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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/464/2022

ATA/412/2022 du 13.04.2022 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/464/2022-PRISON ATA/412/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 avril 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

B______



EN FAIT

1) Monsieur A______ (ci-après : le détenu), né le ______1998, est détenu, en exécution anticipée de peine, à B______ (ci-après : B______) depuis le ______2021.

2) a. Le 25 novembre 2021, M. A______ et B______ ont signé un « contrat de prestations ».

L’incarcération à B______ entraînait l’obligation de travailler. Dans la mesure du possible, le détenu serait placé dans un atelier en fonction de ses capacités, compétences et intérêts. Il était dans un premier temps affecté en régime « C______ ».

Le détenu s’engageait notamment à accepter le choix d’atelier et le travail obligatoire auquel il serait assigné, à respecter le règlement de l’atelier, affiché dans celui-ci, de même que les règles de vie. Tout changement d’atelier serait réglé par un simple avenant au contrat, hormis un placement temporaire dans un autre atelier sur décision de la direction.

En cas de non-respect du règlement des ateliers et selon la gravité de la situation, il serait sanctionné et renvoyé en cellule. Il pourrait être privé d’activités telles que le sport, les visites, les loisirs, notamment. Le revenu journalier était de CHF 33.- bruts, soit, en régime ordinaire, CHF 25.- nets.

En cas de refus d’aller travailler sans raison valable, il devrait rester en cellule et ne serait pas rémunéré.

b. Par avenant au contrat du 31 janvier 2022, M. A______ a été affecté à l’atelier buanderie.

3) Par décisions des 20 décembre 2021 et 27 janvier 2022, le détenu a été sanctionné par la suppression de diverses activités pendant un, puis deux jours, pour refus de travailler.

4) Par décision du 4 février 2022, prise par la gardienne-cheffe adjointe, M. A______ a été sanctionné d’une suppression des activités de formations, sports, loisirs et repas en commun pour une durée de sept jours, soit du 4 février 2022 à 13h45 jusqu'au 11 février 2022 à la même heure. La promenade quotidienne était maintenue, de même que la possibilité de téléphoner.

Selon le rapport d’incident, M. A______, lors du passage du portique B2 à 13h45 pour la mise aux ateliers, avait montré au surveillant un paquet de cigarettes à rouler. Celui-ci l'avait informé que c'était interdit par le règlement de l'établissement. Le détenu avait dès lors refusé de travailler et demandé à retourner en cellule, où il avait été raccompagné à 13h47.

Il avait été auditionné le 4 février 2022 à 15h22, avant la notification de la sanction. Il avait déclaré ne pas être d'accord avec la décision. Il souhaitait récupérer son tabac et retourner au travail.

Il ressort d'un second rapport d'incident, daté du 7 février 2022, demandé à la suite des déclarations du détenu, que le surveillant avait dit à ce dernier qu'il ne pouvait pas prendre un sachet de tabac qui n'était pas transparent car c'était interdit par le règlement. Le sachet serait ramené en cellule. Le détenu avait alors demandé à retourner en cellule, où il avait été raccompagné.

5) Par acte daté du 6 février 2022, M. A______ a fait recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de sanction.

Le surveillant ne l'avait pas laissé garder son tabac qui se trouvait dans un paquet Marlboro, parce qu'il n'était pas transparent. Il avait répondu qu'il ignorait que c'était interdit et qu'il pouvait placer son tabac dans sa poche. Le surveillant lui avait répondu « j'en ai rien à foutre ». Il avait donc demandé à retourner en cellule pour changer de récipient et on l'avait sanctionné, alors que les paquets de cigarettes industriels non-transparents étaient autorisés.

Il ne trouvait pas normal d'être sanctionné « pour ça », alors qu'il n'avait pas dit qu'il ne voulait pas travailler. Il voulait juste avoir son tabac. Il pensait éventuellement déposer une plainte contre le maître d'atelier dont même les collègues disaient qu'ils ne trouvaient pas son comportement normal.

Il demandait « si possible un entretien ».

6) B______ a conclu le 1er mars 2022 au rejet du recours.

Il existait une « liste des objets autorisés dans les ateliers », affichée sur tous les magnétomètres positionnés entre les secteurs cellulaires et dans les couloirs donnant aux ateliers. Dès lors, a contrario, les objets n'y figurant pas étaient interdits. Selon cette liste pouvaient être pris de la cellule, pour se rendre aux ateliers, « du tabac contenu dans un sachet en plastique transparent, des filtres, du papier à rouler, un briquet, un paquet de cigarettes ( ) ».

Il ressortait des deux rapports d'incident, établis par le même agent assermenté dont rien ne permettait de remettre en cause les constatations, que le détenu avait refusé d'aller travailler et voulu retourner en cellule car il ne pouvait pas prendre son tabac, conditionné dans un sachet non transparent, ce qu'il ne pouvait ignorer vu l'affichage de la liste précitée.

Sous l'angle disciplinaire, il lui était reproché d'avoir refusé de se soumettre à l'obligation de travail. La quotité de la sanction se trouvait très en-deçà du maximum de trois mois prévu par le règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d'exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08) et n'incluait pas l'heure de promenade en plein air ni la possibilité de contacts téléphoniques. Le détenu savait, pour avoir fait l'objet de deux précédentes sanctions disciplinaires pour refus de travailler, qu'un tel refus en entraînerait une nouvelle.

7) M. A______ n'a pas fait usage de son droit à la réplique.

8) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ -
E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/284/2020 du 10 mars 2020 consid. 2a et la référence citée).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la sanction disciplinaire à laquelle il a été condamné. L'on comprend toutefois de son recours qu'il la conteste, car elle serait injustifiée, et conclut implicitement à son annulation, de sorte que le recours est recevable.

3) Le recourant sollicite son audition, « si possible ».

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l'espèce, le recourant a été entendu par la prison, a pu présenter sa version des faits dans son recours et n’a pas usé de la faculté de répliquer qui lui avait été donnée. Son audition n'est pas de nature à modifier l'issue du litige, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à sa demande.

4) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

b. Les personnes détenues ont l'obligation de respecter les dispositions du REPSD, les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention (ci-après : OCD), ainsi que les ordres du directeur de l'établissement et du personnel pénitentiaire (art. 42 REPSD).

Les personnes condamnées sont astreintes au travail, conformément à l'art. 81 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0 ; art. 35
al. 1 REPSD).

La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (art. 43 REPSD). Il est notamment interdit de troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (art. 44 let. i REPSD), et d'une façon générale, d'adopter un comportement contraire au but de l'établissement (art. 44 let. j REPSD).

c. Aux termes de l'art. 46 REPSD, si une personne détenue enfreint le REPSD ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (al. 1). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (al. 2).

Selon l'art. 46 al. 3 REPSD, le directeur de l'établissement et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer : un avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b) ; l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) ; les arrêts pour dix jours au plus (let. d). À teneur de l'art. 46 al. 7 REPSD, le directeur de l'établissement peut déléguer la compétence de prononcer ces sanctions prévues à d'autres membres du personnel gradé de l'établissement. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service.

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/36/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

5) a. En l’espèce, le recourant ne conteste pas avoir voulu se rendre à l'atelier buanderie avec du tabac placé dans un contenant non transparent. Il prétend avoir ignoré que c'était interdit et conteste avoir refusé de travailler. Il avait simplement demandé à pouvoir ramener son tabac en cellule pour, selon les termes de son recours, « changer de récipient ».

Le recourant est détenu depuis le 17 novembre 2021 à B______ et était affecté depuis le 25 novembre 2021 à l'atelier « C______ ». Il travaille depuis le 31 janvier 2022 à l'atelier buanderie. Il ne contredit pas l'établissement de détention qui explique que la liste des effets admis dans les ateliers est affichée en divers endroits de la prison, dont dans les couloirs menant aux ateliers qu'il empruntait depuis plus d'une année au jour de la sanction querellée. Il ne prétend pas ne pas parler le français, langue dans laquelle il a au demeurant écrit son recours, et partant ne pas avoir été en mesure de comprendre les termes de ladite liste, contenant sept types d'objets pouvant être emmenés dans les ateliers, dont du tabac contenu dans un sachet plastique transparent. Il ne prétend pas qu'il se soit agi en l'espèce d'un paquet de cigarettes, autorisé selon le même point de ladite liste.

Dans ces conditions, l'introduction de tabac dans un contenant non transparent n'était pas autorisée et c'est à bon droit que le surveillant l'a refusée au recourant. Même à considérer que celui-ci aurait éventuellement bénéficié de la mansuétude du gardien en charge du contrôle avant le jour de la sanction, il ne peut en déduire aucun droit compte tenu des règles claires de l’établissement.

L'agent de détention, assermenté, a par deux fois mentionné que le recourant avait refusé de travailler après qu'il lui avait dit que son tabac serait ramené dans sa cellule. Il n'existe aucun élément au dossier qui permet de douter de cette version des faits, laquelle correspond au demeurant partiellement à celle du recourant qui admet avoir voulu retourner en cellule pour « changer de récipient ».

Compte tenu de ce qui précède, le recourant a commis une faute en refusant de travailler. Le principe de la sanction est en conséquence fondé.

b. S'agissant de la nature et de la quotité de la sanction, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, que la chambre de céans ne revoit que sous l’angle restreint de l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation. Il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d'appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 et les références citées ; ATA/114/2015 du 27 janvier 2015 consid. 5c).

En choisissant de supprimer les formations, sports, loisirs et repas en commun pour sept journées, l’autorité intimée n’a pas violé son pouvoir d’appréciation, ce d’autant que la promenade et les téléphones restaient autorisés et que le recourant fait l'objet de deux antécédents spécifiques, les 20 décembre 2021 et 27 janvier 2022, qui ne l'ont manifestement pas amené à changer de comportement.

La sanction prononcée est ainsi proportionnée, répond à l’intérêt public au respect de l’ordre et de la sécurité au sein de l’établissement pénitentiaire et repose sur une base réglementaire, l’art. 46 al. 3 let. b REPSD.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6) La procédure est gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 février 2022 par Monsieur A______ contre la décision de B______ du 4 février 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à l'établissement fermé B______.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et McGregor, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. Hugi

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :