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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3946/2023

JTAPI/358/2024 du 18.04.2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;PERMIS DE DÉMOLIR
Normes : LPA.60
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3946/2023 LCI

JTAPI/358/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 avril 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Cyrus SIASSI, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______, C______ SA, D______ SA, E______ SA, représentés par Me Michel D’ALESSANDRI, avocat, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC


EN FAIT

1.             Monsieur B______ est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de F______ (ci-après : la commune).

2.             C______ SA et E______ SA sont propriétaires de la parcelle n° 2______ et D______ SA de la parcelle n° 3______ de la même commune.

3.             Le ______ 2023, l’ensemble des propriétaires précités ont déposé auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département) une demande d’autorisation de démolir des habitations, des dépôts et couvert à voiture, ainsi que des murs se trouvant sur les parcelles susmentionnées.

Étaient notamment joints un plan d’installation de chantier prévoyant un accès au chantier par la parcelle n° 3______ depuis le G______, ainsi que le formulaire « Attestation substances dangereuses » accompagnés des diagnostics amiante, PCB, plomb, HAP et HBCD avant travaux réalisés par H______ SA les 11 mars 2021 et 1er septembre2022.

4.             Dans le cadre de l’instruction de cette requête, l’ensemble des préavis s’est révélé favorable au projet, avec ou sans conditions.

5.             Le _______ 2023, le département a délivré l’autorisation de démolir requise, portant la référence M 4______/1.

6.             Par acte du _______ 2023, sous la plume de son conseil, Monsieur A______, propriétaire de la parcelle n° 5______ de la commune (ci-après : le recourant), a recouru contre cette autorisation auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant, sous suite de frais et dépens, à sa modification concernant le plan de circulation du chantier de démolition. Sur mesures provisionnelles, il a conclu à ce qu’il soit fait interdiction aux propriétaires ou à leur mandataire de procéder à tous travaux de démolition sur les parcelles concernées, respectivement qu’il leur soit ordonné de cesser avec effet immédiat tous travaux de démolition. En outre, il devait être fait interdiction avec effet immédiat à toute entreprise œuvrant sur le chantier et à tout ouvrier d’accéder au site sur lequel les travaux de démolition étaient prévus.

Le plan de circulation prévu pour le chantier de démolition exposait le voisinage à des inconvénients en terme de trafic et de sécurité, ainsi qu’à des risques pour leur santé liés à l’évacuation de substances nocives du site résultant notamment du passage des véhicules de chantier sur le G______. Il proposait un plan de circulation modifié prévoyant un accès au chantier par la parcelle n° 1______, au lieu de la parcelle n° 6______ qui se trouvait directement en face de sa propriété.

7.             Le 7 décembre 2023, le département s’est déterminé sur les mesures provisionnelles requises. Les propriétaires (ci-après : les intimés), sous la plume de leur conseil, en ont fait de même par écriture du même jour.

8.             Par décision du _______ 2024, le tribunal a déclaré sans objet la demande de mesures provisionnelles en tant qu’elle concluait à ce qu’il soit fait interdiction de procéder à tous travaux de démolition sur les parcelles litigieuses et l’a rejetée en tant qu’elle concluait à ce qu’il soit fait interdiction avec effet immédiat à toute entreprise œuvrant sur le chantier et à tout ouvrier d’accéder aux parcelles litigieuses.

9.             Dans leurs observations sur le fond du 16 janvier 2024, les intimés ont conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens, s’en rapportant à l’appréciation du tribunal quant à la recevabilité de ce dernier.

En substance, les inconvénients allégués ne constituaient pas des inconvénients graves. De plus, rien en permettait de retenir qu’un danger serait créé par le projet de démolition. Au surplus, le plan de circulation autorisé était le seul qui permettait de limiter les inconvénients liés aux travaux de démolition.

10.         Le 29 janvier 2024, le département s’est déterminé, concluant à l’irrecevabilité du recours et, au fond, à son rejet, faute d’intérêt digne de protection.

11.         Les arguments des parties seront repris et discutés dans la mesure utile ci-après en droit.

12.         Par courrier du 30 janvier 2024, le tribunal a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La recevabilité du recours suppose encore que son auteur dispose de la qualité pour recourir.

4.             À teneur de l’art. 60 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir.

Cette notion de l’intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), que les cantons sont tenus de respecter en application de la règle d’unité de la procédure figurant à l’art. 111 al. 1 LTF (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1 ; 1C_170/2018 du 10 juillet 2018 consid. 4.1 ; ATA/258/2020 du 3 mars 2020 consid. 2b).

5.             L’intérêt digne de protection, qui ne doit pas nécessairement être de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (cf. ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 143 II 506 consid. 5.1 ; 142 V 395 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1), réside dans le fait d’éviter de subir directement un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre, qui serait causé par la décision entreprise. Il implique que le recourant, qui doit pouvoir retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision en cause, doit se trouver dans une relation spécialement étroite et digne d’être prise en considération avec l’objet de la contestation et qu’il soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, de façon à exclure l’action populaire (cf. ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 139 II 499 consid. 2.2 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 137 II 40 consid. 2.3 ; 137 II 30 consid. 2.2.3 et 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1 ; 1C_27/2018 du 6 avril 2018 consid. 1.1 ; 1C_96/2017 du 21 septembre 2017 consid. 2.1).

6.             D’une manière générale, la jurisprudence et la doctrine n’admettent que de manière relativement stricte la présence d’un intérêt propre et direct lorsqu’un tiers entend recourir contre une décision dont il n’est pas le destinataire (ATF 133 V 239 consid. 6.3 ; 131 II 652 consid. 3.1 ; 131 V 300 consid. 3 ; 124 II 504 consid. 3b et les références citées). Il découle d’ailleurs du texte de l’art. 89 al. 1 let. b LTF que le législateur a voulu rendre encore plus stricte la condition de l’intérêt personnel au recours, puisqu’il est précisé que le recourant doit être « particulièrement atteint » par l’acte attaqué (ATF 133 II 468 consid. 1 et les auteurs cités). Ainsi, pour qu’une atteinte soit assez pertinente pour léser un intérêt digne de protection, il faut qu’il y ait véritablement un préjudice porté de manière directe, réelle et pratique à la situation personnelle du recourant (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, n° 5.7.2.1 let. d p. 734 s.).

7.             En matière de droit des constructions, le voisin direct de la construction ou de l’installation litigieuse a en principe la qualité pour recourir (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_164/2019 du 20 janvier 2021 consid. 1). Les intérêts d’un voisin peuvent être lésés de façon directe et spéciale aussi en l’absence de voisinage direct, lorsqu’une distance relativement faible sépare l’immeuble des recourants de l’installation litigieuse (ATF 121 II 171 consid. 2b). La qualité pour recourir a ainsi été admise pour des distances variant entre 25 et 150 m (ATA/1218/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2c et les références citées).

La proximité avec l’objet du litige ne suffit cependant pas à elle seule à conférer au voisin la qualité pour recourir. Celui-ci doit en outre retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision contestée, qui permette d’admettre qu’il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée, de manière à exclure l'action populaire ; il doit ainsi invoquer des dispositions du droit public des constructions susceptibles d'avoir une incidence sur sa situation de fait ou de droit (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; 137 II 30 consid. 2.2.3 et 2.3 ; 133 II 249 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_727/2016 du 17 juillet 2017 consid. 4.2.3 ; 1C_226/2016 du 28 juin 2017 consid. 1.1). Le voisin ne peut ainsi pas présenter n'importe quel grief ; il ne se prévaut d'un intérêt digne de protection, lorsqu'il invoque des dispositions édictées dans l'intérêt général ou dans l'intérêt de tiers, que si ces normes peuvent avoir une influence sur sa situation de fait ou de droit (ATF 139 II 499 consid. 2.2 p. 504; 137 II 30 consid. 2.2.3 p. 33; 133 II 249 consid. 1.3 p. 252).

8.         Le voisin est admis à recourir lorsqu’il est atteint de manière certaine ou du moins avec une probabilité suffisante par la gêne que la décision peut occasionner (ATF 140 II 214 consid. 2.3). Une atteinte particulière est reconnue lorsqu’il faut notamment s’attendre avec certitude ou avec une grande vraisemblance à des immissions sur le fonds voisin en provenance de l’installation (ATF 140 II 214 consid. 2.3 ; 136 II 281 consid. 2.3.1). Le recourant doit ainsi rendre vraisemblables les nuisances qu’il allègue et sur la réalisation desquelles il fonde une relation spéciale et étroite avec l’objet de la contestation (cf. ATF 125 I 173 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_469/ 2014 du 24 avril 2015 consid. 2.2 ; 1C_453/2014 du 23 février 2015 consid. 4.2 et 4.3).

9.             Dans son arrêt du 6 avril 2018 (1C_27/2018 consid. 1.2), le Tribunal fédéral a dénié la qualité pour recourir de voisins contre une autorisation de démolir une villa et une piscine, faute d’en retirer un avantage pratique.

Dans une affaire plus récente concernant le recours de voisins directs contre l’autorisation de démolir une villa, une piscine et un garage, le Tribunal fédéral a confirmé cette jurisprudence ainsi que le refus de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’accorder la qualité pour recourir aux voisins (1C_554/2019 du 5 mai 2020).

10.         En l’espèce, si l’on peut admettre, à l’instar du département, que le critère de la proximité est réalisé, le recourant étant propriétaire de la parcelle située en face du projet querellé, le tribunal ne voit en revanche pas quel avantage de fait ou de droit lui procurerait le maintien des constructions dont l’autorisation prévoit la démolition. Respectivement, il peine à imaginer quel préjudice personnel il subirait du fait de leur disparition. Le recourant ne fait en particulier pas valoir une valeur patrimoniale particulière des bâtiments destinés à être détruits, ni n’invoque de disposition légale tendant à le protéger.

S’agissant des nuisances alléguées liées aux travaux de démolition, conformément à la jurisprudence, il s’agit d’inconvénients de nature passagère qui ne suffisent pas à fonder la qualité pour recourir (cf. arrêts 1C_27/2018 précité consid. 1.2 ; 1C_411/2014 du 9 janvier 2015 consid. 2.3.2, publié in SJ 2015 I 263). À cet égard, il convient de rappeler que l’art. 14 LCI vise les nuisances issues ou induites par la construction ou l’installation projetée elle-même et non celles provoquées par les modalités de sa réalisation (arrêt du Tribunal fédéral 1P.530/2002 du 3 février 2002 confirmant l’ATA/447/2002 du 27 août 2002 ; voir aussi ATA/521/2010 du 31 août 2010; ATA/311/2006 du 13 juin 2006 consid. 9 ; ATA/577/2005 du 30 août 2005 consid. 7). Ainsi, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’était pas arbitraire de considérer que les inconvénients causés par un chantier de construction, notamment la circulation temporairement accrue qui en résultait, ne constituaient pas des inconvénients graves au sens de cette disposition, même si, suivant les circonstances, ils pouvaient être plus ou moins sensibles pour les voisins (arrêt 1P.530/2002 du 3 février 2002 confirmant l’ATA/447/2002 du 27 août 2002 ; cf. aussi ATA/1220/2020 du 1er décembre 2020 consid. 7a et les références cités ; ATA/399/2020 du 23 avril 2020 consid. 7d). En d’autres termes, les inconvénients qui résultent du chantier doivent être tolérés par le voisinage, lequel ne peut se prévaloir de ces seules nuisances pour fonder sa qualité pour recourir.

Il s’ensuit que le recourant ne peut fonder sa qualité pour recourir du seul fait que les travaux de démolition entraîneront éventuellement des nuisances – au demeurant limitées dans le temps – en matière de circulation et de sécurité du trafic. Il en va de même s’agissant du risque, nullement démontré, d’immissions dangereuses liées à l’évacuation des déchets de chantier. À cet égard, il sera relevé que, conformément à l’art. 15B al. 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 2 octobre 1997 (LaLPE - K 1 70), le dossier d’autorisation contient une attestation de substances dangereuses et les diagnostics avant travaux y relatifs, ce qui est suffisant pour garantir le traitement adéquat des éléments pollués.

11.         Au vu de ce qui précède, le recourant ne peut se voir reconnaître la qualité pour recourir, de sorte que son recours doit être déclaré irrecevable.

12.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 900.-, dont le montant tient compte notamment, outre du présent jugement, de la décision incidente rendue par le tribunal sur requête du recourant ; il est couvert par l’avance de frais du même montant versée à la suite du dépôt du recours.

13.         Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge du recourant, sera allouée à M. B______, C______ SA, D______ SA et E______ SA à titre de dépens (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le ______ 2023 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du _______ 2023 ;

2.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

3.             condamne le recourant à verser à Monsieur B______, C______ SA, D______ SA et E______ SA une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Saskia RICHARDET VOLI et Damien BLANC, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière