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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1057/2019

ATA/802/2019 du 17.04.2019 sur JTAPI/293/2019 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1057/2019-MC ATA/802/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 avril 2019

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Charles Archinard, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mars 2019 (JTAPI/293/2019)


EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______ 1990, est ressortissant du Nigéria.

2. Il est au bénéfice d'un titre de séjour italien, valable du 22 novembre 2017 au 7 février 2020.

3. Le 6 mars 2019, M. A______ a été arrêté par la police à Genève.

À teneur du rapport d'arrestation, établi le jour même, des policiers de la brigade de sécurité publique avaient observé un homme d'origine sud-américaine et un autre d'origine africaine prendre contact dans le quartier des Rois, puis se déplacer jusqu'au quai du Seujet. Le premier individu était resté au bas des escaliers tandis que le second était monté dans les coursives du premier étage. À son retour, ils s'étaient échangé quelque chose, puis s'étaient séparés. La police les avait alors interpellés. Le premier, un cuisinier brésilien, a d'emblée avoué aux policiers qu'il venait d'acheter une boulette de cocaïne (d'un poids de 1.2 g) contre la somme de CHF 70.-. L'autre personne était M. A______, sur qui avaient été trouvées les sommes de CHF 30.- et EUR 30.- ainsi que deux téléphones portables.

M. A______ n'était pas enregistré dans la base de données SYMIC et était inconnu des services de police. Son passeport nigérian était, selon la police, un faux.

Il a refusé de s'exprimer, l'avocate dont il avait communiqué le nom à la police n'ayant pu être jointe.

4. Le 7 mars 2019, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public, pour les faits précités, à une peine privative de liberté de cent vingt jours, avec sursis pendant trois ans, pour infraction simple à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), faux dans les certificats et séjour illégal en Suisse.

5. Le 7 mars 2019 à 16h10, le commissaire de police a émis à l'encontre de M. A______ une interdiction de pénétrer dans une région déterminée, à savoir l'ensemble du territoire genevois, pour une durée de douze mois, en raison de sa participation supposée à un trafic de stupéfiants.

6. M. A______ ayant formé opposition à cette mesure, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a tenu une audience le 27 mars 2019.

M. A______ a expliqué être arrivé en Italie en 2011. Il était arrivé à Genève en octobre 2018 afin d'y retrouver d'anciens amis et visiter la ville. Il n'avait pas de moyens de subsistance en Suisse, mais était arrivé d'Italie avec sur lui la somme de CHF 1'000.- en espèces, et de EUR 500.- sur un compte postal. Il comptait initialement rester à Genève environ trois mois, puis repartir pour l'Italie, mais il avait été condamné à une amende pour avoir pris les transports publics sans titre de transport, amende qu'il voulait solder avant de repartir.

Il avait fait opposition à la mesure d'interdiction territoriale car il était innocent de ce dont on l'accusait. Il avait du reste également fait opposition à l'ordonnance pénale.

7. Par jugement du 27 mars 2019, le TAPI a rejeté l'opposition et confirmé la mesure d'interdiction de pénétrer sur l'ensemble du territoire genevois pour une durée de douze mois.

M. A______ n'était titulaire d'aucun titre de séjour en Suisse, et avait été condamné pour participation à un trafic de drogue, ce qui suffisait à fonder des soupçons à ce sujet au sens de la jurisprudence ; l'opposition formée contre l'ordonnance pénale n'y changeait rien.

Il n'avait de plus fait état d'aucun besoin particulier de rester à Genève. L'envie d'y retrouver certains amis ne constituait qu'une simple convenance personnelle, et avait d'ailleurs déjà été satisfaite. Vouloir solder une contravention n'était pas un motif susceptible de l'emporter sur l'intérêt public à pouvoir l'éloigner, et M. A______ n'avait du reste apporté aucun indice de l'existence même de ladite contravention. La restriction prévue n'avait pour M. A______ aucune conséquence qui pût prévaloir sur l'intérêt public à un éloignement d'une durée relativement importante.

8. Par acte posté le 8 avril 2019, M. A______ a interjeté recours par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à la réduction de la mesure au centre-ville de Genève et à une durée de six mois, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

La mesure confirmée par le TAPI n'était pas conforme au principe de la proportionnalité. Dans la jurisprudence récente de la chambre administrative et du TAPI, des soupçons de trafic de stupéfiants ayant trait à des quantités même parfois plus importantes de drogue avaient donné lieu à des interdictions de pénétrer limitées au centre-ville de Genève et / ou à une durée de six mois.

Lui-même avait fait opposition à l'ordonnance pénale car il contestait les faits. Même si ceux-ci étaient avérés, la quantité de drogue en cause était minime, et c'était la première fois qu'il avait affaire aux autorités pénales.

9. Le 15 avril 2019, le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

La mesure prononcée n'emportait qu'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle. La jurisprudence du Tribunal fédéral avait confirmé des mesures de cette durée dans des cas similaires, et rappelait par ailleurs que le principe de proportionnalité contenait non seulement une interdiction d'excès mais aussi une interdiction d'insuffisance, la mesure devant être adéquate et permettre d'atteindre le but visé.

La mesure était nécessaire pour lutter contre le trafic de stupéfiants dans le canton, et M. A______ ne faisait valoir aucun motif justifiant de manière impérieuse sa présence à Genève, se contentant d'évoquer la présence d'amis, dont l'identité, comme le domicile et le statut en Suisse étaient restés indéterminés.

10. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art 74 al. 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du
16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20, anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2. Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 9 avril 2019 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

La chambre administrative est en outre compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr).

3. a. Aux termes de l’art. 74 al. 1 let. a LEI, l’autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics. Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants.

L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

b. L’interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l’art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n’a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d’autorisation de séjour et d’établissement n’ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s’agissant d’une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l’étranger concerné, « le seuil, pour l’ordonner, n’a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l’ordre publics.

4. a. La jurisprudence fédérale admet que la mesure d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEI peut s’appliquer à l’entier du territoire d’un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2A.253/2006 du 12 mai 2006 ; 2C_231/2007 du 13 novembre 2007), même si la doctrine relève que le prononcé d’une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l’art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C’est en réalité lors de l’examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l’étendue de la zone géographique à laquelle elle s’applique doit être examinée.

b. À cet égard, les mesures doivent être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c ; ATA/748/2018 du 18 juillet 2018 consid. 4b).

5. a. L'art. 74 LEI ne précise ni la durée que peut ou doit fixer la mesure, pas plus qu'il ne précise quelles sont les autorités compétentes.

b. S'agissant de la durée des mesures prévues à l'art. 74 LEtr, le Tribunal fédéral a précisé qu'elles devaient dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, c'est-à-dire être adéquates au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci, en particulier au regard de la taille du périmètre concerné et de la durée de la mesure (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Plus spécifiquement, elles ne pouvaient pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Des durées inférieures à six mois n'étaient guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

6. En l'espèce, le principe de la mesure d'interdiction n'est plus contesté, ce à juste titre dès lors que le recourant est dépourvu de toute autorisation de séjour en Suisse et qu'il fait l'objet d'une procédure pendante au pénal pour infraction à la LStup.

S'agissant de la proportionnalité de la mesure, et considérant aussi bien l'étendue géographique que la durée de celle-ci, il y a lieu de constater que le recourant possède un titre de séjour en Italie, et qu'il n'a ni attaches ni aucun titre de séjour en Suisse, où il n'a notamment déposé aucune demande auprès des autorités d'asile ou de migration. Il n'a donc aucune nécessité de demeurer à Genève et, comme l'a à juste titre relevé le TAPI, le motif premier de sa venue dans le canton, à savoir rencontrer des amis, a en toute hypothèse été déjà satisfait, tandis que la volonté de solder une contravention ne saurait justifier un séjour dans le canton. À cet égard, c'est du reste en retournant en Italie, où il dispose d'un titre de séjour, que le recourant a les meilleures chances de gagner licitement l'argent qui lui manque pour finir de s'acquitter de cette dette.

Dès lors, les seuls motifs qu'il invoque pour la réduction de la mesure sur les plans géographique et temporel sont d'ordre purement abstrait, et fondés sur la comparaison avec des situations décrites comme similaires.

Pourtant, dans les circonstances précitées, dès lors qu'aucune raison valable de séjourner où que ce soit dans le canton de Genève n'a été fournie par le recourant, on ne voit pas en quoi le principe de la proportionnalité commanderait de limiter l'étendue territoriale ou la durée de la mesure.

Il résulte de ce qui précède que le recours, entièrement infondé, sera rejeté.

7. Vu la nature de la cause, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 et
art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 avril 2019 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mars 2019 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Charles Archinard, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Thélin et Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

V. Serain

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :