il cite à cet égard l'ATF 102 Ia 31 consid. 3a ainsi que l'arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2003 du 13 février 2004 consid. 8.5.

Plus précisément, la jurisprudence fédérale retient qu'il n'y a, en droit fiscal, de rétroactivité proprement dite que lorsque les conséquences juridiques de l'obligation fiscale se rapportent à des faits ayant eu lieu avant l'entrée en vigueur de la loi, et non déjà lorsque seule l'étendue de l'obligation fiscale est déterminée sur la base de faits intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi ; il n'y a ainsi pas de rétroactivité proprement dite lorsque le revenu est calculé, lors de la première période de taxation, sur la base d'une période lors de laquelle l'ancienne loi était en vigueur (ATF 119 V 200 consid. 5c/aa ; 104 Ib 205 consid. 6).

La loi 11685 a été soumise au référendum facilité, qui concerne en matière fiscale les lois qui ont pour objet un nouvel impôt ou qui portent sur la modification du taux ou de l’assiette d’un impôt existant (art. 67 al. 2 let. a Cst-GE). Ce qui est en jeu est ici une modification de l'assiette de l'impôt, laquelle correspond à l'objet fiscal (ATF 136 I 65 consid. 3.5 = RDAF 2010 II 22, 28), et la loi attaquée consacre dès lors bien une modification de l'objet de l'impôt. Elle aboutit de plus à une augmentation de la charge fiscale, et donc au même résultat que l'institution d'un nouvel impôt. De plus, il ne s'agit pas simplement de procéder au calcul du revenu imposable sur une base antérieure à l'entrée en vigueur de la loi fiscale (comme dans l'arrêt 2P.170/2003 précité, ou comme dans l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_448/2008 du 16 octobre 2008 consid. 3.4, dans lequel la baisse de la déduction avait pris effet le 1er janvier 2001 et n'avait été appliquée qu'à partir de la période fiscale 2001-2002, mais sur la base des revenus touchés et de la rente viagère versée en 1999-2000), mais de ne plus prendre en compte fiscalement, ou seulement dans une mesure très limitée, des déplacements professionnels effectués entre le 1er janvier et le 22 octobre 2016, soit à un moment où le droit en vigueur permettait la déduction intégrale des frais liés à de tels déplacements. Il n'est ainsi pas possible de retenir de la jurisprudence fédérale qu'en matière d'impôt sur le revenu, ce dernier existant depuis des décennies, toutes les modifications du taux ou de l'assiette de l'impôt (comme la réduction ou la suppression de déductions existantes) pourraient voir leur entrée en vigueur fixée à n'importe quel point dans le passé. Bien que la loi présentement attaquée soit de nature fiscale, le raisonnement tenu dans l'ATF 119 Ia 254 précité consid. 3a lui est parfaitement applicable.

Il y a donc bien lieu d'admettre l'existence d'une rétroactivité proprement dite.

d. Aussi faut-il examiner si les conditions exceptionnelles d’une rétroactivité proprement dite sont réalisées.

Or, si la rétroactivité de la loi 11685 est certes expressément prévue par la loi elle-même, il appert qu’elle n’est pas raisonnablement limitée dans le temps et ne répond pas à un intérêt public l’emportant sur les intérêts privés en jeu.

S’agissant de sa limitation dans le temps, il n’y a pas lieu de s’interroger sur l’admissibilité d’une rétroactivité de quelque deux mois qui aurait prévalu en l’absence de référendum. Dès lors qu’un référendum a été lancé, a abouti et qu’il y a eu acceptation de la loi en votation référendaire, la durée déterminante en l’espèce est de près de dix mois. Une telle durée d’application rétroactive est incompatible avec les exigences de sécurité juridique et de prévisibilité du droit, particulièrement dans le domaine fiscal, dans lequel le principe de la légalité, auquel ces exigences se rattachent notamment, doit être appliqué avec rigueur. Il sied de préciser que tant qu’une loi n’est pas adoptée au sens précité, ses destinataires ne sauraient avoir été tenus de se préparer à son application, restée hypothétique au moins jusqu’au vote référendaire ; ils ne sauraient en particulier avoir, s’ils l’entendaient, adapté leur situation ou leur comportement au nouveau régime juridique (ce qui peut impliquer la prise de dispositions irréversibles ou difficilement réversibles, comme – en l’occurrence – un déménagement et possiblement la vente d’un bien immobilier ou un changement d’emploi). C’est d’autant plus vrai en l’espèce que la limitation à seulement CHF 500.- des frais déductibles de déplacement avait, le 17 décembre 2015, certes été adoptée par une majorité parlementaire, mais contrairement à la majorité de la commission parlementaire ayant traité de cet objet, et donc que la position du corps électoral n’était pas acquise d’avance.

Par ailleurs, l’intérêt financier de l’État ne saurait en règle générale représenter un motif pertinent de conférer un effet rétroactif à une loi (ATF 119 Ia 254 précité consid. 3b et références citées), surtout – à nouveau – en matière fiscale. Nonobstant leur importance (estimée par le Conseil d’État à quelque CHF 27'000'000.- par an dans l'exposé des motifs), rien ne démontre – et l’intimé n’a pas même plaidé – que les rentrées fiscales supplémentaires escomptées de la limitation à CHF 500.- des frais de déplacement déductibles seraient indispensables pour remédier à un grave péril des finances publiques.

Quant à l'intérêt public à promouvoir l'utilisation des TPG, il ne saurait justifier la rétroactivité de la loi attaquée. En effet, pour les contribuables qui ne disposent pas de transports publics, ou seulement sur une petite partie de leur trajet, ou encore qui effectuent leurs trajets d'ores et déjà en transports publics mais au bénéfice d'un abonnement général des chemins de fer fédéraux (ci-après : CFF) – désormais plus déductible que pour une faible part –, l'effet incitatif est très modeste voire inexistant. Quant à ceux que cette incitation peut concerner, à savoir ceux qui résident dans le canton de Genève et dans les zones desservies par les TPG, ils ne peuvent pas changer de comportement de manière rétroactive. Dans les deux cas, l'intérêt public considéré ne peut servir à justifier la rétroactivité conférée à la loi.

e. L’effet rétroactif conféré à la loi 11685 par son art. 2 souligné est donc inconstitutionnel.

À titre superfétatoire, on doit retenir que tel serait également le cas si l'on appliquait à la lettre l'art. 14A LFPP. Dans ce cas, la loi 11685 serait entrée en vigueur le 1er janvier 2016, soit le jour indiqué dans la loi. Il n'y aurait ainsi pas de problème de rétroactivité. Mais dans ce cas, le fait de fixer l'entrée en vigueur avant la promulgation de la loi, et à plus forte raison avant l'expiration du délai référendaire, rendrait l'art. 2 souligné de la loi contraire aux art. 67 et 70 Cst-GE, en ce sens que le référendum suspensif prévu par l'art. 67 Cst-GE aurait été transformé en un référendum résolutoire au sens de l'art. 70 Cst-GE, sans que la loi 11685 ait été déclarée urgente.

26) Il reste à déterminer quelles conséquences doivent être tirées de l'inconstitutionnalité constatée.

27) a. Le recours en contrôle abstrait des normes a en règle générale un caractère cassatoire. Statuant dans le cadre d’un tel recours, la chambre de céans ne saurait en principe réformer une norme s’avérant inconstitutionnelle autrement qu’en en biffant des mots ou membres de phrases, ce qui constitue une annulation partielle de normes (ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 2b ; ACST/17/2015 précité consid. 26b ; ACST/12/2015 du 15 juin 2015 consid. 4c ; Arun BOLKENSTEYN, Le contrôle des normes, spécialement par les cours constitutionnelles cantonales, 2014, p. 337 s. ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 2301 s.). La loi de mise en œuvre de l’art. 124 Cst-GE prévoyant la cour constitutionnelle n’a certes pas modulé, pour le cas du recours en contrôle abstrait des normes, la portée de l’art. 69 al. 3 phr. 1 LPA conférant aux juridictions administratives le pouvoir de réformer (et pas seulement d’annuler) les « décisions » attaquées devant elles en cas d’admission du recours, mais il est dans l’ordre institutionnel des choses que le juge constitutionnel ne se substitue en principe pas aux organes normatifs, mais se contente d’annuler les normes jugées inconstitutionnelles. Dans un ACST/19/2015 du 15 octobre 2015 consid. 15d, la chambre de céans a cependant jugé que, du fait de l’annulation qu’elle prononçait d’une référence qu’un article d’un règlement faisait à une autre disposition du même règlement, ledit article prenait un nouveau libellé, qu’elle a formellement énoncé dans les considérants de son arrêt.

Dans certains cas, exceptionnels, plutôt que d’annuler une norme, le Tribunal fédéral se contente d’en constater l’inconstitutionnalité, laissant ainsi subsister ladite norme et invitant implicitement le législateur à la modifier ; cette solution, qualifiée de décision incitative (« Appellentscheid »), est admise pour des motifs de proportionnalité et de sécurité du droit, notamment lorsque l’annulation de l’acte normatif inconstitutionnel aurait pour effet de faire revivre une réglementation encore moins conforme au droit supérieur ou créerait de nouvelles inégalités (ATF 131 I 377 consid. 4.4 ; 129 I 185 consid. 8 et 9 ; 124 I 193 consid. 5 ; 110 Ia 7 consid. 6 ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 2307 s. ; Gerold STEINMANN, in Marcel Alexandere NIGGLI/ Peter UEBERSAX/ Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetzt, 2ème éd., 2011, n. 99 ad art. 82  ; Yves DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, 2008, p. 1571 s., n. 4355 s. ; Andreas AUER, L’effet des décisions d’inconstitutionnalité du Tribunal fédéral, PJA 1992 559-566, pp. 562 ss).

b. En l’espèce, l’art. 2 souligné de la loi 11685 est inconstitutionnel en tant qu’il fixe au 1er janvier de l’année 2016 l’entrée en vigueur et, surtout, la date à partir de laquelle ladite loi est censée déployer ses effets, rétroactivement par rapport à la date pertinente d’adoption et d’entrée en vigueur possible de ladite loi. L’annulation pure et simple de cette disposition impliquerait que la loi considérée n’entrerait en vigueur qu’une fois seulement qu’aurait été adoptée une nouvelle teneur de cette disposition légale (à savoir, pratiquement, pas avant le 1er janvier 2018), étant précisé qu’on ne pourrait considérer qu’une telle annulation impliquerait une application directe de l’art. 14A LFPP, autrement dit une entrée en vigueur ex lege le lendemain de la promulgation de la loi. Elle porterait lourdement à conséquence, puisqu’elle affecterait la taxation fiscale non seulement de l’année 2016 mais aussi celle de l’année 2017. Il n’y a pas pour autant matière à se limiter à un arrêt incitatif (« Appellentscheid »), soit à constater l’inconstitutionnalité de l’art. 2 souligné.

Dans le cadre du contrôle abstrait des normes, il n’y a lieu d’annuler une disposition que si et dans la mesure où elle ne se prête pas à une interprétation conforme à la constitution. Dans cette perspective, il faut relever que l’inconstitutionnalité de l’art. 2 souligné ne réside que dans la date fixée par cette disposition, mais qu’elle n’est pas pérenne, autrement dit – dès lors que, sur le fond, la loi est jugée constitutionnelle – qu’elle n’est inconstitutionnelle qu’en tant qu’elle confère un effet rétroactif à ladite loi. Il serait conforme à la volonté du législateur de retenir qu’il a entendu que cette loi déploie ses effets aussitôt que possible, à savoir au 1er janvier suivant son adoption, logiquement au début d’une année fiscale (art. 61 al. 2 LIPP). Le premier 1er janvier qui suit la date pertinente d’adoption et d’entrée en vigueur possible de la loi est le 1er janvier 2017. C’est d’ailleurs bien ce que la présidence de la chambre de céans a envisagé, certes sans le traduire dans le dispositif de sa décision du 27 janvier 2017 octroyant l’effet suspensif au recours, puisque c’est exclusivement au regard de la taxation 2016 qu’elle a estimé, dans la pesée des intérêts en présence, que l’effet suspensif devait être accordé, à juste titre en considération d’un probable problème de rétroactivité.

Ainsi, réformer ledit art. 2 souligné en lui donnant la teneur suivante « La présente loi entre en vigueur et déploie ses effets dès le 1er janvier 2017 », plutôt qu’annuler purement et simplement cette disposition procéderait, dans un cas de ce genre, non d’une extension du pouvoir de décision de la chambre de céans incompatible avec la vocation de cette dernière, mais au contraire d’une limitation de son pouvoir ordinairement cassatoire, car elle restreindrait la portée de l’arrêt de la chambre constitutionnelle, et ce d’une façon plus conforme à la volonté du législateur telle qu’elle se dégage de la loi considérée. Un tel dispositif ne représenterait pas un excès ou un abus du pouvoir de décision qui revient à la chambre de céans en application de l’art. 69 al. 3 phr. 1 LPA tel qu’il y a lieu de l’interpréter en matière de contrôle abstrait des normes. Il ne serait pas davantage contraire à l'art. 69 al. 1 LPA, cette solution allant moins loin que l'annulation pure et simple de l'article à laquelle conclut la recourante.

c. Telle est la solution que la chambre de céans retiendra en considération de la particularité du cas d’espèce. Elle réformera l’art. 2 souligné attaqué en lui donnant la teneur précitée.

28) Il convient encore d'ajouter que, vu ce qui précède, l'art. 72 al. 11 LIPP introduit par la loi 11685 ne pourra pas être appliqué tel quel. Sans que le texte de la loi doive formellement être modifié, il y aura lieu de le comprendre et de l'appliquer de manière que les deux années N mentionnées dans le texte soient en fait les années N+1 (soit 2018 pour la première adaptation au renchérissement, et 2017 pour l'année de référence relative à l'indice de renchérissement).

29) Les autres griefs ayant été écartés, le recours sera partiellement admis au sens des considérants qui précèdent.

30) Dans la mesure où la recourante n'obtient que partiellement gain de cause, l'émolument dû par elle sera réduit et fixé à CHF 1'000.- (art. 87 al. 1 LPA). N'ayant pas déclaré faire appel aux services d'un mandataire ni avoir exposé de frais pour sa défense, il ne lui sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 novembre 2016 par Madame A______ contre la loi 11685 du 17 décembre 2015 ;

au fond :

l'admet partiellement au sens des considérants ;

réforme l'art. 2 souligné de la loi 11685 du 15 décembre 2015, en lui donnant la teneur suivante : « La présente loi entre en vigueur et déploie ses effets dès le 1er janvier 2017 » ;

rejette le recours pour le surplus ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, au Grand Conseil ainsi qu'au Conseil d'État, pour information.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Cramer et Junod, MM. Dumartheray et Martin, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

I. Semuhire

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :