Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1134/2024 du 14.11.2024 ( LCI ) , REJETE
ATTAQUE
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 14 novembre 2024
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dans la cause
A______ SA, représentée par Me Pascal PETROZ, avocat, avec élection de domicile
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1. A______ SA est propriétaire de la parcelle n° 1______, au lieu-dit du « B______ », feuille ______, de la commune de C______ (ci-après: la commune), sise pour partie en zone agricole, pour partie en zone de développement 4B protégée, zone de fond 5, et pour partie en zone de bois et forêt.
Plusieurs bâtiments sont cadastrés sur cette parcelle d’une surface totale de 105'411 m2, notamment le bâtiment n° 20______, dont la destination est, selon le registre foncier, « hangar », d’une surface de 1'045 m2, situé dans la partie de la parcelle en zone de développement 4B protégée, zone de fond 5.
2. Conformément à l’arrêté ______ du ______ 1956, le Conseil d’État a classé une partie de la parcelle n° 1______ ainsi que les bâtiments sis sur cette dernière, dont le bâtiment n° 20______.
3. Par requête enregistrée le 16 mars 2010 par le département du territoire (ci-après : DT) sous le n° DD 2______/1, A______ SA a sollicité la délivrance d’une autorisation de construire dont l’objet était « BÂTIMENT N° 20______ aménagement de halles d’exposition horlogères – rénovations intérieures, de la toiture et des façades – jours en toiture ».
4. Cette demande a été acceptée par le DT le 10 juillet 2012.
La décision y relative, entrée en force, précisait notamment que les constructions et/ou installations autorisées ne pourraient être occupées ou utilisées à un titre quelconque avant l’obtention d’un permis d’occuper, respectivement d’utiliser (pt. 6). En outre, les allèges, barrières et garde-corps devaient être conformes à l’art. 50 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01) (pt. 7).
5. Le 25 novembre 2016, A______ SA a déposé une seconde demande d’autorisation de construire, enregistrée par le DT sous le n° DD 2______/2, portant sur le « (BÂTIMENT N° 20______ aménagement de halles d’exposition horlogères – rénovations intérieures, de la toiture et des façades – jours en toiture ) – concept de sécurité selon AEAI 2015 – Régularisation d’infraction I/4______».
6. À teneur du constat établi le 30 octobre 2019 par la direction de l’inspectorat de la construction (ci-après : DIC) accompagné de photographies, il ressortait de la visite sur place du même jour que le 20______ n’était plus en chantier et était exploité.
7. Suite à cette constatation, la procédure d’infraction I/4______ a été ouverte.
8. Par pli recommandé du 19 février 2020 se référant aux procédures I/4______ et DD 2______/2, le DT a imparti au mandataire professionnellement qualifié (ci-après : MPQ) de A______ SA un délai de dix jours pour se déterminer quant à la réalisation du projet soumis à l’examen avant la fin de l’instruction de la demande précitée et à l’entrée en occupation du bâtiment sans finalisation du processus de permis d’occuper.
9. Par décision du ______ 2020, le DT a refusé de délivrer l’autorisation DD 2______/2, faute pour A______ SA d’avoir fourni les compléments requis par certaines instances de préavis dans les délais impartis et prolongés par le DT.
10. Par décision du même jour se référant aux procédures I/4______ et DD 2______/2, le DT, considérant que les éléments visés par la DD précitée – réalisés sans droit alors que la requête était encore à l’examen – ne pouvaient être maintenus, a ordonné au MPQ de A______ SA de procéder à une remise en état dans un délai de 60 jours conformément à la seule autorisation en force, soit la DD 2______/1.
Une amende de CHF 5'000.- lui était également infligée, eu égard à son statut de professionnel de l’immobilier, de la mesure de la protection patrimoniale dont bénéficiait le bien, de l’entrée en occupation du bâtiment sans finalisation du processus du permis d’occuper ainsi que de l’importance des irrégularités constatées. Toute mesure et/ou sanction supplémentaires demeuraient réservées.
11. Par pli du 4 septembre 2020, le MPQ a sollicité auprès du DT une prolongation du délai imparti pour procéder à la mise en conformité jusqu’à fin décembre 2020, tout en précisant qu’un dossier allait être déposé selon les attentes du service des monuments et sites (ci-après : SMS) et de la police du feu et qu’un entretien avait été sollicité avec un représentant du DT.
12. Par courrier du 9 octobre 2020, le DT, constatant que le courrier du 4 septembre 2020 était intervenu hors délai et que son ordre du ______ 2020 n’avait pas été respecté, a infligé au MPQ une nouvelle amende de CHF 500.-, tenant compte de son attitude répétée tendant à ne pas se conformer aux ordres dans les délais impartis.
Pour le surplus, il lui était ordonné, dans un nouveau délai au 31 décembre 2020 tenant compte de sa proposition, de procéder à la remise en état conformément à la DD 2______/1.
Toute nouvelle mesure et/ou sanction demeurait réservée en cas de non-respect du présent ordre, qui constituait une mesure d’exécution d’une décision entrée en force non susceptible de recours, excepté s’agissant de l’amende.
13. Le 5 mars 2021, le DT s’est adressé directement à A______ SA et, reprenant le contenu du courrier adressé le 19 février 2020 à son MPQ, lui a imparti un délai de dix jours pour se déterminer.
En outre, suite à la cessation d’activité dudit MPQ, A______ SA était invitée à annoncer l’identité du nouveau MPQ en charge du dossier. Toute mesure et/ou sanction complémentaires demeuraient réservées.
14. Par correspondance du 18 mars 2021, A______ SA a transmis au DT, sous la plume de son conseil, les coordonnées de son nouveau MPQ. Eu égard à ce changement de mandataire, un délai au 18 avril 2021 était sollicité pour produire ses observations.
15. Par courriel du 23 mars 2021, le DT a donné une suite positive à la demande de délai précitée.
16. Le 23 juillet 2021, le nouveau MPQ de A______ SA a déposé une nouvelle demande d’autorisation de construire afin de tenter de régulariser la situation.
Cette dernière, enregistrée par le DT sous le n° DD 2______/3, indiquait comme objet « « (BÂTIMENT N° 20______ aménagement de halles d’exposition horlogères – rénovations intérieures, de la toiture et des façades – jours en toiture ) – modifications diverses du projet initial – régularisation I/4______».
17. Par décision du ______ 2023, le DT, se référant aux art. 56A RCI et 12P al. 1 du règlement d'application de la loi sur l'énergie du 31 août 1988 (REn - L 2 30.01), a délivré l’autorisation de complémentaire DD 2______/3.
Était notamment précisé que les allèges, barrières et garde-corps devaient être conformes à l’art. 50 RCI (pt. 7).
18. Par décision du ______ 2023 mentionnant les procédures I/4______ et DD 2______/3 et les travaux réalisés et à l’entrée en occupation avant la fin de la procédure d’autorisation DD 2______/2, le DT a ordonné à A______ SA de rétablir une situation conforme au droit d’ici au 15 novembre 2023 en procédant à la réalisation des travaux conformément à la DD 2______/3 délivrée le même jour.
Dans le même délai, la procédure de permis d’occuper devrait également être finalisée conformément à la condition de l’autorisation initiale délivrée.
De plus, lors de la visite sur place d’un collaborateur du DT le 20 juin 2023, il avait été relevé que les fenêtres du 1er étage ne répondaient pas aux normes de sécurité, notamment à l’art. 50 RCI. En conséquence, en application des art. 129 ss LCI, il était ordonné à A______ SA avec effet immédiat l’interdiction d’utiliser le 1er étage du bâtiment n° 20______ jusqu’à l’obtention d’un permis d’occuper.
En cas de non-respect de cette décision, elle s’exposait à toutes nouvelles mesures et/ou sanctions justifiées par la situation. S’agissant de la sanction administrative portant sur l’entrée en occupation sans droit, elle pourrait faire l’objet d’une décision à l’issue du traitement du dossier I/4______, raison pour laquelle elle demeurait en l’état réservée.
Cette décision était susceptible de recours dans un délai de 30 jours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).
19. Par acte du 23 octobre 2023 accompagné de pièces, A______ SA, sous la plume de son conseil, a interjeté recours à l’encontre de cette décision auprès du tribunal, concluant à son annulation en tant qu’elle ordonnait avec effet immédiat l’interdiction d’utiliser le 1er étage de l’édifice n° 20______ jusqu’à l’obtention d’un permis d’occuper, sous suite de frais et dépens.
Le recours était dirigé exclusivement contre l’interdiction avec effet immédiat d’utiliser le 1er étage du bâtiment n° 20______. Cette décision n’étant pas exécutoire nonobstant recours, le présent recours emportait automatiquement effet suspensif.
Son recours était recevable, dans la mesure où l’interdiction immédiate d’utiliser le 1er étage constituait une décision finale.
Aucune remarque n’avait été formulée par le DT en lien avec les fenêtres lors de la délivrance de l’autorisation DD 2______/1 en juillet 2012. Il en avait été de même lors du refus de la DD 2______/2 en mai 2020.
Compte tenu de son activité, dont la renommée sur la place horlogère était notoire, la décision attaquée la mettait en difficulté dans la mesure où sa salle d’exposition ne pouvait plus être utilisée. Dès réception de la décision attaquée et afin de respecter cette dernière, elle avait immédiatement condamné l’accès aux fenêtres, comme démontré par les photographies jointes prises le 20 octobre 2023. Elle avait également commencé à constituer un dossier de demande de modification des fenêtres auprès du SMS, dans la mesure où le bâtiment était classé. Puisque les fenêtres concernées étaient condamnées, les règles de sécurité étaient respectées, de sorte qu’elle devait pouvoir utiliser sa salle d’exposition.
La décision attaquée violait le principe de proportionnalité. Cette dernière retenait qu’en raison de l’absence de permis d’occuper en force, il se justifierait d’interdire immédiatement l’utilisation de tout le 1er étage de l’édifice n° 20______. Le motif avancé était l’absence de garde-corps situés au niveau des fenêtres, en violation de l’art. 50 RCI. Dans le même temps, la décision délivrait l’autorisation DD 2______/1 et lui impartissait un délai au 15 novembre 2023 pour se conformer à celle-ci et pour finaliser la procédure du permis d’occuper. Or, il était curieux de lui impartir un délai pour rétablir une situation liée à l’autorisation de construire délivrée, tout en prononçant dans le même temps l’interdiction pure et simple d’utiliser le 1er étage du bâtiment avec effet immédiat. Conformément à l’art. 132 LCI, un délai aurait dû lui être imparti pour remédier à la situation. En outre, la problématique des fenêtres avait été soulevée par le DT uniquement après la délivrance de la troisième demande d’autorisation de construire. Jamais auparavant cette question ne s’était posée, alors même que le département avait eu accès, depuis 2010 et le dépôt de la DD 2______/1, aux plans du bâtiment.
Par ailleurs, à supposer qu’une mesure du DT eût été nécessaire, ce qui était contesté, une mesure moins incisive aurait pu être prononcée, par exemple la condamnation des fenêtres concernées, sans pour autant interdire l’accès général à sa salle d’exposition. C’était précisément ce qu’elle avait fait, en vissant celles-ci, ce qui ne permettait plus de les ouvrir.
L’interdiction de l’accès à la salle d’exposition se justifiait d’autant moins sous l’angle de la proportionnalité dans la mesure où une modification des fenêtres impliquait l’interpellation de l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS). Il était ainsi peu vraisemblable qu’elle soit mise au bénéfice d’une autorisation rapidement. Dès lors, l’interdiction d’accéder à la salle d’exposition pourrait se prolonger, avec des conséquences économiques désastreuses pour son activité, puisqu’elle priverait le groupe d’exercer correctement son activité, cette salle d’exposition constituant un lieu primordial dans le marketing de la marque.
20. Par observations du 2 janvier 2024, le DT a conclu, à la forme, à ce que le recours soit déclaré irrecevable et, sur le fond, à son rejet, sous suite de frais.
La décision attaquée ne constituait pas une décision finale. L’interdiction d’utiliser les locaux du 1er étage ne constituait qu’une mesure destinée à être tranchée définitivement lors de la procédure du permis d’occuper, conformément à l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_621/2021 du 19 septembre 2023 consid. 2.2). Il s’agissait ainsi d’une décision uniquement temporaire visant à régler la situation juridique dans l’attente de l’achèvement de la procédure du permis d’occuper, qu’elle ne préjugeait d’ailleurs pas. Si le DT constatait que le bâtiment était conforme à l’autorisation de construire et répondait aux exigences de sécurité, il délivrerait le permis d’occuper et la mesure provisoire serait levée de plein droit. Si tel n’était pas le cas, il ordonnerait les mesures utiles en vue de rétablir une situation conforme au droit. C’était sur la base de ce raisonnement que la jurisprudence avait qualifié l’ordre d’arrêt de travaux de décision incidente, ce qui paraissait applicable au présent cas. La recourante n’ayant pas démontré que les conditions de recours contre une décision incidente étaient remplies, le recours apparaissait manifestement irrecevable.
Si, par impossible, le recours devait être déclaré recevable, il convenait de le rejeter. Il n’était pas contesté que la recourante n’avait pas respecté l’autorisation de construire initiale de 2012 en tant qu’elle imposait l’obtention d’un permis d’occuper pour pouvoir utiliser le bâtiment. Ce faisant, elle avait également enfreint l’art. 7 al. 4 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).
À cela s’ajoutait le fait que le local situé au 1er étage ne répondait pas aux normes de sécurité imposées par l’art. 50 RCI, ce que la recourante reconnaissait implicitement en indiquant avoir condamné les fenêtres litigieuses. Ce faisant, la précitée avait également violé l’autorisation précitée.
Par conséquent, c’était à bon droit qu’une mesure fondée sur l’art. 129 LCI avait été prononcée.
Sous l’angle de la proportionnalité, l’interdiction prononcée était apte à garantir l’objectif visé, à savoir la sécurité du public. La recourante ne démontrait d’ailleurs pas le contraire.
Quant à la nécessité de cette mesure, il ressortait clairement de l’exposé des faits que le département aurait pu, en raison de l’absence de permis d’occuper, interdire l’utilisation de la totalité du bâtiment. Dans la mesure où il s’était limité au 1er étage, qui présentait un risque accru, la recourante était malvenue de se plaindre de la disproportion de la mesure.
Enfin, la mesure ordonnée visait à assurer la sécurité des occupants et cet intérêt public l’emportait vraisemblablement sur les préoccupations économiques de la recourante. Cette dernière prétendait certes avoir condamné les fenêtres litigieuses. Toutefois, cette intervention était postérieure à la décision contestée et ne répondait pas aux exigences de l’art. 50 RCI.
Partant, le grief de violation du principe de proportionnalité devait être rejeté.
21. Après avoir sollicité à quatre reprises la prolongation du délai initialement imparti au 25 janvier 2024 pour répliquer, la recourante, par réplique du 27 mai 2024, a persisté dans ses conclusions.
Par jugement JTAPI 8_____ 2024 du 16 mai 2024 (cause A/9_____ 2023), le tribunal avait annulé la décision du DT ordonnant la cessation immédiate de l’utilisation d’une véranda-bureau lui appartenant située sur la parcelle 10_____, considérant que l’ordre en question s’apparentait à une mesure poursuivant davantage un but répressif que correcteur. Elle subissait effectivement, depuis de nombreux mois, l’acharnement du DT qui, pour une raison inconnue, avait soudainement décidé de jeter son dévolu sur elle, comme démontré par l’existence de plusieurs procédures pendantes devant le tribunal (causes A/11_____ 2023, A/9_____ 2023, A/12_____ 2023, A/13_____ 2024, A/14_____ 2024, A/15_____ 2024 et A/16_____ 2024).
Son recours était bien recevable. Comme retenu par le tribunal dans le JTAPI 8_____2024 précité, la décision querellée, prononcée en application de l’art. 129 let. d LCI, ne présentait pas une étape vers une décision finale mais, à l’instar des autres mesures prévues dans le catalogue de la disposition légale précitée, constituait une décision finale sujette à recours dans un délai de trente jours.
Sur le fond, les arguments avancés par le DT dans ses observations démontraient une fois de plus l’acharnement dont elle faisait l’objet.
Les procédures de permis d’occuper concernaient les autorisations de construire relatives à des constructions ou installations ouvertes à un large public. Dès lors que les locaux concernés par l’interdiction contestée était utilisée pour la clientèle du groupe, il ne s’agissait pas d’une construction ouverte à un large public. Ainsi, la question d’un permis d’occuper n’était pas pertinente et le DT n’était pas fondé à exiger un tel document.
Ce nonobstant, de l’aveu du DT lui-même, il avait connaissance de l’achèvement des travaux et de l’occupation du bâtiment litigieux depuis le 31 octobre 2019. L’on peinait dès lors à suivre le raisonnement de ce dernier, qui invoquait des motifs de sécurité pour justifier l’interdiction d’utiliser les locaux avec effet immédiat, alors qu’elle avait de surcroît démontré avoir temporairement résolu la question en condamnant l’ouverture des fenêtres litigieuses. Aucun élément au dossier n’indiquait que des problèmes en lien avec la sécurité des occupants et/ou utilisateurs seraient apparus et auraient nécessité une telle mesure d’urgence. L’attitude du DT était d’autant moins compréhensible qu’il avait imparti un délai de remise en conformité au 15 novembre 2023. Il devait par conséquent attendre le délai qu’il avait lui-même fixé pour la mise en conformité de la situation.
En tout état, sous l’angle de la proportionnalité, il n’apparaissait pas absolument nécessaire et impératif de lui faire interdiction immédiatement d’utiliser son bâtiment, alors même que le DT ne s’y était pas opposé depuis octobre 2019. Comme dans la cause A/9_____2023, l’ordre présentement querellé s’apparentait davantage à une mesure poursuivant un but répressif plutôt que correcteur, que devaient pourtant viser les mesures prévues à l’art. 129 LCI.
22. Par duplique du 21 juin 2024, le DT a persisté dans ses conclusions.
La décision attaquée était de nature incidente. Le jugement du tribunal dont se prévalait la recourante semblait ne pas avoir eu connaissance ou ne pas avoir examiné la jurisprudence de la Haute Cour, pourtant univoque, citée dans ses observations. L’on ne pouvait donc exclure que cette jurisprudence ne soit pas applicable au cas d’espèce. La recourante ne le prétendait d’ailleurs pas.
Le développement de la recourante sur l’application de l’art. 38 RCI était irrecevable. Dès lors que les autorisations initiales et complémentaires délivrées, qui prévoyaient expressément la procédure du permis d’occuper, étaient en force, un tel argument était tardif.
L’affirmation selon laquelle l’interdiction immédiate d’utiliser les locaux ne serait pas proportionnée au motif que le DT connaissait l’occupation desdits locaux depuis 2019 n’était pas pertinente. En effet, ce n’était pas l’occupation des locaux qui avait entraîné le prononcé de la décision litigieuse mais le constat du 20 juin 2023 du non-respect des prescriptions en matière de sécurité imposées par la première autorisation de construire.
La recourante persistait à soutenir que la mesure litigieuse serait disproportionnée, étant donné qu’elle avait condamné temporairement les fenêtres qui ne répondaient pas aux principes de sécurité. Toutefois, force était de constater qu’elle n’avait toujours pas mis en œuvre l’ordre de mise en conformité qui lui avait été donné le 21 septembre 2023. Cette circonstance, couplée au fait que la recourante qualifiait elle-même son dispositif de « provisoire », démontrait que celui-ci pouvait aisément être démonté sans que la sécurité des occupants ne soit garantie.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la LCI (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).
2. Interjeté par la recourante, destinataire de la décision attaquée, dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue, conformément aux art. 60, 61, 64 et 65 LPA de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. Se pose toutefois la question, sous l’angle de la recevabilité du recours, de la qualification de la décision attaquée.
La recourante allègue que cette décision constitue une décision finale. L’autorité intimée considère, quant à elle, qu’il s’agit d’une décision incidente.
4. Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité, dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal, et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).
5. En vertu de l'art. 57 LPA, sont susceptibles d’un recours les décisions finales (let. a), les décisions par lesquelles l’autorité admet ou décline sa compétence (let. b), ainsi que les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. c).
6. Selon l'art. 62 al. 1 LPA, le délai de recours est de trente jours s'il s'agit d'une décision finale ou d'une décision en matière de compétence (let. a) et dix jours s'il s'agit d'une autre décision (let. b).
7. Une décision est finale lorsqu'elle met fin à la procédure, que ce soit pour un motif tiré du droit matériel ou de la procédure (ATF 134 III 426 consid. 1.1 ; 133 III 629 consid. 2.2 ; 133 V 477 consid. 4.1.1). Une décision est partielle (i.e. partiellement finale : cf. ATF 133 III 629 consid. 2.1 ; 133 V 477 consid. 4.1.2), et doit aussi être attaquée immédiatement, lorsqu'elle statue sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause ou met fin à la procédure à l'égard d'une partie des consorts (ATF 134 III 426 consid. 1.1).
Constitue en revanche une décision incidente une décision qui est prise dans le cours de la procédure administrative, contentieuse ou non contentieuse, sans mettre fin à celle-ci. Les décisions incidentes ne font ainsi que régler une question formelle ou matérielle en tant qu'étape vers la décision finale (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 828 p. 296 et les jurisprudences citées).
8. La distinction entre une décision finale, partielle et incidente résulte des rapports juridiques litigieux (ATF 133 V 477 consid. 4.1 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2010 du 15 décembre 2010 consid. 1). L'intérêt pratique de la distinction entre décision finales (ou partielles) et décisions incidentes réside surtout dans le fait que si les premières peuvent sans autre faire l'objet d'un recours lorsqu'une telle procédure est prévue, la possibilité de recourir séparément contre les secondes est sujette à des restrictions (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 832 p. 298).
9. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions de la recourante ou du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'elle ou il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 3a).
10. À titre préliminaire, il sera relevé que la recourante a précisé, dans le cadre de son recours, que celui-ci portait uniquement sur l’interdiction avec effet immédiat d’utiliser le 1er étage du 20______. Partant, conformément aux conclusions de la recourante, qui, selon la jurisprudence citée supra, circonscrivent l’objet du litige par lequel le tribunal est lié, seul le bien-fondé de cet ordre sera examiné dans le cadre du présent recours, à l’exclusion des autres mesures figurant dans la décision attaquée, telles que décrites ci-après, qui ne sont, quant à elles, pas contestées.
11. En l’espèce, la décision attaquée ordonne, d’une part, le rétablissement d’une situation conforme au droit en procédant à la réalisation des travaux conformément à la DD 2______/3 d’ici au 15 novembre 2023. D’autre part, dans le même délai, la procédure de permis d’occuper doit également être finalisée, conformément à la condition de l’autorisation de construire initiale entrée en force. Enfin, en application des art. 129 ss LCI, la décision attaquée ordonne à la recourante avec effet immédiat l’interdiction d’utiliser le 1er étage du bâtiment n° 20______ jusqu’à l’obtention d’un permis d’occuper, dès lors qu’il avait été constaté, lors d’une visite sur place du 20 juin 2023, que les fenêtres du 1er étage ne répondaient pas aux normes de sécurité, notamment l’art. 50 RCI.
S’agissant de l’ordre querellé, il y lieu de constater que celui-ci met fin à la procédure relative à la question de savoir si la recourante peut utiliser les locaux du 1er étage du bâtiment n° 20______ en l’état. En effet, la décision attaquée retient l’existence d’une violation des normes de sécurité en lien avec les fenêtres concernées, notamment s’agissant de l’art. 50 RCI. Comme vu supra, la recourante n’a pas contesté l’ordre de remise en état également prononcé dans la décision attaquée. Or, ce dernier ordonne la réalisation des travaux conformément à l’autorisation de construire DD 2______/3, qui prévoit explicitement, en son pt. 7, que les allèges, barrières et garde-corps du bâtiment n° 20______ doivent être conformes à l’art. 50 RCI. Par conséquent, la mise aux normes des fenêtres conformément à l'art. 50 RCI est réglée par une décision aujourd'hui définitive qui ne nécessite in casu aucune décision ultérieure, mais uniquement des mesures matérielles d'exécution. Ainsi, il ne saurait être retenu que l’ordre attaqué se contente de régler une question formelle ou matérielle en tant qu'étape vers la décision finale, aucune décision finale n’étant in casu attendue ni nécessaire.
Contrairement à l’allégation de l’autorité intimée, l’interdiction immédiate contestée ne constitue pas une mesure destinée à être tranchée définitivement lors de la procédure du permis d’occuper. Elle l’a en réalité déjà été, puisque la violation de l’art. 50 RCI, qui fonde cette interdiction, a été tranchée dans la décision attaquée par le biais de la remise en état qui, pour rappel, n’a pas été contestée. En outre, cette interdiction prendra fin non à l'occasion d'une décision qui serait rendue ultérieurement en lien avec la procédure du permis d’occuper, mais lorsque l’ordre de remise en état prononcée dans la décision du ______ 2023 sera exécuté et aura été respecté. À ce propos, la prétendue absence de nécessité d’obtenir un permis d’occuper dans le présent cas – invoquée par la recourante dans sa réplique - ne fait pas l'objet du litige et ne sera donc pas discutée, dès lors que la nécessité d’obtenir un tel permis découle de l'une des conditions de la décision d’autorisation de construire antérieure entrée en force.
L’arrêt du Tribunal fédéral 1C_621/2021 invoqué par l’autorité intimée pour soutenir le caractère incident de la décision litigieuse s'inscrit dans un contexte différent du cas d'espèce. En effet, le consid. 2.2 de cette jurisprudence, auquel le département se réfère, indique en substance que l’ordre de cesser immédiatement l’utilisation non autorisée d’un bâtiment constitue une mesure à caractère « cautelare » visant à empêcher l’utilisation d’un bâtiment non conforme à la destination autorisée jusqu’à ce qu’il soit déterminé si cette utilisation est conforme à la loi matériellement applicable. Or ici, comme vu supra, la décision attaquée constate que la situation viole le droit applicable et est désormais entrée en force sur ce point. Ainsi, in casu, aucun prononcé ultérieur d’un nouvel ordre de remise en état n’est attendu.
Il en va de même de l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_127/2020, également invoqué par l'autorité intimée. En effet, cette jurisprudence concerne une décision municipale, confirmée en dernière instance cantonale, qui impose au recourant de déposer un dossier global de légalisation des travaux non autorisés déjà exécutés et lui ordonne d’arrêter immédiatement les éventuels travaux entrepris sans autorisation sous la menace de l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Par conséquent, l’ordre d’arrêt immédiat, qui porte en outre sur la réalisation de travaux et non sur l’utilisation d’un bâtiment comme dans le présent cas, a été prononcé dans l’attente d’une décision ultérieure quant à la conformité des constructions ou installations concernées au droit matériel.
Enfin, la décision litigieuse n’a pas été déclarée exécutoire nonobstant recours. Dès lors, l'interdiction immédiate d'occuper ne saurait trouver application tant que la décision la prononçant n’est pas entrée en force. L’on peine ainsi à voir quel intérêt temporaire cette dernière pourrait avoir, à l’instar d’une mesure provisionnelle, si elle devait être considérée comme une décision incidente rendue dans l’attente d’une décision finale. Il est en effet patent que le prononcé, dans un même acte, d’une décision prétendument incidente et d’une décision finale, sans déclarer ledit acte exécutoire nonobstant recours, ne serait d’aucune pertinence dans l’hypothèse où, comme le prétend l'autorité intimée, la décision qualifiée d’incidente aurait pour seul but de régler la situation juridique jusqu’à droit connu sur la conformité des installations ou constructions concernées avec le droit matériel, laquelle est en réalité connue ici et a donné lieu au prononcé d’un ordre de remise en état.
Enfin, s’agissant des voies de droit indiquées dans la décision attaquée, le tribunal constate que même si elles ne sauraient être déterminantes, elles font bel et bien état d’un délai de recours de 30 jours et non de 10 jours, ce qui vient contredire la thèse de l’autorité intimée selon laquelle ladite décision serait une décision incidente et non finale.
En conclusion, déposé en temps utile au sens de l’art. 62 LPA contre une décision finale, le recours est recevable.
12. Sur le fond, la recourant allègue que l’interdiction immédiate d’utiliser les locaux du 1er étage du bâtiment n° 20______ violerait le principe de proportionnalité.
13. Selon l'art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente.
14. L'autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone (art. 22 al. 2 let. a LAT) et si le terrain est équipé (art. 22 al. 2 let. b LAT).
Le droit fédéral et le droit cantonal peuvent poser d'autres conditions (art. 22 al. 3 LAT).
15. L'art. 1 al. 1 LCI prévoit que sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (let. a); modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation (let. b) ; modifier la configuration du terrain (let. d) ; aménager des voies de circulation, des places de parcage ou une issue sur la voir publique (let. e).
16. Aucun travail ne doit être entrepris avant que l'autorisation n'ait été délivrée (art. 1 al. 7 1ère phrase LCI).
17. Les constructions ou installations neuves ou modifiées, destinées à l'habitation ou au travail ne peuvent être occupées ou utilisées à un titre quelconque avant le dépôt au département d'un dossier de plans conformes à l'exécution et d'une attestation de conformité établie par un mandataire professionnellement qualifié, cas échéant le requérant, dans les cas prévus par les art. 2 al. 3 2ème ph. (art. 7 al. 1 let. a LCI). L'attestation certifie que les constructions ou installations sont conformes à l'autorisation de construire, aux conditions de celle-ci, ainsi qu'aux lois et règlements applicables au moment d'entrée en force de l'autorisation de construire (art. 7 al. 2 LCI). Suivant la nature du dossier et si le mandataire ou le requérant l'estime nécessaire, l'un ou l'autre peut joindre à sa propre attestation celles des autres mandataires spécialisés intervenus dans le cadre de la réalisation des travaux et/ou l'attestation du propriétaire selon laquelle il n'a sollicité aucune réalisation contraire à la loi (art. 7 al. 3 LCI).
18. Une construction, une installation et, d'une manière générale, toute chose doit remplir en tout temps les conditions de sécurité et de salubrité exigées par la présente loi, son règlement d'application ou les autorisations délivrées en application de ces dispositions légales et réglementaires (art. 121 al. 1 LCI).
19. D'après l'art. 121 al. 3 let. a LCI, une construction, une installation et, d'une manière générale, toute chose doit être maintenue en tel état et utilisée de telle sorte que sa présence, son exploitation ou son utilisation ne puisse, à l'égard des usagers, du voisinage ou du public, ni porter atteinte aux conditions exigibles de sécurité et de salubrité (ch. 1), ni être la cause d'inconvénients graves (ch. 2), ni offrir des dangers particuliers (notamment incendie, émanations nocives ou explosions) par le fait que la surface de la parcelle sur laquelle elle est établie est insuffisante pour constituer une zone de protection (ch. 3).
20. Selon l’art. 129 LCI, le département peut ordonner, à l’égard des constructions, des installations ou d’autres choses, (a) la suspension des travaux ; (b) l’évacuation ; (c) le retrait du permis d’occupation ; (d) l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter et (e) la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition. Ces mesures peuvent être ordonnées par le département lorsque l’état d’une construction, d’une installation ou d’une autre chose n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires (art. 130 LCI). Les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des art. 129 et 130 de la loi (art. 131 LCI).
21. Le département notifie aux intéressés, par lettre recommandée, les mesures qu'il ordonne. Il fixe un délai pour leur exécution, à moins qu'il n'invoque l'urgence (art. 132 al. 1 LCI).
22. Par mesures administratives sont visées les actions que les autorités administratives ordonnent, par des décisions, voire exécutent (ou font exécuter par des tiers), aux fins de rétablir le respect de la légalité. Le but de ces mesures est donc correcteur et non répressif. Leur prononcé, du même coup, ne dépend pas de conditions tenant à la personne du constructeur, telles que sa faute (Nicolas WISARD, Samuel BRÜCKNER, Milena PIREK, Les constructions « illicites », in DC 2019, p. 213).
23. De jurisprudence constante (ATA/1134/2022 du 8 novembre 2022 consid. 11b; ATA/463/2021 du 27 avril 2021 consid. 5b ; ATA/349/2021 du 23 mars 2021 consid. 7), pour être valable, un ordre de mise en conformité doit respecter cinq conditions. Premièrement, l'ordre doit être dirigé contre le perturbateur, par comportement ou par situation. Les installations en cause ne doivent ensuite pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation. Un délai de plus de trente ans ne doit pas s'être écoulé depuis l'exécution des travaux litigieux pour la zone à bâtir. L'autorité ne doit en outre pas avoir créé chez l'administré concerné, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu'elle serait liée par la bonne foi. Finalement, l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit doit l'emporter sur l'intérêt privé, purement financier, de l'intéressé, voire de ses clients, au maintien des installations litigieuses.
24. L'art. 129 LCI reconnaît une certaine marge d'appréciation à l'autorité dans le choix de la mesure adéquate pour rétablir une situation conforme au droit, dont elle doit faire usage dans le respect des principes de la proportionnalité, de l'égalité de traitement et de la bonne foi, et en tenant compte des divers intérêts publics et privés en présence (ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3c et l'arrêt cité ; ATA/336/2011 du 24 mai 2011 consid. 3b et la référence citées).
25. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).
26. La proportionnalité au sens étroit implique une pesée des intérêts. C’est à ce titre que l’autorité renonce à ordonner la remise en conformité si les dérogations à la règle sont mineures, si l’intérêt public lésé n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l’ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire ou encore s’il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit qui aurait changé dans l’intervalle. Le postulat selon lequel le respect du principe de la proportionnalité s’impose même envers un administré de mauvaise foi est relativisé, voire annihilé, par l’idée que le constructeur qui place l’autorité devant le fait accompli doit s’attendre à ce que cette dernière se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que des inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 1C_60/2021 précité consid. 3.1 ; Nicolas WISARD/Samuel BRÜCKNER/Milena PIREK, Les constructions « illicites » en droit public - notions, mesures administratives, sanctions, Journées suisses du droit de la construction, Fribourg 2019, p. 218).
L’inaction de l’autorité face à une construction illicite ne lie cette dernière que si elle peut être assimilée à une tolérance « active ». Pour cela, l’autorité a dû rester passive pendant une période prolongée – de l’ordre d’une dizaine d’années au moins – alors qu’elle avait connaissance de la construction illicite, ou aurait dû en avoir connaissance si elle avait agi avec diligence (Nicolas WISARD/Samuel BRÜCKNER/Milena PIREK, op. cit., p. 223).
27. Le Tribunal fédéral a déjà considéré que des délais de plus de quatre ans et même de plus de treize ans ne suffisaient pas pour retenir que l'autorité administrative aurait toléré des constructions et installations durant de longues années et que son intervention violerait le principe de la bonne foi (arrêts du Tribunal fédéral 1C_114/2011 du 8 juin 2011 consid. 4.2 ; 1C_181/2009 du 24 juin 2009 consid. 3.3). Des délais de vingt-quatre voire vingt ans peuvent suffire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_176/2009 du 28 janvier 2010 consid. 2.2.2 et les références citées).
28. Un intérêt purement économique ne saurait avoir le pas sur l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_544/2014 du 1er avril 2015 consid. 4.2). Donner de l’importance aux frais dans la pesée des intérêts impliquerait de protéger davantage les graves violations et mènerait à une forte et inadmissible relativisation du droit de la construction. C’est pourquoi il n’est habituellement pas accordé de poids particulier à l’aspect financier de la remise en état (Vincent JOBIN, Construire sans autorisation - Analyse des arrêts du Tribunal fédéral de 2010 à 2016, VLP-ASPAN, Février 1/2018, p. 16 et les références citées).
29. S’il peut certes être tenu compte de situations exceptionnelles par le biais de solutions spécifiques, notamment par la fixation d’un délai de remise en état plus long, une utilisation illégale ne doit pas se poursuivre indéfiniment sur la base du simple écoulement du temps (ATF 147 II 309 consid. 5.5 et 5.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_60/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.2.1).
30. Sous l'angle de la proportionnalité, on peut notamment prendre en compte le fait que la démolition et la remise en état des lieux engendreraient des frais excessifs que l'intéressé ne serait pas en mesure de prendre en charge (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_370/2015 du 16 février 2016 consid. 4.4 ; 1C_537/2011 du 26 avril 2012 ; 1C_101/2011 du 26 octobre 2011 consid. 2.4 ; 1C_248/2010 du 7 avril 2011 consid. 4.2 ; 1C_273/2008 du 7 octobre 2008 consid. 3.2 ; 1C_164/2007 du 13 septembre 2007 consid. 4.3). Néanmoins, un intérêt purement économique ne saurait avoir le pas sur l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_544/2014 du 1er avril 2015 consid. 4.2).
31. Lorsque les preuves font défaut ou s’il ne peut être raisonnablement exigé de l’autorité qu’elle les recueille pour les faits constitutifs d’un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_27/2018 du 10 septembre 2018 consid. 2.2 ; 1C_170/2011 du 18 août 2011 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/99/2020 du 28 janvier 2020 consid. 5b). Il appartient ainsi à l’administré d’établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l’administration de démontrer l’existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a ; ATA/1155/2018 du 30 octobre 2018 consid. 3b et les références citées).
32. En l’espèce, l’interdiction immédiate d’utiliser le 1er étage du bâtiment n° 20______ a été adressé à bon droit à la recourante, qui est propriétaire de la parcelle accueillant le bâtiment précité.
En outre, il est manifeste que les installations concernées, soit les fenêtres du 1er étage dudit bâtiment, n’ont pas été autorisées en l’état, ce qui n’est pas contesté, la recourante ne s’étant pas opposée à l’ordre de remise en état relatif à ces dernières.
Il n’a pas été démontré, ni même allégué par la recourante, que ces fenêtres auraient été réalisées il y a plus de 30 ans.
Pour le surplus, l'autorité intimée n'a pas créé chez la recourante, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu'elle serait liée par la bonne foi.
À ce titre, la recourante se prévaut du fait que la problématique des fenêtres avait été soulevée par le DT uniquement après la délivrance de la DD 2______/3, alors que ce dernier avait eu accès aux plans du bâtiment depuis 2010, lors du dépôt de la demande DD 2______/1. Toutefois, la recourante ne peut déduire de la situation précitée qu’elle était en droit d’utiliser des locaux comprenant des installations contrevenant aux dispositions réglementaires applicables. Retenir le contraire reviendrait à obliger le DT à examiner spontanément la légalité de l’ensemble des installations et constructions présentes sur une parcelle lorsqu’il est saisi d’une demande d’autorisation de construire ou de régularisation concernant cette dernière, indépendamment de l’objet de ladite demande. Cette façon de procéder, en sus de créer une charge de travail importante pour l'autorité intimée, reviendrait en outre à rendre lettre morte les dispositions légales et réglementaires applicables en matière de droit de la construction, notamment l’art. 1 al. 1 let. b LCI qui prévoit que nul ne peut modifier même partiellement le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation sans autorisation. Partant, les conditions posées par la jurisprudence pour se prévaloir d’une violation du principe de la bonne foi ne sont in casu pas remplies, faute pour la recourante de pouvoir démontrer qu’elle aurait été expressément autorisée par l'autorité intimée à utiliser les locaux accueillant les fenêtres non conformes à l’art. 50 RCI.
Sous l'angle de la pesée des intérêts en présence et de la proportionnalité, l’intérêt privé de la recourante à pouvoir utiliser le 1er étage bâtiment n° 20______ dont la remise en état est ordonnée ne saurait prévaloir.
En effet, son allégation selon laquelle l’interdiction d’utiliser sa salle d’exposition – sise dans les locaux concernés par l’ordre querellé – la mettrait en difficulté dès lors que cette salle constituerait un lieu primordial pour le marketing de la marque, ne repose sur aucun élément au dossier. Ainsi, la recourante, qui supporte le fardeau de la preuve, conformément à la jurisprudence citée supra, n’a pas démontré que l’absence d’utilisation des locaux concernés aurait une incidence sur son activité économique ni, cas échéant, à combien se chiffrerait une éventuelle perte y relative. A cela s'ajoute que de toute façon, il faudrait encore que l'intérêt économique de la recourante puisse être considéré comme prépondérant par rapport à la sécurité du public, ce qui, a priori, ne se conçoit pas.
Dès lors, force est de constater, en l’état, qu’il s’agit d’une perte économique purement hypothétique, de sorte qu’elle ne saurait être déterminante dans le cadre de la pesée des intérêts en présence. Pour le surplus, il sera rappelé que, celui qui place l'autorité devant un fait accompli doit s'attendre à ce qu'elle se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit, que des inconvénients qui en découlent pour lui (ATA/213/2018 précité consid. 11 ; ATA/738/2017 précité consid. 8 ; ATA/829/2016 du 4 octobre 2016). Ainsi, la recourante, qui ne conteste pas l’absence de conformité des fenêtres du 1er étage du bâtiment n° 20______ aux dispositions réglementaires applicables, ne pouvait ignorer que des conséquences, telle qu’une éventuelle interdiction d’utiliser les locaux, pourraient découler de cette situation.
Pour le surplus, aucune autre mesure que l’interdiction immédiate d’utiliser les locaux concernés n’apparaît en l’état être apte à atteindre le but visé par cet ordre, soit la protection de la sécurité des utilisateurs desdits locaux, dont les fenêtres ne respectent pas les conditions réglementaires applicables.
A ce titre, la recourante indique, photographies à l’appui, avoir condamné l’accès auxdites fenêtres en les vissant. Cependant, le tribunal constate qu’à teneur des photographies produites, le dispositif mis en place par la recourante apparaît susceptible d’être retiré à tout moment et n'est couvert par aucune autorisation de construire, de sorte que sa modification unilatérale ou son enlèvement par la recourante ne ferait pas peser sur elle un risque de sanction. Par conséquent, les mesures prises par la recourante ne paraissent pas aptes à atteindre le but visé par l'ordre d'interdiction immédiate d'utiliser les locaux concernés.
De plus, les mesures prises par la recourante, en sus d’être postérieures à la décision attaquée, n’ont pas pour conséquence que les installations concernées respecteraient désormais les conditions posées par l’art. 50 RCI. Partant, vu l’absence de conformité – non contestée - des fenêtres en cause et l’absence de preuve que la solution proposée par la recourante permettrait d’atteindre le même but, force est de constater qu’aucune mesure moins incisive n’a ici été proposée par cette dernière.
Enfin, la recourante considère également comme une violation du principe de la proportionnalité le fait que l'autorité intimée lui a délivré la DD 2______/3 tout en lui impartissant un délai pour rétablir une situation conforme à celle-ci et en lui interdisant d’utiliser les locaux avec effet immédiat. Le tribunal peine à discerner en quoi la simultanéité de ces décisions aurait un lien avec le principe de proportionnalité et ne peut donc donner raison à la recourante. Au demeurant, les trois décisions dont il question ne se contredisent pas réciproquement : en effet, la DD 2______/3 devait être délivrée dans la mesure où le projet et les plans qui l'accompagnaient paraissaient conformes à la LCI, mais pour autant, les travaux n'ayant pas été réalisés de manière conforme, un ordre de remise en état était nécessaire, de même que l'interdiction litigieuse, visant à protéger le public en attendant la remise en état effective. La recourante considère encore que l’interdiction immédiate d’occuper aurait dû être assortie de la fixation d’un délai au sens de l’art. 132 LCI, à défaut de quoi cette mesure serait disproportionnée. Le tribunal ne peut suivre la recourante sur ce point, car la fixation d’un tel délai ne se justifiait pas in casu, vu la problématique de sécurité publique potentiellement en jeu.
Eu égard aux développements qui précèdent, il sera retenu que l'ordre d’interdiction immédiate d’occuper le 1er étage du bâtiment n° 20______ en l’état contesté constitue une mesure adéquate et apte à atteindre le but visé et est ainsi conforme au principe de la proportionnalité.
Partant, dès lors que l’ensemble des conditions d’une remise en état sont remplies, il n'apparaît pas que la décision du département soit contraire au droit. C’est ainsi à bon droit et sans abuser de son pouvoir d’appréciation que le DT a prononcé l'ordre querellé.
33. En conclusion, mal fondé, le recours est rejeté.
34. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'500.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 23 octobre 2023 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 900.- ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Diane SCHASCA et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs
Au nom du Tribunal :
Le président
Olivier BINDSCHEDLER TORNARE
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
| Genève, le |
| La greffière |