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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1448/2024

ATA/947/2024 du 14.08.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit

épublique et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1448/2024-PRISON ATA/947/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 août 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée

 



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 9 février 2024 en détention avant jugement.

b. Selon le rapport d’incident établi le 7 avril 2024, lorsqu’il s’apprêtait à rentrer le précité après sa douche, un agent de détention avait constaté qu’il avait un seau dans les mains avec des habits lavés à l’intérieur. L’agent lui avait alors rappelé que la douche n’était pas prévue pour laver les affaires personnelles. Mécontent, le détenu lui avait dit : « Vas-y parle moi pas et prends-moi pas la tête, je fais le ramadan. Ouvre moi cette porte ». L’agent lui avait dit qu’il n’avait pas à lui donner des ordres et lui avait rappelé le cadre d’utilisation des douches. Au moment de lui ouvrir la porte, il lui avait dit : « De toute façon ici personne ne t’aime. Ils disent tous que t’es méchant. Espèce de sale merde ». L’agent avait alors informé le gardien-chef adjoint de la situation, qui avait décidé du transfert du détenu en cellule forte.

Le rapport d’incident indique que le détenu a pu s’exprimer sur les faits. Il avait reconnu avoir pris son bidon d’habits pour les nettoyer. Il contestait avoir injurié le gardien.

c. Par « notification de sanction » du 7 avril 2024, il a été sanctionné d’un jour de cellule forte pour « injures envers le personnel ».

B. a. Par acte expédié le 30 avril 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision.

Il s’était muni d’un récipient afin de pouvoir faire sa lessive. Le gardien l’avait conduit au point d’eau et ne lui avait pas mentionné qu’il n’était pas autorisé à prendre ce matériel. À son retour en cellule, un autre gardien s’était interposé en lui disant qu’il n’était pas autorisé à avoir ce récipient. Il s’était alors excusé, pensant qu’il y avait droit et avait demandé à ce qu’on lui ouvre sa cellule. L’agent s’était opposé à sa requête pensant qu’il ne voulait pas l’écouter. Il était resté respectueux et l’agent lui avait ouvert la porte en le menaçant, en l’insultant et lui disant qu’il allait rédiger un rapport à son encontre. Il lui avait ensuite interdit de prendre son traitement anxiolytique et son repas de l’après-midi lui avait été refusé alors qu’il faisait le ramadan. Il avait vécu cette situation comme un abus de pouvoir.

b. Le 16 mai 2024, A______ a complété son recours.

Il a ajouté qu’alors qu’il demandait à l’agent de retourner dans sa cellule, ce dernier lui avait dit : « tu es qui pour me donner des ordres ? », ce à quoi il avait répondu calmement qu’il ne voulait pas donner d’ordres mais qu’il pensait que sa place était en cellule, tentant de mettre un terme à « l’escalade de la discussion ». L’agent lui avait alors indiqué qu’il n’ouvrirait pas sa cellule. Il avait alors dit : « Frère, s’il te plaît ouvre moi la porte », ce à quoi l’agent lui avait répondu : « Je ne suis pas ton frère ». Il lui avait alors expliqué qu’il s’agissait d’une manière de parler et ils étaient d’accord sur le fait qu’ils n’étaient pas frères. Il avait finalement ouvert la cellule en lui disant : « J’espère que tu as compris, parce que les prochaines fois tu verras ce que je vais faire, tu verras qui décide ici, espèce d’enculé ». Il avait ensuite quitté la cellule en claquant la porte. Environ dix à quinze minutes après, il était revenu avec un autre détenu chargé de récupérer la poubelle de sa cellule. Alors qu’il tendait la poubelle pleine, l’agent lui avait jeté le sac poubelle de rechange au visage. Il avait ensuite fait demi-tour et, à nouveau, avait claqué la porte.

c. La direction de la prison a conclu au rejet du recours.

Il ressortait des images de vidéosurveillance que l’agent de détention et le recourant avaient eu une discussion. Cela étant, les images n’enregistrant pas le son et aucun élément ne permettant de s’écarter de la version des faits telle qu’établie dans le rapport d’incident, une force probante plus importante devait être accordée à la version du personnel pénitentiaire, qui avait prêté serment.

Il avait ainsi enfreint le règlement de la prison en adoptant une attitude irrespectueuse et en proférant des propos injurieux à l’encontre d’un membre du personnel pénitentiaire. Ce comportement n’était pas acceptable et compromettait la tranquillité, l’organisation et le bon fonctionnement de la prison. La sanction n’avait au demeurant pas affecté son droit à la promenade, laquelle avait été maintenue pendant la durée de la sanction.

d. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet, si bien que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente
(art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celles-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2).

Le recours est donc recevable.

3.             Le recours ne contient pas de conclusions formelles.

3.1 L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l’exposé des motifs, ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, la juridiction saisie impartit un bref délai au recourant pour satisfaire à ces exigences, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA).

3.2 Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que les conclusions ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas, en soi, un motif d’irrecevabilité, pourvu que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/657/2022 du 23 juin 2022 consid. 2b). Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a, de manière suffisante, manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/1068/2023 du 27 septembre 2023 consid. 2.2).

3.3 En l'espèce, il résulte des écritures du recourant que celui-ci trouve la sanction injustifiée et qu'il demande donc son annulation. Le recours est ainsi recevable.

4.             Le recourant conteste les faits qui lui sont reprochés.

4.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

4.2 Les détenus doivent observer les dispositions du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire
(art. 42 RRIP). En toute circonstance, ils doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

4.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus, e) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour 15 jours au plus f) la privation de travail ou encore g) le placement en cellule forte pour dix jours au plus. Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP).

4.4 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/284/2020 précité consid. 4f et les références citées).

Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une sanction de deux jours de cellule forte infligée à un détenu qui avait traité un agent de détention de « sale fils de pute » (ATA/502/2018 du 22 mai 2018). Elle a également confirmé une sanction d'un jour de cellule forte prononcée en raison des propos de « sale fils de chiottes » désignant un infirmier de l'établissement pénitentiaire (ATA/1066/2015 du 6 octobre 2015) ainsi qu’une sanction de deux jours de cellule forte à un détenu ayant traité les agents de détention de « fils de pute » (ATA/383/2021 du 30 mars 2021). Récemment, la chambre administrative a constaté le caractère illicite d’une sanction de deux jours de cellule forte pour avoir utilisé le terme « zobi » à l’encontre d’un agent de détention, considérant qu’une sanction d’un jour de cellule forte paraissait plus appropriée (ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 6)

4.5 En l’espèce, le recourant conteste avoir tenu les propos reprochés. Il indique s’être excusé et avoir répondu calmement alors que l’agent haussait la voix. Il demandait uniquement à ce que l’agent lui ouvre la porte de la cellule.

Il ressort du visionnement des images de vidéosurveillance qu’alors que le recourant attendait devant la porte de sa cellule avec le seau posé sur le sol, l’agent de détention s’est approché de lui. Une longue discussion s’en est suivie sans qu’il ne soit possible de déterminer les propos qui ont été échangés, les images de vidéosurveillance n’enregistrant pas le son. L’agent de détention a ensuite ouvert la porte de la cellule pour laisser entrer le détenu. Il est également entré dans la cellule après le détenu, vraisemblablement pour continuer la conversation. Il en est ensuite ressorti et a fait signe au détenu de jeter son sac poubelle dans le container tenu par un autre détenu, ce qu’il a fait. L’agent lui a ensuite lancé un nouveau sac poubelle et a fermé la porte. Contrairement à ce que prétend le recourant, il ne ressort pas des images de vidéosurveillance que l’agent ait claqué la porte, encore moins à deux reprises. On ne peut pas non plus retenir qu’il ait jeté le sac poubelle de rechange au visage du recourant, même s’il l’a effectivement lancé dans sa direction. L’épisode du sac poubelle n’est au demeurant pas intervenu dix à quinze minutes après celui du seau, mais dans le prolongement de celui-ci. Ainsi, et en l’absence d’éléments permettant de s’écarter de la version des faits telle que décrite dans le rapport d’incident, établi par un agent de détention assermenté, il y a lieu de s’y référer. Il convient donc de retenir que le recourant a tenu des propos injurieux à l’égard de l’agent de détention. Un tel manque de respect était susceptible de porter atteinte à la personnalité de l’agent de détention et de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement, violant ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier aux art. 44 et 45 let. h RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à sanctionner le recourant en relation avec ces faits.

La sanction paraît au demeurant proportionnée. S'il est vrai que le placement en cellule forte constitue la sanction la plus sévère mentionnée à l'art. 47 al. 3 RRIP, il n'en demeure pas moins que les propos tenus par le recourant étaient grossiers et irrespectueux. Un tel comportement est inadmissible et ne saurait être toléré, si bien que l’autorité intimée était fondée à faire preuve de sévérité en lui infligeant une sanction d’un jour de cellule forte, dont la quotité correspond au minimum de la fourchette légale.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'autorité intimée n'a ni abusé ni excédé son pouvoir d'appréciation en prononçant le placement du recourant en cellule forte pour un jour.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.6 Vu la nature et l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA cum art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), ni aucune indemnité de procédure allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 avril 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 7 avril 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CARDINAUX

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :