Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/707/2025 du 26.06.2025 ( LDTR ) , REJETE
ATTAQUE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 26 juin 2025
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dans la cause
A______ SA, représentée par Me Nicolas JEANDIN et Me Steve ALDER, avocats, avec élection de domicile
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1. A______ SA, société inscrite au Registre du commerce le ______ 2006, et ayant pour but notamment la construction et l'exploitation de tous biens mobiliers et immobiliers en Suisse, est propriétaire des parcelles n°s 1______, 2______, 3______, 4______ et 5______ de la commune de B______, sises 6______, 7______ et 8______ rue de C______, D______ et E______. Monsieur F______ est administrateur unique de cette société.
2. Cinq immeubles sont érigés sur les parcelles précitées.
3. M. F______ a acquis, entre 1996 et 2002, les cinq immeubles à titre individuel. Selon les actes d'acquisition, ces immeubles étaient destinés à l'habitation.
4. Le 26 avril 2006, M. F______ a transféré la propriété desdits immeubles à A______ SA.
5. Selon le registre foncier, les immeubles sis 7______ et 8______ rue de C______ sont voués à un usage de résidence meublée. Les autres immeubles sis au 7 ______, rue de C______, D______ et E______ sont voués à l'habitation.
6. Monsieur G______, responsable de la société H______ SA qui centralisait et assurait la réception et le traitement des demandes liées aux appartements exploités en résidence hôtelière des immeubles propriétés de A______ SA, soit notamment 229 appartements meublés, a été entendu par la chambre de surveillance des offices des poursuites de la Cour de justice (ci-après : CS) le 15 juin 2016 dans le cadre d’une procédure en gérance légale de A______ SA.
Il a expliqué qu’il y avait sept collaborateurs à plein temps chez H______ SA - A______ SA n'ayant pas d'employé -, soit une fondée de pouvoir, une réceptionniste / assistante qui préparait les baux, coordonnait les entrées et les sorties, en collaboration avec une cheffe concierge, un comptable et trois nettoyeuses, qui assuraient les services de nettoyage et de blanchisserie pour l'ensemble des biens loués. H______ SA pratiquait la résidence hôtelière depuis environ 50 ans. La durée moyenne des baux de courte durée était de deux mois et demi, les baux K______ étant évidemment en général de bien plus courte durée. En moyenne, il y avait une centaine d'entrées et de sorties par mois. L'état des lieux pouvait se faire le week-end ou lors d'autres jours fériés. Avec K______, il avait également introduit la location d'une chambre, ce qui avait pour conséquence qu'un appartement pouvait comporter plusieurs locataires, avec tout le travail administratif que cela comportait. Il devait très régulièrement intervenir le week-end et en dehors des heures de travail régulières. D'autres services aux clients tels que l'exécution de commissions, l'achat de billets de spectacle ou le lavage de la voiture étaient offerts : ces services étaient assurés par lui-même et ses collaborateurs. Lorsque les clients l’appelaient après avoir pris possession de l'appartement, c'était soit pour des travaux, soit pour d'autres questions d'intendance, comme par exemple en cas de nuisances sonores ou d'accès à un parking.
Il ne vérifiait enfin pas la solvabilité de ses clients, les personnes physiques payant d’avance et un rapport de confiance existant avec les clients institutionnels.
7. Par décision du ______ 2016 (DCSO/11______) de la CS, la gérance légale desdits immeubles, constituant un parc locatif de 269 appartements, a été confiée à l'office des poursuites (ci-après : OP) à la suite d'une procédure en réalisation de gage dont avait fait l'objet A______ SA.
8. Par courrier du 14 février 2017, le département du territoire (ci-après : le département ou le DT), soit pour lui l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF), a informé A______ SA qu'il avait constaté que des logements en résidence meublée étaient proposés sur son site internet.
Cette situation étant constitutive d'un changement d'affectation contraire à l'art. 3 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), il lui a imparti un délai au 1er mars 2017 pour lui faire parvenir ses éventuelles observations écrites ainsi que les modalités de régularisation.
9. Le 6 octobre 2017, l'OP, en sa qualité de gérant légal des cinq immeubles, a informé l’OCLPF que la propriétaire souhaitait intégrer deux appartements qui s’étaient libérés au parc locatif qu'elle gérait en résidence hôtelière, soit les relouer meublés pour de très courtes durées (de quelques jours à deux ou trois mois), ce qui pourrait constituer un changement d'affectation soumis à l'art. 3 al. 3 let. a LDTR (transformation d'un logement loué en résidence hôtelière). Il ne souhaitait pas formellement déposer une demande de changement d'affectation mais simplement savoir si l'opération était soumise à la LDTR ou pas, cette question étant essentielle pour lui permettre de déterminer si ces deux appartements devaient être reloués par des baux ordinaires d'une année ou plus ou s'ils pouvaient être intégrés au parc locatif exploité en résidence hôtelière à l'avenir.
Il a joint un avis de droit de Me Steve ALDER selon lequel il ne s'agissait pas d'un changement d'affectation prohibé. Il est toutefois possible que l'importance des éléments faisant penser à une résidence hôtelière ait été sous-estimée dans cet avis de droit, par exemple en ce qui concernait la durée très courte des locations K______, le fait que les appartements étaient loués à la chambre par K______(il y avait donc plusieurs locations par appartement dans ces cas), les prestations accessoires fournies comme l'exécution de commissions, l'achat de billets de spectacles ou le lavage de voitures pour les clients, les réparations urgentes effectuées le weekend, les interventions de nuit, le service de réception centralisé comprenant un concierge, le fait qu'il y ait en moyenne une centaine d'entrées et de sorties par mois pour les 224 appartements exploités en résidence hôtelière, notamment.
10. Le 22 décembre 2017, à la demande de l'OCLPF, A______ SA a transmis des copies des contrats de bail relatifs aux appartements meublés loués par cette dernière.
11. La CS a rendu une décision le 28 juin 2018 dans le cadre de la procédure relative à la gérance légale de A______ SA, dans laquelle elle a retenu, concernant les cinq immeubles de A______ SA que les contrats relatifs aux hébergements meublés ainsi qu'aux places de stationnement étaient conclus pour des périodes de trois, neuf, douze, quatorze, quinze jours ou d'un mois, parfois plus longtemps, mais rarement jusqu'à quatre mois. Les contrats, intitulés « bail à loyer », prévoyaient une reconduction tacite du contrat et le versement d'une garantie pour la durée du séjour, ainsi que l'inclusion dans le « loyer » des « charges » et de l'électricité. Des frais administratifs étaient facturés en sus, ainsi que des frais de blanchisserie pour la literie et autres éléments utilisés, qui faisaient l'objet d'une communication séparée. Certains contrats prévoyaient l'inclusion dans le « loyer », en sus des charges et de l'électricité, de la redevance TV et des frais de nettoyage final, qui n'étaient pas chiffrés séparément. Des lits supplémentaires à la demande du client étaient fournis et les prestations étaient majorées de 3.8%, au titre de taxe sur la valeur ajoutée.
Bien que présentant plusieurs similitudes avec de purs contrats de bail à loyer (garantie et reconduction tacite), les contrats comportaient d'autres prestations typiques du contrat d'hôtellerie, soit la mise à disposition de lits supplémentaires et la prise en charge, au départ des clients, du nettoyage des appartements ainsi que de la blanchisserie de la literie et des linges. Les contrats ne précisaient pas la part du « loyer » affectée aux charges courantes. Les frais administratifs étaient facturés ainsi qu'une taxe sur la valeur ajoutée pour chaque prestation, y compris le prix de la « location ».
12. Par courrier du 1er octobre 2018, I______ SA, mandataire de A______ SA a contacté l'OCLPF. Elle faisait suite à leur dernière rencontre et avait pris note de la volonté du département de mettre à jour le dossier. De nombreuses infractions avaient été relevées sur trois des cinq immeubles et devaient être régularisées. Il sollicitait un délai au 31 décembre 2019 afin de régulariser les infractions.
13. Par courriers du 23 janvier 2018 [recte 2019] à I______ SA et à A______ SA, l’OCLPF a fait suite au courrier du 1er octobre 2018 précité et a confirmé que de « nombreuses infractions » devaient être régularisées. Pour ce faire et dans le but de mener à bien les instructions y relatives, il était nécessaire qu'un transport sur place soit réalisé. Il comptait dès lors sur leur collaboration afin que soient organisées les visites de l'ensemble des appartements des cinq immeubles concernés dans le courant du mois de février 2019.
14. La visite des cinq immeubles a eu lieu entre mars, avril et mai 2019, en présence de M. G______ et de Madame J______, employée de A______ SA, ce qui a permis la visite de tous les appartements et le reportage photographique de tous les logements à l'exception d'un seul (appartement 12______).
Il en ressortait notamment qu’il avait été constaté du pressing à domicile, soit qu’un homme était venu déposer du linge propre dans un sac et avait repris un sac de linge.
15. Par courrier du 29 mars 2019, I______ SA a transmis à l’OCLPF les états locatifs des immeubles.
16. Par courrier du 13 novembre 2019 adressé à A______ SA, l’OCLPF a fait suite aux divers échanges et aux transports sur place relatifs aux cinq immeubles. La procédure administrative ouverte (13______) visait à déterminer si la situation desdits immeubles était conforme à la LDTR et à son règlement d'application ou, à défaut, statuer en conséquence.
Il requérait ainsi, dans un délai au 20 décembre 2019, la production de :
- l'ensemble des baux relatifs à la location de tous les appartements ;
- au cas où les appartements auraient été offerts à la location par le biais d'intermédiaires (sociétés), les informations relatives aux périodes de location ainsi que les baux y relatifs depuis le 1er avril 2018 ;
- les informations et/ou contrats relatifs à la mise en sous-location par d'autres sociétés ;
- l'éventuel contrat liant les locataires desdits immeubles et la société H______ SA ainsi qu'un descriptif précis de ses activités à ce sujet, soit un descriptif détaillant les éventuels services proposés aux locataires ainsi que leur fréquence et durée d'activité ;
- les contrats ainsi qu'un descriptif détaillant les éventuels services, leur fréquence et la durée d'activité proposés par d'autres sociétés au locataires desdits immeubles ;
- les dates de la réunion de dix appartements, ainsi que les baux y relatifs ;
- les autorisations de construire relatives à l'aménagement de tous les appartements situés au rez inférieur des immeubles ;
- le descriptif d'éventuels travaux réalisés dans tous les logements durant les quinze dernières années ainsi que les factures y relatives.
17. A la demande de A______ SA, le délai a été prolongé au 31 mars 2020.
18. Le 9 mars 2020, A______ SA, par l’intermédiaire de son conseil, a informé le directeur de l’OCLPF qu’elle souhaitait mettre un terme à une situation d'incertitude liée à la procédure administrative en cours, laquelle était susceptible de compromettre le déroulement d'une vente en cours des immeubles. Elle serait ainsi prête à ne pas contester l'existence d'omissions eu égard aux exigences de la LDTR en matière de travaux soumis à autorisation préalable, et mettre sur pied un accord avec l'OCLPF afin de clôturer rapidement la procédure ouverte et purger les éventuelles omissions commises par le passé. Elle souhaitait trouver une solution de compromis pragmatique et était disposée à accepter une amende ou s'acquitter d’un montant forfaitaire en faveur de l'État de Genève.
Cette démarche se voulait pragmatique et informelle, et ne saurait en aucun cas valoir admission à ce stade d’un quelconque manquement aux dispositions de la LDTR.
19. Par courrier du 30 mars 2020, A______ SA a indiqué à l’OCLPF qu’en raison de la crise sanitaire liée au COVID-19, elle ne serait pas en mesure de produire les documents requis dans le délai imparti au 31 mars 2020. Elle a également requis la suspension de l'instruction de la procédure durant les pourparlers avec lui ou, à tout le moins une prolongation de délai pour transmettre les pièces.
20. Le 14 avril 2020, l’OCLPF a informé A______ SA qu'une suspension de la procédure n'était pas justifiée, mais a cependant imparti un ultime délai au 29 mai 2020 au vu de la situation sanitaire.
21. Le 29 mai 2020, A______ SA a adressé un courrier au directeur de l’OCLPF, faisant suite à une visioconférence du 21 avril 2020. Trois potentiels problèmes existaient en lien avec les cinq immeubles, soit que quatre appartements auraient été réunis en deux logements sans autorisation idoine, que trois logements aux rez-de-chaussée de l'immeuble E______ devaient retrouver leur affectation commerciale initiale et que plus de deux cents appartements, loués sous la forme de résidence meublée à court terme, devaient être réaffectés en « location classique » : selon l'OCLPF, ces appartements auraient fait l’objet d’un changement d’affectation du logement vers une exploitation commerciale sans que la délivrance d’une autorisation pour chaque appartement n’ait été obtenue.
Les deux premiers problèmes identifiés ne semblaient pas être un obstacle à la conclusion d’un accord.
S'agissant des appartements loués en résidence meublée, selon elle, cette situation ne constituerait pas une violation de l’art. 7 LDTR, se référant à l’avis de droit de Me Steve ALDER. Elle louait depuis plusieurs dizaines d'années certains de ses appartements en location meublée. Lorsqu'elle avait acquis les immeubles concernés, ce modèle de location était déjà en place depuis longtemps. Elle ne comprenait dès lors pas les raisons qui justifieraient la suppression de ce modèle de location qu'elle n'avait pas mis en place et qui permettait de satisfaire une demande en constante augmentation pour ce type d'appartements. Elle ne proposait pas de services s'apparentant à de la résidence hôtelière à ses locataires.
Concernant les déclarations de M. G______ lors de son audition du 15 juin 2016 devant la CS, elles devaient être appréciées dans leur contexte et avaient pour unique but d'insister sur le fait que le « business model » de H______ SA rendait impossible la mise en place d'une gérance légale typique. Les services de résidence hôtelière proposés tous les jours de la semaine étaient ainsi inhérents au concept de la société et n’étaient pas suffisants pour considérer que la situation sortirait du schéma de la location d'appartements classique. M. G______ avait « forcé le trait » devant la CS en évoquant d'épars souvenirs de services supplémentaires opérés très incidemment et à titre gracieux pour des locataires de passage avec lesquels il avait noué des relations plus proches : ces déclarations n’étaient pas de nature à remettre en cause le constat selon lequel A______ SA ne fournissait aucune prestation de nature hôtelière à ses locataires.
Les contrats conclus étaient des contrats « classiques » ; d'ailleurs, une garantie de loyer était perçue, ce qui confirmait qu'il s'agissait bien de contrats ordinaires que tout locataire conclurait.
Elle n'avait ainsi pas changé l'affectation locative des quelques 200 appartements identifiés par l'OCLPF et il ne saurait être question, dans ces circonstances, d'un retour au statut antérieur, soit exiger d’elle qu'elle réaffectât en logement des appartements qui n'avaient en définitive jamais cessé d'être des appartements locatifs.
22. Par courrier du 11 août 2020, l’OCLPF a pris note que A______ SA était disposée à mettre en conformité les réunions d'appartements et le changement d'affectation des locaux au rez inférieur.
L'instruction de la procédure 9______ allait se poursuivre ; il lui impartissait un ultime délai au 11 septembre 2020 pour produire les pièces sollicitées le 13 novembre 2019, à défaut de quoi, le dossier serait instruit avec les pièces en sa possession.
23. Le 12 novembre 2020, A______ SA a remis les pièces requises, soit douze classeurs contenant des comptes analytiques pour les cinq immeubles depuis 2009 portant notamment sur les travaux de rénovation et les baux de la plupart des logements.
24. Le 21 décembre 2020, A______ SA a déposé une requête en autorisation de construire portant sur la surélévation des cinq immeubles, soit la création de 27 logements. Cette requête a été enregistrée sous le numéro de référence DD 10_____.
25. Par décision du ______ 2023 notifiée à A______ SA, le département, soit pour lui l’office des autorisations de construire, a donné suite à la procédure relative à la conformité des cinq immeubles. Sur la base des éléments constatés lors des visites des mois de mars et avril 2019, d'analyses du service LDTR et des pièces versées au dossier, il a relevé notamment que 229 logements situés dans les cinq immeubles avaient changé d'affectation, sans autorisation de construire, en ce sens qu'ils avaient été mis en location en tant que résidences meublées depuis de nombreuses années. Aucun justificatif probant ne démontrait qu'un tel changement d'affectation illicite avait eu lieu depuis plus de trente ans, de sorte que la prescription trentenaire n'était pas acquise. Ainsi, ces locaux gardaient une affectation en tant que logement soumis à la LDTR.
Il ressortait également du dossier que deux logements avaient été utilisés comme cabinet médical et cabinet d'avocats sans autorisation, divers travaux avait été exécutés dans une soixantaine d’appartements sans autorisation de construire, dix logements avaient été réunis pour créer cinq appartements sans autorisation et dix logements situés au rez inférieur étaient utilisés à des fins d'habitation.
Sur cette base, il ordonnait à A______ SA de rétablir une situation conforme au droit en procédant à la mise en location de l’ensemble des logements (229) situés dans les cinq immeubles, non meublés et sans services hôteliers. Il lui ordonnait également de requérir des autorisations de construire pour les appartements ayant fait l'objet de travaux sans autorisation.
26. Par acte du 14 septembre 2023, A______ SA (ci-après : la recourante), sous la plume de son conseil, a interjeté recours contre cette décision par devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant préalablement à la suspension de la procédure et à l’octroi d’un délai pour compléter son recours et, au fond, à l’annulation de la décision, sous suite de frais et dépens.
Elle était en train de tenter de finaliser la vente de ses immeubles en s’assurant que le repreneur accepte les mesures prises par le département dans la décision querellée. Elle souhaitait que la procédure soit suspendue en attendant la finalisation de la vente.
Certains de ses immeubles étaient d’affectation mixtes logements / activités, d’autres exclusivement locatifs. Dans ces immeubles, il existait de nombreux appartements qui étaient loués de manière classique tandis que d’autres l’étaient meublés et pour une durée déterminée, parfois courte. Le fait de louer des appartements pour une courte durée n’entrainant pas un changement d’affectation au sens de l’art. 7 LDTR, à plus forte raison qu’elle ne fournissait à ses locataires aucun service de nature hôtelière.
27. Par courrier du 22 septembre 2023, le département a indiqué ne pas s’opposer à la suspension de la procédure.
28. Par décision du 2 octobre 2023 (DITAI/414/2023), le tribunal a suspendu l’instruction de la procédure.
29. Le tribunal a repris l’instruction de la cause le 3 octobre 2024.
30. Le 25 novembre 2024, la recourante a complété son recours, persistant dans ses conclusions.
Avant de rendre sa décision, le département ne s’était aucunement livré à une instruction sérieuse du dossier. Il n’indiquait pas sur quels éléments concrets il s’était fondé pour poser le constat d’un supposé changement d’affectation prohibé : à aucun moment il n’expliquait les raisons pour lesquelles il considérait que les 229 appartements auraient fait l’objet d’un tel changement d’affectation. Il ne s’était servi d’aucun des documents qu’elle avait produits, basant son raisonnement sur « on ne sait trop quel axiome ou présupposé afin de parvenir à la conclusion (…) que l’intégralité de 229 appartements avaient fait l’objet d’un changement d’affectation contraire aux art. 7 et 8 LDTR ». En clair, la position du département revenait à considérer qu’il existait une présomption générale en faveur d’un changement d’affectation qu’il lui appartenait de renverser en faisant l’effort de démontrer, éléments précis et preuves à l’appui, qu’aucun changement d’affectation et encore moins illicite ne serait intervenu. En se comportant ainsi, le département avait contrevenu aux art. 19 et 20 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10) mais également aux art. 7 et 8 LDTR.
Au-delà de disposer de douze classeurs fédéraux de pièces, le département aurait parfaitement pu procéder à un transport sur place pour voir concrètement la manière avec laquelle les appartements étaient exploités. Le département avait ainsi sérieusement contrevenu à l’obligation d’instruire d’office et de manière sérieuse le dossier.
Pour ce qui était des autres volets du dossier, il était plus logique qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une instruction en bonne et due forme dans la mesure où le département procédera à cette instruction après qu’elle eût déposé les APA nécessaires : c’était dans ce cadre que le département vérifiera si les travaux réalisés étaient ou non soumis à autorisation, si les réunions d’appartements étaient ou non possibles et si les changements d’affectation de bureaux en logement étaient pareillement envisageables.
Sur le fond, on ne discernait aucun des éléments factuels mis en lumière par la jurisprudence qui permettrait de conclure à l’existence, dans le cas concret, de l’exploitation d’une résidence meublée. La décision querellée ne renseignait en particulier pas sur la durée et la nature des contrats de bail conclus avec les locataires au fil des années, sur les éventuels services hôteliers qu’elle fournirait aux locataires, sur la remise d’une formule officielle de fixation du loyer initial aux locataires à la conclusion du contrat de bail, sur le prélèvement d’une garantie de loyer par le bailleur, sur l’existence de noms et prénoms et non de numéros sur les boites aux lettres etc… La seule circonstance que la décision querellée retenait étaient que les appartements étaient loués meublés, ce qui n’était pas contesté et en soi pas suffisant pour conclure à l’exploitation d’une résidence meublée.
31. Le département a répondu au recours le 20 janvier 2025, concluant à son rejet. Il a produit son dossier.
À la demande de A______ SA, une entrevue avait eu lieu le 11 novembre 2022 avec des représentants du département. Lors de celle-ci, l'administrateur de A______ SA avait soutenu que lors de l'acquisition des immeubles, la majorité des logements étaient déjà exploités sous la forme de résidences meublées. Selon lui, ce type de location d'appartements pour des périodes relativement courtes répondait à un besoin atypique au vu de la vocation internationale de Genève et cette affectation respectait le but de la loi dans la mesure où les logements étaient voués à l'habitation d'employés de multinationales et non à l'hébergement d'une clientèle touristique de passage.
La recourante reprochait au département de ne pas s’être livré à une instruction sérieuse du dossier et d’avoir ainsi violé le principe de la maxime inquisitoire ; à la lecture du recours, il apparaissait toutefois que la recourante avançait principalement le grief de la violation de son droit d’être entendu sous l’angle de la motivation de la décision. Or, le département avait procédé à un transport sur place entre mars et mai 2019 en présence des représentants de la recourante. Suite à ces visites, il avait requis un certain nombre de documents précis afin de pouvoir instruire le dossier. Les parties avaient échangé à de nombreuses reprises dans le cadre de courriers et de séances. Au terme de l’examen du dossier, il avait considéré que la recourante avait procédé au changement d’affectation illicite de 229 appartements. Il n’avait dès lors aucunement violé son obligation de motiver la décision et la recourante avait largement été capable de comprendre sur quels éléments portait la décision et interjeter recours à son encontre. Les constats effectués durant les transports sur place, les baux produits, les déclarations de M. G______ et les éléments ressortant de la décision prise par la CS le 28 juin 2018 constituaient un important faisceau d’indices lui ayant permis de retenir le changement d’affectation illicite.
La recourante avait participé aux transports sur place et produit des pièces. De plus, elle avait reconnu à plusieurs reprises que la situation des appartements litigieux n’était pas conforme au droit.
Concernant les déclarations de M. G______, selon la jurisprudence, la préférence devait être donnée à celles faites devant la CS au moment où ni lui ni la recourante n’avaient encore connaissance des conséquences liées au volet LDTR et au changement d’affectation illicite des appartements
S’agissant de la prescription trentenaire, la recourante n’avait apporté aucune preuve au cours de l’instruction du dossier qu’elle serait acquise alors que, selon la jurisprudence, il lui aurait appartenu de le faire.
32. La recourante a répliqué le 17 février 2025, persistant intégralement dans ses conclusions.
Elle confirmait faire grief au département d’avoir violé la maxime inquisitoire selon l’art. 19 LPA et non pas son droit d’être entendu. Les éléments sur lesquels le département s’était fondé ne permettaient pas de conclure à l’existence d’un changement d’affectation et, surtout, ne démontraient pas qu’en juillet 2023, soit lorsque le département avait rendu sa décision, il existait bel et bien un changement d’affectation des 229 logements concernés, alors que les documents sur lesquels il s’était fondé remontaient à plus de trois ans. Le département aurait dû renouveler les constats effectués pour s’assurer qu’ils correspondaient toujours à la réalité (au-delà du fait que ces constats ne confirmaient tant s’en fallait pas la prémisse selon laquelle il existait bel et bien un changement d’affectation des 229 logements). Dès lors, le département avait échoué à démontrer que les conditions mises au constat d’un changement d’affectation étaient in casu réunies ; le premier constat démontrait qu’il n’y avait pas de changement d’affectation et, ainsi, l’ordre devait être annulé.
Le département avait mentionné les circonstances suivantes à titre d’indices attestant d’un changement d’affectation, soit que les charges étaient globales et inclues dans le montant du loyer, que la durée de la location était fixe avec une reconduction tacite de mois en mois ou de quinzaine en quinzaine, que les baux étaient loués majoritairement à des sociétés, que la TVA n’était pas comprise dans le loyer et que les baux débutaient à tout moment dans le mois. Or, aucun de ces éléments n’était un indice en faveur de l’existence d’une résidence meublée.
Concernant les propos tenus par M. G______, on pouvait douter, de manière générale, que la procédure devant la CS pût avoir une quelconque pertinence sur le litige actuel. En tout état, les constatations qui avaient été posées dans le cadre de la procédure devant le CS remontaient à plus de sept ans avant la notification de la décision querellée. Les éléments retenus par le département étaient exclusivement basés sur des constats qui avaient été faits en 2019, de sorte qu’on pouvait douter, de manière générale, qu’ils pussent être probants pour démontrer que, en juillet 2023, les 229 appartements litigieux avaient fait l’objet d’un changement d’affectation.
Les paroles de M. G______ n’étaient par ailleurs aucunement confirmées par la masse des contrats de bail versée à la procédure par le département dont aucun attestait de l’existence d’un quelconque service hôtelier
Du moment qu’il était admis qu’un propriétaire pût louer son bien meublé, rien ne l’empêchait, s’il en possédait plusieurs, de tous les meubler de la même manière. Cet élément ne pouvait également pas être vu comme un indice de l’existence d’une résidence meublée.
Aucun service hôtelier n’était fourni (ménage, nettoyage, blanchisserie, fourniture de produits cosmétique, service de conciergerie), les contrats étaient rédigés en français (avec parfois une traduction anglaise) et étaient souvent accompagnés des usages locatifs applicables à Genève ; ils prévoyaient tous le paiement d'une garantie de loyer, un avis de fixation du loyer initial était constamment remis à la conclusion du contrat, tout comme un avis de majoration du loyer en cours de bail. La présente procédure se distinguait dès lors de celles ayant donné lieu à la jurisprudence citée par le département.
33. Le département a dupliqué le 9 avril 2025, maintenant sa position.
34. Le contenu des pièces sera repris dans la partie "En droit" dans la mesure utile.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.
Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).
4. Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office en application de l’art. 19 LPA et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).
5. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (cf. ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; 134 V 418 consid. 5.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_641/2018 du 3 août 2018 consid. 3 ; 2C_53/2017 du 21 juillet 2017 consid. 5.1 ; 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1218/2017 du 22 août 2017 consid. 3b et l'arrêt cité ; ATA/590/2017 du 23 mai 2017 consid. 2b ; ATA/1050/2016 du 13 décembre 2016 consid. 3b). La contestation ne peut donc excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/1218/2017 du 22 août 2017 consid. 3b ; ATA/421/2017 du 11 avril 2017 consid. 5 et les arrêts cités ; ATA/1145/2015 du 27 octobre 2015 consid. 4b).
6. En l’espèce, à la lecture des arguments de la recourante, le tribunal retiendra que seul est contesté l’ordre du département de rétablir une situation conforme au droit en procédant à la mise en location ordinaire des logements loués (229) en tant que résidences meublées, la recourante indiquant dans ses écritures du 25 novembre 2024 que pour les autre volets du dossier, il était logique qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une instruction puisque le département procédera à cette instruction une fois les APA nécessaires déposées.
7. La recourante reproche à l’autorité une violation de la maxime inquisitoire, estimant que cette dernière ne s’était pas livrée à une instruction sérieuse du dossier et que les éléments retenus ne permettaient de conclure qu’il existait bel et bien un changement d’affectation illicite des 229 appartements concernés par la décision querellée. Elle a précisé, dans ses écritures du 17 février 2025, ne pas estimer que son droit d’être entendu avait été violé.
8. La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle l’autorité établit les faits d’office, sans être limitée par les allégués et les offres de preuves des parties (art. 19 LPA). Dans la mesure où l’on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d’autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Cette maxime n’est toutefois pas absolue ; sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Ce devoir comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où on peut raisonnablement l'exiger d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 130 II 425 consid. 6.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1 ; ATA/1138/2023 du 17 octobre 2023 consid. 4.3 et l'arrêt cité).
9. Lorsque les preuves font défaut ou s'il ne peut être raisonnablement exigé de l'autorité qu'elle les recueille pour les faits constitutifs d'un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_27/2018 du 10 septembre 2018 consid. 2.2 ; 1C_170/2011 du 18 août 2011 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/99/2020 du 28 janvier 2020 consid. 5b). Il appartient ainsi à l'administré d'établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'il est le mieux à même de connaître, notamment parce qu'ils ont trait spécifiquement à sa situation personnelle (ATA/471/2022 du 3 mai 2022 consid. 3d et référence citée), et à l'administration de démontrer l'existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a ; ATA/1155/2018 du 30 octobre 2018 consid. 3b et les références citées).
10. Par ailleurs, en procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_2/2020 du 13 mai 2020 consid. 3.1 ; ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre de celles-ci qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b et les arrêts cités), aucun moyen de preuve ne s'imposant à lui (cf. not. arrêts du Tribunal fédéral 6B_58/2017 du 21 août 2017 consid. 2.1 ; 6B_564/2013 du 22 avril 2014 consid. 2.3).
11. En l’espèce, à la lecture des pièces du dossier et des écritures des parties, le tribunal estime que le département a procédé à une instruction sérieuse et minutieuse du dossier avant de rendre sa décision.
En effet, dès le moment où le département a constaté que des logements en résidence meublée étaient proposés sur le site Internet de la recourante, début 2017, il a interpellé cette dernière par courrier du 14 février 2017. S’en sont suivis des échanges entre le département et la recourante, laquelle a produit un certain nombre de pièces à la demande du département. Contrairement aux affirmations de la recourante, ce dernier a procédé à une visite des cinq immeubles entre mars et mai 2019, en présence notamment de M. G______, suite à laquelle elle a sollicité la production de pièces complémentaires, notamment par courrier du 13 novembre 2019 – pièces qui n’ont été remises finalement que le 12 novembre 2020. Il ressort également du dossier que diverses rencontres ont eu lieu entre les parties, ce que la recourante reconnait dans ses écritures, de même que le fait que le département, au terme de l’instruction, était notamment en possession de douze classeurs fédéraux de pièces qu’elle avait produits.
Le département a également pris connaissance de la procédure qui s’est déroulée devant la CS et qui a abouti à la décision du 28 juin 2018.
Fort de tous ces éléments et se fondant sur les pièces du dossiers, l’autorité a considéré que la recourante avait procédé à un changement d’affectation illicite des 229 appartements et rendu la décision querellée.
Au vu de ce qui précède, le tribunal arrive à la conclusion qu’aucune violation de la maxime inquisitoire ne peut être retenue et ce premier grief sera dès lors rejeté.
12. Reste à déterminer si c’est à juste titre que le département a ordonné à la recourante de rétablir une situation conforme au droit en procédant à la mise en location de l’ensemble des logements (229) situés dans les immeubles, non meublés et sans service hôtelier.
13. La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées à son article 2 (art. 1 al. 1 LDTR). À cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, elle prévoit notamment des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (al. 2).
14. Par changement d'affectation, on entend toute modification, même en l'absence de travaux, qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel (art. 3 al. 1 LDTR). Sont également assimilés à des changements d'affectation le remplacement de locaux à destination de logements par des résidences meublées ou des hôtels (art. 3 al. 3 let. a LDTR). Sous réserve de l'art. 3 al. 4, nul ne peut, sauf si une dérogation lui est accordée au sens de l'art. 8, changer l'affectation de tout ou partie d'un bâtiment au sens de l'art. 2 al. 1, occupé ou inoccupé (art. 7 LDTR).
15. Selon l'art. 4 al. 1 RDTR, à l'exclusion des chambres meublées isolées, la résidence meublée est un logement qui est loué meublé à des fins commerciales dans une maison d'habitation. L'autorisation de remplacer des locaux à destination de logements par une résidence meublée est limitée à la durée maximum de dix ans; elle est renouvelable (art. 4 al. 3 RDTR).
16. La différence entre la location de logements et l'exploitation d'une résidence meublée ou d'un hôtel réside notamment dans la mise à disposition par l'exploitant, dans le second cas, d'un certain nombre de services, tels que nettoyage des chambres, réception centrale téléphonique, literie, téléphone dans les chambres, service de repas, etc. Les résidences meublées sont des établissements hébergeant principalement des hôtes en studios ou en appartements meublés. Leur exploitation est soumise à autorisation comme l'est celle des hôtels (GAIDE/DÉFAGO GAUDIN, La LDTR: Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation: immeubles de logement et appartements: loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 348).
17. Selon la jurisprudence cantonale, des services de nettoyage ou de ménage ne suffisent pas à eux seuls à qualifier de « résidences meublées » des chambres d'habitation, en particulier lorsque celles-ci ne sont pas louées sur une base journalière mais au moyen de baux d'habitation. De telles prestations ne relèvent pas spécifiquement de l'hôtellerie, même si elles peuvent constituer un indice dans l'appréciation du caractère commercial et hôtelier de l'activité déployée. Si aucun service hôtelier n'est rendu et qu'en outre les baux d'une certaine durée ont été conclus avec les occupants des locaux, on se trouve en présence de logements meublés et non de résidences meublées ou d'hôtels (GAIDE/DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 348 et 349 et les références citées).
18. Dans un arrêt rendu dans une affaire récente (arrêt 1C_235/2023 du 11 mars 2024, consid. 5.4 et 5.5), le Tribunal fédéral a confirmé la position de la chambre administrative de la Cour de Justice qui avaient retenu l’existence de nombreux indices permettant de considérer que les six logements visés par la décision litigieuse étaient exploités en tant que résidences meublées, au sens de la LDTR. La chambre administrative avait notamment mis en évidence les éléments suivants : la présence de porte-savons, de produits cosmétiques, de serviettes, de linges et de papier hygiénique, de même marque et identiques dans tous les logements visités ainsi que la présence à l'étage d'un chariot de recharge de ces produits, accompagné d'un sac de linge sale ; six boîtes aux lettres de l'immeuble qui ne comportaient aucun nom, ce qui indiquait que les personnes ayant utilisé les locaux l'avaient fait de manière brève et temporaire et ne les avaient d'ailleurs a priori pas donnés comme adresse de correspondance ; la durée des séjours, telle qu'elle ressortait de la trentaine de contrats fournis, qui était très inférieure à celle des baux usuels (pour vingt-et-un d'entre eux inférieures ou égales à trente-et-un jours, le plus court séjour étant de sept jours) ; les contrats produits étaient rédigés en anglais, tout comme les conditions générales qui les accompagnaient, et ils contenaient des éléments qui ne correspondaient pas à ceux d'un contrat usuel de bail mais bien plus à ceux d'une réservation de type hôtelière (prix de location par nuitée, les modalités de paiement n'étaient pas celles d'un loyer, notamment par l'absence de garantie de loyer); les quatre baux qui ne concernaient pas les six logements litigieux étaient complètement différents, dès lors qu’ils étaient rédigés selon la formule usuelle dans le canton, en français et accompagnés d'un avis de fixation du loyer en bonne et due forme.
Le Tribunal fédéral a jugé que trois éléments suffisaient à démontrer que les logements en cause devaient être qualifiés de résidences meublées. D'abord, le critère de la durée des séjours, telle qu'elle ressortait des contrats précités, suffisait comme indice de bail de courte durée. Le fait que certains baux avaient duré plus d'un mois voire une année ne rendait pas insoutenable l'appréciation de la cour cantonale. Ensuite, le prix de la location donné par nuitée (et variable), auquel s’ajoutait l'absence de versement de garantie de loyer, l'absence d'avis de fixation du loyer obligatoire selon le droit cantonal genevois et la rédaction du contrat en anglais. Enfin, sur six boîtes à lettres ne figurait aucun nom. Le recourant n’avait pas apporté la preuve que ces six boîtes à lettres ne correspondraient pas aux six appartements en question et il n’avait pas non plus expliqué les raisons d'une telle absence sur ces six boîtes à lettres ni en quoi cet indice contredirait l'affectation de résidences meublées. En réalité, le recourant se contentait de substituer sa propre appréciation des faits à celle de la cour cantonale, sans démontrer l'arbitraire du raisonnement conduit.
19. Selon l'art. 129 al. 1 let. e LCI, dans les limites des dispositions de l’art. 130, le département peut notamment ordonner, à l’égard des constructions, des installations ou d’autres choses l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter (let. d) et la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition (let. e).
Ces mesures peuvent être ordonnées par le département lorsque l’état d’une construction, d’une installation ou d’une autre chose n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires (art. 130 LCI).
20. L'art. 131 LCI prévoit que les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des articles 129 et 130 LCI.
21. Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu, pour l'autorité, l'obligation de motiver sa décision (cf. art. 46 al. 1 LPA). Selon la jurisprudence, il suffit que celle-ci mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que son destinataire puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties ; elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision. La motivation est ainsi suffisante lorsque le destinataire de la décision est en mesure de se rendre compte de la portée de cette dernière, d'en comprendre les raisons et de la déférer à l'instance supérieure en connaissance de cause. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 139 IV 179 consid. 2.2 ; 138 I 232 consid. 5.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; 136 I 229 consid. 5.2 ; cf. aussi ATA/967/2016 du 15 novembre 2016 consid. 2b). L'autorité peut donc passer sous silence ce qui, sans arbitraire, lui paraît à l'évidence non établi ou sans pertinence et il n'y a violation du droit d'être entendu que si elle ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner les problèmes pertinents (cf. ATF 135 III 670 consid. 3.3.1 ; 133 III 235 consid. 5.2 ; 129 I 232 consid. 3.2 ; 126 I 97 consid. 2b et les références citées ; cf. également ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 83 consid. 4.1).
22. En présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l’intéressé a données en premier lieu, alors qu’il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ATA/773/2024 du 25 juin 2024 consid. 4.4 et la référence citée).
23. En l’espèce, le département fait référence aux visites sur place datées de mars à avril 2019, à l’analyse du service LDTR et aux pièces versées au dossier pour fonder sa décision. Ces pièces ont été transmises au tribunal dans le cadre de la présente procédure et ont toujours été à la disposition de la recourante.
Il ressort de la décision de la CS du 28 juin 2018 que dans les cinq immeubles propriété de A______ SA, des contrats relatifs à des hébergements meublés étaient conclus pour des périodes allant de trois jours à plusieurs mois. Des frais administratifs étaient facturés en sus ainsi que des frais de blanchisserie pour la literie et autres éléments utilisés. Certains contrats prévoyaient l’inclusion dans le loyer, en sus des charges et de l’électricité, de la redevance TV et des frais de nettoyage final. Des lits supplémentaires, à la demande du client, étaient fournis. Les contrats comportaient ainsi des prestations typiques du contrat d’hôtellerie.
M. G______ a quant à lui reconnu lors de son audition devant la CS que sa société, H______ SA, qui pratiquait la résidence hôtelière depuis plus de 50 ans, gérait les cinq immeubles comportant notamment 229 appartements meublés et offrait des prestations accessoires aux clients comme l’exécution de commissions, l’achat de billets de spectacles ou le lavage de voitures ; il y avait également un service de réception centralisé comprenant un concierge. Il y avait en moyenne une centaine d’entrées et de sorties par semaine et l’état de lieux pouvait être fait le week-end et les jours fériés. Enfin, avec K______, il avait introduit la location d’une chambre, ce qui avait eu pour conséquence qu’il y avait plusieurs locataires dans un seul appartement.
Dans son courrier du 6 octobre 2017 à l’OCLPF, l’OP, qui gérait les immeubles, a explicitement indiqué que A______ SA gérait un parc locatif en résidence hôtelière – avec des baux de quelques jours à deux-trois mois - et qu’elle souhaitait en ajouter deux, ce qui pourrait constituer un changement d’affectation au sens de la LDTR. Il relevait également, en référence à l’avis de droit de Me ADLER, que l'importance des éléments faisant penser à une résidence hôtelière avait été sous-estimée dans cet avis, par exemple en ce qui concernait la durée très courte des locations K______, le fait que les appartements étaient loués à la chambre par K______ (il y avait donc plusieurs locations par appartement dans ces cas), les prestations accessoires fournies comme l'exécution de commissions, l'achat de billets de spectacles ou le lavage de voitures pour les clients, les réparations urgentes effectuées le week-end, les interventions de nuit, le service de réception centralisé comprenant un concierge, le fait qu'il y ait en moyenne une centaine d'entrées et de sorties par mois pour les 224 appartements exploités en résidence hôtelière, notamment.
Lors des visites, il avait été constaté un service de pressing et que de nombreux appartements étaient meublés de la même manière, avec des éléments de décoration ou des appareils électroménagers pour certain répétitifs. Par ailleurs, en annexe de certains baux, un inventaire détaillant avec précision les ustensiles de cuisine, la vaisselle et le linge de maison était établi. Une seconde visite des appartements, telle que la recourante le demande, n'aurait rien changé puisque cette dernière affirme ne jamais avoir procédé à un changement d'affection : ainsi, tant les appartements que les locaux et les communs de l’immeuble auraient été identiques.
Des annonces de location pour des appartements sis dans les immeubles ont également été publiées, lesquelles indiquaient que la location pouvait se faire à la nuit, avec des frais de ménage et de services en sus du prix indiqué.
Au vu de tous ces éléments, qui convergent vers une affectation des logements de l’immeuble en résidence hôtelière – étant souligné que les déclarations de M. G______ faites dans le cadre d’une autre procédure et donc sans qu’il connaisse les conséquences juridiques de ces propos dans le cadre de la présente procédure, sont ceux devant être retenus - c’est à juste titre que le département a retenu comme établi qu’un changement d’affectation des appartements avait eu lieu, sans autorisation.
Le tribunal relèvera que l’instruction de la cause a pris beaucoup de temps, notamment du fait que la recourante a mis de nombreux mois à transmettre les pièces demandées, notamment celles sollicitées le 13 novembre 2019 et produites seulement le 12 novembre 2020 - et a sollicité à plusieurs reprises des rencontres afin qu’une solution amiable globale puisse être trouvée, et que, même si aujourd’hui il pourrait apparaitre que tous les appartements ne sont plus exploités en résidence hôtelière – ce que la recourante pourrait laisser entendre quand elle indique, dans ses écritures du 17 février 2025, que le département aurait dû renouveler les constats effectués afin qu’il correspondent toujours à la réalité, au-delà du fait que lesdits constats ne confirmaient pas un changement d’affectation -, la décision n’en est pas moins fondée. Aucun reproche ne peut être formulé à l’encontre du département sur la gestion de cette procédure et le temps qu’elle a pris. Il appartient maintenant à la recourante de s’y conformer, cas échéant en produisant les éléments probants permettant de retenir qu’elle s’y serait déjà conformée.
24. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.
25. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2023 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Manuel BARTHASSAT, Nadia CLERIGO CORREIA, Thierry ESTOPPEY et Diane SCHASCA, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Sophie CORNIOLEY BERGER
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
| Genève, le |
| La greffière |