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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2905/2024

JTAPI/731/2025 du 30.06.2025 ( LDTR ) , ADMIS

ATTAQUE

Descripteurs : OBJET DU LITIGE;ACTION EN NULLITÉ(EN GÉNÉRAL);NULLITÉ;FRAUDE À LA LOI
Normes : LDTR.39; CC.973.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2905/2024 LDTR

JTAPI/731/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 juin 2025

 

dans la cause

 

ASSOCIATION A______, représentée par Mes Romolo MOLO et Maurice UTZ, avocats, avec élection de domicile

 

contre

 

Monsieur B______

C______ SÀRL

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCLPF


EN FAIT

1.             Monsieur D______ est administrateur président, avec pouvoir de signature individuelle, de E______ SA (ci-après : F______; société dont la raison sociale était jusqu’au 30 juillet 2020 F______ SA), dont le siège se situe au 1______, rue G______.

2.             Le 12 juillet 2002, il a acquis l’immeuble comportant vingt-deux appartements sis au 2______, route des H______, sur la parcelle no 3______ de la commune de I______, située en deuxième zone de développement (ci-après : l’immeuble).

3.             Le 15 juin 2012, il a vendu l’immeuble, au prix de CHF 3’444’000.-, à J______ SA (ci-après : J______).

4.             J______ a pour but les achats et ventes immobilières et l’exploitation d’immeubles. Depuis sa création en novembre 2011, son siège est auprès de F______ et M. D______ en a été administrateur jusqu’au 29 août 2012, date à laquelle il en est devenu administrateur président, toujours avec un pouvoir de signature individuelle.

5.             Le 25 juin 2012, les statuts de J______ ont été modifiés, cette dernière devenant une société immobilière d’actionnaires-locataires (ci-après : K______).

6.             Dès le 29 juin 2012, l’immeuble a été soumis au régime de la propriété par étages (ci-après : PPE).

7.             Le 23 juillet 2012, L______ SA (ci-après : L______) a acquis le certificat d’actions n° 8 de J______ ; la valeur fiscale dudit certificat s’élevait, selon l’acte notarié, à CHF 126’000.-.

8.             L______ a pour but l’achat, la vente, la construction et la gérance de tous biens immobiliers, ainsi que tous conseils en investissements immobiliers. Depuis janvier 2021, elle a son siège auprès de F______. M. D______, qui y a toujours disposé de la signature individuelle, depuis sa création en avril 2002, en est actuellement administrateur président.

9.             Le 3 décembre 2013, J______ a transféré la propriété du lot PPE n° 4______ (ci-après : le lot ; feuillet 5______), à savoir l’appartement de deux pièces de 49 m2 avec cave correspondant au certificat d’actions n° 8, à L______.

D’autres parts de PPE ont été transférées à des sociétés ou à des personnes proches de M. D______, dont Messieurs M______ et N______
(cf.
ATA/948/2014 du 2 décembre 2014).

10.         En janvier 2014, A______ (ci-après : A______) a interjeté deux recours auprès du Tribunal administratif de première instance
(ci-après : le tribunal) contre l’absence de décision du département du territoire
(ci-après : le département ; à l’époque département du logement, de l’aménagement et de l’énergie) et l’inscription au registre foncier (ci-après : RF) de 19 acquéreurs d’appartements au sein de l’immeuble, lesquels, après avoir acheté des actions de J______, avaient chacun été inscrits au grand livre du RF en tant que propriétaires de l’appartement correspondant à leur certificat d’actions.

11.         Après que le tribunal eut déclaré irrecevable le recours visant notamment le transfert de l’appartement n° 4______ à L______ (JTAPI 6______ du ______ 2014), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a, par ATA 7______ du ______ 2015, partiellement admis le recours déposé par l’A______, annulé le jugement et directement transmis la cause au département pour qu’il statue par décision sur la soumission des transferts à autorisation d’aliéner et, le cas échéant, délivre ou rejette lesdites autorisations. Si, dans l’instruction de ces procédures, le département constatait l’existence d’une fraude à la loi ou suspectait la commission d’autres infractions de nature pénale ou disciplinaire, il devrait prendre les décisions qui s’imposaient en sa qualité d’autorité de répression ou dénoncer les autres infractions aux autorités compétentes. Si, au terme de son instruction, le département constatait qu’une autorisation d’aliéner était nécessaire, mais que les conditions de sa délivrance n’étaient pas réunies et que la transaction faite devant le notaire était viciée, il lui appartiendrait de statuer, en sa qualité d’autorité de surveillance du RF, sur les conséquences de cette situation sur les inscriptions correspondantes portées au grand livre (conditions de révocation, etc.).

12.         Le 9 avril 2014, le RF a adressé aux études de notaires genevoises une note relative aux opérations de liquidation des K______ et transformation des cessionnaires détenteurs de certificats d’actions en propriétaires d’étages. Depuis 1995 au moins, ces opérations n’étaient pas soumises à autorisation de vente au regard de la législation sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation. Il était toutefois apparu que les exigences légales pouvaient être contournées par diverses opérations juxtaposées dans l’application de cette pratique. Cette dernière était dès lors momentanément suspendue et les opérations en cause devraient dorénavant être soumises à la direction des autorisations de construire, rattachée au département, pour décision sur la question de l’assujettissement ou non à la législation sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation.

13.         Le 23 juin 2014, L______ a aliéné le lot à Monsieur O______ pour le prix de CHF 405’000.-.

14.         Le 29 juillet 2015, suite à ce changement de pratique, le département a refusé d’autoriser l’aliénation de deux appartements de l’immeuble aux actionnaires détenant le certificat d’actions correspondant. Ce refus a été confirmé par le tribunal le ______ 2016 (JTAPI 8______), la chambre administrative le ______ 2017 (ATA 9______) et le Tribunal fédéral le ______ 2017 (arrêt 10______) ; ces instances judiciaires ont constaté l’existence d’une fraude à la loi.

15.         Le 2 mai 2023, M. O______ a aliéné le lot pour le prix de CHF 405’000.- à L______.

16.         Le 28 juillet 2023, L______ a aliéné le lot, pour le prix de CHF 535’000.-, à C______ SARL (ci-après : MI), société ayant pour but, selon ses statuts, d’entreprendre toutes transactions ou opérations immobilières.

17.         MI a pour gérant avec signature individuelle Monsieur Q______ et pour associé P______ SA, dont l’administrateur avec signature individuelle est également M. Q______.

18.         Le 25 juillet 2024, MI a aliéné le lot pour le prix de CHF 675’000.- à Monsieur B______, selon publication dans la Feuille d’avis officielle du canton de Genève (ci-après : FAO) le 23 août 2024.

19.         Le 29 août 2024, l’A_______ a demandé à l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF), rattaché au département, de l’informer des raisons pour lesquelles l’aliénation du 25 juillet 2024 n’avait pas fait l’objet d’une autorisation conformément à l’art. 39 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l’emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Elle l’a prié de bien vouloir instruire le RF de ne pas procéder à l’inscription de l’acquéreur au Grand livre.

20.         Le 3 septembre 2024, l’OCLPF a répondu que, renseignements pris auprès du RF, aucune autorisation d’aliéner au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR n’avait été requise dans la mesure où l’appartement concerné n’avait jamais été loué ou offert en location par MI et qu’il n’avait jamais été acquis par voie d’adjudication. Il avait été fait application de l’art. 11 du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01) dès lors que MI ne possédait que cet appartement dans l’immeuble.

Il renonçait à saisir le RF et la laissait prendre, envers celui-ci, les dispositions qu’elle jugeait utiles. Il notait enfin que les précédents actes de vente concernant cet appartement avaient été traités de manière similaire depuis 2014.

21.         Par acte du 4 septembre 2024, l’ASLOCA a interjeté recours contre ce courrier du 3 septembre 2024 auprès du tribunal. Préalablement, elle a requis qu’il soit ordonné à MI de produire copies des réquisitions à l’appui, tant de l’inscription publiée le 1er septembre 2023 que de son inscription au titre de propriétaire du lot 5______ qui semblait ne jamais avoir été publiée dans la FAO au mépris de l’art. 157 de la loi d’application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC - E 1 05). Principalement, elle a conclu qu’il soit ordonné au département de révoquer toute inscription portée au Grand livre de tout propriétaire, autre que L______ SA, pour le lot 5______, qu’il soit dit que toute aliénation d’un appartement dans l’immeuble, qui n’avait pas déjà fait l’objet d’une autorisation en application de l’art. 39 LDTR, devait être soumise à une telle autorisation, et qu’il soit ordonné au département de soumettre à autorisation, en application de l’art. 39 LDTR, l’aliénation du 25 juillet 2024. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au département pour instruction dans le sens des considérants et il devait être ordonné à ce dernier de rendre une décision susceptible de recours concernant l’assujettissement de l’aliénation susdite à l’art. 39 LDTR ; le tout sous suite de frais et dépens.

À la lumière de la fraude à la loi avérée s’agissant de l’immeuble, la norme éludée, à savoir l’art. 39 LDTR, devait trouver application. Or, mis à part une amende peu importante au regard du bénéfice réalisé au moyen des K______ frauduleuses dans plusieurs autres immeubles également, le département n’avait rien fait alors que la chambre administrative l’avait enjoint d’agir dans l’ATA 11______ du ______ 2014, relevant en effet qu’il lui appartiendrait de statuer, en sa qualité d’autorité de surveillance du RF, sur les conséquences de cette situation sur les inscriptions correspondantes portées au Grand livre (conditions de révocation, etc.). Pourtant, aucun notaire n’avait été inquiété et la vente à la découpe avait été menée jusqu’au bout, notamment dans un bâtiment sis 12______, rue R______. La même chose était en train de se produire dans l’immeuble. Le tribunal devait mettre un terme à l’incurie du département, illustrée par sa réponse benoîte du 3 septembre 2024.

22.         Dans ses observations du 12 novembre 2024, le département a principalement conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet et à la constatation que l’aliénation du 25 juillet 2024 n’était pas soumise à autorisation au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR. La recourante devait être condamnée aux frais de l’instance.

Le courrier du 3 septembre 2024 ne constituait pas une décision susceptible de recours au sens des art. 4 et 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Il s’agissait d’un courrier de renseignements concernant l’absence d’autorisation délivrée par le département dans le cadre de l’aliénation du 25 juillet 2024 ayant conduit à la publication dans la FAO du 23 août 2024. Ce courrier, qui n’indiquait par ailleurs ni les voies de droit, ni les délais de recours, visait uniquement à répondre sous forme de renseignements
(« en réponse et renseignements ») à la demande d’information de l’A______ au sujet de l’aliénation litigieuse (« je vous saurais gré de bien vouloir m’informer »). Dans la mesure où le recours n’était pas formé contre une décision, il devait être déclaré irrecevable.

Le recours était formé à l’encontre du courrier du 29 août [recte 3 septembre] 2024 et portait donc sur l’aliénation du lot par MI à M. B______ le 25 juillet 2024. Les conclusions prises sans rapport avec cet objet du litige, à savoir qu’il lui soit ordonné de révoquer toute inscription portée au Grand livre de toute propriétaire, autre que L______ SA, pour le lot 5______ et de dire que toute aliénation d’un appartement dans l’immeuble n’ayant pas fait l’objet d’une autorisation en application de l’art. 39 LDTR devait être soumise à une telle autorisation, étaient dès lors irrecevables.

Une autorisation n’était pas nécessaire pour l’aliénation litigieuse dans la mesure où l’appartement concerné n’avait jamais été loué, ni offert en location par MI. En outre, l’appartement concerné n’avait pas été acquis par voie d’adjudication et le vendeur ne possédait que cet appartement dans l’immeuble en cause. Ces éléments de fait, non contestés par la recourante, étaient confirmés par le RF, lequel précisait que l’acte notarié portant sur ladite aliénation indiquait clairement que cette dernière n’était pas soumise à autorisation du département pour les raisons susmentionnées. Par ailleurs, le traitement de la LDTR avait été effectué de manière similaire depuis 2014, à savoir qu’aucune autorisation au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR n’avait été requise. Enfin, le RF avait refusé de revenir sur cette publication, dès lors que le traitement de la LDTR semblait conforme à la loi. Cette démarche irait à l’encontre de la sécurité du droit, eu égard en particulier à la foi publique rattachée au RF.

S’agissant de la fraude à la loi invoquée par la recourante, en particulier la vente à la découpe de l’immeuble opérée par J______, cette question n’était pas pertinente dès lors qu’elle avait déjà été tranchée. La recourante demandait la révocation de toute inscription portée au Grand Livre de tout propriétaire autre que L______. Cependant, depuis l’aliénation du lot en cause par L______ à M. O______ le 23 juin 2014, ce lot n’avait jamais été loué par ses propriétaires. Partant, cette aliénation ainsi que les suivantes n’avaient pas été soumises à autorisation du fait d’une application a contrario de l’art. 39 al. 1 LDTR.

Enfin, aucun déni de justice au sens de l’art. 61 al. 2 LPA n’existait en l’espèce. Il ne résultait pas du courrier de la recourante du 29 août 2024 ni d’autres échanges avec le département qu’elle aurait exigé de ce dernier qu’il rende une décision susceptible de recours ou qu’elle aurait procédé à sa mise en demeure. Elle ne l’avait fait que dans ses conclusions subsidiaires formulées dans le cadre de la présente procédure.

23.         Dans ses observations du 14 novembre 2024, sous la plume de M. Q______, MI a conclu à l’irrecevabilité du recours et, à défaut, à ce que la recourante soit déboutée de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

Après s’être déterminée quant aux faits allégués par la recourante, MI a fait valoir que la première conclusion de la recourante (ordonner au département de révoquer toute inscription portée au Grand livre de tout propriétaire autre que L______ SA pour le lot 5______) était irrecevable du fait que l’autorité judiciaire compétente pour éventuellement y faire droit serait la chambre de surveillance de la Cour de justice (ci-après : la chambre de surveillance) et non le tribunal. À teneur de son courrier du 29 août 2024, la recourante avait interpellé le département en sa qualité d’autorité de surveillance du RF. Dans la mesure où celui-ci, dans sa réponse du 3 septembre 2024, avait renoncé à saisir ce dernier, seul un recours devant la chambre de surveillance était ouvert. La deuxième conclusion (dire que toute aliénation d’un appartement dans l’immeuble n’ayant pas déjà fait l’objet d’une autorisation en application de l’art. 39 LDTR devait être soumise à une telle autorisation) était également irrecevable, étant exorbitante au litige. La dernière conclusion ainsi que la conclusion subsidiaire étaient aussi irrecevables, l’inscription au RF ayant été effectuée et la chambre de surveillance étant seule compétente.

Au surplus, le recours était infondé. La recourante faisait mention d’une fraude à la loi qui avait eu lieu il y avait plus de 10 ans, dont elle ignorait tout et à laquelle elle n’avait aucunement participé. Il semblait en outre qu’il y eût déjà eu plusieurs ventes inscrites au RF avant son acquisition, à savoir à L______ et à M. O______. De plus, le Tribunal fédéral avait jugé que la sécurité du droit s’opposait à ce qu’il soit revenu sur cette situation en cas de vente ultérieure, celle-ci devant être analysée en tant que telle, pour elle-même. L’art. 39 LDTR n’avait nullement été éludé lors de l’aliénation de l’appartement à M. B______ puisque l’art. 11 RDTR avait été appliqué à juste titre, étant précisé que le fait qu’un appartement ait été loué par un ancien propriétaire n’était pas pertinent puisqu’il fallait se limiter à examiner si le propriétaire actuel l’avait ou non loué. Si besoin était, le tribunal pourrait à cet égard entendre son notaire.

24.         Dans ses observations du 15 novembre 2024, M. B______ a conclu à l’irrecevabilité du recours et, à défaut, à ce que la recourante soit déboutée de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

Il faisait siennes les explications de MI. Il s’était établi il y avait six ans en Suisse pour prendre un nouveau poste chez Procter & Gamble dans le canton de Zurich. Il avait appris l’existence de l’appartement sur Internet et l’avait acquis en raison de sa position géographique, à quelques pas de la filiale genevoise de son employeur, où il pourrait travailler après avoir acquis la nationalité suisse. Pour l’achat de cet appartement, il avait suivi les instructions de l’agence du vendeur et du notaire. Il ignorait la réglementation de l’art. 39 LDTR, dont ni le vendeur ni le notaire ne l’avait informé.

25.         Par réplique du 10 décembre 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Son recours était recevable, ainsi que déjà jugé par la chambre administrative.

S’il était compréhensible que l’acheteur et le vendeur passent sous silence le contexte de fraude dans lequel s’inscrivait la présente opération, cela ne l’était pas du tout de la part du département qui se faisait l’instrument passif d’une telle fraude, confirmée par le Tribunal fédéral.

Alors que la chambre administrative avait enjoint le département, dans son arrêt du 20 janvier 2015, de statuer sur les inscriptions portées au Grand livre
(conditions de révocation, etc.), celui-ci n’avait rien fait de tel. Il avait laissé les inscriptions frauduleuses subsister, même à l’égard des titulaires inscrits en pleine mauvaise foi, et avait permis des gains illicites successifs, basés sur lesdites inscriptions, de plus en plus substantiels. Une révocation de l’inscription de L______ aurait été d’autant plus indiquée que L______ avait pour administrateur unique le même administrateur que J______, société à l’origine de la fraude. En outre, MM. M______ et N______ faisaient partie des personnes proches de M. D______, en tant que premiers bénéficiaires des certificats d’actions distribués frauduleusement afin de vendre l’immeuble à la découpe. Il était dès lors consternant que le département s’appuie sur l’art. 11 RDTR pour tenter de justifier l’absence d’autorisation pour l’aliénation contestée. En effet, si MI n’était propriétaire que d’un seul appartement, c’était car L______ s’était vu attribuer par J______ un seul lot. Ainsi, retenir que la propriété d’un seul lot dispenserait d’autorisation au sens de l’art. 39 LDTR reviendrait à récompenser l’opération frauduleuse dans sa totalité.

Par ailleurs, l’interprétation selon laquelle un appartement jamais loué serait un appartement qui n’avait jamais été loué par son propriétaire actuel était contraire à la jurisprudence. En tout état de cause, il serait choquant de se limiter à la location ou non de l’objet du litige exclusivement par MI pour examiner l’application de l’art. 39 LDTR dans le contexte de fraude avérée caractérisant le cas d’espèce. Enfin, M. Q______, un professionnel de l’immobilier ainsi qu’admis implicitement dans les écritures de MI du 14 novembre 2024, ne pouvait ignorer les fraudes commises à l’aide des K______ par M. D______, fait de notoriété publique et relayé par la presse bien avant l’acquisition de l’appartement par MI. Son allégation selon laquelle il ignorait tout de cette fraude était dès lors risible, tout comme la dénégation d’y participer comme dernier maillon lucratif de celle-ci.

Le fait que la fraude à la loi avait eu lieu il y avait plus de 10 ans n’était en rien pertinent, la prescription en matière de LDTR étant de 30 ans. Ensuite, étant un professionnel de l’immobilier, lié de surcroît par des liens de parenté à deux personnes ayant participé à l’opération frauduleuse initiale, MM. M______ et N______, M. Q______ ne pouvait prétexter d’une quelconque bonne foi.

Ni les intérêts du vendeur ni ceux inexistants de l’acheteur ne permettaient une autorisation en application de la clause générale de l’art. 39 al. 2 LDTR. MI exposait que l’ATA/948/2014 serait sans pertinence, car antérieur à l’arrêt 1C_370/2021, oubliant ce faisant que la fraude dans l’immeuble avait fait l’objet de bien d’autres décisions de justice, encore récemment de l’arrêt du Tribunal fédéral 13______ du ______ 2022.

S’agissant de M. B______, on apprenait qu’il prendrait domicile à Genève lorsqu’il aurait acquis la nationalité suisse. Étant arrivé en Suisse il y avait « presque 6 ans », il devrait attendre encore au moins quatre ans avant « de se transférer » à Genève. Il n’y avait donc aucune urgence quelconque à autoriser l’aliénation contestée.

26.         Par duplique du 21 janvier 2025, M. B______ a persisté dans ses conclusions.

Il était prêt à déménager le plus rapidement possible à Genève dans l’appartement, ayant la possibilité d’y travailler pour son employeur et l’acquisition envisagée de la nationalité suisse ne constituait donc pas un obstacle ; il ne deviendrait citoyen suisse que bien plus tard. Les explications de la recourante donnaient l’impression d’être mues par une idéologie agressive qui ne correspondait pas au sens et au but de l’art. 39 LDTR.

27.         Par duplique du 23 janvier 2025, le département a indiqué ne pas avoir d’observations supplémentaires à formuler.

28.         MI n’a pas dupliqué.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 25 janvier 1996 (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

À cet égard, il sied de relever que, de jurisprudence constante, l’ASLOCA jouit de la qualité pour recourir au sens de l’art. 45 al. 6 LDTR (ATA/1107/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.4 ; ATA/501/2023 du 16 mai 2023 ; ATA/1359/2021 du 14 décembre 2021 consid. 1).

En outre, la jurisprudence a déjà retenu (ATA/79/2015 du 20 janvier 2015 consid. 3-9) que lorsque le recours de l’ASLOCA portait sur la question de l’application de l’art. 39 LDTR aux opérations de cessions-transferts publiées par le RF, le tribunal devait se déclarer compétent, conformément aux art. 45 al. 1 et 3 LDTR, cela même en l’absence de décision si celle-ci est prétendument nécessaire.

3.             Préalablement, la recourante requiert qu’il soit ordonné à MI de produire copies des réquisitions à l’appui tant de l’inscription publiée le 1er septembre 2023 que de son inscription au titre de propriétaire du lot 5______, qui semblait ne pas avoir été publiée dans la FAO.

4.             Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. comprend, classiquement, le droit, pour l’intéressé, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 149 I 91 consid. 3.2 ; 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3).

Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2020 du 5 octobre 2020 consid. 2.2.1). Ce refus d’instruire ne viole le droit d’être entendu des parties que si l’appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a ainsi procédé, est entachée d’arbitraire (ATF 141 I 60 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_462/2023 du 12 janvier 2024 consid. 3.1).

5.             En l’espèce, le tribunal n’entend pas donner suite à la requête de la recourante compte tenu de l’issue de la présente procédure. Cette requête, qui concerne des éléments non pertinents pour décider de l’issue du litige, est dès lors rejetée.

6.             Au fond, la recourante conclut notamment à ce qu’il soit dit que toute aliénation d’un appartement dans l’immeuble, qui n’a pas déjà fait l’objet d’une autorisation en application de l’art. 39 LDTR, doit être soumise à une telle autorisation.

Elle conclut aussi à ce qu’il soit ordonné au département de révoquer toute inscription portée au Grand livre de tout propriétaire, autre que L______ SA, pour le lot 5______. À cet égard, il résulte des écritures de la recourante que celle-ci soutient que l’aliénation du lot en question a fait l’objet d’une fraude à la loi et qu’il doit donc être ordonné au département de rétablir une situation conforme au droit, en procédant, en tant qu’autorité de surveillance du RF, à la réinscription de L______ en tant que propriétaire du lot de PPE.

Elle conclut enfin à ce qu’il soit ordonné au département de soumettre à autorisation, en application de l’art. 39 LDTR, l’aliénation du 25 juillet 2024.

7.             L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions de la recourante ou du recourant (art. 65 al. 1 LPA). L’acte de recours contient également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1ère phr. LPA). La juridiction administrative applique le droit d’office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

8.             L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_641/2018 du 3 août 2018 consid. 3 ; 2C_53/2017 du 21 juillet 2017 consid. 5.1 ; ATA/491/2021 du 11 mai 2021 consid. 2b). La contestation ne peut donc excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/538/2025 du 13 mai 2025 consid. 2.1).

9.             En l’espèce, la recourante n’a pas requis auprès du département que toute aliénation d’un appartement dans l’immeuble n’ayant pas déjà fait l’objet d’une autorisation en application de l’art. 39 LDTR soit soumise à une telle autorisation et cette requête ne fait pas l’objet de la décision litigieuse, laquelle porte exclusivement sur l’aliénation du 25 juillet 2024. La conclusion précitée est dès lors exorbitante au litige et à ce titre irrecevable.

Il en va de même, pour le même motif, s'agissant de la seconde conclusion de la recourante, soit qu’il soit ordonné au département de révoquer toute inscription portée au Grand livre de tout propriétaire, autre que L______ SA, pour le lot 5______.

10.         Toutefois, même si elles n’ont pas été formulées comme telles, ces conclusions peuvent être comprises comme des conclusions en constatation de la nullité de l’inscription de MI au RF, point sur lequel l’argumentation des parties a porté. La nullité devant être constatée en tout temps et d’office, il convient d’examiner cette question, la qualité de propriétaire de l’appartement de la venderesse étant par ailleurs déterminante à la résolution du présent litige.

11.         L’inscription au grand livre du RF consacre l’admission de la réquisition d’inscription audit registre et constitue une décision au sens de l’art. 4 al. 1 let. a LPA (ATA/491/2021 du 11 mai 2021 consid. 3a).

12.         La nullité absolue d’une décision peut être invoquée en tout temps devant toute autorité et doit être constatée d’office (ATF 146 I 172 consid. 7.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_308/2024 du 3 décembre 2024 consid. 4).

Elle ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement reconnaissables et pour autant que sa constatation ne mette pas sérieusement en danger a sécurité du droit. Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu’à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d’annulabilité n’offre manifestement pas la protection nécessaire (ATF 149 IV 9 consid. 6.1). Des vices de fond d’une décision n’entraînent qu’exceptionnellement sa nullité. Entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l’incompétence fonctionnelle et matérielle de l’autorité appelée à statuer, ainsi qu’une erreur manifeste de procédure (ATF 149 IV 9 consid. 6.1 ; 129 I 361 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 7B_119/2023 du 15 octobre 2024 consid. 3.1 ; 6B_354/2015 du 20 janvier 2016 consid. 4.1).

13.         L’aliénation sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d’étages ou de parties d’étages, d’actions, de parts sociales), d’un appartement à usage d’habitation jusqu’alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR). Pour remédier à la pénurie d’appartements locatifs dont la population a besoin, tout appartement jusqu’alors destiné à la location doit conserver son affectation locative, dans les limites du chapitre relatif aux mesures visant à lutter contre la pénurie d’appartements locatifs (art. 25 al. 1 LDTR). Il y a pénurie d’appartements lorsque le taux des logements vacants considéré par catégorie est inférieur à 2 % du parc immobilier de la même catégorie (art. 25 al. 2 LDTR). Les appartements de plus de sept pièces n’entrent pas dans une catégorie où sévit la pénurie (art. 25 al. 3 LDTR).

14.         Selon l’art. 11 al. 3 RDTR, par appartement jusqu’alors offert en location, au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR, il faut entendre l’appartement loué lors du dépôt de la requête en autorisation d’aliéner (let. a), l’appartement vide ou vacant lors du dépôt de la requête en autorisation d’aliéner, mais qui a précédemment été loué par son propriétaire actuel (let. b), ou l’appartement occupé, lors du dépôt de la requête en autorisation d’aliéner, par son propriétaire, si celui-ci a précédemment loué l’appartement considéré (let. c). Nonobstant la teneur de l’art. 11 al. 3 RDTR, une autorisation d’aliéner doit impérativement être requise en cas de vente d’un ou plusieurs appartement(s) acquis par voie d’adjudication (art. 11 al. 4 RDTR).

15.         Les catégories de logements où sévit la pénurie sont déterminées chaque année par arrêté du Conseil d’État en fonction du nombre de pièces par appartement
(art. 11 al. 1 RDTR). Le Conseil d’État a constaté en 2013, 2019, 2020, 2021, 2023 et 2024 qu’il y avait pénurie, au sens des art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories des appartements d’une à sept pièces inclusivement (arrêtés du Conseil d’État déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR des 20 mars 2013, 19 décembre 2018, 1er juillet 2020, 9 décembre 2020, 21 décembre 2022 et 15 novembre 2023 - ArAppart - L 5 20.03).

16.         Le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue, sous réserve du régime applicable à l’aliénation d’appartements destinés à la vente régi par l’art. 8A de loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35), cette réserve ayant été ajoutée dans le texte légal le 19 novembre 2016 (let. a) ; était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b) ; n’a jamais été loué (let. c) ; a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la LDTR (let. d). L’autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d’assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d’habitation ayant été mis en PPE et jusqu’alors offerts en location, avec pour condition que la personne acquéreuse ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l’obtention d’une autorisation individualisée (art. 39 al. 4 LDTR).

En cas de réalisation de l’une des hypothèses de l’art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l’autorisation d’aliéner. Il n’y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l’art. 39 al. 2 LDTR. Les conditions posées à l’art. 39 al. 4 LDTR sont alternatives (ATA/1219/2021 du 16 novembre 2021 consid. 3a)

17.         Au vu de la marge d’appréciation dont elle dispose, lorsqu’aucun des motifs d’autorisation expressément prévus par l’art. 39 al. 4 LDTR n’est réalisé, l’autorité doit rechercher si l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt privé de la personne à aliéner l’appartement dont elle est propriétaire (arrêts du Tribunal fédéral 1C_137/2011 ; 1C_139/2011 ; 1C_141/2011 ; 1C_143/2011 du 14 juillet 2011 ; ATA/491/2021 du 11 mai 2021 consid. 5b).

Dans le cadre de l’examen de la requête en autorisation, le département procède à la pesée des intérêts publics et privés en présence (art. 13 al. 1 RDTR). L’intérêt privé est présumé l’emporter sur l’intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l’appartement par nécessité de liquider un régime matrimonial ou une succession (let. a), par nécessité de satisfaire aux exigences d’un plan de désendettement
(let. b), ou du fait de la prise d’un nouveau domicile en dehors du canton
(let. c ; art. 13 al. 3 RDTR). Le département refuse l’autorisation lorsqu’un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’y oppose. L’intérêt public et l’intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l’affectation locative des appartements loués (art. 39 al. 2 LDTR).

La politique prévue par la LDTR, qui tend à préserver l’habitat et les conditions de vie existants, en restreignant notamment le changement d’affectation des maisons d’habitation (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDTR), procède d’un intérêt public important (arrêts du Tribunal fédéral 1C_416/2016 du 27 mars 2017 consid. 2.3 ; 1C_68/2015 du 5 août 2015 consid. 2.3). Le refus de l’autorisation de vendre un appartement loué lorsqu’un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’y oppose n’est pas contraire au principe de la proportionnalité, dès lors qu’il est consécutif, de la part de l’autorité administrative, à une pesée des intérêts en présence et à une évaluation de l’importance du motif de refus envisagé au regard des intérêts privés en jeu. En effet, la restriction à la liberté individuelle ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l’exige le but d’intérêt public recherché (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa ; ATA/491/2021 du 11 mai 2021 consid. 5b).

Dans le cas d’appartements en PPE, la vente en bloc de ces derniers doit être préférée à la vente par unités séparées, ce procédé-là ne mettant en principe pas en péril les buts de la LDTR (arrêt du Tribunal fédéral 1C_137/2011 du 14 juillet 2011 consid. 3.3). Toutefois, même dans ce cadre, la vente en bloc de petits lots d’appartements augmente la probabilité d’une vente ultérieure de logements individualisés aux locataires en place et, partant, le risque d’atteinte au parc immobilier locatif protégé par la LDTR. Il y a donc lieu de privilégier une approche stricte de la protection conférée par cette loi pour éviter une telle atteinte par des « ventes à la découpe ». Ainsi, même en cas de vente en bloc, l’aliénateur doit justifier d’un intérêt privé particulier (arrêt du Tribunal fédéral 1C_137/2011 du 14 juillet 2011 consid. 3.3).

18.         Valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi, exprimé aux art. 5 al. 3 et 9 Cst., exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8.1 ; 1C_341/2019 du 24 août 2020 consid. 7.1). Si les art. 5 al. 3 et 9 Cst. exigent que l’administration se comporte de manière loyale, ce comportement est également attendu des administrés (ATF 129 II 361 consid. 7.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_534/2009 du 2 juin 2010 consid. 2.2 ; ATA/19/2016 du 12 janvier 2016
consid. 7b).

19.         Il y a fraude à la loi - forme particulière d’abus de droit - lorsqu’une ou un justiciable évite l’application d’une norme imposant ou interdisant un certain résultat par le biais d’une autre norme permettant d’aboutir à ce résultat de manière apparemment conforme au droit (ATF 142 II 206 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_124/2017 du 23 novembre 2017 consid. 4.1). La norme éludée doit alors être appliquée nonobstant la construction juridique destinée à la contourner (ATF 142 II 206 consid. 2.3 ; 134 I 65 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_124/2017 du 23 novembre 2017 consid. 4.1). Pour être sanctionné, un abus de droit doit apparaître manifeste. L’autorité qui entend faire appliquer la norme éludée doit établir l’existence d’une fraude à la loi, ou du moins démontrer l’existence de soupçons sérieux dans ce sens. Cette appréciation doit se faire au cas par cas, en fonction des circonstances d’espèce (ATF 144 II 49 consid. 2.2 ; ATA/491/2021 du 11 mai 2021 consid. 6b).

20.         Celui qui acquiert la propriété ou d’autres droits réels en se fondant de bonne foi sur une inscription du RF, est maintenu dans son acquisition (art. 973 al. 1 du code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210).

21.         La jurisprudence a déjà été amenée à examiner la nullité d’un partage-attribution en raison de l’absence d’autorisation d’aliéner. Le vice était grave, mais non facilement décelable, puisque le conservateur avait procédé à l’enregistrement de l’acte de partage-attribution sans exiger les autorisations de vente. Du point de vue de la sécurité du droit, l’exécutabilité de la nullité des partages-attributions serait extrêmement problématique, notamment du fait que l’appartement en cause avait été vendu à des tiers, inscrits au RF. L’application du constat de nullité créerait dans la pratique une situation inextricable au vu du temps écoulé et de la bonne foi des nouveaux propriétaires. La nullité ne pouvait donc être constatée (ATA/491/2021 du 11 mai 2021 consid. 8).

22.         Selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l’autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l’établissement des faits ; il incombe à celles-ci d’étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu’il s’agit d’élucider des faits qu’elles sont le mieux à même de connaître. Lorsque les preuves font défaut ou s’il ne peut être raisonnablement exigé de l’autorité qu’elle les recueille pour les faits constitutifs d’un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1). Il appartient ainsi à l’administré d’établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l’administration de démontrer l’existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a). En effet, il incombe à l’administré d’établir les faits qu’il est le mieux à même de connaître, notamment parce qu’ils ont trait spécifiquement à sa situation personnelle.

23.         En l’espèce, la recourante conteste l’inscription de toute autre personne que L______ au RF, donc aussi de MI, au motif qu'elle serait intervenue grâce à une fraude à la loi. À cela, MI répond qu’elle ignorait tout d’une telle fraude, à laquelle elle n’avait nullement participé, et que plusieurs ventes du lot avaient d’ailleurs eu lieu avant qu’elle ne l’acquiert.

En 2013, ainsi que confirmé par la jurisprudence (ATA/491/2021 du 11 mai 2021 consid. consid. 10), l’aliénation du logement en cause était en principe soumise à autorisation conformément à l’art. 39 al. 1 LDTR, ce que confirme le dossier. Il s’agit en effet d’un appartement de deux pièces de 49 m2 au sein d’un immeuble, initialement entièrement propriété de M. D______, puis de J______, puis de L______ à compter du 23 juillet 2012, et donc offert à la location.

Le tribunal estime que la vente de l’appartement à M. O______, intervenue un peu plus de deux mois après la note du 9 avril 2014 que le RF a adressée aux études de notaires genevoises relative aux opérations de liquidation des K______ et transformation des cessionnaires détenteurs de certificats d’actions en propriétaires d’étages, a été fictive, ou tout au moins réalisée dans des conditions suspectes qui laissent fortement douter de sa réalité juridique. En effet, M. O______ a acquis l’appartement pour un montant de CHF 405’000.- et l’a revendu à L______ au même prix près de 9 ans plus tard, alors que celle-ci l’a cédé 2 mois plus tard pour la somme de CHF 535’000.-, réalisant un bénéfice de CHF 130’000.- (de l’ordre de 32,10%). Il est pour le moins insolite et surprenant que M. O______ n’ait pas voulu réaliser le moindre bénéfice sur la vente de l’appartement, en particulier à la lumière de l’augmentation notoire des prix de l’immobilier à Genève durant les années en question. Ce fait interpelle d’autant plus que L______ a ensuite rapidement vendu ce logement et réalisé un bénéfice de l’ordre de 32%. Dans ces circonstances, il ne peut être tenu compte de l’achat puis de la revente de l’appartement par M. O______.

Alors que la vente des appartements de l’immeuble s’insère dans le cadre d’une fraude à la loi, élément confirmé par le tribunal, la chambre administrative et le Tribunal fédéral, MI soutient qu’elle l’ignorait, faisant ainsi implicitement valoir sa bonne foi. Le tribunal ne peut cependant la suivre sur ce point. Son administrateur, M. Q______, étant un professionnel de l’immobilier sis à Genève, elle ne pouvait ignorer la saga concernant l’immeuble, dont la presse s’est faite l’écho. Il faut plutôt retenir que MI a vu l’opportunité de réaliser un profit important dans un court laps de temps, profitant de la situation née d’un comportement frauduleux, ce qui a d’ailleurs été le cas puisqu’elle a vendu l’appartement un an après l’avoir acquis pour un montant de CHF 675’000.-, réalisant ainsi un gain de CHF 140’000.- (de l’ordre 26,17%). De plus, la consultation de la FAO ne permet pas de trouver la publication, pourtant exigée selon l’art. 157 LaCC, des réquisitions à l’appui tant de l’inscription publiée le 1er septembre 2023 que de son inscription au titre de propriétaire du lot. Dans ces circonstances, MI doit être considéré comme le dernier maillon lucratif d’une fraude à la loi. Partant, il ne peut être admis qu’elle ait acquis l’appartement de bonne foi.

Son inscription au RF n’est ni intervenue de bonne foi ni d’ailleurs en conformité avec les art. 39 LDTR et 11 al. 3 RDTR puisque la jurisprudence requiert que l’appartement n’ait jamais été loué, et ce non seulement par l’actuel propriétaire mais également par les propriétaires antérieurs (ATA/1053/2021 du 12 octobre 2021 consid. 6b), et que l’intérêt public et l'intérêt général à maintenir, en période de pénurie de logements, l'affectation locative d’un appartement à louer prime sur les intérêts - purement économiques - de MI et de M. B______. Ladite inscription ne lui confère donc pas la qualité de propriétaire, de sorte qu’elle ne pouvait procéder à la vente du lot.

Il sied de relever que MI n’étant pas une acquéreuse de bonne foi dès lors qu'elle a été partie prenante à la fraude à la loi, la sécurité du droit ne s’oppose pas à la constatation de la nullité de son inscription au RF dans la mesure où le dernier acte s’inscrivant dans l’opération de fraude, ne remonte qu’à juillet 2024, voire à juillet 2023.

24.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et le dossier renvoyé au département pour nouvelle décision.

25.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient gain de cause, est exonérée de tout émolument. Son avance de frais de CHF 900.- lui sera restituée.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’200.- sera mis à la charge de MI, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA).

La recourante se verra enfin allouer une indemnité de procédure de CHF 900.-, à la charge de MI (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 4 septembre 2024 par A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;

2.             l’admet ;

3.             renvoie le dossier au département du territoire pour nouvelle décision ;

4.             ordonne la restitution à l’Association genevoise des locataires de son avance de frais de CHF 900.- ;

5.             met à la charge de C______ SÀRL un émolument de CHF 1’200.- ;

6.             condamne C______ SÀRL à verser à l’Association genevoise des locataires une indemnité de procédure de CHF 900.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Laetitia MEIER DROZ, présidente, Manuel BARTHASSAT, Nadia CLERIGO CORREIA, Thierry ESTOPPEY et Diane SCHASCA, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier