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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/13965/2012

AARP/155/2023 du 11.05.2023 sur JTDP/274/2022 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 12.06.2023, rendu le 19.01.2024, REJETE, 6B_797/2023, 6B_809/2023
Recours TF déposé le 12.06.2023, rendu le 19.01.2024, REJETE, 6B_809/2023, 6B_797/2023
Descripteurs : ESCROQUERIE
Normes : CP.146
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13965/2012 AARP/155/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 14 avril 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me David BITTON, avocat, MONFRINI BITTON KLEIN, place du Molard 3, 1204 Genève, et Me François CANONICA, avocat, CANONICA & ASSOCIÉS, rue François Bellot 2, 1206 Genève,

appelant,

contre le jugement JTDP/274/2022 rendu le 15 mars 2022 par le Tribunal de police,


et


LE MINISTÈRE PUBLIC
de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

B______ LTD, domicilié ______, Malte, comparant par Me C______, avocat, et
Me D______,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 15 mars 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable d'escroquerie (art. 146 du code pénal suisse [CP]) et condamné à une peine privative de liberté de 18 mois, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans).

Il a été condamné à payer à B______ LTD les sommes de :

au titre de réparation du dommage matériel

-        USD 1'742'465.-, avec intérêts à 5% dès le 3 mai 2012 ;

-        GBP 701'530.90, avec intérêts à 5% dès le 24 février 2012 ;

-        EUR 114'031.75, avec intérêts à 5% dès le 24 février 2012 ;

-        USD 107'001.55, avec intérêts à 5% dès le 24 février 2012 ;

-        CHF 64'172.95, avec intérêts à 5% dès le 24 février 2012 ;

au titre de juste indemnité pour les dépenses occasionnées par la procédure

-        CHF 752'930.-.

Les frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 23'865.85, ont été mis à la charge de A______.

b. Celui-ci entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement.

c. Le MP et la partie plaignante concluent au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

d. Selon l'acte d'accusation du 4 juin 2021, il est reproché ce qui suit à A______ :

A______ est l'actionnaire unique et le directeur de E______ SA, une société de droit suisse dont le siège social se trouve à Genève, active dans le négoce de pétrole. Il est également l'animateur ou, à tout le moins, le décideur de F______ LLP, une société de droit anglais, active notamment dans le fret de marchandise. F______ LLP est propriétaire, ou en dispose, de plusieurs bateaux sur la mer caspienne, en particulier G______ et H______.

En décembre 2011, B______ LTD, une société dont le siège social se trouvait, à l'époque des faits, aux Iles Vierges Britanniques (désormais incorporée à Malte), active dans le négoce de produits pétroliers, est entrée en contact avec I______, un employé de J______ BV, basé à Genève, en vue de l'achat d'une cargaison de diesel provenant de K______ au Turkménistan.

Initialement, B______ LTD et J______ BV étaient convenues d'une livraison de la marchandise au port de L______ (Turkménistan), selon l'Incoterm CIF (Cost Insurance & Freight) et J______ BV avait prévu d'affréter un navire de la société de A______, soit F______ LLP, ayant pour habitude de traiter avec lui pour le transport de marchandises en mer caspienne. Les termes du contrat ont ensuite été modifiés pour une livraison à bord du navire selon l'Incoterm FOB (Free On Board), le navire envisagé étant refusé en raison de son âge par les normes internes de J______ BV. J______ BV a invité B______ LTD à affréter ledit navire et a mis B______ LTD et A______ en contact.

En complément à la cargaison précitée, B______ LTD a acheté à E______ SA 300 tonnes métriques (ci-après : MT) de gasoil d'une qualité inférieure, devant être ajoutées à la cargaison de J______ BV.

Les contrats suivants ont été conclus :

-        le 14 décembre 2011, B______ LTD a conclu un contrat de vente avec E______ SA portant sur 300 MT de gasoil L-0.2-62, avec une livraison "FOB M______ (Russia) or any other caspian sea port in seller's option, to be delivered in one lot during december 2011 [ ] through vessel 'H______' " ;

-        le 15 décembre 2011, B______ LTD a acheté à J______ BV une cargaison de 2200 à 2300 tonnes de "gasoil 0.05% sulphure", livraison entre le 17 et le 20 décembre 2011 "FOB K______, Turkmenistan to the buyer's nominated vessel" ;

-        le même jour, B______ LTD a conclu avec F______ LLP un contrat d'affrètement portant sur le transport des deux cargaisons.

Le trajet prévu était le suivant :

-        livraison de la cargaison par J______ BV à bord du navire G______ au port de K______ ;

-        transbordement de la cargaison au large de M______, sur le navire H______ sur lequel la cargaison achetée à E______ SA devait aussi être livrée et mélangée à la première ;

-        transport de l'ensemble de la marchandise jusqu'au port de L______.

Le 16 décembre 2011, B______ LTD a payé à J______ BV USD 1'942'465.-, représentant 90% du prix total de la marchandise.

Le 17 décembre 2011, J______ BV a fait charger à bord du navire G______, au port de K______, la marchandise vendue à B______ LTD, soit 2'420.864 MT d'"hydropurified gas oil".

Le même jour, plusieurs sets de connaissements maritimes n° 1______ ont été émis à K______ par le capitaine du G______ (ci-après : les bills of lading initiaux). Un set portant un tampon "copy" a été adressé à B______ LTD.

A______ était convenu avec J______ BV qu'un de ses employés récupérerait les connaissements maritimes pour le compte de cette dernière et que lui-même les remettrait à B______ LTD ou à [la banque] N______ (Suisse) pour endossement en faveur de B______ LTD.

Ainsi, avec l'accord de J______ BV, A______ s'est fait remettre par l'intermédiaire d'un de ses subordonnés, les connaissements maritimes originaux par le capitaine du G______ à K______, à l'achèvement du chargement de la cargaison de B______ LTD, sans avoir l'intention de livrer ces documents à J______ BV ou à N______, contrairement à ce qui était convenu, trompant ainsi J______ BV quant à ses intentions.

À réitérées reprises, à partir du 18 décembre 2011, A______ a informé B______ LTD de ce que la livraison était retardée, au motif de prétendues intempéries, puis de défaillances techniques, et enfin de maladie du capitaine du navire, la date d'arrivée étant régulièrement repoussée.

Le 17 janvier 2012, B______ LTD a informé A______ et I______ de ce que son acheteur avait résilié son contrat en raison de la non livraison.

Le 18 janvier 2012, de nouveaux connaissements maritimes n° 2______ ont été émis et adressés à B______ LTD, en copie, incorporant prétendument la cargaison de B______ LTD (ci-après : bills of lading H______).

Le 19 janvier 2012, A______ a communiqué à B______ LTD l'arrivée de H______ au port de L______.

Malgré les multiples relances de B______ LTD, J______ BV n'a jamais obtenu de A______ la délivrance des connaissements maritimes initiaux originaux émis le 17 décembre 2011, incorporant le titre de propriété de la cargaison de B______ LTD. En conservant ces documents, A______ a acquis de la sorte le contrôle sur dite marchandise, empêchant B______ LTD d'obtenir le titre de propriété, contrairement à ce qui était convenu.

Par ailleurs, A______ a fait croire à J______ BV et B______ LTD que la cargaison de B______ LTD avait été transbordée à bord du navire H______ et mélangée avec la cargaison vendue par E______ SA.

Entre le 15 février et le 20 avril 2012, B______ LTD a rencontré A______ et ses conseils à plusieurs reprises à Genève, dans les locaux de E______ SA et ceux de J______ BV, en présence de représentants de cette dernière.

Au cours de ces réunions, afin de légitimer l'acquisition de la cargaison de B______ LTD par E______ SA, A______ a amené B______ LTD à accepter de lui revendre sa cargaison, plus précisément de la revendre à une société de domicile sous son contrôle, en lui promettant de manière mensongère que l'intégralité du prix de vente convenu lui serait payée, étant relevé que A______ détenait, seul, le contrôle de dite marchandise.

A______ a ainsi déterminé B______ LTD à conclure un contrat daté du 15 avril 2012 avec O______ LTD, incorporée dans les Iles Marshall, portant sur la vente par B______ LTD à O______ LTD de 2'420.864 MT d'"hydropurified gasoil produced by K______ oil refinery", au prix d'USD 2'170'432.53, la société venderesse croyant faussement que A______, O______ LTD ou une autre société contrôlée par A______ lui paierait la totalité du prix de vente.

A______ a également amené B______ LTD à conclure deux accords transactionnels avec J______ BV, F______ LLP et O______ LTD, par lesquels B______ LTD renonçait à réclamer à J______ BV et/ou F______ LLP une indemnité pour la valeur de sa cargaison, vu la revente à O______ LTD et la promesse de A______ de lui en payer le prix.

En réalité, A______ avait dès l'origine l'intention de s'approprier, pour le compte de E______ SA, la cargaison de B______ LTD de manière illégitime. O______ LTD ne détenait aucun actif et A______ n'avait nullement l'intention de faire verser le prix de vente convenu à B______ LTD par O______ LTD, E______ SA ou une autre société sous son contrôle.

Afin de parfaire la mise en scène lui permettant de justifier l'acquisition de la marchandise de B______ LTD par E______ SA, A______ a établi ou fait établir les contrats simulés suivants, datés du 12 avril 2012, portant sur dite cargaison :

-        un contrat de vente entre O______ LTD et une autre société de domicile sous son contrôle, P______, également incorporée aux Iles Marshall ;

-        un contrat de vente entre P______ et E______ SA.

A______ a ensuite fait livrer la cargaison de B______ LTD à Q______, une société britannique, en exécution d'un contrat "CIF AF______ [Ukraine]", conclu entre E______ SA et Q______ le 7 décembre 2011. E______ SA a reçu USD 2'484'100.- au total de la part de Q______ en paiement du prix de vente (USD 238'810.- le 22 décembre 2011 et USD 2'045'290.- le 27 avril 2012).

Alors que O______ LTD n'avait effectué aucun paiement à B______ LTD, A______ a obtenu le déchargement au port de AF______ de la cargaison qui se trouvait sur G______ entre le 28 avril et le 2 mai 2012. Les protestations de B______ LTD et ses interventions pour empêcher ce déchargement se sont avérées vaines, B______ LTD ne détenant pas les originaux des connaissements maritimes et ayant perdu le contrôle de sa cargaison.

A______ a fait transférer USD 200'000.- par E______ SA sur le compte de P______ en les livres de la banque R______, puis a fait créditer ce montant sur le compte de O______ LTD en la même banque le jour suivant, montant ensuite versé à B______ LTD. En tout et pour tout, O______ LTD a ainsi payé à B______ LTD USD 200'000.- le 16 mai 2012.

Aussi, A______ s'est approprié de manière illégitime la cargaison de B______ LTD pour le compte de E______ SA en trompant J______ BV et B______ LTD à réitérées reprises sur ses intentions et la réalité des faits d'une manière indécelable pour ces dernières. Il a de la sorte permis à E______ SA de s'enrichir du prix payé par Q______ pour la livraison de la cargaison de B______ LTD, sous déduction de USD 200'000.- versés par l'intermédiaire de P______ et O______ LTD, causant à B______ LTD un dommage d'un montant équivalent.

De la sorte, A______ :

-        s'est fait remettre les connaissements maritimes relatifs à la cargaison de B______ LTD en trompant J______ BV quant à son intention de livrer ces documents à son légitime propriétaire, obtenant le contrôle sur cette marchandise ; puis

-        a amené J______ BV à contester toute prétention de B______ LTD fondée sur le défaut de remise des connaissements maritimes, empêchant par là également que J______ BV ne se retourne contre lui, et conservant le contrôle sur la cargaison de B______ LTD.

B______ LTD a déposé plainte pénale pour ces faits le 5 octobre 2012.

L'acte d'accusation qualifie ces agissements d'escroquerie au sens de l'art. 146 al. 1 CP, subsidiairement d'abus de confiance (art. 138 CP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. De la plainte pénale déposée par B______ LTD

B______ LTD est une société constituée aux Iles Vierges Britanniques. En 2015, elle a transféré son siège social à Malte. En décembre 2021, l'actionnariat de B______ LTD était détenu par S______ (une action) et par T______ (4999 actions). T______ est l'ayant droit économique de B______ LTD. B______ LTD est également représentée par deux directeurs : U______ et V______ (pièce 10022 ss ; extrait certifié conforme du registre du commerce maltais concernant B______ LTD du 24 décembre 2021, pièce 1 du chargé de pièces du 12 janvier 2022 de B______ LTD).

La présente procédure a été ouverte suite au dépôt, le 5 octobre 2012, d'une plainte pénale de B______ LTD en lien avec les faits décrits dans l'acte d'accusation (cf. supra A.d). En substance, B______ LTD reprochait à A______ ("Du contrat de remplacement – Etat de fait directement concerné par la plainte" ; pièce 10000) d'avoir fait pression sur elle, lorsque son acquéreur s'est désisté, afin qu'elle lui substitue E______ SA, allant jusqu'à affirmer qu'à défaut, il déchargerait la cargaison dans n'importe quel port de la mer caspienne et la vendrait afin d'être remboursé des frais de surestaries encourus par F______ LLP. B______ LTD avait accepté, réalisant qu'elle n'avait aucun contrôle sur sa propre marchandise, celle-ci étant en mains de F______ LLP, elle-même contrôlée par A______. Celui-ci avait ensuite voulu intégrer O______ LTD comme acquéreur intermédiaire entre B______ LTD et E______ SA, disant qu'il contrôlait également cette société. Suite à divers événements, qui seront discutés ci-après, le contrat avait été conclu, puis A______ avait déchargé la marchandise et l'avait transmise à O______ LTD, preuve qu'il contrôlait tant E______ SA que F______ LLP et O______ LTD. Néanmoins O______ LTD n'avait jamais payé le prix de la marchandise, sous réserve d'un acompte d'USD 200'000.-. B______ LTD était victime d'une fraude commise par A______ qui avait tout fait pour la persuader qu'elle serait payée alors qu'il avait pris le contrôle sur la marchandise pour la revendre contre son gré. Cette fraude avait commencé par la proposition de vendre ladite marchandise à l'offshore O______ LTD.


 

b. De la transaction B______ LTD – J______ BV

b.a. Début décembre 2011, T______ a contacté I______ pour acheter du diesel provenant de la raffinerie de K______ [Turkménistan], entre 2400 MT et 2900 MT, à livrer à L______ [Turkménistan]. T______ et I______ avaient déjà travaillé ensemble avant que ce dernier ne rejoigne J______ BV.

b.b. Sur la base des besoins de B______ LTD et de la marchandise disponible à K______, I______ a préparé la transaction ainsi : 2400 MT proviendraient de K______, soit le solde à disposition selon un contrat conclu par J______ BV avec la raffinerie de K______ (lequel portait sur 30 KT). Comme le contrat avec dite raffinerie comportait l'obligation de livrer le fuel en Russie, il fallait faire transiter ("re-address") la marchandise par un autre port de la mer caspienne avant de la livrer à L______ (pièce 700638). Dans ce port russe, un volume de 300 MT de fuel russe L0.2-62 acheté à E______ SA devait être ajouté au diesel de la raffinerie de K______, afin de modifier la qualité de la cargaison. I______ l'a exposé en ces termes dans un courriel interne : "I need to buy 300mt of LO.2-62 to correct the quality of the last cargo. E______ SA could do it for me" (pièce 700147). Les raisons de la modification de la qualité seront discutées ci-après (cf. infra B.c.e.c et B.c.e.d).

Le schéma contractuel prévu par J______ BV était (pièce 700147) :

-        J______ BV achète FOB de K______;

-        J______ BV vend FOB à E______ SA ;

-        J______ BV rachète à E______ SA ;

-        J______ BV vend à B______ LTD à L______.

Le 9 décembre 2011, les modalités d'une vente CIF à L______ d'une quantité comprise entre 2400 et 2900 MT ont été confirmées par B______ LTD (pièce 700122). En revanche, la complexité induite par l'ajout de fuel russe et le passage par un port russe n'a pas été abordée avec B______ LTD lors de la négociation d'une vente CIF à L______.

b.c. Les termes de l'accord ont ensuite été modifiés le 13 décembre 2011 par I______ pour prévoir une vente selon les Incoterms FOB (pièce 50706). Ce changement d'Incoterms a été expliqué par les parties par les règles internes de J______ BV qui interdisaient une transaction CIF lorsque des navires de plus de 30 ans étaient affrétés, ce qui était le cas des deux navires prévus, G______ et H______.

J______ BV a adapté son contrat initial (quantité 2400 à 2900 MT) pour prévoir une quantité comprise entre 2200 et 2300 MT, puisque les 300 MT ajoutées faisaient dorénavant l'objet d'une vente distincte entre E______ SA et B______ LTD (pièces 700253 et 700254). Le prix global de l'opération comprenait l'achat de 2300 MT à J______ BV, l'achat de 300 MT à E______ SA et le transport par F______ LLP (pièces 700185 et 700188). Ce calcul a été accepté par B______ LTD (pièce 700193).

b.d. Suite aux changements d'Incoterms de CIF à FOB, B______ LTD s'est trouvée responsable du transport. I______ a recommandé de poursuivre les discussions entamées avec A______. En effet, I______ avait contacté ce dernier pour organiser le transport de la marchandise, J______ BV ayant l'habitude de recourir à ses services, en particulier depuis le Turkménistan (I______, MP, 1er septembre 2015). B______ LTD a accepté la vente FOB et la reprise du contrat d'affrètement avec F______ LLP (T______, MP, 2 mai 2013).

A______ a expliqué avoir accepté d'organiser le transport de la marchandise à la demande de I______ et requis F______ LLP de s'en charger. E______ SA n'avait signé aucun contrat avec J______ BV ou F______ LLP dans cette transaction. Le seul contrat relatif au transport était le contrat d'affrètement signé entre B______ LTD et F______ LLP. Il en avait pris connaissance. Cela était "une pratique courante" qu'une société arrange les contacts et le suivi de l'affaire, sans aucune rémunération. Il avait accepté de "rendre ce service" à J______ BV, celle-ci étant un leader dans le domaine de la vente du pétrole. La quantité acquise par B______ LTD auprès de J______ BV ne suffisant pas, B______ LTD avait demandé à E______ SA de lui vendre ce qu'il manquait (PV police, 23 janvier 2013).

Aussi, le 13 décembre 2011, I______ a transmis à T______ ses échanges avec A______ et instruit ce dernier de préparer et envoyer à B______ LTD le contrat d'affrètement et le contrat de vente de fuel russe (pièces 700198 et 700200). À partir de ce moment, A______ et B______ LTD ont échangé sans l'intermédiaire de J______ BV.

b.e. Selon B______ LTD et J______ BV, A______ s'était présenté comme le propriétaire des navires et de la société de transport F______ LLP (sur les liens de A______ / E______ SA avec F______ LLP, cf. infra B.t.e).

c. De la signature des contrats de vente et d'affrètement

c.a. Un contrat de vente entre E______ SA et B______ LTD a été signé le 14 décembre 2011 (contrat n° 1112/04-GO), un contrat de vente entre B______ LTD et J______ BV et un contrat d'affrètement entre F______ LLP et B______ LTD le 15 décembre 2011 (cf. infra B.u.b pour leur contenu). Le contrat d'affrètement incluait l'ajout du fuel russe et les détails de l'itinéraire des deux navires. Ces deux contrats ont été préparés par X______ (sur le rôle et l'employeur X______, cf. infra B.t.e).

c.b. Sur la base de ce qui précède, l'itinéraire suivant était prévu et traduit dans le contrat d'affrètement :

-        chargement sur le G______ à K______ du diesel acheté par B______ LTD à J______ BV (vente FOB) ;

-        transbordement de ce diesel sur H______ à M______ [Russie], sur lequel seraient également transbordées les 300 MT achetées à E______ SA ;

-        livraison par H______ de la totalité de la cargaison mélangée à L______.

c.c. Ainsi, le 14 décembre 2011, X______ a fait les communications suivantes, étant précisé qu'il s'agit de sa première apparition dans les échanges de courriels avec B______ LTD et J______ BV, utilisant alternativement ses adresses emails finance@E______.ch et finance@F______.com :

-        demande de précision aux fins de préparer le contrat d'affrètement et le contrat de vente de fuel russe (depuis finance@E______.ch ; pièce 700218) ;

-        envoi du contrat d'affrètement (depuis finance@E______.ch ; pièces 700220, 700222 et 700225). Le nom de F______ LLP apparaît pour la première fois dans les échanges avec B______ LTD figurant à la procédure ;

-        envoi du contrat de vente de fuel russe (pièces 700234 et 700240 ; la traduction en français contient une erreur, en ce sens qu'elle indique l'adresse email finance@F______.com au lieu de finance@E______.ch) ;

-        la facture relative au transport depuis finance@F______.com et signée "For F______ LLP" (pièces 700226 et 700229) ;

-        les projets de bill of lading et de cargo manifest (depuis finance@E______.ch ; pièces 700242 et 700244), avec copie à A______, Y______, un employé de E______, et I______.

Par courriers électroniques du même jour, A______ et B______ LTD se sont entendus sur un paiement de l'équivalent de 270 MT au lieu de 300 MT (pièce 50716).

c.d. Toujours le 14 décembre 2011, X______ a envoyé à E______ SA, F______ LLP et J______ BV :

-        la documentation pour l'acceptation du navire G______ (depuis finance@E______.ch ; courriel adressé à AA______ [employé de J______ BV au sein du département opérationnel], A______ et I______, copie à F______ LLP ["shipping department F______ LLP"] et "Z______@AP______.com"). Ce courriel n'était pas adressé à B______ LTD (pièce 700288) ;

-        il a ensuite indiqué à AA______ (mêmes destinataires que le précédent email) qu'il allait établir les bills of lading et manifest sur cette base (pièce 700295). Il a joint les projets de ces documents (pièces 700297 et 700298), lesquels avaient le contenu des connaissements n° 1______ initiaux qui seront signés et tamponnés par le capitaine du G______.

c.e.a. Parallèlement, des projets de connaissements ont été envoyé à B______ LTD, dont le contenu était différent de ceux échangés entre J______ BV et E______ SA, évoqués ci-dessus. Ils ont été validés par U______, le 15 décembre 2011, sous réserve de quelques modifications (pièces 700299 et 700302). Dits projets incorporaient les données exigées par B______ LTD le 6 décembre 2011 (pièces 700342 et 700343), soit "consignee : AB______ LTD [ ] Afghanistan for further transit by trucks via Turkmenistan to Afghanistan [ ]. Notify Party : AC______ Limited" (pièce 700035).

c.e.b. Les modifications demandées par U______ concernent la désignation de la marchandise et l'ajout des informations concernant le shipper, le port de chargement et la quantité (pièces 700313 et 700316), modifications que A______ a accepté d'effectuer (pièces 700317 et 700320). Ces modifications ont été partiellement faites, très certainement par X______, puisque l'adresse finance@E______.ch a été utilisée, s'agissant de la modification de la désignation de la marchandise ("diesel fuel
L-0.2-62
" ; chaîne de courriels "gas oil" ; pièces 700339 et 700344). Dite désignation, sur laquelle B______ LTD a beaucoup insisté, était celle exigée dans son contrat avec son acheteur final (pièce 700339).

c.e.c. Le même jour, U______ a réitéré sa demande que les projets de documents complets lui soient envoyés (pièces 700350 et 700352), ainsi que les certificats d'assurance des navires et la lettre de garantie de F______ LLP, par laquelle celle-ci devait prendre la responsabilité de l'organisation du transport de K______ [Turkménistan] à L______ [Turkménistan] et de la qualité de la marchandise devant être livrée à L______. U______ a rappelé l'importance que la qualité corresponde aux standards russes du diesel L-0.2-62, avec un taux de soufre maximum de 500 ppm ("The quality of the goods must correspond to the Russian standard Gasoil L-0,2-62, Sulphur context max 500 ppm" ; pièce 700352). X______ lui a envoyé le certificat de H______, depuis son adresse finance@E______.ch (pièces 700353 et 700359).

À cet égard, il apparaît vraisemblable que la modification de la qualité du diesel turkmène a été dictée par les besoins de B______ LTD d'acheter un fuel correspondant aux standards russes du diesel L-0.2-62, avec un taux de soufre maximum de 500 ppm. Cela expliquerait l'ajout d'une certaine quantité de fuel russe à la cargaison initiale.

Aussi, les impératifs de qualité et provenance de la cargaison ont conduit à une transaction bien spécifique, voire peu conventionnelle : deux navires (H______ et G______), transbordement à M______ [Russie], modification de la qualité/quantité de la marchandise.

c.e.d. Plus tard le 15 décembre 2011, T______ a interpellé I______ sur le contenu des connaissements maritimes reçus de A______ dans une chaîne de courriers électroniques parallèle à ceux discutés supra sous B.c.e.b (chaîne de courriers électroniques "contracts"). Les derniers projets de connaissements maritimes envoyés à B______ LTD, s'ils correspondent à ceux finalement signés par le capitaine du G______ et échangés entre J______ BV et E______ SA, ne contiennent pas les données selon les projets validés par B______ LTD (pièces 700395 et 700400).

c.f. Les points suivants du contrat d'affrètement ont été discutés :

-        le prix d'USD 39 / MT prévu dans le contrat est expliqué dans un email provenant de AD______@F______.com et signé "F______ LLP". Il inclut l'ensemble des trajets et transbordements nécessaires (du chargement à K______ au déchargement à L______, via le changement de navire à M______ et l'ajout du fuel russe). Ce courriel, produit tant par J______ BV (pièce 700249) que par B______ LTD (pièce 50292 et 50710 verso), présente une différence selon les versions produites. Dans celle provenant de J______ BV, le courriel est indiqué comme ayant été envoyé par A______ "on behalf of F______ LLP", alors que dans celle versée à la procédure par B______ LTD, le courriel provient de la boîte email de F______ LLP. Partant, il ne sera pas retenu que ces courriels proviennent de A______ ;

-        la clause traitant des frais de surestaries a provoqué une discussion entre B______ LTD, A______ et J______ BV, la première indiquant que si les conditions d'affrètement étaient standards – comme indiqué par A______ (pièce 700258) –, tel n'était pas le cas de la transaction elle-même et, partant, que cela se répercutait également sur le prix du transport (pièces 700269 et 700272). Les parties ont finalement trouvé un accord, à teneur duquel les frais de surestaries encourus au port de M______ étaient à la charge du shipowner, c'est-à-dire de F______ LLP (pièces 700277 et 700280).

c.g. Les documents suivants ont encore été envoyés par A______ à B______ LTD suite à la conclusion des contrats :

-        un projet de lettre de garantie de F______ LLP à l'attention de B______ LTD (pièces 700401 et 700403), projet qui sera suivi de la lettre formellement signée envoyée par finance@F______.com, soit très certainement X______ (pièce 700404) ;

-        la police d'assurance annuelle conclue par E______ SA (pièce 700433), répondant ainsi à la demande de U______ d'obtenir la police d'assurance pour le transport de la marchandise formulée d'abord exclusivement à F______ LLP (email adressé à finance@F______.com), puis – sans réponse – élargie à A______. À teneur de cette police d'assurance, le preneur d'assurance était E______ SA et le type d'assurance, une "cargo assurance" (pièce 700434 ss).

d. Du chargement de la cargaison à K______

Le diesel a été chargé sur le G______ la nuit du 16 au 17 décembre 2011 au port de K______ (pièce 212036). Le chargement a duré 4h15, mais l'ensemble des opérations (autorisations, inspections etc.) a duré 34h00 depuis l'arrivée du diesel à K______ jusqu'au départ du navire. La quantité et la qualité du diesel ont fait l'objet de certifications d'un organisme indépendant, AE______ (pièces 212029 ss). La cargaison n'a plus été certifiée jusqu'à sa livraison à AF______ [Ukraine]. Le capitaine du G______ a établi les bills of lading initiaux (cf. infra B.u.a pour leur contenu).

e. Des paiements effectués par B______ LTD

B______ LTD a effectué les paiements suivants :

-        le 15 décembre 2011, USD 237'870.- à E______ SA en exécution partielle du contrat 1112/04-GO ;

-        le même jour, USD 97'500.- à F______ LLP en paiement du transport de la marchandise ;

-        le 16 décembre 2011, USD 1'942'465.- à J______ BV en paiement de 90% du prix de la marchandise.

f. Des connaissements maritimes

f.a. Dès le 17 décembre 2011, de très nombreux courriels ont été échangés entre les parties concernant la position des bateaux et leur avancée selon le programme prévu (cf. infra B.g), ainsi que la remise des connaissements maritimes. Les messages au sujet des connaissements étaient échangés essentiellement entre B______ LTD et J______ BV, d'une part, et entre J______ BV et E______ SA d'autre part. Les courriels concernant les navires étaient principalement échangés entre U______ et A______ ou son agent opérationnel, Y______.

f.b. B______ LTD n'a jamais été en possession d'aucun connaissement maritime original concernant la marchandise acquise auprès de J______ BV ou celle achetée à E______ SA. De même, J______ BV n'a jamais été en possession du premier set de connaissements maritimes, soit celui qu'elle devait transmettre à B______ LTD aux termes du contrat conclu entre elles. En conséquence, B______ LTD ne détenait pas les documents incorporant les titres de propriété sur la marchandise qu'elle avait acquise et payée.

f.c. Le 19 décembre 2011, I______ a instruit AA______ d'envoyer à B______ LTD les documents suivants, lesquels avaient été transmis à J______ BV par finance@E______.ch (pièce 700501) : copie scannée du bill of lading initial et de son manifest (pièces 700502 à 700504), notice of readiness to loading (NOR ; pièce 700505), certificats de qualité et quantité émis par AE______ (pièces 700506 et 700507), ainsi que d'autres rapports et certifications. Comme discuté ci-dessus, les connaissements maritimes envoyés en copie le 19 décembre 2011 ne correspondaient pas aux projets négociés avec B______ LTD.

f.d. À partir du 20 décembre 2011, B______ LTD a demandé à AA______ les connaissements maritimes initiaux (pièce 700533), demande régulièrement renouvelée auprès de tous les intervenants. Ce dernier s'est alors adressé aux destinataires suivants pour connaître leur emplacement : finance@E______.ch, "AG______", Y______, I______, shipping department F______ LLP et Z______@AP______.com. X______ a répondu que les documents originaux se trouvaient au Turkménistan (depuis finance@E______.ch ; pièce 700539).

Le 29 décembre 2011, Y______ a envoyé un courriel à AA______ et I______, copie à A______, finance@E______.ch, Z______@AP______.com et AH______ (l'épouse de A______), dans lequel il déclarait que les documents originaux étaient chez leurs représentants à K______ ("original dosc issued for m/t G______ [ ] are in possession of our representatives at K______" ; pièce 700577).

Le 30 janvier 2012, A______ a informé J______ BV de ce que les connaissements maritimes originaux seraient à Genève dans la semaine (pièce 700722).

Le 6 février 2012, A______ déclarait à J______ BV que les connaissements maritimes initiaux étaient arrivés à Genève (pièce 700781). À teneur des échanges de courriels à la procédure, cette information est demeurée sans suite puisque J______ BV a continué à réclamer la remise desdits documents (pièces 701353 et 700865).

f.e. Au cours de l'instruction, A______ a donné les explications suivantes concernant le sort de ce premier set de connaissements maritimes :

-        devant la police, "pour des raisons inconnues", l'original du bill of lading n'avait pas pu être obtenu de la raffinerie de K______. Cela étant, ce premier set avait perdu sa force lors du transbordement de la marchandise du G______ à H______. Les courriels dans lesquels J______ BV demandait à E______ SA de fournir les connaissements devaient être compris comme une demande d'aide de J______ BV pour obtenir ces documents, car le "Turkménistan [était] un pays relativement fermé" (PV police, 23 janvier 2013) ;

-        devant le MP, il a confirmé ses précédentes déclarations, précisant qu'en autorisant le transbordement de la cargaison sur un autre navire, B______ LTD avait perdu le droit d'obtenir les originaux des connaissements maritimes. Ceux-ci portaient en effet sur une cargaison spécifique, sur un navire spécifique et n'avaient plus aucune valeur en cas de transbordement (PV MP, 24 novembre 2015, pièce 40066).

E______ SA n'avait jamais détenu des originaux des connaissements maritimes. Il fallait faire la distinction entre les originaux, portant le tampon "original" et les copies originales, soit les documents portant le tampon "copie", mais signés en original (PV MP, 24 novembre 2015, pièce 40066).

Le premier set de connaissements, portant la mention "copy", se trouvait dans les locaux de E______ SA car A______ avait demandé à l'armateur une série de documents d'embarquement, dont celui-ci. B______ LTD lui réclamait en effet le paiement de la cargaison et il avait voulu prendre connaissance de ces documents. Le scan du premier connaissement maritime se trouvant dans le serveur de son entreprise lui avait probablement été communiqué par email, soit par l'armateur, soit par J______ BV (PV MP, 24 novembre 2015, pièce 40066) ;

-        en première instance, comme la cargaison devait être transbordée dans les 48h suivant son chargement à K______, F______ LLP, B______ LTD et J______ BV avaient donné leur accord à ce que les originaux des connaissements demeurent en mains de F______ LLP (PV TP, 23 février 2022).

Interpellé sur la teneur de son courriel du 6 février 2012, A______ a expliqué que F______ LLP avait bien apporté à Genève le premier set de connaissements maritimes, mais l'avait repris. En effet, malgré la demande de F______ LLP, B______ LTD avait refusé de fournir une "letter of indemnity" suite au transbordement de G______ à H______. Par conséquent, F______ LLP ne pouvait pas remettre à B______ LTD ce premier set original, sauf à prendre le risque que B______ LTD prétende que le transbordement n'avait jamais eu lieu. Comme le transbordement était intervenu, B______ LTD n'avait plus aucun droit de demander le premier set de connaissements maritimes. En tout état, B______ LTD n'avait jamais demandé d'obtenir le deuxième set de connaissements, soit celui qui faisait suite au transbordement (PV TP, 23 février 2022) ;

-        lors des débats d'appel, A______ a précisé que les connaissements maritimes initiaux avaient été amenés à Genève par AI______. Il l'avait rencontré autour du 6 février 2012 et, ensemble, ils avaient décidé que F______ LLP conserverait ces documents même si B______ LTD ou J______ BV les demandaient. En effet, ni l'une ni l'autre n'avait le droit d'obtenir ces originaux.

g. Concernant la position des navires et l'acheteur final de la cargaison

g.a. Pour les motifs articulés infra consid. 2.7, il n'apparaît ni utile ni nécessaire à l'instruction de la cause de déterminer, à supposer que cela serait possible, précisément la position des deux navires, en particulier de H______ entre fin janvier et avril 2012. Il en va de même de la réalité du transbordement des 2420 MT turkmènes dans [le navire] H______ et de leur mélange avec les 80 MT russes. Les arguments des parties sur ce point ne seront dès lors pas discutés plus avant.

Aux termes des différents contrats et accords liant les parties, la marchandise devait être livrée à L______ [Turkménistan] en décembre 2011, ce qui n'a pas été le cas.

g.b. En tous les cas, il apparaît des échanges de courriers électroniques que le G______ était à M______ [Russie] le 21 décembre 2011 et que les deux navires n'en ont plus bougé jusqu'au 18 janvier 2012 à tout le moins.

g.c. Un dialogue entre B______ LTD et A______ / E______ SA concernant l'arrivée de H______ à L______ après chargement à M______ s'est ouvert le 19 décembre 2011.

g.c.a. A______ :

-        a régulièrement repoussé la date de livraison. Le retard était justifié d'abord par des conditions météorologiques empêchant la navigation, puis des problèmes techniques (pompes) et finalement la maladie du capitaine. Cette dernière information a été transmise par F______ LLP (AD______@F______.com ; pièces 700594 et 700595) ;

-        a envoyé régulièrement (parfois plusieurs fois par jour) les données techniques et de position communiquées selon lui par les navires (cf. notamment pièce 50765). Il ressort également des échanges que A______ a instruit son employé, Y______, de tenir B______ LTD informée de la progression des navires (pièce 50770) ;

-        a expliqué à B______ LTD le 31 décembre 2011 qu'il faisait tout ce qui était en son pouvoir et que le directeur de "leur" compagnie de navigation avait été envoyé à M______ pour accélérer les choses ("the director of our shipping company was sent to M______" ; pièces 700584 et 700587) ;

-        a envoyé le 11 janvier 2012 trois versions différentes de la position de H______. Dans une première, il a indiqué que H______ levait l'ancre, le chargement ayant été effectué le même jour, et qu'il prenait la direction de AJ______ [Azerbaïdjan] pour charger de l'eau et des vivres. La date de livraison à L______ [Turkménistan] était estimée au 15 janvier 2012 (pièces 700590 et 700591). Dans une deuxième, il a expliqué qu'il y avait 2420.864 MT à bord et que le chargement du solde devait intervenir le soir-même ou le lendemain. Dans une troisième version, il a exposé que le transbordement du G______ à H______ n'avait pas été effectué (pièce 50784 [demande d'explication de B______ LTD face aux trois versions données]) ;

-        a annoncé le 13 janvier 2012 que H______ attendait à M______ un nouveau capitaine, ainsi qu'un ravitaillement en eau et en fuel (pièces 700596 à 700599).

g.c.b. Dès le 31 décembre 2011, B______ LTD a informé E______ SA et J______ BV de ce qu'elle rencontrait des problèmes avec son acheteur (pièces 700578 ss). À partir de là, B______ LTD a notamment demandé que A______ lui transmette tous les documents originaux, une fois le chargement de la marchandise additionnelle effectué, et lui envoie déjà des copies scannées par email (pièce 50762).

g.c.c. Le 17 janvier 2012, B______ LTD a informé A______ et I______ de ce que son acheteur avait résilié le contrat puisque la marchandise n'avait pas été livrée à temps.

La cargaison de diesel était destinée à un acheteur final avec lequel B______ LTD avait conclu un contrat de vente le 13 décembre 2011, pour une livraison entre le 17 et le 20 décembre 2011 au port L______, à partir duquel le fuel devait transiter en direction de l'Afghanistan, d'une quantité comprise entre 2400 et 2900 MT de diesel. Dit contrat a été produit le 3 juin 2019 à la procédure (pièce 51359). Il a été conclu avec la société AK______ SA, sise au Canada (cf. infra B.u.b.a pour son contenu). En pièces 51372 et suivantes figure l'échange de courriels entre B______ LTD et son acheteur, la société AK______ SA, par lequel cette dernière a annulé leur contrat, faute d'information sur la date de livraison et la position des navires.

g.d. Après l'annulation du contrat par les acheteurs de B______ LTD le 17 janvier 2012, la situation de H______ se serait débloquée en quelques heures, selon la version de A______, laquelle ne sera pas discutée ici, la position du navire n'étant pas déterminante (cf. infra consid. 2.7). Le navire aurait été chargé et serait parti en direction de L______.

Le lendemain, A______ a ainsi transmis un nouveau set de connaissements maritimes, les bills of lading H______ datés du 18 janvier 2012 (cf. infra B.u.a.b). Les données contenues dans ce deuxième set, excepté celles concernant la quantité de 2'501'137 MT, étaient connues de A______ puisqu'elles correspondent aux instructions initiales de B______ LTD pour le contenu des bills of lading (pièce 700038). A______ précisait également que H______ arriverait le jour suivant à L______ (pièce 700619).

Aux dires de A______, le bill of lading n° 2______ avait été émis sur instruction de B______ LTD. Le port AL______ [Iran] était mentionné parce qu'il s'agissait du dernier port où le bateau avait stationné avant son arrivée à L______. Dans ce port, il avait dû être ravitaillé en eau et nourriture, naviguant depuis un certain temps dans la région en raison des intempéries (PV police, 23 janvier 2013).

Le 24 janvier, B______ LTD a formellement demandé par courrier à F______ LLP, avec copie à A______ et J______ BV, que les connaissements maritimes des deux cargaisons censées avoir été chargées sur H______ lui soit communiqués, soit 2420.864 MT et 80.273 MT (correspond à la soustraction des 2420.864 du chiffre de 3______ indiqué dans les bills of lading H______ ; pièce 700666), demande qu'elle avait déjà formulée avant le transbordement (cf. supra B.g.c.b).

Cela signifie bien que le trajet et la composition de la marchandise n'étaient pas clairs pour B______ LTD. Le dossier de la procédure ne contient pas de courriels ou autres documents comprenant d'éventuelles instructions de B______ LTD que H______ se rende à L______ , malgré l'annulation de son contrat avec l'acheteur final. La décision semble avoir été prise par A______ / E______ SA de mener à bon port le navire, malgré le retard et l'annulation du contrat.

g.e. Le 20 janvier 2012, le département juridique de F______ LLP (legaldept@F______.com) déclinait toute responsabilité et demandait des instructions quant au sort de la marchandise (pièce 700643).

g.f. Les parties se sont déterminées comme suit sur la livraison du fuel russe additionnel :

T______ a déclaré qu'il n'y avait eu aucune discussion ou information sur la livraison de 80 MT au lieu des 300 MT initialement prévue. Il avait appris cette modification par la procédure (PV CPAR, 13 décembre 2022).

A______ a expliqué que seules 80 MT sur les 300 MT avaient été livrées car J______ BV avait finalement fourni plus qu'initialement prévu, de sorte que B______ LTD n'avait plus besoin d'augmenter la quantité pour son acheteur final. En revanche, le besoin de modifier la qualité du diesel était toujours là. Cela avait été discuté avec B______ LTD, surtout par téléphone (PV CPAR, 12 décembre 2022). E______ SA avait acquis le fuel russe auprès de F______ LLP. Aucun connaissement maritime n'avait été émis en lien avec ce chargement (PV TP, 23 février 2022). En fait, les 80 MT nécessaires avaient été acquises auprès de l'un de ces tankers qui approvisionnent les navires en mer, à proximité des ports (PV CPAR, 12 décembre 2022, p. 12).

g.g.a. Fin janvier 2012, des discussions téléphoniques ont eu lieu entre B______ LTD, J______ BV et E______ SA sur le sort de la marchandise. Le 27 janvier 2012, A______ a résumé l'état des négociations ainsi (courriel qu'il a envoyé en copie à quatre adresses email de E______ SA soit : Y______@E______.ch, finance@E______.ch, commercial-1@E______.ch, AM______@E______.ch [pièces 700720, 700721 et 700892, traduite en français 700892.1]) :

1.       H______, avec sa cargaison de 2501 MT, avait quitté L______ pour M______ ("has already left L______") ;

2.       le G______ devait également rejoindre M______ ;

3.       2421 MT de diesel devait être derechef transbordées sur G______ ;

4.       le G______ devait décharger la marchandise à M______ ou à AN______ [Russie] une fois les connaissements maritimes initiaux et originaux délivrés et endossés, le port de déchargement devant être précisé ultérieurement par B______ LTD ;

5.       E______ SA s'occupait de la finalisation du contrat de manutention à M______ ;

6.       B______ LTD devait essayer d'arranger un transbordement à AN______ ;

7.       la marchandise, désormais sur G______, devait être vendue à des tiers.

A______ mentionnait également que E______ SA avait un acheteur ukrainien pour l'intégralité de la marchandise et indiquait le prix convenu, ainsi que la qualité ("ULSD 10 ppm").

g.g.b. B______ LTD a ratifié les trois premiers points et proposé de discuter les autres une fois reçues les informations sur les transbordements, le port de déchargement et les connaissements maritimes initiaux et originaux (pièce 700720).

h. Des pourparlers en vue de la vente à Q______

h.a. Des réunions ont eu lieu mi-février 2012 entre B______ LTD et E______ SA. J______ BV a refusé toute rencontre, tant que les connaissements maritimes n'étaient pas remis par E______ SA (pièce 10084 ; voir aussi pièces 700873 et 700882). Excepté A______, aucun représentant de F______ LLP n'était présent.

h.a.a. A______ a expliqué que, lors de ces réunions, T______ et U______ avaient essayé de le convaincre d'attaquer en justice J______ BV. E______ SA leur avait proposé de trouver un accord. Le but de E______ SA était de libérer le cargo de la marchandise, celui-ci accumulant les pénalités de retard. Le diesel pouvait uniquement être vendu en Ukraine puisqu'il ne correspondait pas aux normes européennes. E______ SA avait déjà travaillé avec l'Ukraine et "[avait] un acheteur potentiel [ ] la société Q______" (PV police, 23 janvier 2013).

h.a.b. U______ a déclaré que, lors d'un rendez-vous, A______ avait téléphoné à ses acheteurs, une société ukrainienne, en la présence des représentants de B______ LTD (PV MP, 27 août 2019).

h.b. De nombreux échanges internes à J______ BV ainsi que des courriers des avocats de B______ LTD adressés à J______ BV entre mi-février 2012 et avril 2012 figurent à la procédure. J______ BV s'est adressée à A______ à maintes reprises pour obtenir les connaissements maritimes initiaux, en vain.

h.c. Le 17 février 2012, A______ a changé de ton et écrit à J______ BV qu'il n'était pas le transporteur et était uniquement intervenu à titre amical et pour maintenir des bonnes relations, mais n'endossait aucune responsabilité. À sa connaissance, le transporteur refusait d'émettre les connaissements maritimes sur instruction de J______ BV, en l'absence de relation contractuelle avec cette dernière (pièce 700912).

i.a. Première proposition : achat en direct de Q______ à B______ LTD

Selon A______, Q______ avait refusé d'acheter directement la marchandise à B______ LTD, celle-ci étant une offshore qui lui était inconnue (PV police, 23 janvier 2013).

i.b. Deuxième proposition : rachat par E______ SA à B______ LTD

U______ a déclaré que B______ LTD avait proposé à A______ que ce dernier rachète la marchandise, comme il avait un acheteur (PV MP, 27 août 2019).

A______ a expliqué son refus par l'impossibilité pour E______ SA de financer une telle acquisition. Il ne voulait pas non plus froisser J______ BV. Il y avait déjà un litige entre B______ LTD, J______ BV et F______ LLP qui durait depuis quatre mois, alors que E______ SA avait remboursé le prix des 300 MT à B______ LTD et n'avait donc plus "de rôle à jouer" et ne voulait pas y être mêlée (PV TP, 23 février 2022). A______ a alors fait la "troisième" proposition, discutée ci-dessous.

i.c. Troisième proposition : mise en place de deux intermédiaires entre Q______ et B______ LTD, soit E______ SA et O______ LTD

T______ a déclaré que l'intervention de O______ LTD était une demande de A______, pour éviter "tout conflit d'intérêts avec J______ BV" et que les "frais de surestaries" ne lui soient pas payés. A______ s'était présenté comme le propriétaire de O______ LTD et avait précisé la contrôler. O______ LTD devait ainsi revendre la cargaison et répartir le prix de vente entre E______ SA et B______ LTD. A______ avait précisé que si B______ LTD refusait cette proposition "il irait revendre la cargaison en Iran et [qu'ils] n'en [verraient] plus la couleur" (PV MP, 2 mai 2013).

U______ n'avait eu connaissance du remplacement de E______ SA par O______ LTD dans le contrat de vente que lorsque le premier projet de contrat lui avait été présenté. A______ lui avait dit qu'il ne lui était pas possible de racheter lui-même la cargaison en raison de ses relations avec J______ BV et avait présenté une "autre de ses sociétés", soit O______ LTD, que J______ BV ne connaissait pas. "Lors de plusieurs conversations avec A______ et AM______, il [lui avait] été confirmé que O______ LTD était la propriété de A______", affirmations encore attestées en mai 2012 par des lettres de garantie au nom de O______ LTD et de F______ LLP. Pour B______ LTD, il importait peu de savoir qui achetait formellement la marchandise puisque, selon le contrat, il était prévu un prépaiement de 100% avant la livraison de la marchandise au port de destination (PV MP, 27 août 2019).

Selon A______, suite au refus de Q______ de conclure en direct avec B______ LTD, E______ SA s'était proposée comme intermédiaire. Il avait négocié avec Q______ un prépaiement à E______ SA d'environ USD 2 millions avant déchargement du cargo au port, le reste devant être payé quatre mois plus tard. O______ LTD avait été proposée par F______ LLP. En effet, celle-ci réclamait de B______ LTD USD 550'000.- et refusait de décharger la marchandise tant qu'elle n'avait pas été indemnisée. "F______ LLP devait libérer le bateau et finalement [avait] proposé de passer par la société O______ LTD qui serait là pour financer la transaction. Sans un tel tiers, il était impossible de trouver le financement" (PV police, 23 janvier 2013).

i.d. En défnitive : mise en place de trois intermédiaires entre Q______ et B______ LTD, soit E______ SA, P______ et O______ LTD

A______ a indiqué que comme O______ LTD était également une société offshore, "avec laquelle nous n'[avions] jamais eu à faire auparavant, nous ne voulions pas prendre le risque de payer cette société". E______ SA en avait informé F______ LLP. Il avait finalement été décidé de s'adresser à un intermédiaire, P______ (PV police, 23 janvier 2013). En appel, A______ a précisé qu'à l'époque, il ignorait que O______ LTD appartenait au même groupe de sociétés contrôlées par AO______ (ci-après : le groupe AP______, quand bien même AO______ a nié en appel employer le terme "AP______" ou la dénomination "AP______ TURKMENISTAN GROUP" pour évoquer ses sociétés ; PV CPAR 13 décembre 2022, p. 38). Dans tous les cas, même s'il l'avait su, il aurait néanmoins dû effectuer une due diligence, opération déjà faite pour P______, que E______ SA connaissait bien (PV CPAR, 12 décembre 2022).

U______ a déclaré que le nom de la société P______ n'avait pas été mentionné lors des discussions (PV MP, 27 août 2019).

Aucune pièce du dossier n'établit que B______ LTD aurait été informée de l'adjonction de cet intermédiaire avant de l'apprendre par la procédure.

X______ a confirmé les déclarations de A______ quant aux intermédiaires. O______ LTD avait été intercalée car Q______ ne voulait pas travailler avec B______ LTD et P______ parce que O______ LTD n'était pas connue de E______ SA. Il ne savait pas si A______ connaissait le lien entre O______ LTD et AO______ (PV CPAR, 12 décembre 2022).

j. De la réunion du 19 avril 2012

j.a. Le 19 avril 2012, une réunion a eu lieu entre F______ LLP (AM______), J______ BV (I______ et deux autres représentants), E______ SA (le prévenu et AQ______), B______ LTD (T______, U______ et V______) (A______, PV MP, 24 novembre 2015). AM______, homme de loi russe, a confirmé avoir remis une carte de visite à entête E______ SA aux représentants de B______ LTD lors de la réunion du 19 avril 2012 (PV MP, 12 octobre 2018 ; sur le rôle de AM______, cf. infra B.t.e.h).

Aux termes des déclarations de AR______, "head of trading legal" au sein de J______ BV, A______ avait été très actif en amont de la réunion du 19 avril 2012. Il était le point de contact de tous les intervenants et avait œuvré pour organiser ce rendez-vous. AR______ pensait qu'il représentait F______ LLP, mais le jour même il lui avait présenté le mandataire de F______ LLP. Lors de la réunion, A______ et AQ______ ainsi que le représentant de F______ LLP avaient agi de concert. Selon lui, A______ avait un lien avec F______ LLP (PV MP, 16 mai 2017).

j.b. Cette réunion a abouti au settlement and claim release du lendemain, aux termes duquel O______ LTD devait payer le prix plein de la vente à B______ LTD. Le contrat d'affrètement du 14 décembre 2011 était considéré comme entièrement exécuté, les parties n'ayant plus aucune prétention à cet égard, y compris s'agissant des frais de surestaries (pièce 10096). Cet accord a été modifié le 7 mai, en particulier en ce sens que O______ LTD devait indemniser F______ LLP pour les frais de surestaries encourus lors de l'exécution du contrat d'affrètement du 14 décembre 2011 (pièce 10105).

k. Des contrats Q______ – E______ SA – P______ – O______ LTD – B______ LTD

k.a. Par le biais de contrats identiques quant à la forme et quasiment identiques quant au fond (à l'exception des clauses relatives au prix et au paiement du prix), B______ LTD a vendu le diesel acheté à K______ à O______ LTD, qui l'a vendu à P______, qui l'a vendu à E______ SA, qui l'a vendu à Q______ (cf. infra B.u.c).

k.b. Tous ces contrats ont été retrouvés dans les locaux de E______ SA (pièces 205018 [P______ / E______ SA], 205022 [O______ LTD / P______], 205026 [B______ LTD / O______ LTD]). Ces contrats ont vraisemblablement été négociés entre mi-février et le 19 avril 2012. Leur signature est intervenue le 15 avril 2012, alors même qu'ils prévoyaient une vente effective entre le 12 et le 14 avril, soit à la date du – prétendu – re-chargement sur G______.

l. Du contrat entre B______ LTD et O______ LTD

l.a. Les protagonistes ont fait les déclarations suivantes au sujet de ce contrat :

l.a.a. Entendu par le MP, AM______ a affirmé avoir appris l'existence de O______ LTD lorsqu'elle avait été proposée comme la contrepartie. Il avait soumis le contrat entre O______ LTD et B______ LTD à AI______, U______ et A______. F______ LLP n'était pas particulièrement intéressée par ce contrat. Le rôle de celle-ci s'était limité à recommander l'acheteur (PV MP, 12 octobre 2018).

Il a ensuite précisé que le contrat entre O______ LTD et B______ LTD était supposé faire partie de l'accord transactionnel. F______ LLP s'engageait à livrer la cargaison en Ukraine, laquelle était vendue à O______ LTD. O______ LTD devait payer à B______ LTD le prix de la cargaison et indemniser F______ LLP. "Les frais de surestaries qu'[F______ LLP] réclamait étant dus à une mauvaise météo, elle était prête à participer et à faire un effort dans cet accord transactionnel". Personne n'avait représenté O______ LTD pendant ces négociations. "[Il] avai[t] compris que c'est F______ LLP qui représentait O______ LTD". F______ LLP avait fourni un modèle de contrat qu'il avait complété avec U______ (PV MP, 12 octobre 2018). Ainsi, la "chaîne de contrats" conclue en avril 2012 comprenait le settlement and claim release, contrat tripartite signé entre B______ LTD, F______ LLP et O______ LTD, ainsi qu'un contrat de vente conclu entre B______ LTD et O______ LTD et un contrat d'affrètement entre F______ LLP et O______ LTD (PV MP, 27 août 2019).

l.a.b. Selon la plainte pénale de B______ LTD, les pourparlers en vue de la conclusion du contrat B______ LTD / O______ LTD et sa signature ont été organisés par AM______, en sa qualité de conseiller juridique de E______ SA (pièce 10010).

U______ a précisé que les conditions du contrat entre B______ LTD et O______ LTD stipulaient que le paiement de la cargaison soit immédiat, à l'arrivée de la marchandise (PV TP, 23 février 2022).

Selon T______, le prix avait été fixé avec O______ LTD de manière à comprendre le prix payé par B______ LTD à J______ BV, plus les frais de surestaries ou le remboursement des 300 MT. "Ce dont [il se souvenait] c'[était] que A______ [avait] revendu cette marchandise à plus de USD 2'500'000.-, car le cours du marché avait monté entre-temps et [avait] gardé la différence pour lui, en prétextant des frais de surestaries" (PV MP, 2 mai 2013).

l.a.c. Selon A______, B______ LTD et O______ LTD avaient discuté sans l'intermédiaire de E______ SA. Il n'était que parfois en copie des communications. Il avait néanmoins pris connaissance du contrat entre B______ LTD et O______ LTD, lequel prévoyait que la somme de USD 2.2 millions devait être payée à B______ LTD 10 jours bancaires après le déchargement dans le port de AF______ [Ukraine] (PV police, 23 janvier 2013).


 

m. Du contrat entre Q______ et E______ SA

Q______ et E______ SA ont conclu un premier contrat n° 4______ le 7 décembre 2011, lequel n'avait pas été exécuté (pièce 205004). Par accord du 17 avril 2012, ils ont modifié ce contrat (pièce 10111 ; cf. infra B.u.c.d pour le contenu de ces deux accords).

n. Du sort du contrat du 14 décembre 2011 entre B______ LTD et E______ SA

Par accord du 16 avril 2012, E______ SA et B______ LTD ont annulé le contrat du 14 décembre 2011 n° 5______ et décidé du remboursement par E______ SA à B______ LTD de la somme d'USD 241'024.22 (soit le prix payé par B______ LTD [USD 237'870.-] + 4% d'intérêts par année [arrêtés à USD 3'154.22] ; pièce 10070). Le 7 mai 2012, B______ LTD a déclaré ne plus avoir aucune prétention envers E______ SA à cet égard (pièce 10071).

Cela étant, le dossier de la procédure ne contient pas la preuve de ce remboursement. Certes, E______ SA a bien payé USD 200'000.- le 2 mai 2012 à P______, qui les a versés à O______ LTD, qui a transféré le montant à B______ LTD le 16 mai 2012 avec l'indication : "inv 6______, DD 23.4.12, guarantee letter DTD 8.5.12, amendment to settlement DD 7.5.12. For Gasoil" (pièce 31044). Partant, ce versement est un acompte sur le paiement de la facture d'achat de la cargaison.

o. Du sort des 80 MT "ajoutées" à la cargaison turkmène

A______ a expliqué que les 80 MT étaient restées sur H______ suite au transbordement des 2420 MT sur G______ et avaient été vendues à F______ LLP, qui les avait initialement cédées à E______ SA. À son souvenir, F______ LLP les avait utilisées comme carburant (PV MP, 24 novembre 2015).

Cela était démontré par la différence du taux de soufre entre le diesel chargé à K______ [Turkménistan] (taux de soufre de 5 ppm) et celui déchargé à AF______ [Ukraine] (taux de soufre de 13 ppm). L'augmentation du taux de soufre était bien due à l'adjonction des 80 MT (PV CPAR, 12 décembre 2022).

X______ a déclaré lors des débats d'appel : "ces 80 MT n'ont pas été chargées. Elles n'étaient pas à l'arrivée à AF______. Non, je veux dire elles ont bien été chargées, mais ensuite nous avons dû les récupérer. [ ] les 80 MT sont restées sur H______. Enfin c'est ce que je pense" (PV CPAR, 12 décembre 2022).


 

p. Du paiement du prix de vente

p.a. Suite aux différents accords et à la réunion du 19 avril 2012, B______ LTD a établi une facture le 23 avril 2012, adressée à O______ LTD, d'un montant d'USD 2'170'432.53 (pièce 10099).

Entre le 25 et le 27 avril 2012, B______ LTD a envoyé quatre courriers formels exigeant le paiement immédiat de sa facture du 23 avril 2012 et instruit de ne pas décharger la marchandise sans son accord préalable (pièces 10100, 10102, 10103 et 10104). Le 25 avril 2012, un courriel était envoyé depuis l'adresse O______@O______.com demandant à B______ LTD de transmettre le contrat signé ainsi que la facture (pièce 50164).

Les parties ont expliqué que, le 26 avril 2012, faute de paiement, B______ LTD avait déposé une demande d'arbitrage auprès du Tribunal de BW______ [Russie] afin de faire immobiliser le bateau. Le bateau n'avait été retenu que quelques heures. B______ LTD avait sommé A______, en sa qualité de représentant de F______ LLP, de ne pas décharger la marchandise à AF______, tant que le prix n'était pas payé (T______, PV MP, 2 mai 2013).

A______ a exposé que B______ LTD avait ensuite introduit une procédure auprès d'un tribunal ukrainien dans le but d'empêcher le déchargement. Q______ avait dû prouver avoir bien acquis la marchandise, et celle-ci avait finalement pu être déchargée (PV police, 23 janvier 2013).

p.b. Q______ a effectué les paiements suivants à E______ SA en exécution du contrat n° 4______ du 7 décembre 2011 et de son avenant du 17 avril 2012 :

-        USD 238'810.- le 22 décembre 2011 (pièce 330035) ;

-        USD 2'045'290.- le 27 avril 2012 (pièce 330037).

Le solde d'USD 238'290.- (USD 2'522'390.- – USD 2'484'100.-) n'aurait pas été payé selon A______ (PV TP, 23 février 2022).

A______ a expliqué que le paiement initial de Q______ en décembre 2011, correspondant à environ 10% du total, devait garantir la bonne exécution de sa prestation. Une fois l'acompte reçu, E______ SA avait commencé les démarches auprès du terminal de M______. Le problème technique rencontré au port avait eu pour conséquence que le contrat avait été mis en attente en janvier (PV TP, 23 février 2022) ou en février/mars (PV CPAR, 12 décembre 2022). Q______ n'avait pas demandé de remboursement. Entre temps, ils avaient conclu une autre transaction qui s'était déroulée sans encombre, laquelle portait sur plus d'USD 5 millions, de sorte qu'un climat de confiance régnait (PV CPAR, 12 décembre 2022).

p.c. E______ SA s'est acquittée de la facture n° 7______ du 14 avril 2012 d'USD 2'510'435.97 (pièce 205031), soit le prix convenu avec P______, en neuf fois entre le 27 juillet et le 5 octobre 2012. Partant, E______ SA a versé à P______ davantage que ce qu'elle indique avoir reçu de Q______.

p.d. P______ n'a pas payé le prix convenu à O______ LTD et O______ LTD n'a pas payé la facture de B______ LTD du 23 avril 2012 n° 6______ d'un total d'USD 2'170'432.53 (pièce 205030), excepté l'acompte d'USD 200'000.- du 16 mai 2012 (pièce 31044).

p.e. À teneur des éléments au dossier, O______ LTD n'a pas non plus payé de frais de fret à F______ LLP. Il sera ici précisé que le prix de vente a augmenté entre chaque contrat. S'il a été évoqué que cela devait être pour couvrir les frais de surestaries encourus par F______ LLP, celle-ci ne paraît pas avoir été indemnisée par O______ LTD, P______ ou E______ SA.

p.f. Les parties se sont déterminées comme suit s'agissant du non-paiement du prix à B______ LTD :

p.f.a. A______ a expliqué que E______ SA n'avait pas versé le prix de la vente à P______ à réception du montant payé par Q______, car B______ LTD avait déjà essayé de bloquer le navire et A______ ne savait pas si la cargaison allait pouvoir être déchargée à AF______ (PV TP, 23 février 2022). Le paiement de la cargaison (de Q______ à E______ SA, puis de E______ SA à P______, puis de P______ à O______ LTD) devait intervenir dans les quatre mois suivant le déchargement. "Tout le monde savait qu'il y avait un problème avec cette cargaison. Personne ne savait à quoi cela allait aboutir car B______ LTD avait demandé le remboursement de la marchandise à J______ BV. Si J______ BV avait payé B______ LTD, B______ LTD n'aurait plus eu de prétentions à faire valoir. Quelqu'un d'autre que B______ LTD aurait pu avoir des prétentions". Le paiement de E______ SA à P______ avait été fait en plusieurs tranches pour de simples questions comptables (PV TP, 23 février 2022). B______ LTD n'avait pas été contrainte de signer avec O______ LTD, elle avait été complètement irrationnelle dans la gestion de ce dossier et ses demandes (PV CPAR, 12 décembre 2022).

p.f.b. T______ a indiqué s'être adressé à A______, dès le moment où B______ LTD s'était rendue compte de ce que O______ LTD n'avait pas payé sa facture, lequel lui avait répondu qu'il n'avait aucune coordonnée chez O______ LTD et qu'il ne pouvait rien faire (PV MP, 2 mai 2013).

Par la suite, A______ les avait menacés, U______ et lui, d'introduire des poursuites judiciaires sans fin et que cette "histoire allait [leur] coûter plus cher en frais d'avocat de sorte qu'[ils avaient] intérêt à simplement attendre qu'il [les] paie selon son bon vouloir" (PV MP, 2 mai 2013).

q. Du trajet de la marchandise vendue à Q______

q.a. Selon A______, le second transbordement de la quantité de 2420 MT, cette fois-ci de H______ sur G______, avait eu lieu à M______ le 14 avril 2012. Le même jour, G______ avait pris la mer en direction de AF______, avant même la signature des contrats de vente de la cargaison (PV police, 23 janvier 2013).

q.b. Un troisième set de connaissements maritimes a été établi à une date indéterminée. Il porte le même numéro que le premier set et la même date (ci-après : les bills of lading G______ ; cf. infra B.u.a.c). A______ a admis qu'il avait été antidaté. Ce troisième set mentionne O______ LTD comme shipper et comme consignee. Le reste des données est identique aux connaissements maritimes initiaux.

Selon A______, la mention des mêmes quantités dans le premier et le troisième set de connaissements maritimes devait faciliter le passage de la douane et éviter des questions de la part des autorités (PV TP, 23 février 2022).

r. De l'arrivée de G______ à AF______ et du déchargement

r.a. Le 28 avril 2012, G______ est arrivé à AF______.

r.b. Le 30 avril, U______ a rencontré A______ à Genève. A______ lui avait présenté le swift du paiement de Q______ à E______ SA et avait soutenu que la marchandise devait être déchargée de toute urgence afin d'éviter des frais de surestaries. L'argent serait immédiatement transféré à B______ LTD dès réception par E______ SA (pièces 40236 et 10084). Il n'avait pas fait état de ce que le paiement se trouvait déjà, depuis trois jours, sur le compte bancaire de E______ SA auprès de AS______ (pièces 3300037 et 330044). B______ LTD avait néanmoins maintenu son interdiction de décharger la marchandise et l'avait adressée tant à E______ SA qu'à F______ LLP (U______, PV MP, 27 août 2019).

r.c. Entre le 30 avril et le 2 mai 2012, la marchandise a été déchargée du G______ (durée du déchargement : 44h05 selon le laytime statement ; pièce 205016).


 

s. Des discussions ultérieures J______ BV – E______ SA et J______ BV – B______ LTD

s.a. Dans un échange interne du 12 juillet 2012, AR______ a informé I______ de ce que l'avocat de A______ proposait à J______ BV de lui fournir des informations et des documents (notamment le contrat entre B______ LTD et O______ LTD) si J______ BV s'engageait à ne pas poursuivre les sociétés de A______ ("A______'s companies" ; pièce 701138).

s.b. Après de nombreux échanges, J______ BV et B______ LTD sont finalement parvenues à un accord le 3 juillet 2013, par lequel J______ BV s'engageait à payer à B______ LTD USD 47'800.- pour solde de tout compte (pièces 701269, 701308 et 701329). Cet accord parvient quasiment à la même solution qu'un projet de settlement agreement d'avril 2012 entre B______ LTD, J______ BV, F______ LLP et E______ SA, prévoyant un paiement de CHF 46'000.-, lequel n'a jamais été signé (pièce 50864).

Selon T______, B______ LTD avait accepté cette solution en raison des doutes sur le transbordement. A______ soutenait qu'il avait eu lieu (sans l'avoir attesté) ce qui avait pour conséquence que J______ BV avait refusé toute responsabilité (PV TP, 23 février 2022).

t. De certains protagonistes et leurs liens

t.a. A______ – E______ SA

A______ a expliqué avoir été coactionnaire de AP______ TURKMENISTAN LTD entre 2005 et 2009 (PV TP, 23 février 2022).

Il était l'actionnaire unique et le directeur général de E______ SA depuis 2008. Le but de sa société était la "vente des produits pétroliers" dans les régions de la mer caspienne, de la mer noire et de la mer méditerranée. E______ SA était principalement une entreprise de négoce. Il organisait parfois le transport de marchandises sur la base d'un contrat d'affrètement (PV MP, 24 novembre 2015 ; PV police, 23 janvier 2013).

t.b. B______ LTD

T______ a déclaré être actif dans le négoce de pétrole depuis 1998. Il travaillait pour B______ LTD depuis 2005. Les activités de B______ LTD se concentraient autour de la mer baltique et la marchandise était principalement livrée en Asie centrale (PV MP, 2 mai 2013).

Il avait déjà collaboré à plusieurs reprises avec I______ qu'il connaissait depuis 2007, mais c'était sa première transaction avec J______ BV. Dans les contrats conclus auparavant avec I______, il n'avait pas à se soucier du choix de l'affréteur, le transport maritime étant compris dans le prix et organisé par le vendeur (vente CIF ; PV MP, 2 mai 2013).

t.c. Q______

Q______ est une société britannique constituée en ______ 2011 dont les associés sont deux sociétés des Seychelles (pièce 330019).

t.d. A______/E______ SA – J______ BV

t.d.a. Avant l'opération en cause, A______ avait déjà travaillé avec J______ BV. La marchandise était généralement acquise auprès de la filiale locale de J______ BV et revendue à J______ BV après le transport. Parfois, elle était vendue à des clients de E______ SA. E______ SA s'occupait en tout cas de l'affrètement et de l'assurance (PV CPAR, 12 décembre 2022).

t.d.b. I______ a déclaré avoir rencontré A______ lorsqu'il avait été engagé chez J______ BV en 2011, celui-ci travaillant déjà avec son employeur à ce moment-là. A______ était un partenaire contractuel de J______ BV, qui assurait des fonctions de transport et d'autres "petits services, notamment le chargement dans les ports". En pratique, J______ BV vendait la marchandise à la société de A______ et la rachetait au port d'arrivée. À sa connaissance, J______ BV n'avait jamais signé de contrat de fret avec la société de A______, E______ SA. A______ ou une de ses sociétés n'étaient pas formellement des agents de J______ BV au Turkménistan. En revanche, il assurait certaines fonctions pour J______ BV, comme celle de faire des paiements en faveur du port (PV MP, 11 juin 2015).

Dans l'opération en cause, la société de transport utilisée était E______ SA. I______ n'était pas en mesure de confirmer que le transport de la cargaison avait été opéré par F______ LLP. En effet, il avait présenté A______ à T______ et non une société à une autre (PV MP, 11 juin 2015).

AA______ a confirmé que E______ SA agissait généralement pour J______ BV avec un rôle de fournisseur ou d'agent ; dans ce second cas, elle facilitait les opérations avec les personnes sur place (PV MP, 19 janvier 2017).

À teneur des courriels internes à J______ BV, datant de 2012, versés à la procédure, I______ avait mis en contact B______ LTD avec la société de transport E______ SA ("Transport company 'E______ SA'" ; pièce 700638). E______ SA était l'agent de J______ BV à K______ et, en même temps, il s'agissait de la société de transport qui s'était occupée de l'affrètement de la marchandise dans le cas d'espèce (pièce 700731).

t.d.c. Selon A______, son implication dans l'opération initiale se limitait à avoir arrangé le transport. Lorsqu'il avait mis B______ LTD et F______ LLP en contact, il avait présenté AT______, directeur général de F______ LLP en Russie, à B______ LTD. Il avait donné "malgré [lui]" son assistance jusqu'à l'arrivée du navire à L______, car B______ LTD ne cessait de le contacter alors même qu'il avait demandé à ses représentants de s'adresser directement à F______ LLP (PV MP, 24 novembre 2015).

Dans la transaction avec J______ BV, E______ SA ne s'était pas chargée du transport ; elle n'avait fait que vendre une partie de la cargaison. "Au final, E______ SA n'[avait] livré que 80 MT de gasoil". Sans l'intervention de I______, il n'aurait pas traité avec B______ LTD, ses règles de compliance internes lui interdisant les contrats avec des sociétés offshores (PV MP, 24 novembre 2015).

Il avait accepté d'œuvrer comme intermédiaire entre J______ BV et B______ LTD car E______ SA aurait pu obtenir quelque chose de J______ BV "à sa discrétion" à l'issue de la transaction, comme A______ avait un contrat de joint venture informel avec J______ BV. Il pouvait donc espérer une contrepartie indirecte (PV CPAR, 12 décembre 2022).

t.e. A______/E______ SA – F______ LLP

t.e.a. Dans la procédure, A______ a soutenu qu'il n'avait aucun rôle ni intérêt dans la société F______ LLP. E______ SA "utilis[ait] cette société pour effectuer des transports". Leur lien était uniquement commercial, sous la forme de la location de navires. E______ SA et F______ LLP n'avaient pas même un contrat cadre. Chaque transaction faisait l'objet d'une convention spécifique. Il y avait deux directeurs opérationnels chez F______ LLP, avec lesquels A______ avait des contacts, soit AI______ et AT______. Les contrats étaient signés par des directeurs généraux (PV police, 23 janvier 2013 ; PV TP, 23 février 2022).

F______ LLP était contrôlée par AO______ et faisait partie de son groupe de sociétés, "AP______ TURKMENISTAN GROUP".

t.e.b. T______ a expliqué que A______ lui avait été présenté par I______ comme le propriétaire de F______ LLP et E______ SA. Il n'avait rencontré personne d'autre de la société F______ LLP (PV MP, 2 mai 2013). Il avait été persuadé, dès le début des négociations et aujourd'hui encore, que A______ et F______ LLP "ne faisaient qu'un" (PV TP, 23 février 2022).

U______ n'était pas en mesure d'indiquer quelle était la position de A______ au sein de F______ LLP. Ce dernier revendiquait en être le propriétaire. "Toute la correspondance avec F______ LLP passait par lui" (PV MP, 27 août 2019). En particulier, les conditions de l'affrètement avaient été négociées par A______ (PV TP, 23 février 2022).

B______ LTD a été constante sur ce point, dès la plainte pénale déposée le 5 octobre 2012.

t.e.c. Entendu en appel, AO______ a expliqué qu'en 2011-2012, il était l'ayant droit économique final d'une quinzaine d'entreprises dont F______ LLP, AU______, O______ LTD, P______, AV______, AW______, ce qu'il avait déjà affirmé dans son affidavit du 31 janvier 2022 produit en première instance. F______ LLP employait environ 200 personnes. X______ était son employé. Il n'avait jamais été celui de A______ et n'avait jamais fourni de services à E______ SA. Au moment des faits, X______ avait la latitude de prendre seul des décisions. X______ lui demandait conseil.

A______ était un ami depuis plus de 20 ans. Sous réserve de AV______ et de AX______, A______ n'avait ni intérêt, ni mandat général ou procuration générale pour aucune de ses sociétés. Son groupe de sociétés travaillait avec le sien. E______ SA ne négociait pas de contrat pour F______ LLP.

AO______ a confirmé qu'il était le propriétaire final des navires en 2011-2012. Il avait acquis une dizaine d'épaves en 2008 avec lesquelles il avait constitué quatre bateaux dont G______ et H______. L'acquisition s'était faite au prix du métal (PV CPAR, 13 décembre 2022).

t.e.d. I______ a déclaré devant le MP que A______ s'était présenté comme le propriétaire des bateaux et le représentant de F______ LLP pendant les négociations (PV MP, 9 janvier 2020).

t.e.e. AY______, consultant indépendant dans le domaine du financement de matières premières, a déclaré que A______ avait recouru à ses services entre 2008 et 2012. Ce dernier détenait plusieurs sociétés actives dans le transport de produits pétroliers, notamment en région fluviale, plus particulièrement sur les canaux qui reliaient la mer caspienne à la mer noire. F______ LLP était une des sociétés de transports utilisée par A______. "Il semblait la contrôler" (PV MP, 16 mars 2017).

t.e.f. A______ a évolué au cours de l'instruction concernant ses liens avec X______ :

-        "le AZ______ employé chez F______ LLP n'[était] pas forcément la même personne qui [avait] signé le courriel de E______ SA. AZ______ [était] un prénom très courant au Turkménistan". "AZ______ n'[avait] jamais travaillé pour E______ SA". En 2011-2012, cinq personnes travaillaient au département des finances de E______ SA et aucune ne portait ce nom (PV MP, 9 janvier 2020, pièce 40329, 40334) ;

-        X______ aidait parfois E______ SA pour des questions opérationnelles, notamment dans des transactions où F______ LLP était impliquée. Pour ce motif, il avait accès à la boîte email "finance@E______.ch". Cela expliquait qu'X______ était intervenu dans la transaction en cause avec une adresse courriel E______ SA dans la mesure où il s'agissait d'une transaction impliquant E______ SA et F______ LLP (PV TP, 23 février 2022) ;

-        AZ______ et X______ étaient bien la même personne. Outre X______, AM______, AY______, l'assistante de celui-ci et sa propre épouse avaient disposé d'adresses email de E______ SA sans être employés de la société (PV CPAR, 12 décembre 2022).

t.e.g. Entendu en appel, X______ a déclaré avoir commencé à travailler pour AO______ en 2002 et être toujours son employé. Il avait œuvré pour un certain nombre de sociétés appartenant à son employeur dont F______ LLP, P______, O______ LTD, BA______ et AU______.

En 2011-2012, le propriétaire final des navires H______ et G______ était AO______.

Fin 2011, F______ LLP employait environ 200 personnes, équipages compris.

Initialement, X______ avait obtenu une adresse email E______ SA afin de recevoir les cotations pour lesquelles E______ SA bénéficiait d'une souscription et éviter ces coûts à F______ LLP. Il était intervenu au travers de E______ SA uniquement pour des transactions auxquelles F______ LLP était partie et qui concernaient le Turkménistan (PV CPAR, 12 décembre 2022).

t.e.h. AM______ a déclaré avoir travaillé à l'époque des faits parallèlement comme conseiller juridique externe de E______ SA et de F______ LLP. En 2013, il avait été engagé comme avocat interne par E______ SA. Lorsqu'il travaillait comme conseiller juridique externe de F______ LLP, ses interlocuteurs étaient AI______ ou AO______ (PV MP, 24 juin 2019).

Selon A______, de manière générale, E______ SA avait pour habitude de fournir une adresse email au nom de E______ SA à tous ses conseillers externes. Lors de la réunion d'avril 2012, il était clair pour tout le monde que AM______ agissait pour F______ LLP et non pour E______ SA (PV MP, 24 novembre 2015).

t.f. A______/E______ SA – O______ LTD

A______ a déclaré n'avoir aucun rôle, ni intérêt dans la société O______ LTD. Il ne connaissait personne œuvrant pour cette société et avait appris son existence par F______ LLP. "Par la suite, [il avait] été mis en copie lors de la communication par email entre la société O______ LTD et la société B______ LTD" (PV police, 23 janvier 2013).

Selon X______, O______ LTD n'avait eu que peu d'activités commerciales, voire même une seule, soit la transaction litigieuse (PV CPAR, 12 décembre 2022).

Aux termes des déclarations de AO______, les seules personnes agissant pour cette société étaient X______ et AO______. O______ LTD était active dans le transport, en particulier dans la location de cargos. O______ LTD n'avait en réalité opéré que sur la transaction litigieuse. Dans une seconde version, interpellé sur une volonté de laisser O______ LTD sans consistance pour éviter que des procédures de recouvrement de B______ LTD n'aboutissent, AO______ a précisé qu'elle avait effectué deux autres transactions en 2013, puis 2014 (PV CPAR, 13 décembre 2022).

t.g. A______/E______ SA – P______

A______ a déclaré que P______ était une société de logistique, contrôlée par AO______. E______ SA faisait affaire avec elle essentiellement pour de la logistique dans le domaine maritime et ferroviaire (PV TP, 23 février 2022).

AO______ a indiqué que les seules personnes actives dans P______ étaient X______ et lui. P______ s'occupait du financement des transactions, mais il lui arrivait aussi de prendre des cargos en location ou d'effectuer des ventes. Elle avait beaucoup d'activités commerciales propres (PV CPAR, 13 décembre 2022).

u. De certaines pièces à la procédure

u.a. Du contenu des connaissements maritimes

u.a.a. Le premier bill of lading n° 1______ daté du 17 décembre 2011 se présente comme suit (pièce 700502), étant précisé que le cargo manifest l'accompagnant reprend les mêmes informations (pièce 700504) :

"Shipper : K______ oil refineri

Consignee : To the order 'BQ______ Company N.V'

Notify party : N______ (Suisse)

Forwarder : E______ LTD.

Ship owner : F______ LLC ; Flag : Russia

Vessel : G______

Port of loading : K______, Turkmenistan

Port of discharge : AN______ [Russie], for further transit to Black sea ports

Description of goods : hydropurified Gas Oil ; Weight : 2420864 Gross KG

Clean on Board ; Freight payable as per Charter Party, Weight, qualité and quantity are unkown to me

Place and date of issue : K______, Turkmenistan

Master BD______".

u.a.b. Le deuxième bill of lading n° 2______ daté du 18 janvier 2012 contient les données suivantes (pièce 10075) :

" Shipper : BB______ LTD

Consignee : AB______ LTD, address : 8______, BR______, Afghanistan

Notify party : AC______ (UK) LTD

Ship owner : F______ LLC ; Flag : Russia

Vessel : H______

Port of loading : AL______ , Iran

Port of discharge : L______ , Turkmenistan, for further transit by trucks via Turkmenistan to Afghanistan on behalf of B______ Group LTD.

Description of goods : Diesel fuel L-0.2-62 ; Weight : 3______ Metric tons net

Clean on Board ; Freight payable as per Charter Party

Shipped on Board in the Port of : AL______ , Iran, on 18.01.2012

Master"

Le bill of lading n° 2______ est accompagné d'un cargo manifest reprenant les mêmes informations (pièce 100076).

u.a.c. Le troisième bill of lading n° 1______, antidaté au 17 décembre 2011, a la teneur suivante:

"Shipper : O______ LTD, BC______, Marshal islands

Consignee : to the order of O______ LTD trade LTD, BC______, Marshal islands

Ship owner : F______ LLC ; Flag : Russia

Vessel : G______

Port of loading : K______, Turkmenistan

Port of discharge : AF______, Ukraine

Description of goods : hydropurified Gas Oil ; Weight : in bulk 2420.864 MT

Clean on Board ; Freight payable as per Charter Party

Place and date of issue : K______, Turkmenistan

Master BD______".

u.b. Des contrats de décembre 2011

u.b.a. Aux termes du contrat entre B______ LTD et son acheteur final, B______ LTD s'engageait à livrer entre 2400 et 2900 MT de "gasoil meeting the spec. of russian L-0.2-62, sulphur content max 500 ppm" dans le port L______ entre le 17 et le 20 décembre 2011 (pièce 51359).

u.b.b. Le contrat n° 1112/04-GO porte sur la vente FOB de E______ SA à B______ LTD de 300 MT de "gasoil L-0-.2-62" au prix d'USD 881.-/MT, livraison à M______ sur H______ (pièce 10066).

u.b.c. Le contrat de vente entre B______ LTD et J______ BV prévoit une vente FOB au prix d'USD 844.55/MT de "gasoil 0.05% sulphur", livraison au port de K______ entre le 17 et le 20 décembre 2011 d'une quantité comprise entre 2200 et 2300 MT (pièce 10036).

u.b.d. Le contrat d'affrètement conclu entre F______ LLP et B______ LTD (pièce 10059) est accompagné d'une lettre de garantie signée par F______ LLP qui expose le planning opérationnel de chargement, en particulier le transport d'environ 2500 MT de "diesel fuel L-0.2-62", soit 2200 MT provenant de K______, puis 300 MT additionnelles (pièce 10062). Des frais de surestaries d'USD 3'500.- par jour étaient prévus.

u.c. Des contrats d'avril 2012

u.c.a. Le contrat de vente entre B______ LTD et O______ LTD n° 9______/ULSD du 15 avril 2012 a deux versions, l'une signée par B______ LTD et l'autre par O______ LTD (pièces 10088 [signée par B______ LTD], 100092 [signée par O______ LTD], 205026 [non signée, retrouvée dans les locaux de E______ SA]). La clause intitulée "payment" n'est pas la même dans les deux contrats (sous chiffre 7 dans la version signée par O______ LTD et sous chiffre 8 dans celle signée par B______ LTD).

Ce contrat prévoit une vente DAP (delivery at place) à bord du G______ à M______, entre le 12 et le 14 avril 2012, d'une quantité de 2420.864 MT au prix de USD 2'170'432.-. La clause 6 prévoit que "the price for cargo quantity on DAP M______ roads basis is USD 896.55 [ ]. Total cost of cargo USD 2'170'432.53 [ ] payable before breaking bulk". La clause 9 indique que la propriété passe à l'acheteur seulement après le paiement complet.

La clause 8 figurant dans le contrat signé par B______ LTD est la suivante : "Payment shall be made in USD in immediately available funds by telegraphic transfer without discount, offset or counterclaim always before breaking bulk (before discharge at discharge port) against the copy of seller's invoice. [ ] The seller allows the discharge of cargo without presentation of original bills of lading at discharge port upon the safe receipt of 100% payment for cargo".

La clause 7 contenue uniquement dans le contrat signé par O______ LTD prévoit : "Payment shall be made in USD in immediately available funds by telegraphic transfer without discount, offset or counterclaim always within the period of 10 (ten) calendar days upon completion of discharge against the copy of seller's invoice". [ ] The seller allows the discharge of cargo without presentation of original bills of lading at discharge port and guarantees to provide the LOI (letter of indemnity) to buyer upon the buyer's request and in standard form, requested by the buyer".

u.c.b. Le contrat de vente n° 10______/ULSD du 12 avril 2012 entre O______ LTD et P______ (pièce 205022), de 2420.0864 MT de diesel pour le prix d'USD 2'503'173.- est quasiment identique à celui entre B______ LTD et O______ LTD à l'exception notable de l'absence de la phrase "payable before breaking bulk" à la clause 6 et de la clause relative au paiement qui prévoit ici que le prix est exigible dans les 35 jours qui suivent la date de déchargement de la cargaison au port de AF______.

u.c.c. Le contrat n° 9______ du 12 avril 2012 entre P______ et E______ SA encadre la vente de 2420.0864 MT de fuel pour le prix d'USD 2'510'435.97. Le contrat est similaire aux deux précédents (O______ LTD et P______ / B______ LTD et O______ LTD). Il ne contient pas la phrase "payable before breaking bulk" dans sa clause 6. La clause de paiement prévoit que le prix est exigible dans les 30 jours qui suivent la date de déchargement de la cargaison au port de AF______.

u.c.d. Q______ et E______ SA ont conclu un premier contrat n° 4______ le 7 décembre 2011 (pièce 205004), lequel prévoyait la vente DAF (delivery at frontier) d'environ 2500 MT d'"hydropurified gasoil produced by turkmenbashi oil [ ] ppm max 50" (pièce 205004).

A______ a expliqué que ce contrat n'avait pas pu être exécuté en janvier 2012 comme initialement prévu en raison de problèmes au port de M______ [Russie]. Il avait été suspendu (PV TP, 23 février 2022).

Par accord du 17 avril 2012, Q______ et E______ SA ont modifié ce contrat et prévu la vente par le second au premier d'"hydropurified gasoil produced by K______ oil processing complex" (pièce 10111). La quantité vendue ne figure pas dans le contrat mais ressort des factures établies par E______ SA à l'attention de l'acheteur (pièce 10115 notamment). Le prix était d'USD 1042.31 par MT, soit USD 2'522'390.-. La cargaison devait être livrée CIF au port de AF______ entre le 22 et le 30 avril 2012.

u.c.e.a. Le 20 avril 2012, B______ LTD, F______ LLP et O______ LTD ont conclu un settlement and claim release, lequel prévoit notamment (pièce 10096) : "[ ] O______ LTD trade LTD shall fix and sign charter party with [F______ LLP] and bear all further expenses and obligations on the delivery of the cargo as from April 15th of 2012". Cet accord prévoit également que le titre de propriété sera transféré à O______ LTD dès réception du paiement intégral du prix de vente de la cargaison.

Cet accord a été modifié le 7 mai 2012 (pièce 10105) en ce sens que O______ LTD était autorisée à retenir USD 170'000.- sur le paiement dû à B______ LTD, en cas de frais encourus par la première suite à la saisine du tribunal arbitral de BW______ [Russie]. L'accord prévoyait que le solde de la facture de B______ LTD (soit environ USD 2 millions) serait payé dans un délai de trois jours dès la signature dudit accord et la réception d'une lettre de garantie de la part de B______ LTD. Les frais de surestaries encourus par F______ LLP en vertu du contrat d'affrètement du 14 décembre 2011 entre B______ LTD et F______ LLP seraient pris en charge par O______ LTD.

u.c.e.b. Le même jour, O______ LTD et F______ LLP ont signé une lettre de garantie adressée à B______ LTD, par laquelle O______ LTD s'engageait à payer B______ LTD dans les trois jours suivants la signature de dite lettre. En cas de défaut de O______ LTD, F______ LLP s'engageait à payer le montant dû (pièce 10107, signée par F______ LLP et O______ LTD). Le 8 mai, O______ LTD et F______ LLP ont signé une seconde lettre d'un contenu semblable (pièce 10108).

u.d. Des documents bancaires

Au cours de l'instruction, le MP a obtenu des établissements bancaires dans lesquels A______, sa société E______ SA, les sociétés concernées par le litige F______ LLP – O______ LTD – P______ et d'autres sociétés appartenant au même groupe ou avec lesquelles des liens apparaissaient, avaient ouvert des comptes, l'ensemble des documents d'ouverture et de suivi du profil client, ainsi que les relevés de ces comptes à compter du 1er janvier 2011.

Les éléments pertinents suivants ressortent de ces documents.

u.d.a. N______

F______ LLP et E______ SA avaient des relations bancaires avec N______.

Dans les documents de N______ relatifs au compte ouvert en 2008 par E______ SA figurent les éléments suivants :

-        "E______ SA dispose de plus de 17 bateaux s'occupant du transport entre la Caspienne et la mer noire" (pièce 220233 [avril 2011]).

-        "[E______ SA] détiendrait 16/17 navires 'caspiens' pour $20 mio de fonds propres" (pièce 220241 verso [juillet 2011]).

-        E______ SA "can time charter vessels through F______ LLP. [ ] F______ LLP [ ] remain under the effective management of A______ through long-term mandate agreements signed for a period of 10 years. When vessels are bareboat time chartered through the companies, E______ SA is de facto operating the vessels, benefiting from full flexibility on utilisation" (pièce 22140). "In 2008, F______ LLP bought 30 vessels from BS______ [société russe], close to scrap value. Within two years, the company disposed of 22 ships. In 2009, the remaining 8 ships [ ] were sold to eight independent A______ companies for a value of approx. $2.5m per vessel. A______ signed personally 10 years mandate agreement with F______ LLP and BT______ Ltd to operate these 8 vessels [ ]. This activity is 100% self-financed by E______ SA" (note interne de présentation de E______ SA et de A______ ; pièce 22140 [novembre 2013] ; pièce 220264 [janvier 2014]).

Sur présentation de cette note interne de N______, A______ a déclaré que N______ avait mélangé les choses. Il n'avait pas de contrat de ce type avec F______ LLP, mais en avait avec d'autres sociétés, notamment AX______ et AV______ (PV MP, 24 novembre 2015, pièce 40066). Les informations contenues dans les documents de N______ au sujet d'un contrat de mandat entre lui et F______ LLP étaient fausses. Il s'agissait de rumeurs du marché (PV TP, 23 février 2022).

-        "IPSA nor A______ do not own any vessel but only operated through exclusive management mandates" (pièce 220264 [janvier 2014]).

-        "De même la question des navires, jugés trop âgés 2011, est réglée : E______ SA a vendu sa vielle flotte à la casse et opère désormais des bateaux en contrat d'affrètement annuel" (pièce 220248 [janvier 2014]).

Ce commentaire fait vraisemblablement suite à des remarques effectuées lors de transactions en 2011, en particulier la transaction dont il est question aux pièces 220244 et suivantes. Un collaborateur de N______ indiquait le 2 août 2011 "par ailleurs, un mémo devra être présenté au CCI [comité de crédit interne] d'ici le 30 septembre 2011 concernant le financement de marchandises à bord de bateaux âgés ne satisfaisant pas les critères de la banque". Dans cette transaction, E______ SA avait affrété le G______ et H______ (pièces 220245 et 220246).

-        Dans les transactions opérées par E______ SA avec N______ en 2011 figurant au dossier, les deux navires G______ et H______ apparaissent à plusieurs reprises (pièces 220165 ; 220242 verso ; 220246). H______ n'intervient dans aucune transaction postérieure et G______ à une seule reprise, en 2014 (pièce 220184).

-        "IPSA affrète les bateaux, sous sa maîtrise et contrôle" (pièce 220123 et 220124 [2014]).

u.d.b. BE______

E______ SA avait ouvert un compte auprès de [la banque] BE______.

"In the frame of its purchases in Turkmenistan, E______ SA is using different companies which belong to the Group [E______ SA], in order not to always appear as E______ SA when tenders are taken place" (pièce 281593, rapport du 25 novembre 2013).

Un schéma figure en annexe à un courriel d'une employée de E______ SA du 21 septembre 2012 adressé à BE______ (pièce 51519 et 51520). Ce document représente le "AP______ TURKMENISTAN GROUP" et divise ses activités en trois parties "exports from Turkmenistan", "imports to Turkmenistan" et "transportation business related to Turkmenistan". Sous chacune de ces activités, un certain nombre d'entreprises sont listées. E______ SA est reliée aux activités d'exportation, par une ligne traitillée (contrairement aux autres entreprises dont le trait est plein). Figurent notamment dans les entreprises actives dans l'exportation : F______ LLP, AV______ LLP, AU______ LTD, BF______ LLP et BG______ LTD, avec un bref descriptif de leurs activités.

A______ a expliqué que l'organigramme se trouvant dans les documents d'ouverture de compte de E______ SA auprès de BE______ mentionnait les différentes contreparties avec lesquelles E______ SA avait l'intention d'entretenir des affaires (PV MP, 9 janvier 2020). Les sociétés auxquelles E______ SA était reliée étaient des potentielles contreparties pour l'affaire que la banque allait peut-être financer, regroupée sous le nom informel de AP______ TURKMENISTAN GROUP. Il ne s'agissait en aucun cas de l'actionnariat de ces sociétés, ni de la possession, contrôle ou propriété de ces sociétés (PV TP, 23 février 2022). AP______ TURKMENISTAN GROUP était le nom donné au groupe de sociétés appartenant à AO______ (PV CPAR, 12 décembre 2022).

u.d.c. BH______

E______ SA disposait d'un compte bancaire auprès de BH______.

À teneur du profil client établi par la banque BH______ en 2012, "the main activities [of E______ SA] are the supply and the trading of petroleum products [ ] and transportation of petroleum products and LP, knowing that the shareholder is controlling a shipping company in Russia managing over 20 seagoing vessels out of which eight under full property" (pièce 2013050).

u.d.d. R______

A______et E______ SA notamment disposaient de comptes auprès de la banque R______.

u.d.d.a. La banque R______ a indiqué que les comptes bancaires de F______ LLP, O______ LTD et E______ SA avaient été clôturés le 19 octobre 2013, précisant que celui de O______ LTD l'avait été à l'initiative de la banque et que les comptes suivants, sur lesquels A______ avait des pouvoirs de gestion, avaient été clôturés le 15 octobre 2013 : BI______, BJ______, BK______ (pièce 31041).

u.d.d.b. A______, X______ et AO______ ont donné les explications suivantes quant à la clôture de ces comptes :

A______ : ce n'était pas une coïncidence que les comptes auprès de la banque R______ (Lettonie) de E______ SA, BI______, BJ______ SA, ainsi que BK______, et ceux de F______ LLP et d'autres sociétés qui lui étaient liées aient été clôturés le 15 ou le 19 octobre 2013. Un bateau de F______ LLP, que E______ SA avait affrété, avait mouillé quelques mois plus tôt en Iran. Suite à une intervention américaine auprès de la banque, celle-ci leur avait demandé des explications et, ne souhaitant pas faire l'objet d'une investigation, elle avait clôturé les relations bancaires (PV CPAR, 12 décembre 2022).

X______ : la clôture des comptes le 15 ou 19 octobre 2013 avait été décidée suite à des questions posées par la banque correspondante de R______ aux États-Unis du fait de l'affrètement d'un navire russe. R______ avait pris peur et mis un terme aux relations bancaires de toutes les parties, y compris celles sur lesquelles A______ avait le droit de signature en raison du nombre de transactions entre les deux groupes (PV CPAR, 12 décembre 2022).

AO______ : les différents comptes avaient été clôturés par la banque R______ car celle-ci cessait ses activités dans la région (PV CPAR, 13 décembre 2022).

u.e. AS______ (Autriche)

F______ LLP et E______ SA disposaient de comptes bancaires auprès de la banque AS______.

Il ressort des relevés de comptes bancaires de E______ SA et F______ LLP auprès de AS______ que de nombreux transferts étaient effectués entre ces deux sociétés avec la mention "Business funds transfers", essentiellement du compte de E______ SA vers celui de F______ LLP (cf. notamment pièce 214114).

Selon A______, les business funds transfers entre E______ SA et F______ LLP permettaient de faciliter les transactions. Par la suite, il était procédé à des réconciliations, parfois sur la base de factures. C'était une pratique usuelle (PV police, 23 janvier 2013 ; PV TP, 23 février 2022 ; PV MP, 24 novembre 2015).

X______ a expliqué avoir mis en place la dénomination "business funds transfer" pour les mouvements entre les comptes de F______ LLP et de sociétés du groupe ou de créanciers pour accélérer les opérations. Tout était noté, puis réconcilié ultérieurement. E______ SA procédait de la même façon (PV CPAR, 12 décembre 2022).

Normalement, les mouvements bancaires devaient à tout le moins mentionner le contrat sur lequel ils reposaient. Si la banque acceptait des opérations avec des mentions générales comme business funds transfers c'est qu'elle avait connaissance des contrats et partant du bien-fondé du mouvement. Il pouvait y avoir un seul contrat pour plusieurs mouvements (PV CPAR, 13 décembre 2022).

B______ LTD a produit en première instance une analyse financière des transactions bancaires opérées entre E______ SA et les sociétés F______ LLP, P______ et O______ LTD. L'auteur du rapport déduit de ces mouvements que E______ SA et au moins certaines sociétés du groupe AP______ ont le même ayant droit économique (pièce 13 du chargé de pièces de B______ LTD du 17 janvier 2022).

u.f. BL______ & CO

Le Members' Report and Financial Statements de F______ LLP établi par l'auditeur BL______ & CO pour l'année se terminant le 5 avril 2010 comporte une "note to the financial statements" (p. 13, chiffre 15) à teneur de laquelle, "during the year F______ LLP has provided services and goods to E______ SA, BG______ LTD, BM______ and AV______ LTD [ ]. All companies are under the same control as F______ LLP" (pièce 50241).

A______ a expliqué que cette note était manifestement due à une erreur puisque, dans la note précédente, il était bien indiqué que AO______ contrôlait F______ LLP et BM______ ("AO______ is the ultimate controlling party of the partnership", note 14, pièce 50241 ; PV TP, 23 février 2022).

v. Du résultat de la perquisition du 3 juin 2014 dans les locaux de E______ SA

Les documents suivants concernant les faits de la cause ont notamment été découverts dans les locaux de E______ SA :

-        le rapport d'inspection, ainsi que le certificat de qualité émis par la société AE______ avec le tampon "original" en plusieurs exemplaires, ainsi qu'une version avec le tampon "copy", également en plusieurs exemplaires (pièces 200000 ss) ;

-        plusieurs documents attestant du chargement à K______ [Turkménistan] (pièces 200101 ss) ;

-        plusieurs versions du bill of lading initial avec le tampon "copy" et avec le tampon "original", ainsi que son manifeste (pièces 200106 ss et 204000 ss) ;

-        un laytime statement concernant le G______ lors du déchargement de la marchandise à AF______ [Ukraine] (pièce 205016) et les frais de surestaries encourus, lesquels ont été facturés à Q______ par E______ SA (facture du 10 mai 2012 ; pièce 205015) ;

-        le contrat entre P______ et O______ LTD du 12 avril 2012 (pièce 205022), le contrat entre B______ LTD et O______ LTD, dans la version signée par B______ LTD (pièce 205026) ;

-        une copie de la facture de B______ LTD adressée à O______ LTD ;

-        les factures de P______ à E______ SA du 14 avril 2012 concernant le fuel et du 7 mai 2012 concernant les frais de surestaries encourus par le G______ au port de AF______ (pièces 205031 et 205032) ;

-        plusieurs documents officiels concernant la société AU______, dont un certificat d'actions (classeur "AU______ LTD").

w. Des fichiers extraits du serveur de E______ SA

w.a. Les documents suivants ont été notamment retrouvés sur le serveur informatique de E______ SA :

-        des projets de contrat d'affrètement entre F______ LLP et B______ LTD datés des 13 et 14 décembre 2011 (pièce 214029) ;

-        les bills of lading initiaux avec le tampon "copy" (pièce 214055) ;

-        le rapport (pièce 214058) et le certificat de qualité émis par AE______ (pièce 214343) ;

-        des factures adressées à Q______ et datées du 7 décembre 2011 de USD 238'812.50 (pièce 214101) et du 14 mai 2012 de USD 239'190.76 (pièce 214105) ;

-        des relevés de transactions bancaires de AS______ de 2011-2012 à teneur desquels E______ SA effectuait des "business funds transfers" vers les comptes de F______ LLP notamment (par exemple pièce 214114, dont un transfert de USD 1'032'057.95 le 30 avril 2012, pièce 214295) ;

-        un projet de bill of lading créé le 9 janvier 2012 par "AZ______.notebook", avec O______ LTD comme shipper et consignee, le navire H______ et le "diesel fuel L-0.2-62" (pièces 214282 et 214283) ;

-        une lettre de E______ SA à la société BN______ LLC du 29 avril 2012 indiquant que E______ SA est le consignee sur les bills of lading originaux et autorise qu'ils soient endossés en faveur de Q______ (pièce 214318 ; "we, E______ SA, are presently shown as consignee on the original bills of lading of the above referenced cargo to be discharged under your control in. AF______. As such, we request and authorize BU______ [ ], the director of BN______ LLC, to endorse the original Bs/L to the order of 'Q______ LLP'") ;

-        le tampon de la société P______ (pièce 214329), document enregistré par "AZ______.notebook", créé le 23 mars 2010 (pièce 214330) ;

-        la signature de BO______ (pièce 214332), laquelle était l'administratrice des sociétés O______ LTD et P______ ;

-        le tampon de la société O______ LTD (pièce 214336) ;

-        les connaissements maritimes initiaux avec le tampon "original" (bill of lading et manifest ; pièces 214394 ss), le Notice to readiness to loading (NOR ; pièce 214397), un statement of facts concernant le chargement du G______ les 16-17 décembre 2011 (pièce 214398).

w.b. Selon A______, des "visiteurs" pouvaient enregistrer leurs documents sur le serveur de E______ SA, sur des espaces spécifiques accessibles uniquement par mot de passe. Pour lui, c'était la seule explication à la présence du tampon de O______ LTD sur le serveur de sa société, de même pour le scan de la signature de BO______. Dite signature avait été utilisée pour l'ensemble des documents contractuels signés pour le compte de O______ LTD, ainsi que sur la facture de P______ à l'attention de E______ SA (PV MP, 24 novembre 2015). Il a précisé lors de l'audience suivante avoir effectué des recherches sur les documents ne lui appartenant pas et se trouvant sur le serveur de sa société et avoir découvert un répertoire utilisé par AZ______ [soit X______, cf. ci-dessus] (PV MP, 9 janvier 2020). X______ pouvait sauvegarder des documents sur les serveurs de E______ SA, en tout temps, même en l'absence de panne. Le système informatique de E______ SA était bien sécurisé et permettait d'allouer à des tiers des espaces de stockage protégés par des mots de passe (PV CPAR, 12 décembre 2022).

x. Des événements postérieurs aux faits

x.a. De nombreuses procédures, notamment arbitrales, ont été introduites par A______, E______ SA et/ou les sociétés du groupe AP______, à l'encontre de B______ LTD, dès l'été 2012, en Suisse et à l'étranger. Dans les procédures introduites entre 2012 et 2015 à tout le moins, A______, E______ SA, O______ LTD et/ou F______ LLP étaient représentées par Me AQ______ ou un conseil de son étude (pièces 215000 ss), avant qu'un litige éclate entre les deux hommes (pièces 20064, 51341, 51381).

L'une de ces procédures a abouti à la mise en liquidation de B______ LTD au Royaume-Uni et à la nomination de liquidateurs en 2020. Celle-ci est néanmoins demeurée sans effet sur l'inscription de B______ LTD au registre maltais, siège de la compagnie.

x.b. Au cours de l'instruction devant le MP, un projet d'accord a été discuté en 2018 entre B______ LTD et E______ SA, accord que B______ LTD a finalement refusé. Aux termes de ce projet, il était prévu que les fonds devant permettre d'indemniser B______ LTD proviendraient de F______ LLP.

Les liquidateurs de B______ LTD et E______ SA ont préparé un projet de règlement du litige les opposants aux termes duquel E______ SA cédait l'entier de sa créance envers B______ LTD à F______ LLP.

x.c. B______ LTD a versé à la procédure plusieurs analyses informatiques démontrant, selon elle, les liens entre A______ et les sociétés du groupe AP______, notamment dans l'enregistrement de noms de domaine (essentiellement en 2013, soit postérieurement aux faits) et l'identité réelle ainsi que le lieu d'envoi des courriels échangés. Ces éléments n'ont pas de force probante en tant que tels. La brigade informatique a en effet exclu la possibilité d'effectuer des recherches sur les adresses IP, vu l'ancienneté des courriers électroniques échangés.

y. Les conclusions civiles de B______ LTD, admises par le TP, sont constituées de deux postes :

-        le prix payé à J______ BV, moins l'acompte d'USD 200'000.- reçu de O______ LTD, soit USD 1'742'465.- ;

-        ses frais de défense en Suisse et à l'étranger encourus en raison des diverses procédures introduites par le prévenu, sa société et/ou les sociétés de AO______.

z. L'immeuble, propriété de A______ et AH______, feuillet n° 13______, sis chemin 11______ no. ______, BP______ [GE], fait l'objet d'un séquestre depuis le 22 septembre 2014, avec une restriction au droit d'aliéner, mentionnée au Registre foncier.

C. a. Lors des débats d'appel, les parties persistent dans leurs conclusions. Le prévenu renonce à toute prétention en indemnisation de ses frais de défense fondée sur l'art. 429 CPP. À titre très subsidiaire, l'appelant conteste les montants alloués à la partie plaignante s'agissant de ses prétentions civiles.

b. B______ LTD dépose des conclusions en indemnisation de ses dépenses pour la procédure d'appel de CHF 90'302.05, soit CHF 56'691.45 pour les honoraires de Me C______ et CHF 33'160.60 pour ceux de Me D______.

Les notes de frais produites appellent les commentaires suivants :

-        les honoraires facturés à B______ LTD ne sont pas soumis à TVA ;

-        les débats d'appel ont duré 19h00 ;

Me C______

-        la note de frais du 1er mars 2022 d'un montant de CHF 9'216.65 concerne exclusivement la procédure de première instance puisque sont facturées les activités du mois de février 2022 ;

-        les notes de frais des 1er avril, 2 juin, 1er juillet, 2 septembre et 3 octobre 2022 ne concernent pas la présente procédure pénale ;

-        dans les notes de frais des 2 mai et 7 novembre 2022, seules 01h55 et 06h15 concernent la présente procédure pénale ;

Me D______

-        le taux horaire pratiqué par Me D______ est de CHF 565.-/heure et celui de son avocate-stagiaire de CHF 150.-/heure ;

-        la note de frais du 2 mars 2022 d'un montant de CHF 20'383.10 concerne exclusivement la procédure de première instance puisque sont facturées les activités du mois de janvier et février 2022 ;

-        dans les notes de frais des 14 avril, 18 juillet et 11 novembre 2022, seules 01h42, 01h12 et 01h57 concernent la présente procédure pénale.

c. Les arguments développés par les parties à l'appui de leurs conclusions seront discutés au fil des considérants qui suivent, dans la mesure de leur pertinence.

D. A______ est né en 1974 à W______ [Russie]. Ressortissant turkmène, il a acquis la nationalité russe au cours de ses études. Il s'est marié en 2001. Trois enfants sont nés de cette union, en 2003, 2005 et 2016.

Il s'est établi en Suisse avec sa famille en 2009. Il est au bénéfice d'un permis d'établissement (permis C).

Il indique que ses revenus sont de l'ordre de CHF 160'000.- par an, pour une fortune entre 1.5 et 2 millions, valeur des actions de E______ SA comprise.

Il n'a pas d'antécédent connu en Suisse ou à l'étranger.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves.

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3).

2.2. L'art. 146 al. 1 CP punit celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur, et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

2.2.1. La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté. La tromperie par dissimulation de faits vrais est réalisée lorsque l'auteur s'emploie, par ses propos ou par ses actes, à cacher la réalité. De même, afin de conforter la victime dans son erreur, troisième comportement prévu par la loi, il ne suffit pas que l'auteur reste purement passif et bénéficie ainsi de l'erreur d'autrui. Il doit, par un comportement actif, c'est-à-dire par ses paroles ou par ses actes, avoir conforté la dupe dans son erreur. Cette hypothèse se distingue des deux précédentes en ce sens que l'erreur est préexistante (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2 ; 140 IV 11 consid. 2.3.2 et 2.4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_718/2018 du 15 mars 2019 consid. 4.3.1 ; 6B_817/2018 du 23 octobre 2018 consid. 2.3.1).

2.2.2. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas ; il faut qu'elle soit astucieuse.

Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF
142 IV 153 consid. 2.2.2).

Il y a notamment astuce lorsque l'auteur recourt à une mise en scène comportant des documents ou des actes ou à un échafaudage de mensonges qui se recoupent de façon si raffinée que même une victime critique se laisserait tromper. Il y a manœuvre frauduleuse, par exemple, si l'auteur emploie un document faux ou fait intervenir, à l'appui de sa tromperie, un tiers participant ou manipulé (ATF 135 IV 76 consid. 5.2 ; ATF 122 IV 197 consid. 3d).

L'astuce sera également admise lorsque l'auteur exploite un rapport de confiance préexistant propre à dissuader la dupe d'effectuer certaines vérifications (ATF
126 IV 165 consid. 2a ; ATF 125 IV 124 consid. 3a et les références ; ATF
122 IV 246 consid. 3a).

Le juge pénal n'a pas à accorder sa protection à celui qui est tombé dans un piège qu'un peu d'attention et de réflexion lui aurait permis d'éviter. L'astuce n'est ainsi pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait escroquerie, que la dupe ait fait preuve de la plus grande diligence et qu'elle ait recouru à toutes les mesures de prudence possibles. En effet, le devoir de vérification de la dupe n'est pas illimité, même lorsque celle-ci est une entité supposée disposer de connaissances professionnelles accrues et faire preuve d'une attention plus élevée dans le traitement de ses affaires. Une coresponsabilité de la dupe n'exclut l'astuce que dans des cas exceptionnels, à savoir si cette dernière n'a pas procédé aux vérifications élémentaires, exigibles de sa part au vu des circonstances. Même un degré de naïveté important de la part de la dupe ne conduit pas en tous les cas à l'acquittement du prévenu. Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la dupe a omis de prendre des mesures de prudence élémentaires, il ne suffit pas de se demander comment une personne raisonnable et expérimentée aurait réagi à la tromperie. Il faut, au contraire, prendre en considération les circonstances et la situation particulière de la dupe, telle que l'auteur la connaît et l'exploite, par exemple une faiblesse d'esprit, l'inexpérience, le grand âge ou la maladie, mais aussi un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant que la dupe n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur. L'exploitation de semblables situations constitue précisément l'une des caractéristiques de l'astuce. Pour songer à opérer une vérification aussi aisée soit-elle (par exemple : un appel téléphonique), la dupe doit également déjà avoir une raison particulière de se méfier (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 ; 135 IV 76 consid. 5.2 ; 128 IV 18 consid. 3a ; 126 IV 165 consid. 2a ; 120 IV 186 consid. 1a ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_136/2017 du 17 novembre 2017 consid. 3.4 ; 6B_501/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1 ; 6B_783/2009 du 12 janvier 2010 consid. 3.1).

Celui qui promet une prestation sans avoir l'intention de l'exécuter agit astucieusement parce qu'en promettant, il donne le change sur ses véritables intentions, ce que sa victime est dans l'impossibilité de vérifier (ATF 118 IV 359 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1141/2017 du 7 juin 2018 consid. 1.2.1). Une tromperie sur la volonté affichée n'est cependant pas astucieuse dans tous les cas, mais seulement lorsque l'examen de la solvabilité n'est pas exigible ou est impossible et qu'il ne peut par conséquent être tiré aucune conclusion quant à la volonté de l'auteur de s'exécuter (ATF 125 IV 124 consid. 3a). Il est trop schématique d'affirmer que la volonté affichée est un phénomène intérieur invérifiable et qu'une tromperie relative à cette volonté est toujours astucieuse (ATF 118 IV 359 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_584/2018 du 30 août 2018 consid. 2.1). L'auteur qui conclut un contrat ayant d'emblée la volonté de ne pas fournir sa prestation agira de façon astucieuse dans le cas d'opérations courantes, de faible valeur, pour lesquelles une vérification entraînerait des frais ou une perte de temps disproportionnés ou ne peut être exigée pour des raisons commerciales (ATF 86 IV 206 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_817/2018 du 23 octobre 2018 consid. 2.4.1 et les références ; 6P_113/2006 du 27 septembre 2006 consid. 6.1).

2.2.3. La tromperie (astucieuse) doit être la cause de l'erreur, en ce sens qu'elle doit déterminer la dupe à se faire une représentation erronée de la réalité. Il n'est pas nécessaire d'appréhender concrètement l'erreur dans laquelle se trouvait la dupe. Il suffit que cette dernière soit partie du principe que l'état de fait présenté par l'auteur était correct (ATF 118 IV 35 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_570/2018 du 20 septembre 2018 consid. 3.1 ; 6B_150/2017 du 11 janvier 2018 consid. 3.3 non publié in ATF 144 IV 52).

2.2.4. Enfin, pour que le crime d'escroquerie soit consommé, l'erreur dans laquelle la tromperie astucieuse a mis ou conforté la dupe doit avoir déterminé celle-ci à accomplir un acte de disposition préjudiciable à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers, ce qui implique qu'elle doit conserver une certaine liberté de choix (arrêt du Tribunal fédéral 6B_530/2008 du 8 janvier 2009 consid. 3.1).

L'escroquerie ne sera consommée que s'il y a un dommage (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1141/2017 du 7 juin 2018 consid. 1.2.1). Il n'est pas nécessaire que l'acte de la dupe cause un dommage définitif, un préjudice temporaire ou provisoire suffit (ATF 122 II 422 consid. 3b/aa). Au demeurant, le dommage ne suppose pas toujours la perte, sans contrepartie suffisante, d'un bien. Une mise en danger constitue déjà un dommage si elle entraîne une diminution de valeur du point de vue économique (arrêt du Tribunal fédéral 6B_530/2008 du 8 janvier 2009 consid 3.3 avec référence aux ATF 122 IV 279 consid. 2a et 121 IV 104 consid. 2c).

2.2.5. Sur le plan subjectif, l'escroquerie est une infraction intentionnelle. L'intention doit porter sur tous les éléments constitutifs de l'infraction. Il faut en particulier que l'auteur ait eu l'intention de commettre une tromperie astucieuse (ATF 128 IV 18 consid. 3b). L'auteur doit en outre avoir agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime correspondant au dommage de la dupe (ATF 134 IV 210 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1141/2017 du 7 juin 2018 consid. 1.2.2 ; 6B_446/2018 du 17 juillet 2018 consid. 2.1). Le dol éventuel suffit et peut être retenu, par exemple, dans l'hypothèse où l'auteur tient le gain pour possible et le veut pour le cas où il se réaliserait. Peu importe à cet égard que ce gain soit incertain ou conditionné par le hasard (ATF 126 IV 165 consid. 4 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_817/2018 du 23 octobre 2018 consid. 2.5.1 ; 6B_51/2017 du 10 novembre 2017 consid. 4.3.1).

2.3. Commet un abus de confiance au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 1 CP, celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée.

Sur le plan objectif, l'infraction réprimée à l'art. 138 ch. 1 al. 1 CP suppose l'existence d'une chose mobilière appartenant à autrui. Une autre personne que l'auteur doit avoir un droit de propriété sur la chose, même si ce droit n'est pas exclusif. Il faut encore que la chose ait été confiée à l'auteur, ce qui signifie qu'elle doit lui avoir été remise ou laissée pour qu'il l'utilise de manière déterminée dans l'intérêt d'autrui, en particulier pour la conserver, l'administrer ou la livrer selon des instructions qui peuvent être expresses ou tacites (ATF 120 IV 276 consid. 2). L'acte d'appropriation signifie tout d'abord que l'auteur incorpore économiquement la chose ou la valeur de la chose à son propre patrimoine, pour la conserver, la consommer ou pour l'aliéner ; il dispose alors d'une chose comme propriétaire, sans pour autant en avoir la qualité. L'auteur doit avoir la volonté, d'une part, de priver durablement le propriétaire de sa chose, et, d'autre part, de se l'approprier, pour une certaine durée au moins. Il ne suffit pas que l'auteur ait la volonté d'appropriation, celle-ci devant se manifester par un comportement extérieurement constatable (ATF 129 IV 223 consid. 6.2.1 ; 121 IV 25 consid. 1c ; 118 IV 148 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1268/2018 du 15 février 2019 consid. 2.2). À titre d'exemple, il y a déjà appropriation dès lors que l'auteur offre à la vente la chose confiée et non seulement lorsque la chose est effectivement vendue.

D'un point de vue subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime, lequel peut être réalisé par dol éventuel (ATF 118 IV 32 consid. 2a). Celui qui dispose à son profit ou au profit d'un tiers d'un bien qui lui a été confié et qu'il s'est engagé à tenir en tout temps à disposition de l'ayant droit s'enrichit illégitimement s'il n'a pas la volonté et la capacité de le restituer immédiatement en tout temps. Celui qui ne s'est engagé à tenir le bien confié à disposition de l'ayant droit qu'à un moment déterminé ou à l'échéance d'un délai déterminé ne s'enrichit illégitimement que s'il n'a pas la volonté et la capacité de le restituer à ce moment précis (ATF 118 IV 27 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1268/2018 précité consid. 2.2).

2.4. Remarque liminaire sur les faits pertinents

Avant de procéder à l'établissement des faits, il convient d'identifier dans l'acte d'accusation quels sont ceux qui, supposés avérés, appelleraient la qualification juridique d'escroquerie ou d'abus de confiance, autrement dit quels sont les faits pertinents pour l'issue du litige.

Le premier est certainement celui de la qualité de l'appelant d'animateur de F______ LLP, ou, à tout le moins, de décideur, qualité contestée par la défense.

En revanche, les manœuvres attribuées à l'appelant dans le complexe d'événements qui a conduit la partie plaignante à perdre son acquéreur, en janvier 2012, n'ont, en définitive, qu'une portée circonstancielle. Certes, s'il était établi que, d'entrée de cause, l'appelant a entrevu qu'en cas d'échec de la transaction telle qu'initialement prévue, il pourrait amener l'intimée à substituer son client par Q______, et qu'il a dès lors fait en sorte que l'échec intervint, tout en n'organisant pas l'adjonction des 300/80 MT et les transbordement/re-transbordement, cela le ferait apparaître comme un homme d'affaires fort audacieux mais aussi particulièrement dénué de scrupules. Cela étant, qu'il eut, ou non, agi de la sorte n'est pas déterminant, à moins de pouvoir également tenir pour établi qu'il avait, déjà lors de cette première phase, outre l'intention d'utiliser la marchandise acquise par B______ LTD pour exécuter son propre contrat avec Q______, également celle de priver B______ LTD du prix de vente. À défaut de cette seconde intention, les manœuvres attribuées à l'appelant seraient contraires à ses obligations commerciales sans pour autant relever d'une escroquerie ou d'un abus de confiance commis au préjudice de la partie plaignante. Or, si plusieurs éléments du dossier et, en particulier, son issue, permettent de soupçonner dite seconde intention, ils ne sont pas suffisants pour permettre à la Cour d'en acquérir la conviction. On peut relever que l'intimée paraît avoir fait la même analyse, puisqu'à lire la plainte, elle situait le début de la "fraude" à la période postérieure bien qu'il faut aussi noter qu'elle n'avait alors peut-être pas tous les éléments en main.

Cela étant, en toute hypothèse, à compter du désistement de son acquéreur, B______ LTD s'est trouvée dans la situation où elle devait vendre la marchandise qu'elle avait d'ores et déjà payée. La question à trancher, au plan pénal, est donc celle de savoir si l'appelant, profitant de cette situation, a astucieusement amené la partie plaignante à accepter la transaction avec O______ LTD, tout en sachant et voulant que le prix payé par l'acquéreur final, Q______, ne serait jamais versé à la venderesse ou, subsidiairement, s'il s'est à tout le moins approprié cette marchandise, qui lui était confiée.

2.5. Des liens entre l'appelant et le groupe AP______

Il est établi par le dossier et non contesté que les sociétés F______ LLP, O______ LTD et P______ appartiennent au même groupe.

La défense soutient que AO______ en est l'ayant droit économique final et qu'il les contrôle toutes trois, à l'exclusion de l'appelant.

Le MP et la partie plaignante plaident qu'au contraire, l'appelant avait au moins un contrôle décisionnel sur les trois sociétés précitées.

2.5.1. Dès décembre 2011 et leur premier contact, l'intimée était convaincue que l'appelant était non seulement le propriétaire de E______ SA, mais également celui de F______ LLP, à tout le moins avait sur elle un pouvoir décisionnel, de sorte qu'en prolongement, il contrôlait les navires H______ et G______.

Le dossier de la procédure montre qu'il ne pouvait en aller autrement vu les informations à la disposition de la partie plaignante.

De son point de vue, dans l'opération, l'intimée avait deux vendeurs, J______ BV et E______ SA, et un transporteur, F______ LLP. Ces deux dernières sociétés étaient pilotées par un seul homme, l'appelant, qui était son interlocuteur. B______ LTD ne l'avait pas choisi. Il lui avait été recommandé par J______ BV, laquelle travaillait régulièrement avec lui au Turkménistan. En s'adressant à l'appelant, I______ a suivi les habitudes dans la région de son nouvel employeur et il a déclaré avoir été persuadé que le prévenu était le propriétaire de la société de transport qu'il utilisait, soit F______ LLP.

Les échanges de courriers électroniques concernant la préparation des contrats et l'ensemble des questions techniques ont confirmé le contrôle de l'appelant sur la logistique et le transport. Ce dernier et les employés de E______ SA étaient les principaux interlocuteurs de l'intimée. En particulier :

-        X______ a envoyé les documents suivants depuis finance@E______.ch : le contrat d'affrètement F______ LLP – B______ LTD du 15 décembre 2011 ; les projets de bills of lading et de cargo manifest (cf. infra consid. 2.5.4 sur le rôle de X______) ;

-        les frais de surestaries prévus dans le contrat d'affrètement ont fait l'objet d'une discussion entre l'intimée, l'appelant et J______ BV ;

-        l'appelant a adressé à la partie plaignante un projet de lettre de garantie à émettre par F______ LLP fondée sur le contrat d'affrètement ;

-        la police d'assurance pour le transport de la marchandise communiquée à l'intimée par l'appelant était celle de E______ SA ;

-        après le chargement, des copies des documents maritimes (bills of lading, manifest, certificats de qualité et de quantité, etc.) ont été transmises par E______ SA (finance@E______.ch) à J______ BV, puis à la partie plaignante.

L'appelant et son employé, Y______, ont été en contact presque quotidien avec la partie plaignante au sujet de la position des navires, de la date de livraison et des raisons du retard. Le premier était omniprésent sur ces questions, allant jusqu'à donner des versions contradictoires, en l'espace de quelques heures, sur la situation (notamment le 11 janvier 2012). Fin décembre 2011, il expliquait avoir dépêché sur place le directeur de "leur" compagnie maritime ("our shipping company"), ce qui démontre bien qu'il s'affichait comme personnellement impliqué dans la compagnie de transport maritime.

Les interventions de F______ LLP en amont du chargement se sont résumées à l'envoi de la facture relative au transport depuis finance@F______.com (signé "For F______ LLP"), du détail du prix convenu pour l'affrètement (provenant de AD______@F______.com et signé "F______ LLP"), de la lettre de garantie signée par F______ LLP (finance@F______.com ; non signé). Aucune personne physique représentant F______ LLP ne s'est matérialisée dans les échanges avec l'intimée, excepté X______, dont le double rôle sera discuté ci-après.

Il résulte aussi de la procédure que les courriers électroniques adressés exclusivement à F______ LLP demeuraient sans réponse (notamment au sujet de la police d'assurance de la cargaison).

Cette perception – contrôle de l'appelant sur F______ LLP et les navires – était également celle de J______ BV (d'où la conviction de I______), ainsi que cela ressort expressément des courriels échangés entre E______ SA et J______ BV. La documentation concernant le G______ ainsi que les projets de connaissements ont en particulier été envoyés à J______ BV depuis finance@E______.ch.

C'est d'ailleurs à E______ SA que J______ BV s'est adressée continuellement pour obtenir les bills of lading originaux. Dès les premières demandes de J______ BV de transmission des documents maritimes originaux, les réponses lui parvenaient de X______, puis de Y______, via leurs adresses email @E______.ch, ce dernier précisant que dits documents se trouvaient en mains de leurs représentants à K______ [Turkménistan].

Encore le 6 février 2012, suite aux demandes répétées de J______ BV que les connaissements maritimes soient endossés et transmis à son client, l'appelant l'a informée de ce que les documents étaient désormais à Genève. Ce n'est qu'ensuite qu'il a cessé de répondre aux demandes de J______ BV, avant de changer de ton, contestant toute responsabilité ou un quelconque rôle de transporteur.

2.5.2. Au-delà de ce que la partie plaignante savait à l'époque, le dossier de la procédure a confirmé l'existence de liens particulièrement étroits entre l'appelant et les sociétés contrôlées, selon leurs dires, par AO______, en particulier F______ LLP, O______ LTD et P______. Ainsi :

-        la documentation bancaire a montré que plusieurs banques hébergeant des avoirs de ces sociétés et/ou finançant leurs transactions considéraient que l'appelant opérait des navires, voire en était le propriétaire. Or, il ne peut s'agir que des navires du groupe AP______, E______ SA n'en possédant pas ;

-        les transactions bancaires font état d'un nombre important de virements intitulés business funds transfers entre E______ SA et les sociétés supposées appartenir au seul AO______, en particulier F______ LLP et P______. De tels transferts, possibles entre entreprises d'un même groupe, sont la démonstration de rapports économiques étroits, d'autant plus lorsque les pièces bancaires, comme en l'occurrence, ne font pas état de numéros de contrat, de transaction, de facture, etc, ce qui rend ardue la réconciliation ;

-        le rapport de l'auditeur BL______ & CO concernant F______ LLP considère que F______ LLP et E______ SA étaient sous le même contrôle à tout le moins en 2010, soit peu avant la période pénale ;

-        de nombreux documents papier et numériques concernant la logistique de l'opération, et en particulier le contrôle et le transport de la cargaison de l'intimée ont été retrouvés chez E______ SA. Mieux, E______ SA disposait sur son serveur des tampons des sociétés P______ et O______ LTD, ainsi que de la signature digitalisée de l'administratrice de ces deux sociétés.

Confronté à cet élément particulièrement évocateur de sa proximité avec le groupe AP______, l'appelant a donné des explications qui ne peuvent qu'être qualifiées de farfelues. Les données et accès informatiques des entreprises font l'objet de précautions avancées, tant ils sont sensibles. Même en 2011, il est invraisemblable que E______ SA eût fourni un espace de stockage à toute personne avec qui la société avait des contacts et qui le demandait. Il est partant évident que les données retrouvées sur son serveur appartenaient à E______ SA et étaient ainsi à disposition de l'appelant ;

-        les négociations tentées en marge de la présente procédure pénale trahissent également la grande proximité entre l'appelant/E______ SA et le groupe AP______, puisque (1) dans le projet d'accord de 2018 entre B______ LTD et E______ SA, il était prévu que les fonds devant servir à indemniser B______ LTD proviendraient de F______ LLP et (2) dans le projet avec les liquidateurs de B______ LTD, E______ SA cédait l'entier de sa créance à F______ LLP ;

-        il en va de même de la multitude d'actions intentées durant la procédure à l'encontre de B______ LTD, dans le contexte desquelles l'appelant et les sociétés du groupe AP______ ont agi de manière concertée, en recourant qui plus est aux mêmes avocats.

Les différents protagonistes entendus évoquent tous l'étroitesse du lien entre l'appelant et F______ LLP (T______, U______, I______, AA______, AR______, AY______).

2.5.3. Aussi, le prévenu ne saurait être suivi lorsqu'il déclare qu'il était clair et évident que son rôle se limitait à celui de facilitateur et d'intermédiaire, sans aucun intérêt financier. S'il a soutenu que l'initiative des contacts était le fait de l'intimée et qu'il ne faisait que répondre "malgré lui", le dossier ne contient pas d'élément confirmant cette curieuse assertion. Au contraire, il ressort des courriers électroniques que, même si les messages étaient adressés également à F______ LLP, le premier à répondre était l'appelant, et que tant l'intimée que J______ BV le considéraient comme leur interlocuteur, en charge du transport.

De même, ses affirmations selon lesquelles l'intimée aurait par ailleurs été en contact régulier avec AT______ et AI______ ne sont nullement soutenues par le dossier qui ne contient aucun élément à l'appui. Bien au contraire, comme relevé précédemment, les échanges documentés et portant sur les points essentiels de l'opération ont eu lieu principalement entre l'appelant et T______ ou U______.

2.5.4. L'ambiguité du statut de X______ (de même que, dans le second volet, de AM______, cf. infra consid. 2.8.7) est encore un élément démontrant l'étroitesse des liens entre l'appelant/E______ SA et le groupe AP______ :

Selon l'intimée, X______ était un collaborateur de l'appelant, œuvrant tant pour E______ SA que F______ LLP, sur les questions opérationnelles et contractuelles lors de la conclusion des contrats de vente de fuel russe et d'affrètement de décembre 2011. À cet effet, il utilisait les adresses email finance@E______.ch et finance@F______.com, étant précisé que l'adresse courriel E______ SA a été davantage employée que celle de F______ LLP.

Il résulte clairement des éléments à la procédure, en particulier des courriels, que, loin de disposer de son propre pouvoir décisionnel, comme soutenu par AO______, X______ était subordonné à l'appelant. Il suivait ses instructions et s'est occupé des éléments opérationnels, une fois les négociations abouties avec le prévenu (entrée en scène en décembre 2011 pour la préparation des contrats, envoi de documentation, mais aucune participation aux négociations des points essentiels).

Outre qu'elles sont contredites par les éléments du dossier, les déclarations de l'appelant au sujet de X______ sont d'autant moins crédibles qu'il a varié, commençant par feindre d'ignorer qui était "AZ______" [prénom], pour ensuite nier qu'il eût œuvré pour E______ SA, et enfin admettre qu'il avait eu un rôle très secondaire apportant son concours dans des transactions où F______ LLP était également partie prenante, ce qui expliquait son accès à l'adresse finance@E______.ch. On notera à ce sujet que sa (dernière) version ne coïncide pas même avec celle de AO______, qui a préféré affirmer que X______ ne fournissait pas de services à E______ SA.

Ainsi, nonobstant les dénégations de l'appelant et les dépositions de AO______ et de X______, il est établi que ce dernier a agi selon les instructions de l'appelant, tant pour le compte de E______ SA que de F______ LLP. Il s'est à ce titre occupé de la préparation du contrat de vente de fuel par E______ SA et du contrat d'affrètement entre l'intimée et F______ LLP. À supposer que X______ ne serait formellement employé que par AO______, sa mise à disposition de l'appelant serait un élément supplémentaire d'un intérêt commun.

2.5.5. En conclusion, il n'est pas nécessaire de déterminer si AO______ s'est faussement présenté lors de son audition en appel (ainsi que dans l'affidavit produit par la défense) comme l'unique propriétaire du groupe AP______, en particulier de F______ LLP, O______ LTD et P______, ou s'il n'a livré qu'une demi-vérité, occultant la nature et l'étendue des intérêts et pouvoirs de l'appelant, il est en tout cas indéniable que pendant toute la première phase, de la conclusion du contrat de vente avec J______ BV jusqu'à la perte de l'acheteur final de l'intimée, l'appelant s'est présenté comme le transporteur maritime en charge de la cargaison de B______ LTD, via l'une de ses sociétés, E______ SA et/ou F______ LLP. Il était secondé de Y______, employé de E______ SA, et de X______, lequel lui était également subordonné dans ce contexte, tant sous la casquette E______ SA que F______ LLP. Il a agi comme s'il était l'organe, avec un véritable pouvoir de décision, non seulement sur E______ SA mais aussi F______ LLP (et, par la suite, O______ LTD et P______). Cette situation s'est reproduite à l'identique dans la seconde phase, ainsi qu'il sera discuté ci-après.

2.6. Des intentions de l'appelant en décembre 2011

La défense plaide qu'il était impossible que l'appelant eût pu spéculer sur le désistement de l'acheteur de l'intimée, dans l'idée de lui substituer son propre client, Q______.

Il faut concéder au MP que la thèse soutenue dans l'acte d'accusation n'est pas dénuée de vraisemblance, au regard de certains éléments troublants.

L'un est que l'appelant a choisi de conclure le contrat du 7 décembre 2011 avec Q______ parallèlement aux discussions avec J______ BV, puis B______ LTD, alors qu'il devait envisager que E______ SA rencontrerait des difficultés à honorer ce contrat en raison de problèmes techniques au terminal de M______ [Russie]. L'appelant l'a lui-même admis, expliquant avoir exigé un prépaiement de 10% de la part de Q______ pour cette raison, avant même d'entamer les discussions avec M______. Le risque était d'autant plus grand que la fermeture hivernale de la plupart des ports de la mer caspienne était proche.

Une autre coincidence troublante réside en ce que la qualité spécifiée pour ce premier contrat avec Q______ était identique à celle figurant sur le premier set de connaissements maritimes, laquelle ne correspondait pas aux instructions/besoins de B______ LTD. Le dossier ne permet pas de déterminer s'il s'agissait de la seule qualité fournie par la raffinerie de K______ [Turkménistan], ce qui expliquerait la nécessité d'altérer la marchandise pour répondre aux besoins de B______ LTD, ou si l'appelant avait, en décembre 2011 déjà, entrevu la possibilité de s'approprier la cargaison, et préparé les bills of lading initiaux en ce sens.

Troisième élément : dans la mesure où il avait la maîtrise des bateaux, l'appelant savait qu'il pouvait provoquer un retard de livraison en alléguant toutes sortes d'obstacles difficiles à vérifier, ce qui était susceptible de provoquer le désistement de l'acheteur final, avec pour conséquence, qui s'est réalisée, que la partie plaignante se retrouverait avec une marchandise à vendre correspondant précisément aux besoins de Q______.

Néanmoins, il reste qu'il est difficile, en l'absence de davantage d'éléments probants, de retenir que, dès son intervention dans la transaction J______ BV – B______ LTD, l'appelant aurait conçu un tel plan machiavélique, d'autant moins qu'il est établi que c'est à la demande de J______ BV qu'il a été fait appel à lui. Il faudrait donc pouvoir se convaincre qu'il a aussitôt saisi l'opportunité, l'occasion faisant en quelque sorte un larron fort audacieux.

Cela étant, comme déjà développé, la question n'est pas directement pertinente pour l'issue de la cause, de sorte qu'elle souffre de demeurer ouverte.

2.7. De l'exécution des accords J______ BV – B______ LTD – F______ LLP des 14 et 15 décembre 2011

En prolongement, et pour les mêmes motifs, il ne sera pas déterminé si, comme le soutiennent l'accusation et la partie plaignante, la cargaison de B______ LTD n'a en réalité jamais été transbordée sur H______ et mélangée avec les 80 MT supplémentaires, avant d'être re-transférée sur G______.

À cet égard aussi, le dossier présente des indices sérieux à l'appui de cette thèse, tels que mis en exergue par le jugement de première instance, auquel il est renvoyé (pour leur récapitulation, cf. p. 27, pt. m).

On relèvera qu'un élément notable tient au refus de l'appelant de remettre les connaissements originaux à J______ BV ou l'intimée qui les réclamaient et à ses propres explications à cet égard. En effet, si son allégation selon laquelle les connaissements initiaux avaient perdu toute valeur en raison du mélange supposément intervenu avec les 80 MT supplémentaires et du changement de cargo ne paraît pas dénuée de sens, on ne voit pas pourquoi il ne l'a pas dit dans ses messages, plutôt que d'annoncer que les connaissements étaient arrivés à Genève, puis de prétendre n'avoir été qu'un intermédiaire et ne plus vouloir s'en mêler. On ne voit pas davantage quel usage B______ LTD aurait pu faire de papiers-valeur qui ne permettaient que de disposer d'une marchandise qui n'existait plus, ni pour quel motif l'appelant aurait voulu éviter que la partie plaignante ne se retourne contre J______ BV, n'étant pas concerné. En revanche, si la marchandise répondait toujours aux spécifications portées sur les connaissements, parce que le mélange et le transbordement n'avaient en réalité pas eu lieu, lesdits papiers-valeur avaient toute leur importance et leur appropriation par l'appelant s'inscrivait en effet dans le contexte d'une machination tendant à priver la partie plaignante de son bien.

De surcroît, les indications données, pour la première fois en appel, sur la provenance des 80 MT (un tanker de ravitaillement) sont particulièrement peu crédibles. Il est difficile de croire que, après avoir conclu un contrat de vente portant sur 300 MT, E______ SA n'a entrepris aucune démarche pour se procurer cette marchandise, puis a opportunément réalisé que 80 MT suffiraient, et s'en est remise à la disponibilité d'un tanker de passage. Le chiffre de 80 MT semble plutôt avoir été articulé pour expliquer la faible variation entre les 2'420'864 MT initiales et la quantité de 2'501'137 MT mentionnée sur les connaissements du 18 janvier 2012, ce qui n'aurait pas été possible avec un ajout de 300 MT.

Cela étant, la question souffre en définitive de demeurer ouverte, comme déjà dit.

2.8. De la vente B______ LTD – O______ LTD – P______ – E______ SA – Q______

2.8.1. Lorsque l'acheteur de la partie plaignante s'est désisté, le 17 janvier 2012, la marchandise et les documents maritimes incorporant le titre de propriété sur celle-ci (abstraction faite de la portée des connaissements à supposer que les spécifications de la marchandise avaient changé) se trouvaient en possession de F______ LLP, société contrôlée par l'appelant (de fait et selon la représentation de B______ LTD), voire, s'agissant des connaissements, en main de l'appelant lui-même.

Pour sa part, l'appelant, à supposer qu'il ne l'avait provoqué, a en tout cas trouvé dans cet état de fait la solution susceptible de lui permettre d'honorer le contrat "suspendu" avec Q______, soit une cliente importante pour E______ SA, étant rappelé que, selon les déclarations de l'intéressé devant la juridiction d'appel, une autre transaction portant sur plusieurs millions de dollars avec ce partenaire était en cours en mars 2012, sans préjudice de l'acompte de USD 238'810.- perçu de Q______ en décembre 2011.

Le prévenu, s'exprimant au nom de F______ LLP, a dès lors exercé une pression temporelle sur B______ LTD en invoquant l'accumulation de frais de surestaries, afin de l'amener à contracter avec (in fine) Q______.

Il est observé à cet égard que la question des surestaries semble avoir été un prétexte, utilisé pour exercer cette pression. En particulier, le montant de ces frais tel qu'articulé par F______ LLP est discutable. En effet, F______ LLP réclamait la somme d'USD 548'000.-, représentant environ 156 jours (548'000.- / 3'500.- [frais de surestaries journaliers prévus par le contrat d'affrètement] = 156). Or, entre le chargement de la marchandise à K______ [Turkménistan] (16 décembre 2011) et son déchargement à AF______ [Ukraine] (2 mai 2012), 138 jours ont passé. En outre, à la lecture des échanges de courriels, les parties étaient convenues, vu la complexité de la transaction et le prix proposé pour l'affrètement, que les frais de surestaries engagés à M______ [Russie] seraient à la charge de F______ LLP. Or, le G______ était à M______ à partir du 21 décembre 2011 et y est resté à tout le moins jusqu'au – prétendu – chargement sur H______ le 18 janvier 2012, ce qui diminuerait de près de 30 jours supplémentaires les surestaries revendicables par F______ LLP. En tout état, le calcul ayant permis d'avancer le chiffre d'USD 548'000.- n'est pas expliqué au dossier, sans préjudice de ce que celle-ci n'a apparemment pas exigé de P______ la partie du prix de vente destinée à la couvrir de ses supposés frais.

2.8.2. Quoi qu'il en soit, l'option la plus simple pour l'intimée était effectivement de trouver une issue incluant l'appelant et les sociétés qui lui étaient liées. Pour la partie plaignante, qui ignorait l'existence du contrat "suspendu", le prévenu avait un intérêt à ce que la cargaison puisse être revendue rapidement et son navire libéré, ce qui a été vu comme un élément rassurant, malgré une confiance relative en ce partenaire qui n'avait pas été en mesure de livrer la marchandise à temps et qui avait fourni des explications peu claires, voire contradictoires, à cet égard.

Surtout, le prix substantiellement plus élevé, que le nouveau client proposé par l'appelant s'engageait à payer a conforté la partie plaignante dans l'idée que la transaction telle que proposée permettrait de couvrir les prétentions de l'ensemble des protagonistes. De cette façon, F______ LLP et B______ LTD étaient intéressées à la réussite de l'opération et œuvraient dans la même direction : éviter toute perte financière.

2.8.3. L'appelant a d'emblée pris la direction des négociations, ce qui était facilité par sa maîtrise de la cargaison et la position de faiblesse de B______ LTD qui ne détenait pas les titres de propriété.

Ainsi, quelques jours à peine après le 17 janvier 2012, l'appelant a proposé son acquéreur ukrainien pour l'intégralité de la marchandise et même avancé un prix de vente. Déjà à ce stade, il a impliqué son conseiller juridique externe, AM______, lequel était en copie de cet échange de courriels, aux côtés de trois autres destinataires de E______ SA.

Les contours de l'opération de vente à Q______ ont été discutés entre février et avril 2012. Mi-février 2012, des réunions ont eu lieu entre B______ LTD et E______ SA, dans les bureaux de cette dernière. Excepté l'appelant, aucun représentant de F______ LLP n'était présent, ce qui témoigne encore de ce qu'il menait les opérations.

2.8.4. Les deux premières propositions de l'intimée – vente directe à Q______ ou vente à E______ SA – ont été refusées par le prévenu. Les motifs qu'il a avancés sont discutables.

D'une part, Q______ est elle-même détenue par des sociétés offshores et la seule société non offshore de cette opération est E______ SA. Par ailleurs, Q______ n'avait rien à craindre d'une absence de surface financière du vendeur (la situation eût pu être différente si la partie plaignante avait été l'acheteur), d'autant que l'appelant était en mesure de la rassurer sur l'existence et la disponibilité de la marchandise. Il est d'ailleurs significatif que ce dernier, qui a pourtant été très proactif dans la procédure, n'a jamais produit aucun témoignage ni aucune pièce démontrant que Q______ n'aurait pas accepté de contracter directement avec l'intimée.

D'autre part, la prétendue volonté de ne pas froisser J______ BV n'est pas crédible. Cette dernière continuait de réclamer les bills of lading originaux de sorte qu'il y avait au moins une tension entre l'appelant et J______ BV et on ne comprend pas pourquoi cette dernière, qui avait elle-même intérêt à ce que le contentieux avec la partie plaignante fut réglé, aurait été concernée par le choix de l'acheteur ou pu être gênée par l'implication de l'appelant, étant de surcroît rappelé que c'est elle qui l'avait initialement introduit à l'intimée.

Quant à la nécessité, évoquée en appel, de disposer en O______ LTD d'une "interface" qui s'assurerait de la distribution du prix de vente selon les accords transactionnels intervenus, elle n'existe pas, dans la mesure où E______ SA eût pu tout aussi bien jouer ce rôle (même mieux, puisque, à suivre l'appelant, E______ SA serait indépendante du groupe AP______ auquel appartiennent tant F______ LLP, destinataire d'une partie du prix selon lesdits accords, que O______ LTD).

2.8.5. En revanche, par le jeu de la "chaîne de contrats", l'appelant est parvenu à imposer la solution lui permettant de prendre le contrôle de la transaction d'un point de vue financier, alors qu'il avait déjà celui de la marchandise.

Il a placé un intermédiaire, selon ce qui était communiqué à B______ LTD, deux en réalité, entre E______ SA et B______ LTD, intermédiaires qu'il contrôlait. Or, cette construction complexe n'avait de sens que si l'appelant n'avait en réalité aucune intention de faire parvenir le prix de vente à la partie plaignante.

S'agissant de deux sociétés de domicile, sises dans les Iles Marshall, le recouvrement serait compliqué et E______ SA protégée par l'absence de rapport contractuel direct avec le vendeur frustré du prix.

P______ a de toute évidence servi au prévenu pour affranchir E______ SA de toute responsabilité. N'étant pas, sur le papier, l'ayant droit économique final de P______, l'appelant pouvait démontrer que E______ SA s'était dessaisie du prix de la vente versé par Q______. L'intervention de P______, tue à l'intimée, ne trouve pas d'autres explications au dossier de la procédure. L'appelant ne saurait être suivi lorsqu'il prétend avoir refusé de conclure directement avec O______ LTD parce qu'il ne la connaissait pas. Selon U______ et T______, l'appelant s'est présenté comme le propriétaire de O______ LTD, ce qui est hautement crédible, dans la mesure où cela s'inscrit dans le prolongement de son attitude tout au long de l'affaire, étant rappelé qu'il était l'interlocuteur principal de l'intimée, notamment pour le compte de F______ LLP. Les contrats de la chaîne, dont celui de O______ LTD, ont été rédigés par AM______, alors que l'ambiguïté du statut de ce juriste (cf. infra consid. 2.8.7), à l'instar de celle de X______, ne fait que confirmer l'identité des intérêts de l'appelant et sa société et de ceux des entreprises du groupe AP______. Dans ces conditions, il n'est pas un instant crédible que l'appelant eût ignoré que O______ LTD faisait partie dudit groupe et éprouvé la moindre hésitation à contracter formellement avec elle parce qu'il n'avait pas eu le temps de conduire une due diligence.

Au contraire, dans la mesure où O______ LTD n'était en effet qu'une coquille vide qui n'a connu qu'une seule opération : la transaction litigieuse (voire une ou deux autres, mais ultérieurement, si l'on suit les déclarations de AO______), il faut retenir qu'elle a été choisie par l'appelant précisément pour ce motif, soit dans la perspective de faire obstacle aux tentatives futures de l'intimée de recouvrer le prix.

2.8.6. La partie plaignante ayant requis le paiement du prix avant tout déchargement, il a été prévu que la transaction ferait l'objet du contrat de vente entre B______ LTD et O______ LTD, ainsi que d'un accord transactionnel entre B______ LTD, F______ LLP et O______ LTD, lesquels se sont matérialisés dans le settlement agreement du 20 avril 2012 et le contrat de vente entre B______ LTD et O______ LTD du 15 avril 2012. Ainsi, ces deux contrats formaient une unité, voulue par les protagonistes, comme l'a confirmé AM______, destinée, en apparence, à garantir la transaction, le désintéressement de toutes les parties et le paiement du prix à l'intimée.

2.8.7. Sur le plan opérationnel, le contrat O______ LTD – B______ LTD a été préparé par U______ et AM______. Il est hautement vraisemblable que le modèle de contrat utilisé appartenait à E______ SA puisqu'il est semblable quant à la forme, la mise en page et le fond au contrat signé entre E______ SA et Q______ en décembre 2011, puis aux contrats signés entre les différents intermédiaires (O______ LTD – P______ ; P______ – E______ SA). Il s'agit à nouveau d'une démonstration du contrôle par l'appelant de O______ LTD. De même, si AM______ dit avoir eu un rôle d'opérateur juridique tant pour le compte de E______ SA que pour celui de F______ LLP, il est principalement apparu pour les protagonistes comme un employé de la société E______ SA (en copie d'un courriel avec son adresse @E______.ch dès janvier 2012), y compris lors de la négociation du contrat B______ LTD – O______ LTD en mars / avril. Ce n'est qu'à l'occasion de la réunion du 19 avril 2012 qu'il a été présenté par l'appelant comme le représentant de F______ LLP. J______ BV a confirmé avoir également été surprise de cette annonce et AM______ lui-même a déclaré avoir remis aux parties sa carte de visite à l'entête de E______ SA. À nouveau, les choses étaient présentées par l'appelant de façon à conforter B______ LTD et J______ BV dans leur conviction qu'elles avaient affaire à un seul homme, le prévenu, et ses sociétés (E______ SA, F______ LLP et O______ LTD).

2.8.8. Si B______ LTD et O______ LTD n'ont pas signé l'exacte même version du contrat de vente, les clauses de paiement différant, il n'en demeure pas moins que les autres dispositions sont identiques et qu'il était prévu une vente DAP à bord de G______ au port de M______. Ainsi, la vente était réalisée dès le chargement à bord du G______ dans ledit port. Le prix était exigible dès ce chargement selon le contrat signé par B______ LTD, ou 10 jours plus tard, soit entre le 22 et le 24 avril, le chargement du G______ étant intervenu au plus tard le 14 avril 2012, selon celui signé par O______ LTD.

Or, le 30 avril 2012, le paiement à l'intimée n'était toujours pas intervenu alors même que Q______ avait effectué le virement d'USD 2'045'290.- trois jours plus tôt. Afin de faire patienter la partie plaignante tandis qu'il faisait décharger la marchandise, l'appelant a présenté à U______ le swift bancaire du paiement par Q______ à E______ SA, se gardant bien de préciser que les fonds se trouvaient alors déjà dans les comptes de son entreprise. L'intimée a néanmoins maintenu son opposition au déchargement mais, ayant perdu toute maîtrise sur sa marchandise et signé un contrat de vente avec O______ LTD, elle a échoué dans ses tentatives d'empêcher le déchargement.

L'appelant avait pour sa part toutes les cartes en main pour établir un troisième set de connaissements maritimes dans lequel il a fait inscrire O______ LTD comme shipper et comme consignee. De même, les documents en sa possession lui ont permis d'établir une lettre à l'entête de E______ SA assurant que la marchandise lui appartenait et autorisant que le troisième set de bills of lading soit endossé à l'attention de Q______.

2.8.9. Dans la mesure où l'opération a pu être menée à terme à satisfaction de l'acheteur final, lequel s'était acquitté du prix de vente, il n'y avait aucune raison que ledit prix ne remonte pas la "chaîne de contrats", alors que tel n'a pas été le cas (sous réserve des USD 200'000.- payés le 2 mai 2012), l'intimée subissant un dommage du montant correspondant.

Pourtant, l'intimée avait encore accepté de supporter la somme d'USD 170'000.- au titre de frais soi-disant encourus des suites des procédures introduites par elle pour stopper le G______, alors que la procédure n'en établit pas la réalité, étant précisé qu'à teneur du contrat, le déchargement à AF______ était prévu entre le 22 et le 30 avril et qu'il a bien commencé le 30 avril 2012.

2.8.10. En conclusion, le déroulement des événements établit que, suite au désistement de l'acquéreur initial de la marchandise, l'appelant, maniant habilement carotte et bâton, a convaincu la partie plaignante de lui substituer, in fine, Q______, ce qui lui permettait d'honorer le contrat "en suspens" du 7 décembre 2011. Toutefois, il n'avait, dès le début de ces négociations, pas l'intention d'honorer le prix de vente. Seule une telle intention frauduleuse explique la construction juridique mise en place, en partie à l'insu de l'intimée (maillon P______), comportant une juxtaposition de deux intermédiaires avant E______ SA, dont en premier lieu la coquille vide O______ LTD, auprès de laquelle la partie plaignante serait bien en peine de recouvrer son dû. Cette intention se déduit également de ce que le motif articulé par l'appelant pour justifier le défaut de paiement, soit la tentative de la partie plaignante de bloquer le déchargement en initiant une procédure arbitrale à BW______ [Russie] n'est qu'un mauvais prétexte : la démarche n'a pas abouti et les maillons de la chaîne n'ont subi aucun préjudice puisque Q______ a, promptement, payé le prix. Du reste, l'intimée avait même accepté la réduction du prix de vente d'USD 170'000.- selon l'accord du 7 mai 2012.

L'appelant a exploité la conviction de la partie plaignante, qu'il avait contribué à entretenir depuis le mois de décembre 2011, selon laquelle il était au final le propriétaire du G______, sur lequel se trouvait la marchandise, et a astucieusement dirigé B______ LTD vers la signature d'un contrat de vente avec O______ LTD et d'un settlement agreement avec F______ LLP et O______ LTD, lui faisant croire à la fois qu'elle n'avait d'autres solutions et que l'opération permettrait de régler toutes les questions, soit la vente de dite marchandise et le règlement des prétentions que F______ LLP menaçait, selon lui, d'émettre à son encontre au titre des surestaries.

B______ LTD a usé des précautions qu'on pouvait exiger d'elle en s'assurant contractuellement du paiement avant déchargement, soit la protection maximale qu'elle pouvait demander. On ne saurait lui reprocher de ne pas avoir vérifié la solvabilité de O______ LTD, vu la confusion créé et entretenue par l'appelant sur l'appartenance de O______ LTD, comme de F______ LLP, au même groupe que E______ SA. Du reste, le défaut de recouvrement est en premier lieu dû au fait qu'alors que les fonds ont bien transité de Q______ à E______ SA puis à P______, celle-ci ne les a pas versés à O______ LTD alors que ces deux dernières sociétés appartiennent bien au même groupe.

2.8.11. Les arguments plaidés à la défense de l'appelant, selon lesquels il s'agirait uniquement d'un litige civil, soit d'une opération commerciale qui se serait heurtée à une succession de coups du sort doublée de mauvaise communication entre les protagonistes, ne tient pas compte des éléments qui précèdent, outre qu'elle tend essentiellement à répondre aux reproches liés à la première partie des événements (inexécution des contrats des 14 et 15 décembre 2011), soit des faits qui n'ont pas été tenus pour directement pertinents.

En particulier, l'accord transactionnel entre B______ LTD et J______ BV s'explique puisque la vente à Q______ a eu lieu. B______ LTD n'avait pas de raison de continuer à s'en prendre à J______ BV, contrairement à ce que plaide la défense, et ce même si J______ BV n'a jamais été en mesure de transmettre les documents maritimes en violation de ses engagements contractuels. À cet égard, on rappellera que de nombreux indices au dossier laissent à penser que l'appelant s'en est emparé et qu'il lui incombait de les transmettre à J______ BV ce qu'il a refusé de faire (déclarations des employés de J______ BV, courriels échangés à l'interne de J______ BV en 2012, déclarations de l'appelant, Y______ et X______, quant à l'emplacement des connaissements maritimes, etc.). L'incapacité de J______ BV de délivrer les connaissements a cependant été réparée puisque la marchandise a pu être vendue à un acheteur final et que ce dernier en a payé le prix, même s'il n'est pas parvenu à la partie plaignante.

2.9. L'appelant a ainsi intentionnellement trompé la partie plaignante en l'amenant à signer le settlement agreement et le contrat de vente de la marchandise avec O______ LTD, sachant que l'intimée ne serait pas payée du prix de vente. Les manœuvres sophistiquées élaborées pour parvenir au résultat escompté, telles que décrites ci-dessus, revêtent assurément un caractère astucieux. Il a agi dans le dessein d'enrichir son entreprise ou une des entreprises appartenant à AO______ de ce montant, ainsi que dans celui d'honorer son contrat avec Q______ en fournissant la marchandise promise plusieurs mois auparavant.

Partant, les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de l'escroquerie sont réalisés (art. 146 al. 1 CP). Le verdict de culpabilité retenu en première instance sera confirmé.

2.10. Les faits établis ci-dessus sont également constitutifs d'abus de confiance au sens de l'art. 138 ch. 1 CP : l'appelant, à travers F______ LLP puis E______ SA, s'est approprié sans droit la cargaison qui lui avait été confiée, l'incorporant économiquement à son patrimoine. Il l'a ensuite vendue, comme s'il en était le propriétaire, à Q______, percevant le prix de vente. Or, dans la seconde partie des événements, dite marchandise avait été confiée à F______ LLP, qu'il contrôlait à tout le moins pour cette occurrence, aux fins d'être livrée à Q______ au bénéfice de B______ LTD (non de E______ SA, puis P______), au travers d'intermédiaires, autrement dit en exécution de la "chaîne de contrats" complète. Il a agi intentionnellement dans le dessein de s'enrichir du prix de la vente ou d'enrichir l'une des sociétés de AO______ de ce montant. L'abus de confiance est toutefois ici absorbé par l'escroquerie en raison des manœuvres frauduleuses employées par l'appelant pour se faire confier la cargaison et la détourner ensuite à son profit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_91/2007 du 8 juillet 2007 consid. 6.2).

3. 3.1. L'escroquerie est passible d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire (art. 146 al. 1 CP).

3.2. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 136 IV 55 consid. 5.6).

3.3. Selon l'art. 42 al. 1 CP, le juge suspend en règle générale l'exécution, notamment, d'une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d’autres crimes ou délits.

3.4. La faute de l'appelant est sérieuse. Il a agi au mépris du patrimoine d'autrui et sans considération aucune pour sa victime. Le dommage de celle-ci avoisine les USD 2 millions, soit un dommage conséquent quand bien même il peut paraître relativement peu important à l'échelle des transactions dans le négoce de pétrole.

Son mobile est égoïste et lié à l'appât du gain facile.

Sa situation personnelle n'explique nullement ses actes. Au contraire, de nombreux éléments au dossier le présentaient comme un homme d'affaires important et de confiance dans le négoce de pétrole au Turkménistan. Il effectuait des opérations avec des entreprises de renommée internationale.

Sa collaboration est mauvaise. Tout au long de la procédure, il s'est évertué, non sans varier dans certaines déclarations, à cantonner son rôle à celui d'un simple "facilitateur" pour rejeter la responsabilité des événements sur la partie plaignante. En parallèle, et afin de paralyser la procédure, il a initié toutes sortes d'actions, personnellement ou par le truchement des sociétés du groupe AP______, allant même jusqu'à tenter d'obtenir la mise en liquidation de sa partie adverse.

Sa prise de conscience est inexistante.

Il n'a pas d'antécédent, facteur neutre dans la fixation de la peine.

Au vu de la gravité des faits, seule une peine privative de liberté entre en considération pour l'infraction commise.

La peine prononcée par le premier juge de 18 mois est adéquate et sera confirmée. Elle tient compte de la circonstance atténuante du temps écoulé depuis l'infraction (art. 48 let. e CP ; peine hypothétique 22 mois, déduction de quatre mois vu l'écoulement du temps depuis l'infraction = 18 mois). Le bénéfice du sursis lui est acquis, de même que la durée du délai d'épreuve fixée à trois ans.

Partant, le jugement entrepris sera intégralement confirmé sur ce point.

4. 4.1. Admise une nouvelle fois par le TP (consid. 5.2.6), la qualité de partie plaignante de B______ LTD n'est plus contestée en appel.

4.2. L'action civile par adhésion ne peut être exercée qu'en rapport avec les infractions objets de la procédure (art. 122 al. 1 CPP) et contre leur auteur présumé (ACPR/33/2014 du 15 janvier 2014 ; N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 2e éd., Zurich 2013, N 3-4 ad art. 122).

Bien que régi par les art. 122 ss CPP, le procès civil dans le procès pénal demeure soumis à la maxime des débats et à la maxime de disposition. Ainsi, l'art. 8 CC est applicable au lésé qui fait valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale. Le lésé doit donc alléguer et prouver tous les faits constitutifs de l'art. 41 al. 1 CO : l'acte illicite, la faute, le dommage et le rapport de causalité naturelle et adéquate entre l'acte illicite et le dommage. Le lésé supporte le fardeau de la preuve de chacun de ces faits pertinents, ce qui signifie que si le juge ne parvient pas à une conviction, s'il n'est pas à même de déterminer si chacun de ces faits s'est produit ou ne s'est pas produit, il doit statuer au détriment du lésé (ATF
132 III 689 consid. 4.5 ; 129 III 18 consid. 2.6 ; 126 III 189 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_98/2021 du 8 octobre 2021 consid. 2.1.3).

Le critère décisif est le lien de connexité avec l’infraction. La prétention civile doit reposer sur le même état de fait, c'est-à-dire sur les mêmes actes que ceux dont l’autorité pénale estime qu’ils réalisent les éléments constitutifs d’une infraction. La connexité s’examine au regard des faits ; ceux qui fondent les prétentions civiles doivent être identiques ou étroitement liés à ceux qui sont retenus dans l’acte d’accusation comme étant constitutifs d’une ou de plusieurs infractions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1117/2013 du 6 mai 2014 consid. 3.5 ; C. PERRIER DEPEURSINGE/A. GARBARSKI/L. F. MUSKENS, Action civile adhésive au procès pénal no man’s land procédural ?, in SJ 2021 II p. 185 ss, 197 s.).

4.3. L'appelant a contesté en appel les conclusions civiles de B______ LTD admises en première instance.

Le verdict de culpabilité du prévenu du chef d'escroquerie étant confirmé, l'appelant doit être condamné à réparer le dommage subi par l'intimée, équivalent à tout le moins à la valeur de la marchandise selon le prix payé à J______ BV, moins l'acompte reçu, soit USD 1'742'465.- avec intérêts à 5% dès le 3 mai 2012, étant observé que la partie plaignante eût pu envisager de prendre comme base de calcul le prix, supérieur, de la vente à O______ LTD, si ce n'est à Q______ (art. 41 CO).

En revanche, les frais encourus par la partie plaignante en raison des diverses procédures introduites en Suisse et à l'étranger par l'appelant ou les sociétés qui lui sont liées ne reposent pas sur le même état de fait que celui constitutif de l'infraction d'escroquerie. Certes, ils visaient, in fine à empêcher la partie plaignante de faire valoir ses droits découlant de l'infraction dont elle a été victime, mais les multiples procédures diligentées à cette fin sont postérieures aux faits et ne font pas l'objet de l'accusation ici discutée. Cela est d'autant plus vrai que le MP n'est pas entré en matière sur la plainte pénale du 12 juin 2020 de B______ LTD visant précisément ces comportements (qualifiés de contrainte au sens de l'art. 181 CP par B______ LTD ; ONMMP/1971/2021 du 1er juin 2021, pièce 215001).

La réparation du dommage allégué dans ce contexte ne saurait donc être allouée dans le cadre de l'action par adhésion. L'appel sera ainsi admis sur ce point.

5. 5.1. L'appelant, qui succombe pour l'essentiel, supportera 95% des frais de la procédure envers l'État (art. 428 CPP). Le solde sera mis à la charge de B______ LTD dont les conclusions civiles maintenues en appel ont été partiellement rejetées.

Ils comprennent un émolument de décision de CHF 4'000.-.

5.2. Vu l'issue de l'appel, la répartition des frais de la procédure préliminaire et de première instance ne sera pas réexaminée.

6. 6.1. La question de l'indemnisation doit être tranchée après la question des frais (arrêt du Tribunal fédéral 6B_548/2018 du 18 juillet 2018 consid. 1.1.2).

6.2. Aux termes de l'art. 433 al. 1 CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure lorsqu'elle obtient gain de cause (let. a) ou lorsque le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 CPP (let. b). Cette indemnité doit être mise à la charge du prévenu, non de l'État (AARP/291/2021 du 13 septembre 2021 consid. 8.1.3).

La partie plaignante a obtenu gain de cause au sens de cette norme lorsque le prévenu a été condamné et/ou si les prétentions civiles ont été admises, à tout le moins partiellement (AARP/180/2021 du 29 juin 2021 consid. 8.8.1).

L'art. 433 CPP est applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP). Les prétentions en indemnité dans les procédures de recours doivent être fixées séparément pour chaque phase de la procédure, indépendamment de la procédure de première instance. Le résultat de la procédure de recours est déterminant (ATF
142 IV 163 consid. 3.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1360/2016 du 10 novembre 2017 consid. 3.2).

6.3. La juste indemnité couvre les dépenses et les frais nécessaires pour faire valoir le point de vue de la partie plaignante dans la procédure pénale. Les démarches superflues, abusives ou excessives ne sont pas indemnisées (ATF 115 IV 156 consid. 2d). Le juge dispose d'une marge d'appréciation à cet égard, mais ne devrait pas se montrer trop exigeant dans l'appréciation rétrospective qu'il porte sur les actes nécessaires à la défense du prévenu (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, N 19 ad art. 429).

L'indemnité couvre en particulier les honoraires d'avocat, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Dans le cadre de l'examen du caractère raisonnable du recours à un avocat, il doit être tenu compte, outre de la gravité de l'infraction et de la complexité de l'affaire en fait ou en droit, de la durée de la procédure et de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu (cf. ATF 138 IV 197 consid. 2.3.5).

À la lumière de ces principes, il y a lieu de retenir que l'autorité pénale amenée à fixer une indemnité n'a pas à avaliser purement et simplement les notes d'honoraires d'avocats qui lui sont soumises : elle doit, au contraire, examiner, tout d'abord, si l'assistance d'un conseil était nécessaire, puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire, et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conformes au tarif pratiqué à Genève, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

La maxime de disposition s'applique s'agissant de sommes incombant au prévenu en vertu de l'art. 433 CPP, l'autorité pénale n'ayant pas à les examiner d'office (arrêt du Tribunal fédéral 6B_965/2013 du 3 décembre 2013 consid. 3.3.3 ; arrêt de la Cour de justice AARP/291/2021 du 13 septembre 2021 consid. 8.1.3).

6.4. Les honoraires d'avocat se calculent selon le tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule (arrêt du Tribunal fédéral 6B_392/2013 du 4 novembre 2013 consid. 2.3). Bien que le canton de Genève ne connaisse pas de tarif officiel des avocats, la CPAR applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 450.- (arrêt du Tribunal fédéral 2C_725/2010 du 31 octobre 2011 ; ACPR/279/2014 du 27 mai 2014) ou de CHF 400.- (ACPR/282/2014 du 30 mai 2014), notamment si l'avocat concerné avait lui-même calculé sa prétention à ce taux-là (ACPR/377/2013 du 13 août 2013). Elle retient un taux horaire de CHF 150.- pour les avocats stagiaires (ACPR/89/2017 du 23 février 2017).

6.5. En l'occurrence, le principe de la couverture des dépenses de la plaignante pour ses frais de défense dans la procédure d'appel est acquis à concurrence de 95% de leur total, en corrélation avec le pourcentage de la condamnation de l'appelant aux frais.

Cela étant, seules les démarches en lien avec la procédure pénale devant la juridiction d'appel peuvent entrer en considération.

Ainsi, concernant Me C______, seront retenues 01h55 de la note de frais du 2 mai 2022 (CHF 670.85), 06h15 de celle du 7 novembre 2022 (CHF 2'187.50), ainsi que la totalité de celle du 1er décembre 2022 (CHF 13'278.45). Sera ajoutée la durée des débats d'appel (19h00, soit CHF 6'650.-), soit un total de CHF 22'786.80.

Concernant Me D______, le tarif horaire sera ramené à CHF 450.- pour l'activité de l'associé et à CHF 150.- pour celle de l'avocate-stagiaire. Seront retenues 05h00 en lien avec les notes de frais des 14 avril, 18 juillet et 11 novembre 2022 et CHF 145.50 de débours (CHF 2'395.50), ainsi que la totalité de la note de frais du 7 décembre 2022 (CHF 6'802.50 avec les débours et après correction du tarif horaire), soit un total de 17'748.-.

L'indemnisation accordée à la plaignante pour ses frais de défense dans la procédure d'appel sera dès lors arrêtée en totalité à CHF 38'508.05 (95% de 40'534.80 [22'786.80 + 17'748.-] ; montant non soumis à TVA).

6.6. Non contestée en appel dans sa quotité, l'indemnité octroyée à B______ LTD pour ses frais de défense pour la procédure préliminaire et de première instance ne sera pas revue.

7. 7.1. Selon l'art. 263 al. 1 CPP, des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mises sous séquestre lorsqu'il est probable qu'elles seront utilisées pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b). On parle alors de séquestre en couverture des frais (art. 268 CPP). À teneur de l'art. 268 al. 1 let. a CPP, le patrimoine d'un prévenu peut être séquestré dans la mesure qui paraît nécessaire pour couvrir les frais de procédure et les indemnités à verser.

Cette mesure est destinée à couvrir les conséquences financières prévisibles du procès que le prévenu aura à supporter, soit notamment le paiement des frais de procédure, et la mesure peut s'étendre à l'ensemble des biens du prévenu, y compris ceux qui sont sans relation avec l'infraction commise et qui sont d'origine licite (G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse : Manuel, 3e éd., Zurich 2011, N 1357 et 1407).

7.2. En l'espèce, l'appelant est condamné au paiement des frais de la procédure préliminaire et de première instance (CHF 23'865.85 ; cf. supra consid. 5.2) et de la procédure d'appel (à hauteur de 95%, soit CHF 4'575.25; cf. supra consid. 5.1), ainsi qu'au paiement d'indemnités pour les frais de défense de la partie plaignante (procédure préliminaire et de première instance : CHF 752'930.- ; procédure d'appel : CHF 38'508.05 ; cf. supra consid. 6.5 et 6.6).

Le premier juge a prononcé le séquestre de l'immeuble propriété de l'appelant et son épouse en garantie du paiement de ces frais et indemnités (art. 263 al. 1 let. b, 266 al. 3, 267 al. 3 et 268 al. 1 let. a CPP ; art. 56 let. a ORF).

L'appelant n'a pas contesté ce séquestre pour l'hypothèse d'une confirmation du verdict de culpabilité, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'écarter du raisonnement du premier juge, auquel il sera renvoyé (consid. 9 du jugement entrepris).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/274/2022 rendu le 15 mars 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/13965/2012.

L'admet très partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable d'escroquerie (art. 146 CP).

Condamne A______ à une peine privative de liberté de 18 mois.

Le met au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à trois ans.

L'avertit de ce que, s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine.

Condamne A______ à payer à B______ LTD, à titre de réparation du dommage matériel (art. 41 CO), la somme d'USD 1'742'465.-, avec intérêts à 5% dès le 3 mai 2012.

Déboute B______ LTD de ses conclusions civiles pour le surplus.

Ordonne la restitution à E______ SA des documents figurant sous chiffres 1 à 10 de l'inventaire du 3 juin 2014.

Ordonne la restitution à A______ de l'ordinateur figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n°12______.

Ordonne le maintien du séquestre et de la restriction au droit de l'aliéner inscrite au Registre foncier de l'immeuble, feuillet 13______, sur la commune de BP______ [GE], sis no. ______ chemin 11______, copropriété de A______ et AH______, en garantie du paiement des frais de la procédure et des indemnités octroyées.

Condamne A______ à payer à B______ LTD CHF 752'930.-, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure préliminaire et de première instance, ainsi que CHF 38'508.05 pour la procédure d'appel (non soumis à TVA).

Condamne A______ aux frais de la procédure préliminaire et de première instance, qui s'élèvent à CHF 23'865.85.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 4'815.-, comprenant un émolument de décision de CHF 4'000.-.

Met 95% de ces frais, soit CHF 4'574.25 à la charge de A______ et 5%, soit CHF 240.75 à celle de B______ LTD.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière:

Yael BENZ

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

23'865.85

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

280.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

460.00

État de frais

CHF

75.00

Émolument de décision

CHF

4'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

4'815.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

28'680.85