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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/21131/2019

AARP/42/2024 du 25.01.2024 sur JTDP/326/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 13.03.2024, 6B_208/2024
Descripteurs : CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);COMPENSATION DE CRÉANCES
Normes : CP.181
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21131/2019 AARP/42/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 25 janvier 2024

 

Entre

A______, partie plaignante, comparant par Me Karim RAHO, avocat, CDLR Avocats, rue Saint-Ours 5, 1205 Genève,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/326/2023 rendu le 15 septembre 2023 par le Tribunal de police,

 

et

B______, domicilié ______ [GE], comparant par Me C______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/326/2023 du 15 septembre 2023 par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté B______ de gestion déloyale (art. 158 ch. 1 du Code pénal [CP]) et de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP cum art. 181 CP), et l'a débouté de ses conclusions civiles et en indemnisation. Les frais de la procédure préliminaire et de première instance, s'élevant à CHF 1'070.-, dont un émolument de jugement de CHF 400.-, ont été laissés à la charge de l'État, lequel a de plus été condamné à verser à B______ CHF 12'760.85, TVA incluse, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits en procédure préliminaire et de première instance.

b. A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à la condamnation de B______ des chefs de gestion déloyale au sens de l'art. 158 ch. 1 al. 1 ou 2 CP et de tentative de contrainte. Il conclut en outre à ce que ce dernier soit condamné à lui verser CHF 31'928.75, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juillet 2019, au titre de ses prétentions civiles, CHF 10'633.80 en couverture de ses dépenses obligatoires pour la procédure préliminaire et de première instance, tout comme CHF 5'088.80 pour la procédure d'appel, frais de celle-ci à la charge de l'intimé.

B______ conclut au rejet de l'appel et à la condamnation de A______ à lui payer CHF 5'115.75 pour ses dépenses obligatoires pour la procédure d'appel.

Le Ministère public (MP) s'en rapporte à justice.

c. Selon l'ordonnance pénale du 7 juin 2021, il est reproché ce qui suit à B______.

Entre 2018 et 2021, il a, en sa qualité de copropriétaire de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève, encaissé sur son compte personnel les loyers d'un appartement occupé par D______, alors que ceux-ci auraient dû être versés sur un compte bancaire ouvert à cette fin par lui-même et A______. Il a agi dans le but soit de compenser une créance dont il aurait été titulaire envers ce dernier en lien avec l'encaissement d'un loyer commercial sur le même immeuble, soit d'obtenir de son copropriétaire un détail des comptes liés audit immeuble.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. B______, né le ______ 1958, est ingénieur civil.

a.b. A______ exerce la profession d'architecte. Jusqu'au 26 juin 2019, il était titulaire d'une entreprise individuelle, A______, active dans l'architecture, l'achat et la vente d'immeubles. À cette date, le patrimoine de l'entreprise a été transféré à la société E______ Sàrl, dont il est l'associé unique et gérant.

b. B______ et A______ étaient copropriétaires de deux immeubles, le premier sis rue 1______ no. ______, acquis en janvier 2001, et le second à la rue 2______ no. ______, acquis en décembre 2003. Le 4 décembre 2000, ils avaient préalablement signé une convention prévoyant que le mandat de gestion de l'immeuble de la rue 1______ était confié à l'agence immobilière A______ pour une durée initiale de six ans. Après leur acquisition, les immeubles ont été rénovés et transformés en plusieurs appartements à louer.

Le 17 avril 2014, B______ a déposé une action en partage auprès du Tribunal civil du canton de Genève. La copropriété a été dissoute le ______ 2021 par un arrêt 5A_936/2020 du Tribunal fédéral.

c. En annexe de deux courriers du 11 novembre 2011 et du 4 décembre 2014 adressés à B______ par F______ SA figurent les états locatifs de l'immeuble de la rue 1______ pour les années 2010 à 2013. Il ressort de ceux-ci que deux appartements de trois pièces, n°3______ et 4______, d'une valeur locative estimée de CHF 10'785.- à CHF 18'000.- chacun, ont été inscrits comme vacants pendant chacune de ces années, avec un rendement nul.

d. Par courrier du 14 février 2018 de MG______ adressé au conseil de A______, B______ a communiqué à celui-ci que, dès le mois de février 2018, il encaisserait le loyer de D______ s'élevant à CHF 1'557.50 par mois, charges comprises, en compensation partielle de créances à son encontre d'un montant total estimé d'au moins CHF 295'000.-, référence étant notamment faite aux allégations dans la procédure civile C/5______/2014 les opposant. La missive précisait en outre : "Bien entendu, c'est très volontiers que je me tiens à votre disposition pour faire le point sur cette question-là et recueillir de votre part les éclaircissements demandés aussi bien à M. H______ qu'à M. A______ depuis bien longtemps." (cf. pièce A77).

e.a. Selon lui, A______ s'était rendu compte courant 2018 que le loyer d'un des locataires de l'immeuble de la rue 1______ n'était plus versé sur le compte en banque ouvert à cette fin en commun avec B______. Après avoir interrogé ce locataire, il avait appris que le prévenu, qui était son employeur, lui avait demandé de verser désormais directement le loyer sur un compte en banque à son nom. A______ avait également reçu la lettre du 14 février 2018 susmentionnée. Par courrier du 23 mai 2018, adressé à D______, il s'était opposé à la compensation et l'avait averti de ce qu'il envisageait une réalisation de son bail en lien avec les loyers versés à tort directement à son copropriétaire. Il alléguait que ce dernier avait par ailleurs toujours reçu les informations nécessaires de la part de la fiduciaire.

A______ ne s'est pas présenté, sans excuse, à l'audience devant le TP. Devant la Chambre de céans, il a affirmé que son bureau avait géré l'immeuble de la rue 1______ pendant plus de 20 ans et que B______ avait toujours reçu les décomptes y relatifs sans soulever la moindre critique. Les loyers de certains locaux n'avaient pas été encaissés parce qu'ils étaient vides, ce que son copropriétaire savait parfaitement. Sa compensation ne résistait pas à la moindre analyse sérieuse et visait à le contraindre, sans qu'il ne sût exactement à quoi. Ce n'était pas ainsi qu'on se comportait entre professionnels. B______ n'avait par ailleurs jamais ouvert action contre lui au titre de ses prétendues créances.

e.b. B______ avait demandé dès 2012 à A______ de lui fournir des explications concernant l'encaissement des loyers de l'immeuble de la rue 1______. En effet, les sommes versées sur le compte bancaire destiné à leur perception étaient inférieures d'environ CHF 80'000.- à celles mentionnées sur l'état locatif que lui avait remis la fiduciaire. En outre, des appartements étaient marqués comme vacants depuis plusieurs années. Suite à la réception en 2014 du dernier état locatif (2013) et en l'absence de réponse de son copropriétaire malgré plusieurs relances, il avait décidé de compenser le montant dont il s'estimait créancier envers celui-ci en percevant directement le loyer d'un des appartements loués dans l'immeuble, cela à tout le moins jusqu'à ce que ce dernier lui montrât les comptes et qu'il fût en capacité de se déterminer sur les droits et devoirs de chacun. Il soupçonnait en effet que les logements inscrits comme durablement vacants selon les états locatifs reçus étaient en réalité loués par A______ à son unique bénéfice. Celui-ci lui en avait d'ailleurs refusé l'accès. Il avait arrêté de procéder à la compensation au 15 juillet 2021, suite au partage résultant de l'arrêt du Tribunal fédéral.

Au 28 novembre 2023, il estimait ses créances envers A______ en lien avec l'immeuble de la rue 1______ entre environ CHF 39'000.- et CHF 189'000.-, après déduction d'un montant compensé de CHF 60'000.-, suivant si l'on tenait ou non compte d'une perte de gain pour les logements prétendument vacants. Il n'avait pas engagé d'action en reddition de compte ou en paiement car il avait espéré pouvoir résoudre ce problème sans avoir recours à la voie judiciaire qu'il avait déjà saisie par son action en partage, d'autant qu'il avait escompté pouvoir dans ce cadre obtenir la comptabilité locative de l'immeuble en question.

C. a. La Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a tenu audience au cours de laquelle B______ et A______ ont été entendus. Leurs déclarations ont, en substance, été rapportées ci-avant.

b.a. Par la voix de son conseil, A______ avance que la compensation opérée par l'intimé visait à le contraindre à lui remettre un décompte locatif, ce en contournant les voies légales, en particulier l'action en reddition de compte. Il s'agissait là d'un acte intentionnel de contrainte, car cet acte était objectivement de nature à influencer le comportement d'une personne de sensibilité moyenne. Il fallait en outre considérer qu'il y avait eu une gestion sans mandat au sens de l'art. 158 ch. 1 al. 2 CP de la part de B______ car celui-ci disposait d'une capacité résiduelle de gestion, capacité dont il avait notamment fait usage pour donner une indication de paiement à D______.

b.b. Par la voix de son conseil, B______ défend que c'est de bonne foi et de manière constructive et transparente qu'il avait eu recours à la voie de la compensation à l'encontre de A______. Il y avait été forcé pour tenter de résoudre son litige avec ce dernier, qui était particulièrement obtus et refusait même de lui verser des frais de justice fondés concernant des arrêts entrés en force. Quant à l'infraction de gestion déloyale, il n'avait manifestement pas eu la qualité de gérant de l'immeuble de la rue 1______. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle celui-ci avait été attribué à son ancien copropriétaire lors du partage. Dans l'ensemble, il était choquant que la partie au litige qui avait fait preuve de modération fût celle qui se retrouvait sur le banc des accusés.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Selon l'art. 158 ch. 1 al. 1 CP, se rend coupable de gestion déloyale simple quiconque, intentionnellement, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, porte atteinte à ces intérêts ou permet qu'ils soient lésés. Selon l'art. 158 ch. 1 al. 2 CP, il en va de même du gérant d'affaires qui agit sans mandat.

Les éléments constitutifs objectifs de cette infraction sont au nombre de deux : il faut que l'auteur ait, en position de gérant, violé une obligation lui incombant en cette qualité (1) et qu'il en ait résulté un préjudice (2) (ATF 121 IV 104 consid. 2a ; 120 IV 190 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1030/2018 du 20 novembre 2018 consid. 1.1 ; 6B_382/2017 du 2 février 2018 consid. 3.1). L'infraction réprimée par l'art. 158 ch. 1 CP ne peut ainsi être commise que par une personne qui revêt la qualité de gérant, soit par une personne qui gère un patrimoine d'une certaine complexité et qui dispose d'une indépendance de gestion suffisante, une position de gérant de fait étant suffisante (ATF 142 IV 346 consid. 3.2 ; 129 IV 124 consid. 3.1 ; 123 IV 17 consid. 3b ; 120 IV 190 consid. 2b ; 118 IV 244 consid 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_612/2022 du 7 juin 2023 consid. 3.1).

2.2. En l'occurrence, il appert que l'intimé n'a jamais administré l'immeuble de la rue 1______ no. ______, la gestion de ce bien ayant été confiée exclusivement à l'appelant comme cela ressort notamment expressément de l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_936/2020 (considérant 3.4.2, page 13 en haut) et des déclarations de l'appelant en appel, lequel n'est contredit par aucun élément au dossier. Une telle délégation de la gestion d'un immeuble en copropriété est en principe possible, vu l'art. 647 al. 1 du Code civil qui prévoit que des copropriétaires peuvent convenir d'un règlement d'utilisation et d'administration dérogeant aux dispositions légales.

Faute d'avoir effectivement administré l'immeuble de la rue 1______ no. ______, l'intimé n'en a jamais eu la qualité de gérant. Il ne suffit en particulier pas qu'il ait procédé de manière tout à fait accessoire à des actes de gestion mineurs en lien avec le contrat de bail de D______, actes dont la validité sur le plan du droit civil apparaît de surcroît douteuse sans que cela n'influe sur le sort de la cause.

Partant, l'un des éléments constitutifs objectifs de l'infraction de gestion déloyale simple n'est pas rempli, comme l'a retenu à juste titre le TP. L'appel sera donc rejeté et le jugement de première instance confirmé en ce qu'il acquitte l'intimé du chef de gestion déloyale au sens de l'art. 158 ch. 1 CP.

3. 3.1.1. Selon l'art. 181 CP, se rend coupable de contrainte quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'oblige à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.

Les éléments constitutifs objectifs de cette infraction sont ainsi l'existence, d'une part, d'un comportement de contrainte illicite (1) et, d'autre part, d'une influence concrète sur le comportement du lésé causée par ce comportement (2) (dans le même sens : C. FAVRE, Commentaire romand CP II, 2017, n. 8ss ad art. 181). Sur le plan subjectif, il faut que l'auteur ait agi avec conscience et volonté, soit qu'il ait au moins accepté l'éventualité que le comportement illicite auquel il a eu recours entrave la personne visée dans sa liberté de décision (ATF 120 IV 17 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 7.1 ; 6B_367/2020 du 17 janvier 2022 consid. 13.3.1).

Le comportement de contrainte peut être constitué par l'usage de la violence, d'une menace sérieuse ou de tout autre méthode ; dans ce dernier cas, il faut néanmoins que le moyen utilisé soit propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action ; le comportement de contrainte en cause doit ainsi apparaître analogue dans son intensité et ses effets aux méthodes expressément citées par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 ; 137 IV 326 consid. 3.3.1 ; 134 IV 216 consid. 4.2 ; 129 IV 262 consid 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 7.1). Un comportement de contrainte donc encore être illicite, soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux mœurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 ; 137 IV 326 consid. 3.3.1 ; 134 IV 216 consid. 4.1 ; 129 IV 262 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_754/2023 du 11 octobre 2023 consid. 4.1).

3.1.2. L'utilisation d'un acte juridique en soi licite peut, suivant les circonstances, constituer un comportement de contrainte. Il a ainsi été retenu que le dépôt d'une plainte pénale constitue une méthode illicite si rien ne permet sérieusement de soupçonner la commission d'une infraction par la personne visée, lorsque l'objet de la plainte pénale est sans rapport avec la prestation demandée ou encore si la menace vise à obtenir un avantage indu (ATF 120 IV 17 consid. 2a/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1236/2021 du 4 novembre 2022 consid. 3.2). De même, le recours à un commandement de payer sur la base d'une créance que l'auteur sait ne pas exister constitue un comportement de contrainte (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1116/2021 du 22 juin 2022 consid. 2.1 ; 6B_8/2017 du 15 août 2017 consid. 2.2 ; 6B_378/2016 du 15 décembre 2016 consid. 2.1). Le fondement et le montant de la créance invoquée comme base d'un commandement de payer, ainsi que le contexte de sa notification sont autant d'éléments pertinents pour apprécier s'il existe une contrainte ; il suffit que la situation juridique ne soit pas claire pour admettre la licéité d'un commandement de payer sous l'angle de l'infraction de contrainte, (ACPR/823/2023 du 23 octobre 2023 consid. 3.3 ; ACPR/543/2023 du 18 juillet 2023 consid. 4.3 ; ACPR/249/2023 du 6 avril 2023 consid. 2.2).

La compensation au sens des art. 120 et suivants du Code des obligations (CO) est un mode d'extinction d'une obligation qui trouve en principe application entre deux prestations exigibles de même nature, en particulier des créances en argent (art. 120 al. 1 CO). Contrairement à une plainte pénale ou à un commandement de payer, il s'agit d'un acte juridique qui n'a pas pour effet d'actionner la force publique à l'encontre de la personne visée. Celui qui fait face à une compensation qu'il juge invalide ou infondée se trouve ainsi dans la même situation que tout créancier putatif voyant son droit subjectif être contesté, en tout ou en partie, par son débiteur allégué. Dans la mesure où une compensation infondée peut mettre certains débiteurs en difficulté, le législateur a prévu que celle-ci ne pouvait être imposée au créancier des prestations listées à l'art. 125 CO. Tel est notamment le cas lorsqu'une créance est absolument nécessaire à l'entretien du créancier et sa famille, le principe sous-tendant cette disposition étant la nécessité de protéger la partie économiquement faible (ATF 147 IV 55 consid. 2.4). Il faut conclure de ce qui précède que la réalisation d'un comportement de contrainte par le truchement d'une compensation ne doit être admis tout au plus qu'exceptionnellement lorsque celle-ci ne concerne pas une créance visée par l'art. 125 CO ou par une norme comparable comme les art. 265 ou 323b al. 2 CO. En dehors de ce cadre, il n'existe en effet pas de raison de protéger par le biais du droit pénal un créancier qui fait face à un refus de payer basé sur une compensation infondée, alors que tel ne serait pas le cas s'il faisait face à un refus similaire pour un autre motif, comme un défaut allégué ou une prétendue exception de prescription.

3.2.1. En l'espèce, l'intimé a eu des doutes sur la bonne gestion par l'appelant de leur immeuble sis rue 1______ no. ______ et a requis en vain de ce dernier des informations complémentaires aux décomptes sommaires obtenus de F______ SA pour les années 2010 à 2013. L'appelant affirme certes que l'intimé a toujours reçu les décomptes de la fiduciaire, mais cette allégation ne convainc pas dans la mesure où il est établi que ce dernier a procédé à plusieurs relances par le biais de son avocat et rien n'indique qu'elles auraient permis d'obtenir les informations demandées, alors même qu'il aurait été aisé à l'appelant de démontrer qu'il avait accompli son obligation de rendre compte. Cela vaut d'autant plus qu'il était, en tant que gérant de l'immeuble, directement débiteur de cette obligation et qu'il ne pouvait ainsi se contenter de renvoyer l'intimé à la fiduciaire. En appel, il a d'ailleurs plaidé que ce dernier voulait le contraindre illicitement à lui fournir ces documents au moyen de sa compensation, ce qui confirme implicitement la version de l'intimé selon laquelle lesdits documents ne lui avaient pas été fournis.

Il est également établi que l'intimé a perçu sur un compte dont il était le seul titulaire le loyer dû par D______ sur la période du 1er février 2018 au 15 juillet 2021 et que l'appelant en a été informé par un courrier d'avocat du 14 février 2018, adressé à son propre conseil par courrier et courriel. Il est aussi constant que cet écrit mentionnait clairement que l'intimé était ouvert à la discussion avec l'appelant pour faire toute la lumière sur leurs prétentions respectives.

3.2.2. Au vu de ce qui précède, on ne saurait retenir que la compensation d'un montant mensuel de CHF 1'557.50 par l'intimé constituait un comportement de contrainte illicite.

Le TP a, à juste titre, souligné que la privation d'un loyer constituant environ 5% de l'état locatif 2013 ([12 x 1'557.50] / 354'176.15), dont l'appelant affirme qu'il est conforme à la réalité, n'était, à l'évidence, pas de nature à menacer son minimum vital au sens de l'art. 125 ch. 2 CO. Comme l'a plaidé de manière convaincante la défense, il serait insensé de sanctionner l'intimé pour avoir eu recours de bonne foi à un acte formateur prévu par le CO parce qu'il soupçonnait subir un dommage du fait de la gestion de l'appelant à l'aune des informations éparses dont il disposait, d'autant que celui-ci refusait de lui remettre les comptes de l'immeuble dont ils étaient copropriétaires en violation manifeste de son devoir de renseigner au sens de l'art. 400 CO, obligation ayant précisément pour but de permettre un contrôle par la personne remettant la gestion de ses affaires à autrui (cf. ATF 146 III 435 consid. 4.1.3.1 ; 143 III 348 consid. 5.1.2). On peine de plus à comprendre le reproche fait par l'appelant à l'intimé de ne pas l'avoir actionné ou mis en poursuite, alors que c'était bien plutôt à lui de saisir les instances judiciaires civiles s'il estimait souffrir d'une compensation indue. Il s'ensuit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction de contrainte n'est pas rempli.

Partant, l'appel sera rejeté et le jugement de première instance confirmé en ce qu'il acquitte l'intimé du chef de contrainte au sens de l'art. 181 CP.

4. 4.1. Selon l'art. 126 al. 1 let. b CPP, le tribunal statue sur les conclusions civiles d'une partie plaignante lorsqu'il acquitte le prévenu et que l'état de fait est suffisamment établi. Si tel n'est pas le cas, il doit en revanche renvoyer la partie plaignante à agir par la voie civile selon l'art. 126 al. 2 let. d CPP.

4.2. En l'occurrence, l'intimé est acquitté de l'ensemble des charges portées à son encontre. Cependant, les faits concernant la validité de sa compensation sur la période du 1er février 2018 au 15 juillet 2021 ne sont pas suffisamment établis pour que la Chambre de céans puisse rejeter les prétentions de l'appelant avec force de chose jugée. Cela vaut d'autant plus que la question de savoir si une prétention fondée sur les règles de l'enrichissement illégitime peut être tranchée par le juge pénal n'a pas encore été clairement tranchée par la jurisprudence (cf. ATF 148 III 401 consid. 3.2.1 ; 148 IV 432 consid. 3.2.3 et 3.3).

Il convient donc de renvoyer l'appelant à agir par la voie civile, et non de le débouter de ses prétentions. L'appel doit être admis sur ce point.

5. 5.1.1. Selon l'art. 428 al. 3 CPP, si l'autorité de recours rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce également sur les frais fixés par l'autorité inférieure.

Selon l'art. 426 al. 1 CPP, le prévenu supporte les frais de procédure s'il est condamné. Selon l'art. 426 al. 3 let. a CPP, le prévenu ne supporte pas les frais que le canton a occasionné par des actes de procédure inutiles ou erronés. Seuls les actes d'emblée objectivement inutiles sont visés par cette disposition (arrêts du Tribunal fédéral 6B_780/2022 du 1er mai 2023 consid. 5.4 ; 6B_1321/2022 du 14 mars 2023 consid. 2.1).

5.1.2. Selon l'art. 428 al. 1, première phrase, CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé ; pour déterminer si une partie succombe ou obtient gain de cause, il faut examiner dans quelle mesure ses conclusions sont admises en deuxième instance (arrêts du Tribunal fédéral 6B_182/2022 du 25 janvier 2023 consid. 5.1 ; 6B_143/2022 du 29 novembre 2022 consid. 3.1 ; 6B_1397/2021 du 5 octobre 2022 consid. 11.2 ; 6B_1232/2021 du 27 janvier 2022 consid. 3.3.2). Seul le résultat de la procédure d'appel elle-même est déterminant (ATF 142 IV 163 consid. 3.2.1).

5.2.1. À juste titre, le TP a laissé les frais de la procédure préliminaire et de première instance à charge de l'État, les conditions pour les faire supporter à l'appelant sur la base de l'art. 427 al. 1 et 2 CPP n'étant manifestement pas remplies. En effet, les infractions concernées étaient poursuivies d'office et ses conclusions civiles n'ont pas engendré de surplus de frais notable. Sur ce point, le jugement de première instance sera ainsi confirmé.

5.2.2. En appel, le MP s'en est remis à justice et l'appelant succombe sur la quasi-totalité de ses conclusions. En conséquence, il convient de lui faire supporter l'ensemble des frais de cette procédure, lesquels s'élèvent à CHF 2'085.-, y compris un émolument de jugement de CHF 1'800.-.

6. 6.1. La question de l'indemnisation doit être tranchée après celle des frais. Dans cette mesure, la question sur les frais préjuge en principe de celle de l'indemnisation (ATF 147 IV 47 consid. 4.1 ; 145 IV 94 consid. 2.3.2 ; 144 IV 207 consid. 1.8.2). L'art. 436 al. 1 CPP prescrit que les règles relatives à la fixation de l'indemnité en relation avec la procédure de première instance, soit les art. 429 à 434 CPP, trouvent application à la procédure d'appel. L'art. 429 al. 1 let. a CPP prévoit que s'il est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

Selon l'art. 432 al. 2 CPP, lorsque le prévenu obtient gain de cause sur la question de sa culpabilité et que l'infraction est poursuivie sur plainte, la partie plaignante peut être tenue d'indemniser le prévenu pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. Selon la jurisprudence, la partie plaignante qui fait appel seule contre un acquittement doit, le cas échéant, être condamnée sur cette base au paiement d'une indemnité au prévenu, même si les infractions concernées étaient poursuivies d'office (ATF 147 IV 47 consid. 4.2.6 ; 141 IV 476 consid. 1.2).

Seuls les frais de défense nécessaires, et donc les honoraires justifiés, doivent être indemnisés ; pour déterminer si l'assistance d'un avocat était nécessaire, il faut tenir compte de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et du volume de travail (ATF 142 IV 45 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.1 ; 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1 ; 6B_2/2021 du 25 juin 2021 consid. 1.1.2). La totalité des frais de défense doit en principe être indemnisée, ceux-ci devant toutefois demeurer raisonnables compte tenu de la complexité et de la difficulté de l'affaire (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.2 ; 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1). L'indemnité doit correspondre au tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule ; le débiteur de l'indemnité n'est pas lié par une convention d'honoraires passée entre le prévenu et son avocat (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.2). La Cour de justice applique ainsi un tarif horaire maximal de CHF 450.- pour les chefs d'étude (AARP/230/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.1 ; AARP/79/2023 du 15 mars 2023 consid. 4.1 ; AARP/357/2022 du 16 novembre 2022 consid. 6.1). Ce montant s'entend hors TVA ; ainsi, lorsqu'un avocat facture à son mandant des prestations aux tarifs maximaux susmentionnés hors TVA, celle-ci doit être ajoutée en sus, pour autant que lesdites prestations y soient effectivement assujetties (AARP/383/2023 du 4 octobre 2023 consid. 8.1).

6.2. L'appelant a fait appel contre un jugement d'acquittement sans le soutien du MP. Il lui revient donc d'assumer seul les frais de défense de l'intimé dans la procédure d'appel.

Celui-ci a conclu à la condamnation du premier à lui payer CHF 5'115.75 au titre de ses dépenses obligatoires pour la procédure d'appel. Ce montant se compose de 30 minutes de communications diverses et de 420 minutes de préparation de l'audience d'appel, qui a duré 155 minutes, le tout au tarif de CHF 500.- hors TVA.

Les postes de l'état de frais apparaissant tous raisonnablement nécessaires à sa défense, le total de 605 minutes (10.08 heures) doit être retenu. Cette durée sera toutefois indemnisée au tarif horaire maximal de CHF 484.65 (TVA incluse), et non à CHF 500.- de l'heure comme demandé par l'intimé. L'indemnité qui lui est due par l'appelant s'élève donc à CHF 4'885.30 (484.65 x 10.08). Elle ne porte pas intérêt (cf. ATF 143 IV 495 consid. 2.2.4).

6.3. Les conclusions en indemnisation de l'appelant, qui succombe, seront quant à elle entièrement rejetées.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/326/2023 rendu le 15 septembre 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/21131/2019.

L'admet très partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte B______ des chefs de gestion déloyale (art. 158 ch. 1 CP) et de tentative de contrainte (art. 181 CP).

Renvoie A______ à agir par la voie civile s'agissant de ses prétentions civiles à l'encontre de B______.

Condamne l'État de Genève à verser à B______ CHF 12'760.85, TVA incluse, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits en procédure préliminaire et de première instance.

Condamne A______ à verser à B______ CHF 4'885.30, TVA incluse, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits en procédure d'appel.

Rejette les prétentions en indemnisation de A______.

Laisse les frais de la procédure préliminaire et de première instance à la charge de l'État.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 2'085.-, y compris un émolument de jugement de CHF 1'800.-, et les met à la charge de A______.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

Le président :

Vincent FOURNIER

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'070.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

100.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

110.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'800.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

2'085.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'155.00