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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2736/2018

ATA/1104/2018 du 16.10.2018 ( PRISON ) , ADMIS

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; DÉTENU ; FAUTE
Normes : LPA.60.al1.letb; RRIP.42; RRIP.44; RRIP.45; RRIP.47; CP.19; CP.59
Résumé : Admission du recours d'un détenu souffrant d'un grave trouble mental contre la sanction de trois jours de placement en cellule forte pour avoir troublé l'ordre de la prison lors d'une altercation avec un codétenu. Le trouble mental du détenu réduisant fortement sa capacité à percevoir le caractère illicite de ses actes et restreignant grandement sa responsabilité, le directeur-adjoint de la prison devait s'entourer des connaissances d'un médecin-psychiatre pour déterminer si cette affection avait influé sur le comportement du recourant et la capacité de celui-ci à apprécier le caractère illicite de ses actes.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2736/2018-PRISON ATA/1104/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 octobre 2018

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Magali Buser, avocate

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1.             Par jugement du Tribunal correctionnel du 30 mai 2018, M. A______ a été condamné à une peine privative de liberté de neuf mois et une mesure de traitement institutionnel a été prononcée à son encontre, eu égard à sa schizophrénie, assimilable à un grave trouble mental de sévérité élevée.

2.             Les experts psychiatriques mis en œuvre par le Ministère public ont conclu, dans leur expertise du 11 janvier 2018, qu’au moment des faits, M. A______ présentait une « schizophrénie paranoïde, voire héboïdophrénique, de sévérité élevée ». Sa faculté de percevoir le caractère illicite de ses actes était fortement réduite, si bien que sa responsabilité était fortement restreinte.

3.             M. A______ a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : prison) le 30 juillet 2017 et y exécute une mesure thérapeutique institutionnelle depuis le 30 mai 2018.

4.             Selon le rapport d’un incident survenu le 16 juillet 2018 à 14h20 à la prison, un détenu de la cellule no ______ (ci-après : codétenu) s’est approché de M. A______ et lui a asséné un coup au visage, lors de la promenade quotidienne.

M. A______ a répliqué par des coups de poing. Une bagarre a éclaté entre ce dernier et son codétenu.

Les codétenus présents sur les lieux de la bagarre sont intervenus et ont séparé les deux protagonistes. Les agents de détention sont arrivés sur place une cinquantaine de secondes plus tard.

5.             Par décision du 16 juillet 2018 à 17h25 de la Direction de la prison, M. A______ et son codétenu ont été verbalement sanctionnés de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur des détenus. Cette sanction a débuté le 16 juillet 2018 à 14h20 et a pris fin le 19 juillet 2018 à 14h20. La décision a été notifiée à M. A______ le 16 juillet 2018 à 18h30. Ce dernier a refusé de signer cette décision.

6.             M. A______ a introduit un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre cette décision en date du 15 août 2018, concluant à son annulation. Il s’est réservé, en outre, le droit d’agir en indemnisation contre l’État de Genève par-devant le Tribunal civil de première instance.

Il était la victime de cet affrontement et contestait la sanction qui lui avait été infligée. Il n’avait commis aucune faute ou infraction pour mériter une telle sanction.

Le codétenu s’était avancé vers lui pour lui demander s’il faisait le « costaud ». Il lui avait alors demandé de le laisser tranquille et lui avait tourné le dos, mais le codétenu lui avait asséné un coup au visage avec un briquet, lui engendrant des lésions à la lèvre, aux gencives et aux dents. Il avait dû être soigné au service médical de la prison.

Il avait agi en état de légitime défense, en se contentant de répondre lorsqu’il avait été concrètement mis en danger. Il s’agissait de son droit le plus strict, son agresseur ayant poursuivi son attaque. Sa défense était proportionnée. Il n’avait pas atteint son agresseur et il n’avait d’autre option que de se défendre, puisque l’intervention de tiers tardait. Il ne pouvait ainsi pas être tenu responsable de violence physique exercée sur des détenus.

Son droit d’être entendu avait été violé. Il n’avait pas été entendu et n’avait pas pu s’exprimer sur sa version des faits, bien que la décision querellée indiquât que tel avait été le cas. Il n’avait pas voulu signer la décision rendue, preuve en était qu’il n’acceptait pas la sanction. L’intimée devait indiquer les raisons pour lesquelles elle entendait maintenir sa décision, dès lors que M. A______ la contestait. Elle ne l’avait pas fait.

Le placement de trois jours en cellule forte n’était pas proportionné. L’isolation n’était pas propre à atteindre le but visé, soit le maintien d’une attitude correcte envers les autres personnes incarcérées. Il n’avait en effet pas cherché la confrontation avec le détenu et s’était uniquement défendu, de sorte qu’il avait adopté une attitude correcte. Une mesure moins incisive, telle la suppression des promenades ou des activités sportives aurait pu être prononcée.

Dès lors qu’il avait séjourné trois jours en cellule forte de manière illicite, une indemnité pour tort moral devait lui être octroyée, à hauteur de CHF 600.-, soit CHF 200.- par jour passé en cellule forte. Les intérêts couraient dès le premier jour et demi passé en cellule forte.

7.             La direction de la prison a conclu au rejet du recours.

Les images de surveillance démontraient que M. A______ s’était, dans un premier temps, défendu, mais qu’il avait, par la suite, tenu un rôle actif dans la bagarre. Sa réaction n’avait pas uniquement été destinée à se protéger. Le rapport d’incident établi par un agent de détention assermenté ne laissait place à aucun doute quant aux faits qui s’étaient déroulés le 16 juillet 2018. Son comportement n’était pas digne de ce qu’on devait attendre d’une personne incarcérée.

Le droit d’être entendu de M. A______ n’avait pas été violé. Le directeur-adjoint de la prison avait informé oralement le recourant des faits qui lui étaient reprochés et ce dernier avait pu s’exprimer à ce sujet. La décision ne devait pas nécessairement retranscrire les propos de M. A______, qui n’avait pas souhaité faire de remarques écrites au moment de la notification de la sanction. Les motifs qui ont débouché sur la sanction de trois jours en cellule forte étaient exposés de manière suffisante. Il était par ailleurs fait mention du type de sanction et de sa quotité.

La sanction du recourant était justifiée par un intérêt public. Il était indispensable de sanctionner les violences physiques entre détenus, afin de maintenir les conditions d’intégrité dans le fonctionnement de l’établissement et de favoriser le bon ordre, la sécurité et la tranquillité.

La mesure prise pour garantir le respect des buts poursuivis par le droit disciplinaire était adéquate et nécessaire. Les violences physiques entre détenus étaient inadmissibles et ne pouvaient être tolérées. Le recourant, de même que le détenu impliqué dans l’altercation, avaient écopé de trois jours de cellule forte sur le maximum de dix jours prévus dans la sphère de compétence du directeur de la prison. Le principe de proportionnalité était ainsi respecté.

8.             Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Les images de surveillance confirmaient qu’il n’avait pas participé à la bagarre, mais qu’il s’était, au contraire, uniquement défendu. Le fait que les détenus présents sur les lieux de la bagarre aient retenu le détenu, mais pas M. A______, démontrait également que ce dernier ne faisait que se défendre et n’était pas vindicatif. Le rapport d’incident du 16 juillet 2018 ne faisait aucunement état de coups qu’il aurait portés au codétenu.

Il était choquant d’infliger une sanction identique à un agresseur et à une victime.

9.             Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 p. 208).

En l’espèce, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. Dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l’établissement à ce jour, il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (ATA/1135/2017 du 2 août 2017).

3. Le recourant conclut à ce que la chambre administrative lui réserve le droit d’agir en indemnisation contre l’État de Genève par-devant le Tribunal civil de première instance.

Or, la chambre de céans n’est pas compétente pour connaître des prétentions civiles que le recourant fait valoir en lien avec la détention subie qu’il estime injustifiée. Ces prétentions relèvent de la compétence du Tribunal civil de première instance, conformément à l'art. 7 al. 1 de la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40 ; ATA/731/2018 du 10 juillet 2018 consid. 3 ; ATA/1098/2015 du 13 octobre 2015 consid. 5).

La chambre de céans n’est donc pas habilitée à se prononcer sur la réserve des prétentions civiles du recourant.

4. Est litigieux le bien-fondé de la sanction de trois jours de cellule-forte.

a. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP (art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).

Ces dispositions concernant les sanctions disciplinaires s’appliquent à tous les détenus, aucune disposition ou procédure spéciale n’étant prévue par le RRIP pour les détenus exécutant une mesure thérapeutique institutionnelle, soit un traitement institutionnel ordonné par le juge parce que l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec un grave trouble mental (art. 59 al. 1 CP).

b. Sur un plan strictement médical, on admettra l’existence d’une irresponsabilité au sens de l’art. 19 al. 1 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0) en cas de psychose particulière, schizophrénie ou atteinte psychologique grave. Quant aux effets de l’irresponsabilité, on doit admettre que le délinquant déclaré irresponsable est inapte à toute faute. L’irresponsabilité déploie ainsi intégralement ses effets sur la culpabilité et la sanction (ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 3b ; Laurent MOREILLON, in Robert ROTH/Laurent MOREILLON, Commentaire romand du code pénal I, 2009, p. 204).

c. En l’espèce, l’expertise psychiatrique, réalisée en janvier 2018 dans le cadre de la procédure pénale, relève que le recourant souffre d’une « schizophrénie paranoïde, voire héboïdophrénique, de sévérité élevée ». Ce grave trouble mental réduit fortement sa capacité à percevoir le caractère illicite de ses actes, si bien que sa responsabilité est fortement restreinte.

Compte tenu du trouble de schizophrénie dont souffre le recourant, des doutes suffisamment importants devaient conduire le directeur-adjoint de la prison à s’entourer des connaissances médicales d’un psychiatre pour déterminer si cette affection avait influé sur le comportement du recourant et la capacité de celui-ci à apprécier le caractère illicite de ses actes. L’influence de l’atteinte psychiatrique du recourant sur sa responsabilité au sens de l’art. 19 CP devait par ailleurs être déterminée avant le prononcé de la sanction.

Aucun élément du dossier ne permet d’établir que tel a été le cas, de sorte que les doutes que soulève l’état de santé mentale du recourant ne peuvent être écartés. Il ne peut être retenu que le détenu ait été apte à la faute, lorsqu’il a commis les faits qui lui sont reprochés, ce qui ne pouvait être présumé.

Dès lors que rien ne démontre que des investigations sur la responsabilité disciplinaire du recourant aient été menées, la sanction prononcée à l’encontre du recourant n’était pas conforme au droit.

Le recours sera ainsi admis.

Dès lors que la sanction a été entièrement exécutée à ce jour, il n’est matériellement plus possible de l’annuler. La chambre de céans se limitera donc à en constater le caractère illicite (ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 5 et les références citées).

5. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée au recourant, qui obtient gain de cause (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 août 2018 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 16 juillet 2018 ;

au fond :

l’admet ;

constate le caractère illicite de cette sanction au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 800.-, à charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Magali Buser, avocate du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mme Junod, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :