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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2675/2021

ATA/1222/2021 du 16.11.2021 ( EXP ) , REJETE

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;ZONE DE DÉVELOPPEMENT;DROIT DE PRÉEMPTION;LOGEMENT SOCIAL;GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ;INTÉRÊT PUBLIC;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LGL.5.al2.letb; Cst.26; Cst.36; Cst.27; LGL.1; LGL.2; LGL.3; LGL.3.al1; LGL.16; LGZD.6A; LGZD.4A.al3; LGL.9.al3
Résumé : La décision de la commune d'exercer son droit de préemption sur une parcelle sise en 3ème zone de développement, zone propre à permettre la construction de logements sociaux, apparaît conforme au droit. Les conditions d'exercice de ce droit sont en l'occurrence réalisées, même si la commune n'est pas en mesure de fournir un projet de construction détaillé, ni de déterminer une échéance précise pour réaliser son projet. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2675/2021-EXP ATA/1222/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 novembre 2021

 

dans la cause

 

A______
représentée par CGI Conseils, mandataire

contre

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DES CONSTRUCTIONS ET DE LA MOBILITÉ

 



EN FAIT

1) A______ (ci-après : A______ ou la société) est une société anonyme inscrite au registre du commerce de Genève depuis le 23 février 1995, ayant son siège à Genève, active dans le domaine immobilier (notamment l'acquisition, la réalisation, la mise en valeur et le financement de projets immobiliers).

2) Madame B______ est propriétaire de la parcelle n° 1______, feuille 2______, de la commune de C______, sise chemin du D______, ______ Genève.

Cette parcelle, d'une surface de 1'114 m2, est située en 3ème zone de développement.

Selon le cadastre, une habitation avec un logement, à savoir une villa d'une surface de 88 m2, y est érigée.

3) Par acte notarié du 25 mars 2021, Mme B______ a vendu son bien à A______ pour un montant de CHF 1'900'000.-.

La vente à terme était soumise à réalisation, d'ici au 30 avril 2023 au plus tard, d'une condition suspensive, à savoir la libération, aux frais de la venderesse, du bien vendu de tout objet et occupant.

La parcelle n° 1______ faisait l'objet de servitudes de restriction d'affectation en faveur et à la charge d'autres parcelles ainsi que de restrictions de bâtir en faveur d'autres parcelles de la commune de C______.

Elle était également grevée d'un droit de préemption au profit de l'État de Genève et de la Ville de Genève (ci-après : la ville), dans la mesure où elle était située en 3ème zone de développement (art. 3 et ss de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 - LGL - I 4 05).

4) Le même jour, le notaire a avisé le Conseil d'État et la ville de la passation de l'acte de vente.

5) Par courriers séparés du 27 avril 2021, la ville a informé A______ et Mme B______ qu'elle envisageait, sous réserve de la renonciation par l'État de Genève à l'exercice de son droit de préemption, d'exercer son droit de préemption communal que lui conférait la LGL, en vue de la construction de logements d'utilité publique (ci-après : LUP).

Un entretien était fixé les 6 et 7 mai 2021 pour que A______ et Mme B______ puissent faire valoir leurs moyens.

6) Le 28 avril 2021, A______ a indiqué à la ville être surprise du contenu de son courrier du 27 avril précédent.

En effet, la société était active depuis plus de vingt-cinq ans dans la promotion et la construction d'immeubles en zone de développement à Genève. Elle avait ainsi réalisé des centaines de logements, dont une grande partie en respectant les dispositions de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35).

7) Le 14 mai 2021, à la suite de la rencontre du 6 mai 2021 et d'un courrier de la ville, A______ a confirmé à cette dernière qu'elle avait réalisé plus de deux cents LUP ces dernières années, dont elle listait les adresses, invitant la ville à aller visiter ces immeubles.

8) Le 25 mai 2021, le Conseil d'État, soit pour lui, l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF), a informé le notaire qu'il renonçait à exercer son droit de préemption.

9) Le 26 mai 2021, le conseil administratif de la ville a déposé au conseil municipal une proposition de délibération en vue d'exercer le droit de préemption dans le cadre de la vente de la parcelle n° 1______.

Cet objet a été inscrit à l'ordre du jour des séances du conseil municipal des 8 et 9 juin 2021.

10) Lors de la session du 8 juin 2021, différents partis ont évoqué leur positionnement.

Le PLR, le PDC, l'UDC et le MCG se sont opposés à l'usage du droit de préemption pour différents motifs. Le PS, EàG et les Verts s'y sont montrés favorables.

11) Le 9 juin 2021, le conseil municipal a approuvé la proposition de délibération sans aucun amendement, par 40 oui contre 33 non, autorisant ainsi le conseil administratif à exercer le droit de préemption dans le cadre de la vente de la parcelle n° 1______ pour un montant de CHF 1'900'000.- aux fins de constructions de LUP. Un crédit de CHF 2'000'000.- était ouvert pour régler le prix de vente, les frais d'acte, les droits d'enregistrement et émoluments du registre foncier et les frais dus à l'acquéreur évincé.

12) Par décision du 14 juin 2021, la ville en a informé A______.

13) Par acte remis à la poste le 16 août 2021, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision susmentionnée, concluant à son annulation sous suite de frais et dépens.

L'exercice du droit de préemption par la ville constituait une restriction à la garantie de la propriété.

Les circonstances pour appliquer l'art. 3 al. 1 LGL n'étaient pas réalisées, dans la mesure où la parcelle n° 1______ était la première (et la seule) qui se libérait. Il était en effet connu que les autres propriétaires du secteur étaient très attachés à leur bien et au poumon de verdure qu'il représentait pour eux.

Il n'y avait pas d'autre plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) sur cette parcelle que celui datant de 1997, sur le point d'être aboli. Les habitants étaient très vivement opposés à tout projet d'aménagement. La parcelle en question ne disposait que d'une surface de 1'114 m2. Par ailleurs, l'ex-époux de Mme B______ l'occupait encore. Si un nouveau processus de PLQ devait être initié, la procédure serait longue et son issue incertaine au vu de l'opposition certaine de nombreux propriétaires. Dès lors, l'aboutissement d'un éventuel projet de construction sur cette parcelle paraissait plus qu'incertain, pour ne pas dire illusoire, dans un avenir pas trop éloigné.

La parcelle, objet de la préemption, était grevée par un très grand nombre de servitudes croisées, en faveur d'un grand nombre de parcelles voisines, restreignant ainsi les possibilités de construire. Il faudrait donc pouvoir lever ces servitudes, ce qui semblait très contraignant.

La condition de pouvoir construire dans un délai raisonnable des LUP sur la parcelle objet du droit de préemption n'était pas réalisée. La ville en était d'ailleurs consciente puisqu'il ressortait de sa proposition de délibération du 26 mai 2021 qu'elle devrait trouver un locataire, en attendant la réalisation d'une opération de développement de ladite parcelle. En outre, différents travaux devraient être effectués sur la villa. Or, les travaux envisagés (isolation de la toiture, des façades, et changement de la chaudière) étaient usuellement amortis en vingt ans. Envisager de tels travaux démontrait une impossibilité de réaliser les LUP dans un délai inférieur à vingt ans.

L'usage du droit de préemption n'était pas nécessaire pour la construction de LUP puisque la loi exigeait déjà qu'un tiers des logements à construire soient des LUP, dont la moitié en habitation bon marché. En outre, les partisans de la proposition avaient mis en avant la préservation des arbres et le fait que la gérance immobilière municipale (ci-après : GIM) détiendrait un bien à loyer libre. La volonté de densifier la parcelle n'apparaissait que sur un second plan, dans un horizon très éloigné. Dès lors, l'intérêt public nécessaire à l'exercice du droit de préemption était inexistant, ce d'autant plus que A______ avait déjà construit ce type de logements et avait affirmé l'intention d'en construire dans le cadre du projet.

Enfin, dans la mesure où la préemption ne pouvait pas aboutir à la construction de logements sociaux, la décision ne respectait pas le principe de la proportionnalité, ne pouvant pas atteindre le but visé.

14) Le 20 septembre 2021, la ville a conclu au rejet du recours sous suite de frais et dépens.

La parcelle n° 1______ était située à proximité d'axes de transports publics dans un secteur bien desservi et proche d'équipements publics. Il s'agissait d'une « poche» de villas en ville entourées de secteurs bâtis et densifiés. Tant le plan directeur cantonal 3______ (ci-après : PDCn 3______) que le plan directeur communal 4______ (ci-après : PDCom 4______) prévoyaient la densification de ce secteur. Au vu de ces documents, les autorités devaient initier et adopter un PLQ. Compte tenu de la modification du PDCn 3______, acceptée par la Confédération le 18 janvier 2021, la pression sur les zones de développement non encore densifiées se faisait plus forte. Le développement du secteur du E______, soit le chemin parallèle au chemin du D______, devenait ainsi un secteur prioritaire pour le canton et la ville.

La ville avait initié les démarches pour lancer l'adoption d'un PLQ pour le secteur du E______. Malgré l'opposition de l'association des habitants du quartier du C______, le pronostic pour densifier à moyen terme restait favorable. La ville mettrait en œuvre les démarches nécessaires pour proposer au canton un projet de PLQ sur la base du mandat d'études parallèles de juin 2017 effectué dans le cadre du secteur du E______.

La légitimité de la ville était d'autant plus forte qu'elle avait des intérêts dans le secteur, à savoir une propriété à valoriser. D'autres périmètres faisaient l'objet d'études d'aménagement et de densification après usage de droit de préemption par la ville.

Les habitants du C______ avaient milité pour un refus du projet d'aménagements F______. Toutefois, le secteur du E______ était déjà en zone de développement et ne nécessitait pas de changement de régime de zone. La ville était donc légitimée à proposer au Conseil d'État un PLQ par la voie de l'initiative municipale ou à collaborer avec le canton pour dessiner le futur PLQ.

L'inscription des servitudes de restrictions de bâtir sur la parcelle n'était pas de nature à empêcher la réalisation de logements sociaux, puisque le PLQ pouvait bénéficier de la clause d'utilité publique prévue par la loi. En outre, elle pourrait facilement obtenir l'expropriation des servitudes litigieuses, qui ne seraient pas levées de gré à gré, puisqu'elle entendait y réaliser 100 % de LUP.

La location de la villa jusqu'à sa démolition permettrait d'amortir l'emprunt et assurerait à moyen terme la mise à disposition pour des LUP. Les travaux de mise en conformité n'étaient pas de nature à empêcher le développement de logements dans un proche avenir. En outre, en tant que promoteur aguerri, A______ aurait dû également réaliser de tels travaux puisqu'elle n'aurait pas laissé vide de tout occupant l'habitation jusqu'à la délivrance de l'autorisation de construire.

15) Le 22 octobre 2021, A______ a répliqué.

La volonté de densifier la zone, mentionnée dans le PDCn 3______ et dans le PDCom 4______, ne permettait pas de conclure que l'usage du droit de préemption serait conforme au droit. Une intention de densifier ne permettait pas de comprendre que ce but pourrait être atteint dans un avenir pas trop éloigné. La ville ne donnait aucun élément tangible permettant de retenir que la construction de LUP pourrait intervenir dans un avenir pas trop éloigné sur la parcelle en question.

Les cas similaires cités, dans lesquels un droit de préemption avait été exercé avant l'adoption d'un PLQ, n'avaient pas fait l'objet de jurisprudence. En outre, la ville n'avait pas prouvé qu'elle entendait réaliser 100 % de LUP.

Au vu de l'art. 4A LGZD, il semblait compliqué pour la ville, sauf en obtenant une dérogation, de pouvoir construire au moins 60 % de LUP.

Les conseillers municipaux étaient conscients que la construction de LUP n'aurait pas lieu avant de très nombreuses années. Cela ressortait également du rapport explicatif relatif à la proposition du conseil administratif du 26 mai 2021 et du fait que de lourds travaux étaient envisagés sur la villa dans le but de la louer, travaux qui devraient être amortis.

16) Le 25 octobre 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

Leurs arguments seront pour le surplus repris ci-dessous dans la mesure nécessaire au traitement du recours.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. La chambre administrative a déjà jugé à plusieurs reprises que la délibération d’un conseil municipal portant sur l'exercice d'un droit de préemption est une mesure individuelle et concrète prise par l’autorité compétente et fondée sur le droit public cantonal, soit la LGL.

Il s’agit d’une décision au sens de la LPA (ATA/234/2016 du 15 mars 2016 consid. 2 ; ATA/970/2014 du 9 décembre 2014 consid. 2 et les arrêts cités).

b. En l'occurrence, la décision d’exercer le droit de préemption communal a été notifiée à la recourante par courrier du 14 juin 2021, dans le délai légal de trente jours (art. 5 al. 2 let. b LGL).

Le litige porte donc sur la volonté de la ville d'exercer son droit de préemption sur la parcelle n° 1______ de son territoire, manifestée par courrier du 14 juin 2021, faisant suite à la délibération du conseil municipal du 9 juin 2021.

3) La recourante soutient que la décision litigieuse viole sa garantie d'accès à la propriété (art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101).

a. L'exercice par une collectivité d'un droit de préemption légal sur un immeuble constitue une restriction grave du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 Cst. (ATF 88 I 248 consid. III.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_86/2015 du 20 avril 2016 consid. 3.1 publié en partie aux ATF 142 I 76 consid. 3 ; 1P.552/1998 du 9 février 1999 consid. 2). Pour être compatible avec cette disposition, l'exercice du droit de préemption doit reposer sur une base légale – une loi au sens formel –, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a et les arrêts cités ; Thierry TANQUEREL, Le droit de préemption légal des collectivités publiques, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 153-154).

De la même manière, la liberté économique (art. 27 Cst.) peut se voir limitée par des mesures restrictives poursuivant des motifs d'ordre public, de politique sociale ou des mesures ne servant pas en premier lieu des intérêts économiques (ATF 140 I 218 consid. 6.2 p. 229).

b. La LGL a pour but de permettre à l'État d'encourager la construction de logements d'utilité publique et d'améliorer la qualité de l'habitat, par le biais d'acquisitions de terrains, de financements de projets de constructions et de contrôle des loyers (art. 1 LGL). La loi instaure à cet effet un droit de préemption et d'expropriation en faveur de l'État et des communes (art. 2 LGL). Ce droit s'applique notamment aux biens-fonds situés, comme en l'espèce, en zone de développement (art. 3 LGL).

D'une manière générale, la jurisprudence a admis la constitutionnalité du droit de préemption des art. 3 ss LGL (ATF 142 I 76 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_30/2008 du 24 novembre 2008 consid. 3.3 in SJ 2009 I 257 et les arrêts cités).

c. Le droit de préemption visé par les art. 3 ss LGL est un droit de préemption légal de droit public cantonal (Thierry TANQUEREL, Le droit de préemption légal des collectivités publiques, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 147 ss, spéc. 150).

d. Selon l'art. 3 al. 1 LGL, le droit de préemption ne peut s'exercer « qu'aux fins de construction de logements au sens de la présente loi », soit « aux fins de construction de logements d'utilité publique » (art. 2 LGL). Ces logements sont énumérés de manière limitative à l'art. 16 LGL en trois catégories : HBM (immeubles d'habitation bon marché), HLM (immeubles d'habitation à loyers modérés) et HM (immeubles d'habitation mixte), ces derniers immeubles comprennent des logements avec subvention proportionnelle aux revenus des locataires et des logements sans subvention.

e. Dans sa jurisprudence relative à l'exercice de ce droit de préemption, le Tribunal fédéral a essentiellement connu des situations où la collectivité publique entendait, dans le cadre d'un processus d'urbanisation, procéder à la construction d'immeubles de logements ; ces opérations intervenaient sur des terrains non encore construits ou sur des parcelles pourvues de petites habitations ou d'installations industrielles qui n'étaient plus conformes à la densification accrue de la zone de développement (ATF 114 Ia 14 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_30/2008 précité consid. 3.5 in SJ 2009 I 257 ; 1P.639/2004 in SJ 2005 I 545 consid. 4.2 ; 1P.552/1998 du 9 février 1999 consid. 4b ; 1P.676/1990 du 3 juin 1991 consid. 5b ; P/673/83 du 23 janvier 1985 consid. 5b).

Selon la jurisprudence, l'autorité qui exerce le droit de préemption ne doit pas nécessairement être à même de réaliser immédiatement des LUP sur la parcelle qu'elle entend acquérir. Les art. 3 ss LGL, qui s'inscrivent dans la politique définie à l'art. 1 LGL, confèrent au contraire un large pouvoir d'appréciation à la collectivité. Lors de chaque vente immobilière permettant l'exercice du droit de préemption, l'autorité doit déterminer si l'acquisition du terrain concerné est opportune du point de vue de sa politique en faveur de la construction de logements. Ce choix ne saurait obéir à des critères définis à l'avance et de manière précise : il convient de tenir compte de la situation concrète et des caractéristiques particulières du terrain concerné et de ses environs, et d'établir un pronostic sur les possibilités de bâtir, à moyen terme, des logements à l'emplacement considéré, en prenant en considération et éventuellement en anticipant les facteurs propres à influencer le développement du secteur. Au stade de l'exercice du droit de préemption, l'autorité n'a donc pas besoin de justifier son intervention par la présentation d'un projet détaillé. Elle doit toutefois rendre plausible l'existence d'un besoin précis, et tenir compte des possibilités réelles d'y satisfaire à l'emplacement envisagé, dans un avenir pas trop éloigné (ATF 142 I 76 consid. 3.4.1 ; 142 I 76 consid. 3.4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_30/2008 précité consid. 3.4 in SJ 2009 I 257 et la jurisprudence citée).

f. S’agissant du principe de l’adéquation, l’ancien Tribunal administratif, devenu la chambre administrative, a eu l’occasion de préciser que les obstacles que peuvent constituer les parcelles voisines et l’incertitude relative à la difficulté de les surmonter n'étaient pas en soi un argument valable, d’une part parce que rien ne permettait de prévoir une attitude définitivement négative de la part des propriétaires concernés, et d’autre part parce que s’il fallait suivre le raisonnement contraire, l’État ne pourrait plus acquérir que des parcelles dont la superficie suffirait entièrement à édifier un bâtiment de logements, notamment du point de vue des limites de distance et de l’indice d’utilisation du sol encore disponible au regard des constructions voisines. L’acquisition du terrain nécessaire, parcelle par parcelle, ne serait en revanche plus possible, chacune d’elle pouvant constituer l’obstacle à l’acquisition publique d’une autre. Une telle solution serait de nature à mettre un terme à la politique des autorités en matière de construction de logements, dans un canton dont le territoire exigu, impliquant de multiples contraintes d’aménagement du territoire, ne donne à l’État qu’une marge de manœuvre restreinte. Au demeurant, si les négociations futures ne devaient pas permettre de trouver les moyens de surmonter ces obstacles, l’État pourrait encore faire usage de son droit d’expropriation (ATA/445/2012 du 30 juillet 2012 consid. 8d ; ATA/161/2008 du 8 avril 2008 consid. 10b ; ATA/557/2001 du 4 septembre 2001 consid 3c).

Dans plusieurs autres arrêts, l’ancien Tribunal administratif a également considéré que dans la situation de pénurie aiguë de logements dont souffrait le canton de Genève, on ne saurait faire reproche à l’autorité de mettre en œuvre une politique de construction d’habitats susceptible d’enrayer les difficultés actuelles à travers une offre de logements sociaux à même de répondre aux besoins prépondérants de la population. La mise en œuvre de cette politique pouvait notamment passer par une planification coordonnée de l’ensemble des constructions qu’elle envisage d’ériger sur les diverses parcelles dont elle est déjà propriétaire dans le secteur concerné, ce qui impliquait qu’elle obtienne la maîtrise globale de ce dernier, sans l’abandonner, fût-ce de manière sectorielle, à l’emprise de promoteurs privés (ATA/161/2008 du 8 avril 2008 consid. 10c ; ATA/591/2007 du 20 novembre 2007 consid. 9 ; ATA/800/2005 du 22 novembre 2005 consid. 8c).

g. Dans l'arrêt 1C_86/2015 précité publié en partie aux ATF 142 I 76, le Tribunal fédéral a confirmé l'ATA/970/2014 et dit que la chambre de céans pouvait retenir que la parcelle en cause contenait encore un potentiel constructible, compte tenu de la crise du logement sévissant dans le canton de Genève et du faible taux de potentiel à construire sur la commune concernée. Il n'était ainsi pas déraisonnable de considérer que le potentiel constructible était encore suffisamment important pour justifier l'exercice du droit de préemption sur l'objet litigieux. La cour cantonale était en outre en droit de retenir que, puisque l'autorité n'avait pas besoin de justifier son intervention par la présentation d'un projet détaillé, la commune avait rendu plausible la surélévation de l'immeuble, dans un avenir pas trop éloigné (consid. 3.4.3).

Dans un autre arrêt de la chambre de céans (ATA/585/2011 du 13 septembre 2011 consid. 5), il a été considéré que quand bien même le processus d'une modification de zone de développement 4B en zone de développement 3 venait de commencer, le Conseil d'État avait démontré, notamment en indiquant les autres cas dans lesquels il avait fait usage de son droit de préemption, vouloir poursuivre fermement l'urbanisation du secteur. Certes, cette dernière prendrait plusieurs années puisqu'elle impliquait tant une modification de zone que l'élaboration d'un PLQ. Cette durée ne pourrait toutefois qu'être abrégée par la maîtrise foncière, par l'État, d'une partie des parcelles concernées. De plus, le fait d'exercer le droit de préemption à ce stade permettait d'éviter une trop forte pression spéculative et dans ce sens, répondait aussi à un intérêt public (consid. 5).

4) En l'espèce, il n'est pas contesté par la recourante que la restriction du droit de préemption communal aux garanties constitutionnelles de la propriété et de la liberté économique repose sur une base légale claire et précise (art. 1 et ss LGL).

La parcelle litigieuse se trouve en 3ème zone de développement. Elle est donc propre à permettre la construction de logements, en particulier de logements sociaux.

L'existence d'un intérêt public à la réalisation de logements sociaux dans le canton de Genève est notoire. Il est de plus confirmé par les statistiques les plus récentes, selon lesquels le taux de vacance des logements est de 0,51 % en 2021, (cf. Taux de vacance des logements dans le canton de Genève, depuis 1985, situation au 1er juin, en % ; disponible sous https://www.ge.ch/statistique/graphiques/affichage.asp?filtreGraph=09_02&dom=1), soit inférieur au seuil de fluidité du marché (1,5 ou 2 %) (ATA/585/2011 précité consid. 5).

En outre, il ressort des explications de la ville et des documents produits que cette parcelle se trouve dans le secteur qui devra être densifié selon le PDCom 4______ et le PDCn 3______. Un travail de réflexion a, par ailleurs, d'ores et déjà été entamé par la ville sur le secteur qui comprend la parcelle en cause.

En effet, en 2016, la ville a lancé un mandat d'études parallèles (ci-après : MEP) concernant le secteur du E______ entre les rues G______, de H______ et l'avenue I______ dont l'objectif consiste à établir un concept d'aménagement urbain en vue de faire évoluer ce secteur d'habitations vers un quartier urbain dense. Ce MEP permettra de définir les bases et principes généraux urbains afin de pouvoir ensuite élaborer un avant-projet de PLQ. On ne saurait dès lors retenir que l'exercice du droit de préemption par la ville résulte d'un manque de vision globale et qu'elle n'aurait pas établi un pronostic sur les possibilités à bâtir, à moyen terme.

D'ailleurs, il ressort tant des explications de la ville que du site du système d’information du territoire à Genève (SITG) que sur des parcelles voisines (nos 5______ et 6______), à la suite d'un PLQ 7______ adopté par le Conseil d'État le 25 juillet 2018, une autorisation de construire DD 8______ est en cours d'instruction. Celle-ci prévoit la construction de deux immeubles de logements (R + 5 et R + 7) avec commerces et garage souterrain – abattage d'arbres. Ainsi, le développement urbanistique de la zone envisagée a d'ores et déjà débuté.

Comme le relève le Tribunal fédéral, l'autorité n'a pas besoin de justifier son intervention par la présentation d'un projet détaillé. Elle doit toutefois rendre plausible l'existence d'un besoin précis et tenir compte des possibilités réelles d'y satisfaire à l'emplacement envisagé, ce qu'a fait en l'espèce l'autorité intimée. Ainsi, l'absence d'un PLQ ne constitue pas en soi un obstacle à l'exercice du droit de préemption.

Si une certaine résistance de la part des habitants du C______ ressort du dossier, une opposition à tout projet d'aménagement et l'attachement des propriétaires à leurs biens ne constituent que de simples hypothèses. En outre et comme retenu par la chambre de céans, les obstacles que peuvent constituer les parcelles voisines et l’incertitude relative à la difficulté de les surmonter ne sont pas en soi un argument valable. Cela vaut également s'agissant de l'existence de servitudes croisées grevant le bien en question, étant rappelé, au surplus, que l'art. 6A LGZD prévoit la possibilité pour le Grand Conseil de lever ces servitudes à bâtir, suivant certaines conditions dont il appert qu'elles ne sont pas irréalisables et que des dérogations sont encore possibles (art. 4A al. 3 LGZD). La commune a également la possibilité de faire usage de son droit d’expropriation (ATA/445/2012 précité consid. 8d).

Il est admis par la ville que des travaux seront effectués sur la villa en vue de sa relocation jusqu'au 30 avril 2023 au plus tard au vu de la condition suspensive figurant dans l'acte de vente. La recourante ne saurait toutefois être suivie lorsqu'elle soutient que de tels travaux démontreraient l'impossibilité de réaliser les LUP dans un délai inférieur à vingt ans. Outre le fait que ces travaux permettront à l'autorité intimée de dégager un revenu de la location jusqu'au moins le 30 avril 2023, les éléments précités prouvent que la ville entend développer, dans un avenir pas trop éloigné, le secteur concerné, de sorte que ces travaux ne constituent pas un obstacle aux possibilités réelles de construire des LUP.

En tout état, il sied de rappeler que l’art. 9 al. 3 LGL prévoit que les terrains acquis en vertu du droit de préemption peuvent être échangés contre d'autres terrains en zone de développement pour faciliter la construction de LUP.

Enfin, force est de constater que le conseil municipal a voté à la majorité des membres présents, par 40 oui contre 33 non, l'exerce du droit de préemption dans le cadre de la vente de la parcelle n° 1______ pour un montant de CHF 1'900'000.- aux fins de constructions de LUP. Les positions exprimées par les partis minoritaires au cours des débats des 8 et 9 juin 2021 ne sont dès lors pas pertinentes.

Dans ces circonstances, l'intérêt public à la construction de LUP dans les zones de développement du canton est indéniable et doit l'emporter sur l'intérêt de la recourante à acquérir la parcelle. Ses réalisations de LUP par le passé ainsi que son respect de la LGZD ne sont pas de nature à remettre en cause ce qui précède. Il en est de même de son argument selon lequel elle serait elle-même prête à réaliser des LUP (Thierry TANQUEREL, Le droit de préemption légal des collectivités publiques, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 159). Ainsi, conformément à la jurisprudence constante en la matière, le fait que l'intimée manifeste clairement sa volonté de construire des logements, même si elle n'est pas en mesure de fournir un projet de construction détaillé, ni de déterminer une échéance précise pour réaliser son projet, suffit pour admettre que les conditions d'exercice de son droit de préemption sont réalisées.

Par conséquent, l'exercice du droit de préemption sur la parcelle n° 1______ de la commune de C______ par la ville se justifie par un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité, de sorte que, de ce point de vue encore, la décision attaquée est conforme au droit.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

5) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la commune, qui compte plus de dix mille habitants, laquelle n'y a d'ailleurs pas conclu (ATA/964/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5 ; art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 août 2021 par A______ contre la décision de la Ville de Genève du 14 juin 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à CGI Conseils, mandataire de la recourante, à la Ville de Genève - département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité, ainsi qu'à l'office fédéral du développement territorial.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Pedrazzini Rizzi, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :