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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1380/2016

ACST/9/2016 du 05.07.2016 ( ABST ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1380/2016-ABST ACST/9/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 5 juillet 2016

 

dans la cause

 

Monsieur

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, de nationalité suisse, est domicilié dans le canton de Genève.

2.             Le 21 février 2013, le Grand Conseil a adopté la loi 11056 (ci-après : L 11056) modifiant la loi sur la police du 26 octobre 1957 (ci-après : aLPol), introduisant dans cette dernière les articles nouveaux 21A, 21B et 22, intitulés respectivement « Observation préventive », « Recherches préventives secrètes » et « Enquête sous couverture ».

3.             La L 11056 a été promulguée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 19 avril 2013.

4.             Le 21 mai 2013, le Parti Socialiste Genevois, Les Verts genevois et quatre citoyens genevois ont formé un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral contre cette modification législative, en concluant à l’annulation des art. 21A al. 2, 21B et 22 aLPol (cause enregistrée sous le n° 1C_518/2013).

5.             Le 19 juin 2013, le Conseil d’État a saisi le Grand Conseil d’un projet de révision totale de l’aLPol (ci-après : PL 11228), prévoyant l’abrogation de cette dernière et son remplacement par une nouvelle loi sur la police, reprenant quasi textuellement, à ses art. 52 à 54, les art. précités 21A, 21B et 22 aLPol attaqués devant le Tribunal fédéral.

6.             Le 9 septembre 2014, le Grand Conseil a adopté la L 11228, comportant 68 articles (ci-après : LPol), dont les trois dispositions précitées sur les mesures d’investigations secrètes préventives (devenues les art. 56 à 58 LPol), ne divergeant des art. 21A, 21B et 22 aLPol alors encore contestés devant le Tribunal fédéral que sur l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour les enquêtes sous couverture), ainsi qu’un art. 67 al. 2, à titre de disposition transitoire, ayant la teneur suivante :

« 2 Compte tenu du recours (1C_518/2013) actuellement pendant contre les articles 21A, 21B et 22 de la loi sur la police du 26 octobre 1957, les articles 56 à 58, s'ils sont frappés de recours, n'entreront en vigueur qu'après vérification de leur constitutionnalité par l'autorité judiciaire compétente. Pendant toute la durée de l'éventuelle procédure de recours contre les articles 56 à 58, les articles 21A, 21B et 22 de la loi sur la police du 26 octobre 1957 resteront applicables, dans la mesure de leur constitutionnalité, y compris au-delà de l'entrée en vigueur de la présente loi. »

7.             Deux référendums ont été lancés contre la LPol, selon avis parus dans la FAO des 26 septembre et 21 octobre 2014. Le Conseil d’État en a constaté l’aboutissement par arrêté publié dans la FAO du 14 novembre 2014, et a fixé la date de la votation cantonale sur la LPol au dimanche 8 mars 2015 par arrêté publié dans la FAO du 21 novembre 2014.

8.             Dans l’intervalle, par arrêt du 1er octobre 2014, dont les considérants ont été reçus par le Grand Conseil le 11 décembre 2014, le Tribunal fédéral avait admis le recours précité et annulé les art. 21A al. 2, 21B et 22 aLPol (arrêt 1C_518/2013, publié aux ATF 140 I 381).

9.             Le 16 février 2015, M. A______ a recouru à la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la soumission de la LPol au vote référendaire du 8 mars 2015, pour le motif que, selon lui, la brochure explicative relative à cet objet ne contenait pas une information suffisante notamment sur le défaut de validité, transposable pour les art. 56 à 58 LPol, des art. 21A al. 2, 21B et 22 aLPol (cause A/520/2015).

10.         La chambre constitutionnelle a rejeté ce recours, dans la mesure de sa recevabilité, par arrêt du 4 mars 2015 (ACST/5/2015).

11.         Le 6 mars 2015, M. A______ a déposé un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant à son annulation ainsi qu’à celle de la votation référendaire du 8 mars 2015 sur la LPol.

12.         La LPol a été acceptée lors de la votation référendaire du 8 mars 2015, ainsi que le Conseil d’État l’a constaté par arrêté publié dans la FAO du 13 mars 2015.

13.         Le 7 mai 2015, le Conseil d’État a déposé devant le Grand Conseil un projet de loi modifiant la LPol (ci-après : PL 11664), c’est-à-dire complétant et modifiant ses art. 56 à 58 dans le but de rendre ces dispositions conformes aux exigences émises par le Tribunal fédéral dans l’ATF 140 I 381 et abrogeant son art. 67 al. 2 LPol.

14.         Par arrêt du 20 janvier 2016, le Tribunal fédéral a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours précité de M. A______ contre l’ACST/5/2015 du 4 mars 2015 (arrêt 1C_130/2015). Au consid. 3.5.1 de cet arrêt, il a confirmé l’interprétation historique et téléologique que la chambre constitutionnelle avait donnée à l’art. 67 al. 2 LPol, qui signifiait que les art. 56 à 58 LPol « ne sauraient être appliqués, sinon même entrer en vigueur, avant d’avoir été rendus conformes aux exigences émises par le Tribunal fédéral ».

15.         Le Conseil d’État a promulgué la LPol par arrêté publié dans la FAO du 12 février 2016.

16.         Par arrêté du 16 mars 2016, publié dans la FAO du 29 mars 2016, le Conseil d’État a fixé la date d’entrée en vigueur de la LPol au 1er mai 2016, à l’exception de ses art. 56, 57 et 58, dont il fixerait ultérieurement la date d’entrée en vigueur.

17.         Le 26 avril 2016, la commission parlementaire chargée d’étudier le PL 11664 a déposé son rapport, comportant un rapport de majorité et un rapport de minorité, ce dernier annonçant la présentation en séance plénière d’amendements dans l’esprit de ceux déposés et refusés en commission (PL 11664-A).

18.         Par acte du 3 mai 2016, M. A______ a recouru à la chambre constitutionnelle contre l’arrêté précité du Conseil d’État du 16 mars 2016 relatif à l’entrée en vigueur de la LPol. Il a conclu au constat que cet arrêté viole sur le fond le principe de la légalité en relation avec la violation du principe de la séparation des pouvoirs, à l’annulation de cet arrêté et au constat que l’aLPol est toujours en vigueur.

Valant règlement du Conseil d’État, l’arrêté attaqué était sujet à recours à la chambre constitutionnelle pour contrôle de sa conformité au droit supérieur. Le délai de recours était de trente jours. La qualité pour recourir appartenait à toute personne qui - comme le recourant - pourrait se voir un jour appliquer les normes contestées et même, par analogie avec les droits politiques, par tout citoyen exerçant - comme le recourant - les droits politiques dans le canton, ayant à ce titre vocation à défendre l’intérêt public. Les conclusions constatatoires du recours étaient recevables, car il était impossible, du fait de l’entrée en vigueur de la LPol déjà intervenue en date du 1er mai 2016, que la chambre constitutionnelle rende un jugement avec effet rétroactif et la sécurité du droit imposait de constater que l’aLPol était toujours en vigueur.

Le Conseil d’État n’avait pas la compétence de faire entrer la LPol en vigueur par étapes. Une telle compétence n’était pas incluse dans celle que l’art. 109 al. 4 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) lui conférait de faire exécuter les lois et de prendre à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires, norme dont découlait le principe de la séparation des pouvoirs, qui se trouvait dès lors enfreint par une entrée en vigueur de la LPol à l’exclusion de ses art. 56 à 58. Était également violé le principe de la légalité, invocable en lien avec celui de la séparation des pouvoirs, dans la mesure où l’art. 66 LPol, norme de rang légal chargeant le Conseil d’État de fixer la date d’entrée en vigueur « de la présente loi » (soit de la LPol) visait la LPol « dans son entier », telle que le souverain l’avait adoptée, sans offrir à l’exécutif la possibilité de « faire entrer en vigueur un article plutôt qu’un autre, de choisir à la carte quel article faire entrer en vigueur, donc de faire son choix au sein de la loi des éléments qui le contenteraient et ceux qui ne le contenteraient pas ». Il fallait certes réserver l’injonction du Tribunal fédéral, telle qu’elle résultait de la disposition transitoire figurant à l’art. 67 al. 2 LPol, de ne pas faire entrer en vigueur les art. 56 al. 2, 57 et 58 LPol avant que ces dispositions n’aient été rendues conformes aux exigences qu’il avait émises à propos des art. 21A al. 2, 21B et 22 aLPol. Les al. 1 et 3 de l’art. 21A aLPol (auquel correspondait pour l’essentiel les al. 1 et 3 de l’art. 56 LPol) n’avaient pas été annulés par le Tribunal fédéral. En ne les faisant pas entrer en vigueur en même temps que les autres dispositions de la LPol (sauf les art. 56 al. 2, 57 et 58 LPol), le Conseil d’État s’était érigé en législateur. L’exécutif aurait pu attendre la mise en conformité des art. 56 al. 2, 57 et 58 LPol avant de faire entrer en vigueur la LPol « dans son entier, avec les adaptations nécessaires ». L’arrêté attaqué devait être annulé, et même déclaré nul.

19.         Par mémoire du 31 mai 2016, le Conseil d’État a conclu principalement à l’irrecevabilité du recours précité de M. A______, et subsidiairement à son rejet.

L’arrêté fixant l’entrée en vigueur d’une loi n’était pas un règlement, ni, en tout état, une norme. Il ne pouvait faire l’objet d’un recours à la chambre constitutionnelle.

Dès lors que le législateur n’avait pas lui-même fixé la date d’entrée en vigueur de la LPol, il incombait au Conseil d’État de le faire, en vertu de l’art. 109 al. 4 Cst-GE. Il disposait à cet effet d’un large pouvoir d’appréciation, limité uniquement par l’interdiction générale de l’arbitraire, y compris s’agissant de la possibilité de faire entrer une loi en vigueur de façon échelonnée par le biais d’entrées en vigueur partielles, ainsi que le prévoyaient les directives de rédaction législative tant genevoise que fédérale. Il y avait de bons motifs d’excepter les art. 56 à 58 LPol de l’entrée en vigueur du reste de la LPol au 1er mai 2016. Ces dispositions reprenaient les art. 21A, 21B et 22 aLPol, que le Tribunal fédéral avait pour l’essentiel annulés. L’art. 67 al. 2 LPol visait les art. 56 à 58 LPol, et le Tribunal fédéral avait confirmé que cette disposition transitoire signifiait que ces derniers ne sauraient être appliqués, sinon même entrer en vigueur, avant d’avoir été rendus conformes aux exigences qu’il avait émises. Les autorités genevoises s’étaient engagées, en cas d’acceptation de la LPol en votation référendaire, à adapter lesdites dispositions aux exigences du Tribunal fédéral. Une mise en vigueur des al. 1 et 3 de l’art. 56 LPol n’aurait pas de sens, dans la mesure où la possibilité qu’ils reconnaissent à la police, sur le plan du principe, de faire de l’observation préventive ne peut se faire en recourant à des moyens techniques faute de communication a posteriori à la personne visée. Le PL 11664 du 7 mai 2016, mettant les art. 56 à 68 LPol en conformité avec les exigences du Tribunal fédéral, avait été étudié par la commission parlementaire compétente ; le rapport de la commission parlementaire était à l’ordre du jour d’une prochaine séance du Grand Conseil ; cette mise en conformité apparaissait proche et permettrait l’entrée en vigueur des art. 56 à 58 LPol dûment adaptés dans le courant de l’automne 2016, en l’absence de référendum ou de recours.

20.         Par décision du 6 juin 2016, la présidence du Tribunal civil a admis M. A______ au bénéfice de l’assistance juridique, limitée aux frais judiciaires, pour son recours du 3 mai 2016 à la chambre constitutionnelle.

21.         Dans des observations du 24 juin 2016, M. A______ a persisté dans les termes et conclusions de son recours. L’arrêté attaqué, pris en application de l’art. 109 al. 4 Cst-GE, faisait partie des actes officiels dont la chambre constitutionnelle avait vocation, sur requête, de contrôler la conformité au droit supérieur ; il était de nature générale et abstraite ou contenait à tout le moins un texte de portée générale. Le Tribunal fédéral n’avait indiqué ni dans son arrêt 1C_518/2013 du 1er octobre 2014, ni dans son arrêt 1C_130/2015 du 20 janvier 2016 qu’il était possible de reporter l’entrée en vigueur de l’art. 56 al. 1 et 3 LPol. Le Conseil d’État aurait pu faire entrer en vigueur même les art. 56 al. 2, 57 et 58 LPol, mais ne pas les appliquer ; cela n’aurait pas eu moins de sens que de faire entrer en vigueur l’art. 56 al. 1 et 3 LPol, également inapplicable. Ce qui aurait eu du sens, c’était que le Grand Conseil suivît l’avis de sa minorité et biffât les art. 56 à 58 de la LPol lors de l’adoption de cette dernière, puis qu’il adoptât de nouveaux art. 56 à 58 LPol, ce qu’il aurait eu le temps de faire. Les guides de rédaction législative, auxquels le Conseil d’État se référait, n’étaient que des directives administratives, dépourvues de force normative, ne liant ni les administrés, ni les tribunaux, ni même les administrations. Si l’art. 9 Cst. n’était certes pas cité dans le recours, la chambre constitutionnelle pouvait néanmoins en tenir compte, devant appliquer le droit d’office. Lors des travaux de l’assemblée constituante, le Conseil d’État avait fait des déclarations sur le caractère tout à fait exceptionnel des cas dans lesquels il ne promulguait pas une loi adoptée par le Grand Conseil pour le motif qu’elle ne serait pas conforme au droit supérieur, insistant pour que soit maintenue dans la nouvelle constitution la possibilité que connaissait l’ancienne de ne pas promulguer une loi adoptée par le Grand Conseil sur la base d’un projet de loi non déposé par le Conseil d’État, mais de lui représenter une telle loi avec ses observations dans un délai de six mois. Il s’était pourtant abstenu de le faire pour la LPol, dont il savait que ses art. 56 à 58 étaient dans leur ensemble contraires au droit supérieur. De plus, a contrario, il n’admettait pas qu’un tel projet de loi puisse être adopté partiellement. Le raisonnement valait par analogie pour l’entrée en vigueur d’une loi ; le Conseil d’État aurait dû attendre que les art. 56 al. 2, 57 et 58 LPol aient été rendus conformes aux exigences du Tribunal fédéral avant de mettre la LPol en vigueur dans son intégralité. Les art. 56 à 58 LPol proposés par le PL 11664 posaient toujours problème, ainsi qu’une minorité de la commission parlementaire le relevait dans son rapport à l'adresse du Grand Conseil.

22.         Le 27 juin 2016, cette écriture a été communiquée au Conseil d’État pour information, et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Selon l'art. 124 Cst-GE, la Cour constitutionnelle - à savoir la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (art. 1 let. h ch. 3 1er tiret de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 [LOJ - E 2 05]) - a pour compétences de contrôler sur requête la conformité des normes cantonales au droit supérieur, de traiter les litiges relatifs à l'exercice des droits politiques en matière cantonale et communale, et de trancher les conflits de compétence entre autorités. À ces trois compétences, le législateur cantonal a ajouté celle de connaître des recours en matière de validité des initiatives populaires (art. 130B al. 1 let. c LOJ).

Le présent recours a été formé en tant que requête en contrôle de conformité de normes cantonales au droit supérieur. Il est dirigé contre un arrêté du Conseil d’État relatif à l’entrée en vigueur d’une loi, à savoir un acte que ne mentionne pas l’art. 130B al. 1 let. a LOJ au titre des actes exposés à un contrôle abstrait des normes, puisque cette disposition légale vise les lois constitutionnelles, les lois et les règlements du Conseil d’État (ACST/7/2016 du 19 mai 2016 consid. 1 ; ACST/19/2015 du 15 octobre 2015 consid. 1a ; ACST/2/2014 du 17 novembre 2014 consid. 1a).

2.             a. En adoptant cet art. 130B al. 1 let. a LOJ, le législateur cantonal a eu une conception restrictive des actes normatifs visés par l’art. 124 let. a Cst-GE, ainsi que le proposait l’Exécutif (exposé des motifs du PL 11311, p. 12). Tant devant la commission parlementaire chargée d’étudier ce projet de loi (PL 11311, p. 35 s.) qu’en séance plénière (MGC [en ligne], Séance du 11 avril 2014 à 17h), un amendement a été refusé qui voulait remplacer l’énumération que contient cette disposition légale par la mention des « actes cantonaux et communaux contenant des règles de droit ». Il a cependant été souligné à cette occasion que le texte proposé par le Conseil d’État mettait « clairement en évidence qu'il s'agit d'actes généraux et abstraits et non pas individuels et concrets » (MGC [en ligne], Séance du 11 avril 2014 à 17h ; sur le sujet, cf. Arun BOLKENSTEYN, Le contrôle des normes, spécialement par les cours constitutionnelles cantonales, thèse 2014, p. 291 ss ; Michel HOTTELIER/Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, in SJ 2014 II 341 ss, 377 ss). 

b. La chambre constitutionnelle a nié que les lois purement décisionnelles puissent faire l’objet d’un contrôle abstrait de conformité au droit supérieur auprès d’elle (ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 2), attachant de l’importance à l’exigence que l’acte attaqué à ce titre contienne des normes (ACST/12/2015 du 15 juin 2015 consid. 1b), à savoir des mesures générales, destinées à s'appliquer à un nombre indéterminé de personnes, et abstraites, se rapportant à un nombre indéterminé de situations, affectant au surplus la situation juridique des personnes concernées en leur imposant une obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer ou en réglant d'une autre manière et de façon obligatoire leurs relations avec l'État, ou alors ayant trait à l'organisation des autorités. Telle est en effet la définition communément admise de la notion de norme (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 3ème éd., 2013, vol. I, n. 1790 ss ; Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. I, 3ème éd., 2014, n. 230 ; art. 164 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 [Cst. - RS 101] ; art. 22 al. 1 et 4 de la loi sur l'Assemblée fédérale du 13 décembre 2002 [LParl - RS 171.10] ; sur la notion d'acte normatif cantonal que retient le Tribunal fédéral dans l'interprétation de l'art. 82 let. b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 [LTF - RS 173.110] et déjà anciennement de l'art. 84 al. 1 de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 [aOJ]), lui conférant la compétence d'exercer le contrôle abstrait des normes cantonales, cf. ATF 139 V 72 consid. 2.2.1 ; 135 II 38 consid.  4.3 ; 133 I 286 consid. 2.1 ; 128 I 167 consid. 4 ; 120 Ia 321 consid. 3.a ; 120 Ia 56 consid. 3.c ; 106 Ia 307 consid. 1.a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_469/2008 du 26 mai 2009 consid. 1 non publié in ATF 135 I 233 ; Alain WURZBURGER, Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, n. 91 et 91a ad art. 82 ; Heinz AEMISEGGER/Karin SCHERRER REBER, Bundesgerichtsgesetzt, 2ème éd., 2011, n. 23 ss ad art. 82 ; Yves DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral : commentaire, 2008, n. 2706 et 2696 ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 2074 et 2079 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. 1, n. 305 s.).

Une caractéristique de la norme est que celle-ci doit être publiée, conformément au principe de la publicité des normes, qui est reconnu de longue date comme découlant du principe de la légalité (ATF 104 Ia 167 consid. 2 ; 100 Ib 341 ; 92 I 226 ; 64 I 66 ; 28 I 108 ; 7 712 ; arrêté du Conseil d’État du 6 juin 1988 sur le recours n° 3276 consid. 3a et références doctrinales citées ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERN/Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 1841) et est explicitement ancré à l’art. 9 al. 2 phr. 1 Cst-GE, selon lequel les règles de droit sont publiées.

3.             a. L’art. 109 al. 4 Cst-GE fait mention de règlements et d’arrêtés, pour désigner des actes officiels par lesquels le Conseil d’État exerce les compétences que lui confère cette disposition constitutionnelle de mettre les lois à exécution, en plus de celle de les promulguer. Cette norme constitutionnelle contribue à définir les contours du principe de la séparation des pouvoirs, qu’expriment par ailleurs les art. 2 al. 2, 80 et 101 Cst-GE.

La mise à exécution des lois comporte de multiples facettes, dont une revêt un caractère normatif certain, à savoir l’adoption de normes d’exécution et, pour autant que la loi contienne une clause de délégation législative, de normes de substitution (David HOFMANN, Le Conseil d’État dans la constitution genevoise du 14 octobre 2012, in Actualités juridiques de droit public 2013, p. 111 ss, 138 ss ; ATF 138 I 196 consid. 4.5.1 ; 134 I 322 consid. 2.4). Elle comprend aussi celle de publier et promulguer les lois, ainsi que d’en fixer l’entrée en vigueur, de façon constatatoire (lorsqu’il s’agit simplement de rappeler la date d’entrée en vigueur qui résulte des lois considérées elles-mêmes ou de la norme voulant qu’en cas de silence à ce propos dans les lois considérées celles-ci entrent en vigueur le jour où elles deviennent exécutoires, soit le lendemain de la publication de leur promulgation dans la FAO [art. 14 et 14A de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels du 8 décembre 1956 - LFPP - B 2 05]) ou de façon formatrice (lorsque les lois considérées délèguent au Conseil d’État le soin d’en fixer la date d’entrée en vigueur). S’ils s’inscrivent dans le cadre du processus législatif, ces actes officiels n’ont pas en eux-mêmes un caractère normatif.

b. Si elle ne définit pas les notions de règlement et d’arrêté, la LFPP cite les règlements pour dire qu’ils doivent être publiés dans la FAO (art. 15 LFPP), et elle évoque la voie de l’arrêté pour la promulgation des lois constitutionnelles et des lois régulièrement adoptées par le corps électoral ou par le Grand Conseil (art. 11 LFPP ; cf. aussi art. 7B al. 2 in fine et al. 3, art. 9, 13 et 14 LFPP), ainsi que pour la fixation de l’entrée en vigueur de ces lois (art. 14A LFPP). Le règlement d’exécution de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiel, du 15 janvier 1957 (RFPP - B 02 05.01), complète à cet égard la LFPP en précisant que le Conseil d’État publie les lois constitutionnelles et les lois au moyen d’un arrêté (art. 8 RFPP).

Une définition des notions de règlements et d’arrêtés figure à l’art. 1 RFPP. Cette disposition indique que les règlements sont les textes de portée générale adoptés par le Conseil d’État, et que sont également qualifiés de règlements les textes dont l’une au moins des dispositions est de portée générale (al. 1), tandis que les arrêtés et les décisions sont les textes sans portée générale adoptés par le Conseil d’État, conformément à l’art. 19 al. 1 let. a à f LFPP (al. 2), disposition qui énumère les textes officiels n’ayant pas vocation à être insérés dans le recueil systématique de la législation genevoise.

4.             a. L’acte attaqué fixe l’entrée en vigueur de la LPol, en application de l’art. 66 de ladite loi, qui charge le Conseil d’État de le faire.

À l’instar de tout arrêté relatif à la publication, la promulgation ou l’entrée en vigueur d’une loi, il conditionne l’applicabilité de cette loi, en l’espèce la LPol. Certes, lui-même n’est pas destiné à ne s’appliquer qu’à un nombre déterminé de personnes, et il a été publié dans la FAO. Il n’en a pas pour autant intrinsèquement un caractère normatif, ni ne contient en lui-même ne serait-ce qu’une norme. Il est un texte ou acte officiel concernant « l’applicabilité d’un acte, d’un texte ou d’un plan déterminés » au sens de l’art. 19 al. 1 let. d LFPP.

Non seulement il n’a donc pas vocation à être inséré dans le recueil systématique de la législation genevoise - ce qui constitue un indice supplémentaire qu’aux yeux du législateur il n’a pas de caractère normatif -, mais encore il revêt à juste titre la forme d’un arrêté et non d’un règlement, au regard de l’art. 109 al. 4 phr. 2 Cst-GE ainsi que de la LFPP et du RFPP.

Il s’ensuit qu’il n’entre pas dans le cercle des actes attaquables par la voie d’une requête en contrôle abstrait des normes à la chambre constitutionnelle. Cette conclusion s’appuie déjà sur la teneur de l’art. 130B al. 1 let. a LOJ, qui ne vise pas les arrêtés. Elle résulte de surcroît de la portée matérielle qu’il y a lieu de donner à l’art. 124 let. a Cst.-GE, que la disposition légale précitée concrétise fidèlement à sa lettre et son esprit en n’énumérant pas de tels arrêtés du Conseil d’État au nombre des actes sujets à un tel recours.

b. Le fait que l’arrêté attaqué fixe l’entrée en vigueur de la LPol de façon échelonnée dans le temps ne modifie pas l’appréciation qu’il s’impose de faire du caractère non attaquable d’un arrêté relatif à l’entrée en vigueur d’une loi, étant précisé qu’il ne recèle pas de normes, qui devraient être adoptées par voie légale ou réglementaire.

Il sied de préciser à ce dernier égard que l’art. 66 LPol n’exclut nullement, en parlant de « la présente loi », une entrée en vigueur de cette dernière par étapes, décidée pour des motifs objectifs pertinents. En l’espèce, il existait et subsiste à l’évidence de tels motifs, dûment relevés par l’intimé dans sa réponse au recours, de ne pas faire entrer en vigueur les art. 56 à 58 LPol (y compris l’art. 56 al. 1
et 3) en même temps que le reste de la LPol, dont rien ne justifiait de différer l’entrée en vigueur. Prétendre le contraire confine à la témérité.

5.             Le recours sera déclaré irrecevable.

6.             Le recourant plaidant au bénéfice de l’assistance juridique limitée aux frais judiciaires, il ne sera pas mis d’émolument à sa charge (art. 10 et 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

 

déclare irrecevable le recours interjeté le 3 mai 2016 par Monsieur A______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 16 mars 2016 relatif à l’entrée en vigueur de la loi du 9 septembre 2014 sur la police (LPol) (L 11228) ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au recourant et au Conseil d’État.

 

Siégeants : M. Verniory, président ; Mme Cramer ; M. Dumartheray, M. Pagan et M. Martin, juges.

 

 

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

I. Semuhire

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :