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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1028/2024

ATA/529/2024 du 30.04.2024 sur JTAPI/321/2024 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1028/2024-MC ATA/529/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 avril 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 avril 2024 (JTAPI/321/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______1994, ressortissant du Nigéria, est titulaire d’un titre de séjour valable du 18 juillet 2022 au 5 mars 2026, d’un titre de voyage valable du 9 juin 2021 au 5 mars 2026 et d'une carte valable du 5 octobre 2022 au 18 juillet 2032 délivrées par les autorités italiennes.

b. Il a été condamné :

-          le 4 janvier 2023, par le Ministère public du canton de Genève (ci-après : MP), pour délit et contravention contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; art. 19 al. 1 let. c), à une amende de CHF 300.-, ainsi qu'à une peine pécuniaire de 30 jours‑amende de CHF 30.- avec sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de 3 ans ;

-          le 12 juillet 2023, par le Tribunal de police de Genève (ci-après : TP), pour consommation de stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup), empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; art. 119 al. 1), ainsi que pour délit contre la LStup (art. 19 al. 1 let. c LStup), à une amende de CHF 100.-, ainsi qu'à une peine pécuniaire de 100 jours-amende de CHF 10.-, avec sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de 3 ans, peine complémentaire se rapportant au jugement du 4 janvier 2023 ;

-          le 2 janvier 2024, par le MP, pour recel (art. 160 CP), infraction à la LStup (art. 19 LStup portant sur quatre boulettes de cocaïne pour un poids total de 2.72 g, trois pilules d’ecstasy pour un poids total de 1.38 g et un morceau de résine de cannabis pesant 3.52 g) et infraction à la LEI (art. 115 LEI), à une peine privative de liberté de 90 jours. Cette procédure est pendante devant le TP (P/1______/2024) ;

-          le 13 mars 2024, par le MP, pour délit à la LStup (art. 19 al. 1 let. c LStup), à une peine privative de liberté de 60 jours. Cette procédure est pendante devant le TP (P/2______/2024) ;

-          le 28 mars 2024, par le MP, pour non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI), à une peine privative de liberté de 90 jours, renonciation à révoquer les sursis accordés le 4 janvier 2023 et le 12 juillet 2023. Cette procédure est pendante par-devant le TP (P/3______/2024).

c. Il a fait l’objet d’une interdiction de pénétrer dans le canton le 18 mars 2022 pour une durée de six mois. Il a enfreint cette interdiction le 11 mai 2022 et a été condamné dans le cadre du jugement du TP du 12 juillet 2023.

B. a. Le 13 mars 2024 à 18h00, le commissaire de police a prononcé à l'encontre d’A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès à l'ensemble du territoire genevois) pour une durée de dix-huit mois.

b. Par courrier du 25 mars 2024, l’intéressé a formé opposition à cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

c. A______ a été arrêté le 9 avril 2024 à 15h00, alors qu'il se trouvait à la hauteur du no 32 du quai du Seujet. Il lui était reproché de s'être trouvé sur le territoire genevois alors qu'il savait faire l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève (art. 119 al. 1 LEI) et de s'être soustrait à son interpellation (art. 286 al. 1 CP).

Entendu par le MP, il a déclaré savoir faire l'objet d'une interdiction d'entrée sur le canton, mais qu'il y était venu en vue de l'audience du lendemain au TAPI. Il devait voir son avocat. Il s'était effectivement enfui lorsque les policiers qui procédaient à son contrôle avaient voulu le menotter. Il s'engageait à ne pas revenir en Suisse avant la fin de son interdiction, sauf s'il devait être convoqué.

d. Lors de l’audience devant le TAPI, il a déclaré être venu à Genève la veille pour s'entretenir avec son conseil. Il avait demandé en mariage son amie B______ le 14 février 2024. Il l'avait accompagnée pour visiter un appartement le 9 avril 2024. En audience, il n’a pas réussi à prononcer le nom de famille de celle-ci. Cette information se trouvait cependant dans son téléphone portable qui avait été saisi la veille par la police. Il souhaitait s'installer à Genève avec elle. Il a contesté s'adonner au trafic de stupéfiants. Il a admis, à une reprise, avoir donné du haschich à un consommateur, lequel lui avait spontanément remis CHF 20.-. Il s'agissait de sa consommation personnelle. Ils avaient fumé ensemble. Il ignorait que c'était interdit. Il vivait en Italie, à C______. Il travaillait comme barista à D______ durant la période estivale et percevait un salaire de EUR 1'400.-. Le reste de l'année, il travaillait sur appel dans les champs et les cultures d'olives notamment. Il n'avait pas de famille en Suisse, ni en Europe, mais des amis qui lui étaient très proches. Il s'engageait à respecter à l'avenir la mesure prononcée à son encontre.

Sur question de la représentante du commissaire de police, après lui avoir rappelé qu'il avait déclaré le 12 mars 2024 que sa petite amie, enceinte de lui, vivait à E______, lui a demandé s'il était certain que B______ avait toujours vécu en Suisse, il a répondu qu'il avait une petite amie à E______, qu'il avait eu peur de révéler l'identité de B______ car il avait eu peur qu'elle ne l'apprenne et que cela mette en danger leur relation.

e. Par jugement du 11 avril 2024, le TAPI a rejeté le recours.

Bien que titulaire d’une carte d'identité italienne, d'un « Permesso di soggiorno » lui permettant de résider en Italie et de voyager notamment en Suisse, il ne disposait pas d'une autorisation au sens de l'article 74 al. 1 let. a LEI et avait été condamné pour des infractions à la LStup, la dernière fois le 13 mars 2024.

À teneur du rapport d'arrestation du 12 mars 2024, il avait été interpellé peu de temps après une transaction, avait été mis en cause par les déclarations du consommateur, comme étant le dealer lui ayant vendu une boulette de cocaïne d'un poids brut d'un gramme contre la somme de CHF 70.-, drogue saisie en possession de ce dernier par la police, et était en possession de la somme de CHF 3'841.25. Sa seule présence sur les lieux, cumulée aux précédentes condamnations à la LStup, suffisaient à faire peser sur lui d’importants soupçons quant à son implication dans un trafic de stupéfiants. S’ajoutait à cela sa condamnation, le 28 mars 2024, pour non-respect de l’interdiction de pénétrer dans le canton et son arrestation le 9 avril 2024, procédure dans laquelle il se voyait reprocher des faits susceptibles d'être constitutifs de non‑respect d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée et d'empêchement d'accomplir un acte officiel. Ses explications selon lesquelles, lors de son arrestation du 12 mars 2024, il ne se serait livré à aucun trafic de stupéfiants, ne pouvaient être prises qu'avec circonspection. Il en allait de même s'agissant de ses prétendus revenus qui expliqueraient la somme importante saisie le 12 mars 2024, dès lors qu'il n'avait apporté aucun élément à l'appui de ses déclarations, comme par exemple, une fiche de salaire, un contrat de travail ou un relevé bancaire.

Les conditions pour le prononcé d’une mesure d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée étaient réunies.

L’interdiction de périmètre ne violait pas son droit à la vie privée, compte tenu notamment de ses déclarations contradictoires quant à sa compagne, du fait qu’il ne disposait d'aucun lieu de vie en Suisse, n'y avait pas de famille et n’avait donné aucun détail quant aux amis très proches qu’il avait évoqués.

L’étendue de la mesure à l’ensemble du canton apparaissait proportionnée et n’était n’était pas contestée. Sa durée se justifiait au regard de la nature de l’infraction dont il était soupçonné, ses antécédents spécifiques, les procédures pénales en cours, le fait qu'il avait déjà fait l'objet d'une telle mesure en 2022 qui ne l'avait pas empêché de récidiver, sa présence sur un lieu où le trafic de stupéfiants avait notoirement lieu et les circonstances de son interpellation du 12 mars 2024.

C. a. Par acte du 22 avril 2024, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Il a conclu à son annulation, à la réduction tant de l’étendue de la mesure au centre-ville de Genève que de sa durée à douze mois.

Il importait peu de déterminer si la vente du 12 mars 2024 avait eu lieu, dans la mesure où les observations de la police et les déclarations du toxicomane justifiaient le soupçon ayant conduit le commissaire à prononcer la mesure litigieuse. Il se voyait reprocher la vente d’une quantité minime de drogue, soit 1 g de cocaïne, pour laquelle il fallait retenir le taux de pureté du trafic de rue soit 20%. Cette vente était contestée, aucune confrontation n’ayant été organisée avec l’acheteur dont la crédibilité pouvait largement être remise en question s’agissant de toxicomane de drogues dures. S’agissant des faits en lien avec la procédure P/1______/2024, il persistait à soutenir que la drogue retrouvée sur lui était uniquement destinée à sa consommation personnelle.

S’agissant des condamnations pour infraction à la LEI, il n’était pas au clair avec la mesure en elle-même, sa portée et les conséquences de celle-ci lors de sa première infraction. Celles plus récentes n’étaient dues qu’à sa volonté d’exercer ses droits de procédure et, notamment, de changer de défenseur dans le cadre des procédures pénales dont il faisait l’objet. Il convenait de tenir compte des liens qui l’unissaient avec ses amis extrêmement proches, assimilables à des liens familiaux, importants au vu de son statut de migrant qui impliquait que l’essentiel, sinon l’intégralité de ses proches était « restée derrière lui ». Il avait donné force de détails sur sa fiancée avec laquelle il avait l’intention de former une union durable, sanctifiée par les liens du mariage. Or, le droit au mariage était un droit protégé qui faisait partie du ius cogens. Une interdiction de douze mois portant uniquement sur le périmètre réduit du centre-ville constituerait une mesure moins incisive et apte à atteindre le but visé étant rappelé qu’il n’appartenait pas à l’administré de documenter précisément pourquoi une telle mesure serait particulièrement incisive mais à l’autorité de prouver qu’une mesure moins incisive ne serait pas apte à atteindre le but. Or, les autorités n’avaient apporté aucun élément permettant d’inférer qu’une durée inférieure à 18 mois serait inefficace.

b. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

c. A______ n’ayant pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 22 avril 2024 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Est litigieuse l’interdiction de pénétrer dans tout le territoire cantonal pendant 18 mois.

3.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et que des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou qu'il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire (let. b). L’assignation à un territoire ou l’interdiction de pénétrer un territoire peut également être prononcée lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

3.2 Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants ainsi qu'à maintenir les requérants d'asile éloignés des scènes de la drogue (arrêts du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1).

Ainsi, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2) ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_123/2021 précité consid. 3.1 et l'arrêt cité). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 précité consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 précité).

3.3 Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021).

4.             L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure.

Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3).

4.1 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

4.2 La mesure doit être nécessaire et suffisante pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; ATA/748/2018 du 18 juillet 2018 consid. 4b). L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010, p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

4.2.1 La mesure ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

4.3 La chambre de céans a déjà plusieurs fois confirmé une interdiction territoriale de douze mois dans le canton de Genève y compris à l’encontre d’une personne sans antécédents, interpellée et condamnée par le Ministère public pour avoir vendu une boulette de cocaïne, l’intéressé n’ayant aucune ressource financière ni aucun intérêt à venir dans le canton (ATA/1316/2022 du 29 décembre 2022 ; ATA/655/2021 du 23 juin 2021 ; ATA/802/2019 du 17 avril 2019), ou à l’encontre d’une ressortissante française condamnée à plusieurs reprises pour infractions à la LStup qui admettait consommer des stupéfiants et s’adonner au trafic de ceux-ci (ATA/255/2022 du 10 mars 2022).

La chambre de céans a confirmé une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois dans le cas d’une personne possédant un titre de séjour en Italie, qui n’avait ni attaches ni aucun titre de séjour en Suisse. Il avait certes, indiqué, avoir des amis à Vernier, mais avait refusé de donner leur nom et leur adresse. Son allégation relative à l'existence desdites amitiés paraissait ainsi peu crédible. Il semblait d'ailleurs davantage avoir utilisé sa présence à Genève pour trouver des moyens de subvenir illégalement à ses besoins en s'adonnant au trafic de drogues. Le recourant n'avait jamais vécu ni à Genève ni en Suisse et n'y avait aucune attache familiale. Il était sans domicile et sans ressources. Aucun élément ne nécessitait ainsi sa présence à Genève. Dans ces circonstances, son intérêt privé à pouvoir venir à Genève dans les douze mois suivants cédait le pas à l'intérêt public à le tenir éloigné du canton pendant cette durée. Par conséquent, le fait d'avoir étendu la mesure d'interdiction à l'ensemble du territoire du canton de Genève n'était pas disproportionné, ni d'avoir fixé à douze mois la durée de cette mesure, étant rappelé sur ce dernier point la jurisprudence stricte du Tribunal fédéral (ATA/806/2019 du 18 avril 2019).

Elle a aussi confirmé des interdictions territoriales pour une durée de 18 mois prononcées contre un étranger interpellé en flagrant délit de vente de deux boulettes de cocaïne et auparavant condamné deux fois et arrêté une fois pour trafic de stupéfiants (ATA/2577/2022 du 15 septembre 2022) ou un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup (ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

Elle a rétabli à 24 mois une interdiction territoriale réduite à 18 mois par le TAPI dans le cas d’un ressortissant algérien ne disposant d’aucun lieu de vie en Suisse, hormis le domicile à Genève de sa compagne, où quelques affaires lui appartenant avaient été retrouvées. Il paraissait également vivre chez sa sœur en France voisine. Il n’établissait pas sa paternité sur l’enfant qu’il prétendait être le sien et n’expliquait pas les démarches concrètes qu’il aurait entamées à cet égard en vue d’obtenir les documents d’identité nécessaires à cette reconnaissance. Il avait fait l’objet de multiples condamnations pénales pour infractions à la LStup, mais également pour violation de domicile, vol et dommages à la propriété et lésions corporelles simples contre sa compagne, avait été condamné à des peines privatives de liberté, et d’autres procédures pénales étaient en cours contre lui. Il s’agissait en outre d’une seconde mesure. Il n’avait eu aucune considération pour la première décision d’interdiction territoriale prononcée à son encontre le 22 février 2022, pour une durée de douze mois, ni pour l’interdiction d’entrée valable jusqu’au 27 octobre 2027, soit encore pour plus de quatre années. Une durée de 18 mois paraissait donc faible au regard de ces circonstances. La réduction opérée par le TAPI, motivée par la paternité du recourant ne pouvait en conséquence être confirmée, notamment en l’absence de tout document établissant celle-ci (ATA/609/2023 du 9 juin 2023).

Elle a admis le caractère disproportionné d’une interdiction de territoire privant un recourant d’accès au domicile de son amie, chez laquelle il était effectivement domicilié et avec laquelle des démarches en vue du mariage étaient effectivement en cours (dépôt d’une demande d’autorisation de séjour en vue de mariage ; ATA/668/2020 du 13 juillet 2020).

De même, elle a jugé contraire au droit l’interdiction de tout le canton de Genève notifiée à un recourant qui avait entamé des démarches auprès de l’Office cantonal de la population et des migrations pour l’obtention d’un titre de séjour en vue de mariage et auprès de l’état civil pour reconnaître sa fille, et dont la réalité de la relation n’avait pas été mise en cause par le TAPI (ATA/1171/2019 du 22 juillet 2019).

4.4 Les fiancés ou les concubins ne sont, sous réserve de circonstances particulières, pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH. Ainsi, l'étranger fiancé à une personne ayant le droit de s'établir en Suisse ne peut, en principe, pas prétendre à une autorisation de séjour, à moins que le couple n'entretienne depuis longtemps des relations étroites et effectivement vécues et qu'il n'existe des indices concrets d'un mariage sérieusement voulu et imminent, comme par exemple la publication des bans du mariage (ATF 137 I 351 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1035/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1 ; 2C_207/2012 du 31 mai 2012 consid. 3.3 ; 2C_206/2010 du 23 août 2010 consid. 2.1 et 2.3 et les références citées).

4.5 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA). Ce principe n’est pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 ; ATA/573/2015 du 2 juin 2015 ; ATA/99/2014 du 18 février 2014).

4.6 En l’espèce, le recourant ne conteste pas, à juste titre, le prononcé de la mesure.

Seul est litigieux le respect du principe de la proportionnalité dans le choix de la durée, soit 18 mois et du périmètre, soit l’entier du canton, par l’autorité intimée.

Il est préalablement précisé que le recourant a soutenu dans son recours que dans la procédure pénale P/1______/2024, la drogue retrouvée sur lui était uniquement destinée à sa consommation personnelle. Il conteste actuellement devant le TP l’accusation de trafic de stupéfiants. L’intéressé reconnaît ainsi être consommateur de différents stupéfiants dès lors qu’ont été trouvés sur lui, le 1er janvier 2024, conformément au rapport d’arrestation du même jour, quatre boulettes de cocaïne pour un poids total de 2.72 g, trois pilules d’ecstasy pour un poids total de 1.38 g et un morceau de résine de cannabis pesant 3.52 g.

S’agissant du périmètre, le recourant ne l’a pas contesté devant le TAPI. La recevabilité du grief apparaît ainsi douteuse. De surcroît, il ne peut se prévaloir d’aucun motif pour expliquer sa présence sur le territoire genevois. Il a admis qu’il habitait en Italie. Il n’évoque aucun lieu de vie en Suisse. Sa situation personnelle n’est pas établie. L’intéressé s’est limité à indiquer le prénom de son amie. Questionné sur le nom de famille de celle-ci, il n’a pas été en mesure de l’indiquer. Il n’a donné aucune précision sur un éventuel domicile de celle-ci à Genève, notamment hors du centre-ville, élément pertinent pour la délimitation du périmètre. Il n’a fourni aucune preuve concrète de leur relation. Au contraire, il a tenu des propos contradictoires, mis en exergue en audience par l’autorité intimée, une ambiguïté demeurant quant à l’existence d’une seconde relation en France voisine. De même, aucun renseignement n’est fourni sur la grossesse alléguée, sans même qu’il ne ressorte clairement du dossier laquelle de ses amies serait concernée. Rien ne s’oppose en tout état à ce qu’il exerce des relations personnelles avec la jeune femme vivant en France dans ce dernier pays. Il n’est pas non plus entravé dans ses relations avec son autre amie qu’il pourrait continuer à voir en Italie notamment. Il ne prétend, pour le reste, pas qu’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève le priverait d’un accès à des ressources élémentaires. L’existence de ses « amis très proches » n’est qu’alléguée. Enfin, le recourant consomme des drogues dures. Ainsi, l’interdiction de périmètre, étendue à l’ensemble du canton, ne prête pas le flanc à la critique.

Quant à la durée de la mesure, elle respecte également le principe de proportionnalité. L’intéressé n’a en effet pas respecté la première interdiction de pénétrer dans le canton prononcée le 18 mars 2022 pour une durée de six mois. À cela s’ajoute plusieurs condamnations pénales ultérieures, dans un laps de temps relativement court soit celles des 4 janvier, 12 juillet 2023 et 2 janvier 2024, ainsi que sa présence sur un lieu où le trafic de stupéfiants a notoirement lieu et les circonstances de son interpellation du 13 mars 2024. Il n’a ni emploi, ni titre de séjour en Suisse, ni de liens avérés avec ce pays et reconnaît être consommateur notamment de cocaïne, drogue dite « dure » » car susceptible de mettre gravement en danger la santé et l’intégrité physique de ses consommateurs. Enfin, quelques jours après son prononcé, sans solliciter de sauf-conduits, il a enfreint la mesure prononcée le 13 mars 2024 pour la durée de 18 mois, ce qui ne fait que confirmer le bien-fondé de la durée retenue. Au vu de ces circonstances, la durée de 18 mois paraît apte et nécessaire pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le canton de Genève du risque de nouvelles commissions d’infractions sur le territoire cantonal par le recourant et proportionnée au sens étroit.

Contrairement à ce qu’il soutient, il appartenait au recourant de verser à la procédure des éléments probants à même de démontrer que ladite mesure ne respecterait pas le principe de la proportionnalité, ce qu’il n’a pas fait. À ce titre, il ne peut notamment rien déduire de sa relation avec sa fiancée. Outre qu’aucune pièce au dossier ne confirme ses fiançailles, il ne démontre ni que le couple entretient depuis longtemps des relations étroites et effectivement vécues ni qu'il existerait des indices concrets d'un mariage sérieusement voulu et imminent.

En conséquence, tant le périmètre que la durée de la mesure respectent le principe de la proportionnalité.

Il découle de ce qui précède que le recours, entièrement mal fondé, doit être rejeté.

5.             La procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 avril 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 avril 2024 ;


 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Charles ARCHINARD, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :