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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1723/2006

ATA/419/2006 du 26.07.2006 ( DI ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1723/2006-DI ATA/419/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 26 juillet 2006

1ère section

dans la cause

 

M. M__________

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS


 


Le 9 novembre 2005, Protectas S.A., exploitant une agence de sécurité privée à Genève, a sollicité du département de justice, police et sécurité, devenu depuis lors le département des institutions (ci-après : le DI ou le département) l'autorisation d'engager en qualité d'agent de sécurité M. M__________, né le _____ 1977, originaire du Portugal, domicilié à Genève et titulaire d'un permis d'établissement délivré le 30 mars 2004, valable jusqu'au 5 avril 2008.

2. Il résulte des renseignements transmis au département par la police que, par le passé, M. M__________ a été impliqué à trois reprises dans des incidents de la route :

a. Le 31 octobre 1999, une altercation était survenue entre un cycliste, M. F__________, et l’intéressé. Ce dernier travaillait alors en qualité de chauffeur professionnel. Il avait été déclaré en contravention pour rixe ou bataille, avait reconnu les faits et également payé la contravention de CHF 190.- qui lui avait été infligée.

Selon le rapport de police établi à l’occasion des faits précités, l’intéressé circulait sur la rue des Alpes en direction de la gare Cornavin. Alors qu'il accélérait pour passer à la phase verte, il avait aperçu, à la hauteur de la rue Lévrier, un cycliste arrêté devant le passage pour piétons. Ce dernier s'était avancé alors que le feu pour les piétons était rouge et, pour éviter de le heurter, M. M__________ avait été obligé de donner un coup de volant. M. F__________ l’avait vivement pris à partie, au motif qu’il l’avait serré de trop près. M. M__________ a indiqué aux policiers qu'il avait rétorqué : "Hé toi, petit con pourquoi tu n'es pas sur le trottoir avec ton petit vélo ?" Comme le cycliste continuait à l'insulter, il l'avait saisi par les épaules et l’avait secoué, mais sans le frapper. Quant au cycliste, il a déclaré aux gendarmes qu’il était tombé de son vélo sous la force du coup que lui avait asséné. M. M__________. Celui-ci s’en était ensuite pris à son vélo, puis l’avait frappé au visage, avant d'ajouter :"C'est dommage, j'aurais dû te shooter". M. M__________ a indiqué, pour sa part, lui avoir dit : « J’aurais pu shooter quelqu'un en perdant le contrôle de ma voiture et si ça avait été le cas, j'aurais dû te shooter ».

b. Une seconde altercation était survenue le 8 mai 2001 entre M. M__________ et un autre automobiliste, M. H__________. Saisi d’une plainte par les deux protagonistes, le Ministère public l’a classée, faute de prévention pénale suffisante.

Selon le rapport de police, M. H__________ circulait sur le quai de Cologny en direction de la ville. Des travaux étaient en cours à la hauteur de Genève-Plage et il n'avait pas remarqué que les voies de circulation déviaient sur la droite. Il avait continué tout droit et avait, de ce fait, coupé la route à M. M__________ qui circulait normalement dans la voie de gauche. Alors que les deux automobilistes continuaient leur route en direction de la ville, ils s’étaient invectivés et avaient esquissé des gestes obscènes. Excédé, M. H__________ avait soudain jeté le contenu d’une boîte de soda à l'intérieur de la voiture de M. M__________, lequel roulait fenêtres ouvertes. La signalisation lumineuse ayant passé au vert, ils avaient tous deux démarré et, à la hauteur de la rue d'Aoste, M. H__________ s’était arrêté pour s'expliquer avec M. M__________. Ce dernier habitait dans cette rue et sa famille se trouvait justement sur le trottoir. M. H__________ avait alors traité M. M__________ de « gros bébé » qui appelait sa famille à la rescousse, à la suite de quoi ce dernier l’avait frappé. M. H__________ avait alors réussi à s’emparer de son téléphone portable au moyen duquel il avait asséné des coups sur la tête de M. M__________. Peu après la police était arrivée sur les lieux.

c. Enfin, une troisième altercation avait eu lieu le 11 juin 2005 entre M. R__________ et M. M__________, suite à laquelle l’intéressé a été déclaré en contravention pour violation de l'article 37, alinéa 1, chiffre 3 de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1941 (LPG - E 4 05). Une amende de CHF 300.- lui a été infligée, qu’il a payée le 31 janvier 2006.

M. M__________ circulait en voiture sur la rue du Rhône, en direction de la place Bel-Air. A la hauteur de la rue Pierre-Fatio, il avait été dépassé par un autre automobiliste, M. R__________, qui se rendait à son domicile à la rue d'Aoste. Arrivé à destination, il était sorti de son véhicule et M. M__________, qui l'avait suivi, en avait fait autant. Selon le rapport de police, il y avait eu un échange verbal très vif entre ces deux personnes, suivi d’une bagarre. Les agents ont relevé que les deux automobilistes, tous deux blessés au cours de cet événement, avaient eu un comportement caractériel.

3. Le 10 février 2006, le département a informé Protectas S.A. qu'au vu des renseignements de police précités, il envisageait de refuser l'autorisation d'engagement sollicitée pour M. M__________, conformément à l'article 9, alinéa 1, lettre c du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 14 - ci-après  : le concordat).

4. Le 16 février 2006, Protectas S.A. a répondu que les enquêtes préalables qu'elle avait effectuées concernant ce candidat étaient très bonnes, que M. M__________ était titulaire d'une autorisation provisoire délivrée par le bureau des armes le 23 décembre 2005 et que, depuis le 25 décembre 2005, il travaillait à l'entière satisfaction de son employeur. Celui-ci souhaitait poursuivre cette collaboration de sorte qu'il maintenait sa requête.

5. Par décision du 12 avril 2006, le département a refusé l'autorisation sollicitée en se fondant sur le préavis négatif du commissariat de police. Lors des trois incidents relatés ci-dessus, M. M__________ s’était montré irascible et violent, ce qui tendait à démontrer qu'il ne parvenait pas à se maîtriser. En conséquence, il ne remplissait pas les garanties d'honorabilité requises par l'article 9 alinéa 1 lettre c du concordat pour exercer l’activité professionnelle envisagée.

Copie de cette décision a été communiquée à Protectas S.A. et à M. M__________.

6. Par acte posté le 11 mai 2006, M. M__________ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif en demandant la révision de celle-ci et l'octroi de sa carte d'agent de sécurité. Depuis le prononcé de cette décision, il était sans emploi et sans revenu. Il pensait avoir évolué positivement depuis 1999, car il était devenu père de famille et son sens des responsabilités s'était accru. Il était un bon élément et préférait le dialogue au conflit, ce que ses collègues chez Protectas S.A. pouvaient confirmer.

Revenant sur les trois incidents précités, il a admis que, face à M. F__________, il avait eu une réaction trop violente qu'il mettait sur le compte de sa jeunesse et de son impétuosité. Dans le cadre de la deuxième affaire, il a considéré avoir été davantage victime que coupable : il avait certes été agacé par les insultes de M. H__________, mais bien plus par le fait que celui-ci lance sa canette de soda sur les sièges de sa voiture, qui était son outil de travail. Quant au troisième incident, il a relevé que M. R__________ lui avait coupé la route et l'avait blessé au visage ; ce n’est pas lui qui avait déclenché la bagarre.

7. Le 15 juin 2006, le département conclut au rejet du recours en se référant à la jurisprudence du tribunal de céans. Le refus d'autorisation était justifié par un intérêt public et respectait le principe de la proportionnalité. En conséquence, la liberté économique et lucrative du recourant pouvait se voir restreinte d'une manière légitime.

8. Les parties ont été entendues en comparution personnelle le 30 juin 2006.

a. M. M__________ a déclaré qu'il avait travaillé chez Protectas S.A. du 27 décembre 2005 jusqu'à réception de la décision du département du 12 avril 2006. Le responsable de Protectas S.A. lui avait indiqué avoir obtenu une autorisation provisoire du bureau des armes le 23 décembre 2005. Il avait suivi les quinze jours de formation organisée par Protectas S.A. et il souhaitait reprendre son activité d’agent de sécurité.

S’agissant des faits qui lui étaient reprochés, il s'était acquitté des deux contraventions qui lui avaient été infligées pour les faits survenus en 1999 et en 2005 ; quant à l'affaire de 2001, elle avait été classée. Toutefois, il estimait qu’en 2001 et 2005, il n’avait fait que se défendre.

M. M__________ a encore ajouté qu’il était titulaire du permis de conduire de catégorie D1 et travaillait comme chauffeur professionnel en 2001. Il avait, depuis le 12 avril 2006, essayé de retrouver du travail dans cette profession, mais sans succès.

b. Le représentant du département a maintenu sa décision. Les directives auxquelles faisait référence l'article 9 alinéa 1 lettre c du concordat n'étaient pas diffusées, car elles n'avaient pas d'autre but que d'uniformiser la pratique entre les cantons. Le département a encore souhaité que M. R__________, dont aucune déclaration écrite ne figurait dans les rapports de gendarmerie, soit auditionné. Dans les deux autres cas, les déclarations des protagonistes étaient contradictoires.

9. Entendu le 11 juillet 2006, M. R__________ a déclaré se souvenir des faits survenus le 11 juin 2005. Il circulait en voiture sur la rue du Rhône et avait constaté que le véhicule qui le précédait, conduit par M. M__________, n'avait pas démarré alors que les feux avaient passé à la phase verte. M. R__________ avait fait des appels de phares et il avait finalement dépassé M. M__________. Il s’était rendu à la rue d'Aoste, où il habitait et avait garé son véhicule en face de son domicile. M. M__________, qu'il ne connaissait pas, l'avait suivi. Après être sorti de leur véhicule respectif, ils avaient échangé des mots "pas très gentils". M. M__________ avait essayé de lui donner un coup qu’il avait esquivé. Il lui en avait alors asséné un au moyen d’une clef. Aussitôt le père, le beau-frère, la mère et la sœur de M. M__________ étaient intervenus et avaient tenté de l'attraper. Le beau-frère avait donné des coups dans la portière du véhicule et M. M__________ avait menacé de casser son rétroviseur s'il ne sortait pas de l'allée. Finalement, la police était arrivée et tous deux avaient été déclarés en contravention. Le père de M. R__________ leur avait conseillé de s'arranger. Quant à M. M__________, il a confirmé sa déposition précédente.

Sur quoi la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Touché par la décision attaquée, M. M__________ a qualité pour agir et cela même si l'employeur requérant n'a pas recouru (ATA/444/2005 du 21 juin 2005 et les références citées).

3. A teneur de l'article 9 alinéa 1 du concordat, "l'autorisation d'engager du personnel n'est accordée que si l'agent de sécurité ou le chef de succursale :

a) est de nationalité suisse, ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou de l'Association européenne de libre échange ou, pour les ressortissants d'autres Etats étrangers, titulaire d'un permis d'établissement ou d'un permis de séjour depuis 2 ans au moins ;

b) a l'exercice des droits civils ;

c) offre, par ses antécédents, par son caractère et son comportement, toute garantie d'honorabilité concernant la sphère d'activité envisagée. La Commission concordataire édicte des directives à cet égard ;

d) est solvable ou ne fait pas l'objet d'actes de défaut de biens définitifs".

4. Selon l'exposé des motifs accompagnant le projet de loi, la nouvelle exigence d'honorabilité, critère figurant déjà dans l'ancienne législation genevoise sur les entreprises de sécurité, doit permettre d'examiner si le comportement de l'intéressé est compatible avec l'activité dont l'autorisation est requise, même si le candidat concerné n'a pas été condamné pénalement (ATA/68/2006 du 7 février 2006 ; ATA/972/2004 du 14 décembre 2004 ; ATA/686/2004 du 31 août 2004).

5. La notion d'actes incompatibles avec la sphère d'activités envisagée ou d'honorabilité fait régulièrement l'objet d'arrêts du tribunal de céans (ATA/191/2005 du 5 avril 2005). En substance, le Tribunal administratif tient compte, à cet égard, de l'importance des infractions commises, de la nature de l'atteinte portée ou de la sphère d'intérêts touchée. En règle générale, le fait de commettre des actes de violence justifie le refus de l'autorisation de travailler en qualité d'agent de sécurité. Seules des circonstances particulières, comme une activité professionnelle sans reproche pendant de nombreuses années, peuvent permettre de s'écarter de cette règle. Il résulte aussi de la jurisprudence du Tribunal administratif que celui-ci tient compte de la répétition éventuelle des faits reprochés à l'intéressé (ATA/68/2006 précité).

6. En l'espèce, les trois altercations sont du même ordre et se sont à chaque fois produites dans la circulation et dans des circonstances particulièrement banales. Le recourant ne conteste d'ailleurs pas les faits de 1999 et de 2005, puisqu'il s'est acquitté des contraventions qu'il a reçues. Quant à ceux survenus en 2001, ils sont d'une certaine gravité même si le Ministère public a classé cette procédure, faute de prévention suffisante.

Les agissements de 1999 sont relativement anciens. Ils ont cependant été suivis par des actes de même nature, en 2001 et 2005, ce qui permet de douter que le sens des responsabilités du recourant s’est accru au cours de ces dernières années.

Les faits de 2005 se sont produits l'année même où la demande d'autorisation a été déposée. Quant à ceux de 2001, le tribunal de céans, après avoir procédé à l'audition de M. R__________ - dont aucune déclaration ne figure dans le rapport de police - s'écartera de la décision des autorités pénales prises en pure opportunité, au terme d'une procédure particulièrement sommaire et sans tenir d’audience publique (arrêt du Tribunal fédéral 6A.21/2006 du 15 juin 2006).

7. Enfin, le recourant ne peut pas se prévaloir d'une longue pratique de la profession d’agent de sécurité, puisqu'il a exercé ce métier pendant moins de quatre mois, à savoir depuis le 27 décembre 2005 jusqu'à la réception de la décision litigieuse du 12 avril 2006. Il n'est pas établi qu'il ait été autorisé à travailler dans ce domaine pendant ce laps de temps, mais cette question n'est pas litigieuse. Il n'en demeure pas moins que la période en question est trop courte pour être prise en considération par le tribunal de céans au type de circonstance particulière comme dans l’ATA/68/2006 précité. En l'espèce, c'est la répétition d'actes de même nature qui est déterminante, car ils sont incompatibles avec la sphère d'activité envisagée par le recourant (ATA/909/2003 du 9 décembre 2003).

8. La décision entreprise, fondée sur une base légale suffisante, satisfait en outre au principe de proportionnalité, seule l'interdiction d'exercer la profession d'agent de sécurité étant de nature à atteindre le but visé, soit celui d'écarter les personnes qui ne sont pas dignes de confiance (ATA/894/2004 du 16 novembre 2004).

9. Enfin, l'atteinte à la liberté économique de l'intéressé est peu importante, dans la mesure où il reste libre d'embrasser toute autre profession, notamment celle de chauffeur professionnel qui était la sienne précédemment et qui n'est pas soumise à une autorisation du même type.

10. Mal fondé, le recours sera rejeté.

Afin de tenir compte de la situation du recourant, actuellement sans emploi et qui ne perçoit pas d’indemnités de chômage, un émolument réduit, de CHF 500.-, sera mis à sa charge (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mai 2006 par M. M__________ contre la décision du département des institutions du 12 avril 2006 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.- ;

communique le présent arrêt à M. M__________ ainsi qu'au département des institutions.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Hurni et Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste  adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :