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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/24965/2021

AARP/295/2023 du 21.08.2023 sur JTCO/14/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : IN DUBIO PRO REO;ACTE D'ORDRE SEXUEL AVEC UN ENFANT;EXPULSION(DROIT PÉNAL)
Normes : CP.189; CP.188; CP.66a; CP.190; CP.213
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24965/2021 AARP/295/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 21 août

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, ______, Me C______, avocate,

appelant,

 


contre le jugement JTCO/14/2023 rendu le 1er février par le Tribunal correctionnel,

 

et

D______, partie plaignante, comparant par Me E______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 1er février 2023, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO) l'a reconnu coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 du code pénal [CP]), de viol (art. 190 CP), de contrainte sexuelle (art. 189 CP) et d'inceste (art. 213 al. 1 CP), lui infligeant une peine privative de liberté de huit ans (sous déduction de la détention avant jugement) et a prononcé son expulsion de Suisse pour une durée de sept ans, mesure inscrite au registre SIS. Les premiers juges lui ont également fait interdiction, à vie, d'exercer toute activité professionnelle et non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs ainsi que mis les frais de la procédure à sa charge.

A______ conclut à son acquittement et à l'indemnisation du tort moral subi du fait de sa détention, subsidiairement à son acquittement du chef de viol et, en tout état, au prononcé d'une peine compatible avec le sursis ainsi qu'à ce qu'il soit renoncé au prononcé de l'expulsion et de l'interdiction d'exercer des activités impliquant des contacts avec des mineurs.

b.a. Selon l'acte d'accusation du 11 novembre 2022, il est reproché ce qui suit à A______ :

Dans ses divers domiciles à Genève, notamment l'appartement sis chemin 1______ no. ______ à F______ [GE], son logement sis à G______ [GE] et l'appartement sis route 2______ no. ______ à H______ [GE], il s'est, à un nombre indéterminé de fois et à des dates indéterminables, comprises entre le ______ décembre 2015 et le ______ décembre 2020, régulièrement adonné, alternativement ou successivement, à des actes de nature sexuelle sur sa fille, D______, née le ______ 2004, alors qu'elle avait entre 11 et 16 ans, consistant à :

-          la caresser et à toucher sa poitrine, ses fesses et ses parties génitales à même la peau ;

-          lui lécher les parties génitales (cunnilingus) ;

-          frotter son sexe contre les parties génitales de la victime, sans pénétration ;

-          la pénétrer vaginalement de son sexe, sans l'introduire complètement, avec ou sans éjaculation.

A______ a agi de la sorte, en profitant du fait que sa fille était en train de dormir, ou du moins faisait semblant de dormir, qui plus est au milieu de la nuit, et en la prenant totalement au dépourvu.

Il a en outre intentionnellement exploité son autorité paternelle et usé du rapport de confiance père-fille qu’il avait avec D______, du jeune âge, de l'inexpérience et de l'innocence de celle-ci, ainsi que de son ascendant naturel, de la dépendance émotionnelle et de l'infériorité physique et psychique de sa fille mineure, afin de lui faire subir des actes sexuels, passant outre le fait qu'elle n'était pas consentante, brisant ainsi systématiquement sa résistance, alors qu'elle n'était pas de taille à s'opposer à lui, en particulier au regard de la fréquence, sur une longue durée, des actes analogues à l'acte sexuel ou d'autres actes d'ordre sexuel qu'il lui imposait.

b.b. L'acte d'accusation qualifiait également les faits de violation du devoir d'assistance ou d'éducation (art. 219 CP), mais le TCO a retenu que cette infraction était absorbée par celles retenues.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. Le 29 décembre 2021, I______ a déposé plainte pénale à l'encontre de son ex-époux, également pour le compte de sa fille D______.

Elle a exposé que la veille, ayant découvert un test de grossesse dans l'armoire de l'adolescente, elle l'avait interrogée alors qu'elle rentrait avec son petit ami, qui passait des vacances chez elles. D______ lui avait répondu qu'elle savait pourquoi elle s'était procurée ce dispositif puis s'était effondrée, en pleurs. Après quelques minutes, elle lui avait dit "c'est mon père". Elle avait répété "tu sais pourquoi", faisant allusion à un incident survenu six ans auparavant.

À l'époque, I______ avait en effet lu dans le journal intime de D______ que son père venait la nuit dans sa chambre. Elle s'était alors rendue à l'école et avait fait sortir l'enfant de sa classe. Celle-ci avait confirmé que son père venait dans sa chambre la nuit et précisé qu'il la touchait, soit, selon les souvenirs de la mère, qu'il lui faisait des câlins par-dessus la couverture. I______ avait demandé à D______ si elle voulait se rendre à la police. La jeune fille avait répondu par la négative. Le même jour, I______ avait confronté père et fille. A______ s'était effondré, "comme si le ciel lui était tombé sur la tête" et la mère avait "mal jugé le cas" de sorte qu'il n'y avait pas eu de suite, étant précisé qu'elle n'avait plus rien vu, ni entendu.

La veille, D______ lui avait dit qu'il frottait son sexe contre le sien. Sur question de sa mère, elle avait indiqué qu'il n'y avait pas eu de pénétration. Les actes étaient fréquents, mais D______ se rendait néanmoins chez A______, car il était son père. Elle se sentait fautive de l'avoir fait et voulait savoir si celui-ci allait être arrêté, car elle avait peur qu'il ne les tuât, toutes les deux. Comme ses règles tardaient, la jeune fille avait craint une grossesse, puis le cycle avait repris. D______ n'avait pas de relations sexuelles avec son petit ami et disait à sa mère qu'elle n'était pas prête à en avoir.

A______ et son épouse s'étaient séparés en 2017, pour divorcer en 2018 ou 2019, mais il avait continué de vivre une année au domicile de la famille, ne trouvant pas de logement. Il dormait alors sur le canapé. Selon D______, les agressions avaient commencé à cette période. Le prévenu avait ensuite sous-loué un appartement puis été hébergé dans un foyer à R______ [GE], de sorte qu'il venait voir D______ et son frère J______ le week-end au domicile familial, que I______ libérait à cette fin. Il avait ensuite vécu en colocation à H______ (dont elle indiquera par la suite qu'il s'agissait de G______), puis trouvé un appartement, dans la même commune. Les enfants s'y rendaient.

a.b. Devant le Ministère public (MP), I______ a confirmé ses précédentes déclarations. L'épisode du journal intime datait de l'époque où D______ était au cycle d'orientation. Durant la période de cohabitation malgré la séparation, la mère dormait dans la chambre parentale avec le petit J______, qui occupait encore son berceau, et D______ avait sa chambre. Il y avait eu une période de réconciliation, lors de laquelle son époux et elle avait de nouveau partagé le lit conjugal. Elle n'avait alors pas remarqué si A______ se levait durant la nuit. Le canapé du salon était un canapé-lit et il y avait eu dans la chambre des enfants un lit d'appoint, sous forme d'un matelas pliable, mais elle ne se souvenait pas si A______ y dormait. Selon ce que les enfants lui rapportaient, il dormait dans la chambre parentale lorsqu'il venait exercer son droit de visite à la maison. À G______, A______ et les enfants dormaient à sa connaissance dans le même et unique lit. À H______, il y avait un lit à une place, censé être occupé par J______, et un lit double, dont elle avait récemment appris qu'ils le partageaient tous trois, le garçon ne voulant pas rester seul. Chez elle, la porte de la chambre des enfants était toujours fermée, contrairement à la sienne. La procédure de divorce sur requête commune s'était bien déroulée. Ses relations avec son ex-conjoint étaient plutôt cordiales, sauf lorsqu'il "devenait fou" et l'insultait. Elle n'avait pas de motif de lui en vouloir. Requise d'indiquer si elle avait une remarque particulière au sujet de sa vie sexuelle avec le prévenu, I______ a exposé qu'il était fréquent qu'elle se réveillât alors qu'il la touchait ou la pénétrait digitalement. Il était impulsif, avec un caractère à deux facettes, pouvant se montrer très gentil ou s'énerver rapidement, voire devenir violent. Elle ne lui connaissait pas de petite amie. J______ n'avait pas indiqué avoir observé quelque chose.

Le petit ami de D______ habitait à K______ [France] et ils s'étaient vus pour la première fois lorsqu'il était venu à Genève durant la période des fêtes de fin d'année 2021. Il était présent lors du dévoilement. À sa connaissance, cette relation était terminée.

b.a. D______ a été d'abord entendue selon le processus EVIG, le 29 décembre 2021. Pleurant beaucoup et évoquant souvent son sentiment de dégoût, elle a exposé que ses parents avaient cessé de dormir dans la même chambre lorsqu'elle avait 11 ans. Son père, qui occupait alors un matelas au sol, dans sa chambre, s'était mis à venir dans son lit et lui toucher la poitrine. La première fois, il lui avait dit "viens" et elle avait obéi, pensant qu'il voulait lui faire un câlin. Cependant, il avait commencé à enlever son haut et à toucher sa poitrine et ses tétons. Lorsqu'elle avait regagné son lit, il lui avait demandé " t'as aimé ça ? ". Elle n'avait rien répondu, sous le choc. Elle n'avait ni bougé, ni rien osé dire. Il ne lui avait pas posé cette question à d'autres occasions.

Elle n'avait "pas trop" de souvenirs de la période écoulée entre ses 11 et 14 ans, sous réserve d'une occurrence lors de laquelle son père, qui dormait sur le canapé, était venu dans sa chambre et avait commencé à la toucher. Cette fois, elle s'était débattue pendant une heure, en bougeant dans tous les sens et en se tournant contre le mur, mais il "s'en fichait" et l'avait tout de même forcée, touchant sa poitrine et léchant ses tétons. Il ne la laissait pas tranquille, tant qu'il ne parvenait pas à ses fins. Lors de ces épisodes, elle était comme paralysée et ne parvenait pas à bouger ou à dire non. Parfois elle le repoussait, mais il la forçait jusqu'à ce qu'elle se laisse faire. Si cela durait toute la nuit, elle n'avait plus la force et se laissait faire. Elle ne comprenait pas pourquoi il agissait de la sorte, elle imaginait que cela devait lui faire plaisir, alors qu'elle n'aimait pas cela, qu'elle ne voulait pas.

Plus tard, alors qu'elle était âgée de 15 ans, son père était allé progressivement plus bas et avait commencé à lui retirer son pyjama et sa culotte, à lui toucher les fesses et le clitoris en mettant ses doigts et en faisant des va-et-vient, à lui lécher le sexe jusqu'à érection, puis à se frotter à elle, en mettant son pénis contre son clitoris, vers ses fesses ou entre ses seins en faisant des va-et-vient, après avoir enlevé son pantalon jusqu'à éjaculation sur son vagin, avec ou sans préservatif. Elle savait qu'il lui était arrivé de mettre un préservatif car elle avait entendu le bruit de l'emballage qu'il déchirait. Sur question, elle a indiqué qu'il ne l'avait pas pénétrée de son pénis. Après les actes, il remettait son pantalon, se rendait aux toilettes et retournait dormir. Elle allait alors se doucher, en prenant soin de bien se laver, parce que cela la dégoûtait, puis elle allait également se recoucher. Son père ainsi que ses actes la répugnaient, et elle ne comprenait pas pour quelle raison il agissait ainsi.

Les faits s'étaient déroulés chez sa mère suite à la séparation de ses parents, soit dans sa chambre, dont les murs étaient violets, couleur qu'elle aimait beaucoup petite, puis dans un ancien appartement de son père où il était en colocation et dans son appartement actuel. Cela s'était passé presque toutes les nuits, surtout vers 3h00 du matin, soit environ trois à quatre fois par semaine. Lorsqu'il habitait encore chez sa mère, son père avait dû cesser de dormir sur le matelas au sol, faute de place, car un lit pour J______ avait été installé alors que précédemment, le petit passait ses nuits dans son berceau, dans la chambre de leur mère. A______ se couchait dès lors sur le canapé du salon, mais il venait quand même dans sa chambre, s'interrompant et faisant semblant de dormir si le garçonnet se réveillait. Sa mère ne s'apercevait de rien, car elle dormait. Lorsqu'il était en colocation, ils dormaient les trois dans la même chambre, dans un lit deux places mais cela n'empêchait pas son père d'agir, lorsque J______ était endormi. Il s'interrompait si l'enfant bougeait, puis recommençait. Dans le nouvel appartement de son père, elle dormait dans une chambre, dans un lit une place, et son petit frère avec leur père, dans un lit double. Dans ce logement, son père s'asseyait au pied du lit et la touchait sur le clitoris, ce qui la réveillait, puis il venait sur elle et se frottait. Elle avait peur d'attraper des maladies ou de tomber enceinte lorsqu'il éjaculait.

Elle s'était confiée à sa meilleure amie ainsi qu'à son ancien copain, qui lui avait dit d'aller à la police, mais elle ne l'avait pas fait, de crainte de ne pas être crue. Elle ne s'était ouverte à sa mère que parce que celle-ci avait trouvé le test de grossesse.

b.b. Devant le MP, D______ a déclaré confirmer ses précédentes déclarations. Elle était attristée par les dénégations du prévenu, car il était tout de même son père, mais soulagée d'avoir parlé.

Elle s'était confiée à sa meilleure amie en février ou mars 2021, comme celle-ci lui avait fait part de ses propres difficultés, ce qui l'avait touchée. Ce n'était arrivé qu'à une reprise et elle n'avait pas donné de détails. L'incident du journal intime l'avait dissuadée de se confier, car elle n'avait alors pas été crue.

Son père ne la touchait pas si elle avait ses règles, ce qu'il savait car elle jetait ses serviettes hygiéniques. Elle ignorait s'il était allé jusqu'à l'éjaculation déjà lors des premiers épisodes ; il n'y avait pas eu de pénétration digitale et le cunnilingus n'était pas pratiqué à chaque occurrence. Le MP lui demandant s'il y avait eu des pénétrations vaginales, D______ a répondu par la négative ; son conseil l'interrogeant alors sur des pénétrations partielles, elle a précisé : "Il n'est jamais rentré totalement. Il y a introduit un petit bout de son pénis". Cela n'avait eu lieu qu'à compter de ses 15 ans environ et cela n'était pas systématique. En substance, initialement, il commençait toujours par un cunnilingus et lui touchait la poitrine ; par la suite il commençait soit par un cunnilingus, soit en lui touchant la poitrine avant de procéder à la pénétration partielle. Elle n'avait jamais dû toucher le pénis du prévenu.

Son père ne lui avait jamais dit qu'ils avaient un secret et ils n'avaient discuté des actes qu'à une reprise, lorsque sa mère était tombée sur son journal intime. Il avait nié et l'incident ne l'avait pas conduit à s'arrêter. Elle ne se souvenait pas si son père avait en revanche interrompu ses agissements durant la période où ses parents s'étaient réconciliés.

Ses relations avec A______ étaient par ailleurs bonnes. Elle l'aimait, car il était son père, malgré tout. Il n'avait jamais évoqué l'idée de fouiller dans son téléphone et elle ne se serait pas livrée dans son journal intime si elle avait eu peur de lui. Il était gentil et avait toujours été là pour elle.

D______ n'allait pas bien, les faits étant toujours présents dans son esprit. Elle avait adhéré à une thérapie familiale (depuis deux semaines à la date du 13 octobre 2022), sans en ressentir de bien-fait. Elle se confiait à sa mère et sa meilleure amie, ce qui ne la soulageait que temporairement. Elle dormait peu la nuit, avait des cauchemars et se réveillait en pleurs, ce qui la fatiguait. Ses études à l'école de commerce se déroulaient en revanche bien et elle s'alimentait normalement. Elle n'avait pas de relations avec les garçons, non à cause des faits, mais parce que cela ne l'intéressait pas.

b.c. En première instance, la partie plaignante a derechef confirmé ses déclarations, précisant qu'elle allait chez son père tous les week-ends parce qu'elle en avait "marre" de l'homme que fréquentait sa mère.

Elle avait bien fréquenté le cycle, à Genève, durant l'année scolaire 2017-2018. Elle avait en revanche vécu en Algérie entre décembre 2018 et 2019, ce départ ayant été motivé par les agissements de son père. Elle a renoncé à solliciter une indemnité pour tort moral car, pour elle, l'argent n'effacerait rien. Elle attendait de la procédure le maintien de son père en détention et un jugement correct.

Elle a demandé à son père de la regarder dans les yeux et de lui dire qu'elle mentait, ce qu'il a fait.

c. Le journal intime de D______ comporte le texte suivant, à la date du 1er novembre 2017 : " [...] le matin avant d'aller à l'école sur le chemin on discute et on parle un peu de A______ [petit nom] car il me viole mais pas viole viole enfaite il vient la nuit pendant que je dors il me touche les parties et tout mais ça fait depuis longtemps mais ma mère ne le sait pas donc voilà je pense je vais aller voir les psy au cycle et appeler ma mère si je peux lui téléphoner donc voilà je vais peut-être fuguer je sais pas encore mais voilà et hier aussi vu que c'était Halloween et bien je suis sortie".

d.a. Entendue par la police, L______ a confirmé s'être beaucoup rapprochée de D______ lorsqu'elles fréquentaient la même classe de 11ème année au cycle d'orientation. Son amie lui disait souvent qu'elle n'avait pas envie de passer le week-end chez son père, parce qu'ils ne faisaient rien. Puis, un jour, elle lui avait dit "Tu ne sais pas ce qu'il me fait", que cela se passait mal avec lui et qu'il n'était pas très sympa. Elle avait ajouté qu'il voulait souvent la toucher lorsque son frère dormait. Ils "s'énervaient les deux" mais elle ne pouvait rien faire car elle était seule avec lui. Elle lui avait parlé d'attouchement, de ce que son père la touchait et la tapait. L______ avait été très choquée et avait demandé à son amie pourquoi elle ne déposait pas plainte et celle-ci lui avait exposé qu'elle avait déjà tout raconté à sa mère qui ne l'avait pas crue. Elle craignait aussi les conséquences d'un dépôt de plainte et voulait épargner son frère, qui n'était pas au courant et qui ne pourrait plus aller chez leur père. Après avoir en vain proposé à D______ de l'accompagner à la police, son amie n'avait pas osé insister. Elles n'avaient pas eu d'autres conversations sur la question à l'époque. Par la suite, elles s'étaient moins vues, ne fréquentant plus la même école, mais en décembre 2021, D______ lui avait demandé de l'accompagner à la gare accueillir son petit ami qui venait pour les vacances, à l'insu de son père. Elle lui avait dit qu'elle avait tout raconté à sa mère qui cette fois l'avait crue et que son père avait été arrêté. Revenant sur le détail des faits, L______ a indiqué que, selon D______, son père avait commencé à la toucher à compter de ses 11 ans, elle n'avait pas évoqué de pénétration, indiqué qu'elle disait "non" et que "c'était comme du forcing".

d.b. La police a contacté par téléphone le petit ami de la partie plaignante, M______, qui a répondu qu'il ne pouvait se déplacer de K______ à Genève, faute d'argent. Le jeune homme n'est pas parvenu à retrouver le premier message dans lequel D______ s'était confiée à lui. En revanche, il a pu en transmettre d'autres dans lesquels elle écrit : "il va me niquer, tu vois pk jvoulais pas te la passer tu me croyais pas", "tu crois c pourquoi que il me touche ? pour pas que j'aille bz comme ça ça va me choquer si j'le fais jv penser à lui et tt", "c'est qu'un gros chien" ainsi qu'une note dans laquelle la jeune fille s'adresse avec virulence à son père, lui reprochant de ne pas l'avoir respectée, lui demande s'il n'a pas honte de ce qu'il a fait à sa fille, évoque avoir souvent placé un couteau sous son oreiller mais ne pas avoir eu le courage d'en faire usage car même si son père avait fait le "fdp", elle le respectait. Elle espérait qu'il prît "perpète". À cause de lui, elle avait la haine contre tout le monde et voulait mettre fin à ses jours.

Requis d'indiquer ce que D______ lui avait relaté, M______ a exposé qu'elle avait dit avoir subi des attouchements sexuels, sans donner de détails, quasiment à chacune de ses visites à son père, ce pendant six ans. Cela se produisait la nuit, lorsque A______ pensait qu'elle dormait.

Plusieurs mois plus tard, M______ a recontacté l'inspecteur, disant ignorer comment avançait l'affaire mais qu'il avait désormais davantage de disponibilité pour se rendre à Genève, avant de laisser sans réponse des courriels et appels de la police, qui lui avait fait tenir un mandat de comparution.

d.c. Entendue aux débats de première instance en qualité de témoin de moralité, l'une des sœurs du prévenu a dit avoir été surprise en apprenant ce qui lui était reproché. I______ lui avait confié qu'elle l'était également et qu'elle était "entre deux feux". Pendant les vacances d'été, A______ et ses quatre sœurs dormaient tous quasiment nus sous la même couverture et il ne s'était jamais rien passé.


 

e. Les prélèvements effectués dans le dernier logement de A______ ont révélé :

- la présence d'un profil ADN de mélange de plus de deux individus, dont au moins un homme et une femme, avec un résultat positif à la recherche de spermatozoïdes et faiblement positif au test indicatif de la présence de liquide séminal. Le profil ADN du prévenu était compatible avec le mélange. Le prélèvement provenait de la bordure du bas de la face du duvet retrouvé sur le lit de la 1ère chambre de gauche ;

- un profil ADN de mélange dont la majeure masculine correspondait au profil de A______ avec un résultat faiblement positif au test indicatif de la présence de liquide séminal mais pas à la recherche de spermatozoïdes. Le prélèvement avait été effectué sur un couverture trouvée sur le même lit.

La vraisemblance que A______ fut l'un des deux ou trois contributeurs à l'origine du premier prélèvement plutôt que trois ou quatre inconnus était de l'ordre de 10 millions pour le premier prélèvement. Il était de l'ordre d'un milliard plus probable qu'il fût le contributeur majeur du mélange mis en évidence par le second, plutôt qu'une personne inconnue, non apparentée.

f.a. Lors de son audition par la police, A______ a affirmé que tout se passait très bien avec son ex-épouse, les choses s'étant calmées après un épisode de sa part qui l'avait conduit devant un juge, de même qu'avec ses enfants. Tout était faux dans ce qui lui était reproché, mais il n'était pas choqué, car rien ne le choquait. D______ demandait beaucoup de liberté, alors qu'il y était opposé. Il avait observé ses camarades de classe fumant des joints et buvant de l'alcool, ce qui l'avait choqué, et savait que son ex-épouse avait trouvé un paquet de cigarettes dans le sac de leur fille. Ce qui lui était reproché lui donnait envie de rire et de pleurer. Il avait dit à sa fille qu'elle ferait ce qu'elle voudrait lorsqu'elle serait mariée, pas avant. Il pensait qu'elle voulait se débarrasser de lui pour être libre. Il a globalement donné les mêmes informations que I______ et D______ concernant la localisation de ses domiciles successifs, indiquant que durant la cohabitation malgré la séparation, il dormait sur le canapé. Il avait bien dormi avec ses deux enfants à G______ alors qu'à H______, il dormait avec J______ tandis que D______ avait son propre lit, dans la première chambre à proximité de la porte palière. Il ne l'y avait jamais rejointe durant la nuit. Il y avait en effet eu une discussion suite à l'épisode du journal intime et D______ avait reconnu que son texte était faux. Ses déclarations à la police avaient peut-être été provoquées par sa mère mais apparemment ce n'était pas le cas et il revenait à son idée selon laquelle leur fille l'avait accusé pour avoir davantage de liberté. Il ne pouvait pour autant la traiter de menteuse. Il n'avait pas eu de relations sexuelles sur le lit de D______ et il n'était pas possible que la procédure mît en évidence des traces de son sperme sur le duvet et la couverture saisis sur cette couche.

f.b. Devant le MP, A______ a confirmé ses déclarations à la police, a suggéré que sa fille devrait consulter un psychologue puis dit qu'il ignorait si elle souffrait de troubles et qu'il ne lui avait jamais été rapporté que tel serait le cas. À la suggestion que des aveux la soulagerait, il a répondu qu'il n'avait pas oublié ses "dragées", soit ses "couilles". Il a affirmé qu'elle mentait tout en reconnaissant que d'une façon générale, elle n'était pas menteuse, que lui aussi pouvait écrire n'importe quoi dans son journal, qu'elle l'avait certainement dénoncé parce qu'il allait bien finir par découvrir qu'elle avait un petit copain ou qu'elle craignait qu'il consultât son téléphone, comme il l'avait déjà fait par le passé, découvrant qu'elle était en contact avec un garçon plus âgé, de sorte qu'il l'avait grondée et elle avait pleuré. Il a cependant aussi concédé que D______ était obéissante et respectueuse et affirmé qu'il n'était pas fâché avec elle, nonobstant le fait qu'il était détenu à cause de ses révélations.

Informé de ce que son ADN avait été trouvé sur le duvet et la couverture du lit de sa fille, il n'avait pas d'explication, si ce n'est qu'il avait pu toucher la seconde et qu'il lui arrivait de "squatter" la chambre de D______ pour y regarder la télévision. Ses dernières relations sexuelles dataient de quelques mois avant son arrestation et elles avaient eu lieu "vite vite" ; il n'a pas indiqué où cela s'était passé mais précisé que sa partenaire avait été N______ [prénom], domiciliée à O______ [France], dont il ignorait le patronyme.

f.c. Devant les premiers juges, A______ pensait toujours que sa fille avait voulu se débarrasser de lui, précisant qu'il avait appris de son fils, peu avant son arrestation, qu'elle parlait avec des garçons mais qu'il ne l'avait pas confrontée. Les entrées dans le journal intime pour l'automne 2017 étaient inexactes, car D______ séjournait alors en Algérie. Néanmoins, la discussion avec son épouse et la jeune fille suite à la découverte du journal avait bien eu lieu.

Il ne s'était jamais masturbé sur le lit de sa fille, d'où il regardait la télévision, mais il y avait eu des relations sexuelles avec la femme qui résidait à O______.

Il n'était pas ému à l'idée que ce qui faisait le plus de mal à sa fille étaient ses dénégations, car elle mentait.

g. Selon l'expertise mise en œuvre par le MP, A______ ne souffrait d'aucun trouble psychiatrique et sa responsabilité était pleine et entière. Le risque de récidive de violences sexuelles était évalué comme faible à moyen. Compte tenu de l'absence de trouble psychiatrique, aucune mesure thérapeutique n'était préconisée.

C. a. Au cours de la procédure d'appel, une demande d'autorisation de visite à son père faite par D______ a été refusée, de même que les demandes de ce dernier de la contacter par téléphone.

La censure du courrier a révélé que la jeune fille a écrit à A______ qu'elle souhaitait des réponses à ses questions mais était consciente de ce qu'il n'avouerait jamais. Elle lui pardonnait malgré tout et disait avoir pour seul regret celui d'avoir été à l'origine de l'interruption de contact entre son petit frère, auquel il manquait beaucoup, et lui. De son côté, A______ a adressé plusieurs courriers à sa fille (de même qu'à J______) exprimant son affection pour ses deux enfants mais faisant totalement abstraction des circonstances de la procédure.

b.a. Lors des débats d'appel, D______ a expliqué avoir voulu voir ou entendre son père dans l'espoir qu'il dirait la vérité, tout en sachant que cela n'arriverait pas. Un aveu lui aurait permis d'envisager un avenir avec lui. Elle pensait que les courriers affectueux de ce dernier tenaient à une tentative de la manipuler, afin qu'elle se rétractât, et maintenait ses déclarations. Elle avait souhaité être scolarisée en 2018 en Algérie pour lui échapper mais avait demandé de rentrer parce que sa mère et son frère lui manquaient. Elle en voulait au prévenu mais lui pardonnait car il était son père.

La partie plaignante estimait aller mieux que lors des débats de première instance. Elle ne participait plus à la thérapie familiale et n'envisageait pas d'autre suivi psychologique. Elle était soutenue par sa mère. Elle travaillait comme vendeuse dans un kiosque mais considérait que l'interruption de ses études n'avait pas de lien avec les faits de la cause.

b.b. A______ ne s'était pas interrogé sur l'effet que ses courriers, dans lesquels il s'exprimait comme si de rien n'était, feraient à sa fille, puisqu'il n'avait pas commis ce qui lui était reproché. Il était désormais fâché avec elle car par sa faute, il était en prison depuis des mois et elle n'avait pas pensé à son petit frère. Il avait précédemment dit ne pas lui en vouloir espérant encore qu'elle rectifierait ses dires, mais après 18 mois, cela suffisait. Cela n'aurait rien changé s'il lui avait demandé de dire la vérité car elle était une tête de Turque. Il était exact que le séjour de D______ en Algérie s'était étendu de septembre 2018 au 8 mai 2019, ainsi que cela résultait des pièces qu'il avait produites. Elle avait voulu partir en raison de relations intrafamiliales froides, notamment avec sa grand-mère maternelle et était revenue de sa propre volonté, car sa mère, son frère et lui lui manquaient.

Il avait entretenu sur le lit de sa fille des relations sexuelles avec N______, à plusieurs reprises, qu'il ne pouvait pas dater. Il ignorait son patronyme mais son numéro de téléphone était enregistré dans son téléphone portable. Sur question de la Cour, il a affirmé avoir demandé à son avocate d'entreprendre de la retrouver, mais cela uniquement afin d'avoir de ses nouvelles. Il n'aurait pas été nécessaire de demander son audition, car il avait plein de témoins, soit des copains qui restaient au salon pendant qu'il entretenait des relations sexuelles avec elle dans la chambre de D______. En fait, non, la chambre de D______ tenait lieu de salon, car la télévision s'y trouvait, de sorte que ses amis n'étaient pas présents.

À l'heure de prendre la parole en dernier, il demandait au MP d'avoir le courage de prouver l'accusation. Il ne pouvait avoir commis ce qui lui était reproché car il était si fatigué le soir qu'il renonçait à sortir avec ses amis, se levant à 4h00 pour aller travailler.

b.a. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions.

Il convenait tout d'abord d'amputer la période pénale de celle antérieure à 2017, année de la séparation des parents, selon la mère, et le passage pertinent du journal intime datant de novembre 2017. Il fallait également écarter les mois durant lesquels la jeune fille avait séjourné en Algérie.

Cela étant, le dossier présentait un "flou artistique", source de doute. La mère, pourtant alertée par l'épisode du journal intime, avait dit n'avoir jamais rien constaté. D______ avait exposé au MP que les faits avaient commencé lorsqu'elle était en 9ème du cycle, ce qui correspondait à l'âge de 13 ans, plutôt que celui de 11 ans. Elle s'était donc contredite. Elle avait dit à sa mère en 2017 que son père lui faisait des câlins par-dessus la couverture et avait déclaré lors de son audition EVIG n'avoir guère de souvenirs de la période antérieure à ses 14 ans. Elle avait évoqué des pénétrations digitales à cette occasion, qu'elle avait exclues devant le MP ; à l'inverse, elle avait confié à sa mère et lors de l'audition EVIG qu'il n'y avait pas eu de pénétration par le pénis pour affirmer le contraire devant le MP. Il était "troublant" que le prévenu eût conçu de se rendre dans la chambre de sa fille alors que la mère dormait la porte ouverte.

Le témoignage de la meilleure amie n'était pas un indice suffisant, celle-ci n'ayant pas pu dire grand-chose, faute pour la partie plaignante de lui avoir donné de détails. Les courriels de l'ancien petit ami à la police ne pouvaient être pris en considération, cette forme d'audition ne respectant aucune garantie procédurale, à commencer par celle du contradictoire.

La présence de l'ADN du prévenu à son propre domicile n'était pas un élément à charge.

Dans l'hypothèse d'une condamnation, la peine ne devrait pas dépasser la détention subie, afin de permettre au prévenu de reprendre le cours de sa vie.

A______ était fondé à se prévaloir de la clause de rigueur et de la garantie de la protection de la vie familiale, pour s'opposer à son expulsion, vu l'étroitesse de ses liens avec l'enfant J______ et la présence de parents en France.

b.b. Le MP et le conseil de la partie plaignante concluent au rejet de l'appel, mettant en exergue les éléments rendant crédibles les allégations de celle-ci, qu'ils opposent à l'attitude du prévenu tout au long de la procédure. En particulier, l'unique variation de la jeune fille, soit celle sur la question de la pénétration par le sexe s'expliquait par le fait qu'elle avait voulu dire qu'il n'y avait pas eu de pénétration complète.

D. A______ est né le ______ 1971 en Algérie, divorcé et père de deux enfants de 8 et 18 ans. Il a grandi dans son pays, au sein d'une très grande fratrie, indiquant avoir été scolarisé jusqu'à ses 16 ans, puis avoir suivi une formation en mécanique, sanctionnée par un diplôme. Il a ensuite travaillé dans ce domaine durant trois ans puis effectué son service militaire avant d'intégrer l'armée de l'air.

En 1993, vu le contexte de guerre civile, il a quitté l'Algérie, se rendant à P______ [Turquie], puis en Crète, en Italie, enfin chez une tante à Q______ [France]. Il a été expulsé de France après environ cinq ans. Il est retourné quelques mois en Algérie puis s'est déplacé en Allemagne et est arrivé en Suisse en 1999, où il a déposé une demande d'asile et obtenu un permis pour réfugié la même année, suivi d'un permis d'établissement. Depuis cette date, il n'a jamais quitté la Suisse, sauf pour les vacances en Algérie où il indique se rendre régulièrement, n'étant plus exposé à des "problèmes" et où vivent ses frères et sœurs ainsi que sa mère.

Il a d'abord travaillé en qualité de plongeur, puis a effectué une formation d'aide cuisinier. Avant son incarcération, il était au chômage depuis une année.

En prison, il a une attitude et un comportement conforme aux dispositions réglementaires, est occupé à l'atelier peinture et a été remercié par le Directeur de l'établissement de détention pour son investissement dans le projet "______". Il ne suit aucune formation et dit ne pas être en besoin de soins médicaux ou thérapeutiques, y compris au plan psychologique. Il reçoit mensuellement la visite de son fils.

À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, A______ n'a pas d'antécédents judiciaires.

E. Les avocats ont déposé des états de frais facturant, hors débats d'appel, lesquels ont duré trois heures :

- 12 heures (dont six pour quatre visites au mandant), pour la défenseure d'office du prévenu ;

- cinq heures et 45 minutes pour le conseil juridique de l'intimée, outre une heure estimée pour un entretien à réception du présent arrêt.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2. Le juge du fait dispose d'un large pouvoir dans l'appréciation des preuves (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40). Confronté à des versions contradictoires, il forge sa conviction sur la base d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents. Les preuves doivent être examinées dans leur ensemble et l'état de fait déduit du rapprochement de divers éléments ou indices. Un ou plusieurs arguments corroboratifs peuvent demeurer fragiles si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_324/2017 du 8 mars 2018 consid. 1.1 ; 6B_1183/2016 du 24 août 2017 consid. 1.1 ; 6B_445/2016 du 5 juillet 2017 consid. 5.1).

L'appréciation des preuves implique donc une appréciation d'ensemble. Le juge doit forger sa conviction sur la base de tous les éléments et indices du dossier. Le fait que l'un ou l'autre de ceux-ci ou même chacun d'eux pris isolément soit insuffisant ne doit ainsi pas conduire systématiquement à un acquittement. La libre appréciation des preuves implique que l'état de fait retenu pour construire la solution doit être déduit des divers éléments et indices, qui doivent être examinés et évalués dans leur ensemble (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1169/2017 du 15 juin 2018 consid. 1.1 ; 6B_608/2017 du 12 avril 2018 consid. 3.1 et les références).

2.3. Les cas de "déclarations contre déclarations", dans lesquels les propos de la victime en tant que principal élément à charge et ceux contradictoires de la personne accusée s'opposent, ne doivent pas nécessairement conduire à un acquittement fondé sur le principe in dubio pro reo. L'appréciation définitive des déclarations des participants incombe au tribunal du fond (ATF 137 IV 122 consid. 3.3 p. 127 = JdT 2012 IV p. 79 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1306/2017 du 17 mai 2018 consid. 2.1.1)

Les déclarations de la victime constituent un élément de preuve. Le juge doit, dans l'évaluation globale de l'ensemble des éléments probatoires rassemblés au dossier, les apprécier librement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_942/2017 du 5 mars 2018 consid. 2.1.2 ; 6B_614/2012 du 15 février 2013 consid. 3.2.5), sous réserve des cas particuliers où une expertise de la crédibilité des déclarations de la victime s'impose (ATF 129 IV 179 consid. 2.4 p. 184 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1306/2017 du 17 mai 2018 consid. 2.1.1).

Les déclarations successives d'un même témoin ne doivent pas nécessairement être écartées du seul fait qu'elles sont contradictoires ; il appartient au juge de retenir, sans arbitraire, la version qui lui paraît la plus convaincante et de motiver les raisons de son choix (arrêts du Tribunal fédéral 6B_28/2013 du 13 juin 2013 consid. 1.2 ; 6B_429/2008 du 7 novembre 2008 consid. 4.2.3). Dans le cadre du principe de libre appréciation des preuves, rien ne s'oppose non plus à ne retenir qu'une partie des déclarations d'un témoin globalement crédible (ATF 120 Ia 31 consid. 3 spéc. p. 39).

2.4. Contrairement à ce que soutient l'appelant, la partie plaignante jouit en l'espèce d'une très grande crédibilité.

2.4.1. Son récit est très précis, riche de détails, sur les faits eux-mêmes, comme sur des éléments périphériques (couleur de la chambre d'enfant de la victime, bruit de l'enveloppe du préservatif, comportement du prévenu lorsque le petit frère paraissait se réveiller ; elle se douchait soigneusement après les actes), ancré dans le temps via des repères (les faits avaient débuté au moment de la séparation des parents ; au début, le petit frère n'était pas présent, occupant son berceau, puis le père dormait au salon ; colocation à G______ ; appartement à H______ ; il n'y avait pas de passage à l'acte lorsqu'elle avait ses règles). L'intimée a en particulier décrit une gradation dans le passage à l'acte, soit une première période lors de laquelle l'appelant se concentrait sur sa poitrine, puis une seconde, qu'elle a située comme débutant aux alentours de ses 15 ans, où il avait agi également au niveau de son sexe et de ses fesses, avec ses mains mais aussi en frottant son pénis, a évoqué l'unique échange, intervenu lors de la première occurrence ("t'as aimé ça ?") et fait état de ses propres sentiments (dégoût, envie de résister ; crainte d'un grossesse ou de transmission d'une maladie), interprétations ou interrogations (la première fois, elle avait pensé que son père voulait lui faire un simple câlin ; le prévenu devait agir comme il le faisait parce que cela lui faisait plaisir) ou réactions (elle tentait de résister mais il parvenait toujours à ses fins ; elle n'osait pas dire non ; elle était paralysée). Toutes ces émotions sont parfaitement cohérentes avec les circonstances, en particulier l'âge de la victime. Il en va de même de ses pleurs lors de l'audition EVIG, de la colère exprimée dans ses messages à son petit ami ou encore de son sentiment de culpabilité et sa peur, tels que relatés par sa mère.

L'intimée a été mesurée dans son récit, prenant soin de répondre par la négative lorsqu'il lui était demandé si d'autres actes que ceux qu'elle avait décrits avait eu lieu ou admettant n'avoir que peu de souvenirs de la période précédant ses 14 ans.

Contrairement à ce qu'a plaidé la défense, elle n'a pas varié au sujet des pénétrations digitales, qu'elle a niées devant le MP. En effet, lorsqu'elle a dit à la police que son père touchait son clitoris en mettant ses doigts et en faisant des va-et-vient, elle n'a pas dit qu'il y avait eu pénétration. L'appelant déduit peut-être cela de la notion de va-et-vient, mais un tel mouvement peut parfaitement intervenir en surface, à l'horizontale. Il est vrai que la victime a en revanche nuancé ses dénégations quant à la pénétration au moyen du pénis, pour avoir dit que son père introduisait un bout de son membre dans son vagin après avoir exposé à sa mère et à la police qu'il n'y avait pas eu de pénétration de ce type. Toutefois, on comprend aisément que dans son esprit, une introduction limitée à l'extrémité de l'organe n'était pas une pénétration. Du reste, on voit mal pourquoi elle aurait menti à ce sujet, dans la mesure où, vu son âge et son absence de la moindre connaissance juridique, elle ignorait que sa précision entraînait la qualification juridique additionnelle de viol. Pour le surplus, la partie plaignante a été constante, alors même qu'elle a été entendue à plusieurs reprises.

La crédibilité intrinsèque de la narration des faits est donc forte.

2.4.2.1. Elle l'est également extrinsèquement, dans la mesure où elle est appuyée par plusieurs éléments du dossier.

Il est relevé tout d'abord que les éléments circonstanciels livrés par la victime (rupture des parents mais poursuite de la cohabitation ; lieux de contact père-fille ; distribution la nuit des parents et enfants dans les divers logements) ont été corroborés par sa mère, voire l'appelant lui-même, qui par ailleurs n'a mis en exergue aucune incongruité, sauf lorsqu'il a, pour la première fois, évoqué le séjour de la partie plaignante en Algérie. Celle-ci a alors aussitôt concédé que le séjour avait bien eu lieu, mais l'année suivante. Les pièces produites en seconde instance par l'appelant ont établi que c'est elle qui avait raison.

La progression dans les actes telle qu'évoquée est particulièrement plausible, le père perdant toute inhibition, au fur et à mesure que ses agissements n'étaient pas révélés (ou du moins pas avec succès) et sa fille se faisant femme.

Le 1er novembre 2017 déjà, la victime a évoqué des attouchements dans son journal intime, dans son langage de toute jeune adolescente, disant qu'ils avaient lieu depuis plusieurs mois.

Elle s'est ensuite confiée à sa meilleure amie, sans lui donner de détails, mais en évoquant sa crainte de ne pas être crue et son désir de protéger son petit frère, personnage apparemment particulièrement chéri de la famille, elle comprise.

La partie plaignante a encore évoqué les abus dans ses messages à son petit ami, révélant à cette occasion sa colère devant ce qui lui arrivait.

L'argumentation de la défense, selon laquelle la seule présence de l'ADN du prévenu à son propre domicile n'a rien de surprenant tombe à faux, dans la mesure où les deux prélèvements pertinents n'ont pas uniquement mis en évidence ledit profil ADN, mais aussi la présence de liquide séminal, et pour le premier, de spermatozoïdes. Les explications tardives de l'intéressé au sujet de relations sexuelles qu'il aurait entretenues sur le lit de sa fille ne sont pas crédibles. On y reviendra (infra consid. 2.5). Les traces biologiques de l'activité sexuelle du prévenu sur le lit de sa fille sont ainsi une preuve matérielle à charge, faute d'autre explication.

2.4.2.2. Contrairement à ce qui a été plaidé, le passage à l'acte dans le même logement que la mère de famille, endormie mais dont la porte de la chambre était ouverte, n'est pas peu plausible, tant il est fréquent que des enfants soient victimes de tels abus sans que les proches ne s'en rendent compte. Cela vaut également pour les actes perpétrés dans la pièce puis le lit où se trouvait aussi le petit frère endormi, circonstance du reste non discutée par l'appelant.

Celui-ci ne tire pas non plus argument de ce que la victime n'a pas crié ou tenté d'une autre façon d'alerter sa mère. À raison, étant rappelé qu'elle était très jeune lors des premiers actes (âgée de 13, cf. infra consid. 2.6.2), dans l'incompréhension de ce qui arrivait, que généralement le prévenu la tirait de son sommeil, ainsi qu'il faisait du reste avec son épouse également, selon le récit de cette dernière dont il n'y a pas de raison de douter. L'intimée était en outre prisonnière de son affection pour lui et de l'autorité dont il était investi en tant que figure paternelle. Enfin, une fois les agissements durablement installés, il était plus difficile de réagir, d'autant que la découverte de son journal intime n'y avait pas mis fin.

2.4.2.3. Un seul élément du récit de la jeune fille sera tenu pour erroné, soit celui de son âge lorsque les agissements ont commencé, sans que cela ne lui nuise, pour les motifs discutés infra consid. 2.6.2

2.4.3. Le processus de dévoilement est un autre élément à charge puissant.

Comme déjà dit, la partie plaignante s'est livrée de façon authentique le 1er novembre 2017, dans son journal intime. Lorsqu'elle a découvert ce texte, la mère a eu une réaction ambiguë : elle s'est précipitée à l'école, ce qui montre qu'elle l'a pris au sérieux. Ayant compris de la jeune fille qu'il ne s'agissait que de câlins sur la couverture, elle n'a pas été rassurée, puisqu'elle lui a proposé d'aller à la police. Néanmoins, après avoir confronté père et fille, elle a, selon ses propres dires, mal apprécié la situation, et prêté foi aux dénégations du premier. Il n'est guère surprenant qu'à compter de ce moment, la victime se fut emmurée dans le silence, l'expérience des vives dénégations de son père (il s'était "effondré", "comme si le ciel lui était tombé sur la tête") et de l'effet persuasif qu'elles avaient eu étant de nature à la convaincre de ce qu'elle ne serait pas crue. Elle l'a d'ailleurs confié à son amie, la seule fois où elle a néanmoins osé parler, tout en refusant de se rendre à la police. En prolongement, il sera observé qu'à raison, il n'a pas été soutenu que le fait que la partie plaignante, après le départ de son père du domicile familial, se rendait volontairement chez lui serait la démonstration de ce qu'elle ne craignait rien : indépendamment de l'ambivalence de ses propres sentiments (cf. infra), elle ne pouvait refuser les contacts avec lui sans s'expliquer. Elle a donc conçu une autre manœuvre pour lui échapper, en demandant de pouvoir aller vivre en Algérie.

La victime s'est ensuite exprimée dans ses messages et sa note adressés à son petit ami. S'il est vrai qu'on ne peut tenir compte du récit de l'intéressé, tel qu'il a été recueilli par la police, il n'en va pas de même de ces messages, et il est significatif que la jeune fille, qui avait grandi, s'est alors sentie en mesure de se livrer à une personne étrangère à la famille, en qui elle avait confiance. Le fait que son confident se trouvait à K______ soit à distance, et qu'ils échangeaient par messagerie interposée, a également pu l'aider.

En définitive, ce n'est que suite à une circonstance fortuite, soit la découverte du test de grossesse, que la jeune fille s'est effondrée et ouverte à sa mère.

Ce long et tortueux cheminement est fréquent chez les victimes de ce type d'abus ainsi que gage de sincérité et de l'absence de toute préméditation. Il est d'autant plus cohérent que la victime se trouvait, comme cela est aussi fréquent, partagée entre son affection pour son père et son horreur des faits (cf. infra) et qu'elle craignait les conséquences d'un dévoilement pour son petit frère.

2.4.4. Enfin, et contrairement à ce que soutient l'appelant, l'intimée n'avait aucun intérêt à de fausses accusations. Outre ce qui a déjà été évoqué au sujet du long processus de dévoilement, il n'est pas une seconde crédible qu'elle eût impulsivement livré un tel mensonge lorsque sa mère l'a interpellée après avoir trouvé le test de grossesse, soit de façon totalement inattendue, et rien ne permet de penser qu'elle avait besoin de se débarrasser de la surveillance de son père, avec lequel elle ne vivait d'ailleurs pas, celui-ci concédant qu'elle était obéissante et respectueuse, de sorte que leurs relations étaient bonnes ; il admet même qu'il ne l'avait pas confrontée aux dires de son frère, selon lesquels elle fréquentait des garçons, et qu'il ignorait que son petit ami [de] K______ était venu pour les vacances, au domicile de la mère. Le seul incident relaté par le prévenu (il avait grondé sa fille lorsqu'il avait découvert qu'elle était en contact par messagerie avec un garçon plus âgé) était passé et relève de l'anecdote, y compris s'agissant de la réaction du père, qui n'a pas été particulièrement incisive (il s'est contenté de gronder sa fille, qui a pleuré). En tout état, la thèse de l'appelant est contredite par le fait que l'adolescente ne s'est spontanément exprimée durant les faits que dans son journal intime ou auprès d'une amie tout en refusant de se rendre à la police, ce qui démontre qu'elle a préféré conserver le secret plutôt que de se débarrasser de son père. Même lorsqu'elle a tenté de lui échapper, elle l'a fait en demandant à séjourner en Algérie, soit en se mettant elle-même à l'écart de sa famille nucléaire, sans en éloigner le père.

De surcroît, la jeune fille a constamment fait état de son ambivalence, car elle aimait sincèrement son père, auquel elle continue de reconnaître des qualités malgré tout, et ne voulait pas causer une rupture des relations entre son cadet et lui. La réalité de ce conflit interne, habituel, comme déjà dit, dans des cas d'abus intrafamiliaux, est corroborée par le long processus de dévoilement et l'attitude dans la procédure de la victime, qui a été mesurée, s'est exprimée avec sincérité, est partiellement dans le déni de sa propre souffrance, dit avoir pardonné et qu'elle pourrait envisager un avenir avec son père s'il admettait les faits, et a même renoncé à toute indemnité pour tort moral.

Il sied de relever aussi que le contexte familial n'était pas particulièrement propice à de fausses accusations suscitées par une manipulation, en l'absence de tout conflit, à tout le moins récent, entre les parents. Le prévenu a d'ailleurs évoqué cette hypothèse en cours de procédure pour l'écarter.

2.5. La crédibilité de l'appelant est quant à elle très mauvaise. Certes, cela ne saurait être déduit de ses dénégations, sur le principe, mais bien de l'incohérence des explications qu'il a cru bon d'apporter. Il a simultanément affirmé que tout se passait très bien avec sa fille, obéissante, respectueuse et pas menteuse, et que celle-ci voulait se débarrasser de lui pour bénéficier de davantage de liberté. Il s'est gravement contredit, adaptant ses déclarations à l'évolution de la procédure, puisqu'il a tout d'abord exclu avoir entretenu des relations sexuelles sur le lit de sa fille et annoncé qu'on ne trouverait pas de trace de son sperme sur la literie, puis affirmé le contraire, lorsque ses prévisions ont été infirmées. Sa seconde version est du reste particulièrement confuse et il est significatif qu'il n'a pas entrepris de requérir l'audition de sa partenaire afin qu'elle confirmât ses dires, alors que cela aurait été possible, à le suivre. Lorsqu'il a évoqué le séjour en Algérie de sa fille, ce n'était pas à bon escient (pour réduire la période pénale) mais pour remettre en cause, à tort, la crédibilité de l'entrée au 1er novembre 2017 dans le journal intime de l'adolescente. Son affirmation selon laquelle ce séjour aurait été motivé par la froideur des relations dans la famille maternelle est tardive, ne trouve aucune assise dans le dossier et peu plausible. Dans ses courriers à sa fille, il préfère faire totalement abstraction des circonstances, s'enferrant dans le déni de la situation, plutôt que de lui demander de dire la vérité, comme il aurait été logique qu'il fît, s'il se savait accusé à tort.

Par ailleurs, comme tout prévenu, il a un intérêt à mentir, au contraire de l'intimée, ainsi qu'il a été retenu ci-dessus.

2.6.1. En conclusion, la comparaison de la crédibilité des protagonistes, et les éléments objectifs du dossier (même en faisant abstraction du récit par courriel à la police du petit ami), constituent un faisceau d'indices fort conduisant à la conclusion que les actes décrits par la victime et reproduits dans l'acte d'accusation ont bien tous été commis, y compris des actes de pénétration vaginale par l'extrémité du pénis du prévenu.

2.6.2. En revanche, il convient de réduire la période pénale.

Tout d'abord, dans la mesure où il semble résulter du dossier que la première séparation des parents remonte à 2017, il ne sera pas retenu que les agissements auraient commencé avant cette année. Certes, l'intimée a parlé de ses 11 ans, alors que, née à la fin de l'année 2004, elle en avait 13 en 2017, mais elle a également donné pour repère objectif celui de la rupture entre ses parents. Elle s'est ainsi uniquement trompée s'agissant de l'âge qu'elle avait lorsque cette rupture a eu lieu. Cela n'entame guère sa crédibilité, tant il est difficile de se souvenir de son âge lors de faits anciens, encore plus lorsqu'ils remontent à la fin de l'enfance/début de l'adolescence.

De deuxième part, dans le respect de la présomption d'innocence, il faut tenir compte de ce qu'une première interruption des agissements a vraisemblablement eu lieu lorsque les parents se sont réconciliés. La victime n'a en effet pas dit se souvenir de ce que son père la rejoignait la nuit depuis la chambre parentale, cela aurait été plus difficile, vu le risque d'être surpris par la mère s'éveillant pour constater de l'absence du mari à ses côtés, et cela paraît peu cohérent avec le contexte, les agissements semblant avoir été induits par le fait que le prévenu ne pouvait plus entretenir des relations sexuelles avec son épouse. Cela étant, cette interruption, qui ne peut être datée avec précision, semble avoir été brève, puisque le divorce a rapidement été prononcé.

En outre, aucun acte ne peut avoir été commis durant le séjour de l'intimée en Algérie, soit de septembre 2018 à début mai 2019.

En définitive, il peut être retenu que les faits se sont étendus sur une période de cinq ans, de 2017 à fin 2021, avec deux interruptions totalisant, au plus, une année, soit en définitive sur environ quatre ans.

2.7. Au plan juridique, l'appelant ne conteste à juste titre pas que, supposés avérés, les faits sont constitutifs de viol, contrainte sexuelle, actes d'ordre sexuel avec des enfants et inceste.

2.7.1. En particulier, il est constant qu'on entend, par acte sexuel, l'union naturelle des parties génitales de l'homme et de la femme. Il importe peu dans quelle mesure le membre viril pénètre dans les parties génitales de la femme ou si le sperme s'est écoulé dans le vagin (ATF 99 IV 151 consid. 1 p. 152 s. ; 77 IV 169 consid. 1 p. 170 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_206/2015 du 8 octobre 2015 consid. 1.2). L'éjaculation n'est pas nécessaire (ATF 123 IV 49 consid. 2 p. 52). Une pénétration du membre viril jusqu'à l'entrée du vagin est suffisante pour être considérée comme acte sexuel (coït ; ATF 77 IV 169 consid. 1 p. 170 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_206/2015 du 8 octobre 2015 consid. 1.2). Aussi, la pénétration du vagin de l'intimé par l'extrémité du pénis de l'appelant est bien un acte d'ordre sexuel.

2.7.2. De même, il n'est pas contestable que le comportement du prévenu relève de la contrainte suffisante à annihiler la résistance de la victime, au sens des art. 189 et 190 CP.

2.7.2.1. En introduisant la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où la victime se trouve dans une situation sans espoir, sans pour autant que l'auteur ait recouru à la force physique ou à la violence (ATF 131 IV 107 consid. 2.2 p. 109 ; ATF 128 IV 106 consid. 3a/bb p. 110 s. ; ATF 122 IV 97 consid. 2b p. 100 et les références). Les pressions d'ordre psychique visent les cas où l'auteur provoque chez la victime des effets d'ordre psychique, tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder (ATF 128 IV 106 consid. 3a/bb p. 111 ; ATF 122 IV 97 consid. 2b p. 100).

En cas de pressions d'ordre psychique, il n'est pas nécessaire que la victime ait été mise hors d'état de résister (ATF 124 IV 154 consid. 3b p. 158). La pression exercée doit néanmoins revêtir une intensité particulière, comparable à celle d'un acte de violence ou d'une menace (ATF 133 IV 49 consid. 6.2 p. 55). Au vu des circonstances du cas et de la situation personnelle de la victime, on ne doit pas pouvoir attendre d'elle de résistance, ni compter sur une telle résistance, de sorte que l'auteur peut parvenir à son but sans avoir à utiliser de violence ou de menace (ATF 131 IV 167 consid. 3.1 p. 170 ss). L'exploitation de rapports généraux de dépendance ou d'amitié ou même la subordination comme celle de l'enfant à l'adulte ne suffisent, en règle générale, pas pour admettre une pression psychologique au sens de l'art. 190 al. 1 CP (ATF 131 IV 107 consid. 2.2 p. 109 ; ATF 128 IV 97 consid. 2b/aa et cc p. 99 et 102 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_583/2017 du 20 décembre 2017 consid. 3.1 et les références).

Une situation d'infériorité physique ou cognitive ou de dépendance sociale et émotionnelle peut suffire (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1150/2014 du 19 novembre 2015 consid. 2.4 et 6B_71/2015 du 19 novembre 2015 consid. 2.1.2). L'infériorité cognitive et la dépendance émotionnelle et sociale peuvent – en particulier chez les enfants et les adolescents – induire une pression psychique extraordinaire et, partant, une soumission comparable à la contrainte physique, les rendant incapables de s'opposer à des atteintes sexuelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1084/2015 du 18 avril 2016 consid. 2.1). Peut éventuellement également entrer en ligne de compte une situation de harcèlement continu (ATF 126 IV 124 consid. 3b). La jurisprudence parle de "violence structurelle", pour désigner cette forme de contrainte d'ordre psychique commise par l'instrumentalisation de liens sociaux (arrêt du Tribunal fédéral 6B_116/2019 du 11 mars 2019 consid. 2.2.1). En outre, l'auteur doit utiliser les relations sociales comme moyen de pression pour obtenir des faveurs sexuelles. Ainsi, la considération selon laquelle la subordination cognitive et la dépendance émotionnelle et sociale peuvent produire une pression psychique doit être vue sous l'angle du délinquant sexuel, qui transforme cette pression en un moyen de contrainte pour parvenir à ses fins. Il ne suffit pas que l'auteur exploite une relation de pouvoir, privée ou sociale, préexistante. Il doit créer concrètement une situation de contrainte (tatsituative Zwangssituation). Il suffit, lorsque la victime résiste dans la mesure de ses possibilités, que l'auteur actualise sa pression pour qu'il puisse être admis que chacun des actes sexuels n'a pu être commis qu'en raison de cette violence structurelle réactualisée (ATF 131 IV 107 consid. 2.2 et 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_583/2017 du 20 décembre 2017 consid. 3.1 et les références).

Constituent une pression psychique suffisante des comportements laissant craindre des actes de violence à l'encontre de la victime ou de tiers, notamment des menaces de violence contre des proches, ou, dans des relations de couple, des situations d'intimidation, de tyrannie permanente ou de perpétuelle psycho-terreur (ATF 131 IV 167 consid. 3.1 p. 171). Par exemple, un climat de psycho-terreur entre époux peut, même sans violence, exercer une influence telle sur la volonté que la victime estime, de manière compréhensible, qu'elle n'a pas de possibilité réelle de résister (ATF 126 IV 124 consid. 3b et c p. 129 ss).

S'il n'est pas nécessaire que l'auteur recoure à la violence ou à la menace (FF 1985 II 1091), la victime doit néanmoins être contrainte, ce qui présuppose un moyen efficace, autrement dit que celle-ci se trouve dans une situation telle qu'il soit possible d'accomplir l'acte sans tenir compte du refus ; il suffit en définitive que, selon les circonstances concrètes, la soumission de la victime soit compréhensible (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1150/2014 du 19 novembre 2015 consid. 2.4 et 6B_71/2015 du 19 novembre 2015 consid. 2.1.2). Tel est le cas lorsque la victime est placée dans une situation telle qu'il serait vain de résister physiquement ou d'appeler du secours ou que cela entraînerait un préjudice disproportionné, de sorte que l'auteur parvient à ses fins, en passant outre au refus, sans avoir nécessairement à employer la violence ou la menace (ATF 119 IV 309 consid. 7b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_71/2015 du 19 novembre 2015 consid. 2.1.2).

On peut attendre d'adultes en pleine possession de leurs facultés une résistance supérieure à celle que des enfants sont en mesure d'opposer (ATF 131 IV 167 consid. 3.1 p. 171).

2.7.2.2. Or, en l'occurrence, la jeune fille était bien, comme décrit dans l'acte d'accusation et comme discuté ci-dessus, s'agissant de mesurer sa crédibilité, sous la pression psychique induite par de multiples facteurs : l'autorité et l'ascendant naturel du père, le rapport de confiance père-fille, son jeune âge, son inexpérience et innocence, sa dépendance émotionnelle et son infériorité physique ainsi que psychique, la fréquence, sur une longue durée des actes, lesquels étaient commis au milieu de la nuit, alors que la victime dormait ou faisait semblant de le faire. Du reste, comme elle l'a décrit, la jeune fille a, par moments à tout le moins, tenté de résister, en se tortillant ou se tournant vers le mur, mais l'insistance de l'auteur a fini par prévaloir.

2.7.3. Le verdict de culpabilité prononcé par les premiers juges sera partant confirmé, les nuances apportées ci-dessus s'agissant de la période pénale n'ayant pas d'incidence à cet égard. Il en sera en revanche tenu compte à l'heure de fixer la peine.

3. 3.1.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

3.1.2. Aux termes de l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison d'un ou de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine.

3.2. La faute de l'appelant est très grave. Sur une longue durée d'environ cinq ans mais avec deux parenthèses, totalisant au plus une année, il s'en est pris à la libre détermination en matière sexuelle de sa propre fille, alors que, jusqu'au ______ décembre 2020, celle-ci n'avait pas seize ans et était donc une enfant, au sens de l'art. 187 CP, perpétrant sur elle des actes graves (attouchements sur la poitrine, qu'il a également léchée, les fesses, le clitoris, cunnilingus, frottements du pénis sur les parties génitales, l'acte d'accusation ayant omis le reste du corps, enfin acte sexuel [coït]) de nature à la perturber sérieusement dans son développement harmonieux au regard de son âge. Il a sans vergogne tiré profit de son ascendant sur elle, de sa dépendance émotionnelle, mais aussi de l'infériorité cognitive et physique de celle-ci, alors qu'il était censé l'aider à grandir et veiller sur elle. Il l'a traitée comme un objet, une proie facile, vraisemblablement parce qu'il ne pouvait plus trouver la satisfaction de ses besoins sexuels auprès de son épouse, ou en tout hypothèse pour satisfaire lesdits besoins, mobile égoïste. Il ne peut lui être concédé aucun mérite pour les deux périodes d'interruption retenues, la première lui ayant été concédée, d'office, en raison de la réconciliation avec sa femme, la seconde ayant été provoquée par la victime, dans le but de lui échapper.

Par son comportement, l'appelant n'a eu aucun égard pour la souffrance infligée à sa fille et a pris le risque de gravement nuire à sa santé psychologique. Si celle-ci tente de paraître forte et minimise sa souffrance, il y a fort à craindre que ce ne soit qu'une façade et/ou un moyen de protection mis en place pour ne pas s'effondrer. L'interruption de ses études, qui se déroulaient pourtant apparemment bien, et le manque d'intérêt affiché pour les relations amoureuses en sont des indices.

La détermination du prévenu a été intense. Il n'a pas mis fin à ses agissements après la sérieuse alerte provoquée par la découverte du journal intime et il y a eu une progression dans la gravité des actes commis. En définitive, seul le dévoilement y a mis fin.

Il n'y a aucune prise de conscience, ni même la moindre tentative d'introspection. L'appelant s'est muré dans son déni, traitant sa fille de menteuse, lui attribuant des mobiles futiles, et s'est montré totalement insensible à sa tristesse face à ses dénégations.

La situation personnelle de l'intéressé n'explique en rien ses actes. Certes, il n'avait plus de compagne mais il pouvait rechercher ailleurs la satisfaction de ses pulsions, ou les contenir. Il était un père aimé de ses deux enfants et ses relations avec son ex-épouse était plutôt bonnes. À tout le moins celle-ci n'a jamais fait obstacle aux contacts avec les enfants, allant jusqu'à libérer l'ancien domicile conjugal afin qu'il put y exercer un droit de visite lorsqu'il n'avait pas de logement adéquat. Il a une famille étendue, avec laquelle il conservé des liens étroits, se rendant notamment régulièrement en Algérie. Si elle n'était certes pas prospère, sa situation financière ne le plaçait pas dans la détresse, puisqu'il a eu des emplois puis bénéficié du chômage. Il ne s'est d'ailleurs jamais plaint de ses conditions de vie.

L'appelant n'a pas d'antécédent, ce qui est un facteur neutre.

Il découle des éléments mis en exergue ci-dessus, en particulier la gravité de la faute, qu'une peine sévère s'impose, dont la quotité est à l'évidence incompatible avec le prononcé du sursis, même partiel, mais qui doit être inférieure à celle retenue en première instance, vu les nuances apportées en ce qui concerne la période pénale.

L'infraction de viol est la plus grave abstraitement et appelle en l'occurrence une peine de trois ans, augmentée, au bénéfice du principe d'aggravation, de trois ans supplémentaires pour la contrainte sexuelle (peine de base : quatre ans), étant rappelé que les actes d'ordre sexuel se sont étendus sur tout la période pénale, alors que les viols n'ont commencé que durant la seconde partie et n'ont pas été systématiques, d'une année et demi pour la violation répétée de l'art. 187 CP (peine de base : trois ans) et de quatre mois pour l'inceste (peine de base : un an), d'où un total de sept ans et dix mois.

4. Les motifs ayant conduit les premiers juges à prononcer, par ordonnance séparée du 1er février 2023, le maintien de l'appelant en détention pour des motifs de sûreté sont toujours d'actualité, ce que celui-ci ne conteste au demeurant pas, de sorte que la mesure sera reconduite mutatis mutandis (ATF 139 IV 277 consid. 2.2 à 2.3).

5. 5.1.1. Selon l'art. 66a al. 1 CP, le juge expulse un étranger du territoire suisse pour une durée de cinq à quinze ans s'il est reconnu coupable de l'une des infractions énumérées aux let. a à o, notamment en cas d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, de contrainte sexuelle ou de viol (let. h).

Le juge peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l'étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. À cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l'étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse (al. 2).

5.1.2. Il ne peut être renoncé à une expulsion prévue par l'art. 66a al. 1 CP, que cette mesure met l'étranger dans une situation personnelle grave et que l'intérêt public est de peu d'importance, c'est-à-dire si les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. Le juge doit renoncer à l'expulsion lorsque les conditions de l'art. 66a al. 2 CP sont réunies, conformément au principe de proportionnalité (ATF 146 IV 105 consid. 3.4.2 p. 108 ; 144 IV 332 consid. 3.3).

5.1.3. Pour définir la première condition cumulative, à savoir la "situation personnelle grave", il convient de s'inspirer, de manière générale, des critères prévus par l'art. 31 al. 1 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA) et de la jurisprudence y relative. L'art. 31 al. 1 OASA prévoit qu'une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d'extrême gravité. Elle commande de tenir compte notamment de l'intégration du requérant selon les critères définis à l'art. 58a al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI), du respect de l'ordre juridique suisse par le requérant, de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants, de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation, de la durée de la présence en Suisse, de l'état de santé ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance. Comme la liste de l'art. 31 al. 1 OASA n'est pas exhaustive et que l'expulsion relève du droit pénal, le juge devra également, dans l'examen du cas de rigueur, tenir compte des perspectives de réinsertion sociale du condamné, tout comme le risque de récidive ou une délinquance récurrente (ATF 146 IV 105 consid. 3.4.1 ; 144 IV 332 consid. 3.3.1 et 3.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_45/2020 du 14 mars 2022 consid. 3.3.2).

5.1.4. L'expulsion d'un étranger qui séjourne depuis longtemps en Suisse doit se faire avec une retenue particulière. Elle n'est toutefois pas exclue en cas d'infractions graves ou répétées, même s'agissant d'un étranger né en Suisse et qui y a passé l'entier de sa vie, étant précisé qu'en droit des étrangers, une révocation de l'autorisation de séjour est prévue par l'art. 62 al. 1 let. b LEI en cas de "peine privative de liberté de longue durée", c'est-à-dire toute peine privative de liberté supérieure à un an (ATF 139 I 145 consid. 2.1 p. 147), résultant d'un seul jugement pénal, qu'elle ait été prononcée avec sursis ou sans sursis (ATF 139 I 16 consid. 2.1 p. 18). On tiendra alors particulièrement compte de l'intensité des liens de l'étranger avec la Suisse et des difficultés de réintégration dans son pays d'origine (ATF
144 IV 332 consid. 3.3.3).

Un séjour légal de dix années suppose en principe une bonne intégration de l'étranger (ATF 144 I 266 consid. 3.9 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1431/2019 du 12 février 2020 consid. 1.3.1). Selon ses directives, le MP renonce en principe à requérir l’expulsion de personnes résidant en Suisse depuis au moins 12 ans au bénéfice d’une autorisation de séjour valable, sans antécédent et qu’il n’entend pas requérir une peine importante (cf. Directive B-10 du MP-GE, art. 6).

5.1.5. En règle générale, il convient d'admettre l'existence d'un cas de rigueur au sens de l'art. 66a al. 2 CP lorsque l'expulsion constituerait, pour l'intéressé, une ingérence d'une certaine importance dans son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par la Constitution fédérale (art. 13 Cst.) et par le droit international, en particulier l'art. 8 CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 6B_364/2022 du 8 juin 2022 consid. 5.1).

Selon la jurisprudence, pour se prévaloir du droit au respect de sa vie privée au sens de l'art. 8 par. 1 CEDH, l'étranger doit établir l'existence de liens sociaux et professionnels spécialement intenses avec la Suisse, notablement supérieurs à ceux qui résultent d'une intégration ordinaire. Le Tribunal fédéral n'adopte pas une approche schématique qui consisterait à présumer, à partir d'une certaine durée de séjour en Suisse, que l'étranger y est enraciné et dispose de ce fait d'un droit de présence dans notre pays. Il procède bien plutôt à une pesée des intérêts en présence, en considérant la durée du séjour en Suisse comme un élément parmi d'autres et en n'accordant qu'un faible poids aux années passées en Suisse dans l'illégalité, en prison ou au bénéfice d'une simple tolérance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_364/2022 du 8 juin 2022 consid. 5.1 ; cf. ATF 134 II 10 consid. 4.3).

Par ailleurs, un étranger peut se prévaloir de l'art. 8 par. 1 CEDH (et de l'art. 13 Cst.), qui garantit notamment le droit au respect de la vie familiale, pour s'opposer à l'éventuelle séparation de sa famille, pour autant qu'il entretienne une relation étroite et effective avec une personne de sa famille ayant le droit de résider durablement en Suisse (ATF 144 II 1 consid. 6.1). Les relations familiales visées par l'art. 8 § 1 CEDH sont avant tout celles qui concernent la famille dite nucléaire, soit celles qui existent entre époux ainsi qu'entre parents et enfants mineurs vivant en ménage commun (arrêt du Tribunal fédéral 6B_364/2022 du 8 juin 2022 consid. 5.1).

5.2. L'inscription de l'expulsion dans le Système d'information Schengen (SIS) était jusqu'au 11 mai 2021 régie par le chapitre IV du règlement SIS II (règlement CE n° 1987/2006) relatif aux signalements de ressortissants de pays tiers aux fins de non-admission ou d'interdiction de séjour. La Suisse a repris le 11 mai 2021 le nouveau règlement (UE) 2018/1861 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du SIS dans le domaine des vérifications aux frontières. La question de savoir si c'est le règlement (UE) 2018/1861 ou le règlement SIS II qui s'applique à la présente procédure peut être laissée ouverte dans la mesure où les dispositions topiques sont, dans une large mesure, identiques. Les deux normes exigent que la présence du ressortissant d'un pays tiers constitue une "menace pour l'ordre public ou la sécurité nationale" ou "une menace pour l'ordre public ou la sécurité publique ou nationale", ce qui est le cas lorsque le ressortissant d'un pays tiers a été condamné dans un État membre pour une infraction passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an. Selon les deux règlements, la décision d'inscription doit être prise dans le respect du principe de proportionnalité (individuelle) (cf. art. 21 du règlement SIS II ; art. 21, par. 1, du règlement [UE] 2018/1861, et arrêt du Tribunal fédéral 6B_932/2021 du 7 septembre 2022 consid. 1.8.1).

5.3.1. À raison, l'appelant ne conteste pas que, supposé confirmé, le verdict dont il appelle le place dans un cas d'expulsion obligatoire. L'intérêt public à son expulsion est grand, vu la gravité des infractions commises.

Celui-là ne se prévaut pas non plus d'une intégration particulièrement réussie, quand bien même il réside en Suisse depuis 1999, licitement, ayant d'abord été mis au bénéfice d'un statut de réfugié puis d'un permis d'établissement, et y ayant fondé une famille. En effet, il ne semble pas avoir véritablement eu d'emploi stable au cours des années qui ont précédé son arrestation, a indiqué avoir été au chômage durant la dernière, et rien ne permet de penser qu'il aurait été particulièrement impliqué dans la vie sociale, notamment au plan associatif, religieux ou politique. Il est par ailleurs divorcé et ses relations avec sa fille sont inexistantes, par sa faute.

Il ne résulte pas non plus du dossier, ni n'est plaidé, que l'appelant rencontrerait des difficultés à s'installer en Algérie. Il y possède une grande famille, s'y est rendu régulièrement pour des vacances et indique lui-même que les circonstances qui ont justifié l'octroi du statut de réfugié en 1999 ne sont plus réalisées.

Reste donc uniquement la question du maintien de ses relations avec l'enfant J______, au titre de la protection de la vie de famille. Lorsque l'appelant aura achevé de purger sa peine, l'enfant, actuellement âgé de huit ans, sera assez grand pour continuer d'entretenir avec lui des contacts, dans l'intervalle déjà nécessairement limités aux visites en prison, ce à distance, grâce aux moyens de télécommunications actuels. Il sera même en mesure de voyager seul, au besoin à l'aide du dispositif mis en place par les compagnies aériennes pour les enfants non accompagnés. Les relations père-fils seront ainsi certes limitées mais suffisamment sauvegardées pour que l'atteinte à la protection de la vie familiale puisse être tenue pour acceptable et la mesure d'expulsion confirmée.

5.3.2. La durée de la mesure, non discutée, paraît adéquate et proportionnée, de sorte qu'elle sera confirmée.

5.4. Il n'y a pas de raison non plus de renoncer à l'inscription dans le registre SIS, le principe de proportionnalité étant respecté : l'appelant n'indique pas avoir séjourné de façon soutenue en France depuis qu'il en a été expulsé, à une date indéterminée mais antérieure à sa venue en Suisse en 1999 ; il n'évoque pas non plus avoir l'intention de s'y installer et des perspectives raisonnables de pouvoir le faire licitement. L'inscription au registre SIS aurait donc pour seule conséquence de le priver de visites à sa parentèle, laquelle ne fait pas partie de sa famille nucléaire. Or, de tels contacts pourront être maintenus de la même façon qu'ils l'ont été jusqu'à présent, soit, imagine-t-on, par téléphone, courriel ou messagerie ou encore lors de séjours des proches en question en Algérie, remplaçant des visites de leur part en Suisse ou de sa part en France.

6. L'appelant conteste encore l'interdiction prononcée par les premiers juges en application de l'art. 67 al. 3 let. b et c CP, sans développer aucune argumentation à l'appui. On comprend qu'il eût fallu renoncer à la mesure en cas d'acquittement, mais à défaut, les conditions posées par la disposition précitée, qui ne laisse aucune marge de manœuvre au juge, sont réalisées, de sorte que le jugement doit être confirmé.

7. L'appelant voit sa peine réduite, mais dans une mesure sensiblement moindre à celle qu'il visait, et succombe pour le surplus. Les frais de la procédure, comprenant un émolument de CHF 2'000.- seront mis à sa charge à concurrence de 90%, le solde étant laissé à celle de l'État (art. 428 al. 1, première phrase, CPP et art. 14 du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]). Il n'y a pas lieu de revenir sur la mise à sa charge des frais de la procédure préliminaire et de première instance.

8. Considérés globalement, les états de frais produits satisfont les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale, à la seule exception de l'entretien à venir entre le conseil juridique gratuit de l'intimée et celle-ci, activité qui ne relèvera pas de la défense devant les autorités cantonales, dessaisies par le prononcé de l'arrêt.

Leur rémunération sera partant arrêtée à :

- CHF 3'661.80 pour la défenseure d'office, correspondant à 15 heures d'activité au tarif de CHF 200.-/heure plus la majoration forfaitaire de 10% (CHF 300.-), une vacation aller-retour aux débats d'appel (CHF 100.-) et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 261.80 ;

- CHF 2'369.40 pour le conseil juridique, soit huit heures et 45 minutes au taux horaire de CHF 200.- plus la majoration forfaitaire, de 20% (CHF 350.-), ses diligences pour l'ensemble de la procédure en qualité de conseil juridique gratuit ayant mobilisé moins de 30 heures, la vacation (CHF 100.-) et la TVA (CHF 169.40).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTCO/14/2023 rendu le 1er février par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/24965/2021.

L'admet partiellement

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable de viol (art. 190 CP), d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP), de contrainte sexuelle (art. 189 CP) et d'inceste (art. 213 al. 1 CP).

Le condamne à une peine privative de liberté de sept ans et dix mois, sous déduction de la détention avant jugement (art. 40 CP).

Lui interdit, à vie, d'exercer toute activité professionnelle et toute activité non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs (art. 67 al. 3 let. b et c CP).

Ordonne l'expulsion de Suisse de A______ pour une durée des sept ans (art. 66a al. 1 CP).

Ordonne le signalement de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS) (art. 20 de l'ordonnance N-SIS; RS 362.0).

Dit que l'exécution de la peine prime celle de l'expulsion (art. 66c al. 2 CP).

Ordonne le maintien en détention pour des motifs de sûreté de A______ (art. 231 al. 1 CPP).

Ordonne la confiscation et la destruction des objets figurant sous chiffres 2 et 3 de l'inventaire n° 3______ (art. 69 CP).

Ordonne la restitution à A______ du téléphone figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 3______ (art. 267 al. 1 et 3 CPP).

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Prend acte de ce que le Tribunal correctionnel a :

-          fixé à CHF 14'516.15 la rémunération de Me C______, défenseure d'office de A______ et à CHF 4'351.10 celle de Me E______, conseil juridique de D______, pour leurs diligences durant la procédure préliminaire et de première instance (art. 135 et 138 CPP) ;

-          condamné A______ aux frais de la procédure préliminaire et de première instance, qui s'élèvent à CHF 13'815, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.- (art. 426 al. 1 CPP).

Arrête leur rémunération pour leurs diligences durant la procédure d'appel à :

-          CHF 3'661.80 pour Me C______ ;

-          CHF 2'369.40 pour Me E______.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 2'265.-, y compris un émolument d'arrêt de CHF 2'000.-.

Met 90% de ces frais, soit CHF 2'038.50, à la charge de A______ et laisse le solde à celle de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel et au Service de l'application des peines et mesures.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La Présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal correctionnel :

CHF

13'815.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.000

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

100.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

90.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

2'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

2'265.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

16'080.00