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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2272/2005

ATA/68/2006 du 07.02.2006 ( JPT ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2272/2005-JPT ATA/68/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 février 2006

dans la cause

 

Monsieur S__________
représenté par Me Hervé Crausaz, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS


 


1. Le 4 avril 2005, l’entreprise Protectas S.A. a sollicité du département de justice, police et sécurité, devenu depuis lors le département des institutions (ci-après : le DI ou le département) une autorisation concordataire visant à engager Monsieur S.__________, né le __________ 1960, en qualité d’agent de sécurité privée.

2. Le 2 mai 2005, la police judiciaire a transmis au secrétaire adjoint du département un rapport, aux termes duquel M. S.__________ avait été fonctionnaire administratif de la police et avait démissionné le 30 juin 2004, suite à une enquête administrative interne. Il faisait l’objet d’une procédure pénale en cours d’instruction, ouverte suite à une infraction à la loi sur l’encouragement au sport. Il était fortement soupçonné de trafic de produits anabolisants et autres, utilisés par les adeptes du fitness et du culturisme.

A cette pièce était joint un rapport rédigé par la brigade des stupéfiants dont il résulte que M. S.__________ s’intéressait aux hormones de croissance et qu’il avait obtenu pour environ CHF 10'000.- à CHF 12'000.- de produits pris en charge par sa caisse-maladie et pour CHF 3'000.- à CHF 4'000.- de produits qu’il avait payés directement.

3. Le 1er juin 2005, le département a refusé de délivrer l’autorisation sollicitée, l’intéressé ne présentant pas toutes les garanties d’honorabilité pour la sphère d’activité professionnelle envisagée.

4. M. S.__________ a saisi le Tribunal administratif d’un recours le 29 juin 2005, en regrettant de n’avoir pu exercer son droit d’être entendu avant la reddition de la décision. Il avait travaillé pendant dix-sept ans dans les services de la police. Selon le certificat qui lui avait été remis, son travail avait donné satisfaction et il avait été apprécié par ses collègues et supérieurs. Son casier judiciaire était vierge. Il avait été entendu en qualité de témoin dans la procédure pénale mentionnée dans la décision, mais n’avait pas été inculpé. Même s’il l’avait été en raison de l’utilisation de produits dopants dans le cadre de son activité de culturiste, une telle inculpation ne l’aurait pas empêché de remplir les garanties d’honorabilité nécessaires à l’exercice de la profession d’agent de sécurité privée.

5. Le 15 août 2005, le département s’est opposé au recours. Il n’y avait pas eu de violation du droit d’être entendu, puisque le département n’entendait pas les futurs agents : le dépôt de la formule de requête et les pièces annexées suffisaient au respect de leur droit d’être entendu. Indépendamment de toute qualification pénale, les faits reprochés à M. S.__________ étaient relativement graves et inadmissibles de la part d’une personne souhaitant exercer la profession d’agent de sécurité. Le comportement litigieux avait duré pendant environ un an.

6. Le 18 août 2005, le Président du Tribunal administratif a refusé d’octroyer les mesures provisionnelles sollicitées par le recourant.

7. Le juge délégué à ordonné l’apport de la procédure pénale :

a. Dans une déclaration faite à la police judiciaire le 15 mars 2004, M. S.__________ a indiqué qu’il faisait du culturisme depuis 1976. Quelques années auparavant, au vu du résultat supérieur d’autres personnes, il avait commencé de prendre des anabolisants, ce qui lui avait permis de terminer troisième au championnat romand de 1989. Il dépensait en moyenne CHF 400.- pour obtenir des produits interdits ou illégaux. Il lui était arrivé d’en vendre à des amis.

b. Un relevé des produits obtenus par M. S.__________ à la charge de l’assurance-maladie, ainsi que des ordonnances lui ayant permis de les obtenir.

c. Un procès-verbal d’audience d’instruction du 28 octobre 2004. Entendu en qualité de témoin assermenté, M. S.__________ avait déclaré que le Dr X_____ était son médecin traitant. Il lui avait prescrit de la testostérone depuis 2003 pour pallier un déficit hormonal qui n’était pas en relation avec la pratique du culturisme. Il essayait de se faire rembourser les médicaments anabolisants pris pour des raisons médicales, mais rencontrait des difficultés.

Lors de cette audience, M. S.__________ a remis au juge d’instruction un certificat médical rédigé par un endocrinologue, aux termes duquel il souffrait d’une dysfonction érectile depuis plusieurs années et d’un mal-être généralisé, avec asthénie importante. Son taux de somatomédine C était à la limite inférieure des normes, avec une clinique compatible avec un déficit modéré en hormones de croissance. Le but du certificat était d’obtenir l’autorisation de la caisse-maladie de pratiquer des tests fonctionnels de stimulation de son hormone de croissance.

8. Le 24 octobre 2005, les parties ont été entendues en comparution personnelle.

M. S.__________ a indiqué qu’il n’était plus suivi médicalement pour déficit hormonal depuis 2004. Il avait eu des tendances dépressives après son départ de la police. La déclaration qu’il avait faite à la police le 15 mars 2004 était conforme à la vérité. Il avait vendu des produits illicites pour dépanner des amis et avait arrêté de son propre chef. Aucun reproche ne lui avait jamais été adressé sur le plan professionnel.


1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Touché par la décision attaquée, le recourant a qualité pour agir et cela même si l’employeur requérant n’a pas recouru (ATA/444/2005 du 21 juin 2005 et les références citées).

3. Le recourant se plaint d’une violation de son droit d'être entendu.

Le droit d’être entendu, garanti expressément par l’article 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) est une garantie à caractère formel dont la violation doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 119 Ia 136 consid. 2b). Cette violation est toutefois réparable devant l’instance de recours si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen des questions litigieuses que l’autorité intimée et si l’examen de ces questions ne relève pas de l’opportunité, car l’autorité de recours ne peut alors substituer son pouvoir d’examen à celui de l’autorité de première instance (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.30/2003 du 2 juin 2003 consid. 2.4 et les arrêts cités ; ATA /703/2002 du 19 novembre 2002).

Sans fondement, le grief du recourant sera écarté, l’éventuelle violation du droit d’être entendu commise par l’autorité en ne lui donnant pas l’occasion de se déterminer avant de rendre une décision négative étant en tout état réparée par la présente procédure.

4. a. A teneur de l’article 9 alinéa 1 lettre c du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (ci-après : le concordat), l’autorisation d’engager du personnel n’est accordée que si l’agent de sécurité offre par ses antécédents, son caractère et son comportement toute garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée.

b. Selon l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi, la nouvelle exigence d’honorabilité, critère figurant déjà dans l’ancienne législation genevoise sur les entreprises de sécurité, doit permettre d’examiner si le comportement de l’intéressé est compatible avec l’activité dont l’autorisation est requise, même si le candidat concerné n’a pas été condamné pénalement (ATA/972/2004 du 14 décembre 2004 et ATA/686/2004 du 31 août 2004).

c. La notion d'actes incompatibles avec la sphère d'activité envisagée ou d'honorabilité fait régulièrement l'objet d'arrêts du tribunal de céans (ATA/191/2005 du 5 avril 2005 ; ATA/894/2004 du 16 novembre 2004). En substance, le Tribunal administratif tient compte, à cet égard, de l’importance des infractions commises, cas échéant des actes litigieux, de la nature de l’atteinte portée et de la sphère d’intérêts touchée. En règle générale, le fait de commettre des actes de violence justifie le refus d’autorisation de travailler en qualité d’agent de sécurité privée ou le retrait de l’autorisation déjà délivrée. Seules des circonstances particulières, comme une activité professionnelle sans reproche pendant de nombreuses années, peuvent permettre de s’écarter de cette règle. Il résulte aussi de la jurisprudence du Tribunal administratif que celui-ci tient compte de la répétition éventuelle des faits reprochés à l’intéressé. S’agissant enfin d’un abus de confiance, le tribunal de céans a eu l’occasion de juger que cette infraction n’était pas anodine et entrait manifestement dans la notion des actes incompatibles avec la sphère d’activité envisagée, la fonction impliquant précisément que l’on puisse faire une grande confiance à ces agents (ATA/651/2002 du 5 novembre 2002).

5. En l’espèce, il ressort de l’instruction menée par le Tribunal administratif que M. S.__________ n’a été entendu dans la procédure pénale qu’en qualité de témoin. D’autre part, il ressort du certificat médical versé à la procédure pénale par le recourant le 28 octobre 2004, qu’il prenait certains produits en raison de problèmes médicaux précis. Si les reproches qui lui ont été adressés ne sauraient être banalisés, il n’en reste pas moins qu’ils doivent être relativisés. Il ne sont en effet pas en lien avec l’exercice de la profession d’agent de sécurité privée et, bien qu’ils fussent connus des autorités compétentes, il n’ont jamais donné lieu à une sanction ou une poursuite pénale.

Enfin, le Tribunal administratif ne peut pas faire abstraction des années pendant lesquelles M. S.__________ a travaillé pour la police, à la pleine satisfaction de cette dernière, ainsi qu’en témoigne le certificat de travail qui lui a été délivré.

Dans ces circonstances, le Tribunal administratif retiendra que les antécédents du recourant ne mettent pas en cause son honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée. Partant, le recours sera admis et le dossier renvoyé à l’autorité pour qu’elle délivre l’autorisation sollicitée si les autres conditions légales sont remplies.

6. Au vu de cette issue, une indemnité de procédure, en CHF 1'500.- sera allouée à M. S.__________, à la charge de l’Etat. Un émolument, en CHF 1'500.-, sera mis à la charge du département, qui succombe (art. 87 LPA).


PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 juin 2005 par Monsieur S.__________ contre la décision du département des institutions du 1er juin 2005 ;

au fond :

l’admet ;

renvoie le dossier au département des institutions dans le sens des considérants ;

met à la charge du département des institutions un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue une indemnité de CHF 1'500.- à Monsieur S.__________, à la charge de l’Etat de Genève ;

communique le présent arrêt à Me Hervé Crausaz, avocat du recourant ainsi qu'au département des institutions.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste :

 

 

S. Hüsler

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.


Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :