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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2899/2015

ATA/967/2016 du 15.11.2016 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 10.01.2017, rendu le 22.12.2017, PARTIELMNT ADMIS, 2C_32/2017
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2899/2015-EXPLOI ATA/967/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 novembre 2016

 

dans la cause

 

CLINIQUE A______ SA
représentée par Me Nicolas Jeandin, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'EMPLOI, DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1. Par arrêtés du Conseil d’État du 14 janvier 2004, puis du 1er février 2006, A______, devenue à cette dernière date Clinique A______ SA (ci-après : A______ ou la clinique) – société anonyme qui est sise à Genève, a pour administrateur M. B______ et, selon le registre du commerce, a pour but l’exploitation d'un centre de traitement et d'expertises médicales – a été autorisée à exploiter un établissement médical psychiatrique, sis chemin C______ ______ à Genève, aussi longtemps que le Dr D______ assumait les fonctions de médecin répondant dudit établissement – qui devait être sous son contrôle et sa surveillance selon l’arrêté du 14 janvier 2004 –, étant précisé que la durée maximale de traitement ininterrompu serait de quarante-huit heures, soit de deux nuits consécutives au maximum.

2. a. A______ est composée de trois départements séparés : le premier (« département psychiatrie ») est celui des soins psychiatriques semi-hospitaliers qui lui permet de garder les patients pendant deux nuits, mais qui n’est occupé par aucun médecin et n’a pour l’instant jamais reçu de patient. Le second département (« département expertises » ou centre d’expertises médicales pluridisciplinaires) est le cabinet de groupe qui sert à effectuer des expertises pluridisciplinaires, sur mandat en particulier de l’Office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS) dans le domaine de l’assurance-invalidité (ci-après : AI), d’assureurs-accidents ou d’assureurs-maladie, et sous la responsabilité du Dr D______ – le « medical manager » – ; ces expertises représentent environ 97 % des activités de la clinique et sont plus de mille par an ; cela comprend toutes les spécialités médicales ; les expertises psychiatriques représentent environ 25 % de toutes ces expertises. Le troisième département (« département soins ambulatoires ») est celui des soins, notamment en chirurgie et ORL, qui représente environ 3 à 4 % des activités de la clinique.

Toutes les spécialités mentionnées sur le papier à lettres et sur le site Internet de la clinique autres que la chirurgie et ORL ne sont utilisées que pour des expertises.

b. A______ figure sur la liste des centres d’expertises agréés par l’OFAS, qui sont spécialisés dans l’examen des cas médicaux et auxquels sont attribués des mandats d’expertise médicale polydisciplinaire de façon aléatoire par SuisseMED@P, plateforme basée sur le web.

Ceci résulte de la convention conclue le 6 février 2012 entre l’OFAS et A______ « concernant l’établissement d’expertises pluridisciplinaires pour évaluer les droits à des prestations de l’assurance-invalidité » sur la base de l’art. 72bis du règlement sur l'assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201). À teneur de l’art. 2 de cette convention, en fait partie intégrante notamment l’annexe 1 « Critères pour l’établissement d’expertises pluridisciplinaires pour évaluer les droits à des prestations de l’AI », qui prévoit des conditions professionnelles, organisationnelles et formelles, de même qu’un contrôle de la qualité. En vertu de l’art. 5 de la convention, le mandataire – la clinique – collabore activement au contrôle de la qualité dans le cadre de MED@P (let. a) et l’OFAS vérifie le respect des consignes et conditions fixées dans la convention, et peut aussi contrôler la qualité des expertises réalisées (let. b).

c. La mise en œuvre des expertises confiées par les assureurs-accident ou maladie est quant à elle régie par des conventions ad hoc ou des contrats non écrits de mandat chaque fois qu’il est fait appel à A______.

d. Selon les explications de A______, les mandats d’expertise lui sont adressés, et non aux experts directement. Celle-ci mandate ensuite les experts, lesquels travaillent sur la base d’un contrat de mandat – « contrat de mandat type » pour les membres du « team des experts de la Clinique A______ » (site internet de celle-ci), « contrat de mandat spécifique » pour les experts n’intervenant que ponctuellement – et sont payés par prestations ; ils sont libres de leurs opinions et indépendants, la responsabilité de la clinique étant de fournir les ressources nécessaires pour réaliser les expertises dans un délai très court et pour la qualité de celles-ci.

3. Dans le courant de l’année 2010, le service du médecin cantonal (ci-après : SMC) a ordonné à A______ de « demander des autorisations de pratiquer pour les médecins experts qui [exerçaient] en son sein ».

4. Par lettres des 26 août et 2 septembre 2011, le Dr E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, auquel A______ avait fait, dès avril 2006, régulièrement appel pour réaliser des expertises qui lui étaient confiées et qui s’était trouvé en litige avec elle à compter du premier semestre 2011, a dénoncé la clinique au SMC pour avoir confié des expertises à des médecins qui n’étaient pas « autorisés » par celui-ci, dont il a fourni une liste.

Des investigations du SMC, il est ressorti que vingt-huit des experts de A______ avaient émis une expertise sans avoir été au bénéfice d’un droit de pratiquer ; dix d’entre eux l’avaient obtenu par la suite, ce qui n’avait pas été le cas des dix-huit autres, parmi lesquels quatre auraient été des secrétaires basés à H______ (« où certains secrétaires [auraient] un diplôme de médecin »).

Par note du 16 février 2012, le SMC a saisi la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission) afin qu’elle fasse la lumière sur le droit de pratique des médecins experts œuvrant pour A______. Notamment, l’OFAS savait que celle-ci disposait d’un secrétariat à H______, ce qui était légal ; cependant, il n’était pas au courant d’une sous-traitance à l’étranger et d’une signature par un médecin reconnu dans le canton de Genève.

La commission a alors décidé d’ouvrir une procédure administrative contre A______ (cause n° 1______/______/______).

En 2012, suite à ses constatations, le médecin cantonal a infligé des amendes d’un montant de CHF 500.- à douze de ces médecins, ainsi qu’une amende de CHF 5'000.- au Dr D______.

5. Entretemps, par courrier du 2 septembre 2011, le Dr E______ a fait part à la commission de ce que, parallèlement à des questions relatives à la facturation des expertises qu’il avait effectuées pour le Dr D______, d’importantes modifications de ses rapports étaient, malgré son désaccord de principe exprimé à plusieurs reprises à celui-ci, effectuées par des médecins non psychiatres, non autorisés à pratiquer dans le canton de Genève et, pour certains, se trouvant à H______. Il ajoutait : « entre 2006 et mi-2010, mes rapports n’étaient pas modifiés, je les signais à l’avance et constatais après coup qu’il n’y avait pas de modifications sinon corrections et erreurs de plume. C’est donc à l’insu de mon plein gré que le Dr. D______ faisait modifier mes rapports avant que je ne le découvre plusieurs semaines plus tard ». Enfin et subsidiairement, la rédaction des expertises pluridisciplinaires ne donnait jamais lieu à un « concilium » entre les différents spécialistes qui y participaient, la synthèse finale de ces expertises étant « très probablement faite par les correcteurs ou auditeurs, peut-être non spécialistes, et là aussi, non autorisés à exercer sur le canton de Genève ».

Dans ce contexte, le Dr E______ avait, début 2011, refusé de signer une première série d’expertises, avant de finalement le faire sur insistance du
Dr D______, qui invoquait des délais. Celui-ci ayant continué à faire modifier ses expertises, il avait refusé de signer les suivantes, parallèlement à quoi le Dr D______ avait retardé le paiement des anciennes expertises, pourtant terminées. Il avait entrepris de nouvelles démarches pour avoir accès à ses expertises, les relire puis les signer, mais le Dr D______ continuait à refuser et à l’inviter à les signer chez son conseil, précisant par écrit qu’il n’avait pas à les emmener, le privant par là même de la possibilité de les relire attentivement ; ce comportement était un aveu de la part du Dr D______, le motif de son refus obstiné de laisser le Dr E______ lire ses propres rapports et les corriger ne pouvant être contenu que dans les expertises, qui avaient donc été modifiées sans son accord. Le Dr D______ menaçait en outre le Dr E______ de faire refaire, à ses frais, ses expertises dans son centre.

Figurent à cet égard au dossier onze lettres du conseil de A______ adressées le 27 mai 2011 au Dr E______, avec copie aux assureurs mandants, concernant chacune un expertisé différent, qui indiquaient qu’à teneur du document informatique retraçant l’historique de sa contribution au rapport (« tasks de dictée et de corrections résolus » pour la plupart, ainsi que « versions corrigées et uploadées ») – joint –, il avait non seulement relu son expertise, mais également procédé aux corrections nécessaires, disposant de surcroît du temps nécessaire à ce travail conformément à la pratique courante ; la clinique sommait le
Dr E______ de cesser ses agissements, c’est-à-dire propager des propos inexacts et attentatoires à son honneur, et l’invitait à signer ses expertises. Par pli du 21 juin 2011, l’avocat de A______ a sommé le Dr E______ de convenir d’une date pour la signature des expertises. Par courriers des 17 et 18 août 2011 de son conseil – qui est devenu en début 2014 chef de cabinet du conseiller d’État actuellement en charge du département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (ci-après : DEAS) –, le Dr E______ a sollicité de l’avocat de A______ la remise dans leur intégralité des projets d’expertise afin qu’il puisse les lire avant de les signer. Par lettres des 25 août et 1er septembre 2011, l’avocat de la clinique a offert au Dr E______ de prendre connaissance et signer les expertises non encore signées directement en son étude, celles-ci ne devant en aucun cas quitter les locaux ; un tirage des expertises définitives avec les éventuelles modifications du Dr E______ serait remis par la suite à celui-ci.

6. En annexe au courrier du 2 septembre 2011 ainsi que par trois plis du
7 septembre 2011 et un du 3 février 2012, le Dr E______, dont l’adresse de courriel était sur Gmail, a transmis à la commission des échanges de courriels qu’il avait eus en mai, juin et juillet 2011 avec deux correcteurs – ou relecteurs ou scripteurs – qui vivaient à H______ et dont l’adresse de courriel était « J______@I______.com », ainsi qu’avec une « assistant manager » de A______ (« F______.G______@A______.ch »). Dans certains de ces échanges, le Dr E______ s’opposait aux modifications proposées ou déjà opérées par les deux correcteurs malgaches.

Le 15 septembre 2011, le Dr E______ s’est également adressé par écrit à la commission.

Par courriers du 16 septembre 2011 ainsi que du 23 septembre 2011, il a transmis à la commission des copies de rapports qu’il avait rédigés et sur lesquels figuraient des corrections manuscrites provenant selon lui de « correcteurs ». Par exemple, sur l’un de ces rapports, la phrase « La CDT à 3.10 % démontre que l’explorée abuse d’alcool, au moins plus de 60g/j d’éthanol pendant plus de deux semaines » avait été biffée, le texte devant la remplacer étant « En outre, la forte probabilité de prise compulsive d’éthyle conduit l’investigateur à mentionner l’exigibilité d’une abstinence à l’éthanol (…) ». Dans un autre rapport, le terme « Nihil » au titre de diagnostic (sans incidence sur la capacité de travail) avait été remplacé par « Episode dépressif moyen (F32.1), en rémission », étant précisé que c’était un épisode dépressif moyen selon un médecin, sévère selon un autre, qui avait, à teneur du rapport d’expertise, « conduit à ouvrir ce chapitre » ; dans le même rapport, « Un monitoring n’est pas nécessaire » avait été remplacé par « Un monitoring est exigible, au rythme d’une fois par mois, (…) ». Dans un autre rapport, un « épisode dépressif léger (F32.0) » (sans incidence sur la capacité de travail) était, selon la correction manuscrite, devenu un « épisode dépressif moyen (F32.1) ». Dans un autre rapport, avait été ajoutée à la main la phrase « En outre, aucune pulsion de nature hétéro- ou auto-agressive n’a pu être démontré (sic) lors de l’expertise ». Dans un autre rapport encore, qui mentionnait, sous « Examens biologiques d’autres substances », benzodiazépines – négatif, cannabis – négatif et opiacés – négatif, la première et la troisième de ces substances avaient été tracées, de même que la phrase qui suivait (« La recherche urinaire d’opiacés est négative, or, les métabolites de l’oxycodone positivent la recherche urinaire d’opiacés. On peut donc considérer que l’explorée ne prend pas le Targin@ [oxycodone, naloxone]) ». Dans un autre rapport, enfin, un score de l’échelle Hamilton aurait été modifié, les biffages et le chiffre manuscrit ne permettant toutefois pas de prouver une telle assertion.

7. En date du 7 octobre 2011, le bureau de la commission a décidé d’ouvrir une procédure administrative à l’encontre du Dr D______ et de renvoyer ce dossier à une sous-commission (cause n° 2______/______/______), le dénonciateur ne pouvant quant à lui pas être partie à la procédure.

8. Par pli du 14 octobre 2011, le Dr E______ a fait part à la commission d’autres exemples de corrections manuscrites sur un autre de ses rapports d’expertise, dont cinq pages étaient produites et qui faisait partie des onze expertises que cet expert avait refusé de signer dans les dernières semaines de sa collaboration avec la clinique. En page 9, concernant l’« auto-questionnaire de SPIELBERGER », la phrase initiale « Le questionnaire n’a pas été rempli » était complétée manuscritement par les termes « par l’assuré, pouvant traduire l’absence d’une collaboration de sa part ». En page 10, sous un graphique « Phase actuelle du diagnostic et évolution », avait été ajouté à la main la mention « phase 3 d’une rémission retardée », qui contredisait, selon le Dr E______, le diagnostic de « trouble de l’adaptation avec prédominance de la perturbation d’autres émotions (F43.23) », selon lui d’autant plus que le stress psychosocial, tel qu’étayé plus loin, était trop récent pour être déclaré retardé. En page 18, le terme « aucun », sous « Diagnostic(s) en lien avec le reste de l’examen clinique » (sans incidence sur la capacité de travail), avait été remplacé par « forte présomption de prise compulsive d’éthyle ». En page 19, se référant à des examens biologiques portant sur le taux des yGT, il avait initialement été écrit « Ce taux plaide pour des épisodes d’alcoolisation aiguë » ; « alcoolisation » avait été remplacé à la main par « éthylisme » et la phrase avait été complétée par l’ajout « notamment les
3 jours avant l’expertise dissipant ainsi le doute sur la réalité de la consommation ». En page 20, sous « Plaintes actuelles et symptômes », avait été ajoutée à la main la phrase « La forte présomption d’une alcoolisation aiguë est le seul diagnostic à retenir dans ce chapitre », ce qui, d’après le Dr E______, était un diagnostic différent de celui de « forte présomption de prise compulsive d’éthyle » (p. 18).

9. Par lettre du 23 novembre 2011 signée – comme toutes celles qui seront mentionnées ci-après – par le Dr D______, A______ s’est déterminée sur les griefs formulés à son encontre par le Dr E______. Notamment, la clinique avait mis en avril 2011 un terme à « ses relations de travail » avec celui-ci, car son profil de compétences ne convenait plus, accumulant les retours négatifs et négligeant la rédaction de ses expertises, ce à quoi s’ajoutaient en parallèle une obsession pour l’argent et des notes d’honoraires irrationnelles. Était en outre exposé le fonctionnement de la collaboration de la clinique avec le
Dr E______, lequel avait par le passé « toujours accepté les remarques des auditeurs qui [étaient] surtout formelles comme le [faisaient] des secrétaires expérimentées » ; en refusant de signer ses rapports dans les délais normaux, celui-ci avait pénalisé les assurés.

10. Par écrit du 26 janvier 2012, A______ a signalé à la commission que quatre personnes – dont deux étaient les correcteurs mentionnés plus haut – étaient des secrétaires travaillant dans la société à laquelle la clinique sous-traitait son secrétariat à H______.

11. Par pli du 19 mars 2012, le Dr E______ a communiqué à la commission une lettre adressée le même jour à l’office de l’assurance-invalidité du canton de Fribourg, lui faisant part de modifications jugées substantielles entre la version de l’expertise qu’il avait réalisée – mais non signée – et celle qui avait été transmise par A______ à cet office. Avaient notamment été ajoutés, par rapport à son texte et sans son accord, les phrases « À ce propos, un monitoring strict devra être réalisé, une dépendance au cannabis existant et l’assurée ne prenant pas son traitement de façon régulière » et « Au niveau de la médecine interne, il faut retenir une consommation importante de tabac (et de cannabis) entraînant une bronchite chronique », ainsi que le diagnostic de « troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, utilisation nocive pour la santé » ; le Dr E______ contestait formellement le diagnostic de dépendance au cannabis et indiquait qu’aucune discussion n’avait eu lieu concernant le diagnostic de bronchite chronique.

12. Le 16 avril 2012, le Dr E______ a communiqué à la commission une lettre adressée le 3 avril 2012 par l’office de l’assurance-invalidité du canton de Fribourg à A______ se plaignant de ce que cette dernière lui avait transmis le
18 juillet 2011 un rapport d’expertise pluridisciplinaire non signé par les experts et ne l’avait pas régularisé malgré ses demandes, le rapport étant en l’état inexploitable juridiquement.

13. Par courrier du 16 août 2012, A______ s’est déterminée sur la note du SMC du 16 février 2012. Ce n’était que depuis 2012 qu’un droit de pratique était demandé par l’OFAS pour des expertises AI polydisciplinaires. La clinique disposait d’un « département de contrôle qualité faisant de la relecture », par des auditeurs travaillant sous la responsabilité des experts.

14. Le 2 septembre 2012, les causes n° 1______/______/______ et 2______/______/______ ont été jointes sous le n° 2______/______/______.

15. Par lettre du 30 avril 2013, un avocat jurassien, faisant suite à un échange de correspondance entre le Dr E______ et sa mandante – une assurée –, s’est plaint auprès de la commission de ce que, par l’établissement de l’expertise la concernant, A______ avait fait preuve d’un « comportement inadmissible qui [confinait] à des procédés juridiques totalement interdits (notamment tromperie, escroquerie voire plus) ». Son recours contre la décision de l’office AI du canton du Jura qui se fondait sur cette expertise avait été admis par la chambre des assurances du Tribunal cantonal jurassien, lequel avait renvoyé la cause à l’office pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise. Sa mandante était bouleversée par cette situation.

16. Par pli du 9 novembre 2013, la clinique a transmis à la commission un « mémo » daté du même jour et exposant sa vision des faits.

Notamment, comme cela ressortait des historiques informatiques annexés aux lettres de son conseil du 27 mai 2011 au Dr E______, ce dernier avait fait « resolve » à ses tâches de corrections et avait donc bel et bien corrigé ses expertises.

Étaient en outre évoquées des dénonciations de la clinique et du
Dr D______ faites par le Dr E______ auprès d’un journal satirique.

17. Dans le cadre de la procédure n° 2______/______/______, lors d’une séance du 25 novembre 2013, le Dr D______ et le Dr E______, en qualité de témoin, ont été entendus, en partie simultanément, par la sous-commission de la commission. L’expertise produite le 14 octobre 2011 par le Dr E______ a été examinée.

Selon le Dr D______, le Dr E______ était venu à deux reprises à la clinique : la première fois, il était parti avec les expertises et les propositions de corrections ; la seconde fois, il était venu et reparti sans signer ; invité ensuite à deux reprises chez les avocats de A______, il n’était jamais venu, alors qu’il avait tout loisir de modifier et signer ses expertises, ayant bien eu en mains les propositions de corrections de celles-ci. Le Dr E______ a quant à lui déclaré que les deux fois auxquelles il s’était rendu à la clinique, on ne lui avait montré que la dernière page, de sorte que n’ayant pas vu le contenu de ses expertises, il avait refusé de les signer ; ce n’était qu’ensuite, chez les avocats de la clinique, qu’il lui avait été demandé de signer ses expertises après avoir pu prendre connaissance du contenu, mais sans droit de le modifier ou de le corriger.

Le Dr D______ a déclaré que ce n’était pas lui qui avait effectué les modifications manuscrites dans le rapport d’expertise produit le 14 octobre 2011 par le Dr E______ et ignorait qui les avait faites ; il les assumait néanmoins en sa qualité de médecin responsable. Selon lui, ces modifications ne modifiaient pas le contenu de cette expertise, les synonymes utilisés ne représentant que des corrections de pure forme. Celles-ci avaient été effectuées sans que le patient ait été vu par celui qui les avait faites. Normalement, les corrections envisagées étaient soumises préalablement à l’expert, pour accord. Dans le cas d’espèce, dans la mesure où le Dr E______ avait refusé de signer l’expertise corrigée, le
Dr D______ l’avait signée lui-même, sans avoir vu l’expertisé. Il n’avait jamais modifié une expertise déjà signée par un expert ; les experts pouvaient accéder en tout temps aux expertises qu’ils avaient rendues ; les dossiers étaient systématiquement discutés avec l’expert et celui-ci recevait les propositions de corrections par courriel ou, photocopiées, par courrier. A été par ailleurs décrite la situation des expertises signées à la dernière page, à l’avance, par l’expert ; selon le Dr D______, l’expert avait la responsabilité de vérifier que la version finale de son expertise correspondait bien au travail qu’il avait fait, et il pouvait donner son accord au sujet de l’expertise finale formellement ou informellement (à savoir par téléphone ou oralement dans les locaux de la clinique) ; le
Dr E______ n’avait jamais présigné ses expertises. Enfin, dans la règle, il n’y avait pas de « concilium » autour d’une table dans le cadre duquel les experts confrontaient leurs avis ; le Dr D______ ou un autre expert faisait la synthèse ; cela étant, les experts échangeaient au moyen des multiples médias modernes et « en personne également » ; le professionnel effectuant la synthèse du cas pouvait ne pas avoir vu l’expertisé ; après l’audition du témoin et en fin d’audition, le Dr D______ a précisé que les « conciliums » étaient réguliers et systématiques.

Par ailleurs, le Dr D______ s’est engagé à transmettre à la commission l’intégralité du brouillon de l’expertise produite le 14 octobre 2011 par le
Dr E______, le journal qui permettait la traçabilité des corrections, « la connaissance du correcteur », ainsi que l’expertise finale qu’il avait signée.

18. Par lettre du 7 décembre 2013 à la commission, A______ a apporté des informations complémentaires.

Notamment, le Dr E______ ayant corrigé ses derniers rapports, mais refusé d’apporter ce qu’il nommait une relecture finale – ou finalisation – et de signer six mois après avoir vu les personnes expertisées, la situation était éthiquement critique.

L’objet de tous les rapports d’expertise confiés au Dr E______ était de connaître la capacité de travail en lien avec des atteintes à la santé. Le
Dr E______ avait déjà répondu à ces points, les assureurs en LCA et les personnes expertisées ayant été prévenues des conclusions les jours suivant l’expertise. L’assureur LAI avait quant à lui refusé l’expertise non signée et en avait organisé une autre.

Le Dr E______ ayant abandonné ses mandats en cours de route, la clinique s’était trouvée dans une situation inconnue. Il n’avait pas semblé possible de déranger les personnes ayant été vues en expertise six mois après pour commencer de nouveaux rapports. En qualité de médecin-répondant, le
Dr D______ avait pris la décision de respecter les arrêts de travail donnés par le Dr E______ mais d’apporter de petites modifications au contenu afin de répondre aux critères de qualité jurisprudentiels des expertises qu’il devait signer lui-même, tout en expliquant aux mandants et aux personnes examinées que le
Dr E______ avait abandonné ses mandats.

19. À un courrier de A______ qui était daté également du 7 décembre 2013 et qui exposait que les extraits du rapport qui lui avaient été remis en annexe lors de la séance du 25 novembre 2013 ne permettaient pas d’identifier le nom de la personne concernée, la commission a répondu le 7 janvier 2014 que la clinique devait faire le nécessaire afin d’identifier ce document, qui était aisé à trouver parmi onze expertises.

20. Par courrier du 11 février 2014, le Dr D______, pour A______, a notamment informé la commission qu’il n’avait pas retrouvé le rapport d’expertise précité. Il lui semblait toutefois qu’il s’agissait d’une fausse question, car le nom de la personne ayant effectué des corrections était secondaire ; les relecteurs de A______ avaient une formation de médecin, fonctionnaient en qualité d’assistants médicaux et suivaient les « process de travail » établis à leur intention par la clinique.

Dans le cas d’espèce, le Dr E______ avait « purement et simplement abandonné ses mandats en cours de route ». Ses conclusions en termes de reprise de travail avaient déjà été communiquées aux assurances et aux personnes expertisées six mois auparavant. Le Dr D______ avait donc pris sur lui de finir ces rapports et de les signer à la place de l’expert comme on le faisait dans les centres médicaux lorsque les médecins internes étaient définitivement absents. Il avait pour mission de ne pas trahir la pensée de l’expert et en même temps de signer sous sa responsabilité et donc de ne pas laisser passer des choses qui seraient manifestement erronées.

Il a terminé son courrier ainsi : « De ce que je me souviens de nos échanges le soir de notre réunion en Commission, j’ai donc, comme les Membres présents été dérangé à l’idée qu’à l’augmentation d’une CDT on puisse dire comme l’affirmait l’expert que diagnostique une dépendance à l’alcool. A fortiori, l’expert n’avait pas pris le soin de défendre l’idée d’une dépendance en décrivant d’autres critères diagnostiques. À ce titre, j’ai donc attribué à ce diagnostic l’attribut de « possible » au lieu de tout simplement l’enlever, puis j’ai changé le mot « alcool » qui par expérience est stigmatisé pour celui d’« éthyle » moins connu et qui préserverait mieux les sensibilités. De la sorte, je pense avoir fait justice à la personne vue en expertise en ne lui collant pas un diagnostic loin d’être prouvé et laissant facilement voir que cela pouvait se discuter. D’un autre côté, bien qu’en opposition avec les conclusions de l’expert, je n’ai pas tout simplement effacé son affirmation ».

21. Par pli du 11 juin 2014, le Dr E______ a transmis à la commission un rapport d’expertise adressé le 18 octobre 2013 par A______ au médecin-conseil d’un assureur, rapport qu’il considérait comme discutable. Il a aussi produit une lettre qu’il avait écrite le 14 mai 2014 au médecin-conseil de ce même assureur, apparemment à la demande d’un gestionnaire de ce dernier, critiquant plusieurs points d’un rapport d’expertise de A______.

La commission a transmis en copie ce courrier et ses annexes à la clinique.

22. Par lettre du 30 septembre 2014, le Dr E______ a fait parvenir à la commission un rapport d’expertise établi le 15 septembre 2011 par A______, un courrier qu’il avait adressé le 24 février 2014 à une médecin et qui contenait de nombreuses critiques sur ledit rapport, ainsi qu’un arrêt de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice du 27 août 2014 concernant l’assuré en cause.

La commission a transmis en copie ce courrier et ses annexes à A______, de même que la demande qu’elle avait adressée le 1er octobre 2014 au
Dr E______ de cesser ses envois spontanés de documents.

23. Par lettre du 5 janvier 2015, soit dans le délai imparti par courrier de la commission du 18 novembre 2014, A______ s’est déterminée sur des documents que le Dr E______ avait fait parvenir à celle-là le 30 septembre 2014 et a indiqué que les allégations de celui-ci lui paraissaient sans fondement et malveillantes.

Le même jour, elle a transmis à la commission un regret et un retrait par un journaliste des termes qu’il avait utilisés dans un article publié dans le journal satirique susmentionné, exprimés devant une juridiction qui avait été saisie par une plainte pénale du Dr D______.

24. Par pli du 3 février 2015, la commission a transmis à A______ un courrier du Dr E______ du 27 janvier 2015 et sa réponse du 3 février 2015, informant celui-ci qu’elle n’accepterait désormais plus que des observations qu’elle aurait requises.

25. Par lettre du 25 février 2015, la commission a informé la clinique qu’elle avait terminé ses travaux d’instruction et lui a communiqué la liste de ses nouveaux membres qui seraient amenés à statuer en séance plénière, partant du principe que, sans manifestation de sa part d’ici au 26 mars 2015, elle n’avait pas de motif de récusation à faire valoir.

26. Par préavis du 30 avril 2015 – non transmis à A______ –, la commission a, sur la base de l’art. 130 al. 1 let. c de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03), estimé qu’une sanction de retrait temporaire de l’autorisation d’exploitation de la clinique pour une durée de trois mois était seule proportionnée à la gravité des comportements constatés, sanction pour laquelle seul le DEAS était compétent en vertu de l’art. 127 al. 3 let. b LS.

L’instruction qu’elle avait menée avait montré que le processus d’établissement du rapport d’expertise était le suivant : A______ se voyait confier un mandat par une compagnie d’assurance ou un office AI et déléguait ce mandat (sous-mandat) à une personne (sous-mandataire), sans considération – à tout le moins jusqu’en 2012 – de la question de savoir si celle-ci bénéficiait ou non d’un droit de pratique – problématique qui avait été traitée par le SMC, qui avait prononcé des amendes – ; la clinique préconisait les règles relatives à l’établissement du rapport d’expertise ; l’auteur du rapport d’expertise l’adressait non signé à A______, laquelle transmettait le texte de celui-ci, pour relecture et modifications, à des personnes non identifiées qui, dans la majorité des cas et jusqu’en 2012, ne disposaient pas d’un droit de pratique, certaines vivant et exerçant leur activité professionnelle à H______ ; les modifications opérées sur les projets de rapports ne se cantonnaient pas toujours à de simples questions formelles et pouvaient être substantielles, et étaient effectuées par un scripteur qui n’avait pas vu l’expertisé ; le projet de rapport ainsi modifié était alors soumis pour signature à l’auteur originaire du rapport, puis le rapport dans sa version finale était adressé à la compagnie d’assurance ou l’office AI.

Les modifications opérées sur le rapport d’expertise transmis le 14 octobre 2011 à la commission par le Dr E______, examinées à titre d’exemple par la sous-commission, étaient sensibles, puisque, notamment, en ajout du texte original, un diagnostic de prise compulsive d’alcool était posé (p. 18), dont on concevait bien les conséquences juridiques et pécuniaires qui pouvaient en être tirées. À l’audience du 25 novembre 2013, le Dr D______ avait déclaré ne pas reconnaître le scripteur qui avait procédé à ces ajouts mais les accepter comme s’ils étaient siens, admettant qu’il avait signé le rapport d’expertise sans avoir vu l’expertisé.

Le fait que, malgré l’engagement du Dr D______, la clinique n’avait pas fourni à la commission les documents que celle-ci avait demandés lors de l’audition du 25 novembre 2013, au motif qu’elle ne les aurait pas retrouvés, était invraisemblable.

De même, sans être contredit, le Dr E______ avait produit la copie d’une lettre adressée le 19 mars 2012 à l’office de l’assurance-invalidité du canton de Fribourg, dans laquelle se trouvaient consignées des modifications introduites par A______, telle une « dépendance au cannabis », alors que l’auteur du texte originaire, seule personne à avoir apparemment vu l’expertisée, la déniait.

La clinique n’avait en réalité fourni aucune explication satisfaisante sur les modifications substantielles qu’elle – agissant par le biais du Dr D______ ou de personnes non identifiées – avait fait introduire dans les rapports d’expertise, qui présentaient ainsi la caractéristique commune que l’auteur réel ou apparent du texte n’avait jamais vu l’expertisé. Or il était admis que l’expert devait avoir bénéficié de l’immédiateté de l’examen, avoir vu personnellement l’expertisé et être le seul auteur du rapport d’expertise.

En pleine tourmente avec le Dr E______, A______ avait fait le choix non pas de revenir au texte original établi par ce médecin, mais de faire signer par le Dr D______ la version transformée des rapports de celui-là, émettant ainsi en toute connaissance de cause des rapports divergents de ceux établis par la seule personne qui avait vu l’expertisé. Il était troublant que la clinique n’ait pas, vu la présente procédure, entrepris la démarche corrective la plus élémentaire consistant à communiquer à la compagnie d’assurance ou à l’office AI, ainsi qu’à l’expertisé, le texte original établi par le Dr E______. Le doute planait que A______ ait lésé volens nolens le sort pécuniaire d’expertisés, « les affectant quant à des décisions de rente aujourd’hui encore en force ».

La problématique des médecins de la clinique qui ne possédaient pas, jusqu’en 2012, de droits de pratique avait été traitée par le SMC, qui avait sanctionné les personnes concernées par une amende.

Faute de réponses aux questions relatives à la nature des corrections et au statut des correcteurs étrangers (secrétaires, secrétaires-médecins, ou assistants médicaux) malgré l’instruction menée, il n’était pas possible d’établir que les prescriptions relatives aux autorisations de pratiquer des correcteurs avaient ou non été respectées.

Il n’en demeurait pas moins que la clinique, en faisant circuler des textes hors du circuit restreint de personnes astreintes au secret médical, avait clairement permis que les exigences liées à celui-ci soient violées. Il était par ailleurs ahurissant de constater que les communications électroniques effectuées par les personnes concernées, et qui contenaient notamment le nom de l’expertisé, se faisaient par le biais de boîtes non sécurisées, telles que Gmail.

La preuve était ici faite que A______, dévoyant le processus régulier d’établissement d’une expertise médicale, n’était pas dotée d’une organisation adéquate qui lui permette de mener à bien sa mission et respecter suffisamment le droit des patients. Le « business model » développé par la clinique, loin de ces prescriptions, était en fait un nœud de relations contractuelles où étaient ignorés les impératifs d’une expertise sérieuse pouvant répondre à l’attente que l’ordre juridique avait placée en elle.

27. Par arrêté du 25 juin 2015 signé par le conseiller d’État, le DEAS, reprenant les constatations et les motifs émis par la commission dans son préavis, dont il partageait pleinement l’appréciation, a retiré à A______ l’autorisation d’exploitation pour une période limitée à trois mois, période durant laquelle il lui était interdit d’exploiter l’institution, conformément aux art. 127 al. 3 let. b et 130 al. 1 LS.

28. Par acte expédié le 27 août 2015 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a formé recours contre cet arrêté, concluant préalablement à la convocation d’une audience publique lors de laquelle le Dr D______ serait entendu par ladite chambre, au fond à l’annulation de l’arrêté querellé et à la condamnation de l’État de Genève à tous les frais de la procédure ainsi qu’à une indemnité pour les frais indispensables causés par le recours.

Son droit d’être entendu avait été violé. En effet, si le fait que le préavis de la commission du 30 avril 2015 ne lui avait jusqu’à présent jamais été communiqué semblait ne pas poser problème à teneur de la jurisprudence, il était en revanche clairement inadmissible qu’elle ait été privée de la possibilité de faire valoir son point de vue avant que le département ne lui retirât son autorisation d’exploiter, sanction au demeurant très grave. En outre, le grief de supposée violation du secret médical commise par elle n’avait jamais été évoqué avant de figurer dans la décision attaquée, laquelle était au surplus insuffisamment motivée concernant ce point.

Dans les faits allégués, il était fait état d’un arrière-fond politique. Le conseiller d’État actuellement en charge du DEAS, lorsqu’il était député au Grand Conseil, avait déposé avec des collègues, le 11 juin 2012, une proposition de motion se plaignant de compétences et d’une indépendance restreintes des experts médicaux et tendant à inviter le Conseil d’État à présenter un projet de loi constituant un bureau cantonal d’expertises médicales (M 2014-A). Dans son rapport du 11 janvier 2013, le Conseil d’État avait jugé non nécessaire le dépôt d’un tel projet de loi (M 2014-B).

Le correcteur – « peer-reviewer » – procédait à une relecture purement formelle du projet de l’expert, en vérifiant le contenu rédactionnel afin de valider que le document était précisément « convaincant », à savoir sans contradictions, omissions ou encore prises de position arbitraires.

Par courrier du 26 avril 2010, une expertisée s’était plainte auprès d’un assureur du comportement du Dr E______ à son égard. Était par ailleurs produite une « attestation » du 24 août 2015 d’une « psychologue et quality manager » de A______ émettant des critiques à l’encontre du Dr E______, liant les dénonciations de ce dernier à ses prétentions pécuniaires, de même qu’une « attestation » du 28 juillet 2015 d’une ancienne secrétaire-réceptionniste de la clinique relevant, lors de la dernière année de collaboration du Dr E______, de fréquents incidents avec les expertisés et des réactions négatives de certains des assureurs mandants.

Le retrait temporaire d’une autorisation d’exploitation n’était pas prévu par la loi, et ni la let. b, ni la let. c de l’art. 130 al. 1 LS n’étaient applicables à son cas, les let. a et d ne semblant quant à elles pas pertinentes.

Par ailleurs, sa liberté économique était violée. En effet, la sanction litigieuse était dépourvue de tout intérêt public, puisqu’elle n’avait aucun effet sur les activités supposément illicites, à savoir celles relatives à l’établissement d’expertises médicales, mais pénalisaient les activités qui étaient en tout état de cause licites, soit celles afférentes à l’exploitation de son établissement médical psychiatrique, dont la cessation pendant trois mois aurait pour elle des impacts en termes financiers – pouvant même signifier l’arrêt définitif de ses activités – et en termes de réputation, tant auprès des patients qu’auprès des acteurs institutionnels du secteur de la santé. Cette atteinte à sa liberté économique était de plus contraire au principe de la proportionnalité, c’est-à-dire aux règles d’aptitude, de nécessité et de proportionnalité au sens étroit.

29. Dans sa réponse du 2 novembre 2015, le DEAS a écarté tous les griefs de la clinique et conclu, « avec suite de frais et dépens », au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité, et à la confirmation de son arrêté querellé.

Notamment, contrairement à ce que soutenait la clinique, le grief relatif aux corrections apportées sur certaines expertises par des scripteurs non identifiés n’avait pas été abandonné, mais constituait le fondement essentiel de la décision prise. En effet, les questions relatives à la nature des corrections et au statut des correcteurs étrangers (secrétaires, secrétaires-médecins ou assistants médicaux) étaient demeurées sans réponse malgré l’instruction menée. Il était grave que le médecin responsable de la clinique ne puisse ni justifier les modifications apportées, ni indiquer qui les avait effectuées, et qu’il les valide sans avoir vu la personne expertisée.

30. Une audience de comparution personnelle des parties s’est tenue le
23 février 2016 devant le juge délégué de la chambre administrative, la clinique étant représentée par le Dr D______ et le DEAS par la médecin cantonale déléguée et une juriste.

a. Selon la médecin cantonale déléguée, l’expert évaluait la santé d’un patient et posait un diagnostic, ce qui pouvait avoir de lourdes conséquences. Le département considérait donc qu’il devait contrôler les compétences des médecins experts en vérifiant leur diplôme et en leur octroyant un droit de pratique, même s’il n’y avait pas de lien thérapeutique entre l’expert et l’expertisé. Il fallait bien qu’une autorité vérifie ces compétences. Le DEAS octroyait effectivement deux autorisations distinctes, l’une qui était l’autorisation de police découlant de la loi sur les professions médicales basée sur les diplômes, et un deuxième document qui était une autorisation à pratiquer à charge de la loi fédérale sur
l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), art. 55A LAMal, qui permettait au canton de limiter le nombre de spécialistes qui exerçaient à charge de la LAMal (clause du besoin). Les expertises n’entraient pas dans les prestations remboursées par la LAMal, de sorte que tout médecin titulaire d’une autorisation de police pouvait faire une expertise. Les médecins experts devaient être au bénéfice d’une autorisation de police délivrée par le département.

Le présent litige entrait dans le cadre de la lumière à faire sur le fonctionnement de la clinique selon le courrier du SMC du 16 février 2012, plus particulièrement sur l’organisation et la méthode de travail pour l’établissement des expertises.

b. Selon le Dr D______, l’autorisation de police ne fondait pas un droit de faire une expertise, seul le diplôme de médecin spécialiste le fondant.

D’après lui, dès que les corrections proposées par le relecteur étaient faites, l’expert recevait un courriel généré automatiquement dans lequel il trouvait son propre texte et celui proposé par le relecteur avec les explications des modifications proposées. L’expert avait accès en tout temps à son propre texte et à celui contenant les modifications proposées. Les suivis des « logs » figurant dans les documents informatiques retraçant l’historique des contributions du
Dr E______ aux expertises, joints aux lettres du conseil de A______ adressées le 27 mai 2011 à celui-ci, constituaient les suivis des tâches et des modifications dans le dossier ; le Dr E______ avait corrigé son texte et accepté les modifications des relecteurs ; la mention « Update file » signifiait qu’il avait terminé sa tâche de correction. Le Dr D______ pensait que les corrections manuscrites sur les projets d’expertise produits les 16 et 23 septembre ainsi que 14 octobre 2011 par le Dr E______ émanaient de ce dernier, et non d’un relecteur. Les relecteurs n’écrivaient pas à la main. Lorsque le relecteur proposait des modifications mineures, l’expert en était informé, mais il n’était pas nécessaire qu’il confirme son accord expressément. En revanche, lorsqu’il s’agissait de points importants, c’est-à-dire la capacité de travail, les limitations, le traitement, le diagnostic et l’examen clinique, l’accord formel de l’expert était nécessaire. Cet accord formel pouvait avoir lieu oralement par téléphone ou par courriel, notamment. Les relecteurs étaient identifiés, et n’étaient connus que de la clinique. L’expert ne faisait pas que signer le projet contenant les modifications du relecteur, mais vérifiait celles-ci et pouvait les refuser. À part avec le
Dr E______, il n’était jamais arrivé qu’un expert refuse de signer la version finale de son rapport. L’expert avait toujours le droit de signer son rapport sans les modifications proposées par le relecteur. Le médecin qui cosignait l’expertise avec l’expert n’avait pas forcément vu l’expertisé.

S’agissant des expertises non signées par le Dr E______ (environ
mi-2011), le Dr D______ a déclaré les avoir signées et avoir informé les patients expertisés et les assureurs que le Dr E______ n’avait pas voulu signer son expertise, qu’il prenait sur lui de rendre des conclusions et que, si nécessaire et demandé, la clinique referait gratuitement les expertises. Cela se faisait ainsi partout, y compris à l’hôpital. Par rapport au texte original du
Dr E______, le Dr D______ n’avait modifié que des points non importants.

31. Le 29 février 2016, A______ a produit de nouvelles pièces.

32. Dans ses observations finales du 14 avril 2016, A______ a persisté dans les conclusions et arguments de son recours. Il découlait de la jurisprudence que l’accomplissement d’expertises médicales pluridisciplinaires ne pouvait pas être considéré comme la dispensation d’un soin au sens de l’art. 2 al. 2 LS, ce qui rendait cette loi inapplicable in casu.

33. Dans ses observations finales du 15 avril 2016, le département a persisté dans les conclusions de son recours, les expertises, telles que celles établies par la recourante, devant être considérées comme des soins au sens de l’art. 2 LS.

34. Par lettre du 15 avril 2016, la chambre administrative a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

35. Pour le reste, les arguments des parties seront, en tant que de besoin, repris dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 135 LS ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du
26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 41 LPA, sert non seulement à établir correctement les faits, mais constitue également un droit indissociable de la personnalité garantissant à un particulier de participer à la prise d'une décision qui touche sa position juridique. Il comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d'être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu'elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2, et les références). L'étendue du droit de s'exprimer ne peut pas être déterminée de manière générale, mais doit être définie au regard des intérêts concrètement en jeu. L'idée maîtresse est qu'il faut permettre à une partie de pouvoir mettre en évidence son point de vue de manière efficace
(ATF 111 Ia 273 consid. 2b ; 105 Ia 193 consid. 2b/cc).

b. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. implique également pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 138 I 232 consid. 51. ; 137 II 266 consid. 3.2 ;
136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 83 consid. 4.1).

3. En l’occurrence, par sa lettre du 25 février 2015, la commission a clairement fait savoir à la recourante que l’instruction était terminée et qu’une décision serait rendue après le 26 mars 2015, laquelle pouvait, vu la nature de la procédure, contenir une mesure ou une sanction administrative. La clinique devait donc s’attendre à recevoir une sanction administrative et ne pouvait pas exclure qu’elle soit la plus sévère de celles prévues par la loi. Elle savait que la mesure ou la sanction pouvaient concerner le droit de pratique des experts (cause n° 2______/______/______) et le déroulement des expertises, notamment la portée des corrections effectuées par les scripteurs et les modalités de participation du rédacteur à la version finale de son rapport d’expertise (cause n° 1______/______/______), étant précisé que ces deux causes avaient été jointes. Elle pouvait faire part par écrit à la commission de sa position relativement aux reproches qui lui étaient faits et à leurs éventuels effets sur la décision à rendre.

S’agissant en particulier de la violation du secret médical, s’il est exact que la commission n’a pas expressément fait part à la recourante de ce reproche, elle l’a tiré des pièces auxquelles la clinique avait eu accès et qui avaient trait au déroulement de l’établissement des rapports d’expertise. De plus, les considérants de l’arrêté querellé exposent dans les grandes lignes en quoi le secret médical aurait été violé, l’absence de base légale mentionnée ne permettant pas de retenir un défaut de motivation.

Enfin, le DEAS n’est pas tenu de communiquer aux personnes – physiques ou morales – concernées le préavis de la commission sur lequel il se fonde pour leur infliger une sanction administrative (ATA/324/2016 du 19 avril 2016
consid. 6).

Au regard de ce qui précède, les griefs de violations du droit d’être entendu de la recourante sont écartés.

4. Aux termes de l’art. 34 de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11), l’exercice d’une profession médicale universitaire à titre indépendant requiert une autorisation du canton sur le territoire duquel la profession médicale est exercée.

En vertu de l’art. 40 de cette loi, les personnes exerçant une profession médicale universitaire à titre indépendant doivent observer notamment les devoirs professionnels suivants : a. exercer leur activité avec soin et conscience professionnelle et respecter les limites des compétences qu’elles ont acquises dans le cadre de leur formation universitaire, de leur formation postgrade et de leur formation continue ; c. garantir les droits du patient ; f. observer le secret professionnel conformément aux dispositions applicables.

5. a. À teneur de son art. 1, la LS a pour but de contribuer à la promotion, à la protection, au maintien et au rétablissement de la santé des personnes, des groupes de personnes, de la population et des animaux, dans le respect de la dignité, de la liberté et de l’égalité de chacun (al. 1) ; elle garantit une égalité d’accès de chacun à des soins de qualité (al. 2) ; elle encourage les responsabilités individuelle, familiale et collective ainsi que la solidarité (al. 3).

L’art. 2 LS définit les notions de santé (al. 1) et de soins (al. 2), et, à teneur de son art. 3 al. 1 afférent au « champ d’application », la LS définit et encourage le partenariat entre les acteurs publics et privés du domaine de la santé et régit les soins.

b. En vertu de l’art. 34 LS, le chapitre V de la ladite loi (« relations entre patients et professionnels de la santé ») est composé des « dispositions générales » (section 1, art. 34 à 40), des « principaux droits des patients » (section 2, art. 42 à 51), du « traitement des données relatives à la santé du patient » (section 3, art. 52 à 58) et des « mesures médicales spéciales » (section 4, art. 58A à 70), et, en vertu de l’art. 34 LS, règle les relations entre patients, professionnels de la santé et institutions de santé lors de soins prodigués tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

c. Le chapitre VI de la LS a trait aux « professions de la santé » et, conformément à l’art. 71 al. 1 LS, s’applique aux professionnels de la santé qui fournissent des soins en étant en contact avec leurs patients ou en traitant leurs données médicales et dont l’activité doit être contrôlée pour des raisons de santé publique.

Conformément à l’art. 74 al. 1 LS, une personne n’a le droit de pratiquer une profession de la santé que si elle est au bénéfice d’une autorisation de pratique délivrée par le département ou, à teneur d’une modification légale entrée en vigueur le 14 mai 2016, a suivi le processus d’annonce, prévu par la LPMéd.

L’art. 80 LS dispose que, sauf dispositions contraires de ladite loi, les devoirs professionnels prévus à l’art. 40 LPMéd s’appliquent à tous les professionnels de la santé.

L’art. 87 LS prescrit que les professionnels de la santé et leurs auxiliaires sont tenus au secret professionnel (al. 1), lequel a pour but de protéger la sphère privée du patient (al. 2 1ère phr.).

d. Le chapitre VIII concerne les « institutions de santé ». Selon l’art. 100 LS, par institution de santé, on entend tout établissement, organisation, institut ou service qui a, parmi ses missions, celle de fournir des soins (al. 1) ; le Conseil d’État détermine les catégories d’institutions de santé – ce qu’il a fait en arrêtant le règlement sur les institutions de santé du 22 août 2006 (RISanté - K 2 05.06) – (al. 2) ; les cabinets individuels ou de groupe ne sont pas soumis au présent chapitre (al. 3).

Aux termes de l’art. 101 LS, afin de protéger la santé des patients et de la population et de garantir des soins appropriés de qualité, la création, l’extension, la transformation et l’exploitation de toute institution de santé sont soumises à autorisation (al. 1) ; l’autorisation d’exploitation est délivrée par le département lorsque l’institution, compte tenu de sa mission : a) est dirigée par une ou des personnes responsables qui possèdent la formation ou les titres nécessaires ; b) est dotée d’une organisation adéquate ; c) dispose du personnel qualifié nécessaire ayant reçu une formation professionnelle adéquate ; d) dispose des locaux et de l’équipement nécessaires répondant aux exigences d’hygiène et de sécurité des patients ; e) participe à l’établissement des statistiques et des autres moyens de mesures nécessaires à la réalisation et à l’évaluation de la planification sanitaire cantonale ; f) garantit, s’il y a lieu, la fourniture adéquate en médicaments (al. 2) ; l’autorisation d’exploitation indique la mission de l’institution de santé ; elle peut fixer un nombre maximal de personnes que l’institution peut prendre en charge (al. 3) ; le Conseil d'État définit, selon la nature des prestations offertes, pour chaque catégorie d'institution, les conditions spécifiques d'octroi de l'autorisation d'exploitation qui visent notamment l'aménagement des locaux, l'effectif et la qualification du personnel, ainsi que les exigences à l'égard du ou des répondants ; il peut charger le département de régler le détail de cette matière (al. 4).

Au titre des « obligations », l’art. 107 LS prescrit que les institutions de santé doivent fournir, de manière continue et personnalisée, les soins qui entrent dans leur mission à toute personne qu’elles prennent en charge ; elles ne peuvent, de leur propre initiative, arrêter la prise en charge d’une personne que si la continuité de celle-ci est garantie (al. 1) ; si nécessaire, elles doivent veiller, notamment par leur service social, à prendre toutes les dispositions utiles pour sauvegarder les intérêts des patients (al. 3) ; elles doivent, dans l’intérêt des patients et de la santé de la population, collaborer avec les autres institutions de santé et les professionnels de la santé et fonctionner de manière coordonnée
(al. 4).

e. En vertu de l’art. 125A LS intitulé « dispositions générales » et sis au début du chapitre XI afférent aux « mesures administratives et sanctions », les mesures et sanctions administratives sont applicables en cas de violation de la LS et de ses dispositions d’exécution.

Les art. 127 ss LS traitent des sanctions administratives.

Conformément à l’art. 128 LS, le droit de pratiquer d’un professionnel de la santé peut être limité ou retiré : a) si une condition de son octroi n’est plus remplie ; b) en cas de violation grave des devoirs professionnels ou malgré des avertissements répétés (al. 1) ; le retrait peut porter sur tout ou partie du droit de pratique et être d’une durée déterminée ou indéterminée (al. 2) ; le département peut révoquer le droit de pratique lorsqu’il a connaissance après coup de faits qui auraient justifié un refus de son octroi (al. 3) ; le retrait et la révocation de l’autorisation font l’objet d’une publication dans la Feuille d’avis officielle
(ci-après : FAO ; al. 4). Il est précisé que la commission est compétente pour infliger des avertissements, des blâmes et des amendes jusqu’à CHF 20'000.-
(art. 127 al. 1 let. a LS).

Selon l’art. 130 LS, l’autorisation d’exploiter une institution de santé peut être limitée ou retirée : a) si l’une des conditions d’octroi n’est plus remplie ; b) si la ou les personnes responsables ne s’acquittent pas, de manière grave ou répétée, de leurs devoirs découlant de la présente loi ; c) en cas de manquements graves ou répétés dans l’organisation de l’institution, qui en compromettent la mission ; d) en cas de manquements graves ou répétés dans la qualité des soins (al. 1) ; si l’institution ne remédie pas à la situation aux conditions et dans les délais fixés par le département, l’autorisation est retirée (al. 2) ; lorsque le retrait de l’autorisation entraîne le transfert de patients dans d’autres institutions, le département peut en assurer l’organisation, les frais étant en principe à la charge de l’institution responsable (al. 3) ; le retrait de l’autorisation fait l’objet d’une publication dans la FAO (al. 4).

Il sied de préciser qu’à teneur de l’art. 127 al. 3 LS, la commission est compétente pour prononcer, à l’encontre des exploitants et des responsables des institutions de santé, des avertissements, des blâmes et des amendes jusqu’à
CHF 50'000.- (let. a), le département étant seul compétent s’agissant de la limitation ou du retrait de l’autorisation d’exploitation (let. b). Conformément à cette même disposition légale, l’amende peut être prononcée en plus de l’interdiction de pratiquer (al. 5) et les sanctions administratives peuvent être accompagnées de l’injonction de suivre une formation complémentaire ou de procéder aux aménagements nécessaires pour se mettre en conformité avec les conditions de pratique ou d’exploitation (al. 6).

6. Selon l’art. 1 al. 2 de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS -
K 3 03), la commission est chargée de veiller : a) au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par
la LS ; b) au respect du droit des patients.

En application de l’art. 19 LComPS, la commission émet un préavis à l’intention du département lorsqu’elle constate, au terme de l’instruction, qu’un professionnel de la santé ou qu’une institution de santé a commis une violation de ses obligations susceptible de justifier une interdiction temporaire ou définitive de pratique, pour tout ou partie du champ d’activité, ou une limitation ou un retrait de l’autorisation d’exploitation, conformément à la LS.

7. Il n’est en l’espèce pas contesté que la recourante est une institution de santé, au sens de l’art. 100 LS, à tout le moins en tant qu’elle a été autorisée par l’arrêté du Conseil d’État du 1er février 2006 – auquel l’arrêté querellé se réfère dans son préambule – à exploiter un établissement médical psychiatrique, permettant un traitement ininterrompu de patients pour une durée maximale de quarante-huit heures, soit deux nuits consécutive au maximum.

8. Est en revanche litigieuse la question de savoir si les expertises effectuées sous la responsabilité de la recourante – et sur lesquelles portent tous les reproches du département – constituent des soins au sens notamment des art. 2 al. 2 et 100 al. 1 LS.

L’intimé y répond par l’affirmative. Il semble en conclure que celle-ci est également une institution de santé du fait qu’elle établit des expertises, et que l’autorisation octroyée le 1er février 2006 porte aussi sur cette activité, pour l’exercice de laquelle les experts devraient être des médecins au bénéfice d’un droit de pratiquer (art. 74 ss LS) et effectuer les expertises selon les règles de l’art. Selon lui, l’intérêt public de la sanction litigieuse réside dans la confiance que le patient doit pouvoir faire à l’expert qui l’examine.

La société intéressée, quant à elle, conteste l’entier de la position de l’intimé et soutient que son centre d’expertises médicales pluridisciplinaires (« département expertises ») n’est pas soumis à la LS.

9. a. Le fait que l’arrêté d’autorisation du Conseil d’État du 1er février 2006 ne mentionne expressément que l’« établissement médical psychiatrique », à savoir la fourniture de traitements psychiatriques à des patients au sein de la clinique même pour une certaine durée ne devant pas dépasser quarante-huit heures, n’exclut pas que le centre d’expertises médicales pluridisciplinaires ait été et soit soumis à autorisation conformément à l’art. 101 LS.

À cet égard, la précision dans le dispositif de l’arrêté querellé que, durant trois mois, il est « interdit [à la recourante] d’exploiter l’institution » doit être comprise comme incluant toutes les activités de l’institution de santé qu’est la recourante, y compris son centre d’expertises médicales pluridisciplinaires (« département expertises »).

b. S’agissant de la notion d’institution de santé, durant les travaux préparatoires de la LS (PL 9328), il a été renoncé à l'expression « établissements de soins » par exemple, qui n'aurait pas permis d’englober toutes les entités visées. En effet, les laboratoires d'analyses ou de recherches médicales ainsi que les institutions de promotion de la santé peuvent difficilement être qualifiés
d'« établissements de soins ». C'est pourquoi, à l'instar de la législation fribourgeoise, c'est la notion d'« institutions de santé » qui a finalement été retenue. Peu importe ici que l'institution poursuive d'autres missions, comme c'est le cas des EMS ou des organisations d'aide ou de soins à domicile. Si les institutions offrent des soins, exclusivement ou parmi d'autres missions, le chapitre VIII leur est applicable. La notion d'institution de santé a donc une portée relativement large. Le service de santé de la jeunesse, la section de médecine dentaire de la faculté de médecine ou encore le service médico-pédagogique dépendant de l'office de la jeunesse entrent ainsi, par exemple, dans la définition légale (MGC 2003-2004/XI A 5861 s.).

À teneur de l’art. 1 RISanté, en fonction de leur mission, les catégories d’institutions de santé sont les établissements médicaux privés et publics, les établissements médico-sociaux, les organisations d’aide et de soins à domicile, les laboratoires d’analyses médicales, les services d’ambulance, les institutions de lutte contre les dépendances, les institutions de promotion de la santé et de prévention, les autres institutions spécialisées, les pharmacies publiques, les drogueries, les commerces d’optique.

c. Ainsi, d’une part, il découle du fait que la notion d’institution de santé doit être comprise dans un sens large et que, selon l’art. 100 al. 1 LS, elle peut avoir d’autres missions que celle de fournir des soins, que la recourante doit être considérée dans son ensemble et son entier, c’est-à-dire pour ses trois « départements », comme une institution de santé. D’autre part, l’art. 130 LS ne fait pas de distinctions, concernant la portée du retrait de l’autorisation d’exploiter une institution de santé, entre les divers activités ou services de celle-ci.

d. Le retrait de l’autorisation d’exploitation litigieux porte donc sur l’entier des activités et services de la clinique, y compris son centre d’expertises médicales pluridisciplinaires.

10. a. Afin de déterminer quelles sont les conditions de retrait de l’art. 130 LS qui devraient le cas échéant être remplies, il se justifie d’examiner si l’établissement d’expertises, dans le cadre et sous le contrôle de la recourante, entre ou non dans la notion de soins au sens de la LS.

b. Pour ce qui est des « définitions », l’art. 2 LS précise que la santé consiste en un état physique, psychique et social qui favorise à tout âge l’équilibre de la personne au sein de la collectivité (al. 1) et que les soins comprennent tout service fourni à une personne, à un groupe de personnes ou à la population dans le but de promouvoir, de protéger, d’évaluer, de surveiller, de maintenir, d’améliorer ou de rétablir la santé humaine (al. 2).

Selon les travaux préparatoires de la LS (PL 9328), la définition de la « santé » proposée à l’art. 2 al. 1 LS ne reprend pas exactement celle de l'Organisation mondiale de la santé (ci-après : OMS), la conception de cette dernière étant souvent perçue comme totalisante et utopiste, de nature à favoriser des dérives dans les attentes qu'elle suscite. La notion de « soins », définie à
l'art. 2 al. 2 LS, revêt une acception large. Les soins dont il est question ici ne se limitent pas aux seuls services fournis par les professionnels de la santé, de même que les activités en matière de santé humaine ne s'arrêtent pas au seul verbe « soigner ». Ainsi, pas moins de sept verbes tentent de circonscrire les différents aspects que peuvent revêtir les soins tels qu'ils doivent être compris dans le projet, sept verbes qui n'aspirent cependant pas à l'exhaustivité. Les soins palliatifs par exemple, qui se laissent difficilement définir au moyen d'un verbe, sont assurément des « soins » et sont donc compris dans la définition de l'al. 2
(MGC 2003-2004/XI A 5830-5831).

c. Selon la jurisprudence de la chambre de céans, doit être considérée comme un patient au sens de l’art. 9 LComPS, titulaire des droits reconnus et protégés par la LS, toute personne qui entretient ou a entretenu une relation thérapeutique avec un professionnel de la santé – ou une institution de santé – dont l’activité est régie par cette loi (ATA/662/2014 du 26 août 2014 consid. 10 ; ATA/640/2014 du
19 août 2014 consid. 8 ; ATA/142/2014 du 11 mars 2014 consid. 6 ; ATA/265/2009 du 26 mai 2009 consid 4).

Dans une cause relativement récente ayant trait exclusivement à la question de la qualité de partie, en sus du statut de dénonciatrice, d’une personne expertisée devant la commission, la chambre administrative a considéré que, puisque c'était le Tribunal tutélaire qui avait ordonné une expertise sur la dénonciatrice recourante – laquelle n'avait ainsi jamais été la destinataire directe de prestations médicales de la part de l’experte psychiatre ni ne lui en avait demandées –, le rapport d'expertise s'insérait dans le cadre d'une procédure judiciaire, sans avoir pour effet de créer un lien thérapeutique entre l’expertisée et l'experte, la première n’étant ainsi pas la patiente de la seconde (ATA/640/2014 précité consid. 11 ; dans le même sens, ATA/662/2014 précité consid. 13, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_313/2015 du 1er mai 2015).

L’ATA/640/2014 a, sur recours de l’expertisée, été confirmé par le Tribunal fédéral (arrêt 2C_885/2014 du 28 avril 2015). Selon la Haute Cour, il n'est pas arbitraire de considérer que le fait qu'un médecin expertise une personne uniquement à la demande du Tribunal tutélaire ne constitue pas un « service fourni à [cette] personne [...] dans le but d'évaluer [...] la santé humaine » au sens de l'art. 2 al. 2 LS. En effet, l'objectif de l'expertise était de répondre aux questions posées par le Tribunal tutélaire dans le but de renseigner la justice dans le cadre d'une procédure opposant les parents relative à la garde de leur enfant. En outre, la recourante ne démontrait pas en quoi il était arbitraire de distinguer la relation qui lie un expert mandaté par un tribunal dans le cadre d'une procédure judiciaire et la personne expertisée de celle qui lie ou a lié un patient et son médecin traitant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_885/2014 précité consid. 4.4 ; dans le même sens, arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2014 du 1er mai 2015 consid. 4.3). À cet égard, il est en principe exclu qu'un médecin avec qui un expertisé entretient une relation thérapeutique puisse intervenir comme expert judiciaire (ATF 124 I 170
consid. 4 ; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 9C_920/2013 du 20 mai 2014 consid. 3.4.1 qui opère une distinction entre le « mandat thérapeutique » et « mandat d'expertise » ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_956/2013 du 5 décembre 2013 consid. 3.2.2). Il découle d'ailleurs de l'art. 6 du Code de déontologie de la Fédération des médecins suisses du 12 décembre 1996 (révisé jusqu’au 28 avril 2016) que la relation entre un patient et un expert est de nature non thérapeutique (arrêt du Tribunal fédéral 2C_885/2014 précité consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2014 précité consid. 4.3).

À teneur de l’art. 2 dudit Code de déontologie, le médecin a pour mission de protéger la vie de l’être humain, de promouvoir et de maintenir sa santé, de soigner les maladies, d’apaiser les souffrances et d’assister les mourants jusqu’à leur dernière heure. Ce code distingue entre les mandats thérapeutiques et les mandats non thérapeutiques. Concernant les seconds, son art. 6 prévoit que, si la relation entre un patient et un médecin est de nature non thérapeutique (médecin légiste, expert, médecin-conseil, activité de médecin du travail et activité sur mandat d'une association sportive, etc.), la personne concernée doit en être clairement informée.

d. Il ressort de ces considérations que la relation entre le médecin expert et l’expertisé n’est pas de nature thérapeutique.

Cependant, conformément à l’art. 2 al. 2 LS, les soins comprennent tout service fourni à une personne, à un groupe de personnes ou à la population dans le but notamment d’évaluer la santé humaine, ce qui est le cas de l’établissement d’expertises médicales. En outre, les institutions de santé faisant l’objet du RISanté, en particulier les laboratoires d’analyses médicales (art. 25 RISanté) et les institutions de promotion de la santé et de prévention (art. 51 RISanté), ne voient à tout le moins pas nécessairement s’établir des relations thérapeutiques en leur sein.

Partant, la fourniture de soins au sens de la LS, de par l’acception large de cette notion, n’est pas nécessairement conditionnée et liée à une relation thérapeutique et existe également lorsqu’un médecin expert évalue la santé d’un expertisé en établissant une expertise à son sujet, en vue de permettre à un assureur social ou privé de déterminer si l’assuré concerné a ou non droit à des prestations de sa part, par exemple en cas d’incapacité de travail.

Au demeurant, si, dans son intervention médicale, le médecin expert n’a a priori pas d’objectif thérapeutique dans la relation qu’il établit avec l’expertisé, son intervention peut aussi revêtir une dimension thérapeutique, dans la mesure, par exemple, où l’expertise peut aboutir à proposer ou initier une prise en charge médicale subséquente (Romano LA HARPE/Beat HORISBERGER/ Timoty W. HARDING/Marinette UMMEL, Acte médical requis par une autorité, constat médical et certificat médical, in Romano LA HARPE/Marinette UMMEL/
Jean-François DUMOULIN, Droit de la santé et médecine légale, 2014, p. 379 ss, spéc. 380).

e. Par surabondance, si la situation des institutions de santé doit être distinguée de celle des professionnels de la santé, il n’en demeure pas moins que celles-ci sont composées de professionnels de la santé, y compris même les laboratoires d’analyses médicales (art. 25 RISanté) et les institutions de promotion de la santé et de prévention (art. 51 RISanté) qui doivent être dirigés par des professionnels de la santé (art. 25 al. 1 let. a RISanté et 1 let. c du règlement sur les professions de la santé du 22 août 2006 - RPS - K 3 02.01, depuis le 23 mars 2016 ; respectivement art. 52 let. a RISanté).

La LS cumule deux types d'infractions pouvant être commises par les professionnels de la santé, qui étaient traitées auparavant dans deux lois distinctes au moyen de deux procédures différentes : la violation des droits des patients, d'une part, et la violation des règles professionnelles, d'autre part (ATA/227/2010 du 30 mars 2010 consid. 5b ; ATA/402/2009 du 25 août 2009). Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, qui demeure applicable par la chambre de céans, un médecin-psychiatre, intervenant comme expert médical pour le compte d’une assurance, exerce dans le cadre de ce mandat une activité tombant sous le coup de l’art. 40 LPMéd – qui est afférent aux « devoirs professionnels » et doit être interprété largement –, et donc soumise à la surveillance des professions de la santé instituée par la loi (ATA/172/2013 du 19 mars 2013 consid. 12 ; ATA/513/2009 du 13 octobre 2009), en particulier
l’art. 41 LPMéd, qui ne s’applique pas seulement aux professionnels de la santé exerçant à titre indépendant mais à tous lesdits professionnels (art. 80 LS). La surveillance des professionnels de la santé n'est pas liée nécessairement à l'existence d'un rapport contractuel entre le médecin et un patient (ATA/513/2009 précité consid. 4).

Dans ces conditions, il serait incohérent que des médecins puissent, pour leur comportement adopté en établissant des expertises, faire l’objet de la surveillance et d’éventuelles sanctions de la commission ou du département, mais pas, le cas échéant, l’établissement, l’organisation, l’institut ou le service qui les emploie ou les mandate pour établir des expertises.

f. Dans le cas présent, les personnes, en particuliers les assurés, qui ont fait l’objet des expertises du Dr E______ et font, d’une manière générale, l’objet d’expertises par les experts mandatés par la recourante, n’ont eu, respectivement n’ont avec le Dr E______ et les autres experts aucun lien thérapeutique, ni, partant, la qualité de patients au sens de la LS.

Toutefois, aux fins de répondre aux questions qui leur sont posées, les experts effectuent une anamnèse, procèdent à des examens cliniques, évaluent la santé humaine et/ou posent des diagnostics, et évaluent ainsi la santé des expertisés et fournissent des soins au sens large énoncé plus haut.

Vu ce qui précède, l’établissement d’expertises dans le cadre et sous le contrôle de la recourante, y compris concernant les modalités des modifications, la situation des correcteurs, la relecture et la signature par les experts ainsi que le respect d’un éventuel secret professionnel (art. 87 LS) dans ce cadre, constitue des soins au sens de la LS et entre dès lors dans le champ d’application de la LS concernant les institutions de santé.

11. a. La conformité au droit de l’arrêté querellé est subordonnée à la reconnaissance que de graves manquements ou dysfonctionnements de la recourante en matière d’établissement d’expertises, s’ils étaient établis, réaliseraient une ou plusieurs des quatre conditions – alternatives – posées par l’art. 130 al. 1 LS pour le retrait de l’autorisation d’exploiter ledit établissement médical psychiatrique.

b. La réalisation de la condition énoncée à la let. a de l’art. 130 al. 1 LS, à savoir que l’une des conditions d’octroi de l’autorisation d’exploiter n’est plus remplie, n’est pas invoquée par l’intimé, ce à juste titre car celui-ci n’a fait aucun reproche à la recourante concernant l’établissement médical psychiatrique, le seul « département » de celle-ci qui ait fait l’objet d’une autorisation d’exploitation. Elle peut donc être d’emblée écartée.

c. Il reste à déterminer si la sanction litigieuse peut être fondée sur les let. b, c et/ou d de l’art. 130 al. 1 LS et, si, tel est le cas, si elle est proportionnée.

Il est précisé que les actes du Dr D______, professionnel de la santé et responsable médical à tout le moins du « département psychiatrie » et du « département expertises » de la clinique, engagent celle-ci, tant sous l’angle des soins que de l’organisation (notamment art. 101 al. 2 let. a LS).

d. À l’instar de l’amende administrative (ATA/647/2016 du 26 juillet 2016 consid. 4b ; ATA/61/2014 du 4 février 2014 ; ATA/74/2013 du 6 février 2013 et les arrêts cités), les autres sanctions administratives doivent respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.).

Le principe de la proportionnalité, consacré de manière générale à l’art. 5
al. 2 Cst. et, en lien avec les restrictions de liberté – ici la liberté économique –, à l’art. 36 al. 3 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1).

12. a. S’agissant de la condition que la ou les personnes responsables ne s’acquittent pas, de manière grave ou répétée, de leurs devoirs découlant de la LS (art. 130 al. 1 let. b LS) – qui incluent les devoirs professionnels prévus à
l’art. 40 LPMéd (art. 80 LS) –, la recourante soutient que les griefs contenus dans l’arrêté querellé ne visent pas directement le Dr D______.

Toutefois, celui-ci était – et est – responsable médical tant de l’établissement médical psychiatrique que du centre d’expertises médicales pluridisciplinaires, et la sanction administrative est en grande partie fondée sur les actes accomplis par celui-ci en cette qualité.

b. Il n’est tout d’abord pas contesté par l’intimé que les projets de rapports d’expertise contenant les modifications opérées par les relecteurs ont été portés à la connaissance du Dr E______.

Ensuite, excepté pour les onze rapports que le Dr E______ a refusé de signer en 2011, il n’est ni allégué par l’intimé ni établi que cet expert ou d’autres auteurs d’expertises aient refusé de signer leurs projets de rapports avec les modifications effectuées par les scripteurs. Les griefs du département sur ce point se concentrent donc sur ces onze expertises.

Il ressort par ailleurs de l’instruction effectuée tant par la commission que par la chambre de céans que, face au refus du Dr E______ de signer ces onze rapports au motif qu’il était empêché lors de sa relecture finale de refuser le cas échéant des modifications opérées par des correcteurs, le Dr D______ les a lui-même signés avec des modifications, sans avoir vu les expertisés.

c. Concernant le rapport d’expertise produit le 14 octobre 2011 par le
Dr E______ devant la commission, le Dr D______ a, le 25 novembre 2013, déclaré assumer les modifications manuscrites et donc avoir signé le rapport d’expertise avec celles-ci. En revanche, le 23 février 2016 devant le juge délégué, il a dit que ces modifications, de même que celles figurant dans les rapports produits les 16 et 23 septembre 2011 n’émanaient pas d’un relecteur, mais du
Dr E______ lui-même. Il est toutefois impossible que toutes les modifications proviennent de celui-ci, l’écriture n’étant pas la même de rapport en rapport, voire même à l’intérieur des rapports.

En tout état de cause, le Dr D______ a, dans son courrier du 11 février 2014 à la commission, indiqué ne pas avoir voulu laisser passer des choses qui auraient été manifestement erronées et, lors de l’audience du 23 février 2016, a déclaré avoir informé les expertisés et les assureurs qu’il prenait sur lui de rendre des conclusions. De plus, il ressort de ladite lettre du 11 février 2014 que le
Dr D______ a lui-même procédé à des modifications du rapport original du Dr E______ produit le 14 octobre 2011 devant la commission, notamment sur un point non négligeable, à savoir l’ajout de l’attribut « possible » au diagnostic de dépendance à l’alcool qui aurait prétendument été posé par l’expert, mais qui ne figure pas dans les cinq pages du rapport produit. Ces indications du Dr D______ n’apparaissent pas compatibles avec des modifications des onze rapports d’expertise du Dr E______ qui auraient toutes été sans importance.

L’intimé n’a pas pu prouver exactement que tous les corrections et ajouts effectués à la main dans les rapports produits en septembre et octobre 2011 par le Dr E______ devant la commission figurent effectivement dans les versions finales adressées aux assureurs. Le Dr D______ et la recourante ne l’ont toutefois pas clairement nié et, surtout, n’ont fourni aucune explication ni aucun document permettant d’infirmer de telles modifications, alors qu’ils devaient détenir et produire à tout le moins les versions finales des expertises adressées aux assureurs, ainsi que les différentes « versions corrigées et uploadées », y compris le texte initial du Dr E______, dont le suivi informatisé imprimé était annexé aux onze lettres du conseil de la clinique du 27 mai 2011, qui mentionnaient également le nom des assurés expertisés.

La crédibilité du Dr D______ et de la recourante est au demeurant fortement diminuée par la grande confusion et les importantes divergences dans leurs explications devant la commission puis devant la chambre de céans, y compris concernant l’existence ou non de « conciliums » et de leurs modalités, de même que concernant l’éventuelle existence d’une communication, avant la signature des rapports modifiés du Dr E______ par le Dr D______, des conclusions en matière de reprise du travail aux assureurs et expertisés alors que ces rapports ont ensuite fait l’objet de modifications.

Il sera donc retenu que les corrections et ajouts effectués à la main sur les rapports produits en septembre et octobre 2011 par le Dr E______ ont été apportés dans les versions finales des expertises signées par le Dr D______.

d. S’agissant du rapport produit le 14 octobre 2011 par le Dr E______, s’il n’est à tout le moins pas évident de voir dans le remplacement du mot « alcoolisation » par « éthylisme » une modification substantielle, le remplacement, au titre de diagnostic sans incidence sur la capacité de travail, du terme « aucun » par « forte présomption de prise compulsive d’éthyle » – apparaît substantiel, et on ne peut pas exclure que cette modification ait eu un impact sur l’appréciation de la situation de l’expertisé par l’assureur.

Pour ce qui est des dix autres rapports d’expertise non signés par le
Dr E______, plusieurs modifications manuscrites apparaissent substantielles. Ainsi en est-il notamment de l’ajout, respectivement la modification de diagnostics, même sans incidence sur la capacité de travail, un « épisode dépressif moyen (F32.1), en rémission » remplaçant « nihil » et un « épisode dépressif moyen (F32.1) » remplaçant un « épisode dépressif léger (F32.1) ». Il en est de même de l’ajout de la phrase « En outre, aucune pulsion de nature hétéro- ou
auto-agressive n’a pu être démontré (sic) lors de l’expertise », ainsi que de la suppression de la mention des benzodiazépines et des opiacés parmi les substances relevées lors d’examens biologiques, seul restant le cannabis.

e. Le Dr D______ et la recourante ont allégué de manière constante, dès le 9 novembre 2013, que le Dr E______ avait effectué les corrections en cause dans ses rapports d’expertise, comme l’attesteraient les mentions faites dans les suivis informatiques. De son côté, le Dr E______ a toujours affirmé qu’il avait été empêché lors de sa relecture finale de refuser le cas échéant des modifications opérées par des correcteurs, et, dans quelques courriels aux relecteurs malgaches, il a exprimé son opposition à des modifications proposées ou déjà effectuées par ceux-ci. Quoi qu’il en soit, même si le Dr E______ avait dans un premier temps effectué ou accepté les modifications et même si le désaccord de celui-ci ou sa volonté de vérifier le bien-fondé des modifications n’avaient été exprimés qu’à la fin du processus d’établissement des expertises, il est hautement problématique que le Dr D______ ait signé les rapports d’expertise contenant des modifications substantielles sans l’accord de l’expert, au lieu de garder tels quels les textes de ce dernier sous réserve de corrections de pure forme et quitte à préciser que ces rapports n’exprimaient que la pensée et la position du Dr E______, le seul à avoir vu les expertisés.

Du reste, lors de l’audience du 23 février 2016, le Dr D______ a déclaré que, lorsqu’il s’agit de points qui, comme certains en l’occurrence, sont importants, c’est-à-dire portent sur la capacité de travail, les limitations, le traitement, le diagnostic et l’examen clinique, l’accord formel de l’expert est nécessaire.

En droit des assurances sociales, l'élément décisif pour apprécier la valeur probante d'une pièce médicale n'est en principe ni son origine, ni sa désignation sous la forme d'un rapport ou d'une expertise, mais bel et bien son contenu. Il importe, pour conférer pleine valeur probante à un rapport médical, que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 125 V 351 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_21/2016 du 20 septembre 2016
consid. 3.2). Il ressort en outre des lignes directrices de qualité des expertises psychiatriques dans le domaine de l’Assurance-invalidité établies en février 2012 par la Société suisse de psychiatrie et psychothérapie, produites par la recourante, qu’un examen de l’expertisé présent par l’expert est nécessaire (dans ce sens, arrêt du Tribunal fédéral I 42/06 du 26 juin 2007 consid. 4.5 ; ATA/513/2009 précité consid. 10).

Dans ces conditions, le comportement du Dr D______ et, par lui, de la recourante, consistant à signer des rapports d’expertise sans avoir vu l’expertisé et en l’absence d’accord de l’expert qui a vu l’assuré, n’est pas admissible.

La clinique ne saurait y opposer son allégation selon laquelle elle serait seule garante de la qualité du travail accompli et de la conformité du contenu de l’expertise vis-à-vis de ses mandants, à savoir les assureurs ou tribunaux.

f. Par ailleurs, la clinique n’a pas prouvé, concernant le rapport d’expertise produit le 14 octobre 2011, les allégations du Dr D______ selon lesquelles il aurait informé l’expertisé et l’assureur que le Dr E______ n’avait pas voulu signer son expertise, qu’il prenait sur lui de rendre des conclusions et que, si nécessaire et demandé, la clinique referait gratuitement l’expertise.

Il apparaît à cet égard incompréhensible et injustifié que, malgré la demande formulée le 25 novembre 2013 par la commission et son propre engagement, le
Dr D______ n’ait pas retrouvé ce rapport d’expertise – dans ses versions initiale et finale – parmi les onze expertises et n’ait même pas produit le journal qui permettait d’accéder à la traçabilité des corrections et à l’identité du correcteur, qu’il devait pourtant avoir à sa disposition au sein de la clinique.

Il est également inacceptable que le médecin responsable n’ait pas exposé de manière cohérente qui avait écrit à la main les propositions de modifications dans le rapport produit le 14 octobre 2011 et dans quel cadre du processus d’établissement de l’expertise, déclarant le 25 novembre 2013 qu’il en ignorait l’auteur et le 23 février 2016 que le Dr E______ était l’auteur de toutes les propositions de modifications manuscrites figurant dans ce rapport et les rapports produits les 16 et 23 septembre 2011 par celui-ci.

g. Enfin, la recourante n’a certes pas expressément contesté le contenu de la lettre que le Dr E______ a adressé le 19 mars 2012 à l’office de
l’assurance-invalidité du canton de Fribourg, et les ajouts mentionnés dans ce courrier, notamment le diagnostic de dépendance au cannabis, apparaissent substantiels. Cependant, la clinique ayant contesté l’ensemble des reproches du
Dr E______ et en l’absence de production au dossier de la version finale du rapport adressée à l’office ainsi que de la version du Dr E______ sans modifications, l’existence de divergences substantielles entre les deux ne peut pas être retenue en l’état.

h. Au regard de ce qui précède, doivent être reprochés au Dr D______ des manquements à son devoir professionnel d’exercer son activité avec soin et conscience professionnelle, au sens de l’art. 40 let. a LPMéd, pour les motifs suivants : d’une part, il a signé et adressé à des assureurs onze rapports d’expertise modifiés sur des points substantiels sans l’accord de l’expert qui avait vu les expertisés, dans des conditions mettant en cause leur valeur probante et sans établir en avoir informé lesdits assureurs ; d’autre part, il n’a pas été en mesure de présenter à la commission, malgré son engagement, le rapport d’expertise correspondant à celui produit le 14 octobre 2011 par le Dr E______ ainsi que les documents permettant de déterminer le déroulement de sa réalisation et l’existence d’éventuelles divergences entre le texte initial de l’expert et la version finale adressée à l’assureur, ni d’expliquer qui avait écrit à la main les propositions de modifications dans le rapport et dans quel cadre du processus d’établissement de l’expertise.

Ces manquements ne se rapportent pas seulement à la violation par le responsable médical de la clinique de ses devoirs découlant de la LS (art. 130 al. 1 let. b LS), mais également à la qualité des soins (art. 130 al. 1 let. d LS).

13. a. Concernant la condition des manquements graves ou répétés dans l’organisation de l’institution, qui en compromettent la mission (art. 130 al. 1
let. c LS), doivent être examinés, au regard des griefs contenus dans l’arrêté querellé, la question du statut des correcteurs étrangers et la violation du secret médical invoquée par l’intimé.

b. Le statut des correcteurs étrangers, en particulier malgaches, ne saurait en tant que tel avoir, dans le cadre du présent litige, une portée indépendante de la question des modifications et de l’accord de l’expert à ce sujet, question tranchée plus haut. En outre, il n’est ni établi, ni prétendu par l’intimé que le fait d’avoir un secrétariat à l’étranger, en l’occurrence H______, serait en l’état illégal.

Cela étant, rien dans l’attitude et les allégations de la recourante ne montre une quelconque remise en cause, ni même une clarification de sa pratique concernant le caractère substantiel de certaines modifications des projets de rapports d’expertise par des correcteurs, ainsi que la façon dont ces modifications sont apportées aux projets.

À cela s’ajoute l’absence de production, malgré l’engagement du
Dr D______, du rapport d’expertise examiné le 25 novembre 2013 – dans ses versions initiale et finale – et du journal qui permettait d’accéder à la traçabilité des corrections et à l’identité du correcteur, qui devaient pourtant avoir été archivés sur papier et/ou support informatique par la clinique.

Enfin, les renseignements fournis par le Dr D______, pour la clinique, aux autorités durant toute l’instruction sont en grande partie confus et incohérents, et sans ancrage dans des pièces qu’il devait pourtant détenir.

Ces circonstances mettent en lumière des manquements dans l’organisation de la clinique.

Au surplus, si ces manquements portent sur le « département expertises », rien ne permet de penser qu’ils ne pourraient pas aussi se produire auprès du « département psychiatrie » en cas d’ouverture réelle de ce dernier, le responsable médical étant le même pour les deux et leur organisation pouvant être commune.

c. Pour le reste, comme l’a relevé la recourante, il est regrettable que l’intimé n’ait invoqué aucune base légale, ni aucun principe juridique à l’appui de son reproche de violation du secret médical, énoncé au demeurant pour la première fois dans le préavis de la commission.

L’art. 87 LS afférent au secret professionnel doit se lire en parallèle avec les dispositions sur le traitement des données et les dossiers de patients. La violation du secret professionnel doit faire l'objet d'une sanction pénale spécifique. Le champ d'application des dispositions genevoises est plus large que celui de
l'art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), et ceci dans le souci de mettre sur pied d'égalité tous les professionnels de la santé (MGC 2003-2004/XI A 5859).

Les dispositions applicables au secret professionnel au sens de l’art. 40
let. f LPMéd sont en particulier l’art. 321 CP, mais peuvent être aussi l’art. 35 de la loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (LPD - RS 235.1 ; Dominique SPRUMONT/Jean-Marc GUINCHARD/Deborah SCHORNO, Loi sur les professions médicales – Commentaire, 2009, n. 77 ad art. 40 LPMéd). En tant que confident, le médecin doit, conformément à l’art. 321 CP – afférent au secret professionnel, en l’occurrence médical –, respecter les secrets qui lui sont révélés ès qualités, même si les faits ne lui sont pas communiqués en vue de poser un diagnostic, de décider ou appliquer une thérapie, mais relèvent de difficultés personnelles, par exemple matrimoniales ou professionnelles (ATF 101 Ia 10 consid. 5c ; Bernard CORBOZ, Les infractions en droit suisse, volume II, 2010,
p. 766). En revanche, l’expert médecin qui établit un rapport dans le cadre d’une procédure judiciaire pourrait être soumis au secret de fonction de l’art. 320 CP (ATA/662/2014 précité consid. 14 ; ATA/640/2014 précité consid. 12).

Il n’apparaît pas nécessaire en l’espèce de trancher quelle norme pénale relative au secret est applicable au médecin expert qui établit un rapport à la demande d’un assureur, social ou privé.

On ne voit cependant pas en l’état en quoi la clinique aurait fait circuler des textes hors du circuit restreint de personnes astreintes au secret médical, puisque
l’art. 321 ch. 1 al. 1 CP soumet aussi les auxiliaires des médecins au secret professionnel.

Cela étant, l’activité des experts, de même que du responsable médical et de l’ensemble du personnel de la recourante, y compris à l’étranger (art. 6 LPD), est soumise au devoir de discrétion prévu par l’art. 35 LPD concernant toutes les informations qui se rapportent aux expertisés (art. 3 let. a LPD), les données personnelles relatives à la santé étant en effet des données sensibles au sens de cette disposition légale, qui méritent une protection accrue (art. 3 let. c ch. 2 LPD ; Dominique MANAÏ, Droits du patient et biomédecine, 2013, p. 132 ss ; Thomas GÄCHTER/Bernhard RÜTSCHE, Gesundheitsrecht, 2013, n. 360). En outre, conformément à l’art. 7 LPD afférent à la sécurité des données – et visant le même objectif que l’art. 7 de la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel conclue à Strasbourg le 28 janvier 1981 (RS 0.235.1) –, les données personnelles doivent être protégées contre tout traitement non autorisé par des mesures organisationnelles et techniques appropriées (al. 1) ; le Conseil fédéral édicte des dispositions plus détaillées sur les exigences minimales en matière de sécurité des données (al. 2).

Dans le cas présent, des noms d’expertisés figurent dans des courriels échangés entre le Dr E______ et des correcteurs, des rapports ou à tout le moins des textes y semblent contenus et le Dr E______ a utilisé une adresse de courriel Gmail. Ces circonstances sont hautement problématiques s’agissant de données sensibles.

Certes, la commission et le département n’ont pas formulé de reproche de violation du secret médical et/ou d’absence de protection des données personnelles avant le prononcé de l’arrêté attaqué, ni n’ont investigué ce point.

Toutefois, la clinique n’a apporté, dans le cadre de la présente procédure, aucun élément de fait concernant sa pratique en matière de sécurité des données des personnes expertisées, ni a fortiori allégué ou démontré avoir pris des mesures en faveur d’une telle sécurité, ce qui fait craindre que des manquements ont pu avoir lieu sur ce point.

14. Même indépendamment des reproches en matière de sécurité des données, les manquements du Dr D______ et de la clinique retenus ci-dessus sont graves, étant donné notamment, d’une part, qu’ils ont été commis au détriment de la valeur probante d’expertises transmises à des assureurs et potentiellement au détriment d’assurés expertisés et, d’autre part, qu’ils font apparaître des lacunes importantes de la recourante dans la qualité des soins et l’organisation relative au déroulement des expertises et à leur archivage.

15. En conséquence, les conditions des let. b, c et d de l’art. 130 al. 1 LS sont réalisées.

16. a. Sous l’angle des principes de la légalité et de la proportionnalité, et contrairement à ce que soutient la recourante, l’art. 130 al. 2 LS n’impose pas qu’un retrait de l’autorisation d’exploiter l’institution de santé au sens de l’al. 1 ne serait possible que si ladite institution a persisté dans ses manquements graves ou répétés en dépit des délais qui lui auraient été préalablement impartis par le département pour y remédier, l’al. 1 devant être compris indépendamment de
l’al. 2. Une telle condition ne découle pas de l’ATA/448/2015 du 12 mai 2015 cité par la clinique, le fait que dans le cas traité par celui-ci il y ait eu des demandes de remédiation formulées par l’autorité avant le retrait de l’autorisation n’impliquant pas une procédure à suivre dans tous les cas. Au demeurant, le fait que des manquements graves et non répétés puissent justifier une limitation ou un retrait de l’autorisation suppose que ceux-ci puissent avoir été limités dans le temps et n’aient donc pas pu faire l’objet de demandes de remédiation.

Outre le fait d’être fondé sur une base légale, l’art. 130 al. 1 LS (art. 36
al. 1 Cst.), la restriction de la liberté économique (art. 27 Cst.) de la recourante par l’arrêté querellé repose sur un intérêt public, à savoir la protection des personnes expertisées et leur égalité (art. 1 al. 1 et 2 LS) de même que la confiance qu’elles doivent pouvoir avoir envers l’expert et la confiance du public et des institutions, notamment les assureurs sociaux et privés, en le fait que les expertises se déroulent de manière convenable, soient établies de façon rigoureuse et contiennent des constatations et conclusions objectives et fondées (art. 36
al. 2 Cst.).

Il convient, à l’instar de l’intimé, de souligner que des manquements dans l’établissement d’expertises tels que ceux retenus peuvent avoir des effets injustement négatifs sur le droit à des prestations d’assurés et péjorer leur situation aux plans économique et administratif.

Contrairement à ce que prétend la recourante, la loi n’exclut nullement un retrait temporaire de l’autorisation d’exploiter une institution de santé. En effet, une telle mesure est moins restrictive pour la liberté économique de la société intéressée qu’un retrait définitif, et le fait qu’une sanction peut consister dans une limitation de l’autorisation (art. 130 al. 1 LS) implique un vaste champ de mesures possibles à disposition de l’autorité compétente.

C’est également en vain que la clinique fait valoir que la sanction litigieuse serait dénuée d’intérêt public au motif que le département n’a pas assorti sa décision de mesures provisionnelles (art. 127 al. 7 LS) ou déclaré celle-ci exécutoire nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA), l’intimé étant en droit de considérer que la protection des personnes expertisées et la confiance du public et des institutions ne requéraient pas que le retrait soit exécutoire avant que la clinique puisse s’y opposer dans le cadre d’une procédure de recours.

b. S’agissant du seul principe de la proportionnalité, les manquements reprochés à la recourante ont porté sur onze rapports d’expertise du
Dr E______ ainsi qu’une durée de quelques mois, mais ils sont graves.

En outre, il n’est pas contesté par l’intimé que l’auteur originaire des rapports d’expertise a eu, à réception des communications des correcteurs, connaissance des modifications proposées ou opérées par ceux-ci, qu’elles soient minimes ou substantielles. Il n’a en revanche manifestement pas été mis au courant des modifications effectuées par le médecin responsable lui-même ou, à tout le moins, n’a pas pu les refuser.

c. La sanction contestée, soit le retrait pendant trois mois de l’autorisation d’exploiter l’institution de santé, portant non seulement sur l’établissement médical psychiatrique, mais aussi sur le centre d’expertises médicales pluridisciplinaires, est apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude).

d. Compte tenu de la gravité des manquements constatés, du manque de collaboration de la recourante – qui n’a fourni aucun rapport d’expertise dans ses versions initiales et finales malgré son engagement pour l’un d’eux –, de la confusion et l’insuffisance de ses explications, enfin de la négation par la clinique de tous manquements de sa part, montrant ainsi une absence de remise en cause de l’illicéité de son comportement, une mesure moins incisive que celle prononcée, par exemple un délai imparti pour procéder aux aménagements nécessaires afin de se mettre en conformité avec les conditions d’exploitation (art. 127 al. 6 LS), ne permettrait pas d’atteindre les résultats attendus et la protection de l’intérêt public (règle de la nécessité).

Bien que le retrait pendant trois mois de l’autorisation causerait d’importants préjudices à la clinique en termes financiers ainsi que de réputation et de crédibilité, l’intérêt privé de la recourante à continuer l’exploitation de l’institution de santé doit, au regard de l’ensemble des circonstances particulières, céder le pas devant l’intérêt public très important et prépondérant à protéger (principe de la proportionnalité au sens étroit).

La sanction querellée est en conséquence, au regard du pouvoir d’appréciation de l’intimé, dont la chambre de céans ne peut sanctionner que l’excès ou l’abus (art. 61 al. 1 let. a LPA), même indépendamment des reproches en matière de sécurité des données, conforme au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.).

e. Pendant la durée du retrait, il incombera à la recourante, si elle entend reprendre l’exploitation de l’institution de santé, de tout mettre en œuvre afin que les manquements retenus plus haut n’aient plus lieu et que la sécurité des données sensibles soit assurée.

17. Vu ce qui précède, l’arrêté attaqué étant conforme au droit, le recours sera rejeté.

18. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2’000.- sera perçu de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 août 2015 par Clinique A______ SA contre l’arrêté du département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé du 25 juin 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2’000.- à la charge de Clinique A______ SA ;

dit qu’aucune indemnité de procédure n’est allouée ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Jeandin, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé.

Siégeants : M. Thélin, président, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges, Mme Steiner Schmid, juge suppléante.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :