Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/611/2025 du 03.06.2025 sur JTAPI/499/2025 ( MC ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1465/2025-MC ATA/611/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 3 juin 2025 1ère section |
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dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate
contre
COMMISSAIRE DE POLICE intimé
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 mai 2025 (JTAPI/499/2025)
A. a. A______, né le ______ 1974, est originaire du Sénégal.
b. À teneur de son extrait du casier judicaire suisse du 17 avril 2025, il a été condamné :
- le 19 mars 2015, par ordonnance pénale (ci‑après : OP) du Ministère public de Genève, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 30.-, avec sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 300.-, pour exercice illicite de la prostitution (art. 199 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP - RS 311.0]), entrée le 20 février 2015 et séjour jusqu’au 18 mars 2015 illégaux (art.115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), ainsi que pour des délit et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), soit avoir détenu et consommé de la cocaïne ;
- le 20 janvier 2017, par OP, à une peine pécuniaire de 40 jours-amende, à CHF 10.-, sans sursis, ainsi qu'à une amende de CHF 200.-, pour exercice illicite de la prostitution, séjour illégal, ainsi que pour des délit et contravention à la LStup ;
- le 13 février 2018, par OP, à une peine pécuniaire de 90 jours-amende, à CHF 30.-, pour entrée illégale le 12 février 2018 ;
- le 12 décembre 2019, par OP, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, à CHF 10.-, pour entrée illégale le 11 décembre 2019 ;
- le 16 février 2023, par le Tribunal de police (ci-après : TP) de Genève, à une peine pécuniaire de 100 jours-amende à CHF 20.-, avec sursis exécutoire et délai d'épreuve de trois ans, pour conduite d’un véhicule automobile le 7 novembre 2021en étant dans l'incapacité de conduire au sens de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01).
c. À teneur du même extrait, cinq procédures seraient en cours, soit quatre devant le TP (respectivement pour recel [art. 160 CP ; P/1______/2023] ; infractions à la LEI et à la LStup [P/2______/2024] ; pour non-respect d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de la LEI et infraction à l’art. 115 LEI [P/3______/2024] et pour séjour illégal [P/4______/2024] et une devant le Ministère public pour délit à la LStup et entrée illégale (P/5______/2025).
d. A______ fait l'objet de deux interdictions d'entrée en Suisse prononcées par le Secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) pour les périodes du 18 mai 2015 au 14 mai 2018, puis du 13 juin 2018 au 12 juin 2020.
e. Le 10 octobre 2023, jour de sa condamnation par OP pour recel (P/1______/2023), l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé le renvoi immédiat de Suisse du précité, la décision étant déclarée exécutoire nonobstant recours.
Le même jour, le commissaire de police a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de pénétrer sur le territoire du canton de Genève pour une durée de douze mois. Elle a été confirmée par jugement du 31 octobre 2023 du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le TAPI).
B. a. Le 16 avril 2025, A______ a été interpellé par les services de police genevois pour avoir vendu une boulette de cocaïne d'un poids brut de 1.1 g à un ressortissant africain contre la somme de CHF 50.-, consommé des stupéfiants et être entré illégalement sur le territoire helvétique
b. Auditionné par la police le jour-même, il a contesté avoir vendu de la cocaïne. Il a admis avoir acheté 0.5 g de cocaïne et avoir consommé cette drogue avec son ami. Il se savait faire l'objet d'une décision de renvoi de Suisse. Son avocat avait cependant fait annuler cette décision, ce que ce dernier lui avait confirmé la veille de son arrestation. Il a reconnu consommer régulièrement de la cocaïne, à raison de 3 à 4 g par semaine et dépenser environ CHF 200.- par mois à ce titre. Il se trouvait en Suisse depuis 27 ans et était domicilié à Annemasse, avec son épouse et leurs deux enfants mineurs, où il travaillait en tant que mécanicien dans un garage pour un revenu mensuel d'EUR 1'480.-. Il n'avait ni famille ni attaches en Suisse.
c. Le 17 avril 2025, l'intéressé a été entendu par le Ministère public genevois et condamné par OP à une peine privative de liberté de 60 jours, ainsi qu'à une amende de CHF 500.-, pour infractions contre la LStup (vente et consommation) et entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI ; P/5______/2025).
d. Le 17 avril 2025, à 15h35, le commissaire de police a prononcé à l'encontre d’A______ une mesure d'interdiction d'accès à l’ensemble du territoire genevois pour une durée de 24 mois.
e. L’intéressé y a fait opposition le 28 avril 2025.
f. Lors de l’audience devant le TAPI, il a précisé avoir toute sa famille et ses amis à Genève. Ses enfants, âgés de 5 et 8 ans, étaient scolarisés à Annemasse, où la famille habitait et où chacun des deux époux travaillait, respectivement en qualité de mécanicien pour un salaire mensuel brut de EUR 1’480.- pour ce qui le concernait et au sein du service entretien de la mairie pour son épouse.
Il venait à Genève pour faire plaisir à ses enfants en les amenant au parc de Plainpalais. Le soir, lorsqu'il voulait sortir en boîte, il était obligé de venir à Genève. Il devait aussi venir au Petit-Lancy pour les fêtes religieuses ou aller à l’ambassade sénégalaise, à proximité de Balexert.
Il avait de nombreux antécédents et s'en excusait. La dernière mesure d’interdiction d’entrer en Suisse avait pris fin en 2020. Il était titulaire d'un permis de séjour espagnol valable, qui l'autorisait à vivre et à travailler en France. Il n'avait pas de titre de séjour en France.
Le 16 avril 2025, il était venu à Genève vers 18h30 pour y voir son ami B______, avec qui il avait prévu de regarder un match de football dans un bar. Pour ne pas dépenser trop d’argent en alcool, ils étaient d’abord allés dans un parc où ils avaient consommé 1 g de cocaïne. Il en consommait quand il sortait ou lorsqu'il avait quelque chose d’exceptionnel, mais non lorsqu'il travaillait. Les inspecteurs de police le connaissaient bien car il venait en Suisse depuis 21 ans. Il était quelqu'un de bien éduqué, qui, parfois, était rattrapé par sa jeunesse.
Il avait payé toutes les amendes auxquelles il avait été condamné, car il souhaitait être en règle en Suisse. Il avait obtenu un arrangement de paiement avec le service des contraventions, dont il remettait copie au TAPI.
Il ne contestait pas l'interdiction dans son principe, mais concluait à la réduction de son périmètre au seul centre-ville de Genève, ainsi qu’à la réduction de sa durée, laissée à l’appréciation du TAPI, celle-ci devant toutefois être clémente au vu des circonstances.
g. Par jugement du 12 mai 2025, le TAPI a confirmé la mesure tant dans sa quotité que dans son périmètre.
Le recourant n'avait pas de liens avérés avec Genève. Son centre de vie se trouvait en France, entre Annemasse et Gaillard, où il résidait avec son épouse et leurs deux enfants mineurs et travaillait en qualité de mécanicien. Même à retenir qu'il entretiendrait des relations avec ses cousins résidant à Genève et qu'il participerait à des fêtes religieuses qui seraient organisées dans la commune de Lancy, ce qui n'était pas démontré, cela ne justifierait pas de la nécessité de se rendre dans le canton, rien ne s'opposant à ce que ses cousins et/ou d'autres membres de sa communauté lui rendent visite en France. Il n'avait pas été interpellé à la sortie d'un rassemblement religieux ou avec des membres de sa famille et/ou communauté, mais dans le quartier des Pâquis, où il avait admis s'être rendu pour boire de l'alcool, regarder un match de football et, à tout le moins, consommer de la cocaïne.
Il n’était pas déraisonnable de penser que sa présence à Genève résultait d'une volonté de commettre ou de permettre la commission d’activités délictuelles, voire criminelles, telles que le trafic de stupéfiants ou à tout le moins la consommation de stupéfiants, et qu'il pourrait encore être amené à en commettre, A______ ayant admis être consommateur régulier de cocaïne lors de son audition par la police. Le périmètre de la mesure était conforme à la jurisprudence et adapté aux circonstances à l’instar de la durée de la mesure, étant rappelé que l’intéressé n’avait pas respecté la première mesure de durée inférieure prononcée à son encontre le 10 octobre 2023 et qu'il avait, depuis son prononcé, été condamné à quatre reprises par l'autorité de poursuite pénale, notamment le 7 mai 2024, bien que dites condamnations n’étaient pas encore entrées en force.
C. a. Par acte du 26 mai 2025, A______ a interjeté recours contre ce jugement devant la chambre administrative de la cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à son annulation et à la réduction de la durée de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée.
Il avait vécu à Genève durant plusieurs années avant de s’installer à Gaillard en France. Il s’était vu notifier une première décision d’interdiction territoriale pour une durée de douze mois en date du 10 octobre 2023 au motif qu’une infraction de délit à la LStup lui était reprochée. Il avait toutefois été acquitté pour ces faits le 21 mai 2025. Il avait également été acquitté d’entrée illégale et de recel. Il n’avait été condamné que pour les infractions à l’art. 119 LEI et de consommation de stupéfiants.
Il contestait fermement le trafic qui lui était reproché dans l’ordonnance pénale du 17 avril 2025 mais admettait consommer des stupéfiants. Il tentait d’arrêter depuis sa dernière interpellation. La procédure était en cours. Sa dernière condamnation datait de 2017, soit il y avait plus de sept ans.
La mesure était disproportionnée. Il appartenait à l’autorité de prouver qu’il s’agissait de la seule mesure à même d’atteindre le but d’intérêt public poursuivi et qu’il n’en existait pas d’autres, plus respectueuses des libertés. Le commissaire de police n’avait apporté aucun élément permettant d’inférer qu’une interdiction d’une durée inférieure à 24 mois serait inefficace. Le TAPI n’avait pas, de manière arbitraire, relevé que les peines pécuniaires figurant à son casier judiciaire démontraient le peu de gravité des faits reprochés. De même les enfants du recourant aimaient venir à Genève où il avait de nombreux amis. Le soi-disant trafic de stupéfiants qui avait motivé la première interdiction de périmètre en octobre 2023 ayant été écarté par la justice, il s’avérerait injuste et disproportionné d’ordonner une seconde interdiction pour une durée de 24 mois, la première interdiction ayant été prononcée au mépris de la présomption d’innocence.
b. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours. Le recourant, condamné à Genève dès 2015 pour trafic de stupéfiants, n’avait de cesse de fréquenter la scène de la drogue à Genève, de se moquer de l’ordre juridique suisse et de violer les instructions qui lui étaient données par les autorités, ayant déjà été condamné de manière définitive pas moins de cinq fois pour des infractions portant entre autres sur le trafic de stupéfiants et la violation des interdictions d’entrée en Suisse prononcées à son endroit, et faisant encore l’objet de quatre autres procédures pénales pour les mêmes motifs.
Par le passé, il avait déjà fait l’objet d’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois, qu’il avait enfreinte à réitérées reprises, pour avoir vendu de la marijuana. Le fait qu’il s’adonne désormais également au trafic de cocaïne, soit une drogue dure en raison de la menace qu’elle représentait pour la santé des consommateurs, la durée de l’interdiction devait être confirmée.
c. Dans sa réplique, le recourant a précisé avoir respecté la décision de renvoi de 2023. Il se rendait deux fois par année au Sénégal pour rendre visite à sa famille. Il avait d’ailleurs été acquitté à plusieurs reprises d’entrée illégale. Cette infraction venait de faire l’objet d’un classement par le Ministère public. L’État de Genève avait dû l’indemniser car le commissaire de police avait tenu, à tort, à le maintenir en détention pendant une nuit (P/6______/2025). Il devait être tenu compte de son acquittement.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 26 mai 2025 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.
3. Est litigieuse la durée, de 24 mois, de l’interdiction de pénétrer dans tout le territoire cantonal.
3.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et que des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou qu'il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire (let. b). L’assignation à un territoire ou l’interdiction de pénétrer un territoire peut également être prononcée lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).
3.2 Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, «le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.
La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants ainsi qu'à maintenir les requérants d'asile éloignés des scènes de la drogue (arrêts du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1).
Ainsi, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2) ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_123/2021 précité consid. 3.1 et l'arrêt cité). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 précité consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 précité).
Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021).
3.3 L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure.
Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3).
Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).
La mesure doit être nécessaire et suffisante pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; ATA/748/2018 du 18 juillet 2018 consid. 4b). L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010, p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.
La mesure ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.
3.4 Le Tribunal fédéral a confirmé une assignation territoriale d’une durée de deux ans au territoire d’une commune zurichoise pour un étranger qui ne s’était pas soumis au renvoi qui lui avait été notifié (arrêt du Tribunal fédéral 2C_497/2017 du 5 mars 2018).
3.5 La chambre de céans a confirmé une interdiction territoriale étendue au centre‑ville de Genève, compte tenu des relations du recourant avec sa compagne et son enfant, pour une durée de 24 mois prononcée contre un étranger interpellé en possession de huit boulettes de cocaïne et condamné auparavant à six reprises pour infractions à la LStup et à la LEI (ATA/537/2022 du 23 mai 2022).
Elle a confirmé des interdictions territoriales étendues à tout le canton de Genève pour des durées de 18 mois prononcées contre : un étranger interpellé en flagrant délit de vente de deux boulettes de cocaïne et auparavant condamné deux fois et arrêté une fois pour trafic de stupéfiants (ATA/2577/2022 du 15 septembre 2022) ; un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup, qui avait longtemps caché sa véritable identité et était revenu en Suisse malgré un renvoi (ATA/536/2022 du 20 mai 2022) ; un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022). La chambre de céans a déjà plusieurs fois confirmé une interdiction territoriale de douze mois dans le canton de Genève y compris à l’encontre d’une personne sans antécédents, interpellée et condamnée par le Ministère public pour avoir vendu une boulette de cocaïne, l’intéressé n’ayant aucune ressource financière ni aucun intérêt à venir dans le canton (ATA/1316/2022 du 29 décembre 2022 ; ATA/655/2021 du 23 juin 2021 ; ATA/802/2019 du 17 avril 2019), ou à l’encontre d’une ressortissante française condamnée à plusieurs reprises pour infractions à la LStup qui admettait consommer des stupéfiants et s’adonner au trafic de ceux-ci (ATA/255/2022 du 10 mars 2022).
Elle a rétabli à 24 mois une interdiction territoriale réduite à 18 mois par le TAPI dans le cas d’un ressortissant algérien ne disposant d’aucun lieu de vie en Suisse, hormis le domicile à Genève de sa compagne, où quelques affaires lui appartenant avaient été retrouvées. Il paraissait également vivre chez sa sœur en France voisine. Il n’établissait pas sa paternité sur l’enfant qu’il prétendait être le sien. Il avait fait l’objet de multiples condamnations pénales notamment pour infractions à la LStup et d’autres procédures pénales étaient en cours contre lui. Il n’avait eu aucune considération pour la première décision d’interdiction territoriale prononcée à son encontre, pour une durée de douze mois, ni pour l’interdiction d’entrée. Une durée de 18 mois paraissait donc faible au regard de ces circonstances (ATA/609/2023 du 9 juin 2023).
3.6 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA). Ce principe n’est pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 ; ATA/573/2015 du 2 juin 2015 ; ATA/99/2014 du 18 février 2014).
3.7 En l’espèce, le recourant ne conteste pas, à juste titre, le prononcé de la mesure.
Seul est litigieux le respect du principe de la proportionnalité dans le choix de la durée, soit 24 mois et du périmètre, soit l’entier du canton, par l’autorité intimée.
L’intéressé reconnaît résider en France avec son épouse et ses deux enfants mineurs et y travailler. Lors de son audition par la police le 16 avril 2025, il a confirmé consommer 3 à 4 g de cocaïne par semaine et dépenser environ CHF 200.- par mois à ce titre. Ses liens avec le canton consisteraient en la présence de cousins dans la commune de Lancy, son intérêt à participer à des célébrations religieuses dans la même commune, à se rendre à l’ambassade du Sénégal à proximité de Balexert, à sortir le soir en boîte dans le canton et à amener ses enfants de 5 et 8 ans sur la plaine de Plainpalais.
Il ressort du dossier qu’au moment de son arrestation, le 16 avril 2025, le recourant a été interpellé par les services de police genevois pour avoir vendu une boulette de cocaïne d'un poids brut de 1.1 g à un ressortissant africain contre la somme de CHF 50.-, consommé des stupéfiants et être entré illégalement sur le territoire helvétique. S’il conteste avoir vendu de la cocaïne, il a admis avoir acheté 0.5 g de cocaïne et avoir consommé cette drogue avec son ami.
Il résulte de ce qui précède que le centre des intérêts du recourant se situe en France notamment son domicile, la résidence de sa famille, la scolarisation de ses enfants, et son activité professionnelle. Les liens avec le canton ne sont qu’épisodiques. Ils ne se rapportent pas à des activités essentielles de l’intéressé (sortir le soir en boîte dans le canton et à amener ses enfants de 5 et 8 ans sur la plaine de Plainpalais) mais comportent également des activités illégales, notamment l’achat et la consommation de cocaïne le 16 avril 2025, lesquels s’inscrivent dans la continuité de plusieurs condamnations pénales pour des infractions identiques et plusieurs procédures en cours.
La présence de ses cousins n’est qu’alléguée, à l’instar de sa fréquentation de lieux religieux. Contrairement à ce qu’il soutient, il lui appartenait de collaborer à la procédure et verser au dossier des éléments probants à même de prouver ces faits et leur portée, ce qu’il n’a pas fait.
L’intéressé a de surcroît déjà fait l’objet de deux mesures d’interdiction d’entrée sur le territoire helvétique, couvrant les périodes du 18 mai 2015 au 14 mai 2018 puis du 13 juin 2018 au 12 juin 2021, soit quasiment six années d’affilée. Pendant cette période, il a été condamné à plusieurs reprises notamment pour ne pas avoir respecté lesdites mesures et avoir séjourné illégalement sur le territoire helvétique. À cela s’ajoute qu’il a aussi été condamné pour des délits et contraventions à la LStup et qu’il reconnaît consommer de la cocaïne. S’ajoute encore le fait qu’il indique avoir une consommation équivalent à 3 ou 4 g par semaine et qu’il vient s’approvisionner à Genève. Dans ces conditions, l’acquittement, le 21 mai 2025, de certaines infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup), de recel et d’infraction à la LEI (art. 115 al. 1 let. a LEI ; P/3______/2024) de même que le classement partiel (P/6______/2025) pour l’infraction d’entrée illégale, n’ont que peu d’influence dans l’appréciation globale du bien-fondé de la mesure d’interdiction territoriale.
En l’absence d’intérêt particulier pour venir à Genève, mais de l’existence de plusieurs condamnations précédentes, notamment pour des délits en matière de stupéfiants, du fait que l’intéressé reconnaît être consommateur notamment de cocaïne, drogue dite « dure » car susceptible de mettre gravement en danger la santé et l’intégrité physique de ses consommateurs, qu’il a déjà fait l’objet de plusieurs interdictions d’entrée en Suisse qu’il n’a pas respectées, la durée de 24 mois retenue par le commissaire de police ne relève pas d’un abus de son pouvoir d’appréciation.
Au vu de ces circonstances, la durée de 24 mois paraît apte et nécessaire pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le canton de Genève du risque de nouvelles commissions d’infractions sur le territoire cantonal par le recourant et proportionnée au sens étroit au vu de l’importance des intérêts publics poursuivis et du fait que l’intérêt privé de l’intéressé doit être relativisé conformément à ce qui précède.
S’agissant du périmètre, le recourant ne prétend pas qu’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève le priverait d’un accès à des ressources élémentaires, comme précédemment relevé. Consommateur de drogue dure dont le centre de vie est en France, l’interdiction de périmètre, étendue à l’ensemble du canton, ne prête pas le flanc à la critique.
En conséquence, tant le périmètre que la durée de la mesure respectent le principe de la proportionnalité.
Le recours, entièrement mal fondé, doit être rejeté.
4. La procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 26 mai 2025 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 mai 2025 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Dina BAZARBACHI, avocate du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. MARMY
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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