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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3181/2015

ATA/309/2016 du 12.04.2016 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3181/2015-PRISON ATA/309/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 avril 2016

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______ 1989, ressortissant libanais, est entré en détention à la prison de Champ-Dollon le 20 mars 2014 et y purge actuellement et jusqu’au 9 avril 2017, deux condamnations pénales à des peines privatives de liberté de respectivement nonante jours pour infraction à la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20) et trente mois pour tentative de lésions corporelles graves et infraction à la LEtr.

2. Entre les mois d’octobre 2014 et juillet 2015, M. A______ a fait l’objet de plusieurs recadrages, mesures ou sanctions disciplinaires comme le retrait de haut-parleurs, la confiscation de matériel non autorisé ou la suppression de travail durant quatre jours, en raison de son irrespect des règles internes ou de son comportement agressif envers le personnel de la prison ou ses codétenus. Ces incidents ont fait l’objet de cinq rapports.

3. Le 12 août 2015, interpellé par un gardien au sujet de l’état de propreté d’ustensiles de cuisine, M. A______, qui disposait d’une place de travail, de nettoyeur, n’a pas répondu à la question posée et s’est exprimé de telle manière que ledit gardien a établi un rapport d’incident faisant état d’une menace ainsi formulée à son encontre : « Tu vas voir quand je sors, on va se retrouver, tu feras moins le malin », prise avec sérieux compte tenu du motif de l’incarcération de M. A______.

4. Le même jour, après avoir été entendu sur les faits par le directeur adjoint de la prison, M. A______ a été sanctionné par le directeur d’une mise en cellule forte de cinq jours, du 12 au 17 août 2015 et de la suppression de travail, pour menaces envers le personnel et refus d’obtempérer. Cette décision était exécutoire nonobstant recours.

5. Par courrier daté du 9 septembre 2015 mais remis à la poste le 14 septembre 2015, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision susmentionnée, contestant en substance le bien fondé de celle-ci. Il contestait avoir menacé le gardien. Ce dernier l’avait provoqué, comme il en était coutumier et cela avait commencé à l’énerver. Il avait alors dit au gardien qu’il n’avait pas envie de lui parler et il s’était fait insulter en retour devant un autre détenu qui ne voulait pas témoigner.

6. Le 16 octobre 2015, le directeur a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée. M. A______ ne contestait véritablement que les menaces. Compte tenu du rapport précis du gardien, fonctionnaire assermenté, il y avait lieu d’écarter la version contraire de M. A______. La sanction était justifiée et proportionnée au regard des circonstances.

7. Invité à exercer son droit à la réplique, M. A______ ne s’est pas manifesté dans le délai imparti au 20 novembre 2015.

8. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. À teneur de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2c/aa p. 43 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3 ; ATA/670/2015 du 23 juin 2015 consid. 2b et les références citées).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 p. 81 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; ATA/1066/2015 du 6 octobre 2015). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; ATA/670/2015 précité consid. 2c et les références citées) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 ss ; ATA/670/2015 précité consid. 2c et les références citées).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; ATA/670/2015 précité consid. 2d et les références citées)

e. En l'espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/670/2015 précité consid. 2e ; ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée), dès lors qu'il est actuellement toujours détenu à Champ-Dollon. Il en va de même de la suppression de travail, dont la durée est indéterminée.

Le recours est ainsi pleinement recevable.

3. Le recourant conteste le bien-fondé de la décision du 12 août 2015 du directeur, consistant en la mise en cellule forte pour cinq jours et la suppression du travail.

4. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

5. a. Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

Selon l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur de la prison est compétent pour prononcer les sanctions suivantes :

a) suppression de visite pour quinze jours au plus ;

b) suppression des promenades collectives ;

c) suppression d’achat pour quinze jours au plus ;

d) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus ;

e) privation de travail ;

f) placement en cellule forte pour dix jours au plus.

b. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, sont l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs - la faute étant une condition de la répression - contrevenant auxdites obligations. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux personnes incarcérées, étant instauré, dans ce cadre, pour protéger le fonctionnement normal de l’établissement de détention. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/79/2016 du 26 janvier 2016 consid. 5 ; ATA/972/2015 du 22 septembre 2015 et les références citées).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention, parmi lesquels figurent les surveillantes, sont également des fonctionnaires assermentés (art. 3 al. 1 let. a ch. 6 et 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/79/2016 précité consid. 5 ; ATA/295/2015 du 24 mars 2015).

c. Selon la doctrine, la menace peut être exprimée par la parole, l'écrit ou par un comportement concluant (Bernard CORBOZ, Les infractions en droit suisse, 3ème éd., 2010, vol. 1, n. 5 ad art. 180 CP, p. 694).

d. En l’espèce, aucun élément du dossier ne permet de mettre en question le rapport établi par le gardien, le recourant se limitant à opposer sa version des faits à celle constatée et vécue par le gardien. Dès lors, compte tenu de la jurisprudence précitée, la chambre de céans retiendra que l’incident s’est déroulé conformément à ce qui est décrit dans le rapport. Il est de nature à entraîner le prononcé d’une sanction.

6. La sanction doit être conforme au principe de la proportionnalité.

a. Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222 et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 p. 482 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/295/2015 du 24 mars 2015 consid. 7 ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

b. Dans sa jurisprudence récente, la chambre de céans a eu à statuer sur des recours de détenus contre des décisions de sanction consistant en leur placement en cellule forte pour certains faits, notamment pour des menaces.

Dans l'ATA/670/2015 du 23 juin 2015, le détenu en question avait été sanctionné de trois jours de cellule forte pour trouble à l’ordre de l’établissement, injures et menaces envers le personnel. Il avait notamment menacé les gardiens par ces termes : « je vais trouver toutes vos adresses et je vais vous retrouver dehors ». La chambre administrative a rejeté le recours de l'intéressé considérant le placement en cellule forte pour trois jours comme étant justifié et respectant le principe de la proportionnalité.

Dans l'ATA/13/2015 du 6 janvier 2015, le détenu avait été sanctionné de deux jours de cellule forte pour injures et menaces envers le personnel, ainsi que refus d'obtempérer. Il avait notamment dit au gardien-chef adjoint présent « fais attention à ta femme et tes enfants, quand je sortirai je m'en occuperai ». La chambre administrative a rejeté le recours de l'intéressé considérant le placement en cellule forte pour deux jours comme étant justifié et respectant le principe de la proportionnalité.

Dans l’ATA/238/2016 du 15 mars 2016, le détenu avait été sanctionné de sept jours de cellule forte pour menaces envers le personnel, pour avoir fait mine, par deux fois, de tirer en direction d’une surveillante. La chambre administrative a admis partiellement le recours et constaté que la sanction était disproportionnée, le seul antécédent du recourant devant être relativisé car remontant à une incarcération antérieure trois ans auparavant, aucun rapport d’incident n’ayant été établi depuis sa nouvelle incarcération et la coïncidence temporelle avec des attentats survenus en France la veille de l’incident ne permettant pas de justifier la durée de la sanction. Celle-ci aurait dû être de deux jours.

c. En l’espèce, le comportement adopté par le recourant justifie une sanction. Il ressort du dossier que depuis son arrivée à la prison, son comportement n’a pas été irréprochable, tant envers les gardiens que ses codétenus. Outre des recadrages, il a été privé durant quatre jours de l’usage de haut-parleurs de radio ainsi que de quatre jours de suspension de travail. Ses antécédents disciplinaires sont ainsi défavorables.

Toutefois, au vu des précédents susmentionnés, la sanction comprenant cinq jours de cellule forte et la suppression du travail – même avec la possibilité de se réinscrire mentionnée uniquement dans les observations du directeur devant la chambre de céans et dont il lui sera donné acte – apparaît disproportionnée en regard des faits reprochés et en l’absence d’incident antérieur ayant entraîné un placement en cellule forte.

Dans ces conditions, trois jours de placement en cellule forte cumulé avec la suppression du travail avec possibilité de se réinscrire, aurait été adéquate. Le placement en cellule forte ayant été exécuté, il n’est matériellement plus possible de l’annuler. La chambre de céans se limitera à constater son caractère illicite (ATA/238/2016 déjà cité et les références mentionnées).

7. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis.

8. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le recourant ayant agi en personne.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2015 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 12 août 2015 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

constate que le placement en cellule forte est illicite au sens des considérants ;

confirme la suppression de travail ;

donne acte au directeur de la prison de Champ-Dollon de ce que ladite suppression est assortie de la possibilité pour Monsieur A______ de se réinscrire pour travailler ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :