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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/756/2022

ATA/498/2022 du 11.05.2022 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/756/2022-PRISON ATA/498/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 mai 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP DOLLON



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 22 janvier 2022.

2) Selon le rapport d’incident du 23 février 2022, à 9h30, M. A______ a eu une altercation en arabe avec un codétenu alors qu’il remontait « la rampe » en compagnie d’un agent de détention. Les deux détenus s’étaient alors donné rendez-vous après la rampe pour régler leur différend. Après avoir ramené M. A______ à sa cellule, ledit agent avait entendu des hurlements et constaté, en ouvrant le portillon que les deux détenus étaient agrippés l’un à l’autre.

3) Après avoir entendu M. A______, le gardien-chef adjoint et le directeur de la prison lui ont infligé une sanction de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu. M. A______ a signé la sanction qui lui a été notifiée le jour même.

4) Selon le rapport d’incident du 25 février 2022, M. A______ avait refusé de se faire fouiller à son retour de promenade. Au vu de ce refus, l’agent de détention avait fait appel à son supérieur, qui avait invité le détenu, en vain, à plusieurs reprises à obtempérer. M. A______ avait persisté dans son refus et dit à celui-ci : « Utilise la violence, vient utilise la violence casse-moi les doigts, casse-moi la tête, aller viens ». Le détenu avait ensuite été amené au sol « en clé de coude » et maintenu dans cette position, « en clé d’épaule », afin d’être fouillé.

5) Le même jour, une sanction de trois jours de cellule forte lui a été infligée, après l’avoir entendu, pour refus d’obtempérer et attitude incorrecte envers le personnel. M. A______ a refusé de signer cette sanction. La décision était signée par le gardien-chef adjoint et le directeur de la prison.

6) Par acte expédié le 3 mars 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre ces deux sanctions.

Il n’avait pas exercé de violence physique sur un codétenu ni refusé d’obtempérer. Il avait subi des discriminations raciales et des mensonges du personnel pénitentiaire. Il avait toujours respecté le règlement de la prison en vue d’obtenir la libération conditionnelle. Le 26 février 2022, les gardiens lui avaient asséné des coups de poing et de pied au visage. Il avait subi des humiliations dans sa cellule, hors de la vue de témoins ou d’images de surveillance. Il demandait qu’un médecin établisse un certificat médical et déposait plainte auprès du Ministère public pour ces faits, à savoir lésions corporelles simples, menaces, injures et discrimination raciale. Il subissait cette violence sans motif et voulait être entendu pour s’expliquer.

7) La direction de la prison a conclu au rejet du recours.

La « rampe » était le lieu où se trouvait le service des conduites qui gérait les déplacements internes de la prison et marquait la séparation entre le bâtiment administratif et le bâtiment cellulaire.

8) Le recourant ne s’est pas manifesté dans le délai imparti pour répliquer.

9) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2 ; ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 1).

Le recours est donc recevable.

3) Le recourant sollicite son audition.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l'espèce, le recourant a été entendu par la prison, a pu présenter ses arguments dans son recours et n’a pas usé de la faculté de répliquer qui lui avait été donnée. Il n’explique pas non plus quels autres éléments que ceux avancés dans son recours son audition permettrait d’établir.

Dans ces circonstances, il ne sera pas fait droit à sa demande d’audition.

4) Le recourant sollicite l’établissement d’un certificat médical et indique vouloir déposer plainte pénale.

Ces points, qui ne font pas l’objet des décisions attaquées, ne peuvent être examinés par la chambre de céans. Celle-ci ne peut, en effet, que se prononcer sur le bien-fondé des deux décisions de sanction, qui relèvent de sa compétence.

Ainsi, si le recourant s’y estime fondé – et pour autant qu’il ne l’ait pas déjà fait, ce qui ne ressort pas clairement de son recours –, il lui appartient de saisir le Ministère public des faits qu’il dénonce. Il peut, en outre, demander à la prison de pouvoir être soumis à un examen médical.

5) Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction, se plaignant d'une constatation inexacte des faits pertinents.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP). En tout temps, la direction peut ordonner des fouilles corporelles et une inspection des locaux (art. 46 RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP). L'art. 47 al. 7 RRIP prévoit que le directeur peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'al. 3 à d'autres membres du personnel gradé. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service. L'ordre de service B 24 de la prison prévoit une telle délégation pour le placement en cellule forte de un à cinq jours en faveur du membre « consigné » de la direction, et pour la suppression de travail en faveur du gardien-chef adjoint (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 précité ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/36/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 4e ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c).

6) a. En l’espèce, les faits reprochés au recourant ressortent des rapports établis les 23 et 25 février 2022. Selon ces rapports, un agent de détention avait entendu le recourant donner rendez-vous à un autre codétenu pour régler un différend. Après avoir ramené le recourant à sa cellule, l’agent avait entendu des hurlements dans la cellule et constaté que les codétenus étaient agrippés l’un à l’autre.

Le recourant se borne à contester avoir exercé de la violence physique sur un codétenu. Il n’explique cependant nullement en quoi le rapport d’incident serait erroné et ne soutient pas non plus que le différend avec le codétenu se serait limité aux échanges verbaux entendus par l’agent de détention. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s'écarter des constatations figurant dans le rapport susmentionné, établi au demeurant par un agent assermenté et qui a une pleine valeur probante.

Il en va de même de son refus de se soumettre à la fouille au retour de la promenade. Cette attitude a d’abord été constatée par un agent de détention, qui a alors fait appel à son supérieur, face à qui le recourant avait maintenu son refus de se soumettre à la fouille et indiqué « utilise la violence, vient utilise la violence casse-moi les doigts, casse-moi la tête, aller viens ». Le recourant ne conteste pas cette description des faits, se bornant à soutenir qu’il n’avait pas refusé d’obtempérer. Or, ce refus ayant été communiqué à deux agents de détention et nécessité l’usage de la force pour procéder à la fouille, les dénégations du recourant ne permettent pas à elles seules de s’écarter du rapport d’incident.

Le comportement consistant à s’en prendre physiquement à un codétenu et à refuser d’obtempérer aux instructions données afin de permettre la fouille du détenu sont susceptibles de troubler l'ordre, la sécurité et la tranquillité de l'établissement. De ce fait, le recourant a violé ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier aux art. 44, 45 let. h et 46 RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à le sanctionner pour ces faits.

b. S'il est vrai que le placement en cellule forte constitue la sanction la plus sévère mentionnée à l'art. 47 al. 3 RRIP, il n'en demeure pas moins que le recourant, en s’en prenant physiquement à un codétenu, a adopté un comportement nuisant au bon fonctionnement de la prison et susceptible de porter atteinte à l’intégrité physique d’un codétenu. L'autorité intimée était dès lors fondée à faire preuve de sévérité en lui infligeant, pour ces faits, une sanction de trois jours de cellule forte, malgré l’absence d’antécédents disciplinaires, étant rappelé que le placement en cellule forte peut être prononcé pour dix jours au plus.

c. Le recourant a refusé de se soumettre à la fouille et opposé une résistance physique nécessitant le recours à l’aide de plusieurs agents de détention ayant dû faire usage de moyens de contrainte pour procéder à la fouille. Au vu de la sanction dont il venait de faire l’objet, une sanction d'une certaine sévérité s'imposait, l'intéressé persistant à violer le RRIP. Dans ces conditions, bien que sévère, le choix d'une mise en cellule forte pendant trois jours respecte le principe de la proportionnalité, étant de surcroît rappelé que l'autorité intimée jouit d'un large pouvoir d'appréciation que la chambre de céans ne revoit qu'avec retenue.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'autorité intimée n'a ni abusé ni excédé son pouvoir d'appréciation, en prononçant le 23 février et le 25 février 2022 le placement du recourant en cellule forte pour trois jours.

Le recours sera donc rejeté.

7) Au vu de la nature du litige et de son issue, il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 mars 2022 par Monsieur A______ contre la décision de la Direction de la prison de Champ-Dollon du 23 février 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. Deschamps

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :