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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/291/2024

ATA/574/2024 du 10.05.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/291/2024-PRISON ATA/574/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 mai 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ a été incarcéré, en exécution de peine, le 6 août 2023 à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) et depuis le 26 janvier 2024 dans l’établissement fermé de la Brenaz.

b. Il a été sanctionné le 18 décembre 2023 de cinq jours de suppression des promenades collectives pour refus d’obtempérer.

c. Le 19 janvier 2024, il a fait l’objet d’une sanction disciplinaire d’un jour de cellule forte pour trouble à l’ordre de l’établissement et confection d’objets prohibés. La peine a été immédiatement exécutée.

Selon le rapport d’incident, le détenu avait utilisé l’interphone plusieurs fois dans la journée. Il se plaignait de ne pas être pris en charge médicalement. Contacté par un agent de détention, un infirmier avait confirmé que le détenu faisait l’objet d’un suivi, que les mesures médicales nécessaires avaient été prises et qu’un entretien n’était pas nécessaire. Lorsque l’agent s’était rendu à la cellule pour fournir ces explications au détenu, celui-ci avait dit qu’il allait « foutre la merde ». L’agent avait alors remarqué trois bouteilles d’eau attachées au pied d’un tabouret, dans la cellule. À la demande du gardien, le détenu lui avait rendu les ficelles. Une fois la porte de la cellule fermée, le détenu avait donné des coups contre celle-ci et des bruits similaires à des lancers d’objets avaient été émis de la cellule. Une mise en cellule forte avait été décidée. Deux grandes perches de papier, deux lames de rasoir séparées par du plastique et cinq sacs de plastique découpés en lamelles avaient été trouvés lors de la fouille de la cellule.

Selon un rapport complémentaire d’un autre agent ayant participé à ladite fouille, une multitude d’habits et de draps déchirés en lambeaux avaient aussi été découverts, à l’instar de nombreux médicaments déballés, cachés dans un paquet de cigarettes ainsi que d’emballages de médicaments vides et des lames de rasoirs enlevées de leur support. En s’agenouillant, l’agent s’était coupé avec une lame de rasoir posée sur le lit.

Entendu, le détenu avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Il n’avait pas d’antécédents de cellule forte durant les trois derniers mois.

B. a. Par acte du 24 janvier 2024, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée.

Il était en train d’appeler pour une urgence car il n’allait pas bien. Son chef avait « pété un plomb ». Il avait été placé un jour en cellule forte uniquement à cause de cet appel. Son chef « avait un problème avec lui ».

b. La prison a conclu au rejet du recours. Le sous-chef avait contacté l’infirmier qui lui avait confirmé que le détenu bénéficiait d’une prise en charge médicale et qu’une consultation n’était pas nécessaire. La fouille de la cellule avait permis de trouver des objets non autorisés, ce que les images de vidéosurveillance confirmaient.

c. A______ n’ayant pas souhaité répliquer, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

d. Les images de vidéosurveillance montrent la discussion de l’agent avec deux personnes dans le couloir, le retour de celui-là auprès de A______, un temps de discussion, l’arrivée d’autres agents à la suite de l’appel de l’agent, la sortie du détenu de la cellule et sa mise en cellule forte. Seules ces dernières images sont accompagnées de son. Aucune agressivité n’est apparente tout au long du processus, qu’il s’agisse de la part du détenu ou des agents.

EN DROIT

 

1.             Le recours a été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             2.1 Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un tel intérêt lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/1104/2018 du 16 octobre 2018 consid. 2).

2.2 En l’espèce, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée.

L'existence d'un intérêt pratique d'une personne contestant une sanction disciplinaire qui lui a été infligée doit être reconnue, en tout cas aussi longtemps que l'intéressé est détenu. En effet, lesdites sanctions peuvent être prises en compte en cas de nouveau problème disciplinaire ou pour l'octroi ou le refus d'une mise en liberté conditionnelle, ce qui justifie cet intérêt, indépendamment d'un transfert dans un autre canton (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ou dans un autre établissement (ATA/434/2021 du 20 avril 2021 consid. 1a ; ATA/1418/2019 consid. 2b du 24 septembre 2019).

Dans la mesure où le recourant a quitté la prison pour être transféré à la Brenaz, il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel et est en conséquence recevable (ATA/295/2023 du 23 mars 2023 ; ATA/1104/2018 précité).

3.             Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.1 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Aux termes de l’art. 45 RRIP, il est interdit aux détenus notamment de détenir d’autres objets que ceux qui leur sont remis (let. e) ou de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (let. h). En cas d’urgence, le détenu peut, de jour ou de nuit, appeler les membres du personnel pénitentiaire préposés à la surveillance, en utilisant l’appel placé dans chaque cellule. Tout abus de l’interphone est sanctionné (art. 57 RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte d’un à cinq jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

Le placement en cellule forte est la sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP (art. 47 al. 3 let. g RRIP).

3.2 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé ‑, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

3.3 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du septembre 2014 consid. 7b).

3.4 La chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 consid. 5 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018 consid. 6).

3.5 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une sanction de trois jours de cellule forte d’un détenu à la suite de la découverte d’un rasoir modifié en arme lors de la fouille complète d’une cellule (ATA/264/2017 du 7 mars 2017 (consid. 5). Ont également été jugées proportionnées des sanctions de cinq jours de cellule forte pour la détention d’un téléphone portable pour un détenu qui avait des antécédents disciplinaires (ATA/183/2013 du 19 mars 2013) et des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b).

3.6 En l’espèce, la sanction a été décidée et signée par un gardien-chef, conformément à l’art. 47 al. 7 et 8 RRIP. Elle a en conséquence été prise par l'autorité compétente.

Le recourant ne conteste pas que des objets non autorisés, notamment des lames de rasoir, aient été retrouvés dans sa cellule.

Il invoque une animosité de l’agent à son égard et un « pétage de plombs » de celui‑ci. Le gardien conteste cette version. Le détenu n’invoque toutefois aucun élément qui permettrait de s’écarter des constatations faites par l’agent. L’animosité du gardien à son encontre n’est qu’alléguée et n’est étayée par aucun fait pertinent. Conformément à la jurisprudence précitée, une force probante plus importante doit en conséquence être accordée à la version du personnel pénitentiaire, qui a prêté serment. L’intéressé a par ailleurs reconnu les faits lors de son audition. Ce n’est qu’ultérieurement qu’il a critiqué l’attitude du personnel pénitentiaire. En détenant des objets non autorisés et dangereux dans sa cellule, le recourant a enfreint les dispositions du RRIP (art. 45 let. e RRIP) et troublé l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

Le principe d'une sanction est donc fondé.

3.7 Reste à examiner si le choix de l’autorité intimée d’un jour de cellule forte est proportionné.

Le placement en cellule forte, sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP, peut être prononcée pour dix jours au plus (art. 47 al. 3 let. g RRIP). En l'occurrence, la durée de la mise en cellule forte a été minimale, se limitant à un seul jour.

La détention d’objets prohibés, singulièrement de lames de rasoir, constitue une violation grave du RRIP dans la mesure où de tels objets sont dangereux. Un membre du personnel a d’ailleurs été blessé. Aussi, tant le choix de la sanction que sa quotité étaient aptes, nécessaires et proportionnés au sens étroit pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement et s'avèrent conformes au droit, voire même cléments s’agissant de la durée de la sanction au vu de la gravité des faits.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 janvier 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 19 janvier 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MARINHEIRO

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :