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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2286/2024

JTAPI/42/2025 du 15.01.2025 ( OCPM ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION D'ÉTABLISSEMENT;FIN
Normes : LPA.14; lei.61
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2286/2024

JTAPI/42/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 15 janvier 2025

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Monica KOHLER, avocate, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Madame A______, née le ______ 1973, est ressortissante française et brésilienne.

2.             Le ______ 2002, elle a épousé Monsieur B______, citoyen suisse, à C______, et a été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour.

3.             Elle est titulaire, depuis le 15 août 2007, d'une autorisation d'établissement, avec délai de contrôle au 15 août 2025.

4.             L'office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) a établi le 13 octobre 2023 un rapport d'enquête. S'agissant du domicile des époux sis officiellement route de D______ 1______ à E______, Mme B______ et son époux avaient fait réexpédier leurs courriers en poste restante à la filiale de F______, G______ 2______, pour diverses périodes entre le 26 février 2011 et le 30 septembre 2021, notamment du 26 février 2011 au 19 mars 2011 et du 11 avril 2011 au 10 avril 2012. En outre, il ressortait de différentes sources (renseignements obtenus de l'administration fiscale cantonale (ci-après : l'AFC), sites internet, renseignements obtenues de la mairie de H______ en France)) que les époux étaient domiciliés, respectivement propriétaires d'une maison sise à la rue de I______ 3______ à H______, En particulier, il ressortait du compte INSTAGRAM de Mme B______, consulté le 24 août 2019, de nombreuses géolocalisations à H______, avec vue de la maison. Une photographie de son compte étant jointe, indiquée comme localisée à H______, J______, France, laquelle portait la mention « Por do sol. Melhor lugar do Mundo Nossa Casa. Bom fim de semana a todos » (Coucher de soleil. Meilleur endroit au monde notre maison. Bonne semaine à tous).

5.             Le 31 octobre 2023, l'OCPM a fait part à l'intéressée du fait que selon les informations dont il disposait, elle résidait à la rue de I______ 3______ à H______ depuis plusieurs années avec son époux. De ce fait, il lui était demandé de compléter le formulaire D (annonce de départ) dans les 15 jours. Sans nouvelle de sa part dans le délai imparti, il comptait constater la caducité de son permis C et enregistrer son départ de Suisse.

6.             Le 9 novembre 2023, Mme B______ a expliqué posséder une maison en France avec son époux, acquise quelques années auparavant. Toutefois, suite à des épreuves traversées au sein du couple, elle avait décidé de louer un appartement sis rue du 4______ aux K______, depuis le 1er juin 2021. La maison en France était en vente depuis le début de l'année. Elle ne souhaitait pas quitter la Suisse où elle avait son travail ainsi que ses amis.

En annexe, elle a produit une copie de son contrat de bail à loyer à la rue du 4______ aux K______ prenant effet le 1er juin 2021 et portant sur la location d'un appartement de deux pièces avec balcon ainsi qu'une copie de son assurance ménage pour la période du 1er juin 2022 au 31 mai 2024.

7.             Le 22 décembre 2023, l'OCPM a accordé à l'intéressée un délai au 19 janvier 2024 pour lui faire parvenir toutes les preuves de sa présence continue en Suisse depuis juillet 2010 jusqu'à ce jour, en particulier ses relevés bancaires mensuels détaillés de 2010 à ce jour, une copie de son contrat d'achat du bien immobilier à H______ en France, ainsi que ses avis de taxation de 2010 à ce jour.

En l'état du dossier et malgré les explications reçues le 9 novembre 2024, il maintenait sa position du 31 octobre 2023.

8.             Le 17 janvier 2024, Mme B______ a indiqué ignorer devoir avertir l'OCPM de chaque changement d'adresse. Elle et son époux avaient acquis le bien à H______ en décembre 2015, ils avaient l'intention de s'y installer mais en raison des dettes de son époux, ils n'avaient pas pu concrétiser leur projet. Ils avaient besoin de temps pour organiser leur départ. Selon son estimation, les dettes seraient réglées d'ici fin juin 2024 de sorte qu'ils pourraient annoncer leur départ à ce moment-là. Elle comptait résilier son contrat de bail à la rue 4______ aux K______, le 1er mars 2024 et annoncer son départ au 1er juin 2024.

9.             Par décision du 3 juin 2024, l'OCPM a prononcé la caducité de l'autorisation d'établissement de Mme B______, enregistrant un départ de Suisse au 19 janvier 2011, soit au terme des six mois suivant son départ à l'étranger.

Le couple avait vécu au chemin de la 5______ à L______ du 7 décembre 2002 au 1er août 2007, puis à la 6______M______ du 1er août 2007 au 19 juillet 2010. À partir du 19 juillet 2010, le couple avait déclaré vivre à la route de D______ à E______. Selon le rapport d'enquête du 13 octobre 2023, une présomption inéluctable indiquait que le domicile de Mme B______ et son époux se trouvait à la route de I______ 3______, H______ en France et qu'ils n'avaient jamais vécu à la route de N______ à E______. Cela ressortait des enquêtes menées auprès de la Poste, de l'AFC, de l'office cantonal des véhicules, des régies concernées et de la mairie de H______, mais également des visites domiciliaires. En outre, Mme B______ et son époux avaient fait réexpédier leurs courriers de la route de N______ à E______ en poste restante de la filiale de F______, G______ 2______ durant diverses périodes à partir du 26 février 2011.

A la lecture des pièces du dossier, Mme B______ avait transféré son centre d'intérêts en France à H______ où elle avait acquis un bien immobilier avec son époux. Depuis le 19 juillet 2010 à tout le moins, elle ne disposait d'aucune adresse valable M______, étant précisé que l'adresse à la rue de 4______ aux K______ depuis le 1er juin 2021 n'était en réalité qu'une adresse postale et qu'un tiers y occupait l'appartement loué. Même si dans son courrier du 9 novembre 2023, Mme B______ laissait entendre qu'elle rencontrait des problèmes dans son couple pour justifier l'existence d'un domicile séparé en Suisse, elle s'était ravisée par courrier du 17 janvier 2024 expliquant que le couple faisait face à des dettes et envisageait d'annoncer leur départ officiel en France dès le règlement de ces dernières. À cela s'ajoutait le fait qu'elle n'avait pas remis à l'OCPM les pièces demandées, soit notamment les preuves de sa présence en Suisse depuis juillet 2010, ni le contrat d'achat de son bien immobilier en France. À ce jour, faute de preuve contraire, l'OCPM retenait que le couple résidait encore à l'heure actuelle à H______ en France.

10.         Par acte du 3 juillet 2024, sous la plume de son conseil, Mme B______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal) concluant à son annulation, cela fait et statuant à nouveau, à la constatation que les conditions pour la délivrance d'un titre de séjour sont remplies et au renvoi du dossier à l'OCPM pour nouvelle décision dans le sens des considérants, le tout sous suite de frais et dépens. Préalablement, elle a sollicité la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans le cadre de la nouvelle demande (permis B) déposée et à l'octroi d'un délai supplémentaire pour compléter son recours.

L'OCPM avait constaté les faits de manière incomplète, notamment son statut de citoyenne EU/AELE, et inexacte. En substance, depuis le 1er octobre 2007, elle était engagée auprès de O______ SA en qualité d'opératrice production. En 2012, elle avait acquis la nationalité française au travers de son mari, binational suisse/français. Entre le 19 juillet 2010 et le 24 mai 2011, date à laquelle leur bail avait été résilié, son époux et elle-même, vivait à la route de N______ à E______. Suite à cette résiliation impromptue, incapables de trouver un appartement M______, ils avaient pris la décision de se domicilier provisoirement en France, à P______. Cette domiciliation française, qu'ils espéraient provisoire, s'était toutefois poursuivie sans qu'elle ne pense à entreprendre les démarches nécessaires auprès de l'OCPM pour signaler son départ. En effet, ils pensaient d'une part revenir à brève échéance en Suisse et, d'autre part, elle ignorait totalement qu'elle n'était pas en droit de s'absenter de Suisse ou uniquement dans un délai cadre de six mois. Parallèlement à ce déménagement, elle avait dû faire face, outre ses propres obligations professionnelles, à d'importants problèmes d'alcoolémie de son époux, situation qui avait totalement accaparé son temps et était devenu le centre de ses préoccupations pendant des années, de sorte qu'elle ne s'était posée aucune question relative à sa situation administrative, son époux affirmant de surcroît qu'elle était en règle puisqu'elle possédait également la nationalité française.

Le 14 décembre 2015, le couple avait acquis une maison sise route de I______ 3______, H______ en France. Alors que cette acquisition devait consacrer une situation définitive, son époux l'avait informé qu'ils ne pouvaient se domicilier officiellement dans leur maison du fait d'arriérés d'impôts dont il s'était rendu coupable, arriérés qu'il leur fallait régler préalablement à tout départ. Courant 2017, en raison de problèmes financiers et afin de se désendetter, le couple avait mis leur maison à H______ en vente, sans toutefois trouver acquéreur. Le 1er juin 2021, n'en ayant toujours pas trouvé et afin de faciliter la vente de leur maison, les époux avaient quitté cette dernière pour se domicilier en Suisse dans un appartement situé à la rue du 4______ aux K______. Lors du passage de l'enquêteur de l'OCPM à leur domicile aux K______, elle se trouvait malheureusement au travail et son mari était de sortie avec des amis. En leur absence, l'enquêteur avait rencontré Monsieur Q______, un ami du couple hébergé le temps de régler ses problèmes conjugaux. Celui-ci s'exprimait très mal en français et était incapable d'expliquer la situation à l'enquêteur. Enfin, elle avait toujours conservé son centre d'activités M______ où elle travaillait et effectuait la totalité de ses dépenses.

Parallèlement à son recours, elle avait déposé une nouvelle demande auprès de l'OCPM visant à l'obtention d'un permis B, en sa qualité d'épouse d'un ressortissant suisse.

À l'appui de son recours, elle a transmis un chargé de pièces comprenant notamment :

-          une copie de son passeport français où est mentionné, sous la rubrique « domicile », I______, H______, France ;

-          une attestation de location établie par la régie R______ du 17 janvier 2024, attestant que la recourante avait été locataire d'un appartement sis route de N______ à E______, du 1er janvier 2009 au 24 mai 2011 ;

-          une copie du mandat de vente non daté conclu par les époux et portant sur leur maison à H______;

-          une copie du mandat de vente conclu par les époux le 5 juin 2024 portant sur leur maison à H______, où il était précisé que la maison était libre de toute occupation ;

-          une copie du compte privé S______ de la recourante pour les années 2021, 2022 et 2023.

11.         Le 28 août 2024, l'OCPM a transmis ses observations, accompagnées de son dossier. Il a conclu au rejet du recours.

Les arguments invoqués par la recourante n'étaient pas de nature à modifier sa position. Plusieurs pièces au dossier, en particulier le rapport d'enquête ainsi que les propres déclarations de la recourante, permettaient de constater qu'elle avait transféré son domicile en France voisine. Pour exemple, il y avait la résiliation impromptue de son bail à loyer à la route de N______ à E______. Ensuite, la recourante avait expliqué s'être domiciliée d'abord provisoirement à P______ en 2010/2011 avant d'acquérir un bien immobilier en France quelques années plus tard. Elle avait acquis la nationalité française en 2012, son passeport indiquant aussi une domiciliation sur France. Ainsi, les explications et les pièces fournies à l'appui du recours ne permettaient pas de remettre en cause son appréciation. Le fait que la recourante ait continué à revenir en Suisse pour son travail n'y changeait rien et n'avait pas pour effet d'interrompre le délai légal de six mois. Aussi, l'allégation selon laquelle la recourante était revenue en Suisse en juin 2021 n'avait pas pour effet de « réactiver » son permis C qui avait automatiquement pris fin six mois après son départ de Suisse. La recourante n'avait ainsi pas été en mesure d'établir une présence effective en Suisse à compter de juillet 2010, de sorte que son autorisation d'établissement était devenue caduque avec effet au 19 janvier 2011.

12.         La recourante n'a pas déposé de réplique, ni complété son recours, dans le délai imparti par le tribunal.

13.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

4.             Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

5.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

6.             La recourante sollicite la suspension de la présente procédure jusqu'à droit connu sur sa demande de permis B.

7.             Aux termes de l’art. 14 LPA, lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions (al.). Les autorités administratives et les juridictions administratives saisies d’une question préjudicielle sont toutefois liées par les décisions de l’organe compétent qui l’ont résolue avec force de chose jugée (al. 2).

8.             L'art. 14 LPA est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie. La suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d'une autre autorité serait utile à l'autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend. Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l'autorité saisie n'ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d'une autre procédure. Il serait en effet contraire à la plus élémentaire économie de procédure et à l'interdiction du déni de justice formel fondée sur l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) d'attendre la décision d'une autre autorité, même si celle-ci est susceptible de fournir une solution au litige, si ledit litige peut être tranché sans délai sur la base d'autres motifs (ATA/1278/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2 et les arrêts cités).

9.             La formulation potestative employée dans cette disposition légale laisse un large pouvoir d’appréciation à l’autorité. Une décision de suspendre une procédure administrative comme dépendant de l’issue d’une autre procédure, qui est de nature à en prolonger la durée, doit être utilisée de manière restrictive et dans un but d’économie de procédure. Elle est « envisageable » lorsque la décision qui doit intervenir conditionne son issue ou qu’elle permet d’économiser des mesures d’instruction (ATA/837/2023 du 9 août 2023 consid. 2.1).

10.         En l'espèce, le fait que l'OCPM fasse droit ou non à la demande d'établissement d'un permis de séjour déposée par la recourante, n'a aucun impact sur la présente procédure, de sorte que la requête de suspension sera rejetée.

11.         Le litige porte sur la caducité de l'autorisation d’établissement de la recourante.

12.         La loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 al. 1 LEI), dont notamment l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681).

13.         En vertu de son art. 2 al. 2, la LEI n’est applicable aux ressortissants des États membres de la Communauté européenne, aux membres de leur famille et aux travailleurs détachés par un employeur ayant son siège ou son domicile dans un de ces États que dans la mesure où l’ALCP n’en dispose pas autrement ou lorsque la LEI prévoit des dispositions plus favorables.

Ainsi, l’ALCP et l’ordonnance sur l’introduction progressive de la libre circulation des personnes entre, d’une part, la Confédération suisse et, d’autre part, la Communauté européenne et ses États membres ainsi qu’entre les États membres de l’Association européenne de libre-échange du 22 mai 2002 (OLCP - RS 142.203) s’appliquent en premier lieu aux ressortissants des pays membres de l’UE/AELE, la LEI ne s’appliquant à eux que pour autant que ses dispositions soient plus favorables que celles de l’ALCP et si ce dernier ne contient pas de dispositions dérogatoires (Directives OLCP-1/2024 éditées par le secrétariat d’État aux migrations [ci‑après : SEM], chiffre 1.2.3, p. 11). Les conditions au maintien d’une autorisation de séjour étant plus larges selon la LEI, l’art. 61 al. 2 LEI est applicable (ATA/1793/2019 consid. 3b).

14.         Partant, nonobstant la nationalité française de la recourante, la question de savoir si son permis de séjour est devenu caduc, est régie par la LEI.

15.         L’autorisation d’établissement est octroyée pour une durée indéterminée (art. 34 al. 1 LEI). Cela ne signifie toutefois pas qu’elle est valable ad aeternam, ne serait-ce que parce que le droit de séjour ne peut subsister que s’il repose effectivement sur la présence personnelle de l’étranger (ATA/1155/2018 du 20 octobre 2018 consid. 3a ; Directives et commentaires du SEM, Domaine des étrangers, état au 1er juin 2024, ch. 3.4.3 [ci-après : Directives LEI]).

Ainsi, selon l’art. 61 al. 2 LEI, l’autorisation d’établissement d’un étranger quittant la Suisse sans déclarer son départ prend automatiquement fin après six mois. Sur demande, ladite autorisation peut être maintenue pendant quatre ans.

Les délais prévus à l’art. 61 al. 2 LEI ne sont pas interrompus en cas de séjour temporaire en Suisse à des fins de visite, de tourisme ou d’affaires (art. 79 al. 1 OASA). La demande de maintien de l’autorisation d’établissement doit être déposée avant l’échéance du délai de six mois prévu par l’art. 61 al. 2 LEI (art. 79 al. 2 OASA).

16.         L’extinction de l’autorisation au sens de l’art. 61 LEI s’opère de jure (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-139/2016 du 11 avril 2017 consid. 5.1 et les références citées), quelles que soient les causes de l’éloignement et les motifs de l’intéressé (ATF 120 Ib 369 consid. 2c) ; peu importe ainsi si le séjour à l’étranger était volontaire ou non (arrêt du Tribunal fédéral 2C_691/2017 du 18 janvier 2018 consid. 3.1). Sous cet angle, les autorités ne jouissent pas d’un pouvoir d’appréciation dans le cadre duquel il y aurait lieu de procéder, conformément à l’art. 96 LEI, à un examen de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_19/2017 du 21 septembre 2017 consid. 5).

Une autorisation ne peut subsister lorsque l’étranger passe l’essentiel de son temps hors de Suisse, voire y transfère son domicile ou le centre de ses intérêts, sans jamais toutefois y rester consécutivement plus du délai légal, revenant régulièrement en Suisse pour une période relativement brève, même s’il garde un appartement en Suisse. Dans ces conditions, il faut considérer que ce délai de six mois n’est pas interrompu lorsque l’étranger revient en Suisse avant l’échéance dudit délai non pas durablement, mais uniquement pour des séjours d’affaires ou de visite (ATF 145 II 322 consid. 2; 120 Ib 369 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_158/2020 du 21 août 2020 consid. 3.2 ; 2C_19/2017 du 21 septembre 2017 consid. 4.1). Un étranger titulaire d’une autorisation d’établissement perd cette dernière s’il s’établit en France voisine et y vit comme un frontalier (ATA/1793/2019 du 10 décembre 2019 et les références citées).

17.         Pour savoir si une personne réside à un endroit avec l’intention de s’y établir, ce n’est pas la volonté interne de cette personne qui importe, mais les circonstances reconnaissables pour des tiers, qui permettent de déduire une semblable intention (cf. ATF 133 V 309 consid. 3.1 ; 119 II 64 consid. 2b/bb ; 113 II 5 consid. 2 ; 97 II 1 consid. 3 ; ATA/904/2014 du 18 novembre 2014 consid. 2 ; ATA/535/2010 du 4 août 2010 consid. 6).

18.         La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a récemment confirmé la caducité de l’autorisation d’établissement d’un recourant, qui n’avait pas annoncé son départ de Suisse et conservé l’adresse de son logement M______, alors qu’il avait en fait déménagé avec sa famille en France voisine où il était propriétaire d’un bien immobilier. La chambre administrative a retenu que le centre d’intérêts du recourant se trouvait, non pas M______, mais en France voisine où, partant, il séjournait au sens de la loi (ATA/431/2024 du 26 mars 2024).

19.         Dans un autre arrêt, la chambre administrative a confirmé la caducité de l’autorisation de séjour d’un recourant et de sa fille dont le centre des intérêts se trouvait, non pas M______, où ils louaient un studio, travaillait, respectivement étudiait, mais à Veigy-Foncenex (France) auprès de leur épouse, respectivement mère. C’était donc en France voisine qu’ils séjournaient au sens de la loi (ATA/325/2024 du 5 mars 2024).

20.         La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA). Ce principe n’est toutefois pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 et les références citées ; ATA/556/2024 du 2 mai 2024 consid. 4.6 ; ATA/874/2020 du 8 septembre 2020 consid. 13 et les références citées).

Il incombe en effet à l’administré d’établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage, spécialement lorsqu’il s’agit d’élucider des faits qu’il est le mieux à même de connaître, notamment parce qu’ils ont trait spécifiquement à sa situation personnelle (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 1C_205/2012 du 6 novembre 2012 consid. 2.1 ; ATA/111/2024 du 30 janvier 2024 consid. 3.1). Le Tribunal fédéral a même qualifié cette obligation de « devoir de collaboration spécialement élevé » lorsqu’il s’agit d’éléments ayant trait à la situation personnelle de l’intéressé, puisqu’il s’agit de faits qu’il connaît mieux que quiconque (not. arrêts du Tribunal fédéral 1C_58/2012 du 10 juillet 2012 consid. 3.2 et la référence citée ; 2C_703/2008 du 8 janvier 2009 consid. 5.2 ; 2C_80/2007 du 25 juillet 2007 consid. 4 et les références citées).

21.         L’étranger est tenu de collaborer à la constatation des faits et en particulier de fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour (art. 90 al. 1 let. a LEI ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_161/2013 du 3 septembre 2013 consid. 2.2.1). Il est tenu de fournir sans retard les moyens de preuves nécessaires ou s’efforcer de se les procurer dans un délai raisonnable (art. 90 al. 1 let. b LEI). Selon la jurisprudence, l’art. 90 LEI met un devoir spécifique de collaborer à la constatation des faits déterminants à la charge de l’étranger ou des tiers participants (ATF 142 II 265 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1).

22.         Lorsque les preuves font défaut ou s’il ne peut être raisonnablement exigé de l’autorité qu’elle les recueille pour les faits constitutifs d’un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit. Il appartient ainsi à l’administré d’établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l’administration de démontrer l’existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/442/2024 du 27 mars 2024 consid. 6.1.12 ; ATA/12/2020 du 7 janvier 2020 consid. 6 et l’arrêt cité).

23.         Lorsque les faits ne peuvent être prouvés d’une façon indubitable, une partie peut présenter une version des événements avec une vraisemblance, qui se rapproche de la certitude (ATF 107 II 269 consid. 1b). L’autorité doit alors apprécier la question de savoir si l’ensemble des circonstances permet de conclure à l’existence de l’élément de fait à démontrer. Elle peut en un tel cas se contenter de la preuve circonstancielle en faisant appel à son intime conviction et décider si elle entend tenir le fait pour acquis. Plus la conséquence juridique rattachée à l’admission d’un fait est grave, plus l’autorité doit être stricte dans son appréciation des faits (Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., 1991, p. 256 n. 1172). La décision constatant la caducité d’une autorisation d’établissement est importante au point d’exiger un état de fait clairement établi (ATA/13/2017 du 10 janvier 2017 consid. 4).

24.         Par ailleurs, en procédure administrative cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2011 du 12 avril 2011 consid. 3.3). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/590/2022 du 3 juin 2022 consid. 4a et les références cités).

25.         De jurisprudence constante, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l’intéressé a données en premier lieu, alors qu’il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2 ; ATA/791/2023 du 18 juillet 2023 consid. 7.7).

26.         En l’espèce, le tribunal constate que les pièces du dossier permettent de retenir qu'à partir du 19 juillet 2010, la recourante s'est effectivement domiciliée en France voisine.

La recourante ne saurait être suivie lorsqu'elle prétend avoir vécu à la route de N______ à E______ entre le 19 juillet 2010 et le 25 mai 2011. À ce titre, elle se limite à produire une attestation de location établie par la régie R______ dont il ressort qu'elle a été locataire d'un appartement à cette adresse, durant cette période. Or, ce document n'est pas déterminant en soi. En effet, le fait d'être titulaire d'un contrat de bail ne signifie pas encore que la recourante a effectivement résidé dans le logement de E______, la régie ne pouvant en aucune manière en vérifier l’effectivité. Alors qu’elle prétend y avoir vécu, la recourante n’a cependant produit aucun autre document ou attestation de tiers susceptible de rendre vraisemblable son séjour effectif et quotidien dans l'appartement de E______. Au contraire, il ressort du rapport d'enquête établi par l’OCPM le 13 octobre 2023, que la recourante a fait réexpédier ses courriers en poste restante à la filiale de F______ pour la période du 26 février 2011 au 19 mars 2011 puis du 11 avril 2011 au 10 avril 2012 à tout le moins.

À cela s'ajoute que la recourante admet s'être domiciliée en France, d'abord à P______, à partir du 24 mai 2011, puis à H______ à partir du 14 décembre 2015. Il est au demeurant établi qu'à cette date, la recourante a acquis la propriété et la jouissance d'une maison familiale à H______ où elle a vécu avec son époux jusqu'au 1er juin 2021 à tout le moins. L'intéressée explique par ailleurs que les époux n'ont pas officiellement déclaré leur départ de Suisse en raison d'arriérées d'impôts qu'il leur fallait régler au préalable. Parallèlement, il est relevé que la recourante a acquis la nationalité française en 2012 et que son passeport français indique une domiciliation à H______. Enfin, le fait que la recourante avait transféré son centre de vie en France résulte également de son compte INSTAGRAM faisant état de nombreuses géolocalisations à H______, avec une photographie de vue prise depuis sa maison.

Au vu de ce qui précède, la recourante échoue à démontrer qu’elle a effectivement résidé et conservé un domicile en Suisse après le 19 juillet 2010.

Le fait qu'elle serait revenue M______ à l'adresse sise rue de 4______ aux K______ à partir du 1er juin 2021, au demeurant non établi, n'y change rien dès lors que l'extinction de l’autorisation au sens de l’art. 61 LEI s’opère de jure.

Dans ces conditions, il peut être considéré comme établi que, sans le déclarer à l’autorité compétente, la recourante a quitté la Suisse au plus tard en juillet 2010, date à partir de laquelle elle n’a pas été en mesure de prouver l’existence d’un domicile effectif M______, et ce pendant une période supérieure à six mois. Qu’elle ait continué à travailler M______ ne change rien à ce constat. En effet, conformément à la jurisprudence, de tels séjours en Suisse ne sauraient être considérés autrement que comme des séjours temporaires, dans le cadre desquels une fois l’activité (scolaire, professionnelle ou de loisir) terminée, l’intéressée regagnait le domicile familial en France. En outre, il est constant que la recourante n’a, à aucun moment, déposé une demande tendant au maintien de son autorisation d’établissement, conformément à ce que prévoit l’art. 61 al. 2 LEI.

Partant, l’OCPM ne pouvait que constater que la validité de l’autorisation d’établissement de la recourante avait pris fin de jure six mois après son départ de Suisse, soit au plus tard en 19 janvier 2011, et c’est ainsi à juste titre qu’il a constaté la caducité de cette dernière, étant précisé que l’autorité intimée ne disposait d’aucune marge de manœuvre dans ce domaine.

27.         Pour le surplus, la question de savoir si la recourante remplit les conditions de délivrance d’une autorisation de séjour M______ est exorbitante au présent litige, étant rappelé que l’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; ATA/353/2023 du 4 avril 2023 consid. 2.1), qui délimite son cadre matériel admissible, soit en l'espèce, la caducité du permis d'établissement de la recourante. Dès lors, la conclusion tendant à ce qu'il soit constaté que les conditions pour la délivrance d'un titre de séjour sont remplies sera déclarée irrecevable puisqu’elle porte sur une question qui ne fait pas l’objet du litige.

28.         Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté et la décision contestée confirmée.

29.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

30.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 3 juillet 2024 par Madame A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 3 juin 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier