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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3130/2018

ATA/1124/2020 du 10.11.2020 sur JTAPI/633/2019 ( LCI ) , IRRECEVABLE

Parties : IMPLENIA SUISSE SA / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC, WAHL Francis, WAHL Magali, L'ERMITAGE DE LA BOUCLE SA ET AUTRES, PRO NATURA GENEVE
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3130/2018-LCI ATA/1124/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 novembre 2020

3ème section

 

dans la cause

 

IMPLENIA SUISSE SA
représentée par Me Jean-Marc Siegrist, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

Madame Magali et Monsieur Francis WAHL

L'ERMITAGE DE LA BOUCLE SA

représentés par Me Olivier Wehrli, avocat

 


et


 

PRO NATURA GENÈVE

représentée par Me Alain Maunoir, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 juillet 2019 (JTAPI/633/2019)


EN FAIT

1) Implenia Suisse SA (ci-après : Implenia) est une société active notamment dans le domaine de la construction. Elle exploite, selon elle depuis plus de cinquante ans, des corps-morts et des barges destinées à des travaux lacustres, lesquelles sont amarrées sur le lac, à l'aval de la Pointe-à-la-Bise, sur la parcelle n° 8'346 de la commune de Collonge-Bellerive.

2) Dans le cadre d'un processus qui a impliqué différentes décisions de justice, le département de l'urbanisme, devenu depuis lors le département du territoire (ci-après : DT ou le département), a ordonné à Implenia, en 2013, de déposer une demande d'autorisation de construire pour l'installation de ces barges à leur emplacement actuel.

Bien que contestant le bien-fondé de cette obligation, Implenia a donné suite à cette injonction en déposant le 31 janvier 2017 une requête en autorisation de construire pour trois amarrages forains provisoires B328, B332 et B336, enregistrée sous n° A 110'028. Les barges avaient une surface respective de 204 m², 178 m² et 144 m², pour un poids respectif de 70 tonnes, 62 t et 49 t. Le projet consistait à amarrer dorénavant les trois barges dans le fond du lac par des vis d'ancrage, leur emplacement n'étant pas modifié.

3) a. La direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a préavisé favorablement le projet, à l'instar du service des monuments et sites, de la commune de Collonge-Bellerive, de la commission consultative de la diversité biologique (ci-après : CCDB), soit pour elle sa sous-commission de la flore, les constructions visées n'ayant pas d'impact significatif sur la végétation lacustre.

b. Le 18 mai 2017, la direction générale de l'agriculture et de la nature
(ci-après : DGAN) a préavisé défavorablement le projet. Celui-ci visait à pérenniser l'implantation des barges à proximité immédiate de la réserve naturelle de la Pointe-à-la-Bise, dans la zone II de la réserve d'oiseaux d'eau et de migrateurs d'importance nationale n° 118, « Rive gauche du Petit-Lac » telle que définie par l'Ordonnance sur les réserves d'oiseaux d'eau et de migrateurs d'importance internationale et nationale du 21 janvier 1991
(OROEM - RS 922.32), comprenant une concentration d'oiseaux hivernants et des plates-formes de nidification pour la sterne pierregarin. Il contrevenait ainsi aux objectifs de la loi sur la protection générale des rives du lac, de l'OROEM et de la réglementation cantonale sur les réserves naturelles. De plus, cette implantation n'était pas conforme à la planification lacustre de 2014, celle-ci prévoyant de regrouper toutes les barges industrielles sur les sites du Vengeron et de la Belotte.

Après avoir réitéré ce préavis négatif le 6 juillet 2017, la DGAN a finalement délivré un préavis favorable sous condition le 13 juillet 2017. Le projet visait à mettre en conformité l'implantation de trois corps-morts pour barges industrielles. Ceux-ci étaient situés à cet emplacement depuis de très nombreuses années. Compte tenu du projet de regroupement des barges industrielles sur les sites du Vengeron et de la Belotte, l'emplacement actuel ne pouvait être pérenne compte tenu de sa situation au sein d'une réserve fédérale pour oiseaux d'eau. Implenia devrait assurer le déplacement des corps-morts et des barges immédiatement dès que l'un ou l'autre des deux sites précités le permettrait.

4) Par décision DD 110'028 du 25 juillet 2018, le département a délivré l'autorisation requise.

Le même jour, la direction générale de l'eau, devenue depuis l'office cantonal de l'eau (ci-après : OCEau) a délivré à Implenia une autorisation spéciale LCR 17-965 en vertu de la loi fédérale sur la pêche.

5) a. Monsieur et Madame Francis et Magali WAHL (ci-après : les époux WAHL), propriétaires de la parcelle 871 de la commune de Cologny, ainsi que l'Ermitage de la Boucle SA (ci-après : l'Ermitage), propriétaire des parcelles nos 5'708 et 5'811 de la commune de Collonge-Bellerive, ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) à l'encontre de la décision DD 110'028, en concluant à son annulation. Leur recours a été enregistré sous numéro de procédure A/3130/2018.

b. Pro Natura Genève (ci-après : Pro Natura) a recouru auprès du TAPI contre la décision DD 110'028 ainsi que contre l'autorisation spéciale LCR 17-965 du 25 juillet 2018, concluant à leur annulation conjointe. Son recours a été enregistré sous numéro de procédure A/3168/2018.

6) Par jugement du 2 juillet 2019, le TAPI a joint les procédures A/3130/2018 et A/3168/2018 sous la première référence.

Il a déclaré irrecevable le recours interjeté conjointement par les époux WAHL et par l'Ermitage, admis le recours interjeté par Pro Natura, annulé la décision DD 110'028 du 25 juillet 2018 et l'autorisation spéciale LCR 17-965 du 25 juillet 2018 et renvoyé le dossier au DT afin qu'il complète son instruction au sens des considérants.

L'ensemble des griefs des époux WAHL et de l'Ermitage étaient irrecevables et la qualité pour recourir des précités devait leur être déniée.

En principe, les installations litigieuses devaient trouver place en dehors de la zone II de protection OROEM, comme la DGAN avait d'ailleurs persisté à l'indiquer. Seul le fait qu'une solution d'amarrage différente pourrait être trouvée à terme au port du Vengeron permettait, selon la DGAN, d'accepter provisoirement la présence des barges à leur emplacement actuel. Il n'était pas exclu, en application du principe de la proportionnalité, de se fonder de manière pragmatique d'une part sur le fait qu'aucun dommage avéré n'avait été jusqu'ici causé par les barges durant de longues années, bien qu'un risque d'accident subsiste toujours, et d'autre part sur le fait qu'elles seraient déplacées d'ici quelques années. Toutefois, pour que le raisonnement tenu sur cette base par le département et par Implenia soit pleinement valide, il faudrait qu'ils aient démontré, ou du moins rendu suffisamment vraisemblable, que le déplacement des barges à quelques dizaines de mètres en aval, toujours sur la même parcelle, ne permettrait plus de leur assurer la protection dont elles bénéficiaient actuellement ou que ce déplacement engendrerait des contraintes ou des coûts disproportionnés. Il était nécessaire de pouvoir procéder à une pesée soigneuse des intérêts en présence découlant de l'art. 73 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) selon lequel la Confédération et les cantons oeuvrent à l'établissement d'un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l'être humain.

7) Par acte du 9 septembre 2019, Implenia a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Elle a conclu à son annulation.

La décision était finale. En tous les cas, la décision de renvoi lui causait un dommage irréparable puisqu'elle la plaçait dans une situation irrégulière car démunie de l'autorisation de construire requise pour régulariser sa situation. Par ailleurs, le TAPI avait tranché la question de la validité de l'autorisation. La décision ne laissait plus aucune marge de manoeuvre au DT.

Le dossier d'autorisation de construire était complet. Le TAPI aurait dû confirmer l'autorisation querellée. La question de déplacer les installations litigieuses sur quelques dizaines de mètres était une question d'opportunité dont le contrôle lui échappait. L'annulation de l'autorisation de construire sans une solution de repli l'obligerait à démonter les installations, ce qui serait coûteux, risqué et compliqué, eu égard au fait que le déplacement des bateaux à un emplacement définitif au Port du Vengeron dans les cinq années à venir était d'ores et déjà programmé.

8) Le DT se rapportait à justice quant à la recevabilité du recours. Pour le surplus, il concluait à son admission. Il avait consulté l'ensemble des instances pertinentes. Il ne saurait lui être reproché un défaut d'instruction. Les installations litigieuses seraient déplacées sitôt le Port du Vengeron achevé. Contrairement à ce qu'avait retenu le TAPI, le département n'avait aucunement à examiner si un emplacement en dehors de la zone II OROEM aurait été pertinent.

9) Pro Natura a conclu à l'irrecevabilité du recours. La décision était incidente et Implenia ne subissait aucun préjudice irréparable à la suite du jugement querellé. Si, certes, les embarcations industrielles étaient amarrées depuis au moins 1975 à l'abri des intempéries sur le site de la Belote, à plusieurs centaines de mètres en aval de la Pointe-à-la-Bise, il ne s'agissait pas du seul site qui permettait à l'heure actuelle de mettre des barges industrielles à l'abri des intempéries. Elle développait pour le surplus ses arguments au fond.

10) Les époux WAHL ainsi que l'Ermitage ont relevé que c'était à tort que le TAPI leur avait dénié la qualité de partie. La légitimation pour agir devait leur être reconnue. Ils développaient des arguments au fond.

11) Dans sa réplique, Implenia a persisté à considérer le jugement du TAPI comme une décision finale. Elle sollicitait l'audition de témoins afin d'établir que le site de la Pointe-à-la-Bise était le seul en mesure d'abriter ses plateformes et, partant, que l'annulation de l'autorisation de construire litigieuse l'obligerait à les démonter d'une part, et peut-être à suspendre ses activités faute d'emplacement alternatif d'autre part. Les mesures d'instruction étaient d'autant plus justifiées qu'elles permettraient de combler la prétendue lacune d'instruction du département. La décision était finale dès lors que l'autorité ne disposait plus d'une liberté d'appréciation notable puisqu'il lui revenait d'autoriser un autre projet que celui pour lequel Implenia avait requis une autorisation. Or, il n'existait aucune autre solution de repli pour ses barges. Elle développait pour le surplus ses arguments au fond.

12) Une audience d'enquêtes, fixée au 16 mars 2020 par le juge précédemment délégué, annulée en raison de la pandémie, s'est tenue le 14 septembre 2020.

Messieurs Bertrand VON ARX, directeur du service de la biodiversité de l'OCAN, Olivier KAUFFMANN, garde-port cantonal, Cédric POCHELON, ingénieur en environnement et président du groupe ornithologique du bassin genevois, et Frank PIDOUX, chef du secteur de la renaturation des cours d'eau et responsable du projet du Port du Vengeron, ont été entendus en qualité de témoins.

Le contenu de leurs déclarations sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

13) Les parties ont eu l'occasion de faire des observations après enquêtes. Elles ont persisté dans leurs conclusions.

a. Implenia a relevé qu'il n'existait aucune urgence particulière à déplacer les barges litigieuses, pour lesquelles aucun emplacement alternatif n'existait actuellement. Elle persistait dans sa demande d'audition de Monsieur Alain BERRUT, responsable dans l'entreprise de la section travaux hydrauliques. Elle sollicitait qu'un rapport soit rendu par l'entreprise Hydrique Ingénieurs ou tout autre expert quant à l'existence d'un site alternatif à l'emplacement de la Pointe-à-la-Bise ainsi que la possibilité d'un déplacement des barges.

b. Le DT a persisté dans ses conclusions. Si la chambre de céans devait considérer que le préavis de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) manquait, il ne se justifierait pas de rejeter le recours, une telle pièce pouvant être requise en cours de procédure sans que l'affaire soit renvoyée pour compléter l'instruction.

c. Pro Natura a persisté dans ses conclusions à l'instar de M. WAHL et l'Ermitage.

d. Pour le surplus, les arguments des parties seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

14) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous cet aspect (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) Le jugement attaqué constitue une décision de renvoi de la cause à l'autorité intimée pour reprise de l'instruction et nouvelle décision sur la base d'un dossier complet.

a. Le délai de recours est de trente jours s'il s'agit d'une décision finale ou d'une décision en matière de compétence (let. a) et dix jours s'il s'agit d'une autre décision (let. b ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). Les délais en jours fixés par la loi ou par l'autorité ne courent pas du 15 juillet au 15 août inclusivement (art. 63 al. 1 let. b LPA).

Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours (art. 46 al. 1 1ère phr. LPA).

b. Constitue une décision finale au sens de l'art. 90 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) celle qui met un point final à la procédure, qu'il s'agisse d'une décision sur le fond ou d'une décision qui clôt l'affaire en raison d'un motif tiré des règles de la procédure (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, n. 2.2.4.2) ; est en revanche une décision incidente (art. 4 al. 2 LPA) celle qui est prise pendant le cours de la procédure et qui ne représente qu'une étape vers la décision finale (ATA/1439/2017 du 31 octobre 2017 consid. 1b).

Le prononcé par lequel une autorité renvoie la cause à l'autorité inférieure pour qu'elle rende une nouvelle décision constitue en principe une décision incidente (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., n. 2.2.4.2). Il s'agit en effet d'une simple étape avant la décision finale qui doit mettre un terme à la procédure. Une décision de renvoi revêt en revanche le caractère d'une décision finale lorsque le renvoi a lieu uniquement en vue de son exécution par l'autorité inférieure sans que celle-ci ne dispose encore d'une liberté d'appréciation notable (ATF 135 V 141 consid. 1 ; 134 II 137 consid. 1.3.1 ; 134 II 124 consid. 1.3 ; 133 V 645 consid. 1 ; 133 V 477 consid. 5.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_868/2013 du 20 décembre 2013 consid. 2 ; ATA/1439/2017 précité consid. 1b ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2ème éd., 2015, p. 361 s. ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 831).

Les développements ci-dessus sont également applicables aux notions de décision finale et de décision incidente au sens de la LPA (ATA/1439/2017 précité consid. 1b).

c. En l'espèce, la recourante soutient que le jugement litigieux devrait être qualifié de décision finale tandis que Pro Natura soutient qu'il s'agirait d'une décision incidente.

Par le jugement attaqué, le TAPI a annulé l'autorisation de construire litigieuse et a renvoyé le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle complète l'instruction et rende une nouvelle décision sur la base d'un dossier complété. Il ressort des considérants dudit jugement que l'instance précédente a notamment considéré que la question de savoir s'il était possible de déplacer les trois barges en dehors de la zone II n'avait pas été instruite. Or, il était nécessaire de pouvoir procéder à une pesée soigneuse des intérêts en présence. En l'absence d'un renseignement essentiel pour juger de la proportionnalité de l'autorisation à accorder, le département n'avait pas pu faire un usage correct de son pouvoir d'appréciation. L'instruction devait en conséquence être reprise. Ce jugement de renvoi à l'autorité intimée laisse donc une marge d'appréciation à celle-ci, qui garde plein pouvoir pour déterminer si les conditions de délivrance de l'autorisation de construire sont réalisées ou non une fois l'instruction ordonnée par le TAPI effectuée, en fonction des résultats de ladite instruction. Selon le jugement querellé, celle-ci devra permettre à tout le moins d'établir la protection dont bénéficient actuellement les barges, celle dont elles pourraient bénéficier plus en aval et les contraintes, y compris les coûts, qu'un déplacement engendreraient.

Le jugement litigieux doit par conséquent être qualifié de décision incidente, contre laquelle le délai de recours était donc de dix jours (arrêt du Tribunal fédéral 1C_336/2020 du 22 juin 2020 ; ATA/804/2020 du 25 août 2020 ; Revue du droit de la construction et des marchés publics 5/2020, p. 277, nos 376 à 382).

Le jugement attaqué a été expédié pour notification le 5 juillet 2019 et le recours formé le 9 septembre 2019, de sorte qu'il a été interjeté après l'échéance du délai de recours de dix jours.

3) a. Si la décision litigieuse indique, par erreur, un délai supérieur au délai légal, le recours peut être formé jusqu'à l'expiration du délai indiqué (art. 62 al. 2 LPA).

b. En l'espèce, le jugement attaqué indiquait que le délai de recours était de trente jours et comportait ainsi une indication erronée.

La recourante ayant agi dans le délai de trente jours, le recours doit être considéré comme recevable sous l'angle du délai également.

4) a. Les décisions incidentes ne sont susceptibles de recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

b. L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b LTF. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que la recourante ou le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable à la recourante ou au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable
(ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 3a ; ATA/1832/2019 du 17 décembre 2019 consid. 4 ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 659 ss ad art. 57 LPA ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II, p. 458 ss).

Lorsqu'il n'est pas évident que la recourante ou le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi elle ou il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4).

c. La seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA suppose cumulativement que l'instance saisie puisse mettre fin une fois pour toutes à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente et que la décision finale immédiate qui pourrait ainsi être rendue permette d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 consid. 2.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_413/2018 du 26 septembre 2018 consid. 3 ; ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 4).

d. En l'espèce, le TAPI a renvoyé le dossier au DT pour un complément d'instruction avant décision. Contrairement à ce que soutient la recourante, le TAPI n'a pas tranché de la « validité de l'autorisation ». Il a considéré ne pas être en possession de tous les éléments nécessaires pour pouvoir trancher le litige. Une issue de la procédure totalement favorable à la recourante reste dès lors possible, celle-ci concluant à la confirmation de l'autorisation querellée, quand bien même elle continue à contester la nécessité du dépôt d'une demande en autorisation de construire. Pour le surplus, c'est à tort que la recourante considère que le renvoi du dossier pour complément d'instruction la mettrait dans l'illégalité, dès lors qu'elle s'est conformée aux injonctions du département et qu'elle a déposé ladite requête. Le complément d'instruction sollicité par le TAPI n'implique ni la démolition ni le déplacement immédiat des barges. Le renvoi n'implique pas non plus l'impossibilité pour le TAPI de confirmer ultérieurement, une fois l'instruction menée, la décision d'autorisation querellée. Dans ces conditions, il n'existe pas de préjudice irréparable.

De même, en l'absence d'éléments pertinents pour trancher le litige, l'admission du recours ne pourrait conduire immédiatement à une décision finale qui permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Au vu de ce qui précède, aucune des deux conditions alternatives de recours contre une décision incidente n'est réalisée, de sorte que le recours d'Implenia sera déclaré irrecevable.

5) Dans son jugement le TAPI a joint deux causes et a déclaré irrecevable le recours interjeté conjointement par les époux WAHL et par l'Ermitage.

Les précités n'ont pas recouru contre cette décision.

Se pose la question du bien-fondé de leur participation aux débats devant la chambre de céans.

a. Les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée sont titulaires de la qualité pour recourir (art. 60 al. 1 let. a et b LPA).

b. Lorsque le recours est porté devant une juridiction de seconde instance, toutes les parties à la procédure de première instance sont invitées à se prononcer sur le recours (art. 73 al. 2 LPA).

c. La LPA ne prévoit pas la possibilité de former un recours joint (ATA/455/2018 du 8 mai 2018 consid. 2 et les références citées).

d. Dans un arrêt récent dans lequel le Tribunal fédéral a nié la qualité de partie à la procédure devant la chambre de céans et donc la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral d'un architecte, uniquement mandataire des propriétaires (arrêt du Tribunal fédéral 1C_61/2019 précité), il a relevé que le seul fait d'avoir été interpellé pour déposer des observations par l'autorité précédente n'« impliqu[ait] » pas l'architecte. Le recourant ne pouvait non plus tirer de sa participation à la procédure de première instance une qualité de partie devant l'autorité précédente conformément à l'art. 73 LPA, le TAPI l'ayant manifestement confondu avec les propriétaires lesquels n'apparaissaient pas en qualité d'intimés.

e. En l'espèce, les époux WAHL et l'Ermitage n'ont pas recouru, en application de l'art. 60 al. 1 let. a LPA, devant la chambre de céans dans le délai de trente jours contre le prononcé d'irrecevabilité de leur propre recours devant le TAPI.

Leurs conclusions devant la chambre de céans en reconnaissance de leur qualité de partie ne sont pas recevables, en l'absence de possibilité de déposer un recours joint.

Sans la jonction des deux causes (art. 70 LPA) dans le dispositif du jugement du TAPI, ils n'auraient pas participé à la suite de la procédure A/3168/2018 devant la chambre de céans.

L'art. 73 al. 2 LPA ne modifie pas ce qui précède, les époux WAHL et l'Ermitage n'étant pas parties à la procédure A/3168/2018 en première instance.

C'est en conséquence à tort que les époux WAHL et l'Ermitage ont été invités à se prononcer sur le recours devant la chambre de céans, ont pu déposer des écritures et participer à l'audience alors même qu'ils admettaient, par l'absence de recours, ne pas avoir la qualité de partie au sens de l'art. 7 LPA, conformément à ce qu'avait retenu le TAPI.

Vu l'irrecevabilité du présent recours, cette informalité est sans conséquence, sous la réserve qui suit.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à Pro Natura, à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA). Il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure aux époux WAHL et l'Ermitage au vu de leur absence de qualité de parties.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 9 septembre 2019 par Implenia Suisse SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 juillet 2019 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge d'Implenia Suisse SA ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Pro Natura Genève, à la charge d'Implenia Suisse SA ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Marc Siegrist, avocat de la recourante, à Me Alain Maunoir, avocat de Pro Natura Genève, à Me Olivier Wehrli, avocat de Mme et M. WAHL et de l'Ermitage de la Boucle SA, au département du territoire - OAC, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :