Skip to main content

Décisions | Chambre Constitutionnelle

1 resultats
A/3687/2014

ACST/12/2015 du 15.06.2015 ( ABST ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.08.2015, rendu le 24.02.2017, REJETE, 2C_684/2015
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3687/2014-ABST ACST/12/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 15 juin 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
Monsieur B______
A______, Société Productions

contre

GRAND CONSEIL

_________



EN FAIT

1) Messieurs A______ et B______ sont domiciliés dans le canton de Genève, où ils exercent notamment des activités de producteurs et de réalisateurs indépendants d’œuvres cinématographiques.

M. A______ est titulaire de l’entreprise individuelle A______ Productions (ci-après : l’entreprise) sise à Genève, qui a pour but la production d’œuvres cinématographiques.

2) Par acte constitutif du 26 mai 2011, les cantons de Fribourg, Genève, Neuchâtel, Valais et Vaud et les Villes de Genève et Lausanne ont créé la Fondation S______ (ci-après : la fondation ou S______).

Cette fondation de droit privé a pour but d'encourager et de renforcer la création cinématographique et audiovisuelle, professionnelle et indépendante dans les cantons de Suisse romande. Elle prend les mesures qu'elle juge appropriées pour que cette création puisse se développer qualitativement et quantitativement et puisse s'exprimer et perdurer sur le plan national et international.

Dotée d’un capital initial de CHF 100’000.-, elle finance ses activités par les aides financières ou contributions des collectivités publiques (formalisées par des conventions de subventionnement), des donations privées, des soutiens financiers privés, des dons ou legs, des produits et revenus de sa fortune et de tous autres moyens que le conseil de fondation peut obtenir. Elle a pour mission notamment d'apporter des soutiens financiers à la production de projets ou à des entreprises de production selon des critères de qualité (aide sélective), ou en complément à d'autres aides à la production, extérieures à la fondation (aide complémentaire).

La fondation est soumise à la surveillance de l’autorité fédérale de surveillance des fondations (ci-après : l’autorité fédérale de surveillance), rattachée au secrétariat général du département fédéral de l’intérieur.

3) a. Par requête du 8 octobre 2012, l’entreprise a soumis à S______ une demande d’aide sélective de CHF 300'000.- destinée à la réalisation d’un projet de film long-métrage de fiction « M______ » (ci-après : projet M______) de Monsieur C______.

b. Le 3 décembre 2012, S______ a informé l’entreprise que, lors de sa quatrième session de l’aide sélective 2012 tenue les 21 et 22 novembre 2012, la commission compétente avait décidé à l’unanimité de ses sept membres de ne pas allouer l’aide requise. La commission avait été intriguée par l’aspect visionnaire de l’histoire, mais n’avait pas été convaincue par le développement dramaturgique du récit, qui ne laissait pas entrevoir un potentiel pour un long-métrage de cinéma. L’intrigue était déconnectée de la réalité et ne donnait aucun point d’appui au lecteur-spectateur. Le projet manquait de cohérence dans sa globalité et le scénario présenté ne pouvait pas se réaliser selon la démarche de production envisagée.

c. Par demande du 26 avril 2013, l’entreprise a requis de l’office fédéral de la culture (ci-après : OFC) un soutien financier de CHF 170'000.- à la réalisation du projet M______.

d. Par décision du 2 juillet 2013, l’OFC a rejeté la demande de financement de l’entreprise pour la réalisation du projet M______.

e. Par acte expédié le 16 septembre 2013, l’entreprise a recouru contre la décision de l’OFC du 2 juillet 2013 auprès du Tribunal administratif fédéral.

4) Le 10 octobre 2013, l’État de Genève et S______ ont signé une convention de subventionnement pour les années 2013 à 2016.

L’État de Genève s’engageait, sous réserve de l’approbation du budget de l’État par le Grand Conseil, à verser à S______ un montant total de CHF 8'937'500.- pour les quatre ans, soit un montant de CHF 2'000'000.- en 2013, de CHF 2'125'000.- en 2014, de CHF 2'312'500.- en 2015 et de 2'500'000.- en 2016. La fondation était autorisée à apporter des soutiens à des bénéficiaires répondant aux conditions fixées par ses règlements.

5) a. Par décision du 2 décembre 2013, l’OFC a annulé sa décision du 2 juillet 2013. Il s’était mis d’accord avec l’entreprise sur un retrait partiel de son recours pendant auprès du Tribunal administratif fédéral. La demande de soutien financier du 26 avril 2013 de l’entreprise était envoyée comme deuxième demande aux experts de son comité « fiction ».

b. Par une nouvelle décision du 13 janvier 2014, l’OFC a rejeté la demande de soutien financier de l’entreprise pour la réalisation du projet M______.

c. Par acte expédié le 29 janvier 2014, l’entreprise a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral en maintenant également les termes et une partie des conclusions de son recours du 16 septembre 2013 (cause C-628/2014).

6) Le 2 juillet 2014, M. B______ a adressé à l’autorité fédérale de surveillance une demande de renseignements concernant S______ au sujet du versement des fonds publics à des sociétés contrôlées par des membres du conseil de fondation de celle-ci.

Il représentait l’entreprise dans le cadre de la cause C-628/2014 pendante par-devant le Tribunal administratif fédéral. Il souhaitait connaître les montants versés, à titre d’aides sélectives et complémentaires ou sous toute autre forme de subvention, par la fondation dès le début de son fonctionnement aux sociétés contrôlées par Messieurs D______, producteur à Genève, administrateur de N______, E______, réalisateur-producteur à Genève, administrateur d’O______ SA, F______, producteur à Nyon, administrateur de P______ productions SA, G______, producteur à Martigny, administrateur de Q______ SA, membres de son conseil de fondation. Il souhaitait connaître également la détermination de l’autorité fédérale de surveillance sur la licéité des versements et son éventuelle intervention afin de mettre un terme à cette pratique et de régler la question des dommages causés. Les sociétés concernées « raflaient » près de la moitié du budget annuel de la fondation de CHF 10'000'000.-.

7) Le 9 octobre 2014, le Grand Conseil de la République et canton de Genève (ci-après : le Grand Conseil) a adopté la loi accordant une aide financière à la fondation pour les années 2013 à 2016 (ci-après : L 11'301).

Cette loi ratifie, à son article premier, la convention précitée du 10 octobre 2013 entre l’État de Genève et S______. Son art. 2 modifie les montants prévus par celle-ci, en les fixant à CHF 2'000'000.- pour 2013, CHF 2'000'000.- pour 2014, CHF 1'800'000.- pour 2015 et 2'000'000.- pour 2016. Selon son art. 10, la L 11'301 est soumise aux dispositions de la loi sur la gestion administrative et financière de l’État de Genève du 7 octobre 1993 (LGAF - D 1 05), de la loi sur la surveillance de l’État du 13 mars 2014 (LSurv - D 1 09), et de la loi sur les indemnités et les aides financières du 15 décembre 2005 (LIAF - D 1 11). L’aide financière accordée à S______ doit permettre à la fondation de réaliser les activités prévues dans la convention de subventionnement (art. 5), en particulier d’encourager et renforcer la création cinématographique et audiovisuelle en Suisse romande par des soutiens financiers à la production et à la réalisation de films et à leur valorisation auprès des publics (art. 5 et annexe 1 de la convention). La fondation doit en outre respecter les principes relatifs à un contrôle interne (art. 7) et effectuer un contrôle périodique de l’accomplissement de ses tâches (art. 9).

8) Par arrêté de publication du 15 octobre 2014, le Conseil d’État a publié la L 11'301 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 17 octobre 2014.

Cette loi était soumise au référendum facultatif. Le nombre de signatures exigé était de 3 % des titulaires des droits politiques. Le délai référendaire était fixé au 26 novembre 2014.

9) Par acte daté du 1er décembre 2014 mais posté le 28 novembre 2014, signé par M. A______ déclarant agir « pour les recourants », MM. A______ et B______ et l’entreprise ont formé recours contre la L 11'301 auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : chambre constitutionnelle). Ils ont conclu préliminairement à l’octroi de l’effet suspensif. Principalement, ils ont conclu à ce que la chambre constitutionnelle enjoigne au pouvoir législatif du canton de Genève d’introduire sans délai dans la L 11'301 un droit de recours et un mécanisme juridique efficace contre les conflits d’intérêts, afin de garantir la liberté d’expression, l’égalité de traitement, la liberté économique et le droit à une procédure équitable. Subsidiairement, ils ont conclu à ce qu’il soit constaté que financer des productions cinématographiques au moyen de fonds publics sans qu’un droit de recours ne soit prévu et par le biais d’institutions ne disposant pas de mécanisme juridique efficace contre les conflits d’intérêts viole la liberté d’expression, l’égalité de traitement, la liberté économique et le droit à une « procédure équitable », et à ce que les mesures qui s’imposent soient prises.

Ils ne remettaient pas en cause les montants attribués à S______ votés par le Grand Conseil, et admettaient que des fonds publics étaient indispensables pour mener à bien des politiques tendant à protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles dans le domaine du cinéma romand. Leur recours visait la mise en place de mesures destinées à assurer que l’octroi de l’aide publique à la création cinématographique soit conforme au droit, notamment à la liberté d’expression, à l’égalité de traitement, à la liberté économique et au droit à une procédure équitable. S______ était une fondation de droit privé « dépourvue d’un droit de recours ainsi que de mécanismes efficaces contre les conflits d’intérêts des membres de son conseil de fondation ». La fondation était dès lors susceptible de nuire non seulement aux objectifs de politique culturelle visés par le canton de Genève, mais également aux intérêts de toutes les personnes intéressées par la création cinématographique contemporaine, dont eux-mêmes. L’absence de ces deux moyens juridiques de contrôle desservait la culture cinématographique romande et suisse et était propre à léser les intérêts publics en jeu, notamment l’affectation des deniers des contribuables à la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles par le cinéma romand et suisse.

10) Par arrêté du 3 décembre 2014 publié dans la FAO du 5 décembre 2014, le Conseil d’État a promulgué la L 11'301.

Cette loi était exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication de l’arrêté de promulgation.

11) Par courriers recommandés du 9 décembre 2014 envoyés à chacun des trois recourants, le juge délégué a imparti à ces derniers un délai, arrivant à échéance à l’expiration du délai de recours contre la promulgation de la L 11'301 dans la FAO, pour présenter un exposé détaillé de leurs griefs.

Leur recours n’apparaissait pas motivé sur la question de la recevabilité et sur la requête d’effet suspensif. Il méritait également d’être complété par une motivation supplémentaire, notamment sur les griefs portant sur le droit de recours et les mécanismes efficaces contre les conflits d’intérêts.

12) Par courrier du même jour, le juge délégué a transmis au Grand Conseil le recours.

13) Le 9 janvier 2015, le juge délégué a précisé à chacun des trois recourants que le délai pour compléter leur recours arrivait à échéance le 20 janvier 2015.

La L 11'301 avait été promulguée par arrêté du Conseil d’État du 3 décembre 2014 publié dans la FAO du 5 décembre 2014.

14) Par acte complémentaire du 19 janvier 2015, intitulé « Confirmation de recours et éléments additionnels », expédié par pli recommandé le 19 janvier 2015 et reçu à la chambre constitutionnelle le 21 janvier 2015, signé par une personne alors non identifiée, les recourants ont maintenu intégralement leur recours du 1er décembre 2014.

Ils étaient directement lésés par la loi attaquée en tant que producteurs et réalisateurs d’œuvres cinématographiques.

S’agissant de la requête d’octroi de l’effet suspensif, l’autorité fédérale de surveillance menait une enquête sur le mécanisme mis en place depuis 2011 par les autorités de Genève pour subventionner l’activité cinématographique et audiovisuelle par le biais d’une fondation de droit privé qui ne garantissait pas un droit de recours et un mécanisme juridique efficace contre les conflits d’intérêts. Ses conclusions étaient attendues sur les conflits d’intérêts de certains membres du conseil de fondation de S______ dans la procédure d’attribution des aides publiques. La dépendance économique de ces derniers à l’égard de S______ rendait sérieux le risque d’un conflit d’intérêts. Il n’y avait aucun intérêt public ou privé prépondérant s’opposant à l’octroi de l’effet suspensif à leur recours. Il y avait urgence à parer à toute utilisation de l’aide prévue pour les années 2014 à 2016, vu la pratique de S______ depuis 2011. Leur liberté d’expression et leur liberté économique étaient menacées.

Sur le fond, le système de subventionnement mis en place par S______ causait une inégalité de traitement entre les différents bénéficiaires. Il violait en outre leur liberté d’expression et leur liberté économique au niveau cantonal et fédéral, dans la mesure où la production d’un film suisse était tributaire des aides de diverses collectivités communales, cantonales et fédérales. Il était aussi propice à un gaspillage opaque des deniers publics.

S______ recevait directement les subventions destinées aux producteurs indépendants de films considérés comme les bénéficiaires indirects. La « décision » de refus de subvention devait, dans ces conditions, pouvoir faire l’objet d’un recours.

Les modalités d’octroi de l’aide publique à la culture cinématographique étaient privatisées dans les relations internes de S______ au moyen de mécanismes supprimant le droit de recours et les règles contre les conflits d’intérêts. L’action désintéressée des « militants engagés » avait permis à la Suisse de rester souveraine dans l’octroi des subventions afin de promouvoir et de protéger la diversité culturelle de ce pays. L’État avait l’obligation de veiller à une distribution des aides à la culture conforme au droit applicable de manière « fair-play », sans laisser la porte ouverte à des formes de « favoritisme parasitaire ».

Pour le surplus, les recourants ont repris les arguments de leur recours du 1er décembre 2014.

15) Le même acte complémentaire (sous réserve d’un paragraphe ayant été ôté à la page 13 de l’acte), signé par M. A______, daté du 19 janvier 2015, a été expédié par pli recommandé le 20 janvier 2015 et reçu à la chambre constitutionnelle le 22 janvier 2015.

16) Le 6 février 2015, le Grand Conseil a conclu au rejet de la requête d’octroi de l’effet suspensif.

La loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ne permettait pas aux recourants de fonder leur demande de restitution de l’effet suspensif sur un intérêt public prépondérant. En outre, ni l’atteinte à leurs intérêts privés ni la gravité de celle-ci n’étaient démontrées. Les chances de succès de leur recours étaient minces. Les intéressés demandaient l’introduction d’une nouvelle disposition dans la loi attaquée et non l’annulation de celle-ci. Une telle conclusion était incompatible avec le but d’un effet suspensif, celui-ci visant à maintenir une situation déterminée et non à créer un état qui serait par anticipation celui découlant le cas échéant du jugement de fond. Par ailleurs, accorder un effet suspensif au recours entraînerait la paralysie du fonctionnement des subventions. Un intérêt public prépondérant à la bonne marche du système démocratiquement mis en place et un intérêt privé prépondérant des potentiels bénéficiaires des subventions faisaient échec à la requête des recourants. Enfin, la pratique genevoise comme fédérale n’accordait en principe pas d’effet suspensif dans le cadre d’un recours contre un acte normatif.

17) Par courrier du 10 février 2015, le juge délégué a imparti aux recourants un délai au 17 février 2015 pour donner l’identité et la qualité de la personne ayant signé le mémoire complémentaire du 19 janvier 2015 adressé à la chambre constitutionnelle sous pli recommandé du même jour.

18) Par décision du 16 février 2015 (ACST/3/2015), la chambre constitutionnelle a refusé d’octroyer l’effet suspensif au recours.

Les recourants n’avançaient pas de faits démontrant une grave menace actuelle ou à court terme de leurs intérêts par l’application de la loi attaquée. Or, il ne suffisait pas d’avoir le cas échéant un intérêt virtuel à attaquer un acte normatif pour remplir la condition d’une grave mise en péril de ses intérêts. Il existait un intérêt public important à ne pas entraver le système de financement de l’activité cinématographique sur le plan romand par un relatif assèchement financier. Un blocage du subventionnement genevois aurait un impact au-delà des frontières cantonales et placerait les autorités genevoises dans la situation de ne pas pouvoir assumer leurs engagements à l’égard des autres collectivités publiques impliquées dans S______. La loi attaquée couvrait partiellement une période rétroactive. Les recourants ne concluaient d’ailleurs pas à son annulation, mais à son complètement par des dispositions portant sur les deux sujets de la récusation des experts (voire d’autres intervenants) de S______ et la possibilité de contester les « décisions » de cette fondation de droit privé. Les demandeurs de subventions n’apparaissaient pas dénués de tout moyen de faire examiner leurs griefs à l’encontre de S______. En outre, d’après un premier examen du recours, les chances de succès de celui-ci n’apparaissaient pas prima facie à ce point manifestes qu’il pourrait se justifier de déroger à la pratique de refuser l’effet suspensif dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes.

19) Par courrier du même jour, M. B______ a informé la chambre de céans que c’était lui qui avait signé le mémoire complémentaire expédié le 19 janvier 2015, et il a spontanément répliqué aux observations du Grand Conseil portant sur la requête d’effet suspensif, en concluant à son octroi.

L’envoi du mémoire complémentaire, le 19 janvier 2015, constituait une précaution visant à assurer le respect du délai de recours après la promulgation de la L 11'301 par le Conseil d’État.

Aucune aide ne devait être allouée avant l’introduction de normes sur le droit de recours et contre les conflits d’intérêt dans la loi attaquée afin de la rendre conforme au droit constitutionnel et conventionnel. L’octroi de l’effet suspensif devait inciter le Grand Conseil à remédier de son propre chef et dans les meilleurs délais aux défauts de la L 11'301. Le Grand Conseil ne pouvait pas faire prévaloir sa volonté sur le respect des normes constitutionnelles. L’absence de règles élémentaires contre les conflits d’intérêts avait permis au « lobby bénéficiaire du système » d’accumuler plus de la moitié des fonds publics prévus en un laps de temps relativement court. Les recourants se battaient pour un cinéma meilleur et la diversité culturelle. Il n’existait pas d’intérêt privé prépondérant des « potentiels récipiendaires des subventions ». Par contre, le système mettait en place une inégalité de traitement entre les différents bénéficiaires et violait leurs droits fondamentaux. Leurs intérêts étaient gravement menacés par l’absence de règles élémentaires de « fair-play ». Sans un contrôle des pouvoirs publics sur les pouvoirs privés, l’économie mixte publique et privée devenait une catastrophe, économique, politique et juridique.

20) Dans ses observations du 16 mars 2015, le Grand Conseil a conclu, quant à la forme, à l’irrecevabilité du recours et, sur le fond, au déboutement des recourants de toutes leurs conclusions.

Dans le cadre du contrôle abstrait d’un acte normatif, les recourants pouvaient uniquement conclure à l’annulation de la norme attaquée et non à sa modification. La conclusion principale du recours était contraire au principe de la séparation des pouvoirs et aux principes démocratiques régissant l’adoption des actes législatifs.

Il existait des mécanismes de contrôle permettant aux autorités cantonales subventionnant les activités de S______ de révoquer la décision d’octroi, de résilier le contrat de droit public, de réduire le montant de l’aide financière octroyée et d’en exiger la restitution totale ou partielle en cas d’utilisation non conforme à l’affectation prévue. Des contrôles internes prévus par la loi attaquée devaient être mis en place par S______. Un audit interne permettait aussi au Grand Conseil et au Conseil d’État d’exercer la surveillance sur la fondation. Le système d’octroi des subventions mis en place par le biais du conseil de fondation, de la commission d’attribution sélective et du conseil consultatif des professionnels permettait en outre de procéder à un contrôle interne des montants accordés par S______. Le règlement interne de la fondation et celui de soutiens à la production prévoyaient des règles de récusation pour éviter les conflits d’intérêts.

S______ était une fondation de droit privé au bénéfice d’un contrat de droit public lui octroyant des aides financières étatiques. Aucun droit de recours ne pouvait lui être imposé à ce titre. Son bon fonctionnement était garanti par les art. 80 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). L’État n’intervenait pas dans ses décisions et, selon ses statuts, l’octroi d’une aide ne constituait pas un droit, mais demeurait une prestation discrétionnaire. La fondation était soumise à la législation genevoise sur les aides financières et devait répondre aux exigences de légalité, d’opportunité et de subsidiarité. La fondation était soumise également à l’obligation de rendre des comptes sur son budget et ses activités. Des contrôles réguliers permettaient en cas d’anomalie d’exiger la restitution des fonds litigieux, ce qui constituait une garantie efficace de l’utilisation à bon escient des fonds mis à disposition. Les aides financières accordées à S______ répondaient à un intérêt public de promotion de la culture cinématographique suisse et en particulier romande. En cas de non-sélection d’un dossier, le règlement d’aides à la production prévoyait la possibilité de redéposer le projet à deux reprises. Une motivation détaillée du refus était communiquée aux concernés en vue de la préparation d’une éventuelle nouvelle demande. Le système mis en place dans le cadre des rapports de droit privé représentait une alternative s’apparentant à un droit de recours, eu égard à la possibilité de représenter une demande refusée et à la modification de la composition de la commission d’aide sélective et du conseil consultatif des professionnels à chaque session.

Le système de subventionnement mis en place ne violait pas les droits fondamentaux des recourants. Des contrôles directs et indirects étaient mis en place afin de garantir la bonne allocation des fonds gérés par la fondation et le fonctionnement de celle-ci avait été validé par les autorités compétentes cantonales et fédérale. Le même système était appliqué par plusieurs fondations de droit privé recevant des subventions étatiques.

La mise en place d’un droit de recours dans la loi attaquée ne pouvait pas être imposée aux autres cantons participant à S______. La structure intercantonale de la fondation empêchait l’introduction unilatérale d’un droit de recours dans une loi cantonale. Un système asymétrique de financement de la fondation par l’État de Genève ne pouvait pas être imposé non plus, un pot commun alimenté par tous les cantons romands permettant de distribuer les aides sélectives.

21) Le 23 avril 2015, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

Leur recours était recevable, leurs conclusions subsidiaires demandant à la chambre de céans de constater les violations alléguées et d’annuler la loi attaquée à défaut d’appliquer une solution plus apte à résoudre « le problème anticonstitutionnel » de celle-ci.

Les moyens de contrôle mentionnés par le Grand Conseil dans sa réponse, limités à des mesures de l’exécutif, ne pouvaient pas pallier l’absence d’un accès au juge. Ils étaient insuffisants.

Les recourants avaient dû intervenir auprès de l’autorité fédérale de surveillance pour faire examiner la question des subventions octroyées aux sociétés aux mains de certains membres du conseil de fondation de S______. Ils demandaient à la chambre de céans d’auditionner Monsieur H______, cinéaste franco-suisse, au sujet de l’octroi des subventions au cinéma dénuées de tout contrôle judiciaire et politique efficace. En l’état, S______ ne pouvait pas être considéré comme soumis à un organe de protection juridique indépendant ayant un libre pouvoir d’examen. Par ailleurs, la loi attaquée ne constituait pas une exception au sens d’une décision à caractère politique prépondérant, ou d’une décision en matière de droits politiques non soumises à un contrôle judiciaire. Le canton de Genève n’avait prévu aucune exception en matière de subventions, et la législation sur les indemnités et les aides financières n’excluait pas un droit de recours ; au contraire, elle l’exigeait. Le système en place ne garantissait pas ce droit fondamental et obéissait à des considérations étrangères aux conditions de subventions.

Il n’y avait certes pas un droit à des subventions, et l’aide sélective donnait un certain pouvoir d’appréciation aux autorités. Cela ne pouvait toutefois aboutir à admettre un ensemble de règles favorisant systématiquement les positions dominantes et les intérêts économiques des membres du conseil de fondation de S______. L’absence de règles de récusation constituait en outre une violation du droit fondamental à une procédure « fair-play ».

22) Le 18 mai 2015, le Grand Conseil a persisté dans les termes et les conclusions de sa réponse du 16 mars 2015. Il a renoncé à dupliquer.

23. Le 28 mai 2015, M. B______ a contacté l’autorité fédérale de surveillance pour savoir si elle s’était déterminée sur l’affaire dont elle avait été saisie par la demande de renseignements de l’entreprise.

24. Par courrier du 1er juin 2015, M. B______ en a informé la chambre constitutionnelle. Il a demandé que le Grand Conseil produise le moment venu le rapport que ladite autorité enverra à la fondation, et que les recourants puissent alors se prononcer sur ce rapport, considéré comme un fait nouveau, dans le cadre de la procédure pendante devant la chambre constitutionnelle.

25. Le 2 juin 2015, la chambre constitutionnelle a transmis ce courrier et son annexe au Grand Conseil, et a indiqué aux parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00) ; selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. Le recours est dirigé contre une loi cantonale, à savoir la L 11'301. Nonobstant son intitulé, cette loi ne se limite pas à octroyer une aide financière à un bénéficiaire déterminé. De par son contenu – en particulier, la ratification de la convention de subventionnement en constituant l’annexe, la référence à la réalisation des activités définies par ladite convention, et aux prestations que la fondation bénéficiaire reçoit la mission d’allouer, ainsi que la déclaration d’application de principes relatifs au contrôle interne et de différentes lois cantonales –, elle a fondamentalement pour objet la délégation à une fondation de droit privé de la tâche étatique de soutenir, par le biais de deniers principalement publics, la production indépendante et la réalisation d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, pour une période de quatre ans. Elle ne concerne pas que S______, mais aussi tous les bénéficiaires potentiels des prestations que cette entité est chargée d’allouer. Elle n’est pas un simple acte administratif pris sous la forme d’une loi, mais comporte bien un acte normatif, et est donc exposée à un contrôle de conformité au droit supérieur sur recours à la chambre de céans (ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 2b et c).

Cette dernière est dès lors compétente ratione materiae pour connaître du présent recours.

2) a. Le législateur genevois a défini la qualité pour recourir devant la chambre constitutionnelle de la même manière que pour les recours devant les autres juridictions administratives, sans faire de distinction selon les actes attaqués. Concernant les personnes privées, physiques ou morales, voire les personnes morales de droit public agissant à l'égal de personnes morales de droit privé, elles ont qualité pour recourir devant la chambre constitutionnelle si elles sont touchées directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et ont un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte attaqué soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA ; ACST/1/2015 précité consid. 3).

Telle qu'elle a été interprétée par les juridictions genevoises (ACST/7/2015 du 31 mars 2015 ; ACST/1/2015 précité ; ACST/2/2014 du 17 novembre 2014 ; ATA/752/2014 du 23 septembre 2014), la qualité pour recourir prévue par l'art. 60 al. 1 let. b LPA s'avère substantiellement similaire à celle que le législateur fédéral a définie pour le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral (Pascal MAHON, Droit constitutionnel, 3ème éd., vol. I, 2014, n. 320 in fine, 325 ss, 329 ss et 332 ; Arun BOLKENSTEYN, Le contrôle des normes, spécialement par les cours constitutionnelles cantonales, 2014, p. 68 ss). Cela s'explique par le fait que, selon l'art. 111 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - 173.110), la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédant le Tribunal fédéral doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral. En d'autres termes, le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie (en particulier la qualité pour recourir), notamment devant la chambre constitutionnelle, de manière plus restrictive que ne le fait l'art. 89 LTF (ATF 139 II 233 consid. 5.2.1 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 136 II 281 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_663/2012 du 9 octobre 2013 consid. 6.5 ; ACST/1/2015 précité consid. 3a ; ACST/2/2014 précité consid. 2c).

b. Aux termes de l’art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). L’art. 89 al. 1 LTF détermine la qualité pour recourir de manière générale, la subordonnant à trois conditions, qui, pour autant qu’elles soient cumulativement remplies (ATF 137 II 40 consid. 2.2), permettent aux personnes physiques et morales de droit privé, voire exceptionnellement aux personnes morales et collectivités de droit public, de recourir (Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, n. 11 ad art. 89 LTF).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple ; il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris (Marcel Alexander NIGGLI/ Peter UEBERSAX/Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème éd., 2011, n. 13 ad art. 89 LTF). Toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué, ou pourront l’être un jour, a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 138 I 435 consid. 1.6 ; 135 II 243 consid. 1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_518/2013 du 1er octobre 2014 consid. 1.2 non publié in ATF 140 I 381, 4C_2/2011 du 17 mai 2011 consid. 3 non publié in ATF 137 III 185).

L’intérêt requis doit exister en principe tant au moment du dépôt du recours qu’à celui où l’arrêt est rendu (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; 137 I 296 consid. 4.2).

c. En l'espèce, comme producteurs et réalisateurs d’œuvres cinématographiques ou entreprise ayant pour but la production de telles œuvres, les recourants se trouvent avec la L 11'301 dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d'être pris en considération en tant que cette loi ratifie la convention de subventionnement par laquelle l’État de Genève charge S______ d’octroyer des aides publiques à des bénéficiaires répondant aux conditions fixées par les règlements de cette dernière. Ils sont en effet susceptibles de demander à S______ des subventions dans le cadre de leurs activités liées à la production et à la réalisation d’œuvres cinématographiques à titre indépendant.

La qualité pour recourir des trois recourants doit donc être admise.

3) a. Le délai de recours est de 30 jours s'agissant des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 62 al. 1 let. d LPA). Il court dès le lendemain de la promulgation des lois constitutionnelles et des lois ainsi que de la publication des règlements (art. 62 al. 3 phr. 2 et 3 LPA). Les délais en jours fixés par la loi ou par l’autorité ne courent pas notamment du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 63 al. 1 let. c LPA).

b. La L 11'301 a été promulguée par un arrêté du Conseil d'État publié, avec ladite loi, dans la FAO du 5 décembre 2014. Le délai de recours arrivait donc à échéance le mardi 20 janvier 2015.

Le recours daté du 1er décembre 2014 mais posté déjà le 28 novembre 2014 était prématuré. Un recours prématuré n’est cependant pas déclaré irrecevable lorsqu’il acquiert à bref délai un objet actuel, comme en l’espèce du fait de la promulgation de la loi attaquée quelques jours après le dépôt de l’acte de recours (Arun BOLKENSTEYN, op. cit., p. 77). Au demeurant, les deux compléments de recours datés du 19 janvier 2015, valant au besoin actes de recours, ont été déposés dans un bureau de poste suisse respectivement les 19 et 20 janvier 2015, soit avant l’expiration du délai de recours contre la loi attaquée.

Le recours a donc été formé en temps utile.

4) a. Le recours est formé par écrit (art. 64 al. 1 LPA). La forme écrite requiert la signature du recourant (ou de son mandataire autorisé à le représenter), en vertu du principe général qu’exprime l’art. 13 de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220 ; ATA/236/2015 du 3 mars 2015 consid. 4).

En l’espèce, le recours expédié le 28 novembre 2014 et son complément posté le 20 janvier 2015 sont signés de la main de M. A______. Celui-ci s’engage lui-même, de même que son entreprise individuelle (qui se confond d’ailleurs avec sa personne), mais il ne saurait avoir la qualité de représentant de M. B______, n’étant ni son conjoint, partenaire enregistré, ascendant ou descendant majeur, ni avocat ni mandataire professionnellement qualifié pour la cause considérée (art. 9 al. 1 LPA). M. B______ a cependant signé le complément de recours, qui satisfait pour lui-même à un acte de recours.

La condition de la forme écrite est donc réalisée pour les trois recourants.

b. L’acte de recours contient en outre, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il comporte aussi, de façon susceptible d’être complétée dans le délai que la juridiction lui impartit le cas échéant à cette fin, des motifs et l’indication des moyens de preuve, et est accompagné des pièces dont dispose le recourant (art. 65 al. 3 LPA). En cas de recours contre un acte normatif, le recours doit contenir un exposé détaillé des griefs du recourant (art. 65 al. 3 LPA ; PL 11311 p. 15, accessible sur MGC [En ligne], http://ge.ch/grandconseil/search?search=11311 ; ACST/1/2015 précité consid. 4b ; ACST/2/2014 précité consid. 5a).

Le présent recours satisfait à ces exigences, à tout le moins tel qu’il a été complété en temps utile par les recourants.

c. Encore faut-il que les conclusions du recours – qui lient la juridiction chargée de statuer (art. 69 al. 1 phr. 1 LPA ; ATA/457/2007 du 30 octobre 2007) – soient elles-mêmes recevables.

Or, selon l’intimé, le recours est irrecevable en tant qu’il conclut principalement à ce que la chambre de céans enjoigne au législateur cantonal d’introduire sans délai dans la L 11'301 un droit de recours et un mécanisme juridique efficace contre les conflits d’intérêts, contrairement au principe de la séparation des pouvoirs et aux principes démocratiques régissant l’adoption des actes législatifs.

Le pouvoir législatif appartient au Grand Conseil, auquel revient la compétence d’adopter et, partant, de modifier et abroger les lois (art. 80 et 91 al. 1 Cst-GE), le pouvoir de la chambre de céans d’annuler une loi dans le cadre du contrôle abstrait des normes restant réservé (art. 124 let. a Cst-GE). Généralement de nature cassatoire, ledit recours à la chambre de céans ne confère pas à cette dernière le pouvoir de réformer les actes normatifs attaqués devant elle dans le cadre du contrôle abstrait des normes (Arun BOLKENSTEYN, op. cit. p. 337 s). Une juridiction constitutionnelle peut être amenée à prononcer l’annulation de normes pour le motif que les dispositions considérées ne comportent pas certaines cautèles, en particulier des garanties procédurales essentielles, et que de telles carences s’opposent à leur application (cf. p. ex. l’ATF 140 I 381, par lequel le Tribunal fédéral a annulé les art. 21A al. 2, 21B et 22 introduits par une loi 11056 du 21 février 2013 dans la loi sur la police du 26 octobre 1957 sur l’observation préventive, les recherches préventives secrètes et l’enquête sous couverture). Si la portée juridique d’un tel arrêt se limite à ladite annulation, celle-ci n’en signifie pas moins, pratiquement, que le législateur est invité à compléter les normes considérées, en elles-mêmes non critiquables, pour qu’elles puissent devenir applicables.

En l’espèce, les recourants ne demandent pas à la chambre de céans d’introduire elle-même dans la loi attaquée des dispositions sur le droit de recours et la résolution des conflits d’intérêts, mais d’enjoindre à l’intimé de le faire. Du moins prise littéralement, ladite conclusion principale excède le cadre du pouvoir de décision de la chambre de céans. La question peut en l’occurrence rester ouverte de savoir si cette conclusion peut et doit être interprétée, au regard des développements du recours, comme tendant matériellement à ce que la chambre constitutionnelle juge la loi attaquée elle-même inapplicable en l’absence des garanties procédurales considérées et l’annule pour ce motif. La chambre de céans entrera en matière sur le recours, en tant qu’il est recevable, d’autant plus que celui-ci comporte dans sa conclusion subsidiaire une assise suffisante pour qu’elle aborde cet examen de fond en pouvant le cas échéant annuler la loi elle-même. Les recourants ont en effet conclu à titre subsidiaire à ce qu’il soit constaté que financer des productions cinématographiques au moyen de fonds publics sans qu’un droit de recours soit prévu et par le biais d’institutions ne disposant pas de mécanisme juridique efficace contre les conflits d’intérêts viole la liberté d’expression, l’égalité de traitement, la liberté économique et le droit à une « procédure équitable », et à ce que les mesures qui s’imposent soient prises.

5) Saisie d’un recours contre un acte normatif, la chambre constitutionnelle contrôle librement la conformité de celui-ci avec le droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 61 al. 1 LPA), sous réserve des exigences de motivation figurant à l’art. 65 al. 3 LPA. À l’instar du Tribunal fédéral, elle s’impose toutefois une certaine retenue et n’annule les dispositions voire l’acte normatif attaqués que s’ils ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut tenir compte notamment de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 328 consid. 4 ; 135 II 243 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2013 du 19 juin 2014 consid. 2.2 ; ACST/7/2015 précité ; ACST/2/2014 précité). La chambre de céans n’en a pas moins la compétence d’appliquer le droit d’office, sans être liée par les motifs invoqués par les parties (art. 69 al. 1 phr. 2 LPA), à la condition que le recours ou le grief invoqué soit recevable.

6) Les recourants allèguent que la L 11'301 viole leur liberté d’expression, leur liberté économique, leur droit à l’égalité de traitement et leur droit à une procédure équitable, dans la mesure où elle ne prévoit ni un droit de recours contre les décisions de la fondation, ni un mécanisme juridique efficace contre les conflits d’intérêts des membres des organes de décision de la fondation. Aux yeux des recourants, l’obtention des prestations que la fondation est chargée d’allouer conditionne la création et la production d’œuvres cinématographiques ; autrement dit, le refus de telles prestations par la fondation est propre à affecter lesdits droits fondamentaux. Aussi s’impose-t-il, selon eux, d’une part que la procédure d’examen des demandes desdites prestations offre des garanties d’impartialité, et d’autre part, que les mesures (ou décisions) rendues au cours et au terme de cette procédure soient sujettes à recours.

Du moins tels qu’ils sont invoqués par les recourants, les griefs de violation de la liberté d’expression et de la liberté économique (celle-ci englobant le droit à l’égalité de traitement entre concurrents) n’ont pas de portée propre par rapport aux griefs de violation desdites garanties procédurales. La question soulevée est donc de déterminer si, pour l’obtention de prestations de la fondation, les requérants peuvent se prévaloir d’une garantie d’impartialité et d’un droit de recours, dans l’affirmative, comment ces deux droits de nature procédurale doivent être garantis, et s’ils le sont en l’occurrence de façon conforme à ces exigences.

Les recourants ont eu tout loisir de s’exprimer sur cette question. Il n’y a pas lieu de différer de statuer sur leur recours pour leur permettre de se prononcer encore sur la prise de position que rendra l’autorité fédérale de surveillance.

7. a. Dès lors qu’il se fait principalement au moyen de deniers publics et dans l’intérêt public, un subventionnement de la production et de la création d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles doit être considéré à la base comme une activité étatique. Il est donc soumis au droit, qui est le fondement et la limite de l’activité de l’État (art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 – Cst. – RS 101), et il doit intervenir de façon à respecter les droits fondamentaux (art. 35 al. 1 et 2 Cst.). Cette remarque préliminaire est faite sans préjudice de la question de savoir si, à quelles conditions et avec quels effets, en termes de garanties procédurales, une délégation à une fondation de droit privé d’un tel subventionnement est possible. Elle explique cependant que la source des garanties procédurales considérées doive être recherchée dans des normes de rang constitutionnel ayant vocation à s’appliquer prioritairement à des procédures administratives et judiciaires, ainsi que dans des lois. Les normes entrant à cet égard en considération sont la constitution fédérale, voire la constitution genevoise, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte II - RS 0.103.2) ; des garanties procédurales de cette nature se trouvent précisées dans des lois fédérales telles que la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021) et la LTF, ainsi que dans des lois cantonales telles que la LPA, dans leur champ d’application respectif.

b. Le droit d’un administré à ce qu’une affaire pour laquelle il a la qualité de partie soit traitée par une autorité impartiale se déduit de l’art. 29 al. 1 Cst., selon lequel toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 1515 s p. 505 ; ATF 136 II 383 consid. 3.4) L’art. 40 al. 1 Cst-GE est similaire à l’art. 29 al. 1 Cst. La garantie constitutionnelle d’impartialité de l’autorité décisionnaire a été concrétisée par diverses lois, aux niveaux fédéral et cantonal.

Selon l’art. 10 al. 1 PA, les personnes appelées à rendre ou préparer une décision doivent se récuser notamment si elles ont un intérêt personnel dans l'affaire (let. a), si elles sont le conjoint ou le partenaire enregistré d’une partie ou mènent de fait une vie de couple avec elle (let. b), si elles sont parentes ou alliées d’une partie en ligne directe, ou jusqu’au troisième degré en ligne collatérale (let. c), si elles représentent une partie ou ont agi dans la même affaire pour une partie (let. d), ou si, pour d'autres raisons, elles pourraient avoir une opinion préconçue dans l'affaire (let. e). L’art. 15 al. 1 let. a à e LPA prévoit les mêmes causes de récusation, libellées de façon quasi similaire (« s’il existe des circonstances de nature à faire suspecter leur partialité », indique la let. d de cette disposition).

L’exigence d’impartialité se retrouve, de façon même renforcée, à l’art. 30 al. 1 Cst. pour la procédure contentieuse, devant les autorités judiciaires (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3ème éd. 2013, n. 1248 ss p. 578 s ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1518 p. 506 ; cf. art. 34 LTF pour la récusation des juges et greffiers du Tribunal fédéral).

La suspicion de partialité peut résulter de circonstances propres à une personne ou de l’organisation même du système de décision. Il suffit d’un risque plausible de partialité ; l’existence effective de celle-ci n’est pas nécessaire (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1519 p. 506 ; Pierre MOOR / Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II : Les actes administratifs et leur contrôle, 3ème éd., 2011, n. 2.2.5.2 p. 270 ss). La Constitution fédérale n’impose cependant pas l’indépendance et l’impartialité comme maxime d’organisation d’autorités gouvernementales, administratives ou de gestion. Une appréciation spécifique est nécessaire dans chaque situation particulière. La possibilité offerte aux administrés de réclamer la récusation de membres d’autorités administratives ne doit pas conduire à empêcher celles-ci de poursuivre, de façon transparente, une politique dans l’intérêt public (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1520 p. 507).

Lorsque l’agent qui devait se récuser participe à une décision, celle-ci est annulable. L’acte devrait être nul, si l’agent statue dans une affaire à laquelle il est personnellement intéressé. Cependant, dans le cas où un organisme de droit privé chargé de l’exécution d’une tâche de droit public privilégie ses intérêts propres, la décision est annulable (ATF 105 Ib 126 consid. 3 ; Pierre MOOR / Étienne POLTIER, op. cit., n. 2.3.4.3 p. 372).

c. Le droit de contester par la voie judiciaire les mesures ou décisions prises au cours ou au terme d’une procédure se rattache au droit à un procès équitable, dont le droit d’accès aux tribunaux représente l’une des facettes (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 1211 ss p. 563 ss).

La constitution fédérale du 29 mai 1874 ne comprenait pas de garantie générale de l’accès au juge. La CEDH a impliqué la reconnaissance et l’extension de ce droit en Suisse, dès lors qu’elle prévoit, à son art. 6 § 1, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Elle stipule par ailleurs, à son art. 13, que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la CEDH ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ; le Pacte II garantit un droit comparable à son art. 2 § 3 let. a.

Une garantie générale de l’accès au juge a été introduite en Suisse le 12 mars 2000 dans le cadre de la réforme de la justice fédérale, par l’adoption de l’art. 29a Cst., en vigueur depuis le 1er janvier 2007 (RO 2006 1059), ayant la teneur suivante : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. La Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l’accès au juge dans des cas exceptionnels. »

Comme le Tribunal fédéral l’a indiqué notamment dans l’arrêt 1P.7/2004 du 13 octobre 2004 (ATF 130 I 388 = RDAF 2005 I 239), rendu peu après l’adoption de l’art. 29a Cst mais avant son entrée en vigueur, l’art. 6 § 1 CEDH a une portée plus large que les notions usuelles en droit interne de contestations portant sur des droits de caractère civil et d’accusations en matière pénale. Il vise aussi les actes administratifs d'une autorité de puissance publique, pour autant qu'ils produisent un effet déterminant sur des droits et obligations de caractère civil. L'application de l’art. 6 § 1 CEDH exige l'existence d'une prétention découlant du droit interne. Il doit exister une contestation sur l'existence, le contenu, la portée ou la nature d'un tel droit ou d'une telle obligation. De plus, le contentieux doit être réel et sérieux et l'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question. Un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisent pas. La nature de l'autorité qui tranche, instance de droit privé ou autorité administrative, n'est pas déterminante. L'application de l’art. 6 § 1 CEDH a été niée lorsque l'autorité a un libre pouvoir d'appréciation, comme en matière de prérogatives discrétionnaires ou d'actes de gouvernement (ATF 127 I 115 consid. 5b = RDAF 2002 I 260). Selon le Tribunal fédéral, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH) a étendu largement le champ d'application de l’art. 6 § 1 CEDH, mais pas de manière indéfinie. Une trop grande extension viderait de son sens l'art. 13 CEDH qui prévoit une voie de recours effectif au niveau interne pour les atteintes aux droits fondamentaux garantis par la CEDH, mais n'exige pas un contrôle judiciaire. Il ne doit pas forcément s'agir d'un tribunal, comme lors de l'application de l'art. 6 CEDH ; la possibilité de recourir auprès d'une autorité administrative présentant des garanties suffisantes d'indépendance et ayant le pouvoir d'examiner les arguments du recourant et, le cas échéant, d'annuler l'acte contesté ou d'en supprimer les conséquences, satisfait déjà aux exigences moins strictes de l'art. 13 CEDH (ATF 137 I 128 consid. 4.4.1 ; ATF 129 II 193 consid. 3 = RDAF 2004 I 662 ; ACEDH Kudla contre Pologne, du 26 octobre 2000, Rec. 2000-XI, § 146 ss p. 247).

L’art. 29a Cst. a entraîné une généralisation du contrôle judiciaire, même au-delà du champ d’application et de la portée des art. 6 § 1 et 13 CEDH et 2 § 3 let. a Pacte II, si bien que la question du droit d’accès à un tribunal peut être examinée au seul regard de cet art. 29a Cst. La Cst-GE n’offre pas non plus une garantie plus étendue que celle qui se déduit de l’art. 29a Cst.

Ainsi que le précise la 2ème phrase de cette disposition, des exceptions peuvent être prévues par des lois à la garantie de l’accès au juge instituée par cette norme constitutionnelle, ce qui – a indiqué le Tribunal fédéral dans un arrêt 9C_116/2008 du 20 octobre 2008 (ATF 134 V 443), rendu après l’entrée en vigueur de l’art. 29a Cst. – exclut la reconnaissance d'un droit général et absolu à la protection juridictionnelle. Les cas exceptionnels visés par l'art. 29a phr. 2 Cst. concernent les décisions difficilement « justiciables », par exemple des actes gouvernementaux qui soulèvent essentiellement des questions politiques, lesquelles ne se prêtent pas au contrôle du juge (ATF 134 V 443 consid. 3.1 ; Message du Conseil fédéral précité, FF 1997 I 1 ss, p. 531), ainsi que des actes qui, en raison des principes de la séparation des pouvoirs ou de la démocratie, se prêtent mal à un contrôle juridictionnel comme les actes d’un parlement soumis à un référendum (Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, 2003, n. 6 ad art. 29a Cst.). L'accès au juge découlant de l'art. 29a Cst. ne doit être exclu que de manière exceptionnelle (ATF 136 I 42 consid. 1.5.3 ; François BELLANGER / Thierry TANQUEREL [éd.], Les nouveaux recours fédéraux en droit public, 2006, p. 108). Il en découle que l'art. 86 al. 3 LTF, selon lequel les cantons peuvent instituer une autorité autre qu’un tribunal pour les décisions revêtant un caractère politique prépondérant, trouve seulement application si l'aspect politique prévaut sans discussion (Bernhard EHRENZELLER / Benjamin SCHINDLER / Rainer J. SCHWEIZER / Klaus A. VALLENDER [éd.], op. cit., n. 19 et 20 ad art. 29a Cst. ; Karl SPÜHLER / Heinz AEMISEGGER / Annette DOLGE / Dominik VOCK, Bundesgerichtsgesetz, Praxiskommentar, 2013, n. 37 ad art. 86 LTF ; Urs PORTMANN [éd.], La nouvelle loi sur le Tribunal fédéral, 2007, p. 155 ss ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., n. 6 ad art. 29a Cst.). La vérification par le juge ne doit pas apparaître admissible (Marcel Alexander NIGGLI / Peter UEBERSAX / Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème éd., 2011, n. 19 ad art. 86 LTF). Le fait que la décision émane d'une autorité politique est un indice de son caractère politique, mais n'est pas toujours déterminant. À titre d'exemples de décisions à caractère politique prépondérant, les plans directeurs cantonaux et la grâce sont régulièrement mentionnés (Marcel Alexander NIGGLI / Peter UEBERSAX / Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], op. cit., n. 22 ad art. 86 LTF). L’allocation de subventions étatiques n’entre pas dans les exceptions admissibles aux garanties procédurales visées par l’art. 29a Cst.

L'autorité judiciaire dont il est question à l’art. 29a Cst. doit présenter les garanties notamment d’indépendance et d’impartialité requises par l'art. 30 al. 1 Cst. et disposer d’un pouvoir d’examen complet des faits et du droit (ATF 137 I 128 consid. 4.2 ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., n. 5 ad art. 29a Cst.).

8. a. À teneur de l’art. 35 Cst. (cf. aussi art. 41 Cst-GE, ayant quasiment la même teneur), les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale, parmi lesquels figurent les garanties de procédure, doivent être réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique (al. 1). Quiconque assume une tâche de l’État est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation (al. 2). Les autorités veillent à ce que les droits fondamentaux, dans la mesure où ils s’y prêtent, soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux (al. 3).

L’obligation instaurée par l’art. 35 al. 2 Cst. incombe non seulement à tous les organes étatiques de quelque nature – législatifs, exécutifs ou judiciaires – et de quelque niveau – fédéral, cantonal ou communal – qu’ils soient, mais aussi aux personnes privées – physiques ou morales – chargées d'exercer des tâches étatiques par délégation (ATF 137 II 409 consid. 6, 7.1 et 7.2 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., n. 116 p. 55 ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., n. 3, 6 et 8 ad art. 35 Cst.). Dans l’accomplissement de leurs tâches, tous doivent veiller au respect des droits fondamentaux, en particulier à celui des garanties de procédure (ATF 139 I 306 consid. 3.2.1 et 4 = RDAF 2014 I 282 ; ATF 133 I 49 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral B-6161/2011 et B-6165/2011 du 4 octobre 2013 consid. 6.1).

L'art. 35 al. 3 Cst. ne déroge pas à ce principe. De par sa formulation, il confirme que les droits fondamentaux ne peuvent déployer leurs effets directement entre individus, mais que cette application dépend d'une intervention spécifique de l'autorité, soit en priorité du législateur ou des autorités d'application du droit lorsqu'elles sont amenées à interpréter des notions juridiques indéterminées ou bénéficient d'un pouvoir d'appréciation (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., n. 130 ss p. 61 ss ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., n. 12 ad art. 35 Cst.). Si la Constitution fédérale contient certes des règles qui pourraient être directement applicables entre particuliers sur des points précis, la jurisprudence n'a reconnu que dans deux cas qu'un droit fondamental déployait un véritable effet horizontal direct dans les relations entre personnes privées, soit le principe de l'égalité des salaires entre les hommes et les femmes pour un travail de valeur égale et la liberté personnelle dans les relations entre le patient et son médecin (ATF 126 II 217 consid. 4 = JdT 2002 I 375 ; 114 Ia 350 consid. 5 et consid. 6).

b. Il peut donc déjà être retenu, à ce stade, que la délégation de tâches étatiques à des tiers, même à des personnes privées, ne saurait aboutir à un non-respect des droits fondamentaux et des garanties procédurales qui seraient applicables à défaut de délégation.

9. a. Sur le plan fédéral, une norme constitutionnelle – l’art. 178 al. 3 Cst. – prévoit la possibilité de déléguer des tâches de l'administration à des organismes et à des personnes de droit public ou de droit privé qui sont extérieurs à l'administration fédérale. Tel n’est pas le cas en droit genevois. Cependant, la collaboration des pouvoirs publics avec le secteur privé ne requiert pas une base constitutionnelle, du moins lorsqu’il n’y a pas délégation de pouvoirs de puissance publique comportant une large part d’autonomie en faveur du délégataire ; il suffit que l’État soit compétent en la matière (Pierre MOOR, Droit administratif, vol. III, 1992, n. 3.1.4.1 p. 114).

La délégation des compétences étatiques à une entité privée, pratique relativement courante dans l’administration de prestation (ATF 133 I 49 consid. 3.2), doit par contre reposer sur une base légale formelle (ATF 137 II 409 consid. 6.3 ; 135 II 38 consid. 4.4 ; Bernhard EHRENZELLER / Benjamin SCHINDLER / Rainer J. SCHWEIZER / Klaus A. VALLENDER [éd.], Die Schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, 3ème éd., 2014, n. 32 ss ad art. 178 Cst. ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 110 p. 34, n. 153 p. 47 ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op.cit., n. 10 ad art. 178 Cst.).

b. La loi doit en outre poser les moyens de surveillance propres à garantir la situation des tiers et le contrôle politique (Pierre MOOR, op. cit., n. 3.1.4.2 p. 114). L’existence et l’exercice concret d’une surveillance est une condition de validité de la délégation (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 155 p. 47).

La surveillance peut être organique, par la participation aux instances supérieures de l’institution, ou financière. L’autorité doit être informée des activités de l’institution et de certains actes, et les règlements autonomes et les statuts être soumis à son approbation. L’existence des voies de recours contre les actes du délégataire se juge selon les règles ordinaires du contentieux (Pierre MOOR, op. cit., n. 3.1.4.2 p. 118). L’État se doit d’assurer une certaine surveillance voire un certain contrôle sur les activités déléguées, ainsi que de garantir une protection minimum aux personnes susceptibles d’être touchées dans leurs droits fondamentaux par les actes du délégataire des tâches publiques, du moins pour les atteintes d’une certaine gravité. Le justiciable doit pouvoir provoquer une décision formelle de l’autorité de surveillance susceptible de recours (ATF 133 I 49 consid. 3.2), étant relevé que, pour le délégataire, le mandat d’exécuter les tâches publiques peut comprendre implicitement le pouvoir décisionnel nécessaire à leur accomplissement (ATF 137 II 409 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_715/2008 du 15 avril 2009 consid. 3.2 = RDAF 2010 I 425).

Les lois qui instituent les organismes délégataires de tâches étatiques prévoient du reste, directement ou indirectement, une surveillance de la part du Conseil fédéral voire de l’administration, ainsi que des voies de recours contre leurs décisions (Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., n. 13 ad art. 178 Cst). L'obligation de garantir le droit de recours concerne non seulement la délégation d'affaires du Conseil fédéral aux départements ou aux unités administratives qui leur sont subordonnées, mais par analogie aussi les tâches administratives de la Confédération qui sont confiées à l'extérieur de l'administration fédérale. Selon le Conseil fédéral, il n'est pas nécessaire de mentionner expressément cet aspect, qui va de soi (Message du Conseil fédéral relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996, FF 1997 I 416). Ainsi, une voie de recours est mentionnée à l’art. 13 de la loi fédérale sur l’encouragement à la recherche et à l’innovation du 14 décembre 2012 (LERI – RS 420.1) contre les décisions des institutions chargées d’encourager la recherche, comme le Fonds national suisse de la recherche scientifique, qui est une fondation de droit privé au sens de l’art. 80 CC ; par le jeu d’une référence à la PA et de l’application de l’art. 31 de la loi sur le Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005 (LTAF - RS 173.32), l’autorité de recours est le Tribunal administratif fédéral. La même voie de recours est ouverte à l’encontre des décisions que rend la Fondation Pro Helvetia, qui, elle, est une fondation de droit public dotée de la personnalité juridique (art. 26 et 31 al. 1 de la loi fédérale sur l’encouragement de la culture du 11 décembre 2009 - LEC - RS 442.1 ; art. 13 de l’ordonnance sur les subventions de la Fondation Pro Helvetia du 23 novembre 2011 - RS 442.132.2 ; art. 31 LTAF).

c. Les rapports entre le délégataire et les tiers sont régis par le droit public lorsqu’il y a délégation de pouvoirs de puissance publique, notamment lorsque le délégataire a reçu compétence de prendre des décisions unilatérales ou est chargé de redistribuer des subventions en application directe de normes étatiques (Pierre MOOR, op. cit., n. 3.1.3.3 p. 112).

Lorsque la législation spéciale ne rend pas le droit public applicable, c’est le droit privé qui régit les relations entre le délégataire et les tiers. Cependant, les nécessités de réalisation de la tâche déléguée ou les exigences de la protection d’intérêts légitimes des tiers justifient la présence de régimes particuliers ou de règles dérogatoires de droit public, voire la référence à des principes constitutionnels (Pierre MOOR, op. cit., n. 3.1.3.3 p. 113). Le respect des règles de droit public incluses dans un rapport de droit privé est assumé, dans la relation entre le délégataire et le tiers, par une décision, ce qui rend recevable un recours à l’autorité de surveillance (Pierre MOOR, op. cit., n. 3.1.3.3 p. 114).

d. Parmi les domaines pouvant faire l’objet d’une délégation de tâches étatiques figure le subventionnement, notamment lorsque certaines institutions reçoivent de l’État une subvention globale qu’elles sont chargées de redistribuer aux particuliers (Pierre MOOR, op. cit., n. 3.1.2.7 p. 106). Le contrat de subvention est un contrat de droit administratif entre l’autorité publique et le délégataire (Pierre MOOR / Étienne POLTIER, op. cit., n. 3.1.2.4 p. 434).

Dans le canton de Genève, la pratique contractuelle développée avec les initiateurs de projets culturels et les organismes culturels, en vertu de l’art. 5 al. 2 de l’ancienne loi sur l’accès et l’encouragement à la culture du 20 juin 1996 (aLAEC), devenue la loi sur la culture du 16 mai 2013 (LCulture - C 3 05), renvoie à des contrats à la fois de subvention et de prestations (François BELLANGER / Thierry TANQUEREL [éd.], Les contrats de prestations, 2002, p. 18).

e. Si, dans le canton de Genève, des tâches étatiques peuvent être déléguées à des fondations de droit public (cf. loi sur les fondations de droit public du 15 novembre 1958 – LFond - A 2 25), rien ne s’oppose en soi à ce que le subventionnement d’activités culturelles au moyen principalement de deniers publics soit délégué par l’État à des fondations de droit privé, comme en l’espèce dans le domaine de la production et de la création d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Il importe toutefois de rappeler que les mêmes principes constitutionnels d’ordre procédural et matériel s’imposent au délégataire comme à l’administration ; en effet, la collaboration de personnes de droit privé ne doit pas amoindrir les garanties procédurales et matérielles qu’institue la Constitution fédérale au profit des administrés (Pierre MOOR, op. cit., n. 3.1.4.1 p. 115 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 112 p. 34, n. 153 p. 47).

f. En l’espèce, il faut donc retenir que, dans les procédures portant sur l’examen de demandes de soutiens financiers se déroulant devant la fondation, les requérants de telles aides doivent disposer d’un droit de récuser les membres d’organes de la fondation appelés à statuer sur leurs requêtes qui seraient en situation de conflit d’intérêts et d’un droit de contester, finalement judiciairement, les décisions desdits organes.

Cela ne signifie pas que ces deux droits procéduraux invoqués par les recourants doivent être garantis explicitement par la loi, en particulier par la loi délégant le subventionnement considéré. Ils doivent être garantis d’une façon suffisante, qui satisfasse aux exigences se déduisant respectivement des art. 29 Cst. et 29a phr. 1 et 30 al. 1 Cst.

10. a. Pour contrer les arguments des recourants, l’intimé fait référence aux diverses lois que la loi attaquée déclare applicables, en particulier à la LGAF, la LSurv, la LIAF, et, selon la convention de subventionnement ratifiée par la loi attaquée, la LCulture.

b. Il est vrai – et les recourants ne le contestent d’ailleurs pas – que ces diverses lois imposent aux entités subventionnées des obligations qui contribuent à assurer un exercice des tâches déléguées qui soit conforme aux buts, aux règles d’organisation et aux processus décisionnels de la fondation. La LIAF, notamment, prévoit des contrôles des actes des organes des entités subventionnées. Ainsi, les autorités s’assurent que ces entités exécutent leur tâche conformément aux conditions légales, aux objectifs fixés et au contrat de droit public par un contrôle périodique (art. 22 al. 1 LIAF). Lesdites entités doivent fournir à l’État leurs états financiers, leur rapport d’activités sur l’exercice écoulé, en mettant les activités réalisées en relation avec les objectifs initiaux. L’État contrôle ce rapport. Lorsqu’il constate que l’aide financière n’est pas utilisée en conformité avec l’affectation prévue ou qu’elle a été indûment promise ou versée, que ce soit en violation du droit ou sur la base d’un état de fait inexact ou incomplet, il peut révoquer la décision d’octroi, résilier le contrat de droit public, réduire le montant de l’aide financière octroyée, en exiger la restitution totale ou partielle (art. 23 al. 1 let. a et c LIAF). Par ailleurs, les entités subventionnées ont l’obligation d’instaurer un système de contrôle interne adapté à leur mission et à leur structure (art. 3 al. 4 et 51 al. 1 LGAF). Ce contrôle doit permettre d’assurer la qualité des prestations fournies dans le respect des lois, règlements, directives et autres normes en vigueur et d’assurer la qualité des processus visant à fournir des prestations (art. 50 al. 1 let. a et b LGAF). Un audit interne est ensuite prévu lorsque les entités de droit privé bénéficient d’une subvention au sens de l’art. 44 et 45 LGAF supérieure ou égale à CHF 200'000.- (art. 10 al. 2 let. a LSurv).

c. Ces contraintes, contrôles et mesures ne remplacent toutefois pas les garanties procédurales évoquées en l’espèce.

Dès lors que le subventionnement considéré est délégué en l’occurrence à une fondation de droit privé, il sied d’examiner si ces droits procéduraux ne se trouvent pas suffisamment garantis par le droit des fondations de droit privé.

11. a. Aux termes de l'art. 80 CC, une fondation a pour objet l'affectation de biens en faveur d'un but spécial. Son but, circonscrit dans son acte de fondation, doit définir et délimiter ses tâches. Il doit en déterminer les destinataires, soit les personnes qui bénéficient des prestations de la fondation ou à qui celle-ci doit profiter en raison de son but. Le fondateur peut désigner nommément les destinataires dans l'acte de fondation. Il peut aussi décrire les conditions qu'ils doivent remplir pour bénéficier des prestations de la fondation. La détermination du cercle des destinataires peut même résulter indirectement du but de la fondation, ou résulter implicitement de la description des tâches de la fondation. Le fondateur peut enfin renoncer à désigner les bénéficiaires lorsque, d'une manière toute générale, le but de la fondation peut profiter à tout un chacun, indépendamment de ses qualités (arrêt du Tribunal fédéral 5A_232/2010 du 16 septembre 2010 consid. 3.1.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral B-854/2011 du 18 octobre 2011 consid. 4.1 ; Pascal PICHONNAZ / Bénédict FOËX [éd.], Code civil I, Commentaire romand, art. 1-359 CC, 2010, n. 13 ad art. 81 CC ; Habib TABET, La situation juridique des bénéficiaires de la fondation, 2006, n. 735 ss ; Parisima VEZ, La fondation : lacunes et droit désirable [ci-après : La fondation], 2004, n. 87 et 96 ss ; Thomas SPRECHER / Ulysses von SALIS-LÜTOLF, Die schweizerische Stiftung, 1999, n. 46 ; Hans Michael RIEMER, Commentaire bernois, Die Stiftungen : systematischer Teil und Kommentar zu Art. 80-80bis ZGB, 1981, n. 37 ss ad art. 80 CC).

b. Les fondations sont placées sous la surveillance de la corporation publique dont elles relèvent par leur but (art. 84 al. 1 CC). En application de cette disposition, les fondations dont le champ d’activité s’étend à plusieurs cantons sont soumises à la surveillance de la Confédération (Parisima VEZ, Surveillance étatique et autorégulation des fondations [ci-après : Surveillance], RDS 132/2013 II 341-411, p. 362). La loi attribue à l'autorité de surveillance des pouvoirs relativement étendus (arrêt du Tribunal administratif fédéral B-4826/2010 du 8 février 2011 consid. 2 ; Hans Michael RIEMER, op. cit., n. 148 ss ad art. 84 CC).

Bien que les règles relatives à la surveillance des fondations soient ancrées dans le CC, les rapports entre une fondation et son autorité de surveillance relèvent, du moins de manière prépondérante, du droit public ; les rapports entre une fondation et ses destinataires relèvent en revanche du droit privé (ATF 107 II 385 consid. 2 = JdT 1983 I 182 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral B-6161/2011 et B-6165/2011 précités consid. 3.1). Les dispositions relatives à la surveillance des fondations sont de droit impératif (Parisima VEZ, La fondation, n. 715). L’autorité de surveillance est tenue d’exercer la surveillance lorsque les conditions légales sont réunies (Parisima VEZ, Surveillance, p. 389). Elle doit en particulier veiller à ce que le patrimoine de la fondation soit utilisé conformément au but de celle-ci (art. 84 al. 2 CC). Elle doit s'attacher à ce que les organes de la fondation ne prennent pas de décisions qui soient contraires à l'acte de fondation, au règlement ou à la loi, ou qui soient contraires aux mœurs (ATF 111 II 97 consid. 3 = JdT 1987 I 322 ; 108 II 497 consid. 5). Sur les questions de pure appréciation, elle doit faire preuve de retenue, en n'intervenant que si les organes de la fondation ont excédé leur liberté d'appréciation ou en ont abusé (ATF 111 II 97 consid. 3 = JdT 1987 I 322 ss ; 108 II 497 consid. 5 ; 106 II 267 consid. 3c = JdT 1982 I 194 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral B-1854/2011 précité consid. 3 et B-3867/2007 du 29 avril 2008 consid. 3 ; Parisima VEZ, Surveillance, p. 372).

Dans l’exercice de son pouvoir de surveillance, l’autorité de surveillance dispose d'une large palette de mesures, préventives et répressives, ayant valeur de prescriptions de droit public (ATF 126 III 499 consid. 3 ; ATF 112 II 471 consid. 2 ; 105 II 321 consid. 5a ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_232/2010 précité consid. 3.1.2 ; 5A_274/2008 précité consid. 5.1 ; Parisima VEZ, La fondation, n. 875 ; Parisima VEZ, Surveillance, p. 387 ; Message du Conseil fédéral du 27 février 2013, Fondations. Renforcer l’attractivité de la Suisse, FF 2013 1981, p. 1991). Les mesures préventives ou ordinaires comprennent les recommandations, l'obligation de rendre régulièrement un rapport de gestion, voire d'autres documents notamment le rapport de l'organe interne de révision et les procès-verbaux des séances de ses organes. Quant aux mesures répressives ou extraordinaires (Parisima VEZ, Surveillance, p. 386), il s'agit de l'annulation des décisions prises par les organes, d'instructions, d'avertissements, d'amendes ou de la révocation des organes (arrêt du Tribunal fédéral 5A_274/2008 du 19 janvier 2009 consid. 5.1). L'autorité de surveillance peut ordonner des mesures provisoires, comme suspendre l'exécution de décisions des organes de la fondation (Hans Michael RIEMER, op. cit., n. 108, 109 et 111 ad art. 84 CC). Ces mêmes mesures peuvent aussi être ordonnées à titre définitif (ATF 108 II 358 consid. 5 ; 105 II 321 consid. 5a ; 96 I 406 consid. 2 ; Hans Michael RIEMER, op. cit., n. 98-102 ad art. 84 CC).

c. L’art. 83b CC, entré en vigueur le 1er janvier 2008, tend à ce que chaque fondation mette sur pied un système de contrôle interne, et adopte notamment des mesures de prévention des conflits d’intérêts. Si le conflit d’intérêt est permanent, le dirigeant concerné ne doit pas faire partie du conseil de fondation ou de direction ; si le conflit est passager, l’intéressé doit signaler la situation au conseil de fondation puis se récuser non seulement lors du vote, mais déjà au stade des délibérations. Enfin, les affaires importantes entre la fondation et ses dirigeants ou des proches de ceux-ci doivent être conclues aux mêmes conditions qu’avec des tiers (Parisima VEZ, Surveillance, p. 407).

d. Selon le Tribunal fédéral (ATF 107 II 385 consid. 3 = JdT 1983 I 182), le CC ne réglemente pas expressément le droit de plainte contre des actes ou des omissions des organes des fondations. Cependant, l’art. 84 al. 2 CC a, depuis toujours, été interprété en ce sens que toute personne ayant intérêt à l'intervention de l'autorité de surveillance de la fondation peut lui adresser une plainte. La qualité pour déposer une plainte a une portée étendue et est reconnue en particulier aux destinataires effectifs et potentiels des prestations de la fondation (ATF 107 II 385 consid. 4 = JdT 1983 I 182 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral B-6161/2011 et B-6165/2011 précités consid. 3.1 ; B-1854/2011 précité consid. 3 ; Hans Michael RIEMER, op. cit., n. 119-121 et 138-139 ad art. 84 CC et les autres auteurs cités dans l’ATF 107 II 385 consid. 3 = JdT 1983 I 182). L’acte de fondation et les règlements internes ne peuvent pas exclure le droit des intéressés de porter plainte (Parisima VEZ, La fondation, n. 833).

Contrairement à la dénonciation à l’autorité de surveillance – prévue de manière générale à l'art. 71 PA, dont l'al. 2 précise que le dénonciateur n'a aucun des droits reconnus à la partie (ATF 107 II 385 consid. 3 = JdT 1983 I 182 ; Hans Michael RIEMER, op. cit., n. 119 et 122 ad art. 84 CC) –, la plainte aux autorités de surveillance des fondations est une véritable voie de droit, conférant les droits de partie à une procédure. C’est une voie de droit sui generis fondée sur la législation civile ; les principes de la procédure administrative ne lui sont applicables que par analogie (ATF 107 II 385 consid. 4 = JdT 1983 I 182). La plainte relève d’une procédure contentieuse.

Tant le plaignant que la fondation ont, comme parties à la procédure, le droit d’être entendus par l’autorité de surveillance, droit dont découle celui de consulter le dossier, d’alléguer des faits, d’offrir des moyens de preuve et d’argumenter en droit. Ils ont droit à ce qu’une décision soit prise par l’autorité de surveillance (Parisima VEZ, La fondation, n. 833 ss).

e. Les décisions des autorités de surveillance des fondations peuvent être portées devant l'instance supérieure, à savoir, pour des fondations soumises à la surveillance de la Confédération, au Tribunal administratif fédéral par la voie du recours de droit administratif, selon l'art. 31 LTAF cum l'art. 33 let. d LTAF et l'art. 3 al. 2 let. a de l'ordonnance sur l'organisation du département fédéral de l'intérieur du 28 juin 2000 (Org DFI - RS 172.212.1 ; ATF 107 II 385 consid. 3 = JdT 1983 I 182). Si l'autorité de surveillance est cantonale, le recours est régi par la procédure administrative cantonale ; dans le canton de Genève, l'autorité de recours est la chambre administrative de la Cour de justice (art. 32 let. b de la loi sur la surveillance des fondations de droit civil et des institutions de prévoyance du 14 octobre 2011 - LSFIP - E 1 16 ; art. 132 al. 6 LOJ).

Ensuite, selon l’art. 72 al. 2 let. b ch. 4 LTF, les décisions en matière de surveillance des fondations sont encore sujettes au recours en matière civile au Tribunal fédéral (Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l’organisation judiciaire du 28 février 2001, FF 2001 4000, p. 4106 ss), pour les fondations de droit privé (Bernard CORBOZ et al. [éd.], op. cit., ad. art. 72 LTF, p. 633). Pour les fondations de droit public, le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral est ouvert (art. 82 LTF), pour autant, toutefois, que les décisions portent sur des subventions auxquelles la législation donne droit (art. 83 let. k LTF) ; à défaut, en matière de surveillance fédérale, le Tribunal administratif fédéral statue en dernière instance, puisque ses arrêts ne peuvent pas faire l'objet d'un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 a contrario LTF).

f. Le vaste pouvoir d'examen dont bénéficie l'autorité de surveillance n'exclut pas la compétence du juge civil pour les litiges ayant pour objet l'exercice d'un droit subjectif à des prestations déterminées (ATF 112 II 97 consid. 3 ; ATF 61 II 291 ; Hans Michael RIEMER, op. cit., n. 136 ad art. 84 CC). Tant les destinataires de la fondation que ses organes ou créanciers peuvent être titulaires de droits subjectifs à l'égard de celle-ci. Les droits subjectifs ont généralement leur fondement dans un contrat conclu avec la fondation (Parisima VEZ, La fondation, n. 827 ss).

À défaut d’un droit subjectif à l’encontre de la fondation, la plainte à l'autorité de surveillance est la seule voie de droit à disposition, à l'exclusion de toute action civile (Habib TABET, op. cit., n. 866). Sa qualification de voie de droit est pleinement justifiée, comme cela est d’ailleurs admis pour d’autres types de plainte, par exemple en matière d’exécution forcée des dettes d’argent (art. 17 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 - LP - RS 281.1).

12. a. En l’espèce, S______ est une fondation de droit privé, qui reçoit des cantons et villes partenaires, par le biais des conventions de subventionnement, des subsides à redistribuer à tout le moins pour partie à des producteurs et réalisateurs d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Elle dispose à cette fin d’un large pouvoir d’appréciation (au demeurant indispensable pour que les choix en matière culturelle ne soient pas dictés par l’État), ainsi que l’attestent notamment les art. 6 et 15 de la convention de subventionnement, qui font référence respectivement à des soutiens à des bénéficiaires répondant aux conditions fixées par les règlements de la fondation et à l’autonomie de cette dernière quant au choix des projets soutenus. Les requérants de prestations de la fondation ne disposent pas d’un droit subjectif à leur obtention.

b. Les règlements de S______ prévoient des normes consacrées à la prévention et la résolution des conflits d’intérêts des membres du conseil de fondation ou des divers conseils et commissions de la fondation. Ainsi, selon le règlement interne de la fondation (ci-après : le règlement), les membres de la commission de sélection ne peuvent pas appartenir à d’autres commissions de soutien à la production et à la création cinématographiques en Suisse (art. 4.1 al. 5 du règlement). Les membres du conseil de fondation et ceux du conseil consultatif des professionnels ne peuvent pas siéger dans la commission de sélection (art. 4.1 al. 6 du règlement). Les membres de la commission d’attribution de la session en cours ne peuvent pas siéger dans le conseil consultatif des professionnels (art. 5.1 al. 3 du règlement). Les art. 4.1 al. 6 et 5.1 al. 4 du règlement prévoient explicitement que tout membre doit se récuser pour la séance complète de la commission de sélection ou du conseil consultatif des professionnels s’il est impliqué d’une manière ou d’une autre dans un des projets soumis à la commission ou au conseil.

Ces dispositions traduisent, dans le cas spécifique de la fondation considérée, les mêmes règles que consacrent des dispositions précitées telles que les art. 10 al. 1 PA et 15 al. 1 LPA, concrétisant le droit constitutionnel à l’impartialité de l’autorité traitant d’une affaire (art. 29 al. 1 Cst.), valable plus généralement, y compris en cas de délégation d’une tâche étatique même à une personne ou entité de droit privé. Elles doivent être interprétées à la lumière des exigences se déduisant de cette norme constitutionnelle.

c. Dès lors que la fondation n’est pas investie de pouvoirs de puissance publique et dispose d’une large autonomie dans ses activités, y compris pour l’allocation de soutiens financiers à des producteurs et créateurs d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, les rapports entre S______ et les tiers – en particulier les potentiels bénéficiaires de prestations, à l’instar des recourants –, sont soumis au droit privé, s’agissant notamment de la procédure de traitement des demandes de prestations, et non au droit public. Ce sont quoi qu’il en soit substantiellement les mêmes exigences d’impartialité qui doivent s’appliquer, que ces rapports soient régis par le droit public ou le droit privé.

Ces exigences se trouvent posées en l’espèce par le règlement interne de la fondation. Il n’est pas indispensable que la loi attaquée prévoie elle-même ou même rappelle l’applicabilité de telles règles. Les intéressés sont en droit et en mesure d’en réclamer l’application auprès des organes de la fondation et – comme cela sera indiqué ci-après – de provoquer au besoin sur ce sujet l’ouverture d’une procédure propre à faire respecter leur droit.

Le recours est mal fondé sur ce premier point.

13. a. S’agissant de l’ouverture d’une voie de droit répondant aux exigences résultant des art. 29a phr. 1 et 30 al. 1 Cst. pour contester les mesures ou décisions de la fondation sur les demandes de prestations de cette dernière, il n’en est certes pas prévu explicitement par la législation fédérale ou cantonale, ni d’ailleurs par les règlements de S______. Par ailleurs, la voie civile n’est pas ouverte à des requérants de prestations de la fondation, dès lors qu’ils ne disposent pas d’un droit subjectif à leur obtention.

b. Ladite fondation est cependant soumise à une double surveillance, à savoir d’une part à celle exercée par les pouvoirs étatiques la subventionnant et d’autre part à celle de l’autorité fédérale de surveillance des fondations.

Or, si l’exercice de la surveillance des pouvoirs étatiques subventionnant ne s’exerce pas dans le cadre d’une procédure propre à faire respecter les garanties procédurales dont les recourants revendiquent l’applicabilité (consid. 10c), il en va différemment de la surveillance conférée à l’autorité de surveillance des fondations, qui est en l’occurrence une autorité fédérale, rattachée au secrétariat général du département fédéral de l’intérieur.

c. En effet, comme cela a déjà été relevé (consid. 11d), la voie de la plainte à l’autorité de surveillance, déduite de l’art. 84 al. 2 CC, constitue une véritable voie de droit, ouverte à tout intéressé et en particulier aux bénéficiaires effectifs ou potentiels de prestations de la fondation, conférant les droits de parties, amenant l’autorité de surveillance compétente à procéder à un examen complet de la cause en fait et en droit, et l’obligeant à statuer, en particulier à prendre s’il y a lieu les mesures propres à rétablir une situation conforme au droit, au nombre desquelles figurent la suspension (même définitive) ou l’annulation de décisions prises.

De plus, la décision que rend l’autorité de surveillance au terme du traitement de la plainte est sujette à recours devant des instances judiciaires, en l’occurrence avec la garantie d’un double degré de juridiction, puisqu’au recours de droit administratif au Tribunal administratif fédéral (art. 31 et 33 let. d LTAF et art. 3 al. 2 let. a Org DFI) peut succéder un recours en matière civile au Tribunal fédéral (art. 72 al. 2 let. b ch. 4 LTF).

La voie de la plainte à l’autorité de surveillance permet donc à des demandeurs de prestations de la fondation de soumettre leurs griefs formels et matériels – y compris, le cas échéant, la violation des règles en matière de récusation – dans toute la mesure où l’exige la garantie constitutionnelle de l’ouverture d’une voie de droit fondée sur les art. 29a phr. 1 et 30 al. 1 Cst.

d. Une voie de droit pleinement assimilable à une voie de recours existe donc. Il n’est pas nécessaire que la loi attaquée la prévoie elle-même ou même en rappelle l’existence.

e. Sans doute cela peut-il être ressenti comme un déficit d’information et de transparence que la voie de la plainte à l’autorité de surveillance ne soit pas mentionnée dans des règlements de la fondation, ni, le cas échéant, dans les décisions de cette dernière. On ne saurait cependant exiger que la loi attaquée indique cette voie de droit. Les lois de procédure administrative prévoient souvent que les décisions administratives doivent indiquer les voies et délais de recours (cf. art. 35 al. 1 PA ; art. 46 al. 1 LPA) ; une telle exigence n’est toutefois pas d’application générale, car elle ne résulte pas d’un principe de rang constitutionnel (ATF 123 II 231 consid. 8 ; Jean-François EGLI, La protection de la bonne foi dans le procès, in: Juridiction constitutionnelle et juridiction administrative, 1992, p. 231) ; elle ne s’applique pas dans le domaine des fondations de droit privé. Les recourants n’ignorent d’ailleurs pas qu’il leur est loisible de s’adresser à l’autorité fédérale de surveillance, puisque l’un d’eux (soit l’entreprise) a saisi cette dernière d’une demande de renseignements concernant de prétendus conflits d’intérêts de certains membres des organes de décision de S______.

f. Le second grief soulevé par les recourants n’est pas non plus fondé.

14. Entièrement mal fondé, le présent recours sera rejeté, en tant qu’il est recevable.

15. Les recourants, qui succombent, seront astreints, conjointement et solidairement, au paiement d’un émolument de CHF 2'000.- (art. 87 al. 1 LPA).

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 28 novembre 2014 et complété les 19 et 20 janvier 2015 par Messieurs A______ et B______ et A______, Société Productions contre la loi 11'301 du 9 octobre 2014 accordant une aide financière à la Fondation S______ pour les années 2013 à 2016 ;

met un émolument de CHF 2’000.- à la charge de Messieurs A______ et B______ et de A______, Société Productions, pris conjointement et solidairement ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Messieurs A______ et B______, à A______, Société Productions, au Grand Conseil et, pour information, au Conseil d’État.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Galeazzi, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen et M. Martin, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

C. Gutzwiller

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.


Genève, le 

 

la greffière :