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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1452/2019

ATA/1418/2019 du 24.09.2019 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1452/2019-PRISON ATA/1418/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 septembre 2019

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ LA BRENAZ

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été condamné, dans le canton de Vaud, à une peine privative de liberté de quatre ans par jugement du 23 août 2017.

Alors qu'il exécutait cette sanction aux établissements de la Plaine de l'Orbe (ci-après : EPO), un incident l'a opposé à un codétenu, à qui l'intéressé avait donné un coup et au vu des menaces de représailles, le directeur des EPO a décidé de le transférer à l'établissement de La Brenaz (ci-après : La Brenaz) à Genève le 8 août 2018.

2) Le 8 mars 2019, un incident a opposé M. A______ à des gardiens, dans l'atelier de poterie.

Selon le rapport dressé par un agent de détention, lorsqu'il avait été demandé à M. A______ de trouver une idée de modelage, ce dernier s'était plaint de ne pas avoir de matières premières pour travailler, car il désirait recevoir de la nouvelle terre. Il avait refusé d'utiliser, comme les autres détenus, de la terre recyclée et avait dit au surveillant « bon je vais faire une peinture, mais ne me fais pas chier ».

Le surveillant a demandé de répéter la phrase et le détenu avait répondu « ne me parle pas et ne me fais pas chier ». Il était très tendu et énervé, avait pris un bol qu'il avait cassé et s'était assis sur son poste de travail. L'auteur du rapport avait alors indiqué au détenu qu'il allait être remonté dans sa cellule, et lui avait demandé de changer ses chaussures et de ranger sa place de travail, ce qu'il n'avait pas fait. Au vu de l'excitation de M. A______, le surveillant avait demandé du renfort. À l'arrivée de ses collègues, le détenu a à nouveau refusé d'enlever ses chaussures de sécurité, puis avait refusé d'obéir aux ordres du sous-chef qui était arrivé entre-temps. Celui-ci avait alors déclenché l'alarme et au moment où les surveillants s'étaient approchés du détenu, ce dernier s'était levé et s'était approché des gardiens, sans saisir d'objet. Il avait été alors maîtrisé par la contrainte et ramené en cellule. Un surveillant avait été blessé lors de cette altercation et avait dû être conduit à l'hôpital.

Une plainte pénale a été déposée par La Brenaz contre lui, la procédure pénale étant en cours à ce jour.

De plus, une sanction de dix jours de cellule forte, avec suppression de toutes les activités, sauf la promenade quotidienne d'une heure, lui a été notifiée. Il lui était reproché d'avoir exercé une violence physique ou verbale à l'égard du personnel, d'avoir adopté un comportement contraire au but de l'établissement et d'avoir troublé l'ordre et la tranquillité du bâtiment.

3) Le 5 avril 2019, M. A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d'un recours contre la décision précitée. Il demandait à ce que les vidéos des faits soient conservées et à ce que des détenus soient entendus en qualité de témoin.

Il n'avait pas exercé de violences physiques ou verbales mais avait seulement refusé de faire un travail irréalisable, au vu de la qualité de la terre qui lui était donnée.

Lorsque des renforts étaient arrivés, il avait ouvert le dialogue en soulignant le caractère injuste et arbitraire de la situation. Lorsque les surveillants avaient fait usage de la force, lui-même s'était démené, sans porter de coups et il avait exprimé des propos moqueurs à l'usage d'un des surveillants. Il avait mimé un crachat, sans toutefois cracher.

Lorsqu'il avait été entendu, la sanction était déjà établie et signée et ses propos n'avaient pas été pris en compte.

4) Le 10 mai 2019, La Brenaz a conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.

M. A______ avait été transféré aux EPO le 18 mars 2019 et n'avait dès lors plus d'intérêt au recours.

Au fond, La Brenaz concluait au rejet du recours et produisait des images de vidéosurveillance, lesquelles seront reprises dans la partie en droit en tant que de besoin.

5) M. A______ n'ayant pas utilisé le délai qui lui a été accordé pour exercer son droit à la réplique, la cause a été gardée à juger.

6) Interpellé par la chambre administrative, l'office cantonal de la détention (ci-après : OCD) a précisé, le 13 septembre 2019, que les sanctions disciplinaires infligées par un établissement de détention étaient transmises systématiquement à l'office d'exécution des peines du canton responsable du détenu. Ces sanctions pouvaient être prises en compte lorsque les autorités pénales devaient statuer sur la question de la liberté conditionnelle.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. À teneur de l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/577/2014 du 29 juillet 2014 consid. 5a ; ATA/790/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/281/2012 du 8 mai 2012 ; ATA/5/2009 du 13 janvier 2009 et les références citées).

b. En l'espèce, l'existence d'un intérêt pratique d'une personne contestant une sanction disciplinaire qui lui a été infligée doit être reconnue en tout cas aussi longtemps que l'intéressé est détenu, au vu des informations communiquées par l'OCD. En effet, lesdites sanctions peuvent être prises en compte pour l'octroi ou le refus d'une mise en liberté conditionnelle, ce qui justifie cet intérêt.

Le recours est dès lors aussi recevable sous cet angle.

3) Le recourant demande à ce que ses codétenus présents sur les lieux lors de l'incident soient entendus.

a. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision et de participer à l'administration des preuves (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2).

L'autorité peut toutefois mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 134 I 140 consid. 5.3).

b. En l'espèce, la chambre de céans a visionné les images de vidéosurveillance. Celles-ci lui ont permis d'avoir une connaissance précise du déroulement des faits pertinents. Il n'est ainsi pas nécessaire d'auditionner les codétenus présents lors de l'incident.

4) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n'ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l'auteur (ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

b. Les personnes détenues ont l'obligation de respecter les dispositions du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d'exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention (ci-après : OCD), ainsi que les ordres du directeur de l'établissement et du personnel pénitentiaire (art. 42 REPSD).

La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (art. 43 REPSD). Il est notamment interdit de troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (art. 44 let. i REPSD), et d'une façon générale, d'adopter un comportement contraire au but de l'établissement (art. 44 let. j REPSD).

c. Aux termes de l'art. 46 REPSD, si une personne détenue enfreint le REPSD ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (al. 1). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (al. 2).

Selon l'art. 46 al. 3 REPSD, le directeur de l'établissement et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer : un avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b) ; l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) ; les arrêts pour dix jours au plus (let. d). Le directeur de l'établissement peut déléguer la compétence de prononcer ces sanctions prévues à d'autres membres du personnel gradé de l'établissement. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service (art. 46 al. 7 REPSD).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/36/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

5) a. En l'espèce, les images de vidéosurveillance produites confirment la description figurant au rapport. On y voit, à 7h55, un surveillant demander quelque chose au recourant, et ce dernier répondre en pointant le surveillant en premier avec le doigt, puis avec un pinceau, avant d'aller à sa place de travail. Le surveillant prend un téléphone dans sa poche et semble passer un appel. L'intéressé manipule alors un bol en terre, qui se casse, sans que l'on puisse percevoir une intention de la part du recourant. On voit alors qu'il y a un échange verbal entre le détenu et le surveillant, et qu'un autre détenu semble approuver les propos du recourant, cela en montrant la terre qu'il manipule. Le recourant travaille ensuite en manipulant un pinceau et le bol cassé.

À 7h58, trois surveillants entrent dans l'atelier et celui qui était présent initialement s'approche du recourant en lui parlant et en faisant un geste vers la sortie. Ce dernier se lève et parle en gesticulant. Le gardien initialement présent va vers la porte et l'ouvre en faisant signe au recourant de venir. Deux autres détenus interviennent, semblant montrer un désaccord avec les surveillants. Le recourant se rassied et recommence à peindre. Un autre détenu se lève et semble appuyer la position du recourant. Assis, l'intéressé continue à peindre, à parler et à gesticuler.

À 8h02, le recourant se lève et s'approche du gardien initialement présent en agitant son pinceau devant lui. Il se rassied, et les quatre autres gardiens présents s'approchent du recourant. L'un d'eux le prend par la main, ce à quoi le recourant résiste en se levant. Les autres gardiens interviennent. L'un d'eux se fait pousser sur la place de travail par le recourant, lequel est retenu par un autre gardien qui lui tient la taille. Le recourant est alors couché à terre et entravé, pendant que le gardien qui était bousculé sur la table manifeste des signes de douleur, se retient et se couche par terre. À ce moment d'autres gardiens arrivent en renfort et le nombre d'intervenants ne permet plus de voir le recourant. On repère seulement que le surveillant blessé est pris en charge.

Par la suite, on voit encore que l'intéressé est entravé, alors qu'un infirmier vient s'occuper du blessé, lequel est évacué sur un fauteuil roulant.

À 8h24, le recourant quitte l'atelier, en marchant, avec des gardiens qui le tiennent.

Les images de la caméra placée dans le couloir permettent de voir le recourant, à sa sortie, faire un mouvement de la tête pouvant être celui que l'on fait en crachant.

b. Les images produites, bien qu'elles ne soient pas sonorisées, permettent d'admettre que les reproches faits à l'intéressé sont fondés. S'il est possible que, initialement, le recourant n'ait pas été satisfait des matériaux mis à sa disposition, son attitude subséquente, obligeant les surveillants à recourir à la force pour le faire partir, et sa résistance à ce moment-là, sont constitutifs des infractions disciplinaires retenues à son encontre, rappelées dans la partie en fait du présent arrêt.

6) S'agissant de sa quotité, la sanction infligée respecte le principe de la proportionnalité. L'attitude du recourant, en particulier son refus d'obéir et de se soumettre, ont entraîné un grand désordre manifeste dans l'établissement, un surveillant ayant même été blessé.

La prétendue cause de cette attitude, soit une éventuelle mauvaise qualité du matériel mis à disposition dans l'atelier poterie, ne peuvent en aucun cas justifier ces actes. De plus, les explications données par le détenu dans son recours, selon lesquelles il avait essayé de dialoguer, sont clairement contredites par les images de vidéosurveillance : son attitude agressive est antinomique à l'ouverture d'un dialogue.

7) Ainsi, la sanction prononcée, qui est fondée et respecte le principe de la proportionnalité, sera confirmée. Le recours est donc mal fondé et sera rejeté.

8) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 avril 2019 par Monsieur A______ contre la sanction de l'établissement de La Brenaz du 8 mars 2019 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à l'établissement fermé La Brenaz.

Siégeant : M. Thélin, président, Mme Krauskopf, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :