Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1111/2025

ATA/685/2025 du 23.06.2025 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : PROSTITUTION;MAISON DE PROSTITUTION;EXERCICE ILLICITE DE LA PROSTITUTION
Normes : LProst.8; LProst.9; Lprost.10; LProst.11; LProst.25
Résumé : Conditions pour exploiter un salon de massage. Notion de salon de massage éclaté. Exception pour la prostitution exercée à domicile (non réalisée).
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1111/2025-EXPLOI ATA/685/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juin 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Raphaël ZOUZOUT, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. A______, ressortissante hongroise née le ______ 1980, réside à Genève, au bénéfice d’une autorisation de séjour de type B depuis 2009. Son domicile officiel se trouve à la rue B______, où elle loue un appartement.

b. En 2011, l’intéressée s’est annoncée comme responsable d’un salon de massage au sens de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49). En cette qualité, elle a fait l’objet de plusieurs sanctions administratives prononcées par le département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DSES) :

-       le 19 janvier 2012 concernant le salon « C______ » à l’avenue D______, un avertissement et une amende de CHF 500.- relatifs à une prostituée hongroise non recensée et sans autorisation de travail valable, faits qu’elle a reconnus ;

-       le 6 février 2013 concernant un salon de massage à la rue E______, un deuxième avertissement et une amende de CHF 1’000.- relatifs à une autre prostituée hongroise dépourvue d’autorisation de travail, faits non contestés ;

-       le 11 septembre 2013 concernant le « F______ » à la rue G______, un troisième avertissement et une amende de CHF 2'000.- pour une prostituée hongroise exerçant sans autorisation de travail, faits non contestés ;

-       le 21 novembre 2013 concernant le « F______ », la fermeture temporaire du salon, l’interdiction d’exploiter tout autre salon de massage pour une durée d’un mois et une amende de CHF 3'000.- pour non-respect des règles sur l’établissement et la remise des quittances requises, faits non contestés ;

-       le 19 mai 2015 concernant le « H______ » à la rue I______, un quatrième avertissement et une amende de CHF 3'000.- au motif de la présence d’une prostituée exerçant sans autorisation de travail valable et qu’elle était inatteignable malgré plusieurs tentatives des inspecteurs de police ;

-       le 24 juin 2015 concernant le « H______ », un cinquième avertissement et une amende de CHF 4'000.-, pour avoir manqué à ses obligations en matière d’établissement de l’identité et du statut des travailleuses, pour n’avoir pas rempli les quittances elle-même ou les avoir remplies à l’avance et pour avoir manqué d’exploiter de manière personnelle et effective l’établissement, faits non contestés ; 

-       le 6 décembre 2016 concernant un salon non enregistré à la rue J______, la fermeture définitive dudit salon et une amende administrative de CHF 5'000.- pour y avoir placé trois travailleuses hongroises sans autorisation de travail valable, dont une travailleuse non enregistrée auprès de la police.

c. Le 26 août 2018, la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) a constaté lors d’un contrôle que deux personnes exerçaient la prostitution dans des appartements gérés par A______ à la rue K______, sans posséder d’autorisation de travail valable.

d. Par ordonnance pénale du 31 janvier 2019, l’intéressée a été condamnée à une peine pécuniaire de 180 jours‑amende avec sursis et à une amende de CHF 6'840.- pour usure et pour des infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et la loi de la fédérale sur l’assurance‑vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10). Outre la location de plusieurs appartements à des fins de prostitution au tarif de CHF 150.- par jour, la condamnation concernait l’exploitation de la réceptionniste du salon, qui travaillait 98 heures hebdomadaires pour un salaire horaire équivalant à CHF 8.50. Il ressort de l’ordonnance que A______ réalisait un revenu d’indépendante de CHF 10'000.- par mois.

e. Par décision du 7 mai 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, le DSES a ordonné la cessation immédiate par A______ de toute activité tombant sous le coup de la LProst dans des appartements sis rue K______, rue L______, rue M______ et rue N______ et lui a interdit d’exploiter tout autre salon de massage pendant dix ans, sous la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), et infligé une amende de CHF 1'000.-. L’intéressée ne se limitait pas à fournir des services de publicité (sur son site internet « O______ »), de conciergerie et des services fiduciaires-administratifs à des sous-locataires dont les activités professionnelles ne la concerneraient pas. Il résultait du rapport de police et de l’ordonnance pénale qu’elle exploitait un lieu dédié à la prostitution sous la forme d’un salon de massage « éclaté », soit constitué de plusieurs appartements dans lesquels s’exerçait la prostitution, gérés par elle de manière centralisée. Les prétendus services à des sous‑locataires consistaient en réalité à promouvoir la prostitution au travers du site internet précité, fournir le matériel nécessaire et effectuer des démarches administratives pour l’exercice de la prostitution, soit des activités relevant de la gestion et de l’exploitation d’un salon de massage. L’intéressée n’avait pas respecté l’obligation d’annonce, ne remplissait pas les conditions personnelles pour exploiter un salon et ne s’était pas assurée de ce que les travailleuses respectent la législation, notamment celle sur les étrangers.

f. Sur recours, A______ a persisté à prétendre que son activité consistait à sous-louer des appartements à des touristes ou à personnes munies d’un titre de séjour quelconque, avec un service de conciergerie et d’entretien. Un logement occupé par une seule personne s’adonnant à la prostitution n’était pas un salon de massage et la fermeture et l’interdiction d’exploitation étaient disproportionnées.

g. Le 4 septembre 2020, la BTPI a constaté qu’un salon de massage était toujours exploité à la rue K______, ce qui a conduit à l’arrestation de A______. Le 5 octobre 2020, le DSES a dénoncé les faits au Ministère public (ci‑après : MP).

h. Le 3 novembre 2020, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours contre la décision du 7 mai 2020. Le recours au Tribunal fédéral a été déclaré irrecevable.

La chambre administrative a, notamment, considéré que la notion de salon de massage devait être interprétée de manière large. Ainsi, l'organisation, sous la direction et la responsabilité de la recourante, d'une activité uniforme de mise à disposition de lieux de prostitution, avec une permanence pour les clients et une plate-forme de services (lessive, accessoires) desservant les locataires de plusieurs chambres dans des appartements distincts, ainsi qu'un site unique de promotion établissaient que cette dernière exploitait une entreprise unique au sens de l'art. 8 LProst et ne sous-louait pas séparément des appartements privés.

i. Le 18 juin 2024, la BTPI a contrôlé cinq appartements à la rue P______ et l’appartement de A______ à la rue B______. Q______, une travailleuse du sexe venue se présenter pour être recensée, avait en effet indiqué le numéro de téléphone de la précitée en lien avec l’appartement où elle exerçait, alors que l’interdiction du 7 mai 2020 était toujours applicable. Quatre personnes présentes sur les lieux avaient été entendues, à savoir Q______ (rue P______, appartement n° 4), R______ (rue P______, appartement n° 1), S______ (rue P______, appartement n° 57) et T______ (appartement de la recourante à la rue B______).

Les trois personnes à la rue P______ ont déclaré qu’elles louaient l’appartement pour y exercer une activité relevant de la prostitution, qu’elles avaient à cet effet contacté A______, qui était leur unique contact, et qu’elles lui remettaient le loyer en espèces. Selon R______, plusieurs « escortes » louaient des appartements dans l’immeuble, qu’elle recommandait aussi à des amies, et elle avait loué le même appartement plusieurs fois depuis septembre 2023. La personne qui venait chercher le loyer connaissait sa profession. S______, ressortissante hongroise sans autorisation de travail valable, avait aussi déjà loué plusieurs fois à cette adresse par le biais de la recourante, à qui elle remettait le loyer et qui lui avait dit que les appartements étaient destinés à des travailleuses indépendantes. L’appartement qu’elle avait occupé l’année précédente était sale, personne n’y ayant fait le ménage. Q______ a confirmé avoir trouvé l’appartement grâce au numéro de téléphone de la recourante. Celle-ci ne lui avait pas dit si le ménage était inclus dans le prix, mais l’appartement n’était pas très propre et qu’il y avait du linge sale dans le panier. T______ a déclaré qu’elle avait trouvé l’appartement grâce à une amie qui avait déjà loué un local par le biais de A______. Elle y exerçait la prostitution depuis le mois de novembre 2023 et n’avait pas encore d’une autorisation de travail valable. Elle payait CHF 1'050.- par semaine, ou CHF 4’200.- par mois, en espèces et recevait des quittances. Elle savait que la recourante avait d’autres appartements, mais n’avait aucun contact « avec d’autres travailleuses du sexe gérées par A______ » et gérait de manière complètement indépendante, la publicité, les prestations et leurs prix.

j. Le 15 août 2024, la BTPI a auditionné A______, assistée de son avocat. Elle ne souhaitait pas parler des faits ayant conduit à son arrestation le 20 septembre 2020, qui avait « démoli » sa vie. Elle n’avait plus de contact direct avec des travailleuses du sexe ou des responsables d’établissement. Ses seules ressources étaient son salaire de femme de ménage, entre CHF 3'000.- et CHF 5'000.‑, et elle était propriétaire d’un appartement de vacances en Espagne.

Le loyer de CHF 2'970.- étant trop élevé, elle sous‑louait son appartement, au tarif de CHF 150.- par jour, à T______, ressortissante hongroise dont elle ignorait la profession. Elle ne se souvenait pas depuis quand celle-ci y habitait, ni comment elle l’avait rencontrée. Sa sous‑locataire ne payait que quand elle était là, soit pendant de courtes périodes n’excédant pas les 90 jours autorisés par les règles « airbnb ». En attendant qu’une amélioration de sa situation lui permette de retourner dans son appartement, A______ et sa fille habitaient à une autre adresse, qu’elle refusait de communiquer.

Le bâtiment à la rue P______ appartenait à un dénommé « U______», un homme âgé de 75 ans dont elle ignorait le nom de famille, mais qu’elle connaissait depuis 2009, car elle avait habité dans l’immeuble plus de douze ans auparavant et y avait loué un appartement quand elle avait repris le travail de prostituée après le 20 septembre 2020. « U______» louait des appartements « comme une régie » et avait proposé qu’elle l’aide pour qu’il ait moins de travail. Elle ignorait s’il était actif dans le milieu de la prostitution et si des travailleuses du sexe travaillaient dans l’immeuble. Elle estimait que chacun pouvait faire ce qu’il voulait chez lui. « U______» informait les sous‑locataires des disponibilités, du prix et des conditions et leur transmettait ensuite le numéro de téléphone de la recourante. Elle assurait la maintenance de deux appartements, soit la conciergerie, le ménage, l’ouverture des portes, la remise et la récupération des clés, d’éventuelles réparations et dépannages internet, l’encaissement de loyer et la remise des quittances. Le manque d’autorisation de travail des locataires ne la concernait pas. Elle ignorait qui était Q______, mais connaissait « V______» (l’occupante de l’appartement n° 1, soit R______) et savait qu’elle se prostituait car, venue déjà plusieurs fois, celle-ci laissait l’appartement sale, avec des préservatifs et des flacons de lubrifiant dans la poubelle. Elle connaissait aussi S______, qui avait séjourné plusieurs fois dans l’appartement n° 4, mais elle ignorait si elle y exerçait la prostitution. Si, dans des messages Whatsapp, celle-ci s’enquerrait auprès de A______ des dates de disponibilité de différents appartements à la rue P______ et l’avait informée le 19 juin 2024 que la police avait « embarqué » tout le monde pour un interrogatoire, c’était parce qu’entre Hongroises, elles se parlaient.

Le tarif était de CHF 700.- par semaine, soit CHF 500.- de loyer et CHF 200.- pour le ménage. Elle établissait les quittances sans distinguer les deux montants, comme on le lui avait montré et cela correspondait à ce qui se faisait à l’époque où elle travaillait comme prostituée. Elle remettait, en principe une fois par mois, la part des loyers à « U______», qui établissait des quittances. Elle ignorait où il se trouvait actuellement et, comme il n’était pas là depuis quelques mois, elle donnait l’argent à « W______», qui agissait comme concierge et s’occupait des autres appartements dans l’immeuble. Elle s’engageait à transmettre les numéros de téléphone de « U______» et de « W______» ainsi que les quittances établies, y compris pour la part qu’elle versait à « U______».

k. Par décision sur mesures provisionnelles du 26 août 2024, le département des institutions et du numérique (ci-après : le DIN), qui a succédé au DSES, a ordonné la cessation immédiate de l’exploitation par A______ de tout salon de massage ou agence d’escorte dans le canton. Il a communiqué le rapport de police précité au Ministère public dans le cadre de l’enquête pénale en cours.

l. Dans le cadre de l’instruction, le DIN a rejeté la demande de suspension de la procédure administrative basée sur la procédure pénale toujours en cours, transmis le rapport de renseignement de la BTPI et ses annexes à la recourante et refusé d’entendre le dénomme « U______».

m. Le 31 octobre 2024, A______ a sollicité l’audition de « U______» et de « W______» et s’est déterminée au fond. Elle ne s’occupait que du ménage ou de la conciergerie, pour CHF 200.- par semaine et par appartement, et n’avait pas la qualité de bailleresse que supposait la mise à disposition d’appartements au sens de la LProst. Ne parvenant pas à en assumer le loyer, elle sous-louait son appartement à une amie, comme « une sorte d’airbnb ». Elle ne s’intéressait pas à l’activité de cette dernière, qui avait déclaré travailler de manière complètement autonome.

n. Par décision du 26 février 2025, déclarée exécutoire nonobstant recours, le DIN a, sous la menace des peines prévues à l’art. 292 CP, ordonné à A______ la cessation immédiate de l’exploitation de tout salon de massages ou agence d’escortes dans le canton de Genève et interdit une telle exploitation selon l’art. 14 al. 2 let. c LProst, soit pendant dix ans. Il lui a infligé une amende administrative de CHF 5'000.-.

B. a. Par acte remis à la poste le 26 mars 2025, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision du 26 février 2025, concluant, principalement, à son annulation et, subsidiairement, à la réduction de l’amende à CHF 500.- et au renvoi de la cause au DIN. Elle a sollicité son audition, celles de X______, Q______, S______, R______ et T______ et l’apport du dossier de la BTPI.

Elle travaillait comme femme de ménage voire, sporadiquement et uniquement sur demande, comme concierge des appartements à la rue P______, à la demande de X______, pour qui elle encaissait les loyers, qu’elle lui reversait sous déduction de sa rémunération de CHF 200.- par semaine. Simple femme de ménage, voire parfois concierge, mais non locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, elle n’avait pas qualité pour mettre ces appartements à disposition à des fins de prostitution. Il n’était pas déterminant qu’elle soit l’interlocutrice privilégiée des locataires qui, pour la plupart, parlaient hongrois comme elle. Ne pouvant assumer seule son loyer, elle sous-louait, temporairement, une partie de son appartement à une amie appartenant au milieu de la prostitution, ce qui n’était pas surprenant vu qu’elle avait été travailleuse du sexe et que son réseau de connaissances était lié à ce milieu. T______ ayant affirmé travailler seule et de manière totalement autonome, sans aucun lien avec elle, son local n’était pas considéré comme un salon de massage. Contrairement aux règles applicables, le DIN n’avait pas procédé d’office aux actes d’enquêtes nécessaires et s’était basé uniquement sur le rapport de police. Il n’avait pas sollicité la production de moyens de preuve supplémentaires, n’avait pas procédé aux auditions sollicitées et n’avait ni consulté le registre foncier ni interrogé les régies immobilières pour déterminer qui était le propriétaire, qui étaient les locataires et qui payait les loyers.

b. Le DIN a conclu au rejet du recours. Le terme « salon de massage » devait être interprété de façon très large et incluait les locaux litigieux, loués de manière prépondérante voire exclusive à des fins prostitutionnelles par la recourante, ce qui était établi de manière suffisante. Celle-ci intervenait directement dans la mise à disposition des locaux, l’encaissement des loyers et le choix des locataires, dont elle était la seule personne de contact, les personnes venant se prostituer à Genève se passant son numéro de téléphone depuis des années. Alors que la recourante avait eu la possibilité de produire, durant l’instruction et sur recours, toutes les pièces jugées utiles, elle n’avait produit aucun document établissant son activité de conciergerie ni aucune pièce établissant les versements à « U______», notamment les quittances qu’elle s’était engagée à remettre à la BTPI. Dans la mesure où elle avait la maîtrise et la jouissance de fait d’appartements, dont elle percevait les revenus, la question de savoir avec précision à quel titre elle les mettait à disposition n’était pas relevante, tout comme le fait, non établi, qu’elle puisse éventuellement partager ces revenus avec un tiers. La recourante continuait d’exploiter des appartements loués à des fins prostitutionnelles et à vouloir vivre de la prostitution, au mépris de décisions de justice exécutoires et définitives.

c. Le 20 mai 2025, la recourante a persisté dans ses conclusions.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante sollicite son audition et celle de plusieurs témoins ainsi que l’apport du dossier de la BTPI.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1). Le droit d'être entendu n'implique pas une audition personnelle de l'intéressé (ATF 140 I 68 consid. 9.6). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, la recourante a eu l’occasion de s’exprimer par écrit à plusieurs reprises au sujet des faits qui lui sont reprochés et a pu faire valoir ses arguments et produire toutes les pièces pertinentes. Elle a été entendue par la police, tout comme les témoins Q______, S______, R______ et T______. Leurs déclarations figurent dans les procès-verbaux d’audition versés à la procédure, dont les parties ont pu prendre connaissance et à propos desquels elles ont pu se déterminer par écrit, de sorte que la chambre de céans dispose d'un dossier complet. La recourante n'indique pas quels éléments les auditions sollicitées permettraient d’apporter à la solution du litige et qui n’auraient pu être présentés par écrit.

L’audition de X______ est sollicitée pour démontrer qu’il a engagé la recourante comme femme de ménage pour certains appartements à la rue P______, qu’elle encaissait les loyers pour lui et les lui reversait sous déduction de son salaire de femme de ménage. La recourante n’a produit aucun document concernant une éventuelle relation de travail avec l’intéressé, comme un contrat de travail, des fiches de salaires ou des documents d’assurances sociales. Contrairement à ce qu’elle avait annoncé à la BTPI, elle n’a pas non plus fourni les quittances relatives aux montants qu’elle aurait remis à X______. Il ne ressort pas des informations enregistrées au registre foncier que ce dernier serait le propriétaire de l’immeuble à la rue P______ et la recourante n’indique pas en quelle autre qualité il agirait comme le véritable bailleur. Dans tous les cas, pour les motifs exposés plus en détail ci-après, l’audition de l’intéressé sur ces points n’est pas de nature à modifier l’issue de la présente affaire. Les pièces pertinentes du dossier de la BTPI ayant en outre été versées à la procédure, la chambre de céans considère que le dossier est en état d’être jugé.

3.             La recourante conteste qu’elle exploite un salon de massage au sens de la LProst.

3.1 La LProst a pour principal objectif de permettre aux personnes qui se prostituent, c'est-à-dire se livrent à des actes sexuels ou d'ordre sexuel avec un nombre déterminé ou indéterminé de clients, moyennant rémunération (art. 2 al. 1 LProst), d'exercer leur activité dans des conditions aussi dignes que possible (art. 1 let. a LProst). Selon la jurisprudence, le but poursuivi par la LProst ne se confine pas à la prévention d'infractions pénales. Elle tend aussi à favoriser l'exercice conforme au droit de l'activité de prostitution dans son ensemble, ainsi qu'une gestion correcte et transparente des établissements publics actifs dans ce domaine à risque. Elle vise également le but d’intérêt public légitime de protection des personnes exerçant la prostitution contre l’exploitation et l’usure (ATF 137 I 167 consid. 5.1 ; ATA/443/2023 du 26 avril 2023 consid. 4.3 ; ATA/1373/2017 du 10 octobre 2017 et les arrêts cités).

3.2 En matière de prostitution de salon, la LProst soumet le responsable du salon à certaines obligations afin de restreindre les abus pouvant résulter de l’exploitation d’un tel établissement pour permettre l’exercice de la prostitution dans les meilleures conditions possibles et éviter l’exploitation sexuelle et la précarisation des personnes exerçant la prostitution (MGC 2008-2009/VII A 8662 et 8668).

3.2.1 La prostitution de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public, quels qu’ils soient (art. 8 al. 1 et 2 LProst). Il résulte du message du Conseil d'État du 10 mars 2009 à l'appui de la loi (alors projet de loi PL 10447) que le terme « salon » doit être interprété de façon très large et fait référence à tous les endroits soustraits à la vue du public où des personnes exercent la prostitution, tels que des appartements, studios, saunas, fitness, bains turcs, caravanes etc. (p. 21). La loi ne pose pas d'exigences quant au nombre d'utilisatrices, au nombre de pièces et au type de l'appartement. Est aussi visé le salon dit « éclaté ». Dans son arrêt rendu en 2020 concernant la recourante (ATA/1100/2020 précité consid. 4b), la chambre administrative a ainsi jugé que l’organisation, sous la direction et la responsabilité d’une personne, d’une activité uniforme de mise à disposition de lieux de prostitution, avec une permanence pour les clients et une plate-forme de services (lessive, accessoires) desservant les locataires de plusieurs chambres dans des appartements distincts, ainsi qu’un site unique de promotion constituait l’exploitation d’une entreprise unique, au sens de l’art. 8 LProst, et non des sous-locations séparées d’appartements privés.

Selon la jurisprudence (ATA/382/2024 du 18 mars 2024 consid. 3.10), le simple fait de mettre des appartements à disposition de travailleuses du sexe constitue pour celles-ci une aide précieuse, notamment compte tenu de la raréfaction des lieux de prostitution et du fait qu’elles viennent le plus souvent de l’étranger pour travailler à Genève durant de courtes périodes, si bien qu’elles doivent à chaque fois trouver rapidement un lieu pour exercer. La mise à disposition d’un choix d’appartements par un professionnel connaissant le milieu de la prostitution constitue indubitablement une aide apportée aux travailleuses du sexe et les contacts entre collègues du milieu facilitent encore l’accès aux logements. La gestion simultanée de séjours de courte durée dans différents appartements par une personne relève ainsi d’une gestion professionnelle et centralisée de lieux éclatés. La sous-location par un administré de sept appartements à un loyer similaire, fixé en général à la semaine, nettement supérieur à celui dont il s’acquittait auprès du bailleur, à des personnes dont on se doute qu’elles exercent une activité professionnelle de travailleur du sexe dans lesdits appartements, a été considérée comme l’exploitation d’un salon de massages au sens de l’art. 8 al. 1 LProst (ATA/927/2024 du 7 août 2024 consid. 3.4).

Toutefois, le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers, n'est pas qualifié de salon de massage (art. 8 al. 3 LProst). Selon le rapport de la commission judiciaire et de la police du Grand Conseil du 17 novembre 2009 chargée d'examiner le projet de loi, l'amendement de l'art. 8 al. 3 LProst a été adopté à l'unanimité moins une abstention, à la suite d’une discussion sur l'opportunité de préciser le type de local, la location ou la copropriété, et des remarques sur les précisions éventuelles quant au nombre de pièces et au nombre d'utilisatrices ou encore des utilisateurs, qui s'est achevée par le constat « qu'à vouloir apporter trop de précisions, juridiques ou géographiques, cet article deviendrait problématique » (rapport de la commission, p. 36). Il résulte des travaux préparatoires rappelés par la chambre de céans (ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 8d et les références citées) que l’exception prévue à l’al. 3 pour la personne qui exerce seule, sans recourir à des tiers, est notamment liée au risque d’exploitation moindre pour celle qui est titulaire du bail et travaille à son propre domicile que pour une personne non titulaire du bail, qui est dans une situation bien plus précaire.

3.2.2 Toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes (art. 9 al. 1 LProst). La personne qui effectue l'annonce est considérée comme responsable au sens de la LProst (art. 9 al. 4 LProst). Il s’agit la plupart du temps de la personne qui exploite le salon, qui est celle qui doit remplir les exigences en matière d'annonce (ATA/83/2024 du 23 janvier 2024 consid. 2.3). Rien n'empêche que la personne responsable exerce elle-même la prostitution (ATA/1313/2018 précité consid. 8d et les références citées ; rapport du Conseil d’État précité, p. 22). A ainsi été qualifiée de responsable de salon de massage une personne qui louait un local et le partageait avec au moins une autre prostituée contre versement d’une participation au loyer, aucun lien de subordination n’étant requis dans le cadre de l’art. 8 LProst (ATA/14/2012 du 10 janvier 2012 consid. 5).

La personne responsable d'un salon doit remplir les conditions personnelles fixées à l’art. 10 LProst. Elle doit notamment offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée (let. c) et ne pas avoir été responsable au cours de dix dernières années d’un salon ou d’une agence d’escorte ayant fait l’objet d’une fermeture ou d’une interdiction d’exploiter (let. e). S’agissant de la condition de l'honorabilité, il s'agit avant tout de déterminer si le comportement de l'exploitant est compatible avec l'activité envisagée et, selon la jurisprudence constante concernant l'autorisation d'exploiter une entreprise de sécurité, il y a lieu de tenir compte de l’importance des infractions commises, le cas échéant des actes litigieux, de la nature de l’atteinte portée, de la sphère d’intérêts touchée et de la répétition éventuelle des faits reprochés à l’intéressé (ATA/419/2006 du 26 juillet 2006 ; ATA/68/2006 du 7 février 2006 ; ATA/972/2004 du 14 décembre 2004).

3.2.3 La personne responsable d’un salon de massage doit indiquer le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (art. 9 al. 1 LProst) et communiquer immédiatement aux autorités compétentes tout changement de ces personnes ou des conditions personnelles intervenues depuis l'annonce initiale (art. 11 LProst). En plus de tenir constamment à jour un registre mentionnant l'identité, le domicile, le type d'autorisation de séjour et/ou de travail et sa validité, les dates d'arrivée et de départ des personnes exerçant la prostitution dans le salon, les prestations qui leur sont fournies et les montants demandés en contrepartie, elle doit remettre des quittances détaillées, datées et contresignées par les deux parties et s'assurer que les travailleuses ne contreviennent pas à la législation, notamment celle relative au séjour et au travail des étrangers, et qu'aucune personne mineure n'exerce la prostitution dans le salon ; elle est tenue de contrôler que les conditions d'exercice de la prostitution sont conformes à la législation et en particulier qu'il n'est pas porté atteinte à la liberté d'action des personnes qui se prostituent, que celles-ci ne sont pas victimes de la traite d'êtres humains, de menaces, de violences, de pressions ou d'usure, ou que l'on ne profite pas de leur détresse ou de leur dépendance pour les déterminer à se livrer à un acte sexuel ou d'ordre sexuel, et intervenir et alerter les autorités compétentes si elle constate des infractions dans le cadre des obligations qui lui incombent (art. 12 let. a à f LProst). Elle doit exploiter le salon de manière personnelle et effective et être facilement atteignable par les autorités compétentes, le prête-nom étant strictement interdit (let. g).

3.3 En l’espèce, plusieurs appartements à la rue P______ sont régulièrement, voire exclusivement, loués à des personnes pour y exercer la prostitution.

3.3.1 Le choix des locataires, l’absence de contrat écrit, les durées courtes de location (au jour ou à la semaine), le tarif de CHF 150.- par jour (usuel dans le domaine), les paiements en espèces ainsi que le fait que la recourante connaisse la nature de l’activité déployée et que les personnes actives dans le milieu de la prostitution se transmettent ses coordonnées depuis plusieurs années indiquent qu’il s’agit d’une activité lucrative associée à l’exercice de la prostitution et non à la sous‑location d’appartements destinés à l’habitation ou au tourisme. La proposition d’appartements à des fins de prostitution, à des conditions et des tarifs uniformes et dont la location est organisée sous la direction et la responsabilité de la même personne agissant à titre professionnel, constitue une exploitation de salon de massage dit « éclaté » au sens de la jurisprudence précitée.

3.3.2 L’activité de la recourante n’était de toute évidence pas limitée au ménage ou à la conciergerie. Elle accomplissait, personnellement et contre rémunération, toutes les activités qu’implique la mise à disposition de locaux au sens de l’art. 9 al. 1 LProst. Les travailleuses entendues par la police ont déclaré de manière concordante qu’elles la contactaient directement, que c’était elle qui se chargeait des réservations, de la remise des clés, de l’encaissement et de l’émission des quittances, soit tous les actes de gestion des appartements que doit assurer la personne responsable du salon, et qu’elles n’avaient de contact avec personne d’autre. La recourante n’a apporté aucun élément démontrant que les appartements étaient en réalité gérés par quelqu’un d’autre. Son activité comme femme de ménage n’est au demeurant pas établie, plusieurs personnes à la rue P______ ayant au contraire relevé que le ménage n’avait pas été fait dans l’appartement.

3.3.3 La recourante n’a pas démontré qu’elle agissait sur délégation ou instruction de X______. Aucune pièce au dossier ne démontre l’existence d’un rapport de travail avec cette personne, tel un contrat de travail, des fiches de salaire, des documents fiscaux ou d’assurance sociale ou encore un échange de messages dont il ressortirait qu’elle demandait ou recevait des instructions d’un employeur. Son allégation selon laquelle les sous-locataires contactaient « U______», qui les mettait en contact avec elle après avoir lui-même décidé de l’attribution des appartements, ne trouve aucun appui dans le dossier et est contredite par les personnes entendues par la police, qui ont toutes déclaré qu’elles ne connaissaient que la recourante, qu’elles contactaient et qui leur répondait directement. Alors qu’il est établi que la recourante encaissait les revenus générés par la mise à disposition des appartements, elle n’a produit aucun document démontrant qu’elle en reversait une partie à X______ à titre des loyers, alors qu’elle a déclaré devant la police que de tels justificatifs existaient et qu’elle les fournirait. L’intéressé n’est pas inscrit au registre foncier comme propriétaire de l’immeuble à la rue P______ et la recourante ne donne aucune indication relative à un éventuel autre statut qui permettrait à X______ d’agir comme bailleur.

3.3.4 Même à supposer – ce qui n’est pas établi – que X______ revêtirait, en tant que propriétaire ou locataire principal formel des appartements concernés, une des qualités mentionnées à l’art. 9 al. 1 LProst, cette disposition doit être lue compte tenu du but de protection de la loi, de la volonté exprimée clairement dans les travaux préparatoires d’appréhender de manière large les salons de massage mis au bénéfice de cette protection et des obligations mises à la charge de l’exploitant du salon. C’est la personne qui, conformément aux exigences légales et à l’interdiction du prête-nom, exploite personnellement et effectivement le salon qui a la maîtrise des locaux et le contact avec les personnes exerçant la prostitution. De ce fait, c’est elle qui est en mesure d’assumer les obligations prévues par la loi, notamment à l’art. 12 LProst, afin de réaliser les buts de celle-ci, et non le propriétaire ou bailleur au sens formel, du moins pas exclusivement.

Or, en l’espèce, la recourante avait la maîtrise des locaux mis à disposition des prostituées, prenait les décisions de gestion, s’occupait de tous les aspects pratiques et administratifs et encaissait les revenus générés par les locaux mis à disposition. Force est ainsi de constater qu’indépendamment de la question de savoir si elle est formellement propriétaire, copropriétaire, usufruitière ou locataire principal des appartements en cause, c’est la recourante qui agissait comme responsable de salon au sens de la LProst.

3.4 La recourante déployait une activité lucrative similaire concernant l’appartement à la rue B______, loué à des fins de prostitution selon le même schéma et la même logique commerciale que les autres appartements.

3.4.1 T______ a eu le numéro de téléphone de la recourante par une autre travailleuse du sexe qui avait déjà loué un appartement à celle-ci. Elle ne disposait d’aucun bail écrit et payait, en espèces, un loyer qui correspondait à un tarif usuel dans le milieu de la prostitution, appliqué non seulement à la rue P______, mais aussi dans le salon ayant fait l’objet de l’ordonnance pénale et de la décision du 7 mai 2020. Les allégations de la recourante au sujet de la nature et l’origine de ses rapports avec T______ sont dépourvues de crédibilité. Après avoir déclaré à la BTPI qu’elle n’avait plus de contact avec des travailleuses du sexe ou des responsables de salon, qu’elle ignorait la profession de sa sous-locataire et qu’elle ne se souvenait plus comment elle avait rencontré celle-ci ni depuis combien de temps elle habitait dans l’appartement, la recourante a affirmé dans son acte de recours qu’étant proche du milieu de la prostitution, elle sous-louait une partie de son appartement à une amie faisant partie de ce milieu. Il résulte des déclarations de T______ qui, contrairement à celles de la recourante, sont cohérentes, qu’il ne s’agissait nullement d’une sous‑location partielle à une amie à des fins d’habitation ni d’une location sporadique de type « airbnb » pour des périodes inférieures à 90 jours, mais bien de la mise à disposition d’un local servant durablement à l’exercice de la prostitution, qui rapportait à la recourante un bénéfice de CHF 1'230.- par mois (CHF 4'200.- mois le loyer principal de CHF 2'970.‑) depuis novembre 2023.

3.4.2 La recourante se prévaut en vain de l’exception prévue à l’art. 8 al. 3 LProst en faveur de la prostituée indépendante travaillant à domicile.

Comme l’a relevé l’autorité intimée, il ne suffit pas d’installer une travailleuse du sexe seule dans un appartement pour échapper à l’assujettissement à la LProst. T______ n’exerçait pas à son propre domicile, vu qu’elle n’était ni propriétaire ni titulaire du bail, et dépendait, pour son lieu de travail, entièrement du rapport de sous-location oral avec la recourante, ce qui, selon la jurisprudence, crée une plus grande précarité et dépendance. Il résulte en outre de la jurisprudence précitée que la simple mise à disposition d’un appartement constitue une aide précieuse à la personne exerçant la prostitution. Par conséquent, même si T______ travaillait seule et de manière autonome, l’on ne saurait considérer qu’elle exerçait « sans recourir à un tiers » et exclure pour ce motif l’application de la LProst.

3.5 C’est le lieu de relever que la recourante n’ignore nullement l’utilisation qui était faite des appartements qu’elle louait. R______ a déclaré que la recourante savait qu’elle exerçait la prostitution et que plusieurs autres « escortes » louaient des locaux à la rue P______. Interpellée par la police à propos de la quittance établie pour Q______, la recourante a admis qu’elle l’avait rédigée conformément à l’usage dans le milieu de la prostitution. La recourante a par ailleurs déclaré à la BTPI qu’elle avait elle-même loué un local à la rue P______ quand elle avait repris son activité dans la prostitution en 2020. Au stade du recours, la recourante ne conteste plus qu’elle savait que T______ exerçait la prostitution dans l’appartement qu’elle lui louait à la rue B______.

La recourante persiste toutefois à affirmer, comme précédemment, que l’activité des locataires relève de leur sphère privée et ne la concerne pas. Cet argument ne résiste pas à l’examen. Selon la loi et la jurisprudence, la personne qui met à disposition un local où est exercée la prostitution est soumise à une série d’obligations, ce dont la recourante est consciente, car du fait de son expérience, elle connaît particulièrement bien ce domaine d’activité et la réglementation applicable. La personne qui exploite un salon de massage ne saurait, en se prévalant de la sphère privée des personnes exerçant la prostitution, se soustraire aux obligations qui lui incombent selon la loi.

Au vu de ces éléments, c’est sans violer la loi ni abuser de son pouvoir d’appréciation que le DIN a qualifié la recourante de responsable de salon de massage en lien avec plusieurs appartements à la rue P______ et l’appartement à la rue B______.

4.             La recourante conteste les sanctions infligées.

4.1 Selon l'art. 14 al. 1 LProst, fait l'objet de mesures et sanctions administratives la personne responsable d'un salon qui n'a pas rempli son obligation d'annonce en vertu de l'art. 9 LProst (let. a), qui ne remplit pas ou plus les conditions personnelles de l'art. 10 LProst (let. b), qui n'a pas procédé aux communications qui lui incombent en vertu de l'art. 11 LProst (let. c) ou qui n'a pas respecté les obligations que lui impose l'art. 12 LProst (let. d). Selon la gravité ou la réitération de l'infraction, l'autorité compétente prononce (art. 14 al. 2 LProst) : l'avertissement (let. a) ; la fermeture temporaire du salon, pour une durée de 1 à 6 mois, et l'interdiction d'exploiter tout autre salon, pour une durée analogue (let. b) ou la fermeture définitive du salon et l'interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans (let. c).

La chambre administrative a confirmé la fermeture définitive d'un salon de massages pour défaut de préavis exigé par la loi (ATA/568/2023 du 30 mai 2023) ainsi que des fermetures définitives avec une interdiction d'exploiter durant dix ans, les recours ont été rejetés (ATA/934/2023 du 25 août 2023 ; ATA/791/2023 du 18 juillet 2023 ; ATA/443/2023 précité ; ATA/477/2022 du 4 mai 2022 ; ATA/1100/2020 précité; ATA/1373/2017 précité). Dans un arrêt récent, elle a jugé proportionnés la fermeture et l'interdiction d'exploiter pendant une durée de dix ans infligés à un justiciable qui, alors qu’il connaissait parfaitement la réglementation applicable, avait tenté de cacher l’exploitation d’en tout cas sept appartements à des fins de prostitution, n’avait pas communiqué cette situation spontanément au département, n’avait pas signalé le nom des personnes exerçant la prostitution dans les sept appartements et n’avait pas sollicité le changement d’affectation des locaux d’habitation et qui avait, régulièrement, retiré des revenus de plusieurs milliers de francs par mois (ATA/83/2024 précité consid. 3).

Selon la jurisprudence, la fermeture, temporaire ou définitive, est conçue davantage comme une mesure administrative, destinée à protéger l'ordre public et la liberté d'action des personnes qui se prostituent, que comme une sanction. Pour être efficace, une telle mesure doit être accompagnée d'une véritable sanction administrative consistant en une interdiction d'exploiter tout autre salon afin d'empêcher la personne concernée de poursuivre, ou reprendre, l'exploitation d'un autre établissement quelques rues plus loin (ATA/83/2024 précité consid. 3.2).

4.2 Indépendamment des mesures prononcées en vertu de l’art. 14 LProst, l'autorité compétente peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- à toute personne ayant enfreint les prescriptions de la LProst ou de ses dispositions d'exécution (art. 25 al. 1 LProst). Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale et leur quotité doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/991/2016 du 22 novembre 2016 consid. 6a ; ATA/810/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4a et la référence citée). Les dispositions de la partie générale du CP s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif (art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 - LPG - E 4 05), également en droit administratif, sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence, et l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/991/2016 précité consid. 6a ; ATA/517/2016 du 14 juin 2016 consid. 4e ; ATA/309/2016 du 12 avril 2016). L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès.

4.3 En l'espèce, le DIN a, à juste titre, constaté que la recourante a manqué à ses obligations selon la LProst. Elle ne s’est pas annoncée comme responsable de salon et n’a pas respecté les exigences des art. 11 et 12 LProst. Il est en particulier relevé que certaines personnes qui exerçaient la prostitution dans les appartements mis à disposition par la recourante n’avaient pas d’autorisation de travail valable, situation que la LProst vise précisément à éviter. Partant, le DIN était fondé à prononcer les mesures et sanctions prévues à l’art. 14 LProst.

La décision d’ordonner la cessation immédiate de l’exploitation de tout salon de massage ou agence d’escortes dans le canton de Genève est fondée au regard des art. art. 9 al. 1 et 11 ss LProst, car la recourante ne remplit pas deux des conditions personnelles nécessaires pour exploiter un salon de massage, à savoir celle de l’honorabilité au regard de ses antécédents et de son comportement et celle de ne pas avoir été responsable, au cours des dix dernières années, d'un salon ou d'une agence d'escorte ayant fait l'objet d'une fermeture et d'une interdiction d'exploiter (art. 10 let. e LProst).

L’interdiction d’exploitation pendant dix ans selon l’art. 14 al. 2 let. c LProst est apte et nécessaire pour atteindre les intérêts publics poursuivis, notamment celui de favoriser l'exercice conforme au droit de l'activité de prostitution dans son ensemble ainsi qu'une gestion correcte et transparente des établissements publics actifs dans ce domaine à risque (art. 1 LProst ; ATF 137 I 167 consid. 7.2.2 consid. 7.5, 8.2 et consid. 9.1.4 ; ATA 934/2023 précité consid. 6.8.1). Vu la gravité des infractions à la LProst et la persistance de la recourante à ignorer les sanctions dont elle a fait l’objet, aucune mesure moins incisive telle que l'avertissement ou la fermeture temporaire du salon, pour une durée de six mois, assortie d'une interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée analogue (art. 14 al. 2 let. a et let. b LProst), ne paraît suffisante. L’éventuel intérêt de la recourante à pouvoir gérer des salons de prostitution doit céder le pas à l'intérêt public au respect des conditions gouvernant l'exploitation de ces établissements, étant relevé que la recourante affirme ne plus vouloir exercer dans le domaine de la prostitution et que l'ordre de fermeture et l'interdiction d'exploiter pendant une durée de dix ans ne la privent nullement de l'exercice d’une autre activité économique. L’interdiction d’exploitation prononcée est dès lors également justifiée.

4.4 Reste à examiner le bienfondé de l’amende.

La faute de la recourante doit être qualifiée de grave. Elle a poursuivi une activité professionnelle dans le domaine de la prostitution de manière contraire à la réglementation applicable qu’elle connaît parfaitement. Elle a en effet exercé comme responsable de salon de massage dès 2011, exploité divers salons pendant plusieurs années et fait l’objet de plusieurs sanctions qui lui ont rappelé ladite réglementation, avant de se voir interdire l’exploitation pendant dix ans pour violations répétées de la LProst, y compris en exploitant un salon non enregistré. Les nombreuses sanctions administratives, la condamnation pénale en 2019 et l’enquête pénale ouverte en 2020 n’ont manifestement pas découragé la recourante de poursuivre une activité lucrative dans le domaine de la prostitution en exerçant une activité qui, sous réserve de la publicité sur un site internet dédié qu’elle gérait à l’époque, est très similaire à celle qui a donné lieu à l’interdiction prononcée en 2020, toujours valable, et en persistant à prétendre que son activité ne relève pas de la LProst, mais de l’activité immobilière respectivement du simple ménage. Elle entend ainsi profiter des bénéfices de la prostitution exercée dans les locaux qu’elle gère sans assumer les responsabilités qui y sont liées, ce qui est inadmissible, tout comme l’est sa volonté persistante de se soustraire au contrôle instauré par le législateur pour protéger les personnes exerçant la prostitution.

Le montant de l’amende, fixé à CHF 5'000.-, n’est pas disproportionné et apparaît même clément, dans la mesure où il se situe au bas de la « fourchette » prévue par l'art. 25 al. 1 LProst, qui va jusqu’à CHF 60'000.-. Il est à cet égard rappelé que l’activité lucrative que la recourante persiste à exercer lui a procuré, s’agissant de l’appartement à la rue B______, CHF 1'230.- par mois depuis le mois de novembre 2023 et que s’y ajoutent les montants gagnés en lien avec les appartements à la rue P______, pour lesquels la recourante a encaissé CHF 700.- par semaine.

Au vu de ce qui précède, les mesures et les sanctions infligées à la recourante sont fondées et respectent le principe de la proportionnalité, de sorte que l'autorité intimée n'a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d'appréciation en les prononçant.

5.             La recourante invoque les art. 19 et 20 LPA pour se plaindre de ce que l’autorité intimée n’aurait pas établi l’ensemble des faits pertinents et ni procédé aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision.

5.1 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA), sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties. Dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d'autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Mais ce principe n’est pas absolu, sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 128 II 139 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1).

5.2 En l’espèce, la recourante ne saurait être suivie quand elle reproche à l’autorité de ne pas avoir sollicité la production de moyen de preuve supplémentaires qui attesteraient notamment de sa qualité de femme de ménage. Elle avait l’obligation, et la possibilité, d’apporter les preuves pertinentes pouvant être raisonnablement exigées d’elle, aussi bien pendant l’instruction menée par le DIN que devant la chambre de céans. Comme déjà relevé, elle n’a produit aucune pièce relative à sa relation avec X______ ou au rôle joué par celui-ci, c’est-à-dire ni documents contractuels ou administratifs, ni courriels ou simples messages, ni les quittances relatives à la part des revenus générés par les appartements qu’elle lui aurait reversée alors qu’elle s’était engagée à les produire, ce qu’elle n’a pas fait sans aucune explication, y compris devant la chambre de céans. Elle reproche aussi au DIN de ne pas avoir interpellé les régies gérant l’immeuble, mais ne donne aucune indication permettant de les identifier, alors que, du fait de sa présence régulière sur place, elle peut, selon toute vraisemblance, obtenir cette information sans difficulté particulière. Quant aux auditions sollicitées, leur refus est justifié pour les motifs déjà exposés, sur lesquels il n’y a pas lieu de revenir.

Le grief sera donc écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 mars 2025 par A______contre la décision du département des institutions et du numérique du 26 février 2025 ;

au fond :

le rejette ;

 

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

 

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

 

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

 

communique le présent arrêt à Me Raphaël ZOUZOUT, avocat de la recourante, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

le greffier :