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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3740/2022

ATA/141/2023 du 13.02.2023 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3740/2022-PRISON ATA/141/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 février 2023

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Baptiste Favez, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ LA BRENAZ



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1987, est incarcéré dans l’établissement fermé de la Brenaz (ci-après : la Brenaz ou l’établissement) en exécution de peine, depuis le 17 septembre 2021.

2) Il a fait l’objet de quatre sanctions disciplinaires, dont la décision litigieuse, depuis son incarcération dans l’établissement :

- le 14 novembre 2021, un jour de suppression des activités, soit les formations, les sports, les loisirs et les repas en commun pour usage abusif du téléphone, troubles à l’ordre ou la tranquillité dans l’établissement ou les environs immédiats et d’une façon générale, d’avoir adopté un comportement contraire au but de l’établissement ;

- le 19 février 2022, trois jours de placement en cellule forte et de suppression des activités, pour début d’incendie, troubles de l’ordre la tranquillité dans l’établissement ou les environs immédiats et d’une façon générale, d’avoir adopté un comportement contraire au but de l’établissement ;

- le 27 juillet 2022, trois jours de placement en cellule forte et de suppression des activités, pour bagarre, violences physiques ou verbales à l’égard des autres personnes détenues, avoir adopté un comportement contraire au but de l’établissement et pour troubles de l’ordre ou la tranquillité dans l’établissement ou les environs immédiats ;

- le 6 août 2022, un avertissement écrit pour avoir adopté, d’une façon générale, un comportement contraire au but de l’établissement ;

- le 15 octobre 2022, décision faisant l’objet de la présente procédure, trois jours de suppression des activités pour vol, tentative de vol, comportement inapproprié, troubles de l’ordre et la tranquillité de l’établissement et pour avoir adopté un comportement contraire au but de l’établissement.

3) Selon le rapport d’incident du 15 octobre 2022 de 9h52, l’appointé en charge de l’atelier boulangerie a indiqué avoir omis de verrouiller la porte de la cellule 5113 attribuée au détenu C alors qu’il n’était pas présent à l’intérieur, lors de la distribution des viennoiseries.

4) Selon le rapport du même jour à 15h00, l’appointé en charge du secteur 5100 a indiqué que lors de l’ouverture dudit secteur, le détenu C l’avait interpellé en lui demandant si sa cellule avait été fouillée, expliquant qu’elle était fermée à son départ au travail le matin à 9h45, mais ouverte à son retour à 10h20. Il lui manquait des médicaments et plusieurs objets avaient été déplacés.

5) Selon le rapport du même jour à 15h30, le sergent-chef en charge a auditionné et visionné les images de vidéosurveillance afin de comprendre ce qu’il avait pu se passer durant l’absence du détenu C. Il en ressort que deux détenus, dont M. A______, s’étaient introduits dans la cellule et y étaient restés quelques minutes avant d’en ressortir. Lesdits détenus avaient été mis en cellule forte pour des raisons de sécurité le temps de l’investigation. Ils avaient ensuite été sanctionnés, après leur audition et validation par le piquet de direction.

6) Selon la déclaration du détenu C du même jour à 16h00, des objets avaient été déplacés et endommagés et deux Seroquel 25 mg avaient été volés.

7) Selon le rapport du même jour à 16h00, M. A______ avait été acheminé en cellule forte en attente de son audition sans contrainte ni violence, après négociation. Selon le sous-chef en charge, après visionnage des images vidéo et audition des deux détenus, ceux-ci avaient été placés en cellule fermée et une sanction pour vol ou tentative de vol, comportement inapproprié, adoption d’un comportement contraire au but de l’établissement avait été prononcée, soit une suppression des activités communes et loisirs pour une durée de trois jours, du 15 octobre 2022 à 16h50 au 18 octobre 2022 à 17h30 s’agissant de M. A______.

8) Selon le document « Déclaration » du 15 octobre 2022, à 16h50, M. A______ n’avait rien à dire et a refusé de signer.

9) La sanction de suppression des activités lui a été notifiée le 15 octobre à 17h30, notification qu’il a signée.

10) Par acte du 10 novembre 2022, M. A______ a formé recours à l’encontre de cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Il avait essayé d’expliquer aux agents qu’il était entré dans la cellule du détenu C pour « rigoler et juste pour regarder comment il vivait car il ne paye jamais rien aux autres détenus du secteur. On voulait s’amuser et se moquer un peu de lui. Nous n’avons jamais rien pris et nous avons juste ouvert son frigo ! Il nous a accusé d’avoir volé des médicaments et s’est aperçu après qu’il les avait retrouvés ». Il a joint en annexe un courrier de la part du détenu C, selon lequel « Concerne : [ ] et A______. Maître, après avoir nettoyé ma cellule le 26 octobre 2022, j’ai retrouvé les médicaments que je pensais volés. Il apparaît donc qu’ils n’ont pas été volés et je suis désolé d’avoir pensé que M. [ .] les ait pris. ». Il n’avait jamais volé de sa vie et avait peur que cela interfère dans sa demande de libération conditionnelle et demandait « de l’aide ».

11) L’établissement a conclu au rejet du recours.

Le recourant ne mettait pas en cause le fait d’être entré dans la cellule du détenu C sans autorisation et les rapports d’incident, établis par des agents de détention assermentés, de même que les images de vidéosurveillance, ne laissaient pas place au doute, à savoir qu’il avait pénétré dans la cellule de C sans droit et les mains vides et en était ressorti avec un sachet de viennoiseries. Minimiser les faits en indiquant avoir uniquement voulu se moquer du détenu C et s’amuser sans rien prendre n’y changeait rien. Son droit d’être entendu avait été respecté. Le fait d’entrer dans une cellule sans autorisation et de s’emparer des effets personnels d’une personne détenue sans autorisation contrevenait au règlement de l’établissement et avait mobilisé de nombreuses ressources. Le recourant n’avait pas indiqué pour quel motif la sanction disciplinaire était injustifiée, invoquant avoir voulu ennuyer le détenu C ainsi que le courrier de ce dernier, mais occultait le fait d’avoir pénétré dans une cellule en l’absence de son occupant et en être ressorti avec les viennoiseries de ce dernier. La sanction était justifiée dans son type et sa quotité, et était proportionnée.

12) Dans le délai supplémentaire accordé au 27 janvier 2023, le recourant a répliqué. Les images de vidéosurveillance montraient qu’il était entré dans la cellule du détenu C avec le même sachet blanc avec lequel il était ressorti. Il contestait tout vol. La sanction devait être annulée.

13) La cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/204/2021 du 23 février 2021 consid. 2b ; ATA/1718/2019 du 26 novembre 2019 consid. 2).

b.  En l'espèce, bien que les conclusions du recourant ne ressortent pas expressément de l'acte de recours, on comprend qu’il réclame l'annulation de la sanction prononcée à son endroit le 15 octobre 2022. Son recours répond ainsi aux exigences de l'art. 65 LPA et est donc recevable.

3) a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l’examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu’il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2 ; ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 1).

b. En l’espèce, La Brenaz n’indique pas que le recourant, qui a subi une sanction, aurait recouvré la liberté. Une situation identique pourrait se reproduire dans le futur et la sanction querellée pourrait être considérée comme un antécédent. Le recourant a donc un intérêt concret à ce que le litige soit tranché.

Le recours est recevable.

4) Le recourant conteste la sanction prononcée à son endroit.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification résidant dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

b. Les personnes détenues ont l'obligation de respecter les dispositions du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d'exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention, ainsi que les ordres du directeur de l'établissement et du personnel pénitentiaire (art. 42 REPSD).

c. Selon l'art. 44 let. j REPSD, il est interdit, d'une façon générale, d'adopter un comportement contraire au but de l'établissement.

d. Aux termes de l'art. 46 REPSD, si une personne détenue enfreint le REPSD ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (al. 1). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (al. 2).

Selon l'art. 46 al. 3 REPSD, le directeur de l'établissement et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer : un avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b) ; l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) ; les arrêts pour dix jours au plus (let. d). À teneur de l'art. 46 al. 7 REPSD, le directeur de l'établissement peut déléguer la compétence de prononcer ces sanctions prévues à d'autres membres du personnel gradé de l'établissement. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service.

e. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 précité ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/36/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

f. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

g. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 4e ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c).

5) En l'espèce, le recourant infère de ce qu’on le verrait sur les images de surveillance entrer dans la cellule du détenu H avec le même sachet de viennoiseries avec lequel il était ressorti et qu’il n’aurait rien volé dans la cellule.

Il ne conteste toutefois pas être entré dans ladite cellule en l’absence de son occupant et sans son autorisation, ni non plus avoir manipulé des objets lui appartenant.

Les images de vidéosurveillance le montrent entrer dans la cellule tout sourire, rester plusieurs secondes dans l’embrasure en effectuant des mouvements face à l’extérieur, avant d’être rejoint par son comparse. Après deux minutes, son comparse retourne quelques secondes dans sa cellule et pénètre à nouveau dans la cellule du détenu C. Quatre minutes après être entrés pour la première fois dans cette cellule, les comparses ressortent l’un après l’autre, toujours tout sourire, frappant dans la main de l’autre et faisant plusieurs gestes en direction du fond du couloir.

Par ce comportement, le recourant a manqué à son obligation d’observer une attitude correcte envers un autre détenu, en entrant sans droit dans une cellule qui n’était pas la sienne et en se permettant de manipuler les affaires d’un autre sans son autorisation.

L’explication qu’il avance, à savoir de vouloir se moquer et « embêter » le détenu C ne justifie pas son comportement mais au contraire suggère une intention de nuire, voire de lui causer un dommage, ce d’autant que ledit détenu ne retrouvait plus ses cachets, ce qui rend son geste encore plus blâmable.

À cela s’ajoute que le fait d’entrer la cellule, de déplacer des affaires de son occupant, qui s’en est plaint, a nécessité la mobilisation de moyens humains et techniques pour mettre en lumière le déroulement des faits, ce qui constitue déjà une violation sérieuse de ses obligations de détenu de ne pas troubler l’ordre de l’établissement.

Le prononcé d'une sanction était donc justifié.

Le recourant ne conteste ni la nature ni la quotité de la sanction. Celle-ci apparaît proportionnée compte tenu de la gravité de sa faute et de ses antécédents et compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont dispose l’autorité en matière de sanctions, étant observé que le recourant avait été sanctionné quatre fois auparavant.

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

6. La procédure est gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).


* * * * *

 


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 novembre 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l’établissement fermé La Brenaz du 15 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Baptiste Favez, avocat du recourant, ainsi qu'à l’établissement fermé La Brenaz.

Siégeant : Mme Lauber, présidente, M. Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. Lauber

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :