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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3321/2018

ATA/1242/2018 du 20.11.2018 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; QUALITÉ POUR RECOURIR ; INTÉRÊT ACTUEL ; MESURE DISCIPLINAIRE ; DOCUMENT ÉCRIT ; MENACE(DROIT PÉNAL) ; ARME(OBJET) ; INSULTE ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.60.al1.letb; LPA.61; LPA.65; LPA.69.al1; RRIP.42; RRIP.44; RRIP.45; RRIP.47; LOPP.19; Cst.5.al2; CP.180.al1
Résumé : Recours contre deux décisions de placement en cellule forte pour un total de onze jours (six jours pour la première sanction et cinq jours pour la seconde). Toujours en détention, le recourant conserve un intérêt juridique actuel au recours. S'agissant de la première sanction, la sanction dans sa durée n'est pas conforme au droit, dans la mesure où les paroles « Genève, c'est petit » ne constituent pas d'un point de vue objectif une menace grave au sens de l'art. 180 al. 1 CP. Quant à la seconde sanction, elle ne prête pas le flanc à la critique. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3321/2018-PRISON ATA/1242/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 novembre 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1. Monsieur A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 20 avril 2018.

2. Le 17 septembre 2018 à 15h09, un incident impliquant M. A______ est survenu.

Selon le rapport établi à cette occasion, M. A______ avait sonné à de nombreuses reprises pour des raisons futiles depuis le début de l'après-midi.

Après avoir une nouvelle fois sonné à 15h09, M. A______ avait, à nouveau, sonné à 15h15. En ouvrant la porte de la cellule, le gardien avait constaté que M. A______ s'était coupé le ventre au moyen d'une lame de rasoir trafiquée qu'il tenait dans sa main. Sur demande de l'agent de détention, le détenu avait jeté « son arme » au sol. À 15h20, les agents de détention avaient sorti M. A______ pour l'acheminer au service médical.

Pendant la palpation de M. A______, celui-ci avait regardé le gardien et lui avait dit : « Regarde-moi, Genève c'est petit ». L'agent de détention lui avait alors demandé s'il s'agissait de menaces. M. A______ n'avait pas répondu à la question mais avait répété : « Regarde-moi, Genève c'est petit ».

À 16h00, l'agent de détention avait informé le gardien-chef adjoint de la situation, lequel s'était rendu dans la cellule de M. A______ pour discuter. Toutefois et après cette discussion, le détenu avait réitéré ses menaces.

M. A______ avait été placé en cellule forte à 16h25. Il avait été entendu à 17h25 par le gardien-chef « B______ ».

Une sanction de six jours de cellule forte pour menaces envers le personnel, possession d'objets prohibés et trouble à l'ordre de l'établissement lui a été signifiée à 17h30. La décision était exécutoire immédiatement, nonobstant recours.

3. Le 18 septembre 2018 à 12h34, un nouvel incident impliquant M. A______ est survenu.

Selon le rapport établi à cette occasion, le préposé au synoptique a contacté le local des gardiens afin d'informer que le détenu s'était coupé.

Deux agents de détention s'étaient rendus à la cellule forte de M. A______. À l'ouverture de la porte, ils avaient constaté que le détenu s'était coupé au niveau du coude. Devant eux, M. A______ avait également avalé un briquet et une lame de rasoir.

Lors de la fouille à nu, M. A______ avait proféré des insultes en langue arabe « nik mok ; zobi ». Le détenu avait de plus invité et encouragé le personnel présent à le frapper et à lui faire du mal. Il avait par ailleurs proféré des menaces en disant « Vous pouvez me mettre au fond d'un trou, je vous retrouverai quand même ».

Une sanction lui serait notifiée avant sa sortie de cellule forte.

4. Le 21 septembre 2018 à 16h10, un troisième incident impliquant M. A______ est survenu.

Selon le rapport établi à cette occasion, à la suite d'un énième appel de cellule, les agents de détention s'étaient rendus à la cellule forte de M. A______. En ouvrant la porte de la cellule, ils avaient constaté que le détenu était assis avec le bas de son training enroulé autour de son cou et non attaché, relié au système de fermeture de la fenêtre.

Alors que les gardiens enlevaient le training, M. A______ s'était levé d'un coup. Il était très agité et les agents de détention avaient dû le repousser par trois fois au fond de la cellule forte. M. A______ leur avait dit : « Je vais me battre contre vous trois, vous allez voir ce qu'est un Tunisien ». Puis, il avait foncé vers les gardiens. Ces derniers l'avaient mis au sol pour le maîtriser.

M. A______ avait été entendu par le gardien-chef « B______ » à 18h05.

Une sanction de cinq jours de cellule forte pour menaces envers le personnel, injures envers le personnel et trouble à l'ordre de l'établissement lui avait été signifiée à 18h10. La décision était exécutoire immédiatement, nonobstant recours.

5. Par acte du 24 septembre 2018, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il souhaitait « faire (un) recours [contre] la décision de la prison sur [sa] sanction de onze jours au total, la première de six jours, après une deuxième sanction de cinq jours ».

Le 17 septembre 2018, il avait été poussé par le gardien-chef d'étage et il n'avait pas aimé son comportement. Il lui avait alors dit : « Genève est petite ». Après être retourné en cellule se préparer un café, l'agent de détention était venu dans sa cellule avec d'autres gardiens. Ils l'avaient fouillé et fait répéter ce qu'il avait dit. Mais le gardien-chef d'étage avait déjà préparé son rapport.

Sa sanction avait été suspendue du 18 au 20 septembre 2018 compte tenu de son transfert à l'unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (ci-après : UHPP) à la suite d'une tentative de suicide.

Le 20 septembre 2018, de retour en cellule forte, il avait essayé de se pendre. Le gardien-chef d'étage et les gardiens l'avaient frappé. Il n'avait pas aimé cela et avait dit : « Je suis tunisien je peux me battre avec vous dans le couloir ». Lorsqu'il avait voulu se rendre dans le couloir, les gardiens l'avaient mis au sol.

Il souhaitait faire recours contre la seconde sanction, car il était une victime. Il s'était fait frapper et il était injuste de lui rajouter une sanction de cinq jours de cellule forte. Son état psychologique devait également être pris en considération. Onze jours de cellule forte, c'était trop pour lui.

6. Le 27 septembre 2018, la prison a conclu au rejet du recours « sous suite de frais ».

S'agissant de la sanction du 17 septembre 2018, M. A______ avait admis avoir dit les mots décrits dans le rapport d'incident. Son explication relative au fait d'avoir été, soi-disant, poussé par le gardien-chef était surprenante et sous-entendait que s'il se sentait « contrarié », il proférerait des menaces.

Pour la sanction du 21 septembre 2018, le détenu avait simulé une pendaison. Les agents de détention étaient intervenus et M. A______ s'était montré virulent à leur égard, les avait injuriés et avait, à nouveau, proféré des menaces.

Dès lors, la constatation des faits, telle qu'opérée par la prison, devait être confirmée.

Les sanctions reposaient sur une base légale, étaient justifiées par un intérêt public et était proportionnées.

7. M. A______, n'ayant pas répliqué, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier du juge délégué du 19 octobre 2018.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 - RRIP - F 1 50.04).

2. a. Aux termes de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; 118 Ib 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d).

e. En l’espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre les sanctions prononcées à son encontre. Leur légalité doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque ces sanctions ont déjà été exécutées et que la situation pourrait encore se présenter, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier que le recourant aurait, à ce jour, obtenu sa libération (ATA/1414/2017 du 17 octobre 2017 consid. 2 ; ATA/591/2014 du 29 juillet 2014 consid. 2 ; ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée).

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3. a. Selon l'art. 61 LPA, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à la violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (al. 1 let. a), ainsi que la constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Elle ne peut ainsi pas revoir l'opportunité de la décision litigieuse (al. 2).

b. L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant, ainsi que l’exposé des motifs et l’indication des moyens de preuve (art. 65 al. 1 et 2 LPA). La juridiction administrative applique le droit d’office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

c. L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1628/2017 du 19 décembre 2017 consid. 2c).

d. En l'occurrence, dans son acte de recours du 24 septembre 2018, le recourant expose « faire recours sur la deuxième sanction » et demande de « [lui] enlever cette deuxième sanction de cinq jours ». Par ces phrases, il vise ainsi la sanction du 21 septembre 2018.

Toutefois et toujours dans son écriture, le recourant fait également référence à la première sanction de six jours du 17 septembre 2018, puisqu'il revient sur les événements ayant conduit à celle-ci et précise également que « onze jours c'est trop pour [lui] ».

Ainsi et dans la mesure où le recourant comparaît en personne, qu'il fait référence dans son acte de recours aux deux sanctions et que la prison discute du bien-fondé des deux décisions de sanction, la chambre de céans considère que l'intéressé recourt contre les deux décisions de sanction des 17 et 21 septembre 2018, lesquelles constituent l'objet du litige.

4. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

5. a. Le RRIP régit le statut des personnes incarcérées à la prison.

b. Les détenus doivent respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). Ils doivent en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP).

Selon l'art. 45 RRIP, il est interdit aux détenus notamment de détenir d’autres objets que ceux qui leur sont remis (let. e) et d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (let. h).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur, ou, en son absence, son suppléant, est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).

6. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 consid. 5 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

7. Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

8. a. L'art. 180 al. 1 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) réprime le comportement de celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne.

Sur le plan objectif, cette infraction suppose la réalisation de deux conditions : il faut que l'auteur ait émis une menace grave, soit une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime (ATF 122 IV 97 consid. 2b ; 99 IV 212 consid. 1a), et que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2). Enfin, le contexte dans lequel des propos sont émis est un élément permettant d'en apprécier le caractère menaçant ou non (arrêts du Tribunal fédéral 6B_593/2016 du 27 avril 2017 consid. 3.1.3 ; 6B_307/2013 du 13 juin 2013 consid. 5.2).

b. Dans sa casuistique, la chambre de céans a retenu que la sanction de trois jours de cellule forte pour avoir notamment menacé les gardiens par ces termes : « je vais trouver toutes vos adresses et je vais vous retrouver dehors » était justifiée (ATA/670/2015 du 23 juin 2015). Il en allait de même d’une sanction de deux jours de cellule forte fondée sur la menace faite à un employé « fais attention à ta femme et tes enfants, quand je sortirai je m'en occuperai » (ATA/13/2015 du 6 janvier 2015). Le fait d’avoir fait mine, par deux fois, de tirer en direction d’une surveillante a également été considéré comme une menace justifiant une sanction (rapportée à deux jours de détention en cellule forte par la chambre de céans ; ATA/238/2016 du 15 mars 2016).

Dans un autre arrêt, les propos suivants : « Il fait trop le bonhomme, il ne sait pas qui je suis », suivis de : « Tu verras, tu me connais pas et tu ne sais pas de quoi je suis capable » ont été considérés comme étant « à la limite de la punissabilité au vu de leur contenu » (ATA/156/2018 du 20 février 2018).

Récemment, la chambre administrative a retenu que l'exclamation « Je vous préviens (…). Le pied contre la porte et les coups (de pieds donnés au chariot ou de pieds donnés par le codétenu dans la porte), c’est aussi pour vous ! » et les phrases « Je ne suis pas détenu ici. Je ne suis pas malade. Vous devez arrêter le cigare ! Vous allez voir. » n’atteignaient pas une intensité telle qu’elles pouvaient constituer une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer un ou des agents de détention. Les éléments constitutifs objectifs de l’infraction faisant défaut, l’existence d’une menace ne pouvait pas être retenue (ATA/731/2018 du 10 juillet 2018).

9. En l'occurrence et s'agissant de la sanction de six jours de cellule forte du 17 septembre 2018, le recourant ne dit rien à propos de la lame de rasoir transformée et des appels de cellule.

Bien qu'un rasoir ait pu avoir été remis au recourant par la prison avec les autres produits d'hygiène, la transformation de la lame de rasoir en arme artisanale entre sans conteste dans le champ d'application de l'art. 45 let. e RRIPP. Le fait qu'il ait pu se blesser au ventre, au moyen de cet objet, démontre d'ailleurs son caractère dangereux.

Le recourant admet avoir dit : « Genève, c'est petit ». Ces paroles ne constituent toutefois pas, d’un point de vue objectif, une menace grave au sens de l’art. 180 al. 1 CP, dont il y a lieu de s’inspirer. Les éléments constitutifs objectifs de l’infraction faisant défaut, l’existence d’une menace ne peut pas être retenue.

Au vu de ces éléments, le recourant a adopté un comportement enfreignant le RRIP, à savoir qu’il a été trouvé en possession d'un objet prohibé (art. 45 let. e RRIP) et a troublé l’ordre et la tranquillité de l’établissement en abusant d'appels de cellule (ATA/568/2015 du 2 juin 2015 consid. 7 ; art. 45 let. h RRIP). Le principe d’une sanction est ainsi justifié.

La sanction de six jours de cellule forte apparaît cependant disproportionnée, compte tenu du fait que l’existence d’une menace doit être niée. Au vu des circonstances du cas d'espèce, quatre jours en cellule forte auraient constitué une quotité adéquate pour des faits tels que ceux reprochés au recourant.

Dès lors, la sanction, dans sa durée, n’est pas conforme au droit.

Dans la mesure où la sanction a été entièrement exécutée, il n’est matériellement plus possible de l’annuler. La chambre de céans se limitera à en constater le caractère illicite (ATA/238/2016 du 15 mars 2016 consid. 7c).

10. Quant à la sanction de cinq jours de cellule forte du 21 septembre 2018, le recourant ne dit rien sur les événements du 18 septembre 2018, notamment sur les insultes en langue arabe.

Compte tenu de la jurisprudence précitée portant sur la valeur probante des constatations figurant dans un rapport établi par des agents assermentés, la chambre administrative retiendra que l’incident s’est déroulé conformément à ce qui est décrit dans le rapport du 18 septembre 2018, rien ne permettant de s’en écarter.

Par ailleurs et contrairement à ce qui a été retenu pour le premier rapport, la phrase « Vous pouvez me mettre au fond d'un trou, je vous retrouverai quand même » atteint une intensité telle qu’elle puisse constituer une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer un ou des agents de détention.

Au vu de ces éléments, le recourant a adopté un comportement enfreignant le RRIP, à savoir qu’il a adopté une attitude incorrecte à l'égard du personnel pénitentiaire (art. 44 RRIP).

Par ailleurs et s'agissant du troisième rapport du 21 septembre 2018, le recourant admet avoir dit : « Je suis tunisien je peux me battre avec vous dans le couloir », ce qui rejoint ce qui est exposé dans le rapport établi par l'agent de détention. Ces paroles peuvent constituer, d’un point de vue objectif, une menace grave au sens de l’art. 180 al. 1 CP de nature à alarmer ou à effrayer un ou des agents de détention. Le recourant a d'ailleurs mis à exécution sa menace puisqu'il a essayé de sortir de la cellule pour aller dans le couloir et se battre.

Partant, le recourant a adopté une attitude incorrecte à l'égard du personnel pénitentiaire (art. 44 RRIP) et a troublé l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP). Le principe d’une sanction est ainsi justifié.

Le recourant considère que son état psychologique devait être pris en considération dans le cadre de la quotité de la sanction.

Toutefois, selon un document du 20 septembre 2018 figurant au dossier, le recourant a été examiné par un médecin le 19 septembre 2018 lequel a relevé que l'intéressé n'était pas en phase de décompensation aiguë. Le médecin ne s'est d'ailleurs pas opposé à la poursuite de l'exécution des sanctions à la fin de l'hospitalisation du recourant à l'UHPP.

Dans ces conditions et compte tenu du pouvoir d’appréciation limité de la chambre administrative (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/504/2010 du 3 août 2010), la direction de la prison n’a ni abusé ni excédé son pouvoir d’appréciation en prononçant le placement du recourant en cellule forte pour cinq jours pour avoir menacé le personnel, l'avoir insulté et avoir troublé l'ordre de l'établissement les 18 et 21 septembre 2018.

11. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis. La décision de sanction du 17 septembre 2018 sera annulée en tant qu’elle fixe la sanction disciplinaire à six jours de cellule forte, la sanction étant réduite à quatre jours. En outre, le caractère illicite des deux jours de cellule forte non justifiés sera constaté.

Quant à la décision de sanction du 21 septembre 2018, elle sera entièrement confirmée.

12. Vu la nature et l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant, dès lors qu'il n'y a pas conclu et n'a pas allégué avoir exposé de frais pour assurer sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 septembre 2018 par Monsieur A______ contre les décisions de la direction de la prison de Champ-Dollon des 17 et 21 septembre 2018 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

constate le caractère illicite de deux jours de cellule forte prononcés par la sanction disciplinaire du 17 septembre 2018 ;

la confirme pour le surplus ;

confirme la sanction disciplinaire du 21 septembre 2018 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :