Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2250/2017

ATA/1631/2017 du 19.12.2017 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2250/2017-PRISON ATA/1631/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 décembre 2017

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1975, de nationalité jamaïcaine, est entré en détention à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) le 17 mars 2015, et a été transféré en juillet 2017 à l'établissement de la Brenaz.

2) Il a occupé une place à l'atelier de buanderie de la prison du 14 août 2015 au 1er mai 2017.

3) À cette dernière date, lors de la sortie de l'atelier, un incident s'est produit. Selon le rapport établi le jour même du gardien B______ et adressé au directeur de la prison, lors du passage sous le magnétomètre, M. A______ dissimulait dans son training un pantalon, et il lui avait demandé de le lui donner pour pouvoir le contrôler. M. A______ avait alors lancé le pantalon sur la table de contrôle et avait dit au gardien précité : « dégage ! », puis, à un autre gardien qui le regardait : « fuck you, dégage ! ». Le gardien-chef adjoint avait alors décidé de la mise en cellule forte de M. A______.

4) Le même jour, soit le 1er mai 2017, M. A______ s'était vu signifier oralement à 15h15 par le gardien-chef une sanction de deux jours de cellule forte et de suppression de son travail à l'atelier. Il avait été entendu par le gardien-chef sur sa version des faits immédiatement auparavant, soit vers 15h10.

La décision de notification de punition, notifiée à M. A______ le 1er mai 2017 vers 18h30, était signée par le gardien-chef adjoint et par une personne signant « par ordre » pour le directeur.

5) Par acte du 8 mai 2017, posté le 19 mai 2017, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, sans prendre de conclusions formelles.

Il indiquait simplement être innocent de l'accusation et parler anglais.

6) Le 21 juin 2017, la prison a conclu au rejet du recours.

La décision avait été signée par le gardien-chef infrastructure et travaux, membre de la direction de la prison et, à ce titre, apte à se voir déléguer la compétence de signature du directeur conformément à l'ordre de service B 24 qui concrétisait l'art. 47 al. 7 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04).

Le rapport était établi par un agent assermenté et ne laissait planer aucun doute quant au fait que M. A______ avait refusé d'obtempérer à un ordre du personnel et avait insulté en anglais un gardien. Un tel comportement contrevenait au RRIP. La sanction répondait à un intérêt public et était proportionnée. S'agissant de la privation de travail, l'intéressé pouvait se réinscrire sur la liste d'attente ; la sanction était sur ce point en lien avec une infraction au règlement de l'atelier.

7) Le 6 juillet 2017, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. M. A______, assisté d'un interprète, a indiqué que l’incident avait eu lieu le 1er mai 2017, alors qu'il allait à la promenade. À cette époque, il travaillait tous les jours, mais ce jour-là il n’y avait pas de travail. Avant l’incident, un codétenu avec qui il entretenait des rapports amicaux lui avait dit qu’il voulait lui donner un pantalon en cadeau. Il n'en avait pas besoin, mais ne voulait pas refuser. En le voyant sortir de sa cellule pour se rendre à la promenade, l’ami en question lui avait donné le pantalon en lui disant « rasta champ ». Juste avant de descendre les escaliers, il avait subi le contrôle au magnétomètre. Quand il avait passé, il avait sorti le pantalon qu'il avait sous ses vêtements. Il ne l’avait pas jeté. Il avait beaucoup de respect pour les gardiens. Après, un des gardiens lui avait dit de se dépêcher. Il lui avait répondu qu’il n’y avait pas de problème, tout en lui demandant s’il ne pouvait pas lui redonner son pantalon quand il regagnerait sa cellule. Il y avait trois gardiens sur place, le troisième lui avait dit de ne pas parler comme cela à son collègue. Pourtant, il n'avait pas mal parlé, peut-être un peu haut, mais pas mal.

Il avait effectué la promenade. C’était une belle journée. Après la promenade, le chef des gardiens, à qui il n'avait pas eu beaucoup affaire jusque-là, lui avait dit qu'il avait insulté les gardiens lors du contrôle. Il lui avait simplement dit que non. Le gardien-chef l'avait ensuite emmené de force au cachot et lui avait dit de se déshabiller, ce à quoi il était réticent. De plus, il l'avait poussé, et il était choqué car il lui parlait plus mal que ne le faisaient les autres gardiens. Il avait ensuite effectué les deux jours de cellule forte.

Il travaillait à la buanderie depuis deux ans, et il n'avait jamais eu de sanction sous forme de jours de cellule forte avant cela. Depuis, il avait fait la demande de retrouver son travail cinq fois, mais ne retravaillait toujours pas.

b. Le gardien-chef de la prison a précisé que le passage sous le magnétomètre avait eu lieu lorsque les détenus passaient de l'unité, c'est-à-dire de leur cellule, à l'extérieur de la prison pour la promenade. Les trois gardiens présents avaient donné une version concordante des faits. De plus, comme mentionné dans le rapport, un visionnement des bandes de vidéosurveillance avait été effectué, et l'on voyait que le pantalon avait été jeté. Une autre représentante de la prison a ajouté que la réinscription à un nouveau travail prenait environ six mois pour être effective.

c. À l'issue de l'audience, un délai au 11 août 2017 a été fixé aux parties pour leurs observations finales, après quoi la cause serait gardée à juger.

8) Le 7 juillet 2017, la prison a écrit à la chambre administrative pour lui préciser que M. A______ pourrait bénéficier d'une libération conditionnelle à partir du 16 mars 2020.

9) Le 17 juillet 2017, la prison a indiqué que M. A______ avait à nouveau été sanctionné le 29 juin 2017 de trois jours de cellule forte, pour attitude incorrecte avec des tiers. Son comportement lui aurait normalement valu une suppression de travail, mais celui-ci ayant déjà été supprimé le 1er mai 2017, il n'était plus possible de prononcer une telle sanction.

10) M. A______ ne s'est quant à lui pas manifesté.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les sanctions ayant déjà été exécutées, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours (art. 60 let. b LPA).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_406/2016 du 26 mai 2016 consid. 3.2 ; ATA/610/2017 du 30 mai 2017 ; ATA/308/2016 du 12 avril 2016 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 734 n. 2084).

Concernant le placement d'un détenu en cellule forte, compte tenu de la brièveté de la sanction, lorsque le recourant est encore en détention au moment du prononcé de l'arrêt, la chambre administrative fait en principe abstraction de l'exigence de l'intérêt actuel, faute de quoi une telle mesure échapperait systématiquement à son contrôle (ATA/1448/2017 du 31 octobre 2017 consid. 1c ; ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 ; ATA/183/2013 du 19 mars 2013). Par ailleurs, en l'espèce, le recourant ne devrait pas être libéré avant 2020 et pourrait parfaitement être d'ici là transféré à nouveau à Champ-Dollon.

Dès lors, la chambre administrative renoncera à l'exigence de l'intérêt actuel pour statuer.

3) Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a) ; la suppression des promenades collectives (let. b) ;  suppression des activités sportives (let. c) ; la suppression d’achat pour quinze jours au plus (let. d) ; la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. e) ; la privation de travail (let. f) ; le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g), étant précisé que ces sanctions peuvent se cumuler (art. 47 al. 4 RRIP).

L'exécution de la sanction peut être prononcée avec sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 47 al. 5 RRIP). Le sursis à l'exécution peut être révoqué lorsque la personne détenue fait l'objet d'une nouvelle sanction durant le délai d'épreuve (art. 47 al. 6 RRIP).

Le directeur peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'al. 3 à d'autres membres du personnel gradé. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service (art. 47 al. 7 RRIP).

La prison a communiqué dans le cadre de la présente procédure l'ordre de service B 24, qui prévoit une telle délégation pour le placement en cellule forte de un à cinq jours en faveur du membre « consigné » de la direction, et pour la suppression de travail au gardien-chef adjoint.

Selon l'art. 5 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 (LOPP - F 1 50), chaque établissement se dote d’un conseil de direction adapté à sa taille, lequel assiste le directeur dans l’accomplissement de ses tâches. Tout gardien-chef est membre de droit de ce conseil.

La décision attaquée ayant été signée par le gardien-chef et le gardien-chef adjoint, elle a été prise par l'autorité compétente.

4) Le recourant se plaint matériellement d'une constatation inexacte des faits pertinents au sens de l'art. 61 al. 1 let. b LPA.

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/73/2017 du 31 janvier 2017 et les arrêts cités), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1410/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4 ; ATA/1218/2017 du 22 août 2017 ; ATA/499/2017 du 2 mai 2017).

5) En l'espèce, un rapport a été établi le jour même de l'incident, étant précisé que trois gardiens étaient présents, et que les bandes de vidéosurveillance ont été visionnées. Lors de l'audience de comparution personnelle, le gardien-chef a précisé que les trois gardiens présents avaient donné une version concordante des faits, et que sur les bandes de vidéosurveillance l'on voyait que le pantalon avait bien été jeté.

Aucun élément sérieux dans la version donnée par le recourant ne permet de douter de la véracité dudit rapport. En effet, si l'on s'en tient à la version du recourant, il n'y aurait eu aucun incident, si bien que l'on ne comprend pas pourquoi il aurait été interpellé puis amené en cellule forte à la fin de la promenade.

Le grief sera ainsi écarté.

6) Bien que le recourant ne se plaigne que d'un établissement inexact des faits, la chambre de céans est tenue d'appliquer le droit d'office. Il convient dès lors d'examiner si la sanction est conforme au principe de la proportionnalité.

Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222 et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 p. 482 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/295/2015 du 24 mars 2015 consid. 7 ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

7) En l’espèce, il est établi que le comportement adopté par le recourant justifie une sanction.

Le recourant n’avait fait l’objet d’aucun rapport d’incident ni d’aucune sanction avant celle du 1er mai 2017 depuis le début de sa détention le 17 mars 2015. Ses antécédents disciplinaires sont ainsi favorables.

Dans ces conditions, la sanction comprenant deux jours de cellule forte et la suppression du travail – même avec la possibilité de se réinscrire mentionnée uniquement dans les observations du directeur devant la chambre de céans et dont il lui sera donné acte – apparaît disproportionnée, sur le second de ces aspects, soit celui de la privation de travail, en l’absence d’incident antérieur ayant entraîné un placement en cellule forte ou d’un avertissement selon lequel il risquerait de perdre sa place de travail, voire d’une suspension temporaire de travail pour un temps limité, ou même, conformément à la nouvelle teneur de l’art. 47 al. 5 et 6 RRIP, une sanction de privation de travail avec sursis.

8) Le recours sera dès lors partiellement admis.

9) Vu la nature du litige, il ne sera pas prélevé d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) ni de débours, ces derniers, d'un montant de CHF 80.- relatifs aux frais d'interprète, étant laissés à la charge de l'État. Malgré l'issue du litige, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure, le recourant n'y ayant pas conclu et n'ayant pas exposé de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 mai 2017 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 1er mai 2017 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

constate que la privation de travail du 1er mai 2017 est illicite ;

confirme la décision du 1er mai 2017 pour le surplus ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

laisse les autres frais à la charge de l'État ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Krauskopf et Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :