Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/942/2025 du 01.09.2025 ( PRISON ) , REJETE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2198/2025-PRISON ATA/942/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 1er septembre 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée
A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 10 février 2023 en détention avant jugement.
b. Selon le rapport d’incident du 27 mai 2025, il avait traité de « kehba » un agent de détention, qui lors de la fouille de sa cellule en avait retiré deux tabourets. Vérification faite sur Internet, le terme signifiait en arabe « salope, prostituée ». Le détenu avait, en outre, plus tard lors de l’ouverture de sa cellule pour le service repas, dit au même agent de détention : « Vas-y kehba ! », avant de détourner le regard et de sortir de la cellule.
c. Entendu par le gardien-chef au sujet de faits précités, A______ les a contestés.
d. Par décision du même jour, le directeur de la prison a sanctionné le détenu d’un jour de cellule forte pour attitude incorrecte envers le personnel.
B. a. Par acte expédié le 17 juin 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a contesté cette sanction.
Ses codétenus avaient interrogé l’agent de détention sur la raison pour laquelle les tabourets avaient été retirés de la cellule. Ce n’était pas la première fois que tel était le cas. Il n’avait pas participé à ces échanges. Lorsque l’agent de détention était venu le chercher pour le service repas, il n’avait eu aucun échange avec lui. Il ne comprenait pas pourquoi il avait été sanctionné. Ses codétenus lui avaient rapporté que l’agent de détention en question s’était vanté d’avoir réussi à la faire sanctionner.
b. La prison a conclu au rejet du recours.
c. Le recourant a produit, avec sa réplique, copie d’une plainte contre l’agent de détention pour diffamation calomnieuse, harcèlement moral et injures. Il a également produit copie d’un courrier de son codétenu B______ du 28 mai 2025 indiquant avoir interpelé l’agent de détention sur les motifs pour lesquels deux tabourets avaient été retirés de la cellule qu’il partageait avec le recourant. Ce dernier n’avait pas participé à cet échange et n’en avait pas non plus eu avec ledit agent de détention lorsque celui-ci était venu le chercher pour le service repas. Le recourant avait été sanctionné injustement et pour des motifs inventés de toute pièce.
Il a aussi produit copie d’un écrit signé le 28 mai 2025 par son codétenu C______. Ce dernier y indiquait que l’agent de détention lui avait dit qu’il avait mis le recourant au cachot « parce qu’il faisait trop le malin », qu’il n’avait rien fait mais que c’était « juste pour le faire chier ». C______ avait alors compris que l’agent de détention avait abusé de son pouvoir. Ce dernier lui avait encore dit, à propos du recourant, « qu’il crève il aura pas de cigarettes ça lui fera encore plus comprendre ».
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recourant conteste la sanction d’un jour de cellule forte qui lui a été infligée.
2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).
2.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison de Champ-Dollon est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).
2.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).
À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives, des activités sportives, d’achat pour quinze jours au plus ou la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. c à e), la privation de travail (let. f) ou encore le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).
2.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/487/2025 du 29 avril 2025 consid. 2.4 ; ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/487/2025 précité ; ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).
2.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).
2.6 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).
2.7 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b). Elle a confirmé des sanctions de deux jours de cellule forte infligées à des détenus ayant insulté un ou plusieurs agents de détention (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021). Elle a aussi confirmé une sanction de deux jours de cellule forte infligée à un détenu ayant écrit sur les murs de sa cellule des propos menaçants puis insulté un gardien (ATA/1486/2019 du 8 octobre 2019).
2.8 En l’espèce, le recourant ne conteste pas que le terme « kebah » constitue une insulte en arabe. En revanche, il conteste avoir tenu de tels propos. Selon lui, il n’avait pas participé à l’échange relatif au retrait des deux tabourets de sa cellule ni parlé à l’agent de détention lorsque celui-ci était venu le chercher pour le service repas. Il a produit des écrits de ses codétenus. L’un corrobore sa version des faits, l’autre fait part de propos que l’agent de détention aurait tenus après les faits.
Or, ces éléments ne permettent pas de mettre en doute l’existence des faits figurant dans le rapport d’incident. Il ressort de ce dernier que le recourant et ses codétenus étaient mécontents du fait que deux tabourets avaient été retirés de leur cellule. Ce mécontentement a fait l’objet d’un échange verbal entre les détenus et l’agent en question. Ce dernier a indiqué qu’il avait été traité de « kebah » par le recourant et qu’il ignorait la signification de ce mot. Aucun des codétenus dont une déclaration écrite a été produite ne mentionne ce terme, ne serait-ce pour indiquer qu’il n’aurait pas été prononcé. Le recourant se borne à affirmer qu’il n’avait pas participé à l’échange avec l’agent de détention au sujet du retrait des deux tabourets de la cellule. Au vu de ces éléments, il n’y a pas de motif de s’écarter du rapport d’incident, établi par un agent assermenté.
Comme retenu plus haut, il n’est pas contesté que le terme « kehba » est insultant. Le fait d’insulter une personne contrevient à l’obligation du recourant d’observer une attitude correcte à l’égard du personnel et des codétenus (art. 44 RRIP) et de ne pas troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (art. 44 let. h RRIP). Le prononcé d’une sanction était ainsi fondé.
Le comportement insultant est inadmissible et ne saurait être toléré. L’autorité intimée n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation ni violé la loi en infligeant au recourant une sanction d’un jour de cellule forte. Celle-ci est, en effet, appropriée, permettant à la fois au recourant de prendre conscience de l’importance d’observer une attitude correcte envers le personnel et proportionnée, tenant compte de l’absence d’antécédents.
Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.
3. La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 17 juin 2025 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 27 mai 2025 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ‑Dollon.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière :
N. DESCHAMPS
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
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| la greffière :
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