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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3057/2022

ATA/111/2024 du 30.01.2024 sur JTAPI/703/2023 ( LCI ) , REJETE

Recours TF déposé le 07.03.2024, 1C_144/2024, A 316457/1
Descripteurs : MODIFICATION DU TERRAIN;PROTECTION DU SOL;RÉTABLISSEMENT DE L'ÉTAT ANTÉRIEUR;ZONE AGRICOLE;MOTIVATION DE LA DÉCISION;PROPORTIONNALITÉ;ADÉQUATION;NÉCESSITÉ
Normes : Cst.29.al2; LPA.22; LPE.33.al2; OSol.2.al4; OSol.7
Résumé : Confirmation du refus de l’autorisation visant la mise en place d’un nouveau système de drainage en zone agricole et viticole protégée. Confirmation de l’ordre de remise en état de la parcelle, ayant fait l’objet d’un remblayage effectué en 2012 sans autorisation et ayant porté une atteinte physique au sol naturel, ainsi que du drainage superficiel préexistant. Pas de violation de l’obligation de motiver par l’autorité intimée qui s’est fondée sur deux préavis négatifs de deux instances spécialisées. Pas de violation du principe de proportionnalité sous l’angle de l’aptitude et de la nécessité. Les décisions litigieuses étaient aptes à atteindre les intérêts publics compromis (conformité à une activité viticole durable, protection de la stabilité et de la fertilité des sols). Pas d’autre mesure moins incisive in casu, en dépit de l’avis de l’expert consulté par le recourant et de la deuxième solution proposée par l’expert consulté par le GESDEC qui était confronté à deux expertises privées divergentes quant aux moyens à mettre œuvre pour trouver une solution de stabilisation du sol. Rejet du recours du propriétaire de la parcelle en cause.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3057/2022-LCI ATA/111/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 janvier 2024

3ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Guillaume FRANCIOLI, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC intimé

et

B______ intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 juin 2023 (JTAPI/703/2023)


EN FAIT

A. a. La parcelle no 2'243, au cœur du présent litige, est située en zone agricole et viticole protégée, sur le territoire de la commune C______. Elle appartient à A______, agriculteur. Elle jouxte, au nord, la parcelle no 2'034 appartenant à B______ et, au sud, la parcelle no 2'264 appartenant à feu D______, décédé en septembre 2023.

b. Ces parcelles sont délimitées, à l’est, par la route E______ et, à l’ouest, par le chemin F______. Elles se trouvent sur un terrain en pente d’environ 20°, à proximité d’un bois (aire forestière sise en zone de bois et forêts) et de la rivière de G______, situés en aval, à l’ouest desdites parcelles.

B. a. En novembre 2020, le service de géologie, sols et déchets (ci-après : GESDEC) du département du territoire (ci-après : le département) a demandé à A______ l’étude géotechnique réalisé par le bureau H______ SA
(ci-après : H______) concernant les parcelles nos 2'243 et 2'264. Le remblai effectué en 2012 se situait sur une zone instable. Afin d’avoir un regard basé sur des données techniques, il était primordial de bien connaître les aboutissants de cette étude dans le but d’entrevoir un avis préalable à la demande d’autorisation qu’il envisageait.

b. En décembre 2020, feu D______ a dénoncé, auprès de l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC) du département, les travaux de remblayage effectués, sans autorisation, par A______, qui avaient provoqué des dégâts sur sa parcelle.

C. a. Le département a obtenu, à une date non précisée, l’étude géotechnique du 5 août 2019 réalisée par le bureau I______ SA (ci-après : I______), à la demande de feu D______, concernant le glissement de terrain affectant sa parcelle sur son flanc nord-ouest.

Selon cette étude, ledit mouvement de terrain était à mettre en relation avec le glissement de terrain global de la parcelle no 2'243, initié par le remblayage de cette dernière en 2012. Les observations faites sur site à la mi-juillet 2019 mettaient en évidence la poursuite des mouvements malgré les travaux réalisés en 2014. Une niche d’arrachement était encore nettement visible sur la parcelle no 2'243 et se poursuivait sur la parcelle no 2'264. Une partie des remblais, d’une quarantaine de centimètres, avait été évacuée en 2014, mais il restait une épaisseur de remblai de l’ordre de 1,8 m par rapport à la situation avant remblayage. La présence d’une épaisseur trop grande de ces terrains était a priori responsable de la poursuite des mouvements. En 2014, une purge partielle des terrains remblayés avait été préconisée, l’épaisseur de remblai devant être limitée à un mètre au maximum par rapport à la topographie d’avant remblayage ; ces recommandations n’avaient pas été suives et le glissement de terrain se poursuivait.

Pour stopper les mouvements, la mesure préconisée par cette étude consistait à purger l’ensemble des matériaux de remblai mis en place en 2012. En complément, la réalisation de drains longitudinaux permettrait de capter les eaux d’infiltration et d’assainir les terrains.

b. Le 14 avril 2021, le bureau H______, mandaté par A______, a établi un rapport technique concernant la mise en place d’un réseau de drainage agricole sur les parcelles nos 2'034 et 2'243, destiné à accompagner la demande d’autorisation de construire.

Sous l’intitulé « Causes de l’instabilité », ce rapport relevait que les matériaux terreux d’apport mis en œuvre en 2012 ne disposaient d’aucun système de drainage. Des écoulements d’eau superficielle importants venaient surcharger cette couche terreuse à dominance limoneuse à limono-argileuse. Les observations sur site montraient un terrain surchargé d’eau en aval de la parcelle no 2’243.

À titre de « Recommandations techniques », le rapport décrivait les principes constructifs permettant d’évacuer efficacement l’eau des terrains dans le but de stabiliser le phénomène de glissement à long terme. L’évacuation des eaux dans le terrain consistait en la mise en place d’un système de drainage judicieusement dimensionné et réparti sur l’ensemble de la zone d’instabilité. Le but du système prévu était de drainer la totalité de la parcelle no 2'243 et une partie de la parcelle no 2'034 grâce à la mise en place de plusieurs drains transversaux, raccordés à une tranchée drainante principale, composée de graviers et d’un drain posé en fond de fouille.

c. Le 30 avril 2021, J______ a établi, à la demande du GESDEC, un rapport concernant les parcelles nos 2'243 et 2'264, intitulé « tierce-expertise d’un glissement de terrain », compte tenu du mouvement de terrain toujours actif et des divergences sur les moyens à mettre œuvre, suggérés par les spécialistes consultés par les propriétaires de ces parcelles, pour trouver une solution de stabilisation. I______ recommandait un retrait du remblai déposé en 2012 dans son étude de 2019, tandis que H______ préconisait la mise en place d’un drainage agricole dans ses études de février et mai 2020 portant sur les parcelles nos 2'034, 2'234 et 2'264.

Selon le rapport d’J______, l’analyse des études transmises et la visite du site effectuée le 16 avril 2021 lui avaient permis de comprendre le mécanisme du glissement et de trancher en faveur de la solution technique portée par I______, tout en signalant des alternatives techniques sous certaines réserves. J______ conseillait de retirer en intégralité le remblai mis en place en 2012 et de remettre en état le dispositif de drainage initial (tranchée drainante).

Selon les observations réalisées sur site par J______, la zone de glissement, qui paraissait peu active, n’était pas stabilisée. La zone en mouvement, qui s’étendait sur une cinquantaine de mètres de large, intéressait principalement la parcelle no 2'243 avec un débord de quelques mètres sur la parcelle no 2'264. Le drainage des parcelles, en particulier celui de la parcelle no 2'243, semblait peu opérant avec des débits faibles et de nombreuses zones humides sur le tiers inférieur du coteau.

Selon les observations d’J______, la solution de I______, étayée par des calculs de stabilités réalisés à partir des modèles numériques de terrain de 2009 et 2014 et des coupes géologiques détaillées, concluait que la mise en œuvre d’un réseau de drains agricoles ne créerait pas un rabattement de nappe suffisant pour retrouver un coefficient de sécurité comparable à celui d’avant le remblaiement du terrain. La solution de H______, illustrée de manière précise par un schéma, était fondée sur des calculs simplifiés et peu représentatifs du contexte géologique du site (pente et épaisseur de remblai homogène, deux couches de sols, nappe sub-affleurante).

De l’avis d’J______, l’hypothèse de nappe sub-affleurante, utilisée par la solution de H______, était largement discutable pour différents motifs, notamment le fait que les arrivées d’eau étaient concentrées en partie basse du versant. Dans ces conditions, le projet de drainage agricole à faible profondeur seul, proposé par H______, ne permettrait pas au terrain de retrouver un coefficient de sécurité comparable à celui prévalant avant la mise en place du remblai. En effet, il subsistait en moyenne 1,80 m de remblai dans la partie supérieure du versant. Ces matériaux exerçaient une poussée supplémentaire significative et les ouvrages de drainage superficiel prévu par H______ n’auraient pas de réelle plus-value par rapport au réseau de drainage préexistant car ils seraient sans effet sur le rabattement de la nappe plus profonde qui était un moteur de l’instabilité. Afin de retrouver des conditions de stabilité comparables à celles d’avant 2012, J______ conseillait de retirer définitivement le remblai déposé dans la partie supérieure de la parcelle no 2'243, tout en procédant à une remise en état du drainage superficiel préexistant car
celui-ci avait probablement été détérioré par le mouvement de terrain. Ceci valait pour la parcelle no 2'243, mais aussi pour la partie nord de la parcelle no 2'264 dont le collecteur et les connections de drains avaient probablement été détériorés par l’instabilité sur quelques mètres de large.

Selon J______, il était possible d’envisager une solution intermédiaire consistant à retirer seulement une partie des matériaux de remblai (l’épaisseur restante à définir sur la base d’un calcul de stabilité basé sur des hypothèses conformes à la réalité du terrain) mais cette solution devait s’accompagner de plusieurs mesures détaillées dans son rapport, telles que la remise en état du drainage agricole, la mise en place de drains forés subhorizontaux et la mise en place éventuelle d’une butée compensatrice en pied de talus. Si cette solution était choisie, il était indispensable de procéder à des investigations et à une étude de stabilité complémentaires afin de garantir un niveau de stabilité équivalent aux conditions d’avant remblaiement pour les parcelles nos 2'243 et 2'264.

D. a. Le 18 juin 2021, A______ a été interpellé, à la suite d’une dénonciation, par le département et invité à se déterminer sur la modification de la configuration du terrain sur sa parcelle, en particulier sur la partie supérieure, ainsi que sur la modification du drainage superficiel préexistant, au motif qu’il existerait des éléments réalisés sans autorisation.

b. Le 28 juin 2021, l’intéressé a répondu en exposant la situation.

La mise en œuvre du réseau de drainage préexistant, mis en place entre 1980 et 1983, avait été compliquée à cause de la nature du sol, dominée par des limons et limons argileux fluents en présence d’eau ; il avait, à l’époque, procédé à des purges ponctuelles à la main ; plusieurs points d’arrivées d’eau dans le versant étaient visibles. Depuis début 2000, ce réseau de drainage semblait être défectueux ; des mouvements de terrain superficiels avaient été observés et une érosion de la terre végétale au droit de sa parcelle, caractérisée par une pente de l’ordre de 20°, résultait de nombreuses mouilles et de plusieurs venues d’eau sur l’ensemble de sa parcelle.

En 2012, un apport de matériaux terreux, constitué d’une terre végétale limoneuse à limono-argileuse avec un taux de cailloux important, avait été effectué sur la terre végétale existante de sa parcelle afin de combler des creux formés par l’érosion de la terre végétale en place et de l’harmoniser topographiquement avec les parcelles voisines. Cet apport, combiné à des conditions hydrologiques spécifiques et à l’absence de reconstitution immédiate du réseau de drainage agricole, avait contribué à la poursuite des mouvements de terrain de faible ampleur. Une partie de la couche de matériaux apportée avait été enlevée en 2014 de sorte que son épaisseur était alors passée de 2,20 m à 1,80 m.

En 2021, les mouvements de terrain semblaient se stabiliser, mais une niche d’arrachement était encore visible et faiblement active. Afin de stopper les mouvements de terrains résiduels et de sortir l’eau météorique (de pluie) du versant, il était indispensable d’installer un réseau de drainage judicieusement dimensionné. C’était pour cela qu’il avait mandaté H______ en 2020, chargé de définir un projet de drainage sur sa parcelle et sur la parcelle voisine n° 2'034. Son dossier de demande d’autorisation était en cours de finalisation. Il avait déjà eu des discussions à ce sujet avec le GESDEC qui était informé de la situation.

c. Par décision sujette à recours du 9 juillet 2021, le département a constaté que la modification de la configuration du terrain sur la parcelle n° 2'243, notamment sur la partie supérieure, et la modification du drainage superficiel préexistant, étaient soumises à autorisation. Dès lors, il ordonnait à A______ de requérir dans un délai de trente jours une autorisation de construire, sa requête devant clairement signaler qu’il s’agissait d’une demande de régularisation. À défaut, il était invité à procéder à la mise en conformité des lieux en modifiant le terrain à son état d’origine dans le même délai. En l’absence de l’une ou l’autre de ces démarches, il s’exposait à toutes autres mesures et/ou sanctions justifiées par la situation. La suite de la procédure lui était également communiquée.

E. a. Le 15 octobre 2021, A______ a, dans le délai convenu avec le département, déposé auprès de celui-ci une demande d’autorisation de construire en procédure accélérée (APA/1______) visant la mise en place d’un système de drainage en zone agricole sur sa parcelle no 2'243, celle no 2'034 de B______ et celle no 2'574 relative au chemin F______. Cette demande était accompagnée d’un dossier comportant entre autre le rapport technique du 14 avril 2021 de H______ concernant la mise en place d’un réseau de drainage agricole sur les parcelles nos 2'034 et 2'243.

b. Parmi les instances spécialisées consultés lors de l’instruction, l’office cantonal de l'agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) et le GESDEC, à l’appui du rapport du 30 avril 2021 d’J______, ont émis, en novembre 2021, un préavis défavorable.

Selon le GESDEC, le maniement des matériaux terreux issus du décapage du sol n’étaient pas compatibles avec les prescriptions environnementales définies à l’art. 7 de l’ordonnance sur les atteintes portées aux sols du 1er juillet 1998 (OSol - RS 814.12 ; pas de décapage, pas de séparations des horizons, terre végétale enterrée sous le remblai). Le remblayage réalisé sans autorisation avant ce projet de drainage avait provoqué une atteinte au sol naturel de la parcelle no 2'243 sans justification. Ce projet de drainage faisait suite à un remblayage non autorisé. Or, ce dépôt de remblai sur ladite parcelle était contraire à la législation applicable en matière de gestion des déchets, en particulier à l’art. 10 de la loi sur la gestion des déchets du 20 mai 1999 (LGD - L 1 20). Le remblayage non autorisé provoquait des mouvements de terrains et la solution proposée ne permettait pas de retrouver des conditions de stabilité comparables à celles qui prévalaient avant la mise en place du remblai, comme cela ressortait du rapport d’J______. En outre, le projet se situait dans le périmètre d’influence d’une zone sujette à des instabilités de terrains naturels de type glissement superficiel. Il était ainsi contraire à la législation applicable en matière de protection contre les catastrophes naturelles (art. 25 de la loi sur les forêts du 20 mai 1999 - LForêts - M 5 10).

c. En décembre 2021, feu D______, propriétaire de la parcelle no 2’264, s’est opposé à la demande litigieuse qui n’intégrait pas sa parcelle, soulignant que les rapports de février et mai 2020 établis par H______ comportaient des erreurs et des incohérences, raison pour laquelle il avait refusé de signer la demande d’autorisation déposée par le requérant, objet de la présente procédure.

d. Début janvier 2022, le département a transmis au requérant ledit courrier de feu D______ ainsi que les deux préavis négatifs de l’OCAN et du GESDEC, ce dernier incluant le rapport d’J______. Il l’a invité à se déterminer, en lui demandant s’il souhaitait modifier son projet ou obtenir une décision en l’état.

e. Le 29 mars 2022, à la demande du requérant et vu le préavis négatif du GESDEC, une séance a réuni le GESDEC et H______ au sujet de la solution technique intermédiaire proposée dans le rapport d’J______. Selon le procès-verbal y relatif rédigé par H______, le GESDEC a confirmé s’opposer à cette solution intermédiaire consistant à retirer seulement une partie des matériaux de remblais, même sur la base d’investigations et d’une étude de stabilité complémentaires, compte tenu du contexte environnemental et géologique et des aspects légaux.

f. Le GESDEC et l’OCAN ont confirmé leurs préavis défavorables fin juin 2022.

g. Par décision du 16 août 2022, le département a refusé l’autorisation sollicitée sur la base des préavis défavorables du GESDEC et l’OCAN des 17 et 22 juin 2022, joints à la décision.

Le projet n’était pas conforme aux art. 16a al. 1 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), 34 al. 4 let. a de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1), 20 al. 1 let. c de la loi d’application de la LAT du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), 33 de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01) et 2 et 7 al. 1 OSol. Il visait à régulariser une infraction, à la suite d’un remblayage, sans autorisation, effectué essentiellement sur la partie supérieure de la parcelle no 2'243 en automne 2012, entraînant un glissement de terrain sur cette parcelle et sur la parcelle voisine no 2'264. Selon l’OCAN, le projet n’était pas conforme à la zone agricole, le remblayage effectué sans autorisation n’était pas adapté à une activité viticole durable.

Selon le GESDEC, le remblayage de 2012 avait été réalisé sans autorisation et en violation de l’art. 7 OSol, ayant pour conséquence de provoquer une atteinte physique au sol naturel de la parcelle no 2'243. Comme cela ressortait du rapport d’J______, le remblayage avait occasionné des mouvements de terrains en majeure partie sur la parcelle no 2'243 et pour partie sur la parcelle no 2'264. La zone de glissement paraissait peu active mais n’était cependant pas stabilisée. En outre, le drainage des parcelles se révélait être peu efficace avec de faibles débits engendrant la présence de nombreuses zones humides. Ainsi, le projet ne permettait pas de retrouver les conditions de stabilité comparables à celles existantes avant la mise en place dudit remblai. Le rapport d’J______ préconisait à cette fin le retrait intégral du remblai mis en place en 2012 et la remise en état du dispositif de drainage initial. Les parcelles concernées se trouvaient dans le périmètre d’influence d’une zone sujette à des instabilités de terrains naturelles de type glissement superficiel. Le projet, non conforme à la zone, ne résolvait pas les atteintes physiques apportées au sol à travers l’instabilité et l’altération de la fertilité du sol créées par le remblayage intervenu en 2012.

h. À la suite de ce refus, comme le projet en cause avait déjà été réalisé sans autorisation et qu’il ne pouvait être maintenu en l’état, le département a, par décision du 9 septembre 2022, ordonné à A______ de rétablir une situation conforme au droit dans un délai de soixante jours, en procédant à la remise en état du terrain naturel sur la parcelle no 2'243, notamment sur la partie supérieure remblayée sans autorisation en 2012, ainsi que la remise en état du drainage superficiel préexistant. L’intéressé était également invité à informer le GESDEC sur différents points précisés dans la décision.

F. a. A______ a recouru en temps utile contre ces deux décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) par deux actes distincts, enregistrés sous deux causes différentes. Celles-ci ont été jointes, d’entente entre les parties, par décision du 10 novembre 2022. Il concluait à leur annulation, à l’octroi de l’autorisation de construire sollicitée et subsidiairement au renvoi du dossier au département pour nouvelle décision.

b. Par jugement du 22 juin 2023, le TAPI a rejeté les deux recours.

Il a écarté le grief tiré d’un défaut de motivation ainsi que toute violation du droit d’être entendu d’A______, laquelle aurait été, en tout état, réparée devant lui. Le refus du département indiquait les bases légales pertinentes et était fondé sur les préavis de l’OCAN et du GESDEC. Ce dernier s’appuyait sur le rapport du bureau J______ du 30 avril 2021, mandaté par l’État de Genève pour trancher entre l’analyse de I______ et celle de H______, lequel exposait en particulier les raisons pour lesquelles la solution préconisée par H______ n’avait pas été retenue. Par ailleurs, la solution intermédiaire proposée par J______ avait été discutée lors de la séance de fin mars 2022, au cours de laquelle le représentant du GESDEC avait expliqué à l’intéressé pourquoi cette solution n’était pas envisageable. Enfin, la lecture des écritures de ce dernier, assisté d’un conseil, permettait de retenir qu’il avait compris le sens et la portée de la décision qu’il avait contestée en toute connaissance de cause.

Il a également écarté le grief tiré d’une violation du principe de la proportionnalité, tant à l’égard du refus de l’autorisation sollicitée que de l’ordre de remise en état pour les raisons exposées ci-après, ainsi que celui lié à une prétendue violation de la garantie de propriété. Sur ce dernier point, l’atteinte portée à ce droit reposait sur plusieurs bases légales énumérées, poursuivait un intérêt public et était proportionnée. Aucune mesure moins incisive que l’ordre de remise en état n’était à même d’atteindre l’objectif de préservation des terres agricoles, l’intéressé ne soutenant pas que la remise en état engendrerait des coûts disproportionnés.

Concernant le refus de l’autorisation, le TAPI a retenu que le GESDEC, composé de spécialistes disposant des connaissances techniques utiles et bénéficiant d’une garantie d’objectivité importante en tant que service public, avait examiné le projet avec soin et émis, par deux fois, un préavis défavorable. Sur la base du rapport d’J______, ce service spécialisé estimait que le projet litigieux ne permettait pas de retrouver les conditions de stabilité comparables à celles existantes avant la mise en place du remblai litigieux. Concernant ledit rapport, le GESDEC avait souhaité disposer d’une expertise tierce sur le glissement de terrain touchant les parcelles nos 2'243 et 2'264 vu les conclusions divergentes des études I______ et H______ sur les moyens à mettre en œuvre. Donnant son avis sur les solutions proposées, J______ exposait en particulier les raisons justifiant d’écarter la solution de H______. Au sujet du non-respect de l’art. 7 OSol, le GESDEC s’était basé sur des sondages effectués en mars 2013 sur le terrain en question pour constater que le remblai litigieux avait provoqué une atteinte au sol naturel de la parcelle, en violation de cette disposition. Cette violation consistait spécifiquement dans l’atteinte portée à tout le moins aux propriétés physiques du sol (et sans doute également à ses propriétés chimiques et biologiques), puisqu’il s’avérait que les remblais litigieux avaient été déposés par-dessus la couche supérieure et la couche sous-jacente du sol en place, contrairement au déplacement préalable de ces deux couches imposé par l’art. 7 OSol. L’atteinte aux propriétés physiques du sol s’était d’ailleurs traduite, peu de temps après le dépôt des remblais, par les mouvements de terrains auxquels il s’agissait à présent de mettre fin. En outre, l’OCAN avait émis un préavis négatif, le projet n’étant pas conforme à la zone puisqu’il visait l’installation d’un système de drainage après un remblayage non autorisé et non adapté à une activité viticole durable.

Compte tenu de l’analyse consciencieuse et pertinente de l’OCAN et du GESDEC ainsi que du poids particulier de leurs préavis requis par la loi, ceux-ci apparaissaient déterminants. L’intéressé n’apportait aucun élément permettant de considérer que le département aurait dû s’écarter desdits préavis, ni ne démontrait que les travaux de remblayage réalisés en 2012 n’auraient pas porté atteinte au sol. En suivant les préavis défavorables des instances spécialisées dans les domaines de l’agriculture et du sol pour refuser l’autorisation litigieuse, le département n’avait pas excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation. Enfin, la solution intermédiaire ne constituait pas l’objet du refus litigieux, de sorte que c’était à raison que le département ne l’avait pas examinée dans ce cadre. La question du principe de la proportionnalité ne pouvait être appréhendée que dans le cadre de la procédure de remise en état.

L’ordre de remise en état était conforme au droit, en particulier sous l’angle de la proportionnalité examinée en détail par le TAPI, notamment s’agissant des critères de l’aptitude et de la subsidiarité, ce qui sera développé dans la partie en droit. Rappelant que le propriétaire avait placé l’autorité intimée devant le fait accompli, le TAPI a conclu que ledit ordre constituait une mesure adéquate, apte à atteindre le but visé et portant à la propriété du propriétaire une atteinte limitée à la réalisation du but d’intérêt public.

G. a. Le 28 août 2023, A______ a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation, à l’annulation de l’ordre de remise en état et à l’octroi de l’autorisation sollicitée, ainsi que subsidiairement au renvoi de la cause au TAPI pour nouvelle décision. Il a invoqué la violation de son droit d’être entendu, sous l’angle du défaut de motivation du refus litigieux, ainsi que celles du principe de la proportionnalité et de la garantie de propriété s’agissant de l’ordre de remise en état, pour les motifs développés dans la partie en droit.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

c. Le recourant a répliqué en persistant dans ses conclusions.

d. Les parties ont ensuite été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant invoque une violation de son droit d’être entendu au motif que le refus litigieux ne serait pas dûment motivé. Le renvoi, par le refus litigieux, au préavis du GESDEC, qui renvoie à son tour au rapport d’J______, ne serait pas suffisant en termes de motivation. Cette violation n’aurait en outre pas été réparée devant le TAPI. Le département n’aurait pas apporté de motivation supplémentaire quant à son choix de suivre la solution préconisée par J______ et non celle de son expert.

2.1 Le droit d’être entendu au sens de l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) implique pour l’autorité l’obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit qu’elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de sa portée et l’attaquer en connaissance de cause (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; 143 III 65 consid. 5.2). L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 83 consid. 4. 1). Elle ne doit pas se prononcer sur tous les arguments (arrêt du Tribunal fédéral 2C_286/2022 du 6 octobre 2022 consid. 6.3 et les arrêts cités). La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_586/2021 du 20 avril 2022 consid. 2.1).

2.2 Dans la présente affaire, la demande d’autorisation litigieuse porte sur la mise en place d’un drainage en zone agricole, plus particulièrement viticole, afin de répondre au problème d’instabilité du terrain. Le fait que des échanges entre le recourant et le GESDEC aient eu lieu avant le dépôt de la dénonciation de feu D______ intervenue en décembre 2020, n’est pas déterminant in casu. En effet, le GESDEC s’est retrouvé, en tout cas depuis ladite dénonciation, confronté à deux avis divergents quant aux mesures à prendre pour remédier au problème d’instabilité du sol, à savoir, du côté du dénonciateur, l’étude d’août 2019 de I______ et, du côté du requérant, celles de février et mai 2020 de H______. Face à cette divergence entre ces deux spécialistes, le GESDEC a sollicité un troisième avis d’expert auprès d’J______, ce qui n’est ni critiqué ni critiquable. Après avoir examiné les études précitées et procédé à une visite sur site à mi-avril 2021, J______ a rendu son rapport le 30 avril 2021. C’est sur cette base et, outre le préavis de l’OCAN, sur celle du préavis du GESDEC que le refus litigieux a été prononcé, avant d’être suivi de l’ordre de remise du 9 septembre 2022, également contesté, concrétisant ainsi la recommandation d’J______.

En effet et comme l’a relevé le TAPI, le refus litigieux repose non seulement sur les deux préavis négatifs et motivés de l’OCAN et du GESDEC, joints audit refus et confirmés à deux reprises avant le prononcé de celui-ci, mais également sur des explications contenues dans la décision querellée et fondées sur différentes bases légales expressément citées dont la violation est en cause. En particulier et contrairement à l’avis du recourant, s’agissant du moyen pour répondre au problème d’instabilité, ledit refus ne se contente pas de renvoyer au préavis du GESDEC, ni au rapport d’J______. Il met en évidence les raisons ayant conduit le GESDEC et le département à suivre la recommandation d’J______, consistant à retirer l’intégralité du remblai apporté en 2012 sur la parcelle du recourant et à remettre en état le dispositif de drainage initial. À cet égard et comme l’a rappelé le TAPI sans que cela ne soit contesté par les parties, le GESDEC est le service spécialisé compétent pour ces considérations techniques s’agissant de la protection, gestion et exploitation durable des sols, sous-sols et eaux souterraines ; il dispose tant des connaissances techniques sur le plan géologique, hydrogéologique et pédologique, que d’une garantie d’objectivité importante en tant que service public.

Dans son argumentation, le recourant se plaint de ne pas comprendre pourquoi le GESDEC, suivi par le département, a opté pour la solution portée par I______, et non pour celle proposée par son expert H______, et pourquoi la solution intermédiaire suggérée par J______, qui serait plus proportionnée, n’a été examinée ni par l’autorité intimée, ni d’ailleurs par le TAPI. Le fait que ces arguments ne soient pas convaincants, voire pas suffisamment compréhensibles, aux yeux du recourant ne constitue in casu pas un défaut de motivation de la décision litigieuse compte tenu des explications de celle-ci, des préavis détaillés qui y sont joints et du rapport étayé d’J______. Les critiques du recourant semblent davantage remettre en question l’appréciation des éléments techniques par le GESDEC fondant le choix, à l’origine du refus litigieux, de l’autorité intimée quant au fond du litige, ce qui est une question distincte de celle de la motivation dudit refus. Dès lors et comme l’a à raison jugé le TAPI, le grief tiré d’un défaut de motivation et d’une prétendue violation du droit d’être entendu doit être en l’espèce écarté.

3.             Le recourant soutient également que le GESDEC n’aurait, à tort selon lui, pas procédé à des investigations et étude de stabilité complémentaires quant à la faisabilité de la solution intermédiaire.

3.1 Conformément à son devoir d’instruire les faits pertinents d’office (art. 19 LPA) et de procéder aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision (art. 20 al. 1 1ère phr. LPA), le GESDEC a, pour les raisons susmentionnées, sollicité l’avis d’un troisième spécialiste afin d’identifier les moyens à mettre en œuvre pour remédier au problème d’instabilité susmentionné vu les avis divergents de H______ et de I______, ce qui n’est pas contesté. Le principe d’instruction d’office est toutefois contrebalancé par le devoir des parties de collaborer à leur établissement dans les procédures qu’elles introduisent elles-mêmes (art. 22 LPA), en particulier d’étayer leurs propres thèses et d’indiquer à l’autorité les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître (ATA/957/2020 du 29 septembre 2020 consid. 3b à 3d et les arrêts cités). En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 phr. 2 LPA), la force de persuasion des preuves administrées, et non leur genre ou leur nombre, étant déterminante (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; ATA/444/2023 du 26 avril 2023 consid. 5.2).

3.2 En l’espèce, l’origine du litige réside dans les travaux de remblayage effectué, sans autorisation, en 2012 par le recourant. Ceux-ci ont, comme l’a relevé le TAPI, entraîné une atteinte aux propriétés physiques du sol qui s’est traduite, peu de temps après le dépôt des remblais, par des mouvements de terrains auxquels il s’agit à présent de mettre fin. Compte tenu de ces circonstances particulières et en l’absence d’éléments autres que l’intérêt privé du recourant de ne pas retirer tout le remblai déposé en 2012, on ne voit pas quel autre fait nécessaire à l’issue de litige, le GESDEC aurait dû instruire après l’obtention du rapport du 30 avril 2021 d’J______. Le fait qu’il ait suivi la recommandation principale d’J______, et non sa solution intermédiaire, relève d’une appréciation des faits par le GESDEC, qui a trait au fond du litige. Dès lors et sous réserve de cet examen au fond traité plus bas, le grief du recourant doit être écarté.

4.             En lien avec la garantie de la propriété ancrée à l’art. 26 Cst., le recourant estime que la solution retenue par le département, concrétisée par le refus de l’autorisation sollicitée et l’ordre de remise en état, tous deux contestés dans le cadre de la présente procédure, viole le principe de la proportionnalité mais uniquement sous l’angle de l’aptitude et de la subsidiarité.

4.1 Conformément à l’art. 36 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale, les restrictions graves devant être prévues par une loi (al. 1) ; justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) ; et proportionnée au but visé (al. 3).

4.1.1 Seul le respect du principe de la proportionnalité est ici remis en cause par le recourant, étant précisé que l’intérêt public retenu par le TAPI consiste à atteindre l’objectif de préservation des terres agricoles et que les bases légales justifiant ladite restriction sont celles citées dans les décisions litigieuses, en particulier les art. 16a al. 1 LAT, 34 al. 4 let. a OAT, 33 LPE et 2 et 7 OSol et 129 ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Ces deux dernières conditions liées à l’intérêt public et à la base légale ne sont, à juste titre, pas contestées. En effet, l’art. 22 LAT dispose, à son al. 2, que l’autorisation de construire est délivrée si l’installation est conforme à l’affectation de la zone (let. a), sous réserve d’autres conditions posées par le droit fédéral (al. 3).

En application de l’art. 33 al. 2 LPE concernant les atteintes physiques au sol, l’OSol vise, à son art. 1, à garantir à long terme la fertilité du sol par différentes mesures, notamment l’observation, la surveillance et l’évaluation des atteintes chimiques, biologiques et physiques portées aux sols (let. a), les mesures destinées à prévenir les compactions persistantes et l’érosion (let. b) et les mesures à prendre pour le maniement des matériaux terreux issus du décapage du sol (let. c). Par atteintes physiques aux sols, on entend les atteintes à la structure, à la succession des couches pédologiques ou à l’épaisseur des sols résultant d’interventions humaines (art. 2 al. 4 OSol). Selon l’art. 7 al. 1 OSol, quiconque décape un sol doit procéder de telle façon que le sol puisse être réutilisé en tant que tel ; en particulier, la couche supérieure du sol et la couche sous-jacente du sol seront décapées et entreposées séparément. Si des matériaux terreux issus du décapage de la couche supérieure et de la couche sous-jacente du sol sont utilisés pour reconstituer un sol (p. ex. en vue de la remise en état ou du remodelage d’un terrain), ils doivent être mis en place de sorte que la fertilité du sol en place et celle du sol reconstitué ou intégré ne soient que provisoirement perturbées par des atteintes physiques (art. 7 al. 2 let. a OSol).

4.1.2 Parmi les conditions justifiant un ordre de remise en état en zone agricole, figure celle selon laquelle l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit doit l’emporter sur l’intérêt privé de l’intéressé au maintien de l’installation litigieuse (ATA/1112/2023 du 10 octobre 2023 consid. 5.5.3 ; ATA/225/2023 du 7 mars 2023 consid. 3b), condition qui est seule contestée in casu. À cet égard, il convient de rappeler que celui qui place l'autorité devant un fait accompli doit s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_418/2021 du 10 mars 2022 consid. 3.1). En outre, le montant important de la remise en état n'est pas à lui seul décisif (arrêts du Tribunal fédéral 1C_29/2016 du 18 janvier 2017 consid. 7.2 ; 1C_136/2009 du 4 novembre 2009), étant précisé que l'intérêt purement économique de la partie recourante ne saurait avoir le pas sur l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit.

4.1.3 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des trois critères : l’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé ‑, la nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et la proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 144 I 306 consid. 4.4.1 ; ATA/775/2023 du 18 juillet 2023 consid. 7.2).

4.2 Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, les juridictions de recours – que ce soit la chambre de céans ou le TAPI – observent une certaine retenue, lorsqu'il s'agit de tenir compte des circonstances locales ou de trancher de pures questions d'appréciation (ATF 136 I 265 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_579/2015 du 4 juillet 2016 consid. 5.1). Elles se limitent à examiner si l’autorité administrative ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (arrêts du Tribunal fédéral 1C_891/2013 du 29 mars 2015 consid. 8.2 ; 1C_582/2012 du 9 juillet 2013 consid. 5.2 ; ATA/948/2022 du 20 septembre 2022 consid. 4e ; ATA/514/2018 du 29 mai 2018 consid. 4a).

En vertu de l’art. 61 al. 1 LPA, les juridictions administratives peuvent se prononcer sur une violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou sur une constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, elles n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sous réserve d’une exception prévue par la loi, non réalisée in casu (art. 61 al. 2 LPA). Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; ATA/1344/2023 du 12 décembre 2023 consid. 1.2).

4.3 Selon le TAPI, l’ordre de remise en état était dirigé contre le recourant, perturbateur par comportement et par situation en tant que propriétaire de la parcelle, ayant procédé au remblai sans autorisation et ne pouvant pas se prévaloir, pour les raisons exposées dans le jugement querellé, du principe de la bonne foi. Il existait un intérêt public certain au rétablissement d’une situation conforme au droit en tant qu’il portait sur la préservation des terres agricoles, surtout en zone viticole protégée, soit l’intérêt d’en protéger ses caractéristiques originelles du point de vue du sol. Cet intérêt devait l’emporter sur l’intérêt privé du recourant, nullement démontré hormis du point de vue purement économique, qui ne pouvait l’emporter sur l’intérêt public poursuivi in casu. L’ordre de remise en état respectait le principe de la proportionnalité.

Sous l’angle du critère de l’aptitude, le TAPI a retenu que le GESDEC avait, dans son préavis du 17 juin 2022, considéré que le remblai effectué en 2012 avait eu pour conséquence de provoquer une atteinte physique au sol naturel de la parcelle no 2'243 sans justification, en violation de l’art. 7 OSol (pas de décapage, pas de séparation des horizons, terre végétale enterrée sous le remblai). Le rapport d’J______ avait relevé que le remblayage avait occasionné des mouvements de terrain affectant en majeure partie la parcelle du recourant et pour partie les parcelles voisines, précisant que si la zone de glissement paraissait peu active, elle n’était pas stabilisée. Afin de retrouver une stabilité comparable à celle d’avant le glissement de terrain, ledit rapport préconisait de retirer en intégralité le remblai mis en place en 2012 et de remettre en état le dispositif de drainage initial, solution également portée par I______.

S’agissant du critère de la subsidiarité (ou nécessité), le TAPI a estimé que les raisons ayant conduit le GESDEC à écarter la solution intermédiaire avaient été clairement expliquées lors de la séance du 29 mars 2022 et dans le courriel du GESDEC du 10 janvier 2023, produit devant le TAPI et contenant les précisions suivantes. Compte tenu du contexte environnemental et géologique (remblai situé sur le périmètre d’influence d’une zone sujette à des instabilités de terrains naturels de type glissement superficiel) et légal (maniement de matériaux terreux issus du décapage du sol non compatible avec les prescriptions environnementales définies à l’art. 7 OSol et remblayage effectué sans autorisation préalable), cette solution ne permettait pas de garantir les conditions de stabilité comparables à celles prévalant avant la mise en place du remblai et ne réglait pas les aspects liés aux atteintes portées au sol. Quant aux raisons écartant la solution proposée par H______, qui permettait de conserver le remblai de 2012, elles avaient été exposées dans le rapport d’J______ (calculs simplifiés, peu représentatifs du contexte géologique du site [pente et épaisseur de remblai homogène, deux couches de sol, nappe sub-affleurante]), ce rapport détaillant les motifs pour lesquels l’hypothèse de calcul de H______ reposant sur une nappe sub-affleurante sur la totalité du coteau était largement discutable. Le drainage agricole en faible profondeur ne paraissait donc pas apporter l’effet escompté. Au surplus, le TAPI ne voyait pas de mesure moins incisive permettant de protéger les intérêts publics compromis, étant rappelé que le recourant avait placé l’autorité intimée devant le fait accompli.

4.4 Le recourant critique le caractère inapte de la solution suivie par le département (retrait du remblai et mise en place du drainage préexistant), en s’appuyant sur l’étude du 14 avril 2021 de son expert H______, au motif que cette option ne résoudrait pas le problème de stabilité. Les résultats de cette étude confirmeraient l’hypothèse que le glissement observé sur les parcelles ne serait pas lié au poids propre de la couche limono-argileuse rajoutée, mais à la présence d’eau dans le terrain qui modifierait les paramètres géomécaniques des formations en présence. De plus, il en résulterait une différence au niveau altimétrique entre les parcelles nos 2'243 et 2'264, qui renforcerait l’instabilité du sol, ce qui avait été soulevé par H______ lors de sa discussion avec le GESDEC fin mars 2022. Le recourant reproche aussi au département et au TAPI d’avoir suivi les observations d’J______ sans examiner si celles-ci étaient fondées, en particulier au sujet des raisons pour lesquelles ce spécialiste a écarté la position de H______ (calculs simplifiés et peu représentatifs du contexte géologique du site).

Le département aurait en outre méconnu le critère de la subsidiarité au motif qu’il n’avait pas procédé aux investigations complémentaires exigées par la solution intermédiaire proposée par J______, notamment pour déterminer l’épaisseur du terrain pouvant être maintenu, alors que cette solution était moins restrictive que celle lui imposant de supprimer complètement le remblai et de reconstruire le drainage initial. Cette solution intermédiaire aurait dû être retenue par le TAPI compte tenu des discussions préalables de 2020 entre le GESDEC et le recourant visant à élaborer un projet de drainage adéquat et lors desquelles la protection des sols n’avait jamais été abordée. Lors de la séance du 29 mars 2022, le représentant du GESDEC aurait écarté « d’un "revers de main" » la solution intermédiaire, sans autre explication, et manqué de prudence en ne procédant pas aux investigations complémentaires, pourtant suggérées par J______.

4.5 En l’espèce, il convient d’abord de rappeler que les décisions litigieuses répondent non seulement au problème d’instabilité du sol, mais également à l’atteinte physique au sol naturel en violation de l’art. 7 OSol. Le préavis du GESDEC souligne que le remblayage de 2012 n’a pas respecté cette norme parce qu’il n’y a pas eu de décapage, ni de séparation des horizons et que la terre végétale était enterrée sous le remblai. Cela n’est, à raison, pas contesté par le recourant. Quant à la question de l’instabilité, le préavis du GESDEC relève que ledit remblayage a eu lieu dans une zone sujette à des instabilités de terrains naturels de type glissement superficiel et qu’il est contraire à l’art. 25 LForêts. Cette norme vise à assurer la sécurité des zones de glissement de terrains au moyen de méthodes aussi respectueuses que possible de la nature (art. 25 al. 1 LForêts). Le canton veille à ce que les mesures appropriées soient prises sur le plan technique ainsi qu’en matière d’aménagement du territoire, d’organisation, de sylviculture et de propriété foncière aux endroits où il y a des risques liés aux dangers naturels (art. 25 al. 2 LForêts). Il favorise les mesures de prévention pour diminuer les risques de dommages et cherche en priorité à rétablir les dynamiques naturelles propices en favorisant les moyens naturels par rapport aux ouvrages construits (art. 25 al. 3 LForêts). Il va de soi que l’ordre de remise en état litigieux est apte à atteindre ce double objectif de stabilisation du terrain pour des raisons de sécurité et de mesure adaptée à l’environnement naturel. Du point de vue de la préservation de la zone agricole, l’OCAN a relevé que le projet envisagé par le recourant n’était pas conforme à l’exercice d’une activité viticole durable, ce qui n’est pas remis en cause par le recourant. Les décisions litigieuses poursuivent ainsi plusieurs intérêts publics qu’elles sont propres à atteindre.

Par ailleurs, la page 23 du rapport d’J______ donne les raisons pour lesquelles la solution proposée par H______ n’a pas été retenue, à savoir d’une part des calculs simplifiés et « peu représentatifs du contexte géologique du site (pente et épaisseur de remblai homogène, deux couches de sols, nappe sub-affleurante, etc.) ». D’autre part, après une présentation du site, notamment sous l’angle géologique et hydrogéologique, à l’appui de deux coupes de sondage F1 et F2 annexés à son rapport, J______ explique, en page 23 de celui-ci, les motifs pour lesquels l’hypothèse de nappe sub-affleurante, suivie par H______, lui paraît largement discutable. J______ considère que le projet de drainage à faible profondeur, suggéré par H______, ne permettra pas au terrain de retrouver un coefficient de sécurité comparable à celui prévalant avant la mise en place du remblai non autorisé, que les matériaux issus du remblayage de 2012 exercent une poussée supplémentaire significative et que le projet de drainage superficiel prévu par H______ n’aura pas de réelle plus-value par rapport au réseau de drainage préexistant car il sera sans effet sur le rabattement de la nappe plus profonde qui est un moteur de l’instabilité. Compte tenu des intérêts publics en jeu et de l’analyse étayée d’J______ consécutive aux deux autres études produites par le recourant et feu son voisin, la chambre de céans ne voit pas d’arbitraire de la part du GESDEC et du département, suivi par le TAPI, à privilégier dans ces circonstances la recommandation d’J______ consistant à retirer le remblai déposé sur la partie supérieure de la parcelle du recourant et à remettre en état le système de drainage préexistant.

Pour le surplus, l’argumentation du recourant consiste à faire primer l’avis de H______ sur celui d’J______, avançant premièrement que la cause de l’instabilité du terrain ne se trouverait pas dans le poids propre à la couche rajoutée lors du remblayage de 2012 mais à la présence d’eau dans le terrain. Or, outre les positions communes de I______ et d’J______ sur l’origine des mouvements de terrains, le recourant oublie que lui-même a reconnu dans son courrier du 28 juin 2021 que l’apport de matériaux terreux effectué, sans autorisation, en 2012 avait, en combinaison avec les conditions hydrologiques spécifiques et l’absence d’une reconstitution du réseau de drainage agricole, contribué à la poursuite des mouvements de terrain. À cela s’ajoute qu’J______ avait pour mandat d’examiner les avis divergents de H______ et de I______ et de soumettre une tierce analyse sur la problématique au GESDEC pour qu’il puisse appréhender au mieux la situation sous l’angle technique et remédier audit problème d’instabilité. Non seulement le recourant ne soutient pas que ce mandat n’aurait pas été rempli par J______, mais il n’apporte en outre pas de nouveaux éléments concrets susceptibles de remettre en cause les résultats évoqués plus haut de ce spécialiste.

Enfin, sous l’angle de la nécessité, le rapport d’J______ démontre que la solution intermédiaire n’est pas d’emblée applicable mais qu’elle implique au préalable d’autres mesures d’investigation complémentaires afin d’assurer une stabilité équivalente à celle existant avant le remblaiement de 2012, ce qui n’est pas contesté. En revanche, cette mesure ne permet pas de remédier à l’atteinte physique portée au sol naturel par le remblayage non autorisé de 2012. Elle n’est ainsi pas propre à assurer la protection des sols, en particulier de leur fertilité, poursuivie par l’art. 33 LPE et l’OSol, comme cela a été indiqué dans le refus litigieux puis expliqué lors de l’entrevue du 29 mars 2022 tenue à la demande du recourant, en présence de l’expert qu’il avait mandaté.

Compte tenu de ce qui précède, la chambre de céans ne peut que suivre le TAPI faute d’une autre mesure moins incisive permettant d’atteindre les différents intérêts publics compromis en l’espèce, étant rappelé que le recourant a mis l’autorité intimée devant le fait accompli en procédant en 2012 à un remblayage non autorisé et non conforme à l’art. 7 OSol. Il a alors également omis de mettre en place un système de drainage adéquat. Dans ces circonstances et compte tenu du fait que le coteau en cause contient de nombreuses zones humides contribuant, en plus de la couche de 1,8 m de matériaux rajoutée, à l’instabilité du terrain, c’est à bon droit que le département a suivi le GESDEC et pris les mesures techniques les plus à même à répondre aux objectifs de stabilité et de fertilité du sol, suggérées par ce service spécialisé. En suivant la recommandation principale d’J______, et non sa solution intermédiaire, le département n’a pas violé le principe de la proportionnalité, ni commis d’excès ou d’abus de son pouvoir d’appréciation, étant rappelé que le critère de la proportionnalité au sens étroit n’est pas contesté. Par conséquent, le recours doit être rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 900.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, étant précisé que B______ n’est pas intervenu dans la présente procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 août 2023 par A_______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 juin 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 900.- à la charge d’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guillaume FRANCIOLI, avocat du recourant, au département du territoire - OAC, à B______, au Tribunal administratif de première instance, à l'office fédéral du développement territorial ainsi qu'à l’office fédéral de l’environnement.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :