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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/403/2022

ATA/1133/2022 du 08.11.2022 sur DITAI/335/2022 ( LCI ) , REJETE

Recours TF déposé le 23.12.2022, rendu le 12.06.2023, REJETE
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/403/2022-LCI ATA/1133/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 novembre 2022

3ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OCEAU - CAPITAINERIE CANTONALE

et

B______

représentée par Me Jean-Marc Siegrist, avocat

_________

Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 14 juillet 2022 (DITAI/335/2022)



EN FAIT

1) Monsieur A______ est propriétaire des parcelles nos 6'599 et 9'845 de la commune de C______ (ci-après : la commune). La seconde, qui abrite une maison, est située à proximité immédiate du bord du lac Léman.

2) Le 27 avril 2021, M. A______ a indiqué au département du territoire (ci-après : le département) qu'il avait constaté depuis quelques jours l'installation progressive de « toute une série de bouées, corps-morts et autres plates-formes de travaux, alors qu'aucune autorisation de construire n'a[vait] été octroyée dans ce but [ ] ».

Il invitait le département à prendre toutes mesures pour obtenir l'enlèvement de ces installations et au besoin à ouvrir une procédure administrative.

3) Le 21 mai 2021, le département, soit pour lui le service du lac, de la renaturation des cours d'eau et de la pêche (ci-après : OCEau), a répondu que les travaux en question consistaient en « la pose d'un anneau circulaire destiné principalement au compostage des plantes aquatiques fauchées par les services de l'État dans le cadre de l'entretien des ports et des couloirs de navigation ». Ce projet avait été soumis à une enquête publique DD 1______. L'installation avait été réalisée et complétée par un filet à la mi-avril 2021.

4) Le 29 juin 2021, M. A______ a répondu que la pose d'un anneau circulaire n'était pas en cause, au contraire de l'installation de trois grues devant sa propriété. Il mettait le département en demeure de procéder à leur enlèvement au plus tard le 10 juillet 2021.

5) Par courriel du 6 juillet 2021, la direction de l'inspectorat de la construction a informé M. A______ qu'elle avait interpellé la capitainerie cantonale afin d'avoir plus d'informations sur la situation.

6) Par courriel du 22 juillet 2021, le département a informé M. A______ qu'un garde-port de la capitainerie avait constaté sur place, le 14 juillet 2021, la présence d'une seule grue, au nom de la société B______ (ci-après : B______).

En ce qui concernait l'autorisation relative à l'installation des corps-morts et barges, M. A______ était invité à contacter le service juridique de l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC). Une procédure administrative était ouverte pour ce qui avait trait à l'occupation excédant l'usage commun des eaux publiques.

Par courriel du même jour, M. A______ a pris note de l'ouverture d'une procédure administrative. La direction de l'inspectorat de la construction était invitée à prendre sans délai les mesures idoines auprès d'B______, étant précisé que les autres grues étaient au nom de l'entreprise D______.

7) Par courriel du 4 août 2021, M. A______ a indiqué au département que quatre grues ou barges ou corps-morts étaient alors installés, ce qui était inacceptable. Un ultime délai au 11 août suivant lui était imparti pour enlever ces installations, au-delà duquel un déni de justice serait dénoncé.

8) Le 8 septembre 2021, M. A______ a informé le service juridique de l'OCEau de la situation. Les corps-morts et barges litigieux devaient être interdits avec effet immédiat.

Cause A/3398/2021

9) Par acte du 4 octobre 2021, M. A______ a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) d'un recours en concluant principalement à ce que le déni de justice commis par l'OAC soit constaté. Cela fait, il devait être ordonné à cet office, respectivement au département, de prononcer, dans les dix jours suivant la notification du jugement, une décision exécutoire nonobstant recours et assortie de la peine menace de l'art. 292 Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) imposant aux propriétaires et exploitants des barges et/ou corps-morts de procéder à leur enlèvement, ainsi que de toute autre installation qui y serait érigée.

Sur mesures provisionnelles, le TAPI devait en sus faire interdiction au département, jusqu'à droit jugé au fond et sous la peine menace de l'art. 292 CP, d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens.

B______ avait obtenu, le 25 juillet 2018, une autorisation de construire DD 2______ pour trois amarrages de forage provisoires, autorisation annulée en procédure judiciaire avec renvoi du dossier au département pour complément d'instruction. Ce dernier n’avait pas encore rendu de décision.

Depuis cinq mois, lui-même subissait une atteinte quotidienne à son droit de propriété, les installations litigieuses le privant de la jouissance d'une vue dégagée sur le lac. L'instruction du recours étant appelée à durer un certain temps, les mesures provisionnelles apparaissaient comme l'unique manière de sauvegarder ses intérêts. Une décision au fond ordonnant l'enlèvement des installations ne réparerait pas le préjudice qu'il aurait subi dans l'intervalle. La délivrance d'une autorisation définitive, après plus de quatre ans d'instruction, n'apparaissait nullement vraisemblable, la décision initiale ayant été annulée précisément en raison de l'emplacement des installations, et les préavis étant défavorables.

Le recours a été enregistré sous le numéro de cause A/3398/2021.

10) Par décision du 12 novembre 2021, le TAPI a admis partiellement la demande de mesures provisionnelles formée par M. A______. Il était fait interdiction au département, jusqu'à droit jugé au fond, d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens, à l'emplacement où se trouvaient immergés les corps-morts auxquels étaient amarrées les barges dont M. A______ s'était plaint dans ses courriers et courriels des 27 avril et 4 août 2021. La demande de mesures provisionnelles était pour le surplus sans objet, puisque les grues et autres installations dont l'enlèvement était requis avaient été déplacées, apparemment hors de vue de M. A______.

11) Par acte du 26 novembre 2021, B______ a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision du TAPI.

Elle avait déposé, le 24 novembre 2021, une requête au TAPI en précision ou modification de sa décision sur mesures provisionnelles, en ce sens qu'il ne lui serait pas interdit d'amarrer ses barges aux corps-morts identifiés par M. A______. Si elle ne pouvait plus le faire à E______, sans solution de repli, elle devrait mettre un terme à ses engagements contractuels et licencier des employés spécialisés de son département lacustre.

12) Par décision du 6 décembre 2021, le TAPI a ordonné l'appel en cause d'B______ dans le cadre de la cause A/3398/2021.

13) Le 13 décembre 2021, M. A______ a notamment indiqué au TAPI qu’alors qu'aucune barge n'avait été installée de façon ininterrompue les quinze jours précédents, une nouvelle barge avait soudainement été installée, ce qui démontrait la nécessité de la décision du TAPI du 12 novembre 2021.

14) Par arrêt ATA/378/2022 du 5 avril 2022, la chambre administrative a rayé la cause A/3398/2921 du rôle, le recours interjeté le 24 novembre 2021 par B______ contre la décision sur mesures provisionnelles du TAPI du 12 novembre 2021 étant devenu sans objet.

Causes A/422/2022 et A/403/2022

15) Par décision du 22 décembre 2021 adressée à M. A______ et à B______, l’OCEau a constaté que le premier ne disposait pas de la qualité de partie à la procédure (chiffre 1 du dispositif), a déclaré irrecevable la requête qu'il avait présentée à cette autorité le 8 septembre 2021, de retrait des installations litigieuses sur le lac Léman à l’aval de E______ (chiffre 2 du dispositif) et a interdit à B______ de déposer des engins de chantier, notamment des grues ou pelles à câble sur ses barges au mouillage dans le site de E______ (chiffre 3 du dispositif).

16) B______ a formé recours le 1er février 2022 par-devant le TAPI contre cette décision, concluant principalement à l'annulation du ch. 3 de son dispositif et à sa confirmation pour le surplus.

Ce recours a été enregistré sous la cause A/422/2022.

17) M. A______ a formé recours devant le TAPI le 2 février 2022 contre cette même décision, au terme duquel il a conclu à ce que la qualité de partie à la procédure lui soit reconnue, à ce qu’il soit interdit, sous menace de la peine prévue à l’art. 292 CP à toute personne l’utilisation de corps-morts ainsi que l’amarrage de toute barge ou autre bateau à ces corps-morts, ainsi qu’à la confirmation du ch. 3 de la décision du 22 décembre 2021.

Ce recours a été enregistré sous n° de cause A/403/2022.

18) B______ a adressé à l’OCEAU, le 23 février 2022, une demande de reconsidération de sa décision du 22 décembre 2021.

19) L’OCEAU a, sur ce, rendu une nouvelle décision le 25 avril 2022, annulant le chiffre 3 du dispositif de sa décision du 22 décembre 2021, et suspendant l'instruction de la procédure jusqu'à l'issue de la procédure A/403/2022.

20) Par décision du 27 juin 2022, le TAPI a ordonné la jonction de la cause A/1495/2022 à la cause A/403/2022, la première faisant suite au recours déposé le 6 mai 2022 par M. A______ contre la décision de l’OCEau du 25 avril 2022. M. A______ a conclu dans ce recours à l’annulation de ladite décision.

21) Par jugement du 27 juin 2022 rendu dans la cause A/422/2022, le TAPI a constaté que le recours interjeté le 1er février 2022 par B______ contre la décision du département du territoire du 22 décembre 2021 était devenu sans objet, vu la décision subséquente de l’OCEau du 25 avril 2022, a rayé la cause du rôle, a dit qu'il n'était pas perçu d'émolument, a ordonné la restitution à B______ de son avance de frais de CHF 900.- et a alloué, tant à B______ qu’à M. A______, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de l'État de Genève.

22) B______ a formé recours le 16 août 2022 devant la chambre administrative contre ce jugement dont elle a demandé l’annulation, ainsi que le renvoi de la cause au TAPI pour la poursuite de l’instruction (cause A/422/2022).

23) La chambre de céans a, par décision du 12 septembre 2022, après avoir recueilli les déterminations de parties sur ce point, ordonné la suspension de la cause A/422/2022 dans l’attente de l’issue de la présente procédure A/403/2022.

Les questions à trancher dans le cadre de ces deux procédures étaient celles de l’interdiction du dépôt des engins de chantier et autres d’B______ dans le lac Léman, secteur de E______. L’instruction de la cause A/422/2022 n’avait pas commencé devant la chambre administrative, alors que celle de la présente procédure A/403/2022 était plus avancée. Le prononcé d’un arrêt dans ladite cause aurait une incidence sur celui à venir dans la cause A/422/2022. Par économie de procédure, il convenait de suspendre la cause A/422/2022 dans l’attente de l’issue de la procédure A/403/2022 concernant la question des seules mesures provisionnelles, étant relevé que le TAPI restait saisi de la procédure sur le fond et qu’il n’existait a priori aucun obstacle dirimant à ce qu’il en poursuive l’instruction.

Cause A/403/2022

24) Dans la présente cause, le TAPI a, par décision du 14 juillet 2022, reçue le 18 juillet suivant par M. A______, rejeté sa demande de mesures provisionnelle du 29 juin 2022 tendant à ce que le TAPI déclare exécutoire, le chiffre 3 de la décision de l'OCEau du 22 décembre 2021, fasse interdiction à l'État de Genève et à B______, d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens, à l'emplacement où se trouvaient immergés les corps-morts auxquels étaient amarrées les barges dont M. A______ s'était plaint à l'autorité intimée dans ses courriers et courriels des 27 avril et 4 août 2021, ce jusqu'à droit jugé au fond et sous menace des peines prévues à l’art. 292 CP.

Le TAPI a retenu que les mesures provisionnelles prononcées le 12 novembre 2021 ne déployaient plus d'effet depuis que la procédure A/3398/2021 avait été rayée du rôle par jugement du 27 juin 2022.

La requête de mesures provisionnelles de M. A______ était recevable. La présente procédure n'avait pas uniquement pour objet de déterminer s’il avait la qualité de partie devant l'autorité intimée, mais également l'interdiction faite dans la décision de l’OCEau du 22 décembre 2021 de déposer des engins de chantier, notamment des grues ou pelles à câble sur ses barges au mouillage dans le site de E______ (chiffre 3 du dispositif), puis la levée de cette interdiction (chiffre 1 du dispositif de la décision du 25 avril 2022). Le jugement à venir sur le fond analyserait l'ensemble de ces questions, de sorte qu'il n'était pas exclu a priori que M. A______ se voie reconnaître la qualité de partie et qu'il obtienne gain de cause sur la question de l'interdiction d'amarrage.

Tant B______ que le département soutenaient, sans être contredits, que les corps-morts immergés à proximité de E______ s’y trouvaient depuis plusieurs décennies, à tout le moins un certain nombre d'années, comme constaté dans le jugement JTAPI/663/2019 du 2 juillet 2019 ayant annulé une première autorisation délivrée à B______. Celle-ci en avait obtenu une nouvelle le 9 mars 2022, DD 2______, faisant l'objet de la procédure A/1167/2022 pendante devant le TAPI. Ainsi, tant le département qu’B______ avaient déféré aux décisions des tribunaux, sans toutefois parvenir jusqu'ici à créer une situation conforme au droit.

M. A______ avait acquis sa propriété alors que les corps-morts offraient déjà un point d'amarrage pour les barges et les engins situés sur ces dernières.

La pesée des intérêts qui devait permettre d'évaluer l'urgence qu'il y aurait à empêcher l'amarrage des barges aux corps-morts litigieux, ainsi qu'à empêcher que des engins y soient stationnés, ne saurait faire abstraction de l'ensemble de ces éléments temporels. Or, selon la jurisprudence fédérale, lorsqu'une situation était tolérée depuis des années par l'autorité, il n'y avait en principe pas lieu, sans motifs particuliers, par exemple un changement significatif de circonstances ou un danger imminent, d'exiger qu'il y soit mis fin du jour au lendemain.

En l'occurrence, le préjudice que subirait B______ s'il lui fallait démonter immédiatement ses barges, serait considérable, de même que pour l'État de Genève pour qui ces dernières – et les engins qui y étaient stationnés – représentaient le moyen de réaliser un certain nombre de chantiers lacustres d'utilité publique. Vu l'engorgement notoire des ports et les dimensions considérables des barges litigieuses, un amarrage portuaire apparaissait très peu plausible en l'état.

Face à ces éléments, l'intérêt privé de M. A______, certes légitime, consistant à ne pas se voir imposer une dégradation de la vue dont il jouissait sur le lac, par des installations qui s'y trouvaient de manière illégale, sous réserve de l'issue de la procédure A/1167/2022, devait céder le pas aux intérêts privé et public considérables contraires évoqués plus haut, avant même qu'il ne soit définitivement statué sur la nouvelle autorisation de construire, en l’absence de préjudice extrêmement grave. Les nuisances dont il avait fait état dans un courrier du 8 juillet 2022 n’avaient aucun lien avec la façon dont étaient exploitées les installations en cause et relevaient de problématiques de droit de voisinage exorbitantes au litige.

25) M. A______ a formé recours le 28 juillet 2022 auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation, à ce que le ch. 3 du dispositif de la décision de l’OCEau du 22 décembre 2021 soit déclaré exécutoire jusqu’à droit jugé sur le fond, et à ce qu’il soit fait interdiction au département et à B______, jusqu'à droit jugé au fond et sous la peine menace de l'art. 292 CP, d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur à l’emplacement des corps-morts immergés, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens. Il devait être dit que les mesures provisionnelles étaient exécutoires nonobstant recours.

Son voisinage lacustre devenait un port bruyant, inesthétique et ce sans aucune autorisation ou planification. En tant que voisin des installations litigeuses, il avait la qualité pour agir.

Même en cas d’admission de ses recours, soit le prononcé d’une décision qui lui serait entièrement favorable, les nuisances, soit le préjudice causé par la présence des barges durant toute la procédure ne serait pas « annulé ». Il avait donc un intérêt juridique pour agir contre la décision incidente du 14 juillet 2022.

L’art. 21 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) avait été violé. Le TAPI avait en réalité accordé, de manière contraire au droit, un effet anticipé à une autorisation de construire contestée. Cette approche était d’autant plus choquante que de nouvelles barges avaient été amarrées le 28 juillet 2022, en particulier les machines de l’État de Genève destinées à couper les algues dans le lac, et n’appartenant donc pas à B______. Ceci démontrait la volonté des autorités de s’octroyer un avantage spécial illicite. Il se trouvait face au cas étrange d’une autorité administrative cherchant à laisser B______ dans une situation illégale car elle mandatait cette entreprise pour réaliser des chantiers sur le lac, soit une situation qui relevait de l’abus de droit et ne saurait être protégée. Il s’agissait donc d’une politique du fait accompli imposée par B______, avec le concours de l’État Genève, en proie à un grave conflit d’intérêts. Le « fait du prince » ne devait plus être toléré.

Le TAPI n’avait, dans la pesée des intérêts en présence, nullement pris en compte l’intérêt public à l’application de la loi, ni celui à la protection de la nature, étant relevé que les barges étaient situées dans une zone protégée. Une situation conforme au droit consistait dans l’absence de barges. Ce n’était que si les corps-morts étaient autorisés, question à trancher dans une procédure parallèle, qu’une permission d’usage du domaine public lacustre pourrait être accordée.

26) B______ a conclu, le 31 août 2022, à l’irrecevabilité du recours et, au fond, à son rejet et la confirmation du jugement entrepris. Elle a requis l’allocation d’une indemnité de procédure.

La procédure A/403/2022 avait pour seul objet de déterminer si M. A______ avait la qualité de partie en relation avec l’usage accru des eaux publiques. La réponse était négative, comme retenu à juste titre par le département dans sa décision du 22 décembre 2021, s’agissant de riverains du domaine public ne disposant pas d’un droit à son maintien ou à son affectation, de même que de bordiers devant supporter les inconvénients dont l’usage du domaine public était la cause, sauf immissions excessives au sens du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Tel n’était pas le cas s’agissant de la présence d’engins de travaux lacustres dans le champ de vision de ce propriétaire. À défaut d’avoir la qualité de partie, M. A______ ne disposait pas d’un quelconque droit à l’obtention de mesures provisionnelles.

Il ne pouvait de plus pas se prévaloir d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 57 let. c LPA, soit en l’espèce extrêmement grave, comme qualifié à juste titre par le TAPI, ne serait-ce que parce qu’il avait acquis sa propriété en 2016, alors que les corps-morts offraient déjà un amarrage à ses barges et engins. Il n’avait de plus émis aucune plainte relative à leur présence pendant plus de cinq ans, ce qui démontrait que la condition de l’urgence, requise pour le prononcé de mesures provisionnelles, faisait défaut.

M. A______ confondait la politique du fait accompli avec la procédure de mise en conformité. Elle avait bénéficié d’une ancienne pratique du département ayant pris fin en 2011, lorsque la chambre administrative avait décidé que l’installation de corps-morts devait être soumise à autorisation de construire. Une telle autorisation, désormais délivrée par le département, confirmait ses chances sérieuses de faire reconnaître cette construction comme conforme au droit. Il en allait de même de la permission d’usage accru du domaine public à laquelle se référait expressément la convention signée avec le Conseil d’État et conformément à ce qui avait prévalu pendant les dernières décennies. L’État n’avait manifesté aucune intention d’y mettre fin, jusqu’à la construction du port du Vengeron.

Elle revenait sur les conséquences désastreuses pour son activité qu’impliquerait l’interdiction de déposer des engins de chantier sur les barges en question et l’intérêt public lié à la réalisation de chantiers lacustres. Il serait en conséquence totalement disproportionné de donner un poids prépondérant à l’intérêt somptuaire de M. A______ à jouir d’une vue dégagée sur le lac.

Les mesures provisionnelles sollicitées consacreraient une violation du principe de la bonne foi puisque B______ s’était strictement conformée aux exigences du département dans le cadre de la régularisation de ses barges, de même qu’aux décisions du département du 22 décembre 2021 et de la chambre administrative, qui avait déterminé dans son arrêt précité que le complément d’instruction sollicité n’impliquait ni la démolition ni le déplacement immédiat des barges. Ces décisions se lisaient clairement comme une assurance des autorités et juridictions en faveur du maintien du statu quo, le temps de l’instruction de la procédure en autorisation de construire.

27) Le département a conclu, le 9 septembre 2022, à l’irrecevabilité du recours.

Contrairement à ce que soutenait M. A______, l’autorité compétente avait entrepris depuis plus de 10 ans les démarches pour rendre conforme à l’évolution du droit la situation des sociétés de travaux lacustres ayant des barges au mouillage dans le lac Léman, dont faisait partie la création du futur port du Vengeron.

Le préjudice allégué par M. A______ se fondait non seulement sur une représentation subjective, qui n’était pas fidèle à la réalité, mais de plus ne constituait nullement un dommage de nature juridique. Alors que M. A______ avait acquis sa propriété en 2016, il semblait découvrir son environnement et vouloir que ce dernier corresponde à ses souhaits, sans tenir compte de l’occupation antérieure des eaux publiques, obéissant à des intérêts publics importants, notamment en matière de sécurité des voies navigables.

28) Dans sa brève réplique du 12 octobre 2022, M. A______ a relevé que ni B______ ni le département ne contestaient le caractère illicite des installations en place. La décision dont était recours accordait en réalité un « effet anticipé » à une autorisation de construire, à savoir un droit d’utilisation jusqu’à droit connu sur sa légalité, le contraire même du système prévu par la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

29) Les parties ont été informées, le 13 octobre 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) En l’espèce, le jugement du TAPI est une décision incidente, rejetant une demande de mesures provisionnelles, qui ne représente qu’une étape vers la décision finale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2017 du 13 mars 2017 consid. 1 ; ATA/613/2017 du 30 mai 2017).

Le délai de recours s’agissant d’une décision incidente est de dix jours (art.62 al. 1 let. b LPA).

Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) L’intimée soutient que le recours serait irrecevable, à défaut pour le recourant d’avoir la qualité de partie et partant de disposer d’un quelconque droit à l’obtention de mesures provisionnelles.

a. La chambre administrative examine d’office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (art. 1 al. 2, art. 6 al. 1 let. c et art. 11 al. 2 LPA ; ATA/774/2022 du 9 août 2022 consid. 1).

b. Ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision (art. 7 LPA).

La question de la qualité de partie du recourant à l’égard du département souffrira de demeurer indécise vu ce qui suit, étant relevé qu’elle doit être tranchée au fond par le TAPI, comme justement retenu au ch. 6 du jugement attaqué.

3) Selon les intimés, le recours serait encore irrecevable faute de préjudice irréparable tel qu’exigé par l’art. 57 let. c LPA.

a. Les décisions incidentes ne sont susceptibles de recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

b. L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que la recourante ou le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable à la recourante ou au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 3a ; ATA/1832/2019 du 17 décembre 2019 consid. 4 ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive. Selon ces auteurs, point n’est besoin que le dommage allégué soit à proprement parler « irréparable » ; il suffit qu’il soit d’un certain poids (Stéphane GRODECKI/ Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 659 ss ad art. 57 LPA ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II, p. 458 ss).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi elle ou il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4).

c. La seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA suppose cumulativement que l'instance saisie puisse mettre fin une fois pour toutes à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente et que la décision finale immédiate qui pourrait ainsi être rendue permette d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 consid. 2.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_413/2018 du 26 septembre 2018 consid. 3 ; ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 4).

d. L'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, de telles mesures ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4).

Selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/884/2016 du 10 octobre 2016 consid. 1).

Lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation qui varie selon la nature de l’affaire. La restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1 ; ATA/613/2014 du 31 juillet 2014 consid. 5).

4) En l’espèce, la procédure pendante devant le TAPI, à la suite de la jonction des recours déposés par M. A______ les 2 février 2022, contre la décision du département du 22 décembre 2021, et 6 mai 2022, contre celle sur reconsidération du 25 avril 2022, porte sur la reconnaissance de sa qualité de partie à la procédure et sur l’interdiction « à toute personne » d’utiliser des corps-morts ainsi que d’y amarrer toute barge ou autre bateau, respectivement sur l’annulation le 25 avril 2022 de l’interdiction faite à l’intimée, au terme du ch. 3 de la décision du département du 22 décembre 2021, de déposer des engins de chantier, notamment des grues ou pelles à câble sur ses barges. La conclusion de M. A______ visant à la confirmation « pour le surplus » du ch. 3 du dispositif de la décision du département du 22 décembre 2021 est irrecevable, puisque l’interdiction y contenue lui est favorable. Il ne dispose partant d’aucun intérêt juridique à l’attaquer et ne conclut logiquement ni à sa modification, ni à son annulation (art. 60 al. 1 let. b LPA). Cette partie du dispositif fait l’objet d’un recours d’B______, pendant dans la cause A/422/2022.

La perte de vue partielle et momentanée sur le lac Léman ne constitue pas un préjudice irréparable. Le recourant ne le démontre d’ailleurs pas.

Pour le surplus, son intérêt privé à ne pas avoir la vue, depuis sa maison, sur le lac Léman et le Jura partiellement obstruée par ces installations, certes disgracieuses, le temps que la cause soit jugée sur le fond, doit céder le pas à l’intérêt de l’État à pouvoir faire procéder aux travaux lacustres sans attendre l’issue de la procédure administrative.

Le recours sera ainsi déclaré irrecevable.

5) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de M. A______ (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à B______, qui y a conclu, à la charge de M. A______ (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 28 juillet 2022 par Monsieur A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 14 juillet 2022 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Monsieur A______ ;

alloue une indemnité de procédure CHF 1'500.- à B______ à la charge de Monsieur A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, à Me Jean-Marc Siegrist, avocat d'B______, ainsi qu'au département du territoire - OCEau - capitainerie cantonale.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Lauber, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Marmy

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :