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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1301/2018

ACST/5/2019 du 27.02.2019 ( ABST ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1301/2018-ABST ACST/5/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 27 février 2019

 

dans la cause

 

ASSOCIATION A______

et

B______ SA

représentées par Me Bénédict Fontanet, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 


EN FAIT

1.             L’Association A______ (ci-après : l'association) est constituée en association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), avec siège à Genève. Elle a pour membres des entreprises dont l’activité principale est le nettoyage, dans le canton de Genève. Elle a pour buts de sauvegarder et de développer les intérêts communs de ses membres par toutes les mesures appropriées, en particulier d’assurer à ses membres son aide (soit ses conseils et son appui moral en toutes occasions), d’établir et entretenir entre eux de cordiales relations, de sauvegarder le prestige et l’honneur de la profession et promouvoir cette dernière, de soutenir la formation professionnelle et la valorisation du personnel de la branche, et de concilier les différends survenant entre patrons et ouvriers ou entre patrons eux-mêmes.

2.             B______ SA est une société anonyme inscrite au registre du commerce du canton de Genève le ______ 1988, avec siège à Genève. Elle a pour but la gestion et l’administration de biens de toute nature, notamment l’exploitation d’une entreprise de nettoyage, la mise à disposition de personnel fixe et la manutention. Elle est membre de l'association. Elle a passé un contrat portant sur des prestations de nettoyage avec au moins un établissement médico-social (ci-après : EMS), soit « C______ ».

3.             Le 4 décembre 2009, le Grand Conseil de la République et canton de Genève (ci-après : le Grand Conseil) a adopté la loi sur la gestion des établissements pour personnes âgées (LGEPA - J 7 20), qui est entrée en vigueur le 1er avril 2010 et dont l’art. 27 prévoit que la « sous-traitance est interdite lorsqu'elle contourne les dispositions de la présente loi ».

4.             Sur le sujet de la sous-traitance, le règlement d'application de la LGEPA du 16 mars 2010 (RGEPA - J 7 20.01), entré en vigueur également le 1er avril 2010, comportait l’art. 33 suivant, intitulé « Sous-traitance » :

1 La sous-traitance est admise pour autant qu'elle respecte le principe d'économicité.

2 En application de l'article 27 de la loi, le département se fonde sur les principes suivants pour examiner les prestations sous-traitées :

a) les prestations de soins ne peuvent être durablement sous-traitées ;

b) les autres prestations ne peuvent être sous-traitées qu'à des employeurs certifiant :

1° que la couverture du personnel en matière d'assurances sociales est garantie conformément à la législation en vigueur et qu'ils sont à jour avec le paiement de leurs cotisations,

2° qu'ils sont liés par la convention collective de travail de leur branche applicable à Genève ou qu'ils ont signé, auprès de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail, un engagement à respecter les usages de leur profession en vigueur à Genève, notamment en ce qui concerne la couverture du personnel en matière de retraite, de perte de gain en cas de maladie, d'assurance-accident et d'allocations familiales,

3° qu'ils présentent des garanties quant à leur capacité économique et financière.

5.             En octobre 2017, deux EMS genevois placés sous une même direction ont prévu de faire sous-traiter leurs services hôteliers à une entreprise privée, afin de mieux contrôler leurs charges financières, à compter de février 2018. Des employés travaillant dans ces EMS ont alors entamé une grève pour manifester leur opposition à cette sous-traitance. Mandaté pour les défendre, le syndicat D______ a fait valoir qu’avec cette externalisation le personnel touché ne serait plus soumis à la convention collective de travail (ci-après : CCT) des EMS, prévoyant un salaire mensuel minimal de CHF 4'029.-, mais à celle de l’hôtellerie-restauration, où le salaire mensuel minimal était de CHF 3'417.-.

6.             Dans un communiqué de presse du 3 novembre 2017, le département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (ci-après : DEAS) a indiqué que, dans les EMS, la sous-traitance des métiers hôteliers était autorisée, à condition que l’entité externe assumant lesdites tâches présente les garanties voulues quant à sa capacité économique et financière et que les CCT de la branche applicables à Genève soient respectées. Il annonçait toutefois qu’il allait procéder à une étude globale des sous-traitances ayant cours au sein des EMS genevois et de leurs conséquences pour les résidants et le personnel, et il n’excluait pas, selon les résultats de cette enquête, que les possibilités de sous-traitance dans les EMS soient à l’avenir restreintes.

7.             D’après cette étude globale – que le DEAS a menée dès la fin 2017 de concert avec les partenaires du secteur considéré (soit l’association genevoise des établissements médico-sociaux, la fédération genevoise des établissements médico-sociaux et l’ensemble des syndicats) –, il serait préférable que chaque personne entrant dans l’intimité de résidants d’EMS fasse partie du personnel de l’EMS, pour des motifs de sécurité et, surtout, de maintien de la qualité de la prise en charge globale des résidants, y compris pour les prestations socio-hôtelières.

8.             Le Conseil d’État a alors entendu interdire l’externalisation et la sous-traitance des prestations (en particulier hôtelières) fournies en EMS, à l’exception des prestations concernant la confection des repas ainsi que le traitement du linge plat (literie et draps de bain) et du linge de forme (uniforme des collaborateurs).

9.             À cette fin, le Conseil d’État a, par règlement du 28 février 2018 modifiant le RGEPA, donné à l’art. 33 RGEPA la teneur suivante, complétée par un art. 43 RGEPA nouveau à titre de disposition transitoire de cette modification :

1 La sous-traitance n'est admise que dans les cas ci-dessous et pour autant qu'elle respecte le principe d'économicité.

2 En application de l'article 27 de la loi, le département se fonde sur les principes suivants pour examiner les prestations sous-traitées :

a) les prestations de soins ne peuvent être externalisées ni durablement sous-traitées ;

b) seules les prestations relatives à la confection des repas et au traitement du linge plat et du linge de forme peuvent être externalisées ou sous-traitées, à la condition que les employeurs certifient :

1° que la couverture du personnel en matière d'assurances sociales est garantie conformément à la législation en vigueur et qu'ils sont à jour avec le paiement de leurs cotisations,

2° qu'ils sont liés par la convention collective de travail de leur branche applicable à Genève ou qu'ils ont signé, auprès de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail, un engagement à respecter les usages de leur profession en vigueur à Genève, notamment en ce qui concerne la couverture du personnel en matière de retraite, de perte de gain en cas de maladie, d'assurance-accidents et d'allocations familiales,

3° qu'ils présentent des garanties quant à leur capacité économique et financière ;

c) dans le cas d'une sous-traitance ou d'une externalisation des prestations visées à la lettre b, l'établissement garantit qu'il n'a pas d'intérêt économique avec le fournisseur de prestations.

3 Les principes ci-dessus ne sont pas applicables dans les structures mixtes reconnues comme telles par la direction générale de la santé.

La disposition transitoire adoptée simultanément a été libellée comme suit :

Les établissements et résidences ont un délai de 3 ans dès l’entrée en vigueur de la modification du 28 février 2018 pour s’y conformer.

10.         Ce règlement a été publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 6 mars 2018, et il est entré en vigueur le lendemain, 7 mars 2018.

11.         Six des cinquante-trois EMS du canton de Genève sous-traitaient alors les prestations de nettoyage à des tiers, dont trois à des membres de l'association (en comptant cinquante-huit). Ainsi, B______ SA était en charge desdites prestations pour l’EMS « C______ » (comptant 18 lits), E______ SA pour l’EMS « F______ » (comptant 18 lits) et G______ SA pour l’EMS « H______ » (comptant 82 lits). Cela représentait 118 lits sur le total de 4'088 lits en EMS dans le canton de Genève.

12.         a. Par acte du 20 avril 2018, l'association et B______ SA ont recouru par-devant la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la modification réglementaire précitée du RGEPA, en concluant à l’annulation du nouvel art. 33 al. 2 let. a et b RGEPA et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

b. B______ SA fournissait des prestations de nettoyage dans « plusieurs » EMS et pouvait donc être atteinte « un jour » par l’interdiction de principe de toute sous-traitance introduite par le nouvel art. 33 RGEPA. L'association était habilitée à interjeter un recours corporatif contre cette modification réglementaire, en tant qu’association chargée de la défense des intérêts de ses membres, intérêts qui étaient communs à la majorité d’entre ses membres, qui, pris individuellement, disposeraient de la qualité pour recourir.

c. L’art. 33 al. 2 let. a et b RGEPA violait le principe de la séparation des pouvoirs. Il constituait une norme primaire, et non une norme d’exécution de l’art. 27 LGEPA. Cette disposition-ci n’interdisait qu’une sous-traitance ayant pour objectif de contourner les dispositions de la LGEPA. Or, dans le domaine des soins, ni une sous-traitance même durable, ni une externalisation ne constituaient une fraude à la loi. L’art. 27 LGEPA ne fournissait pas non plus une assise légale pour interdire l’externalisation ou la sous-traitance des prestations hôtelières, en particulier de celles de nettoyage ou d’animation.

Les dispositions litigieuses étaient contraires à la liberté économique dans sa dimension institutionnelle. Elles représentaient une entrave sévère à la liberté contractuelle tant des EMS que des entreprises de nettoyage ; l’interdiction de principe de la sous-traitance dans le domaine du nettoyage était une mesure de politique économique inconstitutionnelle. Ladite interdiction introduisait en outre une distorsion de concurrence du fait que la sous-traitance était admise pour le traitement du linge plat et du linge de forme, domaines proches du nettoyage.

Lesdites normes violaient la liberté économique dans sa dimension individuelle, déjà en tant qu’elles ne figuraient pas dans une loi au sens formel alors qu’elles portaient une atteinte grave à la liberté économique. Elles ne poursuivaient pas un but d’intérêt public, tel que la lutte contre la sous-enchère salariale, le transfert de tâches à des sociétés alibis ou l’éradication du travail intérimaire déguisé, car, si tel était le cas, il ne serait pas cohérent de ne pas interdire la sous-traitance de manière générale, y compris par exemple pour la préparation des repas. Elles n’étaient pas conformes aux exigences du principe de la proportionnalité ; des mesures moins incisives qu’une interdiction pure et simple mais suffisantes résultaient de l’ancienne teneur de l’art. 33 RGEPA ou pouvaient être adoptées.

13.         a. Par mémoire du 2 juillet 2018, le Conseil d’État a conclu principalement à l’irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet.

b. Ni B______ SA ni l'association n’étaient concernées directement par la norme attaquée, contrairement aux EMS. Par ailleurs, l'association ne remplissait pas les conditions d’un recours corporatif, seuls trois de ses cinquante-huit membres étant sous-traitants dans un EMS, mandatés pour trois EMS différents ne représentant au surplus que le 2,9 % des lits en EMS dans le canton de Genève.

c. L’art. 33 RGEPA ne faisait que concrétiser les art. 1, 5 al. 1 let. g et 27 LGEPA, voulant, respectivement, que dans les EMS des conditions d’accueil, d’hébergement et de soins de qualité soient assurées, que le Conseil d’État prenne toute mesure utile à l’amélioration de la qualité et de l’efficience des prestations fournies dans les EMS, et que la sous-traitance soit interdite lorsqu’elle contournait les dispositions de la LGEPA. De l’étude globale réalisée résultait que la sous-traitance des services socio-hôteliers en EMS contournait ces exigences, car il était préférable que chaque personne entrant dans l’intimité des résidants fasse partie du personnel de l’EMS. L’art. 33 RGEPA comblait une véritable lacune du RGEPA, qui, jusqu’alors, n’avait pas concrétisé l’importance du lien étroit devant exister entre les résidants en EMS et le personnel socio-hôtelier dans la perspective d’assurer la sécurité de ces derniers et la qualité de leur prise en charge. Le recours à des entreprises externes pour certaines tâches en EMS représentait une manœuvre destinée à contourner les règles en matière de rémunération du personnel, soit une déviance visant à contourner l’esprit de la loi.

Visant à garantir la sécurité des résidants en EMS et la qualité de leur prise en charge globale, l’interdiction de la sous-traitance des prestations socio-hôtelières en EMS poursuivait des buts de politique sociale et d’ordre public, au demeurant non contestés par les EMS eux-mêmes (dont seuls six sur cinquante-trois sous-traitaient les prestations de nettoyage). Elle répondait de manière proportionnée à un intérêt public incontestable. Les seuls EMS touchés par la modification contestée étaient des établissements subventionnés et reconnus d’utilité publique, qui ne pouvaient dès lors invoquer la liberté économique pour contester que l’octroi de subventions soit soumis à des conditions ; il devait en aller de même pour les entreprises susceptibles d’être touchées indirectement par ladite modification.

14.         a. Par réplique du 8 août 2018, l'association et B______ SA ont persisté dans les termes et conclusions de leur recours.

b. Étant au bénéfice d’un contrat avec un EMS pour des prestations de nettoyage, B______ SA subirait directement les effets de l’interdiction de sous-traitance considérée dès lors que, selon l’art. 43 RGEPA, l’EMS « C______ » disposait d’un délai de trois ans dès l’entrée en vigueur de la norme contestée pour résilier son contrat. En tant qu’entreprises de nettoyage, les membres de l'association étaient touchés par cette interdiction, qui avait pour effet concret et direct de les priver de tout un pan de marché actuellement disponible, non seulement les trois qui fournissaient déjà de telles prestations de nettoyage dans des EMS mais aussi, potentiellement, tous les autres (une analyse de leurs qualités techniques n’étant pas de mise à cet égard).

c. L’étude globale à laquelle le Conseil d’État faisait référence n’était pas pertinente dans la mesure où elle n’avait pas été produite. L’art. 33 RGEPA ne précisait pas l’art. 5 al. 1 let. g LGEPA, mais devait être examiné au regard de l’art. 27 LGEPA, traitant comme lui de la sous-traitance. Rien ne démontrait au demeurant que les prestations de nettoyage fournies en EMS par des entreprises externes seraient de moins bonne qualité ou moins efficientes que celles effectuées par hypothèse à l’interne. L’art. 27 LGEPA avait été adopté pour permettre d’éviter des abus notamment en matière de sous-enchère salariale. Il n’y avait pas en la matière une lacune de la loi que le Conseil d’État pourrait combler par voie réglementaire ; le législateur avait posé la règle que la sous-traitance était autorisée pour autant qu’elle n’ait pas pour but de contourner la loi. Une même importance ne pouvait être attribuée à un lien entre un résidant en EMS et le personnel soignant qu’à celui avec les personnes en charge du nettoyage ou de la préparation des repas. L’art. 27 LGEPA permettait de lutter contre d’éventuelles déviances par le biais de décisions, prises au cas par cas, sans qu’une interdiction pure et simple de la sous-traitance dans le domaine du nettoyage ne doive être édictée à cette fin ; il ne pouvait être érigé en principe qu’une telle sous-traitance constituât un cas de fraude à la loi. L’interdiction considérée revenait à étatiser le secteur du nettoyage en EMS et à le soustraire au principe de l’économie du marché et de la libre concurrence. Ladite restriction à la liberté économique était sévère, et requerait donc une base légale formelle. Ni la nécessité de cette interdiction, ni l’inexistence de mesures moins incisives qu’elles n’étaient démontrées. Une CCT régissait le domaine du nettoyage, applicable dans toute la Suisse romande, protégeait les travailleurs actifs dans ce domaine et fixait notamment un salaire minimal, ce qui écartait tout risque de sous-enchère salariale semble-t-il à l’origine de la modification réglementaire contestée.

15.         Par duplique du 14 septembre 2018, le Conseil d’État a persisté dans les conclusions de sa réponse au recours. La réplique n’amenait aucun élément nouveau.

L’étude globale de la sous-traitance dans les EMS avait été réalisée par le biais d’une enquête menée en novembre 2017 auprès des EMS sur les prestations hors soins respectivement sous-traitées et non sous-traitées, puis, en décembre 2017 et janvier 2018, lors de trois séances organisées dans le cadre d’un groupe de travail réunissant le DEAS et les partenaires du secteur considéré aux fins de définir les bonnes pratiques applicables en la matière pour maintenir la qualité desdites prestations et ne pas prétériter la rémunération du personnel concerné. Aucun rapport n’avait été formellement établi et rendu à l’issue de cette consultation, mais les procès-verbaux desdites séances étaient versés à la procédure.

16.         Dans des observations du 16 octobre 2018, l'association et B______ SA ont persisté dans les termes de leurs écritures précédentes. Elles ont fait valoir qu’à teneur desdits procès-verbaux des séances du groupe de travail précité, c’était presque exclusivement pour des raisons de sous-enchère salariale (de surcroît supposée) qu’il avait été décidé d’interdire, sauf dérogations ponctuelles, la sous-traitance dans le domaine du nettoyage des EMS. Une moindre qualité des prestations sous-traitées n’était aucunement mise en lumière, pas davantage qu’une baisse de la sécurité des résidants des EMS. La modification réglementaire n’avait que des visées protectionnistes des salariés, prises à l’insistance des syndicats.

17.         Cette écriture a été communiquée au Conseil d’État le 19 octobre 2018.

EN DROIT

1.             a. La chambre constitutionnelle est compétente pour connaître des recours interjetés, comme en l’espèce, contre un règlement du Conseil d’État aux fins de contrôle abstrait de sa conformité au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 – Cst-GE A 2 00 ; art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ACST/19/2018 du 15 août 2018 consid. 1a).

b. Le recours a été interjeté en temps utile, compte tenu de la suspension du délai de recours du 7ème jour avant Pâques (25 mars 2018) au 7ème jour après Pâques (8 avril 2018) inclusivement (art. 62 al. 1 let. d et art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

c. Il respecte les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA, y compris celle d’un exposé détaillé des griefs (art. 65 al. 3 LPA ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 815).

2.             a. Lorsque, par le biais de la loi 11311 du 11 avril 2014, il a mis en œuvre la juridiction constitutionnelle voulue par le constituant genevois aux fins de contrôle de la validité des actes normatifs (art. 124 let. a Cst-GE), le législateur a étendu à ce type de contentieux la notion de qualité pour recourir valant pour les recours interjetés auprès de juridictions administratives contre des décisions. Ainsi, selon l’art. 60 al. 1 let. b LPA, a qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié.

Dès lors qu’à teneur de l’art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral, l’art. 60 al. 1 let. b LPA précité s’interprète à tout le moins à l’aune de l’art. 89 al. 1 LTF, selon lequel a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). La chambre constitutionnelle ne doit pas se montrer à cet égard plus restrictive que le Tribunal fédéral (ATF 139 II 233 consid. 5.2.1 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 136 II 281 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_90/2016 du 2 août 2016 consid. 3.1 ; 2C_68/2015 du 13 janvier 2016 consid. 4.2 ; 2C_885/2014 du 28 avril 2015 consid. 5.1). Il lui est loisible, dans le respect de l’esprit tant de l’art. 124 let. a Cst-GE que de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, d’avoir, pour le contrôle abstrait des normes, une conception le cas échéant moins exigeante que le Tribunal fédéral. Dans ce contexte, il sied de rappeler (ACST/3/2017 du 23 février 2017 consid. 4d ; ACST/12/2016 du 10 novembre 2016 consid. 2a ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 4b) qu’un contrôle abstrait des normes cantonales par une Cour constitutionnelle a été voulu par un constituant finalement acquis majoritairement à cette innovation institutionnelle dans l’idée qu'elle permettrait d'assurer, dans la sphère de souveraineté cantonale (donc sans les limites que le Tribunal fédéral s'impose en la matière), une pleine effectivité à la Cst-GE et de la cohérence au droit genevois, au surplus d'une façon plus accessible aux citoyens et administrés que ne peut l'être l'instance judiciaire suprême de la Suisse (BOACG tome XVII, p. 8930, tome XXII, p. 11308 s., 11311, 11312, 11315, 13240, 13241, 13248 ; Arun BOLKENSTEYN, Le contrôle des normes, spécialement par les cours constitutionnelles cantonales, 2014, p. 291 ss et 316 ; Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, La constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 377 ss, dont 378 in medio). Il faut aussi souligner que le législateur genevois a entendu ouvrir « très largement la qualité pour recourir tout en évitant l'action populaire » (MGC 28-29 novembre 2013, session II, tome I [14/20]).

b. L’action populaire se trouve exclue par l’exigence – qu’expriment tant l’art. 89 al. 1 LTF que l’art. 60 al. 1 let. b LPA – que le recourant soit atteint par l’acte attaqué dans des intérêts de fait ou de droit dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés. Il doit avoir un intérêt digne de protection à l’annulation ou la modification de l’acte contesté, soit un intérêt qui consiste dans l’utilité pratique que l’admission du recours lui apporterait en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que l’acte attaqué lui occasionnerait ou – s’agissant d’un acte normatif – pourrait un jour l’exposer à subir. L’intérêt requis peut n’être que de fait, et il n’a pas à coïncider avec les intérêts protégés par la norme invoquée. Le recourant doit se trouver dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d’être pris en considération avec l’objet du litige ; un intérêt général tendant à une application correcte du droit n'est pas suffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 142 V 395 consid. 2 ; 140 I 90 consid. 1.2.2 ; 138 II 162 consid. 2.1.2 ; 136 I 49 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_80/2016 du 9 octobre 2018 consid. 1.3.1 ; Étienne POLTIER, Les actes attaquables et la légitimation à recourir en matière de droit public, in François BOHNET / Denis TAPPY [éd.], Dix ans de la Loi sur le Tribunal fédéral, 2017, p. 123 ss, 151 ss ; Florence AUBRY GIRARDIN, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, n. 11 ad art. 89 LTF ; Marcel Alexander NIGGLI / Peter UEBERSAX / Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème éd., 2011, n. 13 ad art. 89 LTF).

En cas de recours contre un acte normatif, l’intérêt du recourant peut ne pas être actuel, mais simplement virtuel. Il suffit que celui-ci puisse un jour, avec un minimum de vraisemblance, être touché par l’application des normes considérées dans l’un ou l’autre de ses intérêts précités dans une mesure supérieure à celle de la généralité des administrés (ATF 141 I 78 consid. 3.1 ; 141 I 36 consid. 1.2.3 ; Étienne POLTIER, op. cit., p. 178 s. ; Marcel Alexander NIGGLI / Peter UEBERSAX / Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], op. cit., n. 13 ad art. 89 LTF).

c. En plus des cas où elle est elle-même touchée par l’acte attaqué aux conditions précitées ou se voit attribuée par la loi une qualité pour recourir spécifique dans certaines matières, une association peut également recourir pour la défense des intérêts de ses membres aux quatre conditions du recours dit corporatif. Pour que tel soit le cas, il faut que l’association soit dotée de la personnalité juridique, que la défense des intérêts de ses membres figure parmi ses buts statutaires, que la majorité de ceux-ci ou du moins une grande partie d’entre eux soient personnellement touchés par l’acte attaqué ou – s’agissant d’un acte normatif – pourraient un jour l’être, et qu’ils aient eux-mêmes qualité pour recourir à titre individuel (ATF 137 II 40 consid. 2.6.4 ; 131 I 198 consid. 2.1 ; 130 I 26 consid. 1.2.1 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 1d ; ACST/10/2016 du 29 août 2016 consid. 1c ; ACST/7/2016 du 19 mai 2016 consid. 4c et jurisprudence citée ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1384 s. ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, op. cit., n. 716 s. ; Piermarco ZEN-RUFFINEN, Droit administratif. Partie générale et éléments de procédure, 2ème éd., 2013, p. 317 n. 1312 ; Pierre MOOR / Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd, 2011, n. 5.7.2.4).

3.             a. En l’espèce, B______ SA a pour but notamment l’exploitation d’une entreprise de nettoyage ainsi que la mise à disposition de personnel fixe, et elle a passé un contrat portant sur des prestations de nettoyage avec au moins un EMS, contrat que ce dernier, « C______ », devra, sauf admission du recours, résilier dans le délai de trois ans prévu par la disposition transitoire adoptée simultanément avec les normes litigieuses (art. 43 RGEPA). Déjà à ce titre, ladite recourante est touchée plus que la généralité des administrés par les dispositions contestées, en particulier par l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA (cf. infra consid. 3b), de façon actuelle. Elle l’est en outre virtuellement, dans une mesure suffisamment vraisemblable, en tant que lesdites dispositions lui ferment l’accès au marché du nettoyage d’EMS et la privent ainsi de la possibilité de développer de telles activités.

Comme la chambre constitutionnelle l’a jugé récemment concernant des restrictions posées au recours à des travailleurs temporaires sur les marchés publics de la construction (ACST/28/2018 du 12 décembre 2018 consid. 3a), il n’est pas déterminant que les normes contestées en l’espèce s’imposent directement aux EMS, qui se voient interdire toute sous-traitance et externalisation, en plus des prestations de soins, des prestations socio-hôtelières autres que la confection des repas et le traitement du linge plat et du linge de forme. B______ SA et plus généralement les entreprises de nettoyage sont touchées à tout le moins de facto, actuellement ou virtuellement, dans leurs intérêts économiques par les normes considérées ; du fait de la portée effective de ces dernières, elles sont exposées à subir un préjudice économique potentiellement important, une entrave à leur liberté économique. Elles se trouvent dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d’être pris en considération avec l’objet du litige.

b. La qualité pour recourir doit donc être reconnue à B______ SA, toutefois non pour l’entier des prestations que des EMS sont appelées à fournir sans pouvoir les sous-traiter ou les externaliser, mais pour les prestations socio-hôtelières, objet et enjeu réels de la modification réglementaire contestée. Il n’entre en effet pas dans le but social ni dans les activités effectivement déployées par ladite société de fournir les prestations de soins visées par l’art. 33 al. 2 let. a RGEPA, dont les recourantes requièrent aussi l’annulation. À leur égard, force est de retenir qu’en contestant la validité de l’interdiction de l’externalisation et de la sous-traitance durable des prestations de soins, B______ SA ne fait valoir qu’un intérêt général tendant à une application correcte du droit, intérêt insuffisant à fonder sa qualité pour recourir.

c. Le recours de B______ SA n’est donc recevable que dans la mesure où il tend à l’annulation de l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA, mais pas de la let. a de ladite disposition.

Aussi n’y a-t-il pas lieu de déterminer si l’art. 33 al. 2 let. a RGEPA pourrait être l’objet d’un recours abstrait, dans la mesure où il est pour l’essentiel une reprise de la disposition similaire qui figurait à l’art. 33 al. 2 let. a aRGEPA, dans sa version précédente à celle de la modification du 28 février 2018, qui est une modification partielle dudit règlement (ATF 137 I 77 consid. 1.2 ; 135 I 28 consid. 3.1.1 ; 122 I 222 consid. 1b ; 108 Ia 126 consid. 1b ; Alain WURZBURGER, in Commentaire de la LTF, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], op. cit., n. 96 ad art. 82 LTF ; Yves DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, Commentaire, 2008, n. 2712).

4.             a. L’association n’a pas non plus qualité pour contester l’art. 33 al. 2 let. a RGEPA, par identité de motifs.

b. Concernant ladite recourante, la question se pose en outre de savoir si elle remplit les conditions pour interjeter un recours corporatif.

L’association est une association dûment constituée. Il n’apparaît par ailleurs pas exclu que, nonobstant le faible nombre de ses membres qui sont actuellement mandatés par des EMS pour des prestations de nettoyage, une majorité ou du moins une grande partie de ses membres pourraient souhaiter se développer dans le segment de marché du nettoyage en EMS mais s’en trouvent désormais exclus par l’interdiction litigieuse de l’externalisation et de la sous-traitance des prestations socio-hôtelières. Ces membres auraient par ailleurs individuellement qualité pour contester cette interdiction, à l’instar de B______ SA.

Il paraît en revanche douteux que l'association ait une vocation établie avec suffisamment de clarté par ses statuts pour agir en justice dans l’intérêt de ses membres, en particulier pour interjeter un recours corporatif contre un acte normatif dont les effets se répercuteraient sur les intérêts de ses membres, à l’instar de la modification réglementaire litigieuse. Un minimum de précision doit être exigé à cet égard, sauf à rendre quasi superflue la condition que l’association ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres ou à n’y voir qu’une clause de style. Il importe que tant les membres de l’association que les juridictions qui seraient saisies d’un recours corporatif puissent déduire une telle vocation des statuts. Or, en l’espèce, au titre des buts de l'association, les statuts de cette association évoquent en termes très généraux, à leur art. 2.1, la sauvegarde et le développement des « intérêts communs des membres », et ils explicitent cette disposition, à leur art. 2.2, par l’énumération des buts que cette association « a tout spécialement », à savoir assurer à ses membres son aide (soit ses conseils et son appui moral en toutes occasions), établir et entretenir entre eux de cordiales relations, sauvegarder le prestige et l’honneur de la profession et promouvoir cette dernière, soutenir la formation professionnelle et la valorisation du personnel de la branche, et concilier les différends survenant entre patrons et ouvriers ou entre patrons eux-mêmes. Il n’est fait aucune mention d’une vocation d’agir en justice pour défendre les intérêts individuels des membres.

La question de la recevabilité du recours de l'association (en tant qu’il est dirigé contre l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA) peut rester ouverte, dès lors que la qualité pour recourir est reconnue à B______ SA (ACST/28/2018 précité consid. 3b in fine ; ACST/1/2018 du 2 mars 2018 consid. 2c in fine ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, op. cit., n. 695).

5.             a. Pour l’interprétation des normes dont elle doit – comme en l’espèce – contrôler la conformité au droit supérieur, la chambre constitutionnelle utilise les diverses méthodes d’interprétation traditionnelles des lois, de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 125 II 206 consid. 4a). Ainsi, si l’interprétation littérale du texte considéré ne renseigne pas de façon absolument claire sur le sens de la norme, si plusieurs interprétations dudit texte sont possibles, elle cherche à dégager sa véritable portée de sa relation avec d’autres dispositions légales et de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 129 V 258 consid. 5.1 et les références citées). Si plusieurs interprétations sont admissibles, il lui faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a et les arrêts cités).

b. Lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, la chambre constitutionnelle s’impose une certaine retenue, de façon cependant moins marquée que celle dont le Tribunal fédéral fait montre pour des motifs liés au fédéralisme (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 138 I 321 consid. 2 ; 137 I 77 consid. 2 ; 136 I 316 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_380/2016 du 1er novembre 2017 consid. 2 non publié in ATF 143 II 598 ; ACST/23/2017 du 11 décembre 2017 consid. 6b ; Florence AUBRY GIRARDIN, Cours constitutionnelles cantonales et Tribunal fédéral : apports mutuels d’un double contrôle de la constitutionnalité, RJJ, cahier spécial [Symposium 2017], p. 5 ss, 18 ss ; Bernard CORBOZ, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], op. cit., n. 34 ad art. 95 LTF, n. 40 ad art. 106 LTF ; Yves DONZALLAZ, op. cit., n. 3525 ss). Elle n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent pas à une interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, elle tient compte notamment de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 et jurisprudence citée).

6.             a. Pour les recourantes, l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA viole la liberté économique, garantie tant par l’art. 27 Cst. que – au demeurant dans la même mesure – par l’art. 35 Cst-GE.

b. La liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice. Elle a une fonction institutionnelle, en tant qu’elle exprime, conjointement avec d’autres dispositions constitutionnelles (notamment l’art. 94 Cst.), le choix du constituant en faveur d’un système économique libéral, fondé sur la libre entreprise et la concurrence (ATF 138 I 378 consid. 6.1), et une fonction individuelle, en tant qu’elle assure une protection contre les mesures étatiques restreignant la liberté d’exercer toute activité économique privée, exercée aux fins de production d’un gain ou d’un revenu, à titre principal ou accessoire, dépendant ou indépendant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_380/2016 précité consid. 5.1 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. II, 2018, n. 2764 ss, 2821 ss, 2844 ss ; Pascal MAHON, Droit constitutionnel, 3ème éd., vol II, 2015, n. 121 ss et n. 123 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 3ème éd., vol. II, 2013, n. 882 ss, 904 ss et 909 ss ; Klaus A. VALLENDER, in Bernhard EHRENZELLER et al. [éd.], Die Schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2008, p. 594 ss ad art. 27 Cst.).

Au nombre des sous-aspects de la liberté économique, il sied ici de citer spécifiquement la faculté que celle-ci confère de choisir les modalités d’exercice d’une activité économique protégée, soit la liberté entrepreneuriale, comprenant la liberté de déterminer les moyens à mettre en œuvre en vue de l’obtention d’un gain ou d’un profit, les moyens de production et les conditions de travail, la forme juridique et l’organisation interne de l’entreprise, la nature et la quantité des facteurs de production financiers, matériels ou personnels mis en œuvre, les partenaires commerciaux (ATF 130 II 245 consid. 2.3 ; Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 2826 ss ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 952 ; Klaus A. VALLENDER. op. cit., n. 13 ss ad art. 27). Il n’est pas douteux que – de façon générale, mais non sans possibilité de restrictions aux conditions auxquelles les droits fondamentaux peuvent être restreints (art. 36 Cst. ; art. 43 Cst-GE) – un agent économique privé peut déduire de la liberté économique le droit d’externaliser ou sous-traiter certaines de ses prestations, respectivement, pour l’agent tiers, de lui offrir et, en cas d’accord de sa part, de lui fournir des prestations en sous-traitance.

c. Il est vrai que des entreprises de nettoyage ne pourraient se prévaloir de ce droit fondamental à l’encontre de restrictions étatiques posées à l’externalisation ou la sous-traitance de prestations de nettoyage dans les EMS si ces derniers étaient eux-mêmes privés de la possibilité d’invoquer ladite liberté pour contester de telles restrictions qui leur seraient faites, autrement dit si ces restrictions échappaient au domaine de protection de leur liberté économique.

Dans le canton de Genève, l’exploitation d’EMS n’est pas étatisée ni érigée en délégation d’une tâche publique, si bien qu’elle n’y est pas soustraite par principe à la liberté économique (Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 2796 ss ; Pascal MAHON, vol. II, n. 123 p. 195 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 946 ss). Certes, en tant qu’ils bénéficient, en conformité avec les besoins de la planification cantonale, d’une reconnaissance d’utilité publique et d’un subventionnement – comme le prévoient les art. 1, 2 let. b, 3 al. 1, 4 al. 1, 7 al. 2 let. a, 22 s. et 24 LGEPA –, les EMS voient leur liberté économique restreinte. Comme le relève la jurisprudence, en échange de subventions, ils renoncent au plein exercice de la liberté économique et acceptent de se soumettre à des contrôles et modalités de gestion définies par le canton ; dès lors qu’ils choisissent d’entrer dans le système sanitaire cantonal, leur liberté économique est limitée par l’intérêt public du canton à contrôler les coûts de la santé et par celui des résidants financièrement autonomes à ne supporter que le coût des prestations qu’ils obtiennent. S’ils ne peuvent invoquer la liberté économique pour contester que l’octroi de subventions soit soumis à des conditions, les EMS peuvent en revanche faire valoir que ces dernières violent leur liberté économique (arrêts du Tribunal fédéral 2C_206/2017 du 23 février 2018 consid. 6.4 ; 2C_727/2011 du 19 avril 2012 consid. 3.1 et 4.4.2 [publié in ATF 138 II 191 à partir du consid. 4] ; 2C_656/2009 du 24 juillet 2010 consid. 4.2 in fine, 4.3 et 5.3 ; 2P.94/2005 du 25 octobre 2006 consid. 4.3 et 5.3 in fine ; 2P.294/2004 du 20 septembre 2005 consid. 1.5 ; 2P.67/2004 du 23 septembre 2004 consid. 1.5 et 1.8 ; 1P.99/1999, 2P.162/1999 et 2P.315/1999 du 19 décembre 2002 consid. 6.1 ; cf. aussi ATF 142 I 195 consid. 6.3). On ne saurait retenir que l’interdiction contestée de l’externalisation et de la sous-traitance des prestations de nettoyage soit inhérente à un subventionnement des EMS, d’autant moins d’ailleurs qu’à teneur de l’art. 22 al. 1 phr. 1 LGEPA la subvention cantonale versée à l’exploitant d’un EMS est destinée à couvrir la part cantonale du financement des soins. Aussi les EMS et, partant, les recourantes ne sont-ils pas privés de la possibilité d’invoquer leur liberté économique à l’encontre de cette interdiction.

Quoi qu’il en soit, les restrictions à la portée de la liberté économique que rendraient admissibles une reconnaissance d’utilité publique et un subventionnement n’affranchiraient pas le canton des exigences auxquelles toute activité administrative doit satisfaire, dont celles de la légalité, de l’intérêt public et de la proportionnalité. Les recourantes contestent que ces exigences soient remplies s’agissant de l’interdiction litigieuse.

7.             a. Le principe de la légalité s’impose notamment dans le domaine des droits fondamentaux. D’après l’art. 36 al. 1 Cst. comme l’art. 43 al. 1 Cst-GE, toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale, les restrictions graves devant être prévues par une loi et les cas de danger sérieux, direct et imminent étant réservés. Ainsi – abstraction faite des cas d’application de la clause générale de police (hypothèse ici non pertinente) –, toute limitation apportée à un droit fondamental doit reposer sur une règle générale et abstraite, qui ne doit cependant pas forcément être du niveau d’une loi formelle. En revanche, une restriction grave doit être prévue par une loi formelle. La distinction entre les atteintes simples et les atteintes graves tient à l’intensité de la restriction ; plus celle-ci est haute, plus le rang hiérarchique de la base légale doit être élevé. Une atteinte tend à être grave lorsqu’elle prive les titulaires d’un droit fondamental d’une grande partie ou d’un grand nombre des prérogatives subjectives que ce droit leur procure, selon une perception objective de la situation prenant en compte toutes les circonstances du cas d’espèce (Jacques DUBEY, op. cit., vol. I, n. 424 ss ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 33 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 190 s.). La base légale requise, matérielle ou formelle, doit avoir un degré de précision suffisant pour que son application soit prévisible (Jacques DUBEY, op. cit., vol. I, n. 611 ss ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 33 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 192 s.).

b. Le principe de la légalité s’applique de façon plus générale à l’activité de l’État régi par le droit (art. 5 al. 1 Cst.). En droit constitutionnel genevois, le principe de la légalité se trouve ancré, dès les premières dispositions de la Cst-GE, par l’affirmation que les structures et l’autorité de l’État sont fondées sur le principe de la séparation des pouvoirs (art. 2 al. 2 Cst-GE) et par l’exigence que l’activité publique se fonde sur le droit (art. 9 al. 2 Cst-GE). La portée de ces dispositions s’éclaire et se trouve précisée notamment par les dispositions faisant du Grand Conseil l’autorité qui exerce le pouvoir législatif (art. 80 Cst-GE) et adopte les lois (art. 91 al. 1 Cst-GE), tandis que le Conseil d’État, détenteur du pouvoir exécutif (art. 101 Cst-GE), joue un rôle important dans la phase préparatoire de la procédure législative (art. 109 al. 1 à 3 et 5 Cst-GE), promulgue les lois (art. 109 al. 4 phr. 1 Cst-GE) et est chargé de leur exécution et d’adopter à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 phr. 2 Cst-GE). La Cst-GE pose ainsi le principe de la priorité et de la primauté de la loi formelle – acte normatif voté par le Grand Conseil et passible du référendum facultatif (art. 67 Cst-GE) – comme moyen d’action de l’État, ce qui restreint considérablement le pouvoir normatif du Conseil d’État ; le Grand Conseil est fondamentalement et institutionnellement l’organe compétent pour édicter les règles de droit un tant soit peu importantes (Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 353 s.). Le non-respect desdites compétences respectives du Grand Conseil et du Conseil d’État constitue une violation du principe de la séparation des pouvoirs. Ce principe interdit en effet à un organe de l’État d’empiéter sur les compétences d’un autre organe, en particulier au pouvoir exécutif d’édicter des dispositions qui devraient figurer dans une loi, si ce n’est dans le cadre d’une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3 ; 138 I 196 consid. 4.1 ; 134 I 322 consid. 2.2 ; 130 I 1 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_251/2014 précité consid. 2.2).

En plus d’imposer l’exigence d’une base légale, impliquant que les autorités ne peuvent agir que si la loi le leur permet, le principe de la légalité comprend aussi celle de la suprématie de la loi, voulant que les autorités sont tenues de respecter l’ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes (Jacques DUBEY, op. cit., vol. I, n. 498 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 467 ss).

c. La loi ne peut et ne doit pas contenir tous les détails, mais au moins les règles essentielles et les principaux droits et obligations, la mise en œuvre, soit l’exécution, étant, quant à elle, de la compétence de l’exécutif (David HOFMANN, Le Conseil d’État dans la constitution genevoise du 14 octobre 2012, in David HOFMANN / Fabien WAELTI [éd.], Actualités juridiques de droit public 2013, 2013, p. 142). Le Conseil d’État peut adopter des normes d’exécution, secondaires, c’est-à-dire des normes qui s’intègrent dans le cadre tracé par le législateur formel, constituent des règles complémentaires de procédure, précisent et détaillent certaines dispositions de la loi, éventuellement comblent de véritables lacunes ; à moins d’une délégation expresse, il ne peut édicter des règles nouvelles restreignant les droits des administrés ou leur imposant des obligations, même si de telles règles seraient conformes au but de la loi (ATF 134 I 313 consid. 5.3 ; 130 I 140 consid. 5.1 ; 129 V 95 consid. 2.1 ; 124 I 127 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_251/2014 précité consid. 2.2 ; ATA/1587/2017 du 12 décembre 2017 et références citées). Pour que le Conseil d’État puisse édicter des normes de substitution, primaires, il faut qu’une clause de délégation législative l’y habilite, étant précisé que la constitution cantonale ne l’interdit pas et que la délégation doit figurer dans une loi au sens formel, se limiter à une matière déterminée et indiquer le contenu essentiel de la réglementation si elle touche les droits et obligations des particuliers (ATF 133 II 331 consid. 7.2.1 ; 132 I 7 consid. 2.2 ; 130 I 1 consid. 3.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_744/2014 du 23 mars 2016 consid. 7 ; ACST/11/2017 du 30 juin 2017 consid. 9 ; Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 354 in fine ; David HOFMANN, op. cit., p. 140 s.).

8.             a. En l’espèce, la question se pose de savoir si l’interdiction litigieuse de l’externalisation et de la sous-traitance des prestations socio-hôtelières, en particulier de nettoyage, en EMS représente une atteinte grave à la liberté économique, en sorte qu’elle devrait le cas échéant figurer dans une loi formelle.

b. Pour en juger, il n’est pas déterminant qu’en pratique et en l’état peu d’EMS sous-traitent lesdites prestations, à savoir, s’agissant des prestations de nettoyage (autres que le traitement du linge plat et du linge de forme) ici centrales, en confient l’accomplissement à des entreprises de nettoyage plutôt qu’à son propre personnel.

Dès lors que les EMS sont définis comme des institutions qui accueillent des personnes en principe âgées « dont l’état de santé, physique ou mentale, exige des aides et des soins sans justifier un traitement hospitalier » (art. 4 al. 1 LGEPA), il appert que les prestations de soins qui y sont fournies revêtent une importance essentielle. Il ne s’ensuit toutefois pas que les prestations socio-hôtelières n’y joueraient qu’un rôle secondaire ; lesdites prestations sont importantes, voire centrales pour ces lieux de vie que sont les EMS, s’agissant notamment de l’animation socioculturelle et de la préparation et du service des repas. L’appréciation qu’elles sont importantes vaut aussi pour les prestations de nettoyage, même si celles-ci impliquent certes des contacts mais pas une étroite relation entre les nettoyeurs et les résidants.

Par ailleurs et surtout, la restriction portée à la fourniture des prestations visées consiste, pour les EMS, en une interdiction de les sous-traiter, soit en une obligation de les fournir par leur propre personnel, et donc, pour les entreprises de nettoyage, en une exclusion de ce segment du marché du nettoyage. Ladite mesure est par ailleurs conçue comme durable ou même définitive, de surcroît immédiate sauf pour les cas de sous-traitance déjà en cours (l’art. 43 RGEPA représentant une disposition transitoire ne différant pas le début de la mise en œuvre de ladite interdiction mais uniquement son applicabilité aux cas déjà en cours lors de son adoption).

c. La conjonction de ces considérations (Jacques DUBEY, op. cit., vol. I, n. 430) amène à retenir que l’interdiction litigieuse est une restriction grave à la liberté économique, devant dès lors reposer sur une loi formelle.

9.             a. L’art. 27 LGEPA admet la sous-traitance sur le plan du principe, en stipulant qu’elle « est interdite lorsqu’elle contourne les dispositions de la [LGEPA] ».

D’après les travaux préparatoires de la LGEPA, une absence de règle légale en matière de sous-traitance pouvait soulever une problématique de gestion d’EMS, en particulier – ainsi que l’Inspection cantonale des finances l’avait relevé dans quelques cas – le fait qu’une partie du personnel (dit personnel externe) ne soit pas soumise à une convention collective de travail (MGC 2008-2009/II 3113 s.), c’est-à-dire soit engagée sous d’autres conditions contractuelles que celles en vigueur dans les EMS (MGC 2008-2009/II A 3135). D’après le représentant du Conseil d’État, la compétence que le projet de loi reconnaissait au département en charge de la surveillance des EMS d’interdire la sous-traitance lorsqu’elle aurait « pour objectif principal de contourner les dispositions de la [LGEPA] » devait permettre de lutter contre la tendance consistant à utiliser de façon permanente du personnel intérimaire pour obtenir des charges salariales plus basses ou d’autres déviances qui viseraient à contourner l’esprit de la loi (MGC 2009-2010/II A 981). Il n’a ensuite pas été retenu que le contournement des dispositions de la LGEPA devait constituer l’objectif principal d’une sous-traitance pour que celle-ci puisse être interdite, mais qu’il devait suffire, pour cela, qu’elle les contourne, autrement dit ait pour effet de les contourner (MGC 2009-2010/II A 991, 1073, 1104). Il a été indiqué qu’il n’était pas question de fixer des pourcentages autorisés de sous-traitance mais de lutter contre d’éventuels abus, la sous-traitance étant admise mais ne pouvant plus l’être, logiquement, lorsqu’elle revenait à contourner la loi (MGC 2009-2010/II D/5 435 s.).

Ainsi, du texte même de l’art. 27 LGEPA comme de la finalité de cette disposition et globalement des travaux préparatoires ayant conduit à son adoption, il résulte que la sous-traitance de prestations fournies en EMS a été conçue comme étant en principe autorisée, mais qu’elle peut et doit être interdite lorsqu’elle contourne les dispositions de la LGEPA. Une simple mention, à l’endroit précité des travaux préparatoires, d’une volonté de donner au département compétent la possibilité de lutter contre une sous-enchère salariale n’autorise pas à retenir que cet art. 27 LGEPA permet d’interdire de façon générale et systématique la sous-traitance des prestations socio-hôtelières parce qu’il y aurait des cas ponctuels d’abus en matière de salaires versés à des nettoyeurs travaillant en sous-traitance dans certains EMS.

b. Aucune autre disposition de la LGEPA ne permet d’aboutir à une autre conclusion.

Certes, l’art. 15 LGEPA (que ne cite pas l’intimé) prévoit que les EMS affectent à la prise en charge des résidants le personnel nécessaire, en nombre et en qualification, pour assurer la totalité des prestations d’hôtellerie, de la technique et de l’administration, d’animation socioculturelle, de soins infirmiers et des autres professions de la santé. Cette disposition exige que lesdites prestations soient fournies dans les EMS, mais elle n’implique pas – au regard tant de son texte que de sa finalité et des travaux préparatoires ayant conduit à son adoption – que seul du personnel engagé directement par les EMS les fournisse ; elle ne préjuge pas de la question de savoir si lesdites prestations peuvent ou non être externalisées ou sous-traitées. Il en va de même de l’art. 17 al. 1 LGEPA (pas non plus cité par l’intimé), qui prévoit que les rapports de travail entre les EMS et leur personnel sont régis par le droit privé.

L’art. 27 LGEPA serait dépourvu de sens s’il fallait déduire le contraire de l’une ou l’autre de ces dispositions, à savoir que des EMS ne pourraient avoir que du personnel engagé directement par eux-mêmes, à l’exclusion de tout personnel mis à leur disposition par des entreprises spécialisées (comme des entreprises de nettoyage), d’autant plus qu’on ne voit pas quelles autres prestations que celles qui sont énumérées à l’art. 15 LGEPA doivent être fournies dans les EMS.

c. C’est d’ailleurs bien ainsi que le Conseil d’État a compris la LGEPA sur le sujet considéré, en particulier pour les autres prestations que les prestations de soins, lorsque, le 16 mars 2010, il a édicté le RGEPA entré en vigueur en même temps que la LGEPA, puisqu’il a posé la règle – comme il l’indiquera dans son communiqué de presse du 3 novembre 2017 – que la sous-traitance des métiers hôteliers était autorisée, à condition que l’entité externe assumant lesdites tâches présente les garanties voulues quant à sa capacité économique et financière, la couverture de son personnel en matière d’assurances sociales et l’applicabilité de la CCT de leur branche ou le respect des usages de leur profession en vigueur à Genève (concernant notamment la couverture du personnel en matière de retraite, de perte de gain en cas de maladie, d’assurance-accident et d’allocations familiales).

10.         a. La modification réglementaire litigieuse opère un renversement du système institué par la LGEPA, à savoir érige en principe qu’à l’exception de la confection des repas et du traitement du linge plat et du linge de forme, les prestations socio-hôtelières en EMS ne peuvent être sous-traitées (ni externalisées, mais les prestations ici considérées, en particulier celles de nettoyage, ne se prêtent qu’à une sous-traitance, et non à une externalisation, contrairement au traitement du linge plat ou du linge de forme).

b. La LGEPA ne contient pas de disposition déléguant à l’intimé la compétence normative d’interdire, sur le plan du principe et de façon générale, la sous-traitance des prestations socio-hôtelières en EMS, en particulier des prestations de nettoyage.

b/aa. Sans doute l’art. 27 LGEPA ne prévoit-il pas, dans sa version adoptée par le législateur, une attribution de compétence au département en charge de la surveillance des EMS d’interdire par voie décisionnelle la sous-traitance contournant les dispositions de la LGEPA, contrairement à la version de cette disposition figurant dans le projet de loi 10401 dont le Conseil d’État l’avait saisi (MGC 2008-2009/II A 3093 ss, 3100).

Les travaux préparatoires ne précisent cependant pas que la sous-traitance devait pouvoir être interdite de façon générale et abstraite, plutôt que seulement ponctuellement par voie de décision, donc uniquement dans des cas particuliers. Ils ne commentent pas cette modification spécifique, mais font simplement mention, dans le rapport de majorité de la commission parlementaire chargée d’examiner le projet de loi, de différents avis sur les cas dans lesquels la sous-traitance devrait être interdite (MGC 2009-2010/II A 1073). Ainsi, pour un commissaire, la sous-traitance devait être interdite « lorsqu’elle contourne les dispositions de la [LGEPA] » mais elle ne devait pas non plus « dépendre du bon vouloir du département » ; d’après le représentant de l’État, il n’y aurait contournement des dispositions de la [LGEPA] que pour des engagements durables (mais pas temporaires) en sous-traitance, et le but de la norme considérée était « d’éviter la sous-traitance à des sociétés alibis » ; pour un autre commissaire, seule la sous-traitance abusive était interdite ; un autre commissaire estimait qu’il fallait « laisser de la souplesse au département pour, par exemple, donner un avertissement ».

Les travaux préparatoires relatifs à la modification donnée à la disposition considérée sont même troublants, dans la mesure où l’amendement mis aux voix en deuxième débat au sein de la commission parlementaire, consistant précisément à prévoir que la « sous-traitance est interdite lorsqu’elle contourne les dispositions de la présente loi », a été « refusé par égalité » (par 7 oui, 7 non et aucune abstention). Cela n’a pas empêché le président de la commission, sans être contesté, de mettre aux voix « l'art. 27 ainsi amendé » (en réalité non amendé), qui a alors été « adopté à la majorité » (par 9 oui, 0 non et 4 abstentions) (MGC 2009-2010/II A 1073) : La question n’a pas été reprise par la suite, en particulier en troisième débat (MGC 2009-2010/II A 1090 ss, 1094), en sorte que le projet de LGEPA a été adopté par ladite commission lors du vote d’ensemble avec cet art. 27 « ainsi amendé » (MGC 2009-2010/II A 1094 et 1104), puis par le Grand Conseil, sans que cette disposition donne lieu, en séance plénière, à des débats ou commentaires (MGC 2009-2010/II D/5 420 ss, 2009-2010/II D/8 708 ; ROLG 2009 967 ss, 973) ; il y a cependant été rappelé que la sous-traitance en EMS était admise et qu’il s’agissait de pouvoir lutter contre d’éventuels abus (MGC 2009-2010/II D/5435 s.).

b/bb. L’art. 5 al. 1 let. g LGEPA, aux termes duquel le Conseil d’État « prend toute mesure utile à l’amélioration de la qualité et de l’efficience des prestations fournies », ne constitue pas non plus une clause de délégation législative permettant à l’intimé d’édicter par voie réglementaire une interdiction de principe de la sous-traitance des prestations fournies en EMS en dérogation à l’admission de principe de ladite sous-traitance résultant de l’art. 27 LGEPA. Non seulement cette norme de rang certes légal ne vise pas spécifiquement la sous-traitance (autrement dit ne se limite pas à une matière déterminée) et n’indique pas le contenu essentiel de la réglementation dérogatoire qu’elle habiliterait à édicter (en particulier à retenir une interdiction de principe de la sous-traitance), mais encore elle ne permet pas de considérer qu’il serait justifié d’interdire la sous-traitance simplement pour promouvoir une amélioration de la qualité et de l’efficience des prestations fournies en EMS. Les travaux préparatoires ne fournissent pas d’appui à une autre compréhension de cette norme ; ils font simplement mention d’une poursuite des efforts consentis pour professionnaliser le secteur des EMS dans le cadre de l’évolution des besoins de la population résidante, ainsi que pour trouver des règles de gestion, des collaborations et des synergies permettant de maîtriser l’augmentation du coût des prestations fournies par les EMS (MGC 2008-2009/II A 3122).

b/cc. On ne saurait non plus voir une clause de délégation législative habilitant l’intimé à édicter des normes primaires dans l’art. 39 LGEPA, selon lequel le « Conseil d’État fixe par règlement les dispositions nécessaires à l’application de la [LGEPA] ». Cette disposition ne constitue qu’un rappel, usuel, de la compétence de l’intimé d’exécuter les lois et d’adopter à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 phr. 2 Cst-GE), autrement dit d’édicter des normes secondaires.

11.         a. Sous l’angle de la légalité, il reste à examiner si l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA posant l’interdiction de principe de la sous-traitance des prestations socio-hôtelières (autres que la confection des repas et du traitement du linge plat et du linge de forme) constitue une norme secondaire, c’est-à-dire de simple exécution de la LGEPA.

b. Il ne fait pas de doute que l’interdiction de principe de la sous-traitance desdites prestations prévue par la modification réglementaire litigieuse représente une restriction nouvelle des droits des exploitants d’EMS mais aussi, par répercussion, notamment des entreprises de nettoyage, donc des recourantes.

De plus, ladite disposition transforme une admission de principe, susceptible d’être écartée dans des cas d’abus ponctuels, en une interdiction de principe assortie d’exceptions spécifiques à trois prestations limitées (la confection des repas et le traitement du linge plat et du linge de forme), autrement dit sans exception possible pour toutes les autres prestations socio-hôtelières fournies en EMS.

Déjà en tant que telle, elle ne saurait être tenue pour une norme secondaire.

c. L’intimé ne démontre par ailleurs pas que la sous-traitance desdites prestations socio-hôtelières, en particulier de celles de nettoyage, représenterait systématiquement ou quasi systématiquement un contournement de dispositions de la LGEPA, au point que l’interdire purement et simplement, sans exception possible (autre que les trois précitées), ne ferait que concrétiser la volonté que le législateur a exprimée en adoptant l’art. 27 LGEPA. Cette disposition légale aurait assurément reçu une autre teneur si tel était le cas.

L’intimé évoque à cet égard deux dispositions de la LGEPA que l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA concrétiserait dans le sens qu’une sous-traitance desdites prestations socio-hôtelières contournerait les exigences en résultant, à savoir les art. 1 et 5 al. 1 let. g LGEPA.

Or, il a déjà été indiqué que l’interdiction de principe litigieuse ne saurait trouver d’appui dans l’art. 5 al. 1 let. g LGEPA, ni concrétiser cette disposition-ci. On ne saurait non plus considérer que la finalité de la LGEPA, exprimée à l’art. 1 LGEPA, d’assurer, à toutes les personnes âgées, des conditions d’accueil, d’hébergement et de soins de qualité dans les EMS serait par principe compromise par une sous-traitance desdites prestations socio-hôtelières.

Sans doute à raison, l’intimé n’a pas cité l’art. 17 al. 2 et 3 LGEPA, prévoyant respectivement que l’échelle des traitements de l’ensemble du personnel des EMS « suit les mêmes principes que ceux appliqués aux membres du personnel de l’État et des établissements hospitaliers » et qu’une « convention collective de travail règle les autres questions relatives aux rapports de travail ». Cela s’explique vraisemblablement par le fait que l’art. 27 LGEPA permettrait au département en charge de la surveillance des EMS d’intervenir ponctuellement pour faire respecter ces exigences (dont il n’appartient pas à la chambre constitutionnelle d’examiner ici la validité) dans les cas particuliers dans lesquels des prestations socio-hôtelières seraient fournies en EMS par le biais d’une sous-traitance impliquant leur violation. Toujours est-il que la survenance de tels cas ponctuels ne démontrerait pas que, par principe, la sous-traitance desdites prestations n’est pas compatible avec la disposition considérée de la LGEPA.

d. Bien que les deux questions émargent autant sinon davantage à un examen de l’intérêt public poursuivi et de la proportionnalité de l’interdiction litigieuse, il sied de relever ici, dans le contexte d’un prétendu contournement des dispositions de la LGEPA qui fonderait la norme litigieuse, qu’au vu tant de l’historique de cette dernière que des affirmations peu étayées de l’intimé, un trouble subsiste d’une part sur la finalité réellement poursuivie par la modification litigieuse et d’autre part sur le caractère véritablement nécessaire et proportionné de la mesure édictée. En effet, l’intimé présente l’interdiction litigieuse tantôt comme visant à lutter contre une sous-enchère salariale et tantôt comme devant garantir la sécurité des résidants en EMS et la qualité de leur prise en charge globale. Il indique en outre qu’il apparaît « préférable » que chaque personne entrant dans l’intimité des résidants d’un EMS fasse partie du personnel de ce dernier. Les procès-verbaux des trois séances du groupe de travail constitué par le DEAS pour mener une étude globale des sous-traitances ayant cours au sein des EMS ne lèvent pas ces ambiguïtés, à tout le moins pas suffisamment, pour qu’il puisse être admis que la modification réglementaire litigieuse s’inscrit pleinement dans les perspectives de l’art. 27 LGEPA.

e. Du moins par son caractère absolu, n’excluant que trois prestations socio-hôtelières fort limitées, l’interdiction de principe de la sous-traitance que pose l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA ne peut être qualifiée de règle de simple exécution de l’art. 27 LGEPA. La disposition réglementaire litigieuse est en réalité une norme primaire, devant figurer dans une loi formelle, au demeurant indépendamment du fait que la restriction qu’elle prescrit représente – ainsi que la chambre constitutionnelle l’a retenu (cf. infra consid. 8) – une atteinte grave à la liberté économique.

12.         a. Il en résulte que le recours doit être admis dans la mesure de sa recevabilité, plus précisément sur le grief de la violation du principe de la légalité, et que l’art. 33 al. 2 let. b RGEPA doit être annulé.

b. Il sied de relever que l’art. 33 al. 2 let. c et al. 3 de même que l’art. 43 RGEPA adoptés le 28 février 2018 ne font pas l’objet du recours et qu’en particulier les recourantes n’ont pas conclu à leur annulation, étant rappelé que les juridictions administratives, dont la chambre constitutionnelle (art. 6 al. 1 let. b LPA), sont liées par les conclusions des parties (art. 69 al. 1 phr. 1 LPA).

13.         Compte tenu de l’issue donnée au recours sous l’angle de la légalité de la disposition litigieuse, la chambre constitutionnelle peut s’abstenir d’examiner si ladite disposition poursuit bien un but d’intérêt public admissible et le cas échéant lequel, de même que si elle respecte le principe de la proportionnalité (cf. ACST/28/2018 précité consid. 7a sur ces deux questions et consid. 7c sur le pouvoir d’examen et de décision de la chambre constitutionnelle en la matière).

14.         Compte tenu du fait que le recours est certes déclaré partiellement recevable mais admis substantiellement dans la mesure de sa recevabilité, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 2'500.- sera allouée aux recourantes, prises solidairement et conjointement, à la charge de l’État de Genève, pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires d’un mandataire (art. 87 al. 2 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 avril 2018 par B______ SA et l’Association A______ contre l’art. 33 al. 2 let. b du règlement d’application de la loi sur la gestion des établissements pour personnes âgées du 16 mars 2010 (RGEPA - J 7 20.01) modifié le 28 février 2018 par règlement du Conseil d’État de la République et canton de Genève ;

le déclare irrecevable en tant qu’il est dirigé contre l’art. 33 al. 2 let. a dudit règlement ;

au fond :

l’admet dans la mesure où il est recevable ;

annule l’art. 33 al. 2 let. b dudit règlement ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'500.- à B______ SA et l’Association A______, prises conjointement et solidairement, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Bénédict Fontanet, avocat des recourantes, et au Conseil d’État.

Siégeant : M. Verniory, président, Mme Cramer, MM. Pagan et Martin, Mme Tapponnier, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

 

 

I. Semuhire

 

le président siégeant :

 

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :