Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/385/2022

ATA/255/2022 du 10.03.2022 sur JTAPI/126/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/385/2022-MC ATA/255/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 mars 2022

en section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 février 2022 (JTAPI/126/2022)


EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1982, est ressortissante française.

Elle a été condamnée :

- le 11 février 2016, par le Ministère public genevois (ci-après : MP), à une peine pécuniaire de trente jours-amende à CHF 60.-, avec sursis de trois ans, et à une amende de CHF 500.- pour conduite d’un véhicule automobile sans le permis de conduire requis et contravention selon l’art. 19a de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) ;

- le 26 mai 2020, par le MP, à une peine pécuniaire de nonante-cinq jours-amende à CHF 10.-, avec sursis de trois ans et une amende de CHF 300.-, pour quatre délits contre la LStup et une contravention selon l’art. 19a LStup ;

- le 22 juillet 2020, par le Tribunal de police du canton de Genève (ci-après : TP), à une peine pécuniaire de cent jours-amende à CHF 30.-, avec sursis de trois ans, et une amende de CHF 300.-, pour délit contre la LStup et contravention selon l’art. 19a LStup.

2) Le 8 octobre 2019, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de Mme A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de douze mois.

3) Par jugement du 21 octobre 2019, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a réduit la durée de l’interdiction à quatre mois.

4) a. Le 31 janvier 2022, Mme A______ a été interpellée par la police genevoise à la rue B______, alors qu’elle se trouvait en compagnie de deux hommes, dont son « petit ami », dans un véhicule.

L’intéressée était alors en possession de plusieurs sachets contenant de la poudre blanche, un comprimé de couleur jaune, des cailloux ressemblant à des produits stupéfiants, une balance et une carte de crédit au nom de « C______ ».

b. Lors de son audition à la police, elle a reconnu s’adonner au trafic de stupéfiants (cocaïne, ecstasy, MDMA) pour essuyer les dettes qu’elle avait contractées auprès de ses fournisseurs pour sa consommation personnelle. Elle craignait les représailles de ses créanciers. Elle consommait de la cocaïne dès qu’elle le pouvait. Son « petit ami » s’appelait Monsieur D______. Elle logeait avec lui chez la mère de ce dernier à Annemasse. Elle était venue pour le week-end. Il était également consommateur de stupéfiants.

Elle vivait en Suisse depuis les années 2000 et y avait travaillé de nombreuses années, ayant été titulaire d’un permis G. Elle résidait en Suisse chez Monsieur E______, rue F______. Elle avait également habité au quai G______. Elle ne quittait le territoire genevois que pour se rendre chez son petit ami à Annemasse. Elle n’avait actuellement aucune autorisation pour résider en Suisse.

c. Le 2 février 2022, après avoir été entendue par le MP, elle a été condamnée par ordonnance pénale à une peine privative de liberté de trois mois et à une amende, pour avoir exercé, à tout le moins depuis le 23 juillet 2020, une activité lucrative d’esthéticienne, sur le canton de Genève, sans avoir les autorisations nécessaires, ce qu’elle ne contestait pas, et pour infractions aux art. 19 al. 1 let. d et 19a ch. 1 LStup.

5) Le même jour, à 14h43, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de Mme A______ une mesure d'interdiction de pénétrer sur l’ensemble du territoire genevois, pour une durée de douze mois.

Mme A______ a formé immédiatement opposition contre cette décision devant le commissaire de police.

6) a. Bien que dûment convoquée, Mme A______ ne s’est ni présentée ni excusée à l’audience du 11 février 2022 à 10h devant le TAPI. Son conseil a indiqué ne pas avoir plus de renseignements que ceux déjà au dossier.

L’audience a pris fin à 10h15.

b. À 10h40, Mme A______ a déposé au greffe du TAPI un certificat médical daté de la veille, du Docteur H______, psychiatre à l’institut
médico-chirurgical de Champel. Le praticien attestait la suivre à raison d’une séance par semaine, depuis quinze mois, à cause d’un tableau clinique d’addiction, résultant de traumatismes passés et d’un trouble du spectre autistique. Elle présentait, au cours du traitement, plusieurs épisodes de rechute et des crises d’où ses décompensations psychiques et ses difficultés d’assurer sa capacité de travail.

7) Par jugement du 11 février 2022, le TAPI a déclaré l’opposition recevable et l’a rejetée.

Mme A______ ne disposait d’aucun titre de séjour en Suisse et son permis G n’était plus valable depuis plusieurs années. Elle avait été condamnée à de nombreuses reprises pour des infractions en lien avec la LStup, la dernière fois le 2 février 2022, alors qu’elle était en possession de plusieurs drogues différentes et notamment de cocaïne. Elle avait, de surcroît, fait l’objet d’une interdiction d’accès au canton de Genève pour une durée de quatre mois. Les conditions posées par l’art. 74 LEI étaient remplies.

Le périmètre de l’interdiction était proportionné. L’intéressée avait déjà fait l’objet d’une telle mesure, ce qui ne l’avait pas empêchée de revenir à Genève, toujours dans le milieu de la drogue, et de continuer son trafic ainsi que sa consommation. Son « petit ami » habitait en France, à l’instar de ses parents. Elle n’avait donné aucune explication concernant sa relation avec M. E______. Elle n’avait pas fait valoir d’autres besoins de venir à Genève que son suivi médical. Or, la délivrance de laissez-passer pour lui permettre de se rendre chez son médecin étaient possibles.

La durée de la mesure était conforme à la jurisprudence. L’intéressée semblait régulièrement résider en Suisse de manière illégale et avait commis plusieurs infractions dans le canton en lien avec le milieu de la drogue. La mesure prononcée en 2019 ne l’avait nullement incitée à changer de comportement.

8) Par acte du 25 février 2022, reçu le 2 mars 2022, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité. Elle a conclu à son annulation ainsi qu’à celle de la décision d’interdiction du 2 février 2022. Subsidiairement, la durée de l’interdiction devait être limitée à trois mois et assortie d’exceptions lui permettant l’accès au cabinet du Dr H______ et au domicile de M. E______. Plus subsidiairement la décision d’interdiction devait lui permettre l’accès aux deux lieux précités. Préalablement l’effet suspensif devait être octroyé au recours, une audience de comparution personnelle et l’audition de M. E______ devait être ordonnées.

Depuis son arrivée à Genève, elle avait exercé une activité d’esthéticienne au sein de plusieurs instituts. Elle n’exerçait plus à ce jour mais avait pour projet de fonder une société à responsabilité limitée ayant pour but la commercialisation d’objets tels que des T-shirts et des tasses illustrées par des amis. Elle avait obtenu une proposition de financement d’un investisseur. Elle souffrait d’une grave addiction aux produits stupéfiants depuis de nombreuses années.

Commencer l’audience immédiatement, sans avoir cherché à la joindre par téléphone, alors qu’elle avait expressément indiqué un numéro de portable dans le formulaire d’opposition consacrait une violation de ses droits d’être entendue, à une défense efficace, et de l’interdiction du formalisme excessif. De surcroît, le TAPI n’avait pas « saisi l’opportunité de convoquer son conseil et l’autorité intimée pour procéder à [son] interrogatoire à 10h40 », alors que son conseil n’avait pas été en mesure de fournir les informations pertinentes sur sa situation personnelle, notamment médicale, pourtant décisive, pendant l’audience.

En l’absence de traitement adapté à ses besoins, elle présentait un risque élevé de réitérer les comportements problématiques qui avaient abouti au prononcé de la décision querellée. Contrairement à ce qu’avait retenu le TAPI, elle avait consenti des efforts considérables depuis la dernière interdiction de pénétrer sur le canton de Genève. Elle n’avait plus occupé les services de police et avait mis en place un traitement contre son addiction. L’événement isolé pour lequel elle avait été condamnée par ordonnance pénale n’était pas suffisant pour fonder une interdiction de territoire. Son comportement s’avérait être largement plus dommageable pour elle-même que pour la sécurité ou l’ordre public. Une interdiction de territoire n’était pas apte à traiter une affection de ce type et à écarter les comportements qui en découlaient. Elle avait pour unique effet de doublement la punir et constituait en réalité une entrave à son traitement. La proposition de financement qu’elle avait obtenue pour son projet de Sàrl lui laissait entrevoir la perspective d’un nouveau départ. Elle avait toutefois encore besoin d’être accompagnée socialement. Elle avait la chance de pouvoir compter sur la présence de son entourage et en particulier de son ami, M. E______, qui l’avait soutenue depuis de nombreuses années. Ils prévoyaient par ailleurs de se marier. Son intérêt privé primait l’intérêt public à lui interdire l’accès du canton. La décision consacrait un excès, respectivement un abus du pouvoir d’appréciation, aboutissant à une solution qui était inopportune.

9) Le commissaire a conclu au rejet du recours et de la demande de restitution de l’effet suspensif en tant qu’ils étaient recevables.

Le 8 octobre 2019, Mme A______ avait exposé être officiellement domiciliée en France, à Annecy, et résider en semaine à Genève chez M. E______. Entendue par la police le 31 janvier 2022, elle avait confirmé la déclaration faite aux forces de l’ordre le même jour par M. E______ à teneur de laquelle elle ne logeait plus chez lui « depuis plusieurs jours ». Mme A______ avait précisé résider chez son ami « D______ à Annemasse ». Conformément à la jurisprudence, il convenait de tenir compte des déclarations données lorsque le justiciable en ignorait les conséquences juridiques. Enfin, elle ne produisait aucun document à l’appui de son recours concernant sa relation avec M. E______.

Les relations personnelles de Mme A______ pouvaient avoir lieu ailleurs qu’à Genève dès lors qu’il pouvait être attendu d’un tiers qu’il se déplace hors du canton pour lui rendre visite. La poursuite du traitement médical n’était pas entravée par la mesure critiquée puisque des dérogations ponctuelles pouvaient parfaitement être délivrées dans le cas où, pour des motifs impératifs, elle devait pénétrer dans la région interdite.

Le refus du premier juge de reporter l’audience de comparution des parties, en raison de l’absence de l’opposante, n’était pas constitutif de formalisme excessif. Le jugement avait tenu compte du certificat médical produit ultérieurement. Le juge avait retenu les déclarations du conseil de la recourante selon lesquelles sa mandante habitait avec M. E______ au rue F______. Il avait toutefois considéré que ces allégations étaient contraires à celles faites à la police le 31 janvier 2022.

Même à retenir que la résidence de l’opposante serait effectivement à Genève, la mesure querellée serait justifiée, l’intéressée n’ayant aucun droit de séjourner en Suisse, pas même au titre de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681), lequel posait comme condition notamment de ne pas porter atteinte à l’ordre et à la sécurité publics et de disposer des moyens financiers suffisants pendant son séjour.

L’autorité intimée n’avait pas commis d’abus ou d’excès de son pouvoir d’appréciation. L’intéressé séjournait illégalement en Suisse. La décision ne lui interdisait strictement rien qui ne le lui était pas déjà, ce d’autant moins que des laissez-passer pouvaient sans autre lui être délivrés aux fins de lui permettre de continuer à suivre son traitement médical. Il apparaissait en réalité qu’elle sollicitait une autorisation de séjourner en Suisse déguisée. Compte tenu du fait qu’elle avait déjà fait l’objet d’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour quatre mois, qu’elle s’adonnait depuis plusieurs années au trafic de drogues « dures », il n’y avait aucune légitimité à réduire la durée et le périmètre décidés par le commissaire de police.

10) Dans sa réplique sur effet suspensif et au fond, la recourante a persisté dans ses conclusions. Contrairement à ce qu’elle avait pu affirmer lors de ses auditions des 21 octobre 2019 et 1er février 2022, elle avait une adresse en Suisse. Elle faisait l’objet de graves menaces en France, ce que des messages sur son téléphone portable prouvaient. Tout voyage en France lui faisait courir un risque élevé pour son intégrité corporelle, raison pour laquelle elle n’y était pas retournée depuis deux ans. M. E______ et elle souhaitaient se marier. Elle avait été engagée, à compter du 28 février 2022, en qualité de secrétaire comptable à 80 %, à Thônex. Cette activité lui procurerait un revenu et un encadrement stables. Une demande de
sauf-conduits pour chaque consultation était disproportionnée, le suivi devant s’effectuer de manière rapprochée.

11) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif et au fond.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2) Selon l'art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 2 mars 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

La chambre administrative est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr).

3) La recourante conclut à la comparution personnelle des parties et à l’audition de M. E______.

a. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite aux offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

Cela n’implique pas une audition personnelle de l’intéressé, celui-ci devant simplement disposer d’une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l’issue de la cause (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1003/2017 du 21 juin 2018 consid. 3 et les arrêts cités ; ATA/723/2018 du 10 juillet 2018 et les arrêts cités).

L'autorité peut renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

b. En l'espèce, la recourante a eu l’occasion de s’exprimer en audience devant le TAPI, opportunité qu’elle n’a toutefois pas saisie. Elle a été représentée pendant l’audience par son conseil. Elle a eu l’occasion de faire toutes remarques utiles dans son recours devant la chambre de céans puis dans sa réplique et de produire les pièces qu’elle estimait nécessaires, étant rappelé que le TAPI a accepté le certificat médical déposé au greffe après l’audience. Le dossier comprend par ailleurs le procès-verbal de son audition du 31 janvier 2022 par la police au cours duquel plusieurs questions ont été posées sur son lieu de résidence. Dans ces conditions, l’intéressée a eu plusieurs occasions de se déterminer sur la cause.

De même, l’audition de M. E______ n’est pas de nature à influer sur l’issue du litige. La recourante ne précise d’ailleurs pas sur quels points ladite audition pourrait être déterminante.

La chambre administrative dispose d'un dossier complet lui permettant de statuer en toute connaissance de cause. Il ne sera par conséquent pas donné suite aux requêtes de la recourante.

4) La recourante se plaint de violations de ses droits d’être entendue, à une défense efficace et de l’interdiction du formalisme excessif.

a. Dans un récent arrêt, paru aux ATF 145 I 201, dans une cause pénale, le Tribunal fédéral a rappelé qu’il y a formalisme excessif, constitutif d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst., lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux. En tant que l'interdiction du formalisme excessif sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, elle poursuit le même but que le principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 et 9 Cst.; art. 3 al. 2 let. a CPP). Dans une affaire jugée sous l'angle de l'ancien code de procédure lucernois qui prévoyait que le défaut était constaté après un retard d'un quart d'heure (« Respektviertelstunde »), le Tribunal fédéral avait retenu que l'autorité cantonale avait fait preuve de formalisme excessif en constatant le défaut compte tenu du retard de cinquante-sept minutes du prévenu et de son conseil à l'audience. Le Tribunal fédéral avait considéré qu'il fallait tenir compte de l'ensemble des circonstances de la procédure. Dans le cas d'espèce, la bonne marche de la justice n'avait pas été entravée par le retard du prévenu et de son conseil puisque le président du tribunal avait pris contact avec ce dernier par téléphone, avait attendu leur arrivée et avait tenu une audience contradictoire sur la question du défaut. Dans ces circonstances, aucun intérêt digne de protection ne commandait de prononcer un défaut plutôt que de conduire le procès comme prévu (arrêt 1P.853/2005 du 3 mars 2006 consid. 1).

Après avoir évoqué ce que prévoyait l'avant-projet du Code de procédure pénale, les résultats de la procédure de consultation et la doctrine, le Tribunal fédéral conclut qu'il n'est pas possible de déterminer un délai absolu à partir duquel le retard de la partie ou de l'avocat devrait nécessairement conduire à lui refuser le droit de participer à l'audience. Il convient bien plutôt d'examiner, au regard de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, si un intérêt digne de protection commande d'appliquer strictement les conséquences juridiques tirées du
non-respect de l'horaire fixé (ATF 145 I 201 précité).

Dans l’arrêt paru aux ATF 145 I 201, le Tribunal fédéral a retenu que le retard de dix-sept minutes de l’avocate stagiaire, qui avait annoncé la veille sa présence, sans être négligeable, n’était pas non plus important. La bonne marche de la justice n'aurait pas été entravée par la tenue de l'audience puisque le Président et sa greffière étaient toujours dans la salle d'audience lorsque l'avocate stagiaire était arrivée et qu'ils disposaient encore de plus de quarante minutes avant l'audience suivante. Par ailleurs, les conséquences, pour le recourant, étaient sévères puisque s’il avait fait défaut aux débats sans être excusé et sans se faire représenter, son opposition était réputée retirée (art. 356 al. 4 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 [CPP - RS 312.0]).

b. En l’espèce, si la recourante était absente à 10h00 pour l’audience, son conseil était présent. Il a pu faire valoir les arguments de sa mandante. Il indique n’avoir pas été en possession d’autres éléments que les pièces du dossier. Il sera toutefois relevé qu’il était déjà le conseil de l’opposante en 2019 selon le jugement du TAPI du 21 octobre 2019, et que la procuration produite, datée du 23 septembre 2019, le mandatait dans le cadre d’une procédure pénale. L’avocat connaissait en conséquence sa cliente depuis plusieurs années, pour des procédures tant pénales qu’administratives. Il était en conséquence à tout le moins au courant du contexte de la présente procédure.

La durée de la procédure est fixée par la loi qui précise que le TAPI doit examiner la légalité et l’adéquation de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée dans les vingt jours dès sa saisine, après convocation de l’étranger (art. 9 al. 1 let. b LaLEtr), soit des délais brefs.

Par ailleurs, le retard de la recourante était en l’espèce de quarante minutes, soit plus du double de celui analysé par le Tribunal fédéral. Elle n’a pas pris la peine de l’annoncer par téléphone à son conseil ou au greffe du TAPI.

Enfin et surtout, l’absence de l’intéressée étaient sans incidences procédurale, le TAPI ayant au demeurant tenu compte de la pièce déposée au greffe par l’intéressée quarante minutes après l’audience.

Dans ces conditions, les griefs de violation du droit d’être entendue, à une défense efficace, notion pénale et non applicable en l’espèce, et de l’interdiction du formalisme excessif seront écartés.

5) La recourante se plaint d’une violation de l’art. 74 al. 1 let. a LEI et d’un abus et excès du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée ainsi que de l’inopportunité de la décision.

a. Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics. Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants.

L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment à la suite d’une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

b. L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

c. En l'espèce, s'agissant de la première condition de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, la recourante, qui est de nationalité française, n'est pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement (art. 34 LEI), ce qu’elle ne conteste pas. Sa nationalité française n'empêche par ailleurs pas le prononcé d'une interdiction de périmètre conformément à l'art. 74 al. 1 LEI (art. 5 al. 1 Annexe I ALCP ; 2 al. 2 LEI ; ATA/1294/2021 du 25 novembre 2021 consid. 6 et les références citées).

S'agissant de la seconde condition, la recourante a été interpelée et condamnée pour des infractions à la LStup à plusieurs reprises, la dernière fois le 2 février 2022. Elle a, à cette date, admis lors de son audition par la police, avoir été en possession de produits stupéfiants, s’adonner à leur trafic (cocaïne, ecstasy et MDMA) et en consommer, notamment de la cocaïne. Les conditions d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, sont réalisées.

6) La recourante se plaint d’une violation du principe de la proportionnalité.

a. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé - de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

b. L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Ainsi, la mesure ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

c. La jurisprudence fédérale admet que la mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l'art. 74 LEI peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2A.253/2006 du 12 mai 2006 ; 2C_231/2007 du 13 novembre 2007), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

Le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c ; ATA/304/2020 du 20 mars 2020 consid. 4b ; ATA/748/2018 du 18 juillet 2018 consid. 4b).

d. En l’espèce, l'appréciation telle qu’opérée par le TAPI ne prête pas le flanc à la critique. L'intéressée n'a aucun titre de séjour en Suisse. Elle est sans ressources, n’ayant en l’état pas le droit de travailler sur le territoire du canton. Elle a déjà fait l’objet de plusieurs condamnations pénales et d’une interdiction de pénétrer sur le canton pendant quatre mois. Elle a ce nonobstant persisté à y demeurer et à y travailler sans détenir les autorisations nécessaires, ce qu’elle ne conteste pas. La durée de la mesure de douze mois apparaît proportionnée aux fins de permettre qu’elle déploie une certaine efficacité, ce d’autant plus qu’il s’agit d’une seconde mesure. La durée sera donc confirmée.

e. La recourante sollicite deux exceptions locales à l’interdiction de pénétrer sur le territoire genevois, soit le domicile de son ami et le cabinet médical de son psychiatre.

Si certes, elle indique avoir un ami, domicilié à Genève, avec qui elle partagerait des projets de mariage, il peut être exigé de ce dernier, au vu des circonstances, qu’il se déplace pour voir sa compagne en France. Interrogé lors de la perquisition de son domicile, l’ami en question a indiqué que la recourante ne logeait plus chez lui depuis quelques jours. Ces déclarations sont conformes avec celles faites en dernier lieu par la recourante à la police à savoir qu’elle ne logeait chez lui qu’en semaine et avait quitté son domicile depuis quelques jours. Par ailleurs, elle a évoqué une autre personne au titre de « petit ami », lequel serait domicilié à Annemasse. Enfin, ses parents sont domiciliés à Annecy. Rien ne justifie en conséquence d’autoriser la recourante à se rendre au domicile de son ami genevois au rue F______, en dérogation à l’interdiction de pénétrer sur le territoire genevois.

L’autorité intimée a confirmé que la recourante aurait la possibilité de solliciter des laissez-passer pour accéder au cabinet médical du Dr H______ afin de poursuivre, en tant que de besoin en Suisse, son suivi. Les difficultés administratives alléguées par l’intéressée ne sont pas démontrées, le praticien ayant attesté, le 10 février 2022, d’un suivi à raison d’une séance par semaine. Il sera donné acte à l’autorité intimée de cet accord.

Une exception pour son activité professionnelle ne se justifierait pas en l’état en l’absence d’autorisation. Elle n’y conclut d’ailleurs pas.

Au vu de toutes ces circonstances, l'intérêt privé de la recourante à pouvoir pénétrer dans le canton dans les douze prochains mois, sous réserve de séances hebdomadaires chez le Dr H______, doit céder le pas à l'intérêt public à la tenir éloignée du canton pendant cette durée. Par conséquent, le fait d'avoir fixé à douze mois la durée de la mesure, sur l’entier du territoire genevois, n'apparaît ni disproportionné, ni résulter d’un abus de pouvoir d’appréciation, ni même être innoportun.

Il résulte de ce qui précède que le recours, entièrement infondé, sera rejeté.

7) Le prononcé du présent arrêt rend sans objet la requête en restitution de l’effet suspensif.

8) Vu la nature de la cause, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. LPA ; art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 février 2022 par Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 février 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat de la recourante, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu' au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :