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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/11111/2017

AARP/230/2023 du 05.07.2023 sur JTDP/1145/2022 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : ABUS D'AUTORITÉ;OBJET DU LITIGE
Normes : CP.312; CPP.404
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11111/2017 AARP/230/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 26 juin 2023

 

Entre

A______, c/o B______, ______, comparant par Me P______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1145/2022 rendu le 20 septembre 2022 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3, et

C______, comparant par Me D______, avocate,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/1145/2022 du 20 septembre 2022 par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable d'abus d'autorité (art. 312 du Code pénal suisse [CP]) et condamné à une peine pécuniaire de 50 jours-amende à CHF 130.- le jour, avec sursis pendant trois ans, et à une amende de CHF 1'000.-, ainsi qu'au paiement de CHF 2'000.-, avec intérêts à 5% l'an dès le 6 avril 2017, à C______ à titre de tort moral. Le TP a en outre rejeté ses conclusions en indemnisation et l'a condamné au paiement d'un tiers des frais de la procédure préliminaire et de première instance fixés à CHF 27'415.85, dont un émolument de jugement de CHF 1'800.-, soit CHF 9'138.62.

b. A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement et à son indemnisation pour ses frais de défense à hauteur de CHF 25'526.60 à charge de l'État de Genève.

Le Ministère public (MP) et C______ concluent au rejet de l'appel.

c. Selon l'ordonnance pénale du 27 septembre 2021, il est reproché ce qui suit à A______ :

Le 6 avril 2017, lors de l'interpellation de C______ pour une suspicion d'infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup), A______ a donné un coup de pied au prénommé alors que celui-ci se trouvait au sol et maîtrisé par le policier E______, sans que ce coup eût occasionné des blessures.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, né le ______ 1981, est inspecteur au sein de F______ qu'il a rejoint après avoir effectué son école de gendarmerie en 2002. Il a travaillé au sein de la Brigade de G______ entre le 20 mars 2017 et le mois d'avril 2021. Il est actuellement membre de la Brigade H______.

b.a. Le 6 avril 2017 vers 19h00, C______ est entré en contact avec le policier I______, qui se faisait passer pour un acheteur de drogue dans les environs de la discothèque l'Usine, située Place des Volontaires à Genève. Il lui a vendu de la marijuana et des pilules d'ecstasy en échange de EUR 100.-.

b.b. Immédiatement après cet échange, plusieurs policiers de la [brigade] G______, dont A______, E______ et J______, ont tenté d'interpeller C______, qui avait pris la fuite, ce dernier soupçonnant que son acheteur faisait partie des forces de l'ordre. Après une course-poursuite le long du quai des Forces-Motrices en direction de l'est, puis sur la rue de l'Arquebuse en direction du sud, le suspect avait débouché sur la rue de la Coulouvrenière, directement suivi par E______ et, un peu plus loin, par A______, tous deux à pied ; ce alors que les policiers hurlaient "police, police".

b.c. Après avoir couru quelques mètres sur le trottoir de la rue de la Coulouvrenière, C______ a stoppé sa course et s'est retourné vers E______, les mains à mi-hauteur du torse. Ce dernier est arrivé contre lui environ une seconde plus tard à pleine vitesse et l'a frappé à la mâchoire avec son poing fermé en utilisant les muscles de son bras et de son torse, sans que C______ ne tente de parer le coup. Ce dernier a reculé sous l'impact mais n'est pas tombé. E______ l'a alors ceinturé par l'arrière à hauteur des épaules et, tout en le retournant, l'a amené au sol.

b.d. Environ une seconde après le coup de poing de E______, A______ est arrivé sur place, puis, se faufilant entre des véhicules stationnés, s'est dirigé vers C______ qui se trouvait au sol avec E______.

c.a. Interrogé par l'Inspection générale des services (IGS), C______ a affirmé qu'après avoir reçu le coup de poing dans la mâchoire, il avait reçu de multiples coups de pied, notamment dans le torse, alors qu'il se trouvait au sol. Après avoir été battu et immobilisé par les policiers au niveau du cou, ceux-ci lui avaient mis des menottes. Il n'avait pas résisté.

c.b. Interrogé par l'IGS, puis par le MP, A______ a expliqué qu'il était arrivé en courant immédiatement après que E______ avait interpellé le suspect. Il s'était alors mis à genoux sur ce dernier, qui était au sol et se débattait, et lui avait menotté les bras l'un après l'autre. Il n'avait pas donné de coup de pied à C______. Devant le TP, il a indiqué qu'il avait probablement enjambé celui-ci et son collègue au sol au niveau des fesses et qu'il avait peut-être sauté à cette occasion. Ses souvenirs n'étaient toutefois plus très précis.

c.c. L'interpellation de C______ a été filmée par deux caméras de vidéosurveillance se trouvant dans la rue de la Coulouvrenière à quelques dizaines de mètres en face du lieu où celle-ci s'est déroulée. La première caméra (vidéo dite "vue du garage") faisait presque directement face au lieu de l'interpellation, alors que la seconde (vidéo dite "vue du trottoir") se situait dans un angle plus fermé, l'enregistrement étant dans ce second cas partiellement masqué par les métadonnées surimprimées sur l'enregistrement vidéo.

Sur la vidéo "vue du trottoir", le coup de poing de E______ est visible à 2m16s, tandis que A______ commence à se faufiler entre les véhicules stationnés entre la route et le trottoir à 2m17s. Une seconde plus tard, celui-ci disparait derrière lesdits véhicules avant de réapparaître à 2m19s. À 2m20s, on voit son corps monter légèrement, puis un mouvement pouvant laisser penser à un coup de pied. Le haut de son corps monte ensuite un peu plus haut que la première fois avant qu'il plonge vers le sol et disparaisse des images de la caméra à 2m21s.

Sur la vidéo "vue du garage", le coup de poing de E______ est visible à 2m8s, tandis que A______ commence à se faufiler entre les véhicules à 2m9s. Celui-ci monte sur le trottoir à 2m11s. À 2m12s, il semble faire un léger mouvement vers l'avant avec le bas du corps, lequel pourrait potentiellement être un coup de pied. Dans la même seconde, on voit le haut de son corps s'élever (avec le capuchon de son pull qui s'élève légèrement) puis retomber immédiatement, disparaissant de l'image à 2m13s.

d. Trois à quatre secondes après que A______ s'était baissé, J______ est arrivé sur les lieux en marchant rapidement et a constaté que C______ était au sol et maîtrisé. Trois agents de la police municipale arrivés en voiture quelques minutes plus tard ont accepté d'amener le prévenu au poste de police de K______. Il a ensuite été conduit dans les locaux de la G______, où il a été examiné par un médecin, car il se plaignait de douleurs à la mâchoire. Suite à cet examen, il a été amené aux Hôpitaux universitaires de Genève, où une radiographie effectuée peu après minuit le 7 avril 2017 a mis en évidence une fracture peu déplacée à la branche horizontale de la mandibule à droite.

e. Un examen médico-légal réalisé le même jour à 17h30 a permis de constater une tuméfaction de la joue droite de C______, douloureuse à la palpation, et une plaie superficielle, punctiforme au niveau de la muqueuse de la lèvre inférieure, en paramédian droit.

f.a. Sur requête du MP, une expertise médico-légale a été réalisée par les Drs L______, spécialiste en médecine légale, M______, spécialiste en chirurgie orale et maxillo-faciale, et N______, médecin assistante au Centre universitaire romand de médecine légale (CURML). Selon leur rapport du 29 mars 2019, l'état de C______ lors de son examen le 7 avril 2017 était compatible avec un coup de poing porté à droite de son visage et avec des coups de pied, bien que des lésions superficielles n'eurent pas été détectées en dehors de celles se trouvant sur le visage. Cet état était également compatible avec une chute au sol. Par ailleurs, les douleurs thoraciques mentionnées par le précité le 7 avril 2017 pouvaient s'expliquer par la gastrite dont il souffrait, sans qu'il fût possible de déterminer leur cause avec certitude.

f.b. À la demande du MP, la Dresse L______ et O______, Ingénieur ______ travaillant au CURML, ont réalisé une seconde expertise ayant pour objet une reconstitution morphométrique en trois dimensions de certains moments de l'interpellation de C______ en lien avec l'hypothèse de coups de pieds que lui auraient donnés A______ et J______.

Selon les conclusions de leur rapport du 28 mai 2020, les experts pouvaient vraisemblablement confirmer l'hypothèse selon laquelle A______ aurait donné un coup de pied à C______. Ils ont précisé que le corps de C______ après sa mise au sol n'étant pas visible, son positionnement avait fait l'objet d'une estimation. Il était cependant possible de conclure que A______ se trouvait vraisemblablement à quelques centimètres de C______ et à la hauteur de ses épaules lors du geste suspect. Seul le positionnement respectif des corps de protagonistes avait été reconstitué en trois dimensions, mais pas le mouvement de l'éventuel coup de pied. De même, aucune reconstitution virtuelle de la position de E______ n'avait été réalisée parce que cela n'aurait rien changé à la position des corps de A______ et de C______, vu le faible laps de temps entre la mise au sol de ce dernier et l'arrivée du premier.

g. Le casier judiciaire suisse de A______ est vierge au 25 avril 2023.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b.a. Dans son mémoire d'appel, A______ conteste l'appréciation des preuves de l'instance précédente. L'hypothèse retenue par la reconstitution morphométrique selon laquelle E______ et C______ n'auraient pas bougé une fois au sol était invraisemblable. Le fait que les experts n'eussent pas placé le corps du premier dans leur reconstitution était incompréhensible et affectait notablement la force probante du rapport d'expertise. À l'examen des images issues de la vidéosurveillance, d'autres hypothèses que celle d'un coup de pied ne pouvaient être exclues, de sorte que la Chambre de céans devait acquitter A______.

L'appelant requiert l'indemnisation par l'État de 61 heures de travail (3'660 minutes) en lien avec la procédure préliminaire et de première instance, ainsi que de CHF 485.- à titre de débours. Eu égard à la procédure d'appel, il sollicite l'indemnisation par l'État de 1'008 minutes de travail de son conseil (16 heures et 48 minutes).

b.b. Dans son mémoire, le MP se base sur les résultats de la reconstitution morphométrique et sur l'absence d'élévation de la tête de A______ au moment du geste suspect, ainsi que sur la faible plausibilité de sa version selon laquelle il aurait enjambé les protagonistes au sol, pour conclure à l'existence d'un coup de pied, le faisceau d'indices étant suffisant.

b.c. Dans son mémoire, C______ soutient que A______ n'avait cessé de fluctuer dans ses déclarations et que les preuves matérielles issues des images de vidéosurveillance, de l'expertise morphométrique et de l'expertise médico-légale ne laissaient pas de place au doute quant à sa culpabilité.

D. MD______, conseil juridique gratuit de C______, a déposé un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, une heure et 20 minutes d'activité de cheffe d'étude. Elle a été indemnisée pour 24 heures et 55 minutes eu égard à son travail relatif à la procédure préliminaire et de première instance.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves (ATF 148 IV 409 consid. 2.2 ; 145 IV 154 consid. 1.1 ; 127 I 38 consid. 2a).

Le principe de la libre-appréciation des preuves implique qu'il revient au juge de décider ce qui doit être retenu comme résultat de l'administration des preuves en se fondant sur l'aptitude des éléments de preuve à prouver un fait au vu de principes scientifiques, du rapprochement des divers éléments de preuve ou indices disponibles à la procédure, et sa propre expérience (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1295/2021 du 16 juin 2022 consid. 1.2) ; lorsque les éléments de preuve sont contradictoires, le tribunal ne se fonde pas automatiquement sur celui qui est le plus favorable au prévenu (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1295/2021 du 16 juin 2022 consid. 1.2 ; 6B_477/2021 du 14 février 2022 consid. 3.1 ; 6B_1363/2019 du 19 novembre 2020 consid. 1.2.3). Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe de la présomption d'innocence interdit cependant au juge de se déclarer convaincu d'un fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve recueillis laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence d'un tel fait ; des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent en revanche pas à exclure une condamnation (ATF 148 IV 409 consid. 2.2 ; 145 IV 154 consid. 1.1 ; 144 IV 345 consid. 2.2.3.2 et 2.2.3.3 ; 138 V 74 consid. 7 ; 127 I 38 consid. 2a). Lorsque dans le cadre du complexe de faits établi suite à l'appréciation des preuves faite par le juge, il existe plusieurs hypothèses également probables, le juge pénal doit choisir la plus favorable au prévenu (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_477/2021 du 14 février 2022 consid. 3.2).

2.2. L'appréciation du résultat d'une expertise officielle relève de l'appréciation des preuves par le juge pénal (ATF 141 IV 305 consid. 6.6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1271/2021 du 12 septembre 2022 consid. 1.2 ; 6B_755/2021 du 1er juin 2022 consid. 1.1.1). Celui-ci n'est pas formellement lié par une expertise officielle ; toutefois, il ne peut s'écarter de celle-ci que s'il existe des indices importants qui en ébranlent sérieusement la crédibilité (ATF 146 IV 116 consid. 2.1 ; 142 IV 49 consid. 2.1.3 ; 141 IV 369 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1271/2021 du 12 septembre 2022 consid. 1.2).

3. 3.1. L'art. 312 CP réprime le fait pour un membre d'une autorité ou un fonctionnaire d'abuser des pouvoirs de sa charge dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou de nuire à autrui.

Sur le plan objectif, l'infraction réprimée par cette disposition suppose, d'une part, que l'auteur soit un fonctionnaire, au sens de l'art. 110 al. 3 CP, rattaché à une entité étatique suisse (ATF 132 II 81 consid. 2.5.1) et, d'autre part, que l'auteur ait usé illicitement des pouvoirs spécifiquement liés à sa charge (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa ; 114 IV 41 consid. 2 ; 113 IV 29 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_101/2022 [destiné à la publication aux ATF] du 30 janvier 2023 consid. 1.3.1), ce qui peut notamment être le cas lorsque son but est légitime mais que le moyen pour l'atteindre est illégal car disproportionné (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa ; 113 IV 29 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_101/2022 [d.p.] du 30 janvier 2023 consid. 1.3.1 ; 6B_518/2021 du 8 juin 2022 consid. 1.1 ; 6B_1222/2020 du 27 avril 2021 consid. 1.1), par exemple s'il fait usage de la force dans le cadre de ses fonctions (ATF 127 IV 209 consid. 1b).

Du point de vue subjectif, l'infraction suppose un comportement intentionnel, au moins sous la forme du dol éventuel (1), ainsi qu'un dessein spécial, qui peut se présenter sous deux formes alternatives : un dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou un dessein de nuire à autrui (2) ; le motif pour lequel l'auteur agit est ainsi sans pertinence sur le plan de l'intention, mais a trait à l'examen de la culpabilité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_101/2022 [d.p.] du 30 janvier 2023 consid. 1.3.1 ; 6B_518/2021 du 8 juin 2022 consid. 1.1 ; 6B_1222/2020 du 27 avril 2021 consid. 1.1). Un dessein de nuire est établi dès que l'auteur cause intentionnellement un préjudice non négligeable à autrui ou accepte cette éventualité au cas où elle se produirait (arrêts du Tribunal fédéral 6B_101/2022 [d.p.] du 30 janvier 2023 consid. 1.3.1 ; 6B_987/2015 du 7 mars 2016 consid. 2.6) ; un acte de contrainte physique illégal constitue en lui-même un tel préjudice (arrêt du Tribunal fédéral 6B_101/2022 [d.p.] du 30 janvier 2023 consid. 1.3.2 et 1.3.3).

3.2. En l'occurrence, il n'est pas contesté que l'appelant avait la qualité de fonctionnaire lors des faits qui lui sont reprochés.

Selon le TP, la version de l'appelant selon laquelle celui-ci aurait enjambé E______ et C______, alors que ceux-ci se trouvaient au sol, apparaît peu crédible, au vu notamment de sa tardiveté et des conclusions du rapport d'expertise morphométrique du 28 mai 2020. Au contraire, la version de la partie plaignante, selon laquelle elle avait reçu un coup de pied, correspondait au résultat de l'expertise et devait donc être retenue.

À lecture dudit rapport d'expertise (cf. pp. 25 et 26), il apparaît que la reconstitution morphométrique en trois dimensions a permis de déterminer que A______ se trouvait juste à côté du corps de C______, à hauteur des épaules, au moment de son geste suspect, comme cela est visible sur l'illustration n°15 du rapport. Sur ce point, l'expertise est compatible tant avec les déclarations de l'appelant qu'avec celles de C______, ainsi qu'avec les images des caméras de vidéosurveillance. En revanche, aucun élément du rapport d'expertise ne permet de conclure que l'appelant aurait donné un coup de pied au précité. Ledit coup de pied n'a en effet pas fait l'objet d'une reconstitution virtuelle. En outre, si l'on peut suivre l'analyse des experts selon laquelle la prise en compte du corps de E______ dans la reconstitution virtuelle a été omise car elle n'aurait rien changé à l'orientation et à la position estimée du corps de C______, une telle reconstitution apparaissait essentielle à l'examen de la plausibilité des différentes hypothèses s'agissant du mouvement suspect visible sur les images des caméras de surveillance. Bien qu'il ne présente pas de contradiction intrinsèque, le rapport d'expertise ne permet de trancher que la question de la position respective approximative des corps de A______ et de C______ au moment du geste suspect, et pas celle de l'existence ou non d'un coup de pied.

L'hypothèse d'un coup de pied est fondée uniquement sur les déclarations de C______ et sur les images des caméras de surveillance. Or, un examen attentif de celles-ci ne permet pas d'établir avec la certitude nécessaire l'existence d'un tel coup de pied. Au contraire, ces images, ambiguës, permettent de constater que, dans la même seconde, l'appelant semble faire un mouvement avec les jambes avant de s'élever légèrement puis de descendre vers le sol avec l'entier de son corps. Son mouvement ressemble ainsi plus à celui d'une personne freinant brusquement en pleine course pour se baisser immédiatement en direction du sol qu'à celui de quelqu'un ayant l'intention de frapper une masse inerte au sol. En outre, on ne distingue aucun mouvement de l'appelant pour assurer sa stabilité, ou rétablir son équilibre, après le geste suspect. Or, à supposer qu'il lui ait été physiquement possible de frapper C______ en pleine course tout en se baissant dans la même seconde, ce qui apparaît douteux, cela aurait forcément impliqué un grand risque de déséquilibre avec la possibilité de trébucher sur E______. Il est douteux que dans une situation d'interpellation musclée comme celle faisant l'objet de la présente procédure, l'appelant, policier depuis plus de dix ans au moment des faits, ait pris un tel risque dans le seul but de frapper gratuitement un prévenu à terre et en voie d'être maîtrisé. L'hypothèse selon laquelle l'appelant, arrivé en courant rapidement, aurait brusquement freiné pour éviter de marcher sur les corps, par exemple sur le bras, de E______ et/ou de C______, avant de se baisser immédiatement pour immobiliser le prénommé avec ses genoux et lui passer les menottes, est tout aussi crédible à l'aune des images des caméras de vidéosurveillance.

Cette dernière hypothèse est encore renforcée par l'absence de toute lésion notable sur le corps de C______ lors de son examen le 7 avril 2017, excepté la fracture à la branche horizontale de la mandibule à droite engendrée par le coup de poing de E______. Or, selon la reconstitution virtuelle, l'appelant se trouvait à hauteur des épaules de C______ au moment du geste suspect. En conséquence, si un coup de pied, bénéficiant de surcroît de sa vitesse de course, avait alors été porté, il apparaît hautement improbable qu'il n'eût même pas engendré un hématome près de 23 heures après les faits. De même, si certains aspects de la déposition de C______ à l'IGS ont été confirmés par l'instruction, en particulier le coup de poing reçu à la mâchoire alors qu'il se tenait debout, ses déclarations selon lesquelles il aurait ensuite été roué de coups par les policiers, sont infirmées par les images des caméras de surveillance, de sorte qu'il faut se garder d'octroyer à sa déposition une force probante trop importante. Cela vaut d'autant plus que le violent coup de poing de E______ a selon toute vraisemblance brouillé la perception de C______ pendant au moins plusieurs dizaines de secondes, outre son ressenti dû à son immobilisation par les genoux de l'appelant. Le précité n'a de surcroît pas pu être confronté aux autres éléments de preuve recueillis par la suite puisqu'il a disparu sans laisser d'adresse.

Ainsi, la conclusion à laquelle parvient le rapport d'expertise du 28 mai 2020, à savoir que la reconstitution virtuelle parle en faveur de l'existence d'un coup de pied, est fondée sur une prémisse erronée qui impose que la Chambre de céans s'en écarte sur ce point. De même, le raisonnement du TP qui se base sur cette expertise et sur le fait que l'hypothèse d'un enjambement par l'appelant ne soit pas établie pour retenir celle d'un coup de pied n'apparaît pas convaincant.

Au vu de ce qui précède, les éléments de preuve disponibles ne permettent pas aux juges d'appel d'avoir l'intime conviction que l'appelant aurait porté un coup de pied à C______. Ceux-ci laissent au contraire plutôt penser que la version avancée par l'appelant est conforme à la réalité. Quoiqu'il en soit, le principe de la présomption d'innocence impose dans ces circonstances de retenir l'hypothèse la plus favorable au prévenu, soit l'absence d'un coup de pied donné volontairement. L'élément constitutif objectif d'un abus d'autorité par un policier n'est donc pas rempli dans le cas d'espèce.

En conclusion, l'appelant doit être acquitté des accusations portées à son encontre, et le jugement entrepris réformé sur ce point.

4. 4.1.1. En vertu de l'art. 404 al. 1 CPP, la Chambre pénale d'appel et de révision ne réexamine un jugement que sur les points contestés par un appelant ou un appelant joint (maxime de disposition), sous réserve de l'existence d'une décision inéquitable au sens de l'art. 404 al. 2 CPP ; les points non-contestés du jugement de première instance deviennent définitifs (art. 402 CPP a contrario ; ATF 148 IV 89 consid. 4.3 ; 147 IV 167 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_35/2022 du 24 novembre 2022 consid. 3.1.1). S'agissant des frais d'une procédure d'appel, l'art. 428 al. 1 CPP prévoit cependant que l'autorité d'appel les répartit d'office. En outre, si cette autorité rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce d'office sur les frais fixés par l’autorité inférieure selon l'art. 428 al. 3 CPP (T. DOMEISEN, Basler Kommentar StPO, 2ème éd. 2014, n. 23 ad art. 428).

4.1.2. En l'espèce, l'appelant a conclu à l'annulation du jugement du TP du 9 novembre 2022, à son acquittement et à l'octroi d'une indemnité d'un montant de CHF 25'526.60 en lien avec ses frais de défense. Il n'a pas conclu à la mise à charge de l'État des frais de la procédure préliminaire et de première instance. Comme susmentionné, cette absence ne lui porte toutefois pas préjudice. La Chambre de céans reste donc compétente pour examiner cette question indépendamment de ses conclusions d'appel.

4.2. Selon l'art. 423 al. 1 CPP, les frais de procédure sont mis à la charge du canton qui a conduit la procédure, sous réserve d'une autre règle d'imputation prévue par le CPP. Lorsque le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent néanmoins être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 426 al. 2 CPP).

En l'espèce, le comportement de l'appelant n'a pas provoqué l'ouverture de la procédure, celle-ci l'ayant été suite aux déclarations de C______, en partie corroborées par les examens médicaux, et aucun élément ne permet de retenir qu'il aurait rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

En conséquence, l'ensemble des frais relatifs à la procédure préliminaire et de première instance imputés à l'appelant, soit CHF 9'138.62, sera laissé à la charge de l'État.

4.3. L'appel ayant été admis, il ne sera pas perçu de frais (art. 428 CPP a contrario).

5. 5.1. L'art. 429 al. 1 let. a CPP prévoit que s'il est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail, et donc les honoraires, étaient ainsi justifiés (ATF 142 IV 45 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.1 ; 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1 ; 6B_2/2021 du 25 juin 2021 consid. 1.1.2). L'État doit en principe indemniser la totalité des frais de défense, ceux-ci devant toutefois demeurer raisonnables compte tenu de la complexité et de la difficulté de l'affaire (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.2 ; 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1 ; 6B_230/2021 du 17 novembre 2021 consid. 1.1).

L'indemnité doit correspondre au tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule ; l'État n'est pas lié par une convention d'honoraires passée entre le prévenu et son avocat (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.2). Bien que le canton de Genève ne connaisse pas de tarif officiel des avocats, il n'en a pas moins posé, à l'art. 34 de la loi sur la profession d'avocat (LPAv), les principes généraux devant présider à la fixation des honoraires, qui doivent en particulier être arrêtés compte tenu du travail effectué, de la complexité et de l'importance de l'affaire, de la responsabilité assumée, du résultat obtenu et de la situation du client. La Cour de justice applique ainsi un tarif horaire maximal de CHF 450.- pour les chefs d'étude (AARP/79/2023 du 15 mars 2023 consid. 4.1 ; AARP/357/2022 du 16 novembre 2022 consid. 6.1 ; AARP/347/2022 du 16 novembre 2022 consid. 2.1).

5.2.1. Eu égard à la procédure préliminaire et de première instance, l'appelant requiert l'indemnisation par l'État de 61 heures (22 + 34.50 + 4.50) de travail de son conseil, soit 3'660 minutes, principalement au tarif horaire hors taxe de CHF 300.-. Bien que la liste des postes de travail produite mélange fréquemment plusieurs activités différentes, il est possible de répartir schématiquement ceux-ci entre les activités consacrées à des évènements procéduraux clés (audiences, préparation d'une plaidoirie notamment) pour un total de 900 minutes, le travail de fond du dossier (y compris les rendez-vous en personne et les consultations du dossier) pour un total de 1'692 minutes, et les communications diverses pour un total de 1'068 minutes.

Les 900 minutes consacrées aux audiences et autres activités essentielles doivent être entièrement indemnisées. En revanche, la durée de 1'692 minutes consacrées au travail de fond du dossier est excessive s'agissant d'une cause simple sur le plan factuel et juridique. Il convient de la réduire à 840 minutes (14 heures), laquelle apparaît suffisante à l'exercice d'une défense efficace s'agissant d'un avocat chevronné comme l'est le défenseur de l'appelant. En ce qui concerne les 1'068 minutes consacrées aux communications diverses, elles apparaissent également en partie superflues. Il convient de limiter la prise en charge de cette activité à 360 minutes (6 heures). Au total, il convient donc d'indemniser un total de 2'100 minutes d'activité (900 + 840 + 360), soit 35 heures.

Le tarif horaire du conseil de l'appelant étant de CHF 321.- TVA incluse depuis le 1er janvier 2018 (et de CHF 325.- pour la brève période antérieure), son indemnisation s'élève à CHF 11'253.80 ([35 {heures} x CHF 321.-] + CHF 18.80 {correspondant à la TVA pour les activités réalisées avant la date précitée}). Bien que ce tarif excède le montant couvert par l'État employeur au titre de l'art. 9B al. 2 let. b du Règlement général sur le personnel de la police (RGPPol) (cf. AARP/80/2021 du 11 mars 2021 consid. 6.4), il n'existe en l'occurrence pas d'élément laissant à penser que Me P______ n'aurait pas facturé ces sommes à l'appelant, ni le montant correspondant à la TVA figurant dans sa note du 20 septembre 2022 ainsi que sur ses différentes listes de prestations.

S'agissant des frais de greffe mentionnés par l'appelant dans les factures de son conseil, il s'agit là de frais généraux d'exploitation d'une étude qui n'ont pas à être supportés par la caisse publique. À l'inverse, les CHF 95.- engendrés par le prix des photocopies d'éléments du dossier au MP doivent être pris en charge par l'État en tant que débours directement liés à la procédure pénale.

L'indemnisation de l'appelant en lien avec ses frais de défense en procédure préliminaire et de première instance doit donc être fixée à CHF 11'348.80 (CHF 11'253.80 + CHF 95.-).

5.2.2. S'agissant de la procédure d'appel, l'appelant requiert l'indemnisation par l'État de 1'008 minutes de travail de son conseil, soit 16 heures et 48 minutes. Ce total se compose schématiquement de 892 minutes de travail de fond du dossier (14 heures et 52 minutes), notamment de 650 minutes de rédaction d'un mémoire d'appel écrit (10 heures et 50 minutes), ainsi que de 116 minutes consacrées à des communications diverses (1 heure et 56 minutes).

La durée de 892 minutes consacrée au travail de fond du dossier est excessive. En effet, les griefs portés par l'appelant à l'encontre du jugement de première instance sont de nature exclusivement factuelle et nécessitent donc avant tout une bonne connaissance des éléments de preuve, connaissance nécessairement acquise au cours de la procédure préliminaire et de première instance. Une durée de 300 minutes (cinq heures) apparaît donc suffisante à l'aune des connaissances et de l'expérience de l'avocat constitué. Les 116 minutes consacrées à des communications diverses sont en revanche adéquates, de sorte qu'il y a lieu de les mettre entièrement à charge de l'État.

L'indemnisation de l'appelant en lien avec ses frais de défense en procédure d'appel doit donc être fixée à CHF 2'230.95 TVA incluse (6.95 {heures} x 321.- {CHF/h}).

5.2.3. Pour le surplus, les conditions d'une mise à charge de la partie plaignante de l'indemnité octroyée à l'appelant selon l'art. 432 al. 2 CPP, à savoir que l'infraction soit poursuivie sur plainte ou que la partie plaignante ait entravé le bon déroulement de la procédure par un comportement téméraire (le texte français étant erroné : ATF 147 IV 47 consid. 4.2.2) ne sont manifestement pas remplies.

6. L'appelant étant acquitté de toutes les charges portées contre lui, il convient de débouter C______ de ses conclusions en indemnisation (cf. art. 433 CPP a contrario).

7. Considéré globalement, l'état de frais produit par MD______, conseil juridique gratuit de C______, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale.

La rémunération de MD______ sera partant arrêtée à CHF 343.80 correspondant à 1.33 heures d'activité au tarif de CHF 200.-/heure (CHF 266.-) plus la majoration forfaitaire de 20% (CHF 53.20) et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% (CHF 24.60).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1145/2022 rendu le 20 septembre 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/11111/2017.

L'admet.

Annule ce jugement en ce qui concerne A______.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ d'abus d'autorité (art. 312 CP).

Laisse le tiers des frais de la procédure préliminaire et de première instance imputés à A______ par le Tribunal de police, soit CHF 9'138.62, à la charge de l'État.

Laisse les frais de la procédure d'appel à la charge de l'État.

Alloue à A______ un montant de CHF 11'348.80, TVA comprise, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure au cours de la procédure préliminaire et de première instance.

Alloue à A______ un montant de CHF 2'230.95, TVA comprise, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure au cours de la procédure d'appel.

Déboute C______ de ses conclusions en indemnisation en tant que celles-ci sont dirigées contre A______.

Prend acte de ce que l'indemnité de procédure due à Me D______, conseil juridique gratuit de C______, a été arrêtée à CHF 6'493.25 pour la procédure préliminaire et de première instance.

Arrête à CHF 343.80, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de MD______, conseil juridique gratuit de C______, pour la procédure d'appel.

 

 

 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à MQ______, chargé de l'enquête administrative à l'encontre de A______.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

Le président :

Vincent FOURNIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.