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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2119/2005

ATA/800/2005 du 22.11.2005 ( VG ) , REJETE

Descripteurs : PROCEDURE; INDICATION DES VOIES DE DROIT; INTERET DIGNE DE PROTECTION; MOTIVATION; DROIT DE PREEMPTION; LOGEMENT SOCIAL; LIBERTE ECONOMIQUE; GARANTIE DE LA PROPRIETE; INTERET PUBLIC; PESEE DES INTERETS
Normes : LGL.2; LGL.3; LGL.4; LGL.5; LAC.30 al.1 litt.k; LAC.86 al.1; LPA.46; LPA.56; LPA.65
Résumé : Recevabilité du recours formé contre la décision de la Ville d'exercer son droit de préemption. L'intérêt public de la collectivité à acquérir une parcelle située en zone de développement propre à permettre la construction de logements sociaux présente un caractère prépondérant par rapport aux intérêts privés du recourant.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2119/2005-VG ATA/800/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 22 novembre 2005

dans la cause

Monsieur M. H__________

contre

VILLE DE GENÈVE


 


1. Par acte notarié du 9 novembre 2004, la société en nom collectif H__________ et Z___________ en liquidation, composée de Messieurs Y. H__________ et Z___________, a vendu à Monsieur M. H__________, architecte, la parcelle n°___________, feuille 55 de la commune de Genève, section Petit-Saconnex, sise ___________.

Cette parcelle est située en zone de développement 3 et est englobée dans un périmètre défini par la route de Meyrin, l’avenue du _________, l’avenue _________ et la rue _________. D’une surface de 1313 m2, elle comprend une habitation comportant un seul logement d’une surface de 94 m2. Le prix de la vente a été fixé à CHF 820’000.-.

2. Conformément aux clauses de l’acte de vente, le notaire a invité, le 9 novembre 2004, le Conseil d’Etat et le Conseil administratif de la Ville de Genève à lui indiquer s’ils entendaient faire usage de leur droit légal de préemption et se porter acquéreurs de la parcelle n° ___________.

3. Par lettres signatures des 2 et 6 décembre 2004, la Ville de Genève a informé M. M. H__________, respectivement la société en nom collectif H__________ et Z___________ en liquidation, qu’elle entendait exercer son droit de préemption. Conformément à la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05), il leur était offert la possibilité de faire valoir leurs moyens.

4. Au cours d’un rendez-vous qui a eu lieu le 7 décembre 2004 avec les responsables du service des opérations foncières et du service d’urbanisme de la Ville de Genève, M. M. H__________ a contesté l’exercice du droit de préemption de la Ville de Genève.

M. H__________ a confirmé sa position par courrier du 14 décembre 2004 et indiqué qu’il entendait construire lui-même l’immeuble de logements sociaux que la Ville envisageait de réaliser sur la parcelle n° ___________. Il comptait demander une autorisation de construire un immeuble d’environ quinze logements, en grande partie sociaux. Il avait déjà pris contact avec le service cantonal de l’aménagement afin de se renseigner sur l’établissement d’un plan localisé de quartier. Dans l’intervalle, un bail à durée restreinte, renouvelable annuellement et limité à cinq ans serait conclu, après quelques travaux d’entretien et de rafraîchissement permettant à une famille de disposer d’un logement provisoire bon marché.

5. Le service des opérations foncières de la Ville de Genève a rencontré M. Y. H__________, accompagné de son mandataire, le 20 décembre 2004. M. Y. H__________ a confirmé les déclarations faites par M. M. H__________, selon lesquelles celui-ci souhaitait assurer lui-même la construction d’un immeuble de logements sociaux. Cette position a été confirmée par un courrier que le mandataire de M. Y. H__________ a adressé le 21 décembre 2004 à la Ville de Genève.

6. Le directeur du département de l’aménagement, des constructions et de la voirie de la Ville de Genève a répondu à M. Y. H__________ le 22 décembre 2004, en rappelant que la parcelle objet du droit de préemption était située dans le périmètre de la zone de développement 3 créé le 29 juin 1957 par le Grand Conseil. Conformément au plan directeur cantonal adopté le 21 septembre 2001 par le Grand Conseil et approuvé le 14 mars 2003 par la Confédération, la Ville de Genève était tenue de favoriser sur son territoire la construction de cent cinquante logements par année, tout en privilégiant en zone de développement la réalisation d’appartements répondant à un besoin prépondérant d’intérêt général. Un délai au 10 janvier était imparti à la société en nom collectif H__________ et Z___________ en liquidation pour faire valoir ses moyens par écrit, afin que sa position puisse être transmise au Conseil municipal de la Ville de Genève.

7. Par courrier du 10 janvier 2005, la société en nom collectif H__________ et Z___________ en liquidation a réitéré son opposition à l’exercice du droit de préemption par la Ville de Genève.

M. M. H__________, dont la famille avait construit plus de dix mille logements HLM à Genève, avait un projet concret conforme à la zone de développement dans laquelle se trouvait la parcelle en cause. L’exercice du droit de préemption était dépourvu d’intérêt public et financièrement peu souhaitable.

8. Parallèlement aux contacts pris avec les parties à l’acte de vente du 9 novembre 2004, le Conseil administratif de la Ville de Genève a soumis au Conseil municipal, le 15 décembre 2004, une proposition en vue d’exercer son droit de préemption.

La proposition exposait que la parcelle n° ___________ est située dans le quartier de la Forêt, soit l’un des deux périmètres prioritaires dans lesquels la Ville de Genève mène une politique d’acquisition foncière active. Depuis 2003, la Ville était déjà devenue propriétaire de trois autres parcelles (nos 3210, 2876 et 1591) situées non loin de la parcelle n° ___________, une autre parcelle proche devant lui être cédée gratuitement dans le cadre du plan localisé de quartier n° 28’437. L’acquisition progressive de parcelles dans le quartier de la Forêt visait à orienter plus efficacement l’aménagement de ce secteur, lequel serait bientôt desservi par une infrastructure de transports publics (ligne de tram Cornavin-Meyrin-CERN), tout en favorisant la création de logements répondant aux besoins prépondérants de la population.

9. Le 7 janvier 2005, le conseiller d’Etat en charge du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement a informé le Conseil administratif de la Ville de Genève que l’Etat renonçait à faire usage de son droit de préemption sur la parcelle n° ___________. Le courrier indiquait que la notification par la Ville de Genève aux parties à l’acte de vente du 9 novembre 2004 de ses intentions quant à l’exercice du droit de préemption sur le plan municipal devait intervenir dans un délai de trente jours.

10. Lors de sa séance du 19 janvier 2005, le Conseil municipal de la Ville de Genève a adopté un arrêté autorisant le Conseil administratif, compte tenu du but d’utilité publique poursuivi par l’acquisition, à faire usage de son droit de préemption sur la parcelle n° ___________.

11. Le 2 février 2005, le service des opérations foncières de la Ville de Genève a informé le notaire, qui avait instrumenté l’acte de vente du 9 novembre 2004, de la décision du Conseil municipal autorisant la Ville de Genève à faire usage de son droit de préemption. Le délai permettant de soumettre cette délibération au référendum expirait le 8 mars 2005, après quoi elle devrait encore être entérinée par le Conseil d’Etat.

12. Le Conseil d’Etat a, par arrêté du 23 mars 2005, entériné la délibération du Conseil municipal de la Ville de Genève du 19 janvier 2005.

13. Le 31 mars 2005, la Ville de Genève a remis au notaire, qui avait instrumenté l’acte de vente du 9 novembre 2004, un tirage de l’arrêté du Conseil d’Etat du 23 mars 2005. La Ville de Genève précisait que c’était à tort que M. M. H__________ avait prétendu, par lettre du 22 février 2005, ne pas avoir été tenu au courant de l’exercice du droit de préemption sur la parcelle n°___________. Par courriers des 2 décembre 2004 et 2 février 2005, M. H__________, respectivement le notaire en tant que représentant des parties à l’acte de vente, avaient en effet été informés des décisions en ce sens.

14. Le 13 avril 2005, M. M. H__________ a contesté la validité de l’exercice du droit de préemption par la Ville de Genève sur la parcelle n° ___________ et demandé qu’une décision indiquant l’autorité auprès de laquelle recourir lui soit notifiée.

15. La Ville de Genève a répondu le 17 mai 2005 en rappelant que la délibération par laquelle le Conseil municipal de la Ville de Genève avait autorisé l’exercice du droit de préemption avait été valablement notifiée et était entre-temps devenue définitive. Si M. H__________ entendait contester cette délibération, il lui appartenait de lancer un référendum ou d’intervenir auprès du Conseil d’Etat, autorité compétente pour approuver les délibérations des conseils municipaux.

16. Le 30 mai 2005, M. M. H__________ a contesté derechef la position de la Ville de Genève. L’expropriation qui le frappait portait sur des droits de caractère civil au sens de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). La décision en question devait par conséquent pouvoir être contrôlée par une autorité judiciaire. L’entité expropriante devait respecter les droits fondamentaux de M. H__________ en lui notifiant correctement sa décision.

17. Le 16 juin 2005, la Ville de Genève a confirmé les termes de son courrier du 30 mai précédent. La référence au droit de l’expropriation faite par M.H___________ n’était pas pertinente, dès lors que la Ville avait exercé un droit de préemption, et non un droit d’expropriation.

18. M. M. H__________ a saisi le Tribunal administratif le 16 juin 2005 en concluant à ce qu’il soit constaté que la Ville de Genève n’avait pas exercé valablement son droit de préemption et qu’elle n’avait pas à se substituer à un architecte pour faire le travail à place, sauf à violer la liberté économique.

19. La Ville de Genève a répondu au recours le 12 août 2005 et conclu principalement à son irrecevabilité, subsidiairement à son rejet.

Le recours était irrecevable en raison du caractère définitif que revêtait la délibération prise par le Conseil municipal de la Ville de Genève le 19 janvier 2005. Si M. H__________ entendait contester l’exercice du droit de préemption par la Ville, il lui appartenait, en temps utile, soit de lancer un référendum contre l’arrêté du Conseil municipal, soit d’intervenir auprès du Conseil d’Etat, instance compétente pour approuver les délibérations du Conseil municipal. Par ailleurs, la référence faite par le recourant au contrôle judiciaire prévu par le droit de l’expropriation était irrelevante, dès lors que le cas d’espèce concernait l’exercice d’un droit de préemption.

Dans l’hypothèse où l’exercice du droit de préemption par la Ville de Genève serait sujet à recours, le recours exercé par M. H__________ était tardif parce qu’exercé le 16 juin 2005 seulement contre une délibération du Conseil municipal du 19 janvier 2005. Le notaire chargé d’instrumenter l’acte de vente ayant été informé le 2 février 2005 déjà de cette délibération, c’était au plus tard dès cette date que le délai de trente jours permettant de recourir devait être calculé. En recourant le 16 juin 2005, M. H__________ avait outrepassé ce délai.

Le recours était en outre insuffisamment motivé, car l’on y cherchait en vain les motifs sur lesquels le recourant se basait pour invoquer l’absence de validité de l’exercice du droit de préemption par la Ville de Genève. Un simple renvoi à la liberté économique était insuffisant, tout comme l’argument selon lequel la Ville de Genève ne saurait se substituer à un architecte.

En tout état, le recours devait être rejeté au fond, la Ville de Genève ayant fait un exercice de son droit de préemption conforme aux exigences légales. La liberté économique du recourant n’était pas violée, l’ensemble des conditions permettant de limiter l’exercice de cette garantie constitutionnelle étant réalisé.

20. Une audience de comparution personnelle a eu lieu le 7 octobre 2005. M. M. H_________ a déclaré avoir été informé le 2 décembre 2004 que la Ville de Genève entendait faire usage de son droit de préemption sur la parcelle n°___________. D’emblée, il avait pris contact avec la Ville pour indiquer qu’il était disposé à collaborer en vue de la construction de logements sociaux sur cette parcelle. Le droit de préemption n’avait pas été exercé valablement, dans la mesure où il n’avait pas été répondu aux arguments qu’il avait fait valoir. C’est pourquoi il concluait à l’annulation du droit ainsi exercé.

La Ville de Genève a indiqué avoir été informée de l’aliénation de la parcelle n°___________, le 9 novembre 2004, par le notaire chargé d’instrumenter l’acte de vente. Les parties à l’acte de vente avaient été informées les 2 et 6 décembre 2004 de l’intention de la Ville de faire usage de son droit de préemption. La Ville n’avait pas informé les parties à la vente personnellement, car le notaire agissait en qualité de représentant, comme indiqué dans son courrier du 9 novembre 2004.

21. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

1. La Ville de Genève conclut à l’irrecevabilité du recours, en raison du caractère définitif de l’acte attaqué d’une part, de la tardiveté du recours d’autre part, ainsi que de l’absence de motivation de celui-ci. Ces arguments conditionnant l’entrée en matière sur les griefs avancés par M. M. H__________, il convient de les examiner en premier lieu, étant rappelé que la recevabilité d’un recours est une question que le Tribunal administratif examine d’office, sans être lié par les moyens et les conclusions des parties (ATA/353/2005 du 24 mai 2005, consid. 1).

2. a. Selon la Ville de Genève, aucune voie de recours ne permet d’examiner la validité du droit de préemption sur la parcelle n° ___________, dès lors que le Conseil municipal a approuvé l’exercice de ce droit le 19 janvier 2005, conformément à l’article 30 alinéa 1 lettre k de la loi sur l’administration des communes du 13 avril 1984 (LAC – B 6 05). Faute d’avoir été entreprise par la voie du référendum, ainsi que le prévoit l’article 29 alinéa 2 LAC, la délibération du Conseil municipal est entrée en force, avant d’être de surcroît entérinée par le Conseil d’Etat. Elle ne serait, partant, plus sujette à recours.

b. Le référendum susceptible d’être dirigé contre la délibération d’un conseil municipal au sens de l’article 30 alinéa 1 lettre k LAC représente un instrument visant à assurer la participation de la population à la politique d’acquisition immobilière des communes et, plus largement, à l’aménagement du territoire (T. TANQUEREL, La participation de la population à l’aménagement du territoire, Lausanne 1988, p. 56, 85 et 326). Le contrôle auquel conduit cette procédure de nature démocratique est essentiellement politique. En cela, la voie référendaire se distingue fondamentalement du contrôle de nature juridictionnelle, qui consiste à veiller à la correcte application de la loi. Lorsqu’ils sont susceptibles d’entrer en considération, ces deux types de contrôle s’inscrivent en conséquence dans une perspective de complémentarité, et non d’exclusion. En prévoyant que, lorsqu’une délibération d’un conseil municipal fait l’objet d’un recours au Tribunal administratif, ce recours est communiqué au Conseil d’Etat, qui a alors accès au dossier de la cause, l’article 86 alinéa 1 LAC démontre que les délibérations des conseils municipaux n’échappent nullement au contrôle juridictionnel, qu’elles aient ou non préalablement été soumises au contrôle populaire. De manière évocatrice, la Ville de Genève ne cite au reste aucune disposition légale, qui ferait prétendument obligation au propriétaire dont le bien-fonds est visé par l’exercice du droit de préemption d’une commune de faire usage de ses droits démocratiques avant de saisir, le cas échéant, le Tribunal administratif. L’argument de la Ville de Genève ne saurait en conséquence être retenu.

3. a. S’agissant de l’acte attaqué, on peut se demander si le recours porte sur le courrier par lequel la Ville de Genève a, le 2 décembre 2004, informé M.M. H__________ de son souhait d’acquérir la parcelle n° ___________, sur la délibération du Conseil municipal du 19 janvier 2005 autorisant l’exercice de ce droit ou encore sur le courrier par lequel le recourant a été informé, le 2 février 2005, de la volonté de la Ville de Genève d’exercer son droit de préemption. La réponse à cette question découle de la systématique des articles 4 alinéa 2 et 5 alinéa 2 de la LGL. A teneur de cette dernière disposition, la commune doit, dans un délai de trente jours suivant la renonciation de l’Etat à se porter acquéreur d’une parcelle, notifier aux parties à l’acte de vente sa décision d’exercer son droit de préemption.

b. En l’espèce, le Conseil d’Etat a informé le Conseil administratif le 7 janvier 2005 qu’il renonçait à faire usage de son droit de préemption. Le 2 février 2005, la Ville de Genève a informé le notaire qui avait instrumenté l’acte de vente de la parcelle n° ___________ de sa volonté d’exercer son droit de préemption. C’est par conséquent cette décision qui constitue l’objet du recours, le courrier adressé par la Ville de Genève le 2 décembre 2004 à M. M. H__________ visant, conformément à la garantie du droit d’être entendu prévue à l’article 4 alinéa 2 LGL, à permettre à ce dernier de faire valoir ses moyens, avant que la commune exerce son droit de préemption.

c. Contrairement à ce que soutient l’autorité intimée, le recours ne porte nullement sur la validité de la délibération par laquelle le Conseil municipal a autorisé, le 19 janvier 2005, le Conseil administratif à faire usage du droit de préemption prévu à l’article 3 alinéa 1 LGL, mais bien sur la décision par laquelle elle a, le 2 février 2005, informé M. M. H__________ de l’exercice du droit de préemption. Il ne s’impose pas, partant, de transmettre le recours au Conseil d’Etat en application de l’article 86 alinéa 1 LAC.

4. a. Selon la Ville de Genève, la voie du recours au Tribunal administratif ne serait pas ouverte, le recours interjeté par M. M. H__________ se fondant sur des dispositions légales concernant l’expropriation pour cause d’utilité publique, et non l’exercice du droit de préemption. Il est certes exact qu’aucune disposition de la LGL ne mentionne l’existence d’une voie de recours contre la décision d’une commune de faire usage de son droit de préemption. Cette constatation ne saurait cependant conduire à la conclusion qu’aucun contrôle juridictionnel ne peut être pratiqué contre les décisions de ce genre.

b. Depuis le 1er janvier 2000, date de l’entrée en vigueur de la réforme de la juridiction administrative à Genève, le contrôle juridictionnel des décisions administratives au sens de l’article 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10) est réglé par l’article 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ – E 2 05). Cette disposition institue une clause générale de compétence en faveur du Tribunal administratif en tant qu’autorité supérieure ordinaire de recours (T. TANQUEREL, Les principes généraux de la réforme de la juridiction administrative genevoise, RDAF 2000 I 479 ; ATF 127 I 117 ; ATA/651/2005 du 4 octobre 2005, consid. 2). Il en va ainsi en ce qui concerne, en particulier, les décisions qui, sur le plan cantonal ou municipal, mettent en œuvre le droit de préemption au sens des articles 3 à 5 LGL.

Durant la période antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 56A LOJ, le droit de recourir auprès du Tribunal administratif contre la décision de l’Etat ou d’une commune d’exercer son droit de préemption était certes énoncé de manière explicite par l’article 5 alinéa 6 LGL (C. REISER, Autonomie et démocratie dans les communes genevoises, Bâle 1998, 112). L’acte de vente signé le 9 novembre 2004 entre la société en nom collectif H__________ et Z___________ en liquidation et le recourant mentionne d’ailleurs cette disposition (p. 11), alors même que celle-ci n’était déjà plus applicable, à l’époque des faits, depuis près de cinq ans. La réforme de la juridiction administrative en vigueur depuis le 1er janvier 2000 a en effet conduit à l’abrogation de cette norme, la compétence du Tribunal administratif résultant désormais de la clause générale de compétence figurant à l’article 56A LOJ (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève, 1999/V, pp. 4568 et 4598). Dans le cadre de cette réforme, un rappel explicite de la voie du recours au Tribunal administratif a toutefois été maintenu dans certaines lois, en particulier lorsque cela s’est avéré nécessaire pour faciliter leur compréhension. C’est ainsi que l’article 30B alinéa 8 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) mentionne expressément la voie du recours au Tribunal administratif contre la décision de l’Etat ou d’une commune de faire usage de son droit de préemption (MGC 1999/V 4604 ; 1997/IX 9460). Comme le relève le recourant, l’exercice du droit de préemption par une collectivité publique porte par ailleurs sur un droit de nature civile au sens de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH. S’agissant d’une garantie de nature civile au sens conventionnel, son titulaire a par conséquent droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, indépendamment de ce que prévoit la législation de rang cantonal (ATF 114 Ia 14 consid. 2c p. 19) et les références citées).

c. Il résulte de ce qui précède que la voie du recours au Tribunal administratif est ouverte contre la décision de la Ville de Genève d’exercer son droit de préemption sur la parcelle n° ___________. Il importe dès lors de déterminer si le recours a été interjeté en temps utile et motivé d’une manière conforme aux exigences légales.

5. a. A teneur de l’article 63 lettre a LPA, le recours doit être interjeté dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision attaquée. La Ville de Genève conclut à l’irrecevabilité du recours, en raison du caractère prétendument tardif de ce dernier. L’examen de ce moyen conduit à s’interroger sur le respect, en l’espèce, des exigences mentionnées à l’article 46 LPA.

b. Sous le titre «contenu et notification des décisions», l’article 46 LPA prévoit que les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies ordinaires et délais de recours (al. 1); elle doivent être notifiées aux parties, le cas échéant à leur domicile élu auprès de leur mandataire, par écrit (al. 2). Selon l’article 47 LPA, une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties.

c. En l’occurrence, la Ville de Genève a informé à M. M. H__________ de sa volonté d’exercer son droit de préemption sur la parcelle n°___________ le 2 février 2005. Cette décision ne satisfait toutefois pas aux exigences de l’article 46 LPA, faute d’indiquer ni la voie ni le délai de recours permettant à son destinataire de la contester. Il s’ensuit que, conformément à l’article 47 LPA, le délai permettant de former un recours contre l’exercice du droit de préemption n’a pu valablement commencer à courir.

d. En déposant son recours le 16 juin 2005, M. M. H__________ n’a, au vu de ce qui précède, pas agi tardivement. Ce dernier a, en effet, vainement sollicité à deux reprises, le 13 avril, puis le 30 mai 2005, la notification d’une décision en bonne et due forme. Ce n’est que par courrier du 16 juin 2005 que la Ville de Genève a finalement rejeté la demande formée par M. H__________ le 30 mai 2005. On ne saurait dès lors reprocher au recourant d’avoir agi tardivement. Il convient en revanche de s’interroger sur les conséquences découlant de l’inobservation par la Ville de Genève des mentions requises par l’article 46 LPA.

e. Conformément à la doctrine et la jurisprudence, ce n’est que dans l’hypothèse d’une réparation impossible que la sécurité du droit ou le respect de valeurs fondamentales impliquent l’annulabilité d’une décision viciée à la forme. Il est à cet égard admis que le recours exercé tardivement doit être déclaré recevable si la décision attaquée n’était pas munie de l’indication de la voie ou du délai de recours (P. MOOR, Droit administratif, vol. II, Les actes administratifs et leur contrôle, 2e éd., Berne 2002, p. 304 et les références citées). Selon un principe général du droit - exprimé notamment aux articles 47 LPA, 107 alinéa 3 de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (RS 173.110) et 38 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (RS 172.021) –, lorsqu’il existe une obligation de mentionner les voies de recours, l’omission de cette exigence ne saurait porter préjudice au justiciable (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.33/2004 et 2P.174/2004 du 7 décembre 2004 précité, consid. 3.3). Ce principe général découle des règles de la bonne foi qui, conformément à l’article 5 alinéa 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), imposent également des devoirs à l’autorité dans la conduite d’une procédure (B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 271 ; J.-F. EGLI, La protection de la bonne foi dans le procès, in : Juridiction constitutionnelle et juridiction administrative, Zurich 1992, p. 228 ; ATF 123 II 231 ; 119 IV 330 consid. 1c ; 117 Ia 297 consid. 2). L’inobservation des mentions dont l’article 46 LPA exige le respect ne saurait par conséquent conduire à l’annulation de la décision attaquée, dès lors que le vice qui affecte celle-ci peut être réparé, à travers le contrôle qu’exerce le Tribunal administratif, sans occasionner de préjudice pour les parties.

6. a. La Ville de Genève fait reproche au recourant de n’avoir pas respecté les exigences de motivation prévues à l’article 65 LPA. Cet argument ne saurait lui non plus être retenu. Le recours contient une motivation certes sommaire, mais qui cite nommément la violation de la liberté économique et qui, lue en relation avec les pièces du dossier, conteste l’exercice du droit de préemption sur la parcelle n° ___________. L’autorité intimée ne saurait faire reproche au recourant de faillir dans le respect des exigences de forme du recours, alors qu’elle n’a elle-même respecté aucune des exigences prévues à l’article 46 LPA. Il convient par conséquent d’admettre que le recours répond aux exigences de l’article 65 LPA.

b. L’acheteur évincé lors de l’exercice du droit de préemption par la collectivité publique se voit restreint dans son libre accès à la propriété garanti par l’article 26 Cst. (ATF 113 Ia 126 consid. 3b p. 129). Il possède dès lors un intérêt personnel digne de protection à ce que la décision de préemption soit annulée ou modifiée (art. 60 let. b LPA) et doit se voir reconnaître la qualité pour recourir contre elle (ATA/270/2003 du 6 mai 2003, consid. 1b). Il en va de même en ce qui concerne l’acquéreur qui, comme c’est le cas en l’espèce, entend se prévaloir de la liberté économique prévue par l’article 27 Cst. Entendue largement, cette garantie constitutionnelle comprend en effet le libre exercice d’une activité économique, dont la liberté contractuelle, exercée aux fins de conclure les engagements juridiques permettant d’accéder à la propriété, fait partie intégrante (D. HOFMANN, La liberté économique suisse face au droit européen, Berne 2005, p. 69 ; ATF 131 I 230 ; 130 II 425 ; 130 I 41 ; 124 I 115).

c. Interjeté en temps utile et selon les formes prévues par la loi devant la juridiction compétente, le recours doit être déclaré recevable. Il convient par conséquent d’entrer en matière sur les moyens soulevés par le recourant.

7. a. Le recourant allègue une violation de sa liberté économique, au motif que la Ville de Genève ne saurait se substituer à un architecte « pour faire le travail à sa place », dès lors qu’il est lui-même disposé à construire des logements sociaux sur la parcelle en cause. L’argument doit être analysé au regard de la garantie de la propriété et de la liberté économique.

b. Outre la défense des droits individuels et celle de la valeur des biens mobiliers ou immobiliers, la garantie de la propriété énoncée par l’article 26 Cst. comprend la faculté d’accéder librement à l’état de propriétaire, dans une perspective aussi bien privée que commerciale. Couplée à la liberté économique protégée par l’article 27 Cst., elle s’étend aux mesures qui visent à la conclusion d’un acte de vente aux fins de transférer la propriété d’un bien-fonds, comme indiqué ci-dessus. L’exercice d’un droit de préemption par une collectivité publique constitue par conséquent une restriction dans l’exercice de ces deux garanties constitutionnelles. Pour être admissible, une telle restriction doit répondre aux exigences de l’article 36 Cst., à savoir reposer sur une base légale, répondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (J.-F. AUBERT/P. MAHON, Petit Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, Zurich 2003, p. 225 et 241).

8. a. Les articles 2 et 3 alinéa 1 LGL disposent que, dans le cadre de leur politique générale d’acquisition de terrains, les communes jouissent d’un droit de préemption sur les biens-fonds situés en zone de développement, dans le but d’y construire des logements d’utilité publique. Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif, cette base légale et l’intérêt public ainsi poursuivi, à savoir contribuer à la politique sociale du logement, permettent de restreindre valablement la garantie constitutionnelle de la liberté économique et de la garantie de la propriété, dans le respect du principe de la proportionnalité (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.552/1998 du 9 février 1999 ; ATA/270/2003 du 6 mai 2003 ; ATA/557/2001 du 4 septembre 2001).

b. L’exercice du droit de préemption par une collectivité publique en application de la LGL n’implique pas nécessairement la présentation d’un projet de construction détaillé. Le Tribunal fédéral a reconnu la possibilité d’acquérir des terrains pour des besoins futurs, à la condition qu’il s’agisse d’un but précis et de besoins qui devront être satisfaits tôt ou tard, dans un avenir qui n’est pas trop éloigné (Arrêt du Tribunal fédéral C.R. c. Conseil d’Etat du canton de Genève du 23 janvier 1985, consid. 5c). Lorsqu’elle acquiert un bien-fonds par voie de préemption, l’autorité doit cependant tenir compte de la situation et des caractéristiques de la parcelle et de ses environs. Elle doit faire un pronostic sur les possibilités de bâtir, à moyen terme, des logements sur l’emplacement considéré (ATF 114 Ia 17 consid. 2b). L’acquisition du terrain par la collectivité publique et l’édification d’immeubles destinés à abriter des logements doivent ainsi se trouver dans un rapport d’adéquation (ATA/557/2001 du 4 septembre 2001, consid. 3b).

En l’espèce, la parcelle litigieuse est située en zone de développement. Elle est donc propre à permettre la construction de logements, en particulier de logements sociaux, ce que le recourant ne conteste du reste nullement. Ladite parcelle se trouve par ailleurs dans le quartier de la Forêt, soit un périmètre prioritaire à l’intérieur duquel la Ville de Genève conduit depuis plusieurs années une politique d’acquisition foncière active et où elle est déjà propriétaire d’autres parcelles destinées à la construction de logements à même de répondre aux besoins prépondérants de la population. L’intérêt public avancé par la Ville de Genève, pour s’inscrire pleinement dans la finalité poursuivie par le législateur au travers des articles 3 et suivants LGL, présente un caractère prépondérant par rapport aux intérêts privés du recourant.

c. Le fait que M. M. H__________ affirme être en mesure d’édifier lui-même des logements à caractère social ne représente pas une pertinence suffisante pour faire obstacle à l’exercice du droit de préemption de la Ville de Genève. Dans la situation de pénurie aigüe de logements dont souffre le canton de Genève, on ne saurait faire reproche à l’autorité intimée de mettre en œuvre une politique susceptible d’enrayer les difficultés actuelles à travers une offre de logements à même de répondre aux besoins prépondérants de la population. Or, comme l’a exposé la Ville de Genève, la mise en œuvre de cette politique passe par une planification coordonnée de l’ensemble des constructions qu’elle envisage d’ériger sur les diverses parcelles dont elle est déjà propriétaire dans le secteur concerné, ce qui implique qu’elle conserve la maîtrise globale de ces dernières, sans l’abandonner, fût-ce de manière sectorielle, à l’emprise de promoteurs privés. Les arguments tirés de la violation de la liberté économique et de l’absence de validité de l’exercice du droit de préemption doivent par conséquent être écartés.

9. Le recours doit, au vu de ce qui précède, être rejeté. Un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 juin 2005 par Monsieur M. H__________ contre la décision de la Ville de Genève du 2 février 2005 relative à l’exercice du droit de préemption sur la parcelle n° ___________ de la commune de Genève, section Petit-Saconnex ; 

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1’500.- ;

communique le présent arrêt à Monsieur M. H__________ ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Paychère, président, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges, M. Hottelier, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :