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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1048/2017

ATA/1218/2017 du 22.08.2017 ( PRISON ) , REJETE

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; INSULTE ; MESURE DISCIPLINAIRE ; AMENDE ; COMPÉTENCE ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : RCurabilis.71.al1; RCurabilis.70; RCurabilis.67; RCurabilis.68; RCurabilis.69.al1; aLOPP.7; aROPP.11; LSer.3; Cst.5.al2
Résumé : Recours contre une amende de CHF 60.- infligée à un détenu de Curabilis pour insultes. En application de l'art. 71 al. 1 RCurabilis, le responsable d'exécution des mesures, en sa qualité de directeur suppléant de Curabilis, est compétent pour infliger une sanction disciplinaire à un détenu. Le recourant a contrevenu à ses obligations vis-à-vis du personnel de Curabilis et rien ne permet de douter de sa responsabilité au moment des faits. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1048/2017-PRISON ATA/1218/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 août 2017

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Claude Aberle, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT DE CURABILIS


EN FAIT

1) Par ordonnance du 12 décembre 2014, le Ministère public a condamné Monsieur A______ à une peine privative de liberté de quatre mois, pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires.

2) Par jugement du 27 août 2015, le Tribunal correctionnel a condamné M. A______ à une peine privative de liberté de trente-deux mois pour lésions corporelles graves, lésions corporelles simples aggravées, lésions corporelles simples et menaces, ainsi qu’à une amende de CHF 150.- pour voies de fait. Une mesure institutionnelle en milieu fermé au sens de l’art. 59 al. 3 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) a été ordonnée.

3) Le 21 novembre 2016, le service de l’application des peines et mesures, rattaché à l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD), lui-même rattaché au département de la sécurité (ci-après : DSE), a validé un plan d’exécution de la mesure pénale ou à titre anticipé (ci-après : PEM).

Selon le diagnostic posé par les Doctoresses B______et C______, expertes psychiatres, dans leur rapport du 21 octobre 2014, l’intéressé souffrait d’un trouble de la personnalité mixte, émotionnellement labile, type impulsif et dyssocial, ainsi que de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de drogues multiples et troubles liés à l’utilisation d’autres substances psychoactives, toxicomanie. Dans un rapport complémentaire du 10 avril 2015, rendu suite aux problèmes de comportement de l’intéressé à Champ-Dollon, notamment l’agression de son codétenu et l’attitude menaçante envers les agents de détention, la Dresse B______avait retenu les mêmes diagnostics et souligné la présence d’un grave trouble mental d’intensité modéré à sévère. En ce qui concernait la responsabilité lors du passage à l’acte, les deux rapports concluaient à une responsabilité légèrement, voire faiblement, restreinte. Questionné par rapport à l’avis des expertes psychiatres, M. A______ avait répondu que leurs conclusions reflétaient son état mental de l’époque, moment auquel il n’était pas encore sevré.

L’intéressé se comportait de manière inadéquate avec le personnel de surveillance. Il présentait cette attitude négative même lors de ses incarcérations précédentes. Selon lui, il était régulièrement insulté par certains agents de détention.

4) M. A______, auparavant détenu à la prison de Champ-Dollon, a été transféré à l’établissement de Curabilis (ci-après : Curabilis).

5) Le 5 janvier 2017, Curabilis a prononcé à l’encontre de l’intéressé une amende de CHF 50.- avec sursis et un jour d’arrêt disciplinaire avec sursis d’un mois pour atteintes à l’honneur et incivilités.

6) Le 8 février 2017, Curabilis a révoqué le sursis de la sanction précédente et prononcé deux jours d’arrêts disciplinaires à effectuer en cellule sans multimédias, sous déduction des cinq heures enfermé en cellule le 3 février 2017, pour atteintes à l’intégrité corporelle.

7) Le 20 février 2017, Curabilis a infligé un avertissement écrit à M. A______ pour insultes. La décision mentionnait que l’état de santé du détenu au moment des faits était pris en compte.

8) Le 21 février 2017, l’intéressé a fait l’objet d’un rapport d’incident, établi par Monsieur D______, stagiaire, avec visa du responsable du jour, Monsieur E______, sous-chef.

Le jour même, à 13h36, dans le local de fouille, le détenu avait exprimé, lors de sa fouille, son mécontentement et avait insulté Monsieur F______, agent de détention, en le traitant de « connard de petit maghrébin », ensuite de quoi Monsieur G______avait rappelé l’intéressé à l’ordre. Le service médical avait été avisé. La direction avait décidé de procéder à une demande de détermination par écrit.

9) Le 22 février 2017, M. A______ s’est exprimé dans un courrier intitulé « lettre d’excuse avec le gardien de prison "F______" ».

M. F______, accompagné de deux collègues, était entré la semaine précédente dans sa cellule et lui avait dit, de manière très provocante, de ne pas lui parler comme il venait de le faire à travers l’interphone. Il lui avait répondu que le respect allait dans les deux sens. M. F______ avait alors tenu les propos injurieux suivants : « Je suis sûr qu’en 32 mois ½ de passé[s] à Champ-Dollon, tu as dû te faire enculer plus d’une fois. Ce n’est pas possible autrement » et « Tu verras, lorsque tu sortiras d’ici, je t’attendrai dehors pour te faire ta fête ! Car il n’y a pas de caméra à l’extérieur ». Face à la passivité de l’intéressé et après lui avoir dit « Vas-y, lève la main sur moi. Vas-y ! », le gardien était parti avec ses deux collègues. Après cette altercation, il ne pouvait pas écrire de lettre d’excuse pour sa réaction le jour précédent. Il ne se souvenait pas du tout l’avoir insulté pendant la fouille complète, car il était énervé qu’il ait fait en sorte de faire sonner le détecteur de métaux afin de pouvoir le « foutre à poil » et de lui « parler comme à un chien ». Il avait marmonné dans sa barbe mais n’avait pas été assez bête pour l’insulter. Sur les conseils de son avocat, il comptait ignorer toutes les personnes avec qui « ça ne collait pas ». Ce serait bien si M. F______ en faisait de même à son égard.

10) Par décision exécutoire nonobstant recours du 23 février 2017, signée par le responsable d’exécution des mesures de l’établissement, Curabilis a infligé à l’intéressé une amende de CHF 60.- pour insultes.

11) Par acte du 23 mars 2017, M. A______, représenté par son avocat, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant préalablement à l’apport de son dossier médical, principalement à la constatation de la nullité de la sanction attaquée, subsidiairement à son annulation, et plus subsidiairement à son annulation et au prononcé d’un avertissement.

La présence ou l’absence du directeur de Curabilis lors du prononcé de la décision n’était pas établie, alors que dans la première hypothèse, la décision serait nulle. La pratique de Curabilis tendant à prélever directement le montant de la sanction sur le compte de l’intéressé était étonnante, sans que M. A______ ne puisse recourir contre cette pratique.

Il y avait des incohérences tant chronologiques que quant au lieu des faits puisque ses observations portaient sur des faits s’étant produits une semaine auparavant dans sa cellule et non la veille dans le local de fouille. Il avait décidé de tout faire pour éviter des dérapages à Curabilis, s’efforçant de rester impassible face aux provocations. Il n’avait pas répondu aux insultes du gardien et avait simplement marmonné « Ce n’est pas le genre de la maison. Contrairement à certaines, qui s’emboîtent comme des cuillères, ce sont les femmes qui m’excitent ». Le mot « maghrébin » ne faisait pas partie de son vocabulaire. La réalisation de l’infraction apparaissait douteuse. Il fallait tenir compte de son état de santé. Il se trouvait à Curabilis précisément car son état nécessitait un traitement, lequel, trois mois après son arrivée à Curabilis, n’était pas en place. La sanction devait être révoquée et n’était en tout état pas proportionnée à la faute reprochée.

12) a. Par réponse du 26 avril 2017, Curabilis a conclu au rejet du recours.

Le directeur de Curabilis et son suppléant étaient compétents pour prononcer une sanction disciplinaire, en fonction des impératifs organisationnels quotidiens de l’établissement. L’amende avait été infligée par le directeur suppléant de l’établissement, à savoir le responsable d’exécution des mesures. Le prélèvement de CHF 60.-, en exécution de la sanction, n’était pas constitutif d’une décision sujette à recours.

Les faits avaient été constatés dans un rapport écrit, détaillé et précis. L’intéressé avait déjà fait l’objet de trois sanctions disciplinaires depuis qu’il se trouvait à Curabilis et avait fait l’objet de vingt sanctions au total à la prison de Champ-Dollon. En tenant des propos injurieux et racistes, l’intéressé avait porté atteinte à l’honneur d’un agent de détention. La sanction reposait sur une base légale. Eu égard au maximum de CHF 1'000.-, à la gravité de l’insulte, au manque de respect dénoté, à l’absence de remise en question et aux antécédents, la quotité de la sanction était proportionnée, voire clémente. Avant le prononcé de la sanction, la direction de Curabilis avait consulté le médecin de l’unité, qui avait déclaré que M. A______ était entièrement responsable.

b. Elle a notamment versé à la procédure une liste de trente-six « faits importants » concernant M. A______ ayant eu lieu entre 2014 et 2016, soit des injures, insultes et menaces envers le personnel, des attitudes incorrectes envers le personnel et des tiers, des troubles à l’ordre de l’établissement, de la violence physique exercée sur des détenus et des refus d’obtempérer.

13) Le 29 mai 2017, l’intéressé a répliqué. Curabilis n’avait pas démontré avoir consulté le médecin de l’unité avant de prendre sa décision. La compétence du suppléant était subsidiaire et conditionnelle. Vu le défaut de preuve de l’absence du directeur, le suppléant n’était pas compétent.

14) Le 21 juillet 2017, Curabilis a répondu à une demande du juge délégué du 26 juin 2016.

En application de sa directive interne no 25, l’oralité de la consultation du médecin de l’unité était la règle, ceci pour maintenir la célérité du prononcé d’une sanction et afin que la consultation du service médical soit systématique. Suite à la demande du juge délégué, Curabilis avait requis du service des mesures institutionnelles qu’il expose en détail son analyse et ses conclusions concernant la sanction du 23 février 2017. Ce dernier avait indiqué que l’intéressé présentait un trouble de personnalité qui n’affectait en rien sa capacité de discernement et ne permettait pas de justifier une éventuelle diminution de sa responsabilité pénale, de sorte que lors des faits reprochés, le médecin de l’unité sollicité n’avait pu qu’attester de sa responsabilité pleine et entière concernant l’infraction reprochée.

15) Le 8 août 2017, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Curabilis n’avait pas produit l’attestation demandée par le juge délégué mais avait simplement fait des déclarations, ni étayées, ni convaincantes.

16) Le 10 août 2017, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 74 al. 1 du règlement de l’établissement de Curabilis du 26 mars 2014 - RCurabilis - F 1 50.15 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Dans son acte de recours, l’intéressé a conclu à l’apport de son dossier médical.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1 ; 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3).

b. Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_119/2015 du 16 juin 2015 consid. 2.1).

c. En l’espèce, la chambre administrative, qui a demandé des renseignements à l’autorité intimée concernant la position du médecin de l’unité s’agissant de l’état de responsabilité du recourant au moment des faits pour lesquels il a été sanctionné, dispose d’un dossier complet lui permettant de trancher les griefs soulevés en toute connaissance de cause.

Il ne sera par conséquent pas donné suite à la requête du recourant.

3) Il convient préalablement d’examiner l’objet du litige.

a. L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). L’acte de recours contient également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, la juridiction saisie impartit un bref délai au recourant pour satisfaire à ces exigences, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA). La juridiction administrative applique le droit d’office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

b. L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/467/2017 du 25 avril 2017 consid. 3b). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer. L’objet d’une procédure administrative ne peut donc pas s’étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/421/2017 du 11 avril 2017 consid. 5 et les références citées).

c. En l’espèce, le recours est dirigé contre la décision infligeant au recourant une amende de CHF 60.-. Toutefois, dans son acte de recours, ce dernier remet également en cause une pratique en application de laquelle l’autorité intimée aurait directement prélevé le montant de l’amende sur son compte. Il reconnaît toutefois à raison que son recours ne porte pas sur ce point, en l’absence de décision attaquable. La décision litigieuse ne porte en effet pas sur la conformité au droit de cette pratique. Il ne revient dès lors pas à la chambre administrative d’examiner si l’autorité intimée était fondée à exécuter immédiatement elle-même la décision exécutoire nonobstant recours en prélevant le montant de l’amende directement sur le compte du recourant.

Le litige porte par conséquent uniquement sur la conformité au droit de l’amende de CHF 60.- infligée au recourant pour insultes.

4) Dans un premier grief d’ordre formel, le recourant affirme que la sanction aurait été prononcée par une autorité incompétente.

a. Lors de l’entrée en vigueur du RCurabilis, le 26 mars 2014, l’art. 71 al. 1 RCurabilis prévoyait que le directeur de Curabilis était compétent pour prononcer les sanctions.

Dans un arrêt rendu le 2 décembre 2014 (ATA/953/2014), la chambre administrative avait relevé qu’aucune disposition concordataire, légale ou réglementaire ne permettait au directeur de Curabilis de déléguer sa compétence d’infliger une sanction. Elle avait ainsi déclaré nulle une décision de sanction prise par le responsable de l’exécution des mesures de Curabilis, considérant qu’admettre la possibilité que le directeur de Curabilis puisse déléguer ses compétences disciplinaires viderait l’art 71 RCurabilis de son sens. Dans l’hypothèse où le directeur de Curabilis était absent, le responsable de l’exécution des mesures devait attendre son retour ou solliciter le directeur général de l’OCD (ATA/280/2017 du 14 mars 2017 consid. 7a ; ATA/953/2014 précité consid. 6).

b. L’art. 71 al. 1 RCurabilis a été modifié par le Conseil d’État le 26 juin 2015, avec entrée en vigueur le 1er juillet 2015. Il prévoit depuis lors que « le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence » sont compétents pour prononcer les sanctions.

Dans un cas dans lequel elle a examiné l’application du nouvel art. 71 al. 1 RCurabilis, la chambre administrative a retenu qu’il y avait lieu d’admettre que le responsable de l’exécution des mesures, qui assumait par ailleurs la fonction de directeur adjoint au sein de l’établissement – conformément aux indications et à l’organigramme de Curabilis communiqués le 7 mars 2017 –, était apte à suppléer son directeur, et partant, était compétent pour prendre la décision de sanction prononcée le 23 novembre 2015 (ATA/280/2017 précité consid. 8a).

c. Le 29 mars 2017, l’art. 71 RCurabilis a fait l’objet d’une nouvelle modification suite à l’entrée en vigueur, le 1er mars 2017, de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP - F 1 50) – qui s’applique expressément à cet établissement, contrairement à l’ancienne législation – et du règlement sur l'organisation et le personnel de la prison du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01). Selon le nouvel art. 71 al. 2 RCurabilis, entré en vigueur le 5 avril 2017, le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'art. 70 al. 4 RCurabilis à d'autres membres du personnel gradé de l’établissement. Les modalités de la délégation sont prévues dans une directive interne, seul le placement d'une personne détenue en cellule forte pour une durée supérieure à cinq jours devant être impérativement prononcé par le directeur de Curabilis ou, en son absence, par son suppléant ou un membre du conseil de direction chargé de la permanence.

d. En l’espèce, les faits s’étant déroulés et la sanction ayant été prononcée avant l’entrée en vigueur de cette dernière modification, la compétence pour prendre la décision querellée doit être examinée à l’aune de la seule disposition alors en vigueur, soit l’art. 71 al. 1 RCurabilis.

La décision a été prononcée par le responsable de l’exécution des mesures, qui, conformément aux indications fournies par l’autorité intimée dans sa réponse, confirmées par les constatations de la chambre administrative dans l’ATA/280/2017, assume également la fonction de directeur suppléant de l’établissement. Or, la chambre administrative a déjà été amenée à constater dans sa jurisprudence qu’en cette qualité, le responsable de l’exécution des mesures est compétent pour prononcer une sanction disciplinaire.

La décision a par conséquent été prononcée par l’autorité compétente et le grief sera écarté.

5) Le recourant affirme ensuite que l’autorité intimée ne pouvait pas lui infliger une amende.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/310/2017 du 21 mars 2017 consid. 5a ; ATA/245/2017 du 28 février 2017 consid. 5b et les références citées).

c. La sanction doit être conforme au principe de la proportionnalité (ATA/499/2017 du 2 mai 2017 consid. 3c). Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public
(ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/1159/2017 du 3 août 2017 consid. 7a).

6) a. Si une personne détenue enfreint le RCurabilis, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 RCurabilis). Les sanctions sont l'avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d ; art. 70 al. 4 RCurabilis). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 70 al. 5 RCurabilis). L'exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 70 al. 6 RCurabilis). Le sursis à l'exécution peut être révoqué lorsque la personne détenue fait l'objet d'une nouvelle sanction durant le délai d'épreuve (art. 70 al. 7 RCurabilis). Après son prononcé, la sanction peut être suspendue ou la personne détenue en être dispensée pour justes motifs ou en opportunité (art. 70 al. 8 RCurabilis).

b. La personne détenue a l'obligation de respecter les dispositions du RCurabilis, les directives du directeur général de l'OCD, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico-soignant (art. 67 RCurabilis). La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard des différents personnels, des autres personnes détenues et des tiers (art. 68 RCurabilis). Sont en particulier interdits l’insubordination et les incivilités à l’encontre des personnels de Curabilis (let. b), ainsi que les menaces dirigées contre les différents personnels de Curabilis, les intervenants extérieurs ou des personnes codétenues et les atteintes portées à leur intégrité corporelle ou à leur honneur (let. c ; art. 69 al. 1 RCurabilis).

7) De jurisprudence constante, la chambre administrative accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/73/2017 du 31 janvier 2017 consid. 7 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/499/2017 du 2 mai 2017 consid. 6).

Les fonctionnaires de la prison prêtent serment par-devant le chef du DSE, conformément à l’art. 4 al. 3 de la loi sur la prestation des serments du 24 septembre 1965 (LSer - A 2 15 ; art. 7 de l’ancienne loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 [ci-après : aLOPP], en vigueur lors du prononcé de la sanction attaquée, la nouvelle LOPP étant applicable uniquement dès son entrée en vigueur le 1er  mars 2017 [art. 36 al. 1 LOPP]). À la fin de l'école de formation, le fonctionnaire prête serment, si son comportement et son travail donnent satisfaction (art. 11 du règlement sur l’organisation et le personnel de la prison du 30 septembre 1985 [ci-après : aROPP], remplacé par le nouveau ROPP à compter du 1er mars 2017). Doivent être assermentés les fonctionnaires et employés de l’État et des communes appelés à dresser un procès-verbal de faits susceptibles d’entraîner des sanctions (let. a), appelés à effectuer des enquêtes, des saisies ou des actes analogues (let. b) et dont le serment est prévu par d’autres dispositions que celles de la LSer (let c ; art. 3 LSer).

Dans un arrêt rendu en application de l’aLOPP et de l’aROPP, la chambre administrative avait constaté que si l’aLOPP ne traitait que de l’obligation de prêter serment imposée aux fonctionnaires de la prison, sans aborder la question de l’assermentation des stagiaires, l’assermentation d’un stagiaire découlait de l’art. 3 let. a LSer, celui-ci ayant l’obligation de rapporter à sa hiérarchie les manquements de détenus susceptibles d’entraîner une sanction (art. 20 aROPP ; ATA/543/2016 du 28 juin 2016 consid. 8).

8) En l’espèce, le recourant conteste avoir traité un agent de détention de « connard de petit maghrébin ».

Toutefois, les affirmations de l’intéressé, selon lesquelles il ne se souviendrait pas d’avoir prononcé les insultes qui lui sont reprochées et, bien qu’énervé et mécontent, aurait uniquement marmonné sans insulter le gardien, ne suffisent pas à remettre en cause les constatations figurant dans le rapport du 21 février 2017, rédigé par un stagiaire et validé par un sous-chef, ceci d’autant moins au regard du passé disciplinaire de l’intéressé. En effet, en dépit des affirmations du recourant concernant son souhait de se départir de la réputation qu’il avait à Champ-Dollon – où il avait fait l’objet de très nombreuses sanctions disciplinaires – et de faire le maximum pour éviter des dérapages, il ressort du dossier qu’il a déjà fait l’objet de trois sanctions disciplinaires, non contestées, depuis son arrivée à Curabilis, dont la dernière est un avertissement écrit infligé pour insultes le 20 février 2017, soit la veille des faits pour lesquels la sanction querellée a été prononcée. Surtout et contrairement à l’argumentation développée dans l’acte de recours de l’intéressé, les éléments de fait contenus dans le rapport du 21 février 2017 ne sont pas en contradiction avec la chronologie et les faits exposés dans ses observations du lendemain, puisqu’il y aborde bien les événements du jour précédent ainsi que la fouille, indiquant uniquement ne pas pouvoir s’excuser sur ce point en raison d’évènements qui auraient eu lieu une semaine auparavant dans sa cellule.

Or, le comportement du recourant, soit le fait d’avoir proféré des insultes contre un gardien, contrevient aux obligations incombant à tout usager de Curabilis vis-à-vis du personnel de l’établissement, telles qu’énoncées aux art. 68 et 69 al. 1 let. b et c RCurabilis.

En outre, si l’intéressé conteste implicitement avoir commis une faute en imputant des propos inadmissibles à l’agent de détention une semaine plus tôt, ces derniers ne sont aucunement établis. Au demeurant, même s’il avait été admis qu’ils correspondent à la réalité, il reviendrait au recourant de dénoncer l’agent en question et non de réagir une semaine plus tard, sans avoir effectué de dénonciation et en violant lui-même ses obligations en tant que détenu de Curabilis.

Le recourant demande également la prise en compte de son état de santé. Rien ne permet cependant de douter de sa responsabilité au moment des faits pour lesquels la sanction lui a été infligée. En effet, il ressort du rapport d’incident que le service médical a été avisé et le recourant lui-même n’allègue pas s’être trouvé en état d’irresponsabilité ou de responsabilité restreinte au moment des faits, puisqu’il conteste ces derniers en indiquant simplement que son traitement n’est pas en place et qu’il ne bénéficie que d’entretiens thérapeutiques.

Finalement, au regard du manque de respect patent, découlant de l’insulte en cause, envers le personnel, de l’absence de regrets et de remise en question et des antécédents du recourant, une amende de CHF 60.- apparaît conforme au principe de la proportionnalité.

Au vu de ce qui précède, le recourant, pleinement responsable au moment des faits, a violé le RCurabilis, de sorte que l’autorité intimée était fondée à lui infliger une amende de CHF 60.-.

La chambre administrative constatera cependant que dans un cas dans lequel où, contrairement au cas d’espèce, il y aurait des doutes sur la responsabilité d’un détenu au moment de faits ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire, la simple consultation orale d’un médecin de l’unité, non clairement dénommé et sans confirmation écrite de ses conclusions, ne pourrait suffire à écarter de tels doutes.

9) Dans ces circonstances, la décision de l’autorité intimée est conforme au droit et le recours à son encontre, entièrement mal fondé, sera rejeté.

10) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 mars 2017 par Monsieur A______ contre la décision de l’établissement de Curabilis du 23 février 2017 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Claude Aberle, avocat du recourant, ainsi qu'à l'établissement de Curabilis.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :