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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1802/2023

JTAPI/384/2024 du 25.04.2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DÉCISION INCIDENTE;DOMMAGE IRRÉPARABLE;MAXIME INQUISITOIRE
Normes : LPA.57.letc; LPA.62.al1.letb; LPA.62.al2; LPA.19; LPA.20; LPA.22; Cst; LCI.129
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1802/2023 LCI

JTAPI/384/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 25 avril 2024

 

dans la cause

 

A______ SÀRL, représentée par Me Maud VOLPER, avocate, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ Sàrl (ci-après : la société) est propriétaire de l’immeuble sis 1______ B______.

2.             Monsieur C______ et Madame D______ (ci-après : les locataires) sont locataires d’un appartement de 5 pièces situé au 4è étage de l’immeuble.

3.             Entre décembre 2021 et décembre 2022, ils ont échangé plusieurs courriels avec la régie, notamment au sujet de bruits provenant des radiateurs de la chambre.

4.             Par courriel du 24 novembre 2022, ils ont interpellé le département du territoire (ci-après : le département), soit pour lui le service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA), concernant des bruits de tuyauterie dans leur appartement, lequel a transmis la plainte à la police du feu.

5.             Le 27 janvier 2023, le département a adressé à la société un courrier indiquant avoir été informé de nuisances sonores perceptibles à l’intérieur du logement occupé par les locataires, provenant des équipements techniques.

Cette situation étant susceptible de constituer une infraction aux art. 120 et ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), un délai de dix jours lui était imparti pour faire valoir ses observations éventuelles et indiquer les mesures envisagées pour remédier à cet état d’insalubrité.

Une procédure d’infraction a été ouverte sous la référence I-2______.

6.             Par courriel du 22 mars 2023, les locataires ont relancé le département au sujet de leur plainte. Ils ont produit des photographies de la chaudière et des enregistrements des bruits.

7.             Le département a adressé, le 24 avril 2023 un second courrier à la société, aucune suite n’ayant été donnée à son précédent courrier.

Afin de définir la source des nuisances sonores, il a ordonné de fournir, en application des art. 129 et ss LCI, un rapport avec conclusions d’un acousticien indépendant dans un délai de 30 jours, ajoutant qu’à défaut et/ou sans nouvelles de sa part, elle s’exposerait à toutes nouvelles mesures et/ou sanctions justifiées par la situation. Une voie de recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) et un délai de recours de 30 jours étaient également indiqués.

8.             Par courrier du 5 mai 2023, la société, sous la plume de son conseil, a contesté l’existence de nuisances sonores ainsi que toute infraction à la LCI.

9.             Par acte du 25 mai 2023, sous la plume de son conseil, la société a recouru auprès du tribunal contre la décision du ______ 2023, concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens. Elle a déposé un chargé de pièces.

Un litige les avait opposés aux locataires concernant la fixation du loyer initial et un accord avait pu être trouvé devant la commission de conciliation en matière de baux et loyers.

Les locataires étaient par ailleurs à l’origine d’une démarche de plusieurs locataires pour demander une réduction de loyer en raison de travaux de rénovation effectués dans un appartement au 4è étage. Elle avait répondu qu’aucune réduction de loyer n’était justifiée et aucune suite n’avait été donnée.

Le département avait pris en considération les doléances de deux colocataires sans qu’aucun détail technique quant à la nature des nuisances et les installations dont ces dernières émaneraient ne fussent connues du département. L’existence même de ces nuisances ne reposait que sur les doléances des locataires, sans aucun élément probant à l’appui. Le département avait alors considéré qu’il existait un état d’insalubrité et ordonné de diligenter un acousticien pour définir les sources des nuisances. Ce faisant, le département avait manifestement constaté les faits de manière totalement inexacte et incomplète.

La mesure ordonnée violait les art. 129 ss de la LCI dès lors qu’elle n’était pas prévue par lesdites dispositions et qu’elle n’avait pas pour but de supprimer/réparer une installation ou une construction non conforme aux prescriptions relevant de la loi, mais de rechercher la source de prétendues nuisances sonores non prouvées. Or, il appartenait au département de définir les faits pertinents et de retenir ceux dûment prouvés. Les locataires pouvaient parfaitement entreprendre les démarches en vue de fournir un rapport d’acousticien. Le département ne pouvait se contenter d’allégations non prouvées émanant de tiers pour l’obliger à entreprendre une démarche dont le coût représentait plusieurs milliers de francs. Dès lors, la mesure querellée consacrait une violation de la maxime inquisitoire, du fardeau de la preuve et des art. 129 ss LCI.

Par ailleurs, les locataires étaient liés à elle par un contrat de droit privé et si leur logement présentait un défaut, ils pouvaient agir par le biais des mécanismes légaux prévus par le code des obligations. Il ne revenait pas à l’autorité publique d’intervenir dans les rapports de droit privé sauf à ce que l’immeuble concerné présentât un état d’insalubrité contraire à la loi et présentant un risque avéré pour ses habitants, ce qui n’était pas le cas, aucun des autres locataires ne s’étant plaint de nuisances en lien avec les installations techniques.

10.         Le département s’est déterminé sur le recours le 28 juillet 2023, concluant à son rejet. Il a produit son dossier.

La recourante était au courant de la problématique du bruit des radiateurs depuis 2021 au moins. Malgré les échanges de courriels entre les locataires et la régie, et l’intervention de la société E______, la situation n’avait pas changé. Les locataires lui avaient alors transmis des photographies et des enregistrements où le bruit des tuyaux était clairement discernable. C’était sur la base de ces éléments de preuve, constituant dans leur ensemble un faisceau d’indices suffisant pour établir la nécessité de clarifier l’existence d’une problématique de bruit, qu’il avait interpelé la recourante afin d’obtenir une expertise permettant d’établir de manière plus précise l’ampleur, l’origine et, cas échéant, les moyens de remédier à la nuisance constatée. La recourante avait par ailleurs été dûment invitée à se déterminer et avait eu la possibilité de consulter le dossier, mais avait choisi de ne pas le faire. Il avait ainsi constaté de manière exacte et complète les faits.

L’ordre de fournir un rapport acoustique ne figurait certes pas expressément au nombre des mesures administratives énumérées à l’art. 129 LCI. Toutefois, la jurisprudence avait considéré à plusieurs reprises que sa compétence pouvait s’étendre à d’autres mesures pour autant que celles-ci aient elles-mêmes une base légale. L’ordre contesté visait à garantir que le propriétaire maintienne des conditions de sécurité et de salubrité dans le logement, aspects spécifiquement réglementés dans la LCI et l’ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41). Ainsi, dans le respect du principe de la proportionnalité, il lui semblait cohérent d’enjoindre la recourante à fournir un rapport acoustique afin de vérifier si les exigences légales en matière de salubrité et de protection contre le bruit étaient respectées.

Concernant le fardeau de la preuve, le propriétaire, en application de l’art. 122 LCI, avait la responsabilité de la salubrité et de la sécurité du bâtiment, et il lui appartenait de démontrer que sa propriété était conforme aux dispositions légales lorsque le département lui demandait de se déterminer sur ce point. Il était rappelé que la décision litigieuse était une mesure d’instruction et non une sanction administrative.

En procédure administrative, les parties avaient l’obligation de collaborer ; le département était donc fondé à demander à la recourante de fournir un rapport acoustique afin de déterminer la cause et l’ampleur des nuisances ressortant des pièces transmises par les locataires. L’ordre litigieux était en réalité la concrétisation pratique de la maxime d’office.

La réticence de la recourante à fournir le rapport acoustique était surprenante au vu du risque auquel elle s’exposait en refusant, d’une part, de collaborer et, d’autre part, au vu de ses assurances que les nuisances n’existeraient pas. Il était difficile de savoir par quel autre moyen que ledit rapport elle pourrait prouver que les nuisances sonores n’existeraient pas et que les allégations des locataires étaient fausses.

11.         La recourante a répliqué le 31 août 2023, maintenant ses conclusions.

Elle ignorait la nature des prétendues nuisances sonores, de même que les installations techniques auxquelles le département faisait référence dans ses courriers des 27 janvier et 24 avril 2023 avant de prendre connaissance du dossier produit dans la procédure.

La société E______ avait effectué un contrôle en date du 17 novembre 2022 et avait constaté que tout fonctionnait correctement, en précisant que les locataires entendaient la dilatation de l’installation quand la chaudière se mettait en fonction à 6h00.

Les locataires avaient quitté l’appartement le 31 juillet 2023. Aucun autre locataire ne s’était plaint de bruits récurrents des radiateurs, à l’exclusion de ceux usuels se produisant lorsque ces installations nécessitaient une purge.

Elle avait effectivement été invitée à se déterminer le 27 janvier 2023, mais ne devait pas automatiquement comprendre à quoi il était fait référence et ignorait que le département possédait un dossier et des pièces consultables.

La décision querellée avait été rendue alors que l’existence de nuisances sonores provenant de radiateurs n’avait pas été établie et, surtout, s’il devait s’avérer que des bruits étaient audibles, que ces derniers constituaient une violation de la LCI et/ou de l’OPB par leur intensité. Or, c’était au département qu’il appartenait de réunir les renseignements et de procéder aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. La loi ne permettait pas que l’autorité puisse déléguer l’instruction du dossier à l’une des parties ; l’obligation de collaborer des parties n’impliquait pas pour elles l’obligation de mener des mesures d’instruction, à leurs frais, sur demande de l’autorité, afin que cette dernière puisse ensuite rendre une décision, ce qui était précisément le cas en l’espèce. L’application de l’art. 129 LCI n’intervenait qu’après constat qu’une installation n’était pas conforme.

12.         Le département a dupliqué le 22 septembre 2023, persistant dans ses conclusions et observations.

13.         La recourante a encore transmis un courrier le 3 octobre 2023.

14.         Le 25 octobre 2023, sur demande du tribunal, le département a produit les enregistrements attestant des nuisances sonores dénoncées par les locataires.

15.         Par courrier du 9 novembre 2023, la recourante s’est déterminée.

Les bruits de « claquements » perceptibles sur l’enregistrement sonore, qui devaient être qualifiés de légers, ne sauraient constituer des nuisances sonores contraires aux règles de construction et en matière de protection contre le bruit, étant constaté qu’il était impossible de déterminer où l’enregistrement avait été effectué, quelle installation était à l’origine desdits bruits, de même que la nature de l’appareil ayant servi à enregistrer, à quel volume sonore ledit appareil était réglé au moment de la prise de son et le volume sonore desdits bruits perceptibles à l’oreille humaine lors de l’enregistrement. Aucune information n’était également donnée sur la personne présente sur l’enregistrement vidéo ainsi que sur sa connaissance de l’installation en cause. En l’absence de toutes ces informations, ces enregistrements n’avaient aucune force probante et ne permettaient pas d’établir l’existence de nuisances sonores et, plus généralement, d’une malfaçon ou d’une violation des règles en matière de construction et/ou en matière de protection contre le bruit dans l’immeuble concerné. Au demeurant, il ne lui appartenait pas de mandater un spécialiste pour obtenir un rapport d’acousticien, dès lors que cette mesure d’instruction était à la charge de l’autorité.

16.         Par courrier du 16 janvier 2024, le tribunal a imparti au département un délai pour lui transmettre la position du SABRA sur les nuisances sonores dénoncées par les anciens locataires.

17.         Par courrier du 30 janvier 2024, le département a indiqué au tribunal que, renseignements pris auprès de l’instance spécialisée, celle-ci n’était pas en mesure de se déterminer sur la base des enregistrements sonores.

Cela était dû au fait que des mesures d’expertise devaient être effectuées au moyen d’un matériel spécifique répondant aux exigences de l’OPB. Ainsi, la position du sonomètre devait être connue de la part de l’opérateur qui prenait les mesures. Les fichiers MP3 figurant au dossier étaient des fichiers de son compressés, avec une perte de décibels ne permettant pas de mesurer la réalité des nuisances. La seule possibilité pour que le SABRA puisse se déterminer concrètement sur les nuisances serait d’effectuer une expertise acoustique sur place. Cependant, au vu de l’objet du présent litige, à savoir l’ordre du département à la recourante d’effectuer un rapport acoustique, mettre en place une expertise par l’instance spécialisée viderait la décision querellée de son objet. Il ne revenait par ailleurs pas au département de prendre en charge ces mesures compte tenu des obligations de la propriétaire en la matière.

De plus, selon le SABRA, compte tenu de la plainte des anciens locataires, et au vu de l’impossibilité de se déterminer techniquement sur la base des enregistrements, il était justifié de demander un rapport acoustique afin d’établir si les valeurs légales étaient respectées.

Pour le surplus, il persistait dans ses conclusions.

18.         Par courrier du 6 février 2024, la recourante s’est déterminée, persistant dans ses conclusions.

Elle constatait que le département confirmait que le SABRA n’était pas en mesure d’établir l’existence des prétendues nuisances dénoncées et admettait que les enregistrements effectués par les anciens locataires n’avaient aucune force probante. Or, la charge de l’instruction revenait à l’autorité, en application des art. 19 et 20 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10). Elle n’était pas une auxiliaire de l’État et si elle devait collaborer à l’instruction du dossier, elle n’avait pas à mettre en œuvre, à ses frais, une expertise ayant pour but d’établir l’existence ou non d’un défaut/vice contesté, pour permettre ensuite au département de se prononcer suite à la dénonciation de tiers.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la LCI (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté dans les formes prescrites devant la juridiction, le recours est recevable, sous cet angle, au sens des art. 64 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 62 al. 1 let. a et b LPA, le délai de recours est de trente jours s’il s’agit d’une décision finale ou d’une décision en matière de compétence (let. a) et de dix jours s’il s’agit d’une autre décision (let. b). Si la décision indique, par erreur, un délai supérieur au délai légal, le recours peut être formé jusqu’à l’expiration du délai indiqué (art. 62 al. 2 LPA).

4.             Constitue une décision finale, celle qui met un point final à la procédure, qu’il s’agisse d’une décision sur le fond ou d’une décision qui clôt l’affaire en raison d’un motif tiré des règles de la procédure (ATA/521/2020 du 26 mai 2020 consid. 3b ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 256 n. 2.2.4.2) ; est en revanche une décision incidente (art. 4 al. 2 LPA) celle qui est prise pendant le cours de la procédure et ne représente qu’une étape vers la décision finale (ATA/1124/2020 du 10 novembre 2020 consid 2b ; ATA/990/2022 du 4 octobre 2022 consid. 2b), ayant principalement pour objet son déroulement et permettant son avancement (ATA/751/2011 du 6 décembre 2011 consid. 3 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit. p. 257, n. 2.2.4.2) ; elle peut avoir pour objet une question formelle ou matérielle, jugée préalablement à la décision finale (ATF 139 V 42 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_567/2016 et 2C_568/2016 du 10 août 2017 consid. 1.3 ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2e éd. 2015, p. 357 ss).

5.             A été qualifiée d’incidente notamment une décision ordonnant une mesure d’instruction et les modalités de celles-ci (ATA/659/2009 du 15 décembre 2009 consid. 5 ; ATA/321/1996 du 29 mai 1996).

6.             En l’espèce, la décision litigieuse ordonne à la recourante de produire, à ses frais, un rapport acoustique « afin de définir la source des nuisances sonores » dénoncées par les deux anciens locataires. Le département entend, par cette mesure, clarifier l’existence – ou non – d’une problématique de bruit sous l’angle de la LCI et de l’OPB. Comme l’admettent à juste titre les parties, il s’agit là d’une mesure d’instruction, devant permettre au département de vérifier, dans un premier temps, si les exigences légales en matière de salubrité et de protection contre le bruit sont respectées et, dans le cas contraire, prendre les mesures qui s’imposent. Une telle décision, qui ne met pas fin à la procédure, mais constitue une simple étape dans le cours de celle-ci, revêt donc un caractère incident. Partant, elle n’est susceptible de recours qu’aux conditions de l’art. 57 let. c LPA.

7.             À teneur de l’art. 57 let. c LPA, les décisions incidentes ne sont susceptibles de recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

8.             L’art. 57 let. c LPA a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 138 III 46 consid. 1.2). Un préjudice est irréparable lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure peut constituer un tel préjudice. Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable. Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 147 III 159 consid. 4.1 ; 142 III 798 consid. 2.2 ; 138 III 190 consid. 6 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_278/2017 du 10 octobre 2017 consid. 2.3.1 ; ATA/965/2023 du 5 septembre 2023 consid. 2.3 ; ATA/360/2017 du 28 mars 2017 consid. 6b et les arrêts cités ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 298 ss, n. 835 ss Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise : LPA/GE et lois spéciales, 2017, p. 172 ss).

9.             Pour qu’une procédure soit « longue et coûteuse », il faut que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s’écarte notablement des procès habituels (arrêt du Tribunal fédéral 4A_162/2015 du 9 septembre 2014 consid. 2 et les références citées). Tel peut être le cas lorsqu’il faut envisager une expertise complexe ou plusieurs expertises, l’audition de très nombreux témoins, ou encore l’envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (ATA/1018/2018 du
2 octobre 2018 consid. 10d et les références citées).

La procédure d’autorisation de construire ne présente en principe pas de tels inconvénients, dès lors que le dépôt de la requête ne nécessite ni l’élaboration d’un travail démesuré ou excessivement coûteux, ni des mesures probatoires prenant un temps considérable et exigeant des frais importants (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_278/2017 du 10 octobre 2017 consid. 2.3.3 cum ATA/360/ 2017 du 28 mars 2017 consid. 10).

10.         La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1133/2022 du 8 novembre 2022 consid. 2b ; ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 3a).

11.         Lorsqu’il n’est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d’expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4).

12.         En vertu de l’art. 129 LCI, dans les limites des dispositions de l’art. 130 LCI, le département peut ordonner, à l’égard des constructions, des installations ou d’autres choses, les mesures suivantes, à savoir la suspension des travaux (let. a), l’évacuation (let. b), le retrait du permis d’occupation (let. c), l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter (let. d) ainsi que la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition (let. e). Ces mesures peuvent être ordonnées par le département lorsque l’état d’une construction, d’une installation ou d’une autre chose n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires (art. 130 LCI).  

L’art. 131 LCI dispose que les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des art. 129 et 130 LCI. 

Selon le Tribunal fédéral, la compétence du département n’est pas limitée aux seuls ordres prévus par l’art. 130 LCI, mais peut également s’étendre à d’autres mesures, pour autant que celles-ci aient elles-mêmes une base légale (arrêt du Tribunal fédéral 1C_557/2019 du 21 avril 2020 consid. 2.4 et les références citées).

13.         La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle l’autorité établit les faits d’office, sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties (art. 19 LPA). Dans la mesure où l’on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d’autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Cette maxime n’est toutefois pas absolue ; sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Ce devoir comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où on peut raisonnablement l'exiger d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 130 II 425 consid. 6.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1 ; ATA/1138/2023 du 17 octobre 2023 consid. 4.3 et l'arrêt cité).

Le fardeau de la preuve est supporté par celui qui entend se prévaloir d'un droit (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_27/2018 du 10 septembre 2018 consid. 2.2 ; 1C_170/2011 du 18 août 2011 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/99/2020 du 28 janvier 2020 consid. 5b). Il appartient ainsi à l’administré d’établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l’administration de démontrer l’existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a ; ATA/1155/2018 du 30 octobre 2018 consid. 3b et les références citées).

14.         Le principe de la légalité, consacré à l’art. 5 al. 1 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige que les autorités n’agissent que dans le cadre fixé par la loi.

15.         En l’espèce, force est de constater qu’aucune des deux hypothèses de l’art. 57 let. c LPA n’est réalisée. En effet, si les coûts liés à la mise en œuvre d’un acousticien, de plusieurs centaines, voire milliers de francs selon la recourante, pourraient certes lui être épargnés si le tribunal statuait immédiatement sur les questions posées dans son recours, ils ne sauraient être considérés comme un préjudice irréparable. Il n’apparaît par ailleurs pas que l’admission du recours conduirait immédiatement à une décision finale qui permettrait d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. La décision querellée a en effet précisément pour objet de permettre au département d’instruire le dossier avant de se prononcer suite à la dénonciation des anciens locataires.

Dans ces conditions, la décision attaquée ne saurait faire l’objet d’un recours immédiat auprès du tribunal. Le présent recours doit donc être déclaré irrecevable. Le fait qu’il n’ait pas été interjeté dans le délai de 10 jours prévu par l’art. 62 al. 1 let. b LPA n’a aucune incidence (cf. à cet égard les art. 46 et 47 LPA ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 1576 p. 521 ; ATF 135 III 489 consid. 4.4 ; 134 I 199 consid. 1.3.1 ; arrêts 1C_18/2015 ; 1C_20/2015 du 22 mai 2015 consid. 3.1.1 ; 1C_394/2011 du 2 février 2012 consid. 2.2.2).

16.         Ceci étant dit, le tribunal tient à relever que la légalité de l’ordre de fournir un rapport acoustique, fondé sur les art. 129 et ss LCI, apparaît en l’état très discutable. En effet, d’une part, les mesures prévues par cette disposition interviennent lorsque « l’état d’une construction, d’une installation ou d’une autre chose n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires », soit après le constat d’un état de non-conformité, ce qui n’est précisément pas le cas en l’espèce. D’autre part, et conformément à la maxime inquisitoire, c’est en principe à l’autorité qu’il appartient d’administrer les preuves nécessaires à l’établissement des faits pertinents. Le fait que l’administré doive coopérer à l’établissement de ceux-ci ne saurait la dispenser de son devoir de constater les faits d’office. En l’occurrence, il paraît pour le moins contestable que l’autorité intimée exige de la recourante de fournir, à ses frais, un rapport acoustique, sans même avoir au préalable procédé elle-même aux investigations nécessaires, telle que la prise de mesures sonores sur place par son service spécialisé, pour vérifier l’existence d’une problématique de bruit justifiant l’intervention des autorités publiques. Cela était d’autant plus nécessaire que le SABRA a indiqué ne pas être en mesure de se déterminer sur la base des enregistrements effectués par les anciens locataires.

Ces questions souffriront cependant de demeurer ouvertes compte tenu de ce qui précède, étant relevé que la recourante aura le loisir d’y revenir, le cas échéant, à l’occasion d’un éventuel recours contre la décision finale.

17.         Statuant sur une décision incidente, le présent jugement constitue lui-même une décision incidente (ATF 139 V 600 consid. 2.1) soumise à un délai de recours de 10 jours (art. 62 al. 1 let. b LPA).

18.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de l’avance de frais, soit CHF 400.-, lui sera restitué. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 25 mai 2023 par A______ Sàrl contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;

2.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

3.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 400.- ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Loïc ANTONIOLI et Aurèle MULLER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière